CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. YVES BOT

présentées le 21 décembre 2016 ( 1 )

Affaire C‑258/14

Eugenia Florescu e.a.

contre

Casa Judeţeană de Pensii Sibiu,

Casa Națională de Pensii și alte Drepturi de Asigurări Sociale,

Ministerul Muncii, Familiei și Protecției Sociale,

Statul român,

Ministerul Finanțelor Publice

[demande de décision préjudicielle formée par la Curtea de Apel Alba Iulia (Cour d’appel d’Alba Iulia, Roumanie)]

«Renvoi préjudiciel — Principes du droit de l’Union — Politique sociale et égalité de traitement — Principes de sécurité juridique et de primauté du droit de l’Union — Législation nationale permettant la révision de décisions définitives en cas de violation du principe de primauté du droit de l’Union, mais uniquement dans le domaine administratif (pas dans les autres contentieux) — Législation nationale interdisant le cumul d’une pension de retraite avec des revenus salariaux — Interprétation de ladite réglementation par la Cour constitutionnelle roumaine pouvant donner lieu à une discrimination entre les personnes dont la durée du mandat est prévue par la Constitution et les magistrats de carrière»

1. 

Dans la présente affaire, la Cour a été saisie par la Curtea de Apel Alba Iulia (Cour d’appel d’Alba Iulia, Roumanie) de plusieurs questions préjudicielles portant sur la conformité avec le droit de l’Union d’une mesure nationale prévoyant l’interdiction du cumul de la pension nette dans le secteur public avec les revenus tirés d’activités exercées auprès d’institutions publiques si le niveau de celle-ci dépasse le niveau de salaire moyen brut national qui a servi de base pour l’établissement du budget de la sécurité sociale de l’État.

2. 

Cette juridiction se demande, notamment, si les dispositions de la directive 2000/78/CE ( 2 ), ainsi que l’article 17 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ( 3 ), s’opposent à une telle mesure.

3. 

Ces questions vont amener la Cour à apprécier la nature du protocole d’accord entre la Communauté européenne et la Roumanie qui a été conclu à Bucarest et à Bruxelles le 23 juin 2009 ( 4 ), afin de déterminer si ce dernier peut être considéré comme un acte pris par les institutions au sens de l’article 267 TFUE. Par ailleurs, lesdites questions seront l’occasion, pour la Cour, d’examiner si la mesure nationale en cause dans le litige au principal peut être considérée comme une mise en œuvre du droit de l’Union au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte.

4. 

Dans les présentes conclusions, nous expliquerons les raisons pour lesquelles nous estimons que le protocole d’accord doit être considéré comme un acte pris par les institutions de l’Union européenne au sens de l’article 267 TFUE et peut, ainsi, être soumis à l’interprétation de la Cour. Nous expliquerons pourquoi nous pensons que ce protocole doit être interprété en ce sens qu’il n’impose pas l’adoption d’une législation nationale, telle que celle en cause dans le litige au principal, qui prévoit l’interdiction du cumul de la pension nette dans le secteur public avec les revenus tirés d’activités exercées auprès d’institutions publiques si le niveau de celle-ci dépasse le niveau de salaire moyen brut national qui a servi de base pour l’établissement du budget de la sécurité sociale de l’État.

5. 

Nous indiquerons, également, pourquoi l’article 17 de la Charte doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une telle législation nationale.

6. 

Puis, nous exposerons les raisons pour lesquelles nous estimons que l’article 2, paragraphe 2, de la directive 2000/78 doit être interprété en ce sens qu’il ne trouve pas à s’appliquer à cette législation nationale.

7. 

Enfin, nous proposerons à la Cour de dire pour droit que l’article 47 de la Charte ainsi que les principes d’équivalence et d’effectivité doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, à ce qu’un juge national n’ait pas la possibilité de réviser une décision juridictionnelle définitive rendue dans le cadre d’un recours de nature civile, lorsque cette décision s’avère incompatible avec une interprétation du droit de l’Union retenue par la Cour, alors même qu’une telle possibilité existe en ce qui concerne les décisions juridictionnelles définitives incompatibles avec le droit de l’Union rendues dans le cadre des recours de nature administrative.

I – Le cadre juridique

A – Le droit de l’Union

1. Le droit primaire

a) La Charte

8.

Sous l’intitulé « Droit de propriété », l’article 17, paragraphe 1, de la Charte prévoit ce qui suit :

« Toute personne a le droit de jouir de la propriété des biens qu’elle a acquis légalement, de les utiliser, d’en disposer et de les léguer. Nul ne peut être privé de sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, dans des cas et conditions prévus par une loi et moyennant en temps utile une juste indemnité pour sa perte. L’usage des biens peut être réglementé par la loi dans la mesure nécessaire à l’intérêt général. »

9.

L’article 51 de la Charte définit le champ d’application de celle-ci en ces termes :

« 1.   Les dispositions de la présente Charte s’adressent aux institutions, organes et organismes de l’Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu’aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union. En conséquence, ils respectent les droits, observent les principes et en promeuvent l’application, conformément à leurs compétences respectives et dans le respect des limites des compétences de l’Union telles qu’elles lui sont conférées dans les traités.

2.   La présente Charte n’étend pas le champ d’application du droit de l’Union au-delà des compétences de l’Union, ni ne crée aucune compétence ni aucune tâche nouvelles pour l’Union et ne modifie pas les compétences et tâches définies dans les traités. »

b) Le traité UE

10.

L’article 6, paragraphe 1, premier et deuxième alinéas, TUE dispose ce qui suit :

« L’Union reconnaît les droits, les libertés et les principes énoncés dans la [Charte] du 7 décembre 2000, telle qu’adaptée le 12 décembre 2007 à Strasbourg, laquelle a la même valeur juridique que les traités.

Les dispositions de la Charte n’étendent en aucune manière les compétences de l’Union telles que définies dans les traités. »

c) Le traité FUE

11.

Aux termes de l’article 143 TFUE :

« 1.   En cas de difficultés ou de menace grave de difficultés dans la balance des paiements d’un État membre faisant l’objet d’une dérogation, provenant soit d’un déséquilibre global de la balance, soit de la nature des devises dont il dispose, et susceptibles notamment de compromettre le fonctionnement du marché intérieur ou la réalisation de la politique commerciale commune, la Commission procède sans délai à un examen de la situation de cet État, ainsi que de l’action qu’il a entreprise ou qu’il peut entreprendre conformément aux dispositions des traités, en faisant appel à tous les moyens dont il dispose. La Commission indique les mesures dont elle recommande l’adoption par l’État intéressé.

Si l’action entreprise par un État membre faisant l’objet d’une dérogation et les mesures suggérées par la Commission ne paraissent pas suffisantes pour aplanir les difficultés ou menaces de difficultés rencontrées, la Commission recommande au Conseil, après consultation du comité économique et financier, le concours mutuel et les méthodes appropriées.

La Commission tient le Conseil régulièrement informé de l’état de la situation et de son évolution.

2.   Le Conseil accorde le concours mutuel ; il arrête les directives ou décisions fixant ses conditions et modalités. Le concours mutuel peut prendre notamment la forme :

a)

d’une action concertée auprès d’autres organisations internationales, auxquelles les États membres faisant l’objet d’une dérogation peuvent avoir recours ;

b)

de mesures nécessaires pour éviter des détournements de trafic lorsque l’État membre faisant l’objet d’une dérogation, qui est en difficulté, maintient ou rétablit des restrictions quantitatives à l’égard des pays-tiers ;

c)

d’octroi de crédits limités de la part d’autres États membres, sous réserve de leur accord.

3.   Si le concours mutuel recommandé par la Commission n’a pas été accordé par le Conseil ou si le concours mutuel accordé et les mesures prises sont insuffisants, la Commission autorise l’État membre faisant l’objet d’une dérogation, qui est en difficulté, à prendre les mesures de sauvegarde dont elle définit les conditions et modalités.

