CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MELCHIOR WATHELET

présentées le 11 juin 2015 ( 1 )

Affaire C‑215/14

Société des Produits Nestlé SA

contre

Cadbury UK Ltd

[demande de décision préjudicielle formée par la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division, Intellectual Property (Royaume‑Uni)]

«Marques — Directive 2008/95/CE — article 3, paragraphe 1, sous e) — Notion de ‘caractère distinctif acquis par l’usage’ — Marque tridimensionnelle — Signe constitué à la fois par la forme imposée par la nature même du produit et celle nécessaire à l’obtention d’un résultat technique — Barres chocolatées Kit Kat»

I – Introduction

1.

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 3, paragraphes 1, sous b) et e), i) et ii), et 3, de la directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2008, rapprochant les législations des États membres sur les marques ( 2 ) (ci‑après la «directive sur les marques»).

2.

Cette question a été soulevée dans le cadre d’un litige opposant la Société des Produits Nestlé SA (ci‑après «Nestlé») à Cadbury UK Ltd (ci‑après «Cadbury») au sujet de l’opposition formée par cette dernière à l’encontre de la demande de Nestlé visant à l’enregistrement en tant que marque au Royaume‑Uni d’un signe tridimensionnel représentant la forme d’une gaufrette chocolatée à quatre barres.

3.

L’enjeu de cette affaire est l’éventuelle possibilité, pour une entreprise, de s’assurer un monopole perpétuel en enregistrant un signe tridimensionnel en tant que marque ( 3 ).

II – Le cadre juridique

A – Le droit de l’Union

4.

L’article 3 de la directive sur les marques est libellé comme suit:

«1.   Sont refusés à l’enregistrement ou sont susceptibles d’être déclarés nuls s’ils sont enregistrés:

[...]

b)

les marques qui sont dépourvues de caractère distinctif;

[...]

e)

les signes constitués exclusivement:

i)

par la forme imposée par la nature même du produit,

ii)

par la forme du produit nécessaire à l’obtention d’un résultat technique,

iii)

par la forme qui donne une valeur substantielle au produit;

[...]

3.   Une marque n’est pas refusée à l’enregistrement ou, si elle est enregistrée, n’est pas susceptible d’être déclarée nulle en application du paragraphe 1, points b), c) ou d), si, avant la date de la demande d’enregistrement et après l’usage qui en a été fait, elle a acquis un caractère distinctif. En outre, les États membres peuvent prévoir que la présente disposition s’applique également lorsque le caractère distinctif a été acquis après la demande d’enregistrement ou après l’enregistrement.

[...]»

B – Le droit du Royaume‑Uni

5.

Selon l’article 3, paragraphe 1, de la loi de 1994 sur les marques (Trade Marks Act 1994), sont refusées à l’enregistrement les marques qui sont dépourvues de caractère distinctif, sauf si, avant la date de dépôt de la demande d’enregistrement, elles ont effectivement acquis un caractère distinctif à la suite de l’usage qui en a été fait.

6.

En vertu du paragraphe 2 du même article, un signe n’est pas enregistré comme marque s’il est constitué exclusivement par une forme imposée par la nature même du produit ou par une forme du produit nécessaire à l’obtention d’un résultat technique.

III – Les faits du litige au principal

7.

Le produit en cause dans l’affaire au principal a été commercialisé au Royaume‑Uni dès l’année 1935 par Rowntree & Co Ltd, sous le nom «Rowntree’s Chocolote Crisp». En 1937, le nom du produit a été modifié en «Kit Kat Chocolate Crisp» et a été raccourci, par la suite, en «Kit Kat». En 1988, Rowntree plc a été acquise par Nestlé.

8.

Si le produit a été vendu pendant longtemps dans un emballage à deux épaisseurs, celui intérieur argenté et celui extérieur imprimé, revêtu d’un logo rouge et blanc marqué des termes «Kit Kat», l’emballage actuel est d’une seule épaisseur revêtu de ce même logo. La représentation du logo a évolué au fil du temps, sans subir toutefois de grand changement. Il se présente actuellement comme suit:

Image

9.

La forme de base du produit est restée quasi identique depuis l’année 1935, seules ses dimensions ont été légèrement modifiées. L’apparence actuelle du produit déballé est celle‑ci:

Image

10.

Il convient de relever que chaque barre est marquée des termes «Kit Kat» en relief ainsi que de fragments de l’ovale qui font partie du logo.

11.

Le 8 juillet 2010, Nestlé a demandé l’enregistrement du signe tridimensionnel graphiquement représenté ci‑dessous (ci‑après la «marque») en tant que marque au Royaume‑Uni:

Image

12.