Cette autorisation peut être révoquée et ces conditions et modalités modifiées par le Conseil. »

2. Le droit dérivé

a) Le règlement no 332/2002, la décision 2009/458/CE et la décision 2009/459/CE

12.

Le règlement no 332/2002 établit les modalités applicables au mécanisme de concours mutuel prévu à l’article 143 TFUE.

13.

Ainsi, l’article 1er de ce règlement prévoit ce qui suit :

« 1.   Il est institué un mécanisme communautaire de soutien financier à moyen terme permettant l’octroi de prêts à un ou plusieurs États membres éprouvant des difficultés ou des menaces graves de difficultés dans la balance des paiements courants ou dans celle des mouvements de capitaux. Seuls les États membres qui n’ont pas adopté l’euro peuvent bénéficier de ce mécanisme communautaire.

L’encours en principal des prêts pouvant être accordés aux États membres au titre de ce mécanisme est limité à 50 milliards d’euros.

2.   À cette fin, la Commission est habilitée à contracter, au nom de la Communauté, en application d’une décision arrêtée par le Conseil au titre de l’article 3 et après consultation du comité économique et financier, des emprunts sur les marchés des capitaux ou auprès d’institutions financières. »

14.

L’article 3 dudit règlement est rédigé en ces termes :

« 1.   Le mécanisme de soutien financier à moyen terme peut être mis en œuvre par le Conseil, à l’initiative :

a)

de la Commission agissant en vertu de l’article 119 du traité en accord avec l’État membre souhaitant avoir recours à un financement communautaire ;

b)

d’un État membre éprouvant des difficultés ou des menaces graves de difficultés dans la balance des paiements courants ou dans celle des mouvements de capitaux.

2.   L’État membre souhaitant avoir recours au soutien financier à moyen terme procède à une évaluation de ses besoins financiers avec la Commission et présente à celle-ci et au comité économique et financier un projet de programme de redressement. Le Conseil, après examen de la situation de l’État membre concerné et du programme de redressement qu’il présente à l’appui de sa demande, décide, en principe au cours de la même réunion :

a)

de l’octroi d’un prêt ou d’une facilité de financement appropriée, de son montant et de sa durée moyenne ;

b)

des conditions de politique économique dont le soutien financier à moyen terme est assorti en vue de rétablir ou d’assurer une situation soutenable de la balance des paiements ;

c)

des modalités du prêt ou de la facilité de financement dont le versement ou le tirage sera en principe effectué par tranches successives, la libération de chaque tranche étant soumise à une vérification des résultats obtenus dans la mise en œuvre du programme par rapport aux objectifs fixés. »

15.

L’article 3 bis du règlement no 332/2002 prévoit ce qui suit :

« La Commission et l’État membre concerné concluent un protocole d’accord établissant, en détail, les conditions fixées par le Conseil en application de l’article 3. La Commission communique le protocole d’accord au Parlement européen et au Conseil. »

16.

En vertu de l’article 1er de la décision 2009/458/CE ( 5 ), la Communauté accorde un concours mutuel à la Roumanie au titre de l’article 143 TFUE. Par ailleurs, par la décision 2009/459/CE ( 6 ), la Communauté met à la disposition de la Roumanie un prêt à moyen terme d’un montant maximal de 5 milliards d’euros ( 7 ).

17.

Aux termes de l’article 2, paragraphes 1 et 2 :

« 1.   Le concours financier est géré par la Commission d’une manière compatible avec les engagements de la Roumanie et les recommandations du Conseil, notamment les recommandations spécifiques adressées à la Roumanie dans le cadre de la mise en œuvre du programme national de réforme, ainsi que du programme de convergence.

2.   La Commission convient avec les autorités roumaines, après consultation du comité économique et financier [...], des conditions en matière de politique économique dont est assorti le concours financier, conformément à l’article 3, paragraphe 5[, de cette même décision]. Ces conditions sont fixées dans un protocole d’accord conforme aux engagements et aux recommandations visés au paragraphe 1 [...] »

18.

À la suite de ces décisions, le protocole d’accord a été conclu.

19.

Le point 5, sous d), de ce protocole d’accord, intitulé « la réforme structurelle », contient des recommandations relatives à des mesures destinées à améliorer l’efficience et l’efficacité de l’administration publique, à accroître la qualité de l’administration publique dans plusieurs domaines, notamment en ce qui concerne les structures décisionnelles, le partage de responsabilités entre les institutions, l’organisation interne des principaux ministères, le champ d’application et la responsabilisation liés à la mise en œuvre et à l’adéquation des niveaux de personnel et de gestion des ressources humaines.

b) La directive 2000/78

20.

En vertu de l’article 1er de la directive 2000/78, celle-ci a pour objet d’établir un cadre général pour lutter contre la discrimination fondée sur la religion ou les convictions, le handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle, en ce qui concerne l’emploi et le travail, en vue de mettre en œuvre, dans les États membres, le principe de l’égalité de traitement.

21.

L’article 2, paragraphes 1 et 2, de cette directive indique ce qui suit :

« 1.   Aux fins de la présente directive, on entend par “principe de l’égalité de traitement” l’absence de toute discrimination directe ou indirecte, fondée sur un des motifs visés à l’article 1er.

2.   Aux fins du paragraphe 1 :

a)

une discrimination directe se produit lorsqu’une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne le serait dans une situation comparable, sur la base de l’un des motifs visés à l’article 1er ;

b)

une discrimination indirecte se produit lorsqu’une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre est susceptible d’entraîner un désavantage particulier pour des personnes d’une religion ou de convictions, d’un handicap, d’un âge ou d’une orientation sexuelle donnés, par rapport à d’autres personnes, à moins que :

i)

cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un objectif légitime et que les moyens de réaliser cet objectif ne soient appropriés et nécessaires [...] »

B – Le droit roumain

22.

L’article 83 de la legea no 303/2004 privind statutul judecătorilor şi procurorilor (loi no 303/2004 sur le statut des juges et des procureurs), du 28 juin 2004 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 826, du 13 septembre 2005), permettait le cumul de la fonction de magistrat uniquement avec les fonctions d’enseignant dans le cadre de l’enseignement supérieur. Par ailleurs, cette loi prévoyait que les juges et les procureurs qui ont cessé leurs fonctions par départ à la retraite peuvent cumuler leur pension de retraite avec les revenus tirés d’une activité professionnelle, quel que soit le niveau desdits revenus.

23.

Le 5 novembre 2009 a été adoptée la legea no 329/2009 privind reorganizarea unor autorităţi şi instituţii publice, raţionalizarea cheltuielilor publice, susţinerea mediului de afaceri şi respectarea acordurilor-cadru cu Comisia Europeană şi Fondul Monetar Internaţional [Monitorul Oficial al României, partie I, no 761, du 9 novembre 2009 (loi no 329/2009 portant réorganisation de certaines autorités et institutions publiques, rationalisation des dépenses publiques, appui au milieu des affaires et respect des accords-cadres conclus avec la Commission européenne et le Fonds Monétaire International)] ( 8 ).

24.

L’article 2 de cette loi prévoit que les mesures instituées par celle-ci ont un caractère exceptionnel, ayant pour but la réduction des effets de la crise économique et de l’accomplissement des obligations résultant du protocole d’accord et de l’accord de confirmation conclu entre la Roumanie et la Commission ainsi que le Fonds Monétaire International (FMI).

25.

Ladite loi a notamment imposé une réduction du montant des salaires, mesure qui a été appliquée dans le cadre de l’enseignement universitaire. En vertu de l’article 3 de cette même loi, les mesures adoptées conformément au protocole d’accord visent à surmonter la crise financière. Elles consistent en la réduction des frais de personnel au niveau de l’administration publique, par la réduction des salaires, ainsi que par la réorganisation ou la suppression d’autorités ou d’institutions publiques, à la suite de leur regroupement par absorption, fusion, division ou réduction d’effectifs.

26.

Les articles 17 à 26 de la loi no 329/2009 interdisent le cumul de la pension nette avec les revenus tirés d’activités exercées auprès d’institutions publiques si le niveau de celle-ci dépasse le niveau de salaire moyen brut national, qui a servi de base pour l’établissement du budget de la sécurité sociale de l’État.

27.

Plus précisément, l’article 17 de cette loi indique que les personnes bénéficiant d’un droit à pension relevant du système public de pensions ou des systèmes non intégrés dans le système public, qui perçoivent des revenus salariaux ou, le cas échéant, assimilés aux salaires, conformément à la loi, tirés de l’exercice d’une activité en vertu d’un contrat individuel de travail, d’une relation de service ou d’un acte de nomination, conformément à la loi, auprès d’une autorité ou d’une institution publique centrale ou locale, quel que soit le mode de financement et le niveau de subordination de celle-ci, auprès d’une régie autonome, d’une société nationale, d’une compagnie nationale ou d’une société commerciale dont le capital social appartient intégralement ou majoritairement à l’État ou à une entité administrative ou territoriale, peuvent cumuler leur pension nette avec les revenus ainsi perçus si le niveau de celle-ci n’est pas supérieur au salaire moyen brut national qui a servi de base pour l’établissement du budget de la sécurité sociale de l’État et qui a été approuvé par la loi sur le budget de la sécurité sociale de l’État.

28.

L’article 18 de ladite loi prévoit que les retraités, visés à l’article 17 de cette dernière, qui exercent des activités professionnelles en vertu d’un contrat individuel de travail, d’une relation de service ou d’un acte de nomination sont tenus, dans un délai de quinze jours après l’entrée en vigueur du chapitre sous lequel est rédigé cette disposition, d’exprimer par écrit leur choix entre la suspension du paiement de la pension durant l’exercice de leur activité et la cessation de la relation de travail, de la relation de service ou des effets de l’acte de nomination si le niveau de la pension nette qui leur est versée est supérieur au salaire moyen brut national.

29.

Enfin, l’article 20 de la loi no 329/2009 dispose que le manquement à cette obligation d’exprimer son choix dans le délai prévu constitue une cause de cessation de plein droit de la relation de travail établie en vertu du contrat individuel de travail ou de l’acte de nomination, ainsi que de la relation de service.

30.

Ni le protocole d’accord ni cette loi ne font référence aux instances judiciaires ou aux parquets ni aux juges ou aux procureurs mis à la retraite.

31.

Selon l’article 21 de la legea no 554/2004 contenciosului administrativ (loi no 554/2004 sur le contentieux administratif) ( 9 ), du 2 décembre 2004 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 1154, du 7 décembre 2004), constitue un motif de révision, qui s’ajoute à ceux prévus par le code de procédure civile, le prononcé d’un jugement définitif et irrévocable, en violation du principe de primauté du droit de l’Union prévu à l’article 148, paragraphe 2, lu en combinaison avec l’article 20, paragraphe 2, de la Constitution roumaine, telle que republiée.

II – Le cadre factuel

32.

Les requérants sont des magistrats qui, après leur entrée dans la magistrature, ont chacun exercé également comme enseignants à la faculté de droit, postes auxquels ils ont accédé sur concours. Ils ont donc exercé, de manière cumulative, l’emploi de magistrat et l’emploi d’enseignant universitaire.

33.

Au cours de l’année 2009, les requérants ont été mis à la retraite de leur fonction de magistrat et ont continué à enseigner à l’université. Avant l’année 2009, ce cumul d’une pension de retraite provenant de la fonction publique avec un emploi dans cette même fonction était autorisé, quel que fusse le niveau des revenus tirés de cette activité professionnelle.

34.

Depuis l’entrée en vigueur de la loi no 329/2009, les requérants ne peuvent plus cumuler leur retraite en tant que magistrat avec leur salaire provenant des universités lorsque le niveau de cette retraite dépasse le niveau de salaire moyen brut national qui a servi de base pour l’établissement du budget de la sécurité sociale de l’État. La juridiction de renvoi précise que, à la date de mise en application de cette interdiction, il n’y avait, dans le pays, pas plus de dix juges et procureurs qui cumulaient la pension contributive de magistrat avec le salaire d’enseignant universitaire.

35.

Par un arrêt du 4 novembre 2009, la Curtea Constituţională (Cour constitutionnelle, Roumanie) a constaté que la loi no 329/2009 était conforme à la Constitution.

36.

La Casa Judeţeană de Pensii Sibiu (caisse des retraites de Sibiu, Roumanie) a, le 28 décembre 2009, décidé de suspendre le paiement des pensions émises pour chaque requérant.

37.

Par requête du 1er mars 2010, les requérants ont saisi le Tribunalul Sibiu (tribunal de grande instance de Sibiu, Roumanie) aux fins de demander, notamment, l’annulation de la décision du 28 décembre 2009. Par jugement du 3 mai 2012, ce tribunal a rejeté le recours formé par les requérants.

38.

Ces derniers ont formé un appel contre ce jugement devant la Curtea de Apel Alba Iulia (Cour d’appel d’Alba Iulia) en demandant, une nouvelle fois, la saisine de la Cour d’une demande en interprétation. Par un arrêt du 9 novembre 2012, la Curtea de Apel Alba Iulia, Secția pentru conflicte de muncă și asigurări sociale (Cour d’appel d’Alba Iulia, chambre des conflits de travail et de la sécurité sociale, Roumanie) a rejeté le recours.

39.

Devant la juridiction de renvoi, les requérants demandent la révision de cet arrêt, notamment parce qu’ils considèrent que la juridiction ayant rendu celui-ci n’a pas exposé, dans ledit arrêt, les motifs pour lesquels elle a refusé de donner un effet direct et d’accorder la primauté aux dispositions du traité FUE et pour lesquels elle a refusé d’appliquer la jurisprudence pertinente de la Cour.

III – Les questions préjudicielles

40.

La Curtea de Apel Alba Iulia (Cour d’appel d’Alba Iulia) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

[Le protocole d’accord] peut-il être considéré comme un acte, une décision, une communication, etc., ayant une valeur juridique, dans le sens défini par la Cour [arrêts du 3 février 1976, Manghera e.a., (59/75, EU:C:1976:14) et du 20 mars 1997, France/Commission (C‑57/95, EU:C:1997:164)] et peut-il être soumis à l’interprétation de la Cour ?

2)

Dans l’affirmative, [le protocole d’accord] doit-il être interprété en ce sens que, en vue de la réduction des effets de la crise économique par la réduction des frais de personnel, la Commission peut valablement imposer l’adoption d’une loi nationale privant une personne de son droit de percevoir la pension contributive pour plus de 30 ans de cotisations, fixée conformément à la loi et perçue antérieurement à cette loi, au motif que cette personne perçoit un salaire pour une activité exercée au titre d’un contrat de travail, différente de celle pour laquelle elle a été mise à la retraite ?

3)

Ce [protocole d’accord] doit-il être interprété en ce sens que, en vue de la réduction de la crise économique, la Commission peut valablement imposer l’adoption d’une loi nationale privant une personne, entièrement et sine die, de son droit de percevoir la pension contributive pour plus de 30 ans de cotisations, fixée conformément à la loi et perçue antérieurement à cette loi, au motif que cette personne perçoit un salaire pour une activité exercée au titre d’un contrat de travail, différente de celle pour laquelle elle a été mise à la retraite ?

4)

Ledit [protocole] dans son intégralité, et plus particulièrement son point 5, sous d), relatif à la réorganisation de l’administration publique et au renforcement de son efficacité, doit-il être interprété en ce sens que, en vue de la réduction de la crise économique, la Commission a valablement imposé l’adoption d’une loi nationale instituant l’interdiction du cumul de la pension avec le salaire pour les fonctionnaires retraités des institutions publiques ?

5)

Les articles 17, 20, 21 et 47 de la Charte, l’article 6 TUE, l’article 110 TFUE, le principe de sécurité juridique tiré du droit de l’Union et la jurisprudence de la Cour peuvent-ils être interprétés comme s’opposant à une réglementation telle que l’article 21, paragraphe 2, de la loi no 554/2004, qui prévoit, dans l’hypothèse d’une violation du principe de primauté du droit de l’Union, la possibilité d’une révision pour les décisions des juridictions nationales prononcées exclusivement dans le domaine du contentieux administratif et qui ne permet pas la possibilité d’une révision pour les décisions des juridictions nationales prononcées dans d’autres matières (civile, pénale, commerciale, etc.), dans l’hypothèse de la violation du même principe de primauté du droit de l’Union par lesdites décisions ?

6)

L’article 6 TUE, dans sa version consolidée de 2010, s’oppose-t-il à une législation d’un État membre qui conditionne le paiement de la pension des magistrats de carrière, établie au titre des cotisations de ceux-ci pendant plus de 30 ans d’ancienneté dans la magistrature, à la cessation de leur contrat de travail dans l’enseignement supérieur juridique ?

7)

L’article 6 TUE, dans sa version consolidée 2010, l’article 17, paragraphe 1, de la Charte et la jurisprudence de la Cour s’opposent-ils à une législation expropriant le droit de propriété sur la pension, alors que celui-ci a été établi au titre de plus de 30 ans de cotisations, et que les magistrats ont contribué et contribuent, séparément, au fonds de pension, au titre de leur activité universitaire ?

8)

L’article 6 TUE, dans sa version consolidée 2010, et l’article 2, paragraphe 2, sous b), de la directive 2000/78, concernant l’égalité de traitement entre les personnes, sans distinction de race ou d’origine ethnique, ainsi que la jurisprudence de la Cour, s’opposent-ils à une décision rendue par la Cour constitutionnelle d’un État membre qui, lors du contrôle de constitutionnalité d’une loi, juge que le droit au cumul de la pension avec le salaire appartient uniquement aux personnes investies d’un mandat, en privant ainsi de ce droit les magistrats de carrière à qui il est interdit de percevoir la pension établie au titre de leurs cotisations personnelles versées pendant plus de 30 ans, au motif qu’ils ont conservé leurs fonctions d’enseignant dans le cadre de l’enseignement supérieur juridique ?

9)

L’article 6 TUE, dans sa version consolidée 2010, et la jurisprudence de la Cour s’opposent-ils à une législation qui conditionne sine die le paiement de la pension des magistrats établie au titre de leurs cotisations versées pendant plus de 30 ans à la cessation de leur activité universitaire ?

10)

L’article 6 TUE, dans sa version consolidée 2010, et la jurisprudence de la Cour s’opposent-ils à une législation qui détruit le juste équilibre qui doit être préservé entre la protection de la propriété individuelle et les exigences de l’intérêt général, en n’obligeant qu’une certaine catégorie de personnes à supporter la perte de la pension de magistrat au motif que lesdites personnes exercent une activité universitaire ? »

IV – Notre analyse

41.

Afin de répondre utilement à la juridiction de renvoi, nous proposons à la Cour de reformuler les questions posées de la manière suivante.

42.

Par sa première question, la juridiction de renvoi se demande si le protocole d’accord peut être considéré comme un acte pris par une institution de l’Union au sens de l’article 267 TFUE et être soumis, dans ce cas, à l’interprétation de la Cour.

43.

Par ses deuxième à quatrième questions, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si, en cas de réponse affirmative à la première question, ce protocole d’accord peut avoir pour effet d’imposer l’adoption d’une législation nationale, telle que celle en cause dans le litige au principal, qui prévoit l’interdiction du cumul de la pension nette dans le secteur public avec les revenus tirés d’activités exercées auprès d’institutions publiques si le niveau de celle-ci dépasse le niveau de salaire moyen brut national qui a servi de base pour l’établissement du budget de la sécurité sociale de l’État.

44.

Par ses sixième, septième, neuvième et dixième questions, la juridiction de renvoi interroge la Cour sur le point de savoir, en substance, si l’article 6 TUE ainsi que les articles 17, 20 et 21 de la Charte doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation nationale, telle que celle en cause dans le litige au principal, qui prévoit l’interdiction du cumul de la pension nette dans le secteur public avec les revenus tirés d’activités exercées auprès d’institutions publiques si le niveau de celle-ci dépasse un certain seuil.

45.

Par sa huitième question, nous comprenons que la juridiction de renvoi demande à la Cour, en substance, de dire pour droit si l’article 2, paragraphe 2, sous b), de la directive 2000/78 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation nationale, telle que celle en cause dans le litige au principal, qui prévoit, pour les personnes employées dans le secteur public, l’interdiction du cumul de la pension nette avec les revenus tirés d’activités exercées auprès d’institutions publiques si le niveau de celle-ci dépasse le niveau de salaire moyen brut national qui a servi de base pour l’établissement du budget de la sécurité sociale de l’État, alors même que cette législation ne s’applique pas aux personnes employées dans le secteur public en situation de cumul qui tirent des revenus salariaux de l’exercice d’un mandat prévu par la Constitution roumaine.

46.

Enfin, par sa cinquième question, la juridiction de renvoi s’interroge, en substance, sur le point de savoir si l’article 47 de la Charte ainsi que les principes d’équivalence et d’effectivité doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation nationale qui prévoit que, en cas de violation du principe de primauté du droit de l’Union, seules les décisions juridictionnelles définitives et irrévocables rendues dans le cadre des recours de nature administrative peuvent faire l’objet d’une révision et non les décisions prononcées dans les autres domaines, tels les domaines civil, pénal ou commercial.

A – Sur la première question relative à la compétence de la Cour pour interpréter le protocole d’accord

47.

La première question posée par la juridiction de renvoi vise, en réalité, à définir si un protocole d’accord, tel que celui en cause dans le litige au principal, relève des actes pris par les institutions de l’Union au sens de l’article 267, sous b), TFUE, permettant ainsi à la Cour de l’interpréter.

48.

Nous rappelons que cet article dispose que la Cour est compétente pour statuer, à titre préjudiciel, sur la validité et l’interprétation des actes pris par les institutions, organes ou organismes de l’Union. La Cour a jugé que cette disposition lui attribue « la compétence pour statuer, à titre préjudiciel, sur la validité et l’interprétation des actes pris par les institutions de [l’Union], sans exception aucune» ( 10 ) .

49.

À ce titre, il ne fait pas de doute, selon nous, que le protocole d’accord est un acte pris par les institutions. En effet, celui-ci a été adopté sur la base de l’article 143 TFUE qui confère à l’Union compétence pour assurer des engagements vis-à-vis d’un État membre. Ainsi, cet article prévoit qu’un concours mutuel peut être accordé à un État membre ayant des difficultés ou sur lequel pèse une menace grave de difficultés dans la balance des paiements, la Commission étant l’institution recommandant ce concours mutuel et le Conseil l’approuvant par le biais d’une décision.

50.

C’est ainsi que le règlement no 332/2002 établit les modalités applicables au mécanisme de concours mutuel prévu audit article. Notamment, l’article 1er, paragraphe 2, de ce règlement indique que la Commission est habilitée à contracter, au nom de la Communauté, en application d’une décision arrêtée par le Conseil au titre de l’article 3 de ce même règlement et après consultation du comité économique et financier, des emprunts sur les marchés des capitaux ou auprès d’institutions financières.

51.

L’article 3 bis, première phrase, dudit règlement prévoit que la Commission et l’État membre concerné concluent un protocole d’accord établissant, en détail, les conditions fixées par le Conseil en application de l’article 3 du même règlement. Le protocole d’accord conclu entre la Communauté européenne et la Roumanie a été adopté précisément selon cette procédure, le Conseil ayant adopté successivement deux décisions, l’une accordant un concours mutuel à la Roumanie au titre de l’article 143 TFUE ( 11 ), l’autre mettant à la disposition de cet État membre un prêt à moyen terme d’un montant maximal de 5 milliards d’euros ( 12 ).

52.

Le protocole d’accord est donc la concrétisation d’un engagement entre l’Union et un État membre sur un programme économique, négocié par ces parties, par lequel cet État membre s’engage à respecter des objectifs économiques préalablement définis afin de pouvoir bénéficier, sous réserve du respect de cet engagement, du concours financier de l’Union.

53.

Certes, ainsi que la Commission l’a rappelé lors de l’audience, le protocole d’accord ne produit pas d’effets juridiques obligatoires. Cependant, contrairement aux conditions de recevabilité requises pour le recours en annulation au titre de l’article 263 TFUE, la procédure de renvoi préjudiciel prévue à l’article 267 TFUE ne requiert pas que l’acte à interpréter soit destiné à produire des effets juridiques. Il suffit que l’acte en question soit « [un acte] pris par les institutions, organes ou organismes de l’Union ». À cet égard, la Cour a jugé que le renvoi préjudiciel peut porter également sur des actes de l’Union non contraignants ( 13 ).

54.

Dès lors, la nature particulière du protocole d’accord ne s’oppose pas à son interprétation par la Cour dans le cadre d’un renvoi préjudiciel.

55.

Nous sommes donc d’avis que le protocole d’accord doit être considéré comme un acte pris par les institutions de l’Union au sens de l’article 267 TFUE et que la Cour est compétente pour l’interpréter.

B – Sur les deuxième à quatrième questions relatives à l’interprétation du protocole d’accord

56.

Par ces questions, la juridiction de renvoi cherche à savoir si le protocole d’accord peut avoir pour effet d’imposer l’adoption d’une législation nationale, telle que celle en cause dans le litige au principal, qui prévoit l’interdiction du cumul de la pension nette avec les revenus tirés d’activités exercées auprès d’institutions publiques si le niveau de celle-ci dépasse le niveau de salaire moyen brut national qui a servi de base pour l’établissement du budget de la sécurité sociale de l’État.

57.

Ainsi que nous l’avons mentionné au point 52 des présentes conclusions, le protocole d’accord subordonne l’octroi d’un concours financier de la Communauté au respect des engagements économiques pris par la Roumanie. Le point 5, premier alinéa, de ce protocole indique, à cet égard, que le versement de chaque tranche sera effectué sous réserve de l’exécution du programme économique du gouvernement roumain. Pour chaque tranche, il a été établi des critères spécifiques de politiques économiques lesquels sont détaillés à l’annexe I dudit protocole.

58.

Ensuite, le protocole d’accord définit les objectifs généraux du programme économique établi par la Roumanie. S’il est vrai que ce protocole prévoit que le système des pensions doit être réformé, en précisant certaines mesures concrètes comme le recul de l’âge de départ à la retraite ou l’indexation des pensions du secteur public sur les prix à la consommation ( 14 ), force est de constater qu’il n’est à aucun moment fait mention d’une interdiction du cumul de la pension du secteur public avec les revenus tirés d’activités exercées auprès d’institutions publiques.

59.

Comme le précise la Commission dans ses observations écrites ( 15 ), il appartient aux autorités roumaines de mettre en œuvre les mesures qu’elles estiment adéquates et nécessaires pour satisfaire aux objectifs généraux définis dans le protocole d’accord.

60.

Il s’ensuit que ce protocole doit être interprété en ce sens qu’il n’impose pas l’adoption d’une législation nationale, telle que celle en cause dans le litige au principal, qui prévoit l’interdiction du cumul de la pension nette dans le secteur public avec les revenus tirés d’activités exercées auprès d’institutions publiques si le niveau de celle-ci dépasse le niveau de salaire moyen brut national qui a servi de base pour l’établissement du budget de la sécurité sociale de l’État.

C – Sur les sixième, septième, neuvième et dixième questions relatives à l’interprétation de l’article 6 TFUE ainsi que des articles 17, 20 et 21 de la Charte

61.

Par ses sixième, septième, neuvième et dixième questions, la juridiction de renvoi interroge la Cour sur le point de savoir, en substance, si l’article 6 TUE ainsi que les articles 17, 20 et 21 de la Charte doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation nationale, telle que celle en cause dans le litige au principal, qui prévoit l’interdiction du cumul de la pension nette dans le secteur public avec les revenus tirés d’activités exercées auprès d’institutions publiques si le niveau de celle-ci dépasse un certain seuil.

62.

À cet égard, il convient d’abord de rappeler que, s’agissant des exigences découlant de la protection des droits fondamentaux, elles lient les États membres dans tous les cas où ils sont appelés à appliquer le droit de l’Union ( 16 ).

63.

En effet, les droits fondamentaux garantis dans l’ordre juridique de l’Union ont vocation à être appliqués dans toutes les situations régies par le droit de l’Union, mais pas en dehors de telles situations. C’est dans cette mesure que la Cour a déjà rappelé qu’elle ne peut apprécier, au regard de la Charte, une réglementation nationale qui ne se situe pas dans le cadre du droit de l’Union. En revanche, dès lors qu’une telle réglementation entre dans le champ d’application de ce droit, la Cour, saisie à titre préjudiciel, doit fournir tous les éléments d’interprétation nécessaires à l’appréciation, par la juridiction nationale, de la conformité de cette réglementation avec les droits fondamentaux dont elle assure le respect ( 17 ).

64.

Dès lors, toute la question est celle de savoir si, en l’occurrence, la loi no 329/2009 constitue une mise en œuvre du protocole d’accord au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte et de la jurisprudence précitée.

1. Sur l’application de la Charte

65.

La loi no 329/2009 a été adoptée précisément pour se conformer aux engagements pris par la Roumanie envers la Communauté, engagements qui figurent dans le protocole d’accord, ce qui ressort expressément du libellé même de cette loi, celle-ci étant intitulée « Loi portant réorganisation de certaines autorités et institutions publiques, rationalisation des dépenses publiques, appui au milieu des affaires et respect des accords-cadres conclus avec la [Commission] et le [FMI] ».

66.

De même, l’article 2 de ladite loi est sans ambiguïté dans la mesure où il indique que les mesures qu’elle institue ont un caractère exceptionnel, ayant pour but la réduction des effets de la crise économique et l’accomplissement des obligations résultant du protocole d’accord et de l’accord de confirmation conclu entre la Roumanie et la Commission ainsi que le FMI.

67.

Ainsi que nous l’avons vu aux points 49 à 52 des présentes conclusions, ce protocole d’accord concrétise la procédure découlant de l’article 143 TFUE. Sur cette base, deux décisions du Conseil ont été adoptées, dont la décision 2009/459 qui prévoit le décaissement de chaque nouvelle tranche du soutien financier lorsque la mise en œuvre du nouveau programme économique du gouvernement roumain, dont les conditions sont établies dans ledit protocole d’accord, est satisfaisante ( 18 ).

68.

Parmi ces conditions, nous relevons que le point 5, sous a), du protocole d’accord prévoit une réduction de la masse salariale du secteur public, tandis que ce même point, sous b), quatrième alinéa, indique que, afin d’améliorer sur le long terme les finances publiques, les paramètres clés du système des pensions seront réformés.

69.

Il résulte de ce qui précède que la loi no 329/2009 a été adoptée afin de mettre en œuvre ces engagements pris par la Roumanie dans le protocole d’accord qui, ainsi que nous l’avons vu aux points 49 à 52 des présentes conclusions, fait partie du droit de l’Union. Dès lors, la situation des requérants au principal est bien régie par le droit de l’Union.

70.

Il importe peu, à cet égard, que le protocole d’accord laisse une marge de manœuvre à la Roumanie pour décider des mesures qui sont les mieux à même de mener au respect desdits engagements, telles que la mesure en cause dans le litige au principal qui prévoit l’interdiction du cumul de la pension nette dans le secteur public avec les revenus tirés d’activités exercées auprès d’institutions publiques si le niveau de celle-ci dépasse un certain seuil. Selon nous, les objectifs visés à l’article 3, paragraphe 5, de la décision 2009/459, ainsi que par le protocole d’accord, sont suffisamment détaillés et précis pour constituer une réglementation du droit de l’Union spécifique en la matière, contrairement à de simples recommandations prises par le Conseil, sur la base de l’article 126 TFUE, à l’adresse des États membres dont le déficit public serait considéré comme excessif.

71.

Par conséquent, nous estimons que la loi no 329/2009 met en œuvre le droit de l’Union au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte et que celle-ci est donc applicable au litige au principal.

2. Sur la violation des articles 17, 20 et 21 de la Charte

72.

D’emblée, nous précisions que notre analyse portera uniquement sur l’article 17 de la Charte. En effet, en ce qui concerne les articles 20 et 21 de cette dernière, force est de constater que la juridiction de renvoi se borne à les mentionner dans la question préjudicielle sans toutefois expliquer en quoi la mesure nationale en cause dans le litige au principal violerait ces articles.

73.

Selon l’article 17 de la Charte, « [t]oute personne a le droit de jouir de la propriété des biens qu’elle a acquis légalement, de les utiliser, d’en disposer et de les léguer. Nul ne peut être privé de sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, dans des cas et conditions prévus par une loi et moyennant en temps utile une juste indemnité pour sa perte. L’usage des biens peut être réglementé par la loi dans la mesure nécessaire à l’intérêt général ».

74.

Afin de déterminer la portée du droit fondamental au respect de la propriété, il y a lieu de tenir compte, notamment, de l’article 1er du protocole additionnel no 1 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, qui consacre ce droit ( 19 ). À cet égard, la Cour européenne des droits de l’homme a eu l’occasion à de nombreuses reprises de se prononcer sur le droit à pension.

75.

Ainsi, elle a jugé que « [cet article] ne crée pas un droit à acquérir des biens. [Il] n’impose aucune restriction à la liberté pour les États contractants de décider d’instaurer ou non un régime de protection sociale ou de choisir le type ou le niveau des prestations censées être accordées au titre de pareil régime. En revanche, dès lors qu’un État contractant met en place une législation prévoyant le versement automatique d’une prestation sociale – que l’octroi de cette prestation dépende ou non du versement préalable de cotisations –, cette législation doit être considérée comme engendrant un intérêt patrimonial relevant du champ d’application de l’article 1 du Protocole no 1 pour les personnes remplissant ses conditions.» ( 20 )

76.

Par ailleurs, selon la jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l’homme, le droit à pension n’est pas comme tel garanti par la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ( 21 ) et l’article 1er du protocole no 1 ne saurait être interprété comme donnant droit à une pension d’un montant déterminé ( 22 ).

77.

Nous ne voyons aucune raison de suivre une position différente dans la présente affaire initiée devant notre Cour. Il est constant que le droit à pension, dont les requérants au principal disposent, est né des cotisations d’assurés, en l’espèce des magistrats. Ces derniers ont acquis un droit de propriété sur la pension établie au titre de leur activité et la pension fait donc partie de leurs droits patrimoniaux. D’ailleurs, pour trois des requérants, ce droit a été transmis à l’héritier de l’assuré décédé. Dès lors, le droit à pension entre bien dans le champ d’application de l’article 17 de la Charte.

78.

Cette disposition envisage deux formes d’atteinte possible au droit du propriétaire, à savoir la privation pure et simple de ce droit (« [n]ul ne peut être privé de sa propriété ») ou la restriction de son usage (« [l]’usage des biens peut être réglementé par la loi ») ( 23 ).

79.

En l’occurrence, nous pensons que l’interdiction du cumul de la pension dans le secteur public avec les revenus tirés d’activités exercées auprès d’institutions publiques ne saurait être considérée comme un acte emportant privation pure et simple de la propriété, dans la mesure où le « propriétaire » reste libre de disposer de son bien, en l’occurrence la pension. En effet, les personnes dans la situation des requérants au principal doivent opérer un choix entre percevoir cette pension ou continuer leur relation de travail. Elles ne sont aucunement privées de ladite pension.

80.

En revanche, il ne fait pas de doute que cette interdiction instaurée par la loi no 329/2009 restreint bien l’usage de la propriété, en en limitant la jouissance de manière temporaire. Une telle restriction ne peut être admise, en vertu de l’article 17 de la Charte, que si elle est « [réglementée] par la loi dans la mesure nécessaire à l’intérêt général ». Cette phrase fait écho, à notre avis, à l’article 52, paragraphe 1, de cette Charte qui prévoit que « [t]oute limitation de l’exercice des droits et des libertés reconnus par [celle-ci] doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés. Dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées [à l’exercice de ces droits et de ces libertés] que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et des libertés d’autrui. »

81.

Si la restriction du droit de propriété par l’interdiction du cumul de la pension nette dans le secteur public avec les revenus tirés d’une activité exercée auprès d’une institution publique est bel et bien réglementée par la loi roumaine, il reste à déterminer si elle respecte le contenu essentiel du droit de propriété, si elle est nécessaire et si elle répond à un objectif d’intérêt général.

82.

Concernant ce dernier point, il ne semble pas contestable que l’objectif visant à réduire les effets de la crise économique et à accomplir les obligations résultant du protocole d’accord et de l’accord de confirmation conclus entre la Roumanie et la Commission ainsi que le FMI est un objectif d’intérêt général.

83.

Par ailleurs, nous pensons que la loi no 329/2009 ne remet pas en cause la garantie même du droit de propriété. En effet, ainsi qu’il ressort du libellé de l’article 2 de cette loi, cette dernière a un caractère exceptionnel. Elle n’a pas vocation à perdurer dans le temps. De plus, elle ne remet pas en cause le principe même du droit à pension, mais en limite l’usage dans des circonstances bien définies et encadrées, à savoir lorsque la pension est cumulée avec une activité exercée auprès d’institutions publiques et lorsque la pension dépasse un certain seuil.

84.

Quant à la nécessité de la réglementation nationale en cause, il nous semble que, dans le contexte très particulier de la crise économique à laquelle les États membres sont confrontés, ces derniers, ainsi que les institutions de l’Union, sont très certainement les mieux à même de déterminer quelles mesures sont susceptibles d’avoir le meilleur impact qui soit pour assainir les dépenses publiques. Ainsi, nous pensons que les États membres disposent d’une large marge d’appréciation en la matière. Du reste, nous rappelons que les personnes concernées par la mesure doivent faire un choix entre conserver le versement de la pension ou continuer à exercer une activité auprès d’une institution publique uniquement lorsque leur pension dépasse le niveau de salaire moyen brut national qui a servi de base pour l’établissement du budget de la sécurité sociale de l’État. De plus, les requérants ne voient les versements de la pension suspendus que temporairement, jusqu’à ce que la relation de travail prenne fin.

85.

Ils ne sont pas non plus dépourvus de toute source de revenus puisqu’ils tirent un revenu précisément de l’activité professionnelle exercée auprès de l’institution publique.

86.

Enfin, à notre avis, la loi no 329/2009 ne fait pas porter sur les requérants au principal une charge disproportionnée et excessive étant donné qu’ils peuvent à tout moment faire le choix de mettre fin à leur relation de travail et percevoir, de nouveau, leur pension.

87.

Par conséquent, au vu de l’ensemble de ces éléments, nous sommes d’avis que l’article 17 de la Charte doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une législation nationale, telle que celle en cause dans le litige au principal, qui prévoit l’interdiction du cumul de la pension nette dans le secteur public avec les revenus tirés d’activités exercées auprès d’institutions publiques si le niveau de celle-ci dépasse un certain seuil.

D – Sur la huitième question relative à l’interprétation de l’article 2, paragraphe 2, sous b), de la directive 2000/78

88.

Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 21 mai 2015, SCMD ( 24 ), la Cour était amenée à dire pour droit, en substance, si l’article 17 de la loi no 329/2009, qui impose la cessation de plein droit de la relation de travail ou de la relation de service des employés du secteur public bénéficiant par ailleurs d’une pension de retraite supérieure au salaire moyen brut, lorsque ceux-ci n’ont pas opté pour la poursuite de cette relation de travail ou de cette relation de service dans un délai déterminé, institue une discrimination au sens de l’article 2, paragraphe 2, et de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2000/78. La Cour a conclu que ces dispositions ne trouvaient pas à s’appliquer à la législation nationale en cause dans cette affaire.

89.

La législation nationale visée dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt SCMD ( 25 ) étant également celle qui est mise en cause dans le litige au principal, nous ne voyons aucune raison de nous éloigner du raisonnement et de la décision adoptés par la Cour dans cette affaire, et ce d’autant plus que la juridiction de renvoi dans l’affaire qui nous est ici soumise – pas plus, du reste, que les requérants au principal – n’explique pas quel serait le lien entre le statut de retraité acquis par les magistrats concernés dans la présente affaire et l’un des motifs de discrimination visés à l’article 1er de la directive 2000/78.

90.

En effet, force est de constater que la juridiction de renvoi se borne à citer un arrêt de la Curtea Constituţională (Cour constitutionnelle) du 4 novembre 2009, par lequel celle-ci a constaté que la loi no 329/2009 est conforme à la Constitution, dans la mesure où les dispositions de son chapitre IV, dont font partie les articles 17 à 26 de cette loi, ne concernent pas les personnes dont la durée du mandat est fixée expressément par la Constitution, confirmant donc la constitutionnalité de ladite loi pour ce qui concerne les magistrats de carrière.

91.

Il convient, à cet égard, de rappeler que, en vertu de l’article 2, paragraphe 1, de cette directive, le « principe de l’égalité de traitement » doit être entendu comme l’absence de toute discrimination directe ou indirecte, fondée sur l’un des motifs visés à l’article 1er de ladite directive, au nombre desquels figure l’âge ( 26 ).

92.

Or, ainsi que la Cour l’a relevé dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt SCMD, la cessation de la relation de travail ou de la relation de service est, conformément aux dispositions nationales en cause, uniquement imposée aux personnes employées dans le secteur public qui bénéficient d’une pension de retraite d’un montant supérieur au salaire moyen brut national et n’ayant pas opté, dans un délai déterminé, pour la poursuite de la relation de travail ou de la relation de service ( 27 ).

93.

La différence de traitement n’est, dès lors, pas fondée sur l’âge mais sur la qualité d’employé du secteur public et sur le fait que le montant de la pension de retraite que cet employé perçoit est plus élevé que le salaire moyen brut national ( 28 ).

94.

Par conséquent, comme la Cour l’a jugé au point 31 de l’arrêt SCMD, une situation telle que celle qui nous est présentement soumise ne relève pas du cadre général établi par l’article 2, paragraphe 2, de la directive 2000/78 en vue de lutter contre certaines discriminations.

95.

Nous pensons donc que cet article doit être interprété en ce sens qu’il ne trouve pas à s’appliquer à une législation nationale telle que celle en cause au principal qui prévoit, pour les personnes employées dans le secteur public, l’interdiction du cumul de la pension nette avec les revenus tirés d’activités exercées auprès d’institutions publiques si le niveau de celle-ci dépasse le niveau de salaire moyen brut national qui a servi de base pour l’établissement du budget de la sécurité sociale de l’État.

E – Sur la cinquième question, relative au droit à un recours effectif et au respect des principes d’équivalence et d’effectivité

96.

Par sa cinquième question, la juridiction de renvoi s’interroge, en substance, sur le point de savoir si l’article 47 de la Charte ainsi que les principes d’équivalence et d’effectivité doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation nationale qui prévoit que, en cas de violation du principe de primauté du droit de l’Union, seules les décisions juridictionnelles définitives et irrévocables rendues dans le cadre des recours de nature administrative peuvent faire l’objet d’une révision et non les décisions prononcées dans les autres domaines, tels les domaines civil, pénal ou commercial.

97.

Nous rappelons que, dans l’affaire au principal, la juridiction de renvoi est saisie d’un recours en révision contre un arrêt civil rendu par la Curtea de Apel Alba Iulia, Secţia pentru conflicte de muncă şi asigurări sociale (Cour d’appel d’Alba Iulia, chambre des conflits de travail et de la sécurité sociale) ayant pour objet la contestation d’une décision de mise à la retraite.

98.

D’emblée, il convient de relever que la Cour a déjà examiné cette question dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 6 octobre 2015, Târșia ( 29 ). En effet, dans cette affaire, la Cour était interrogée par le Tribunalul Sibiu (tribunal de grande instance de Sibiu) sur le point de savoir si le droit de l’Union, notamment les principes d’équivalence et d’effectivité, devait être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’un juge national n’ait pas la possibilité de réviser une décision juridictionnelle définitive rendue dans le cadre d’un recours de nature civile, lorsque cette décision s’avère incompatible avec une interprétation du droit de l’Union retenue par la Cour postérieurement à la date à laquelle ladite décision est devenue définitive, alors même qu’une telle possibilité existe en ce qui concerne les décisions juridictionnelles définitives incompatibles avec le droit de l’Union rendues dans le cadre des recours de nature administrative.

99.

Dans l’affaire Târșia, comme dans la présente affaire, la réglementation nationale mise en cause était l’article 21 de la loi no 554/2004 sur le contentieux administratif.

100.

Or, la Cour a jugé au point 34 de cet arrêt que « [le principe d’équivalence] implique un traitement égal des recours fondés sur une violation du droit national et de ceux, similaires, fondés sur une violation du droit de l’Union, et non pas l’équivalence des règles procédurales nationales applicables à des contentieux de nature différente tels que, comme dans l’affaire au principal, le contentieux civil, d’un côté, et le contentieux administratif, de l’autre. En outre, [ce principe] n’est pas pertinent dans une situation qui, comme dans l’affaire au principal, concerne deux types de recours fondés, l’un comme l’autre, sur une violation du droit de l’Union ». La Cour en a donc conclu que ledit principe ne s’opposait pas à une réglementation nationale telle que l’article 21 de la loi no 554/2004.

101.

En outre, concernant le principe d’effectivité, la Cour a indiqué au point 38 dudit arrêt qu’« [elle] a, à maintes reprises, rappelé l’importance que revêt le principe de l’autorité de la chose jugée [...]. Ainsi, il a été jugé que le droit de l’Union n’exige pas que, pour tenir compte de l’interprétation d’une disposition pertinente de ce droit adoptée par la Cour postérieurement à la décision d’un organe juridictionnel revêtue de l’autorité de la chose jugée, celui-ci doive, par principe, revenir sur cette décision ».

102.

La Cour en a donc conclu que le principe d’effectivité ne s’opposait pas, non plus, à une réglementation nationale telle que l’article 21 de la loi no 554/2004.

103.

Enfin, la Cour rappelle au point 40 de l’arrêt Târșia ( 30 ) qu’« il est de jurisprudence constante que, en raison, notamment, de la circonstance qu’une violation des droits tirés du droit de l’Union par une [décision juridictionnelle définitive] ne peut normalement plus faire l’objet d’un redressement, les particuliers ne sauraient être privés de la possibilité d’engager la responsabilité de l’État afin d’obtenir par ce moyen une protection juridique de leurs droits ».

104.

Dès lors, pour les mêmes raisons que celles invoquées par la Cour dans l’arrêt Târșia, nous estimons que l’article 47 de la Charte ainsi que les principes d’équivalence et d’effectivité doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à ce qu’un juge national n’ait pas la possibilité de réviser une décision juridictionnelle définitive rendue dans le cadre d’un recours de nature civile, lorsque cette décision s’avère incompatible avec une interprétation du droit de l’Union retenue par la Cour, alors même qu’une telle possibilité existe en ce qui concerne les décisions juridictionnelles définitives incompatibles avec le droit de l’Union rendues dans le cadre des recours de nature administrative.

V – Conclusions

105.

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre à la Curtea de Apel Alba Iulia (Cour d’appel d’Alba Iulia, Roumanie) de la manière suivante :

1)

Le protocole d’accord entre la Communauté européenne et la Roumanie, conclu à Bucarest et à Bruxelles le 23 juin 2009, doit être considéré comme un acte pris par les institutions de l’Union au sens de l’article 267 TFUE ; la Cour est compétente pour l’interpréter.

2)

Ce protocole doit être interprété en ce sens qu’il n’impose pas l’adoption d’une législation nationale, telle que celle en cause dans le litige au principal, qui prévoit l’interdiction du cumul de la pension nette dans le secteur public avec les revenus tirés d’activités exercées auprès d’institutions publiques si le niveau de celle-ci dépasse le niveau de salaire moyen brut national qui a servi de base pour l’établissement du budget de la sécurité sociale de l’État.

3)

L’article 17 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une législation nationale, telle que celle en cause dans le litige au principal, qui prévoit l’interdiction du cumul de la pension nette dans le secteur public avec les revenus tirés d’activités exercées auprès d’institutions publiques si le niveau de celle-ci dépasse un certain seuil.

4)

L’article 2, paragraphe 2, de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, doit être interprété en ce sens qu’il ne trouve pas à s’appliquer à une législation nationale telle que celle en cause au principal qui prévoit, pour les personnes employées dans le secteur public, l’interdiction du cumul de la pension nette dans le secteur public avec les revenus tirés d’activités exercées auprès d’institutions publiques si le niveau de celle-ci dépasse le niveau de salaire moyen brut national qui a servi de base pour l’établissement du budget de la sécurité sociale de l’État.

5)

L’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ainsi que les principes d’équivalence et d’effectivité doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, à ce qu’un juge national n’ait pas la possibilité de réviser une décision juridictionnelle définitive rendue dans le cadre d’un recours de nature civile, lorsque cette décision s’avère incompatible avec une interprétation du droit de l’Union retenue par la Cour de justice de l’Union européenne, alors même qu’une telle possibilité existe en ce qui concerne les décisions juridictionnelles définitives incompatibles avec le droit de l’Union rendues dans le cadre des recours de nature administrative.


( 1 ) Langue originale : le français.

( 2 ) Directive du Conseil du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail (JO 2000, L 303, p. 16).

( 3 ) Ci-après la « Charte ».

( 4 ) Ci-après le « protocole d’accord ». Ce protocole d’accord est disponible à l’adresse Internet suivante : http://ec.europa.eu/economy_finance/publications/publication15409_en.pdf . Il convient de noter que la version en langue anglaise du règlement (CE) no 332/2002 du Conseil, du 18 février 2002, établissant un mécanisme de soutien financier à moyen terme des balances des paiements des États membres (JO 2002, L 53, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) no 431/2009 du 18 mai 2009 (JO 2009, L 128, p. 1), utilise le terme de « memorandum of understanding ». Toutefois, la version en langue française de ce même règlement utilisant le terme de « protocole d’accord », c’est ce dernier que nous retiendrons par souci de cohérence.

( 5 ) Décision du Conseil du 6 mai 2009, accordant un concours mutuel à la Roumanie (JO 2009, L 150, p. 6).

( 6 ) Décision du Conseil du 6 mai 2009, fournissant un soutien financier communautaire à moyen terme à la Roumanie (JO 2009, L 150, p. 8).

( 7 ) Article 1er, paragraphe 1, de cette décision.

( 8 ) Ci-après la « loi no 329/2009 ».

( 9 ) Ci-après la « loi no 554/2004 ».

( 10 ) Voir arrêts du 13 décembre 1989, Grimaldi (C‑322/88, EU:C:1989:646, point 8) et du 11 mai 2006, Friesland Coberco Dairy Foods (C‑11/05, EU:C:2006:312, point 36). Italique ajouté par nos soins.

( 11 ) Voir décision 2009/458.

( 12 ) Voir décision 2009/459.

( 13 ) Voir arrêts du 13 décembre 1989, Grimaldi (C‑322/88, EU:C:1989:646, point 8) et du 8 avril 1992, Wagner (C‑94/91, EU:C:1992:181, points 16 et 17).

( 14 ) Voir point 5, sous b), quatrième alinéa, dudit protocole.

( 15 ) Voir point 25 des observations.

( 16 ) Voir arrêt du 11 octobre 2007, Möllendorf et Möllendorf-Niehuus (C‑117/06, EU:C:2007:596, point 78) et ordonnance du 7 mars 2013, Sindicato dos Bancários do Norte e.a. (C‑128/12, non publiée, EU:C:2013:149, point 10).

( 17 ) Voir arrêt du 26 février 2013, Åkerberg Fransson (C‑617/10, EU:C:2013:105, point 19). Voir également, pour une jurisprudence récente, arrêt du 6 septembre 2016, Petruhhin (C‑182/15, EU:C:2016:630).

( 18 ) Voir article 3, paragraphe 5, de cette décision.

( 19 ) Voir arrêt du 3 septembre 2008, Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission (C‑402/05 P et C‑415/05 P, EU:C:2008:461, point 356).

( 20 ) Voir Cour EDH, 7 juillet 2011, Stummer c. Autriche [GC], CE:ECHR:2011:0707JUD003745202, § 82.

( 21 ) Voir Cour EDH, 2 février 2006, Buchheit et Meinberg c. Allemagne, CE:ECHR:2006:0202DEC005146699, p. 10.

( 22 ) Voir Cour EDH, 12 octobre 2004, Kjartan Ásmundsson c. Islande, CE:ECHR:2004:1012JUD006066900, § 39.

( 23 ) Voir, en ce sens, arrêt du 13 décembre 1979, Hauer (44/79, EU:C:1979:290, point 19).

( 24 ) C‑262/14, non publié, EU:C:2015:336.

( 25 ) Arrêt du 21 mai 2015 (C‑262/14, non publié, EU:C:2015:336).

( 26 ) Voir arrêt du 21 mai 2015, SCMD (C‑262/14, non publié, EU:C:2015:336, point 22).

( 27 ) Arrêt du 21 mai 2015, SCMD (C‑262/14, non publié, EU:C:2015:336, point 24).

( 28 ) Voir, à cet égard, arrêt du 21 mai 2015, SCMD (C‑262/14, non publié, EU:C:2015:336, point 30).

( 29 ) C‑69/14, EU:C:2015:662.

( 30 ) Arrêt du 6 octobre 2015 (C‑69/14, EU:C:2015:662).