La marque demandée diffère ainsi de la véritable forme du produit en ce qu’elle ne comporte pas les termes «Kit Kat» en relief.

13.

La demande a été introduite pour les produits suivants de la classe 30 au sens de l’arrangement de Nice: «Chocolat; confiserie au chocolat; produits chocolatés; confiserie; préparations à base de chocolat; produits de boulangerie; pâtisserie; biscuits; biscuits nappés de chocolat; gaufrettes nappées de chocolat; gâteaux; cookies; gaufrettes».

14.

La demande a été acceptée par l’Office des marques britannique et publiée aux fins de l’opposition. Selon celui‑ci, même si la marque est dépourvue de caractère distinctif intrinsèque, le demandeur a démontré qu’elle avait acquis un caractère distinctif à la suite de l’usage qui en a été fait.

15.

Le 28 janvier 2011, Cadbury a formé une opposition à la demande d’enregistrement en se fondant notamment sur les dispositions de la loi de 1994 sur les marques qui transposent l’article 3, paragraphes 1, sous b) et e), i) et ii), et 3, de la directive sur les marques.

16.

Par décision du 20 juin 2013, l’examinateur de l’Office des marques britannique a considéré que la marque était dépourvue de caractère distinctif intrinsèque et qu’elle n’avait pas non plus acquis un tel caractère après l’usage qui en avait été fait.

17.

L’examinateur a estimé que la forme pour laquelle l’enregistrement était demandé présentait trois caractéristiques:

la forme rectangulaire basique en plaque;

la présence, la position et la profondeur des rainures disposées dans la longueur de la plaque, et

le nombre de rainures qui détermine, avec la largeur de la plaque, le nombre de «barres».

18.

Selon l’examinateur, la première de ces caractéristiques est une forme résultant de la nature même des produits et elle ne peut dès lors faire l’objet d’un enregistrement, à l’exception toutefois des «gâteaux» et des «pâtisseries», pour lesquels la forme de la marque diverge de manière significative des normes du secteur. Les deux autres caractéristiques étant nécessaires à l’obtention d’un résultat technique, il a rejeté la demande d’enregistrement pour le surplus.

19.

Le 18 juillet 2013, Nestlé a interjeté appel contre cette décision devant la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division, Intellectual Property (Royaume‑Uni), en contestant l’affirmation selon laquelle la marque n’avait pas acquis un caractère distinctif à travers son utilisation avant la date pertinente. En outre, Nestlé fait valoir que la marque ne consiste pas exclusivement soit en la forme imposée par la nature même du produit, soit en la forme nécessaire à l’obtention d’un résultat technique.

20.

Par appel incident du même jour, Cadbury met en cause la décision en ce qu’elle a retenu que, s’agissant des gâteaux et des pâtisseries, la marque possédait un caractère distinctif intrinsèque et ne consistait pas exclusivement soit en la forme imposée par la nature même du produit, soit en celle nécessaire à l’obtention d’un résultat technique.

21.

La High Court of Justice estime, tout d’abord, que l’examinateur n’aurait pas dû établir une distinction entre les gâteaux et les pâtisseries, d’une part, et tous les autres produits de la classe 30 de l’arrangement de Nice, d’autre part, que ce soit concernant la preuve du caractère distinctif de la marque ou l’applicabilité de l’article 3, paragraphe 1, sous e), i) et ii), de la directive sur les marques.

22.

Ensuite, s’agissant de la question de savoir si la marque avait acquis un caractère distinctif à travers son utilisation avant la date pertinente, la juridiction de renvoi, après avoir rappelé la jurisprudence en la matière, se demande s’il est suffisant, pour établir qu’une marque a acquis un caractère distinctif, que, à la date pertinente, une proportion significative des milieux intéressés reconnaisse la marque et l’associe aux produits du demandeur. En effet, elle considère qu’il appartient plutôt au demandeur d’établir qu’une proportion significative des milieux intéressés estime que la marque, par opposition à toute autre marque pouvant également être présente, indique l’origine des biens.

23.

Enfin, pour ce qui est de la forme imposée par la nature même du produit et de celle nécessaire à l’obtention d’un résultat technique, la juridiction de renvoi relève qu’il n’existe que peu de jurisprudence relative à l’article 3, paragraphe 1, sous e), i) et ii), de la directive sur les marques.

24.

Éprouvant des doutes au sujet de l’argument de Nestlé, selon lequel il ressortirait clairement du libellé de l’article 3, paragraphe 1, sous e), ii), de la directive sur les marques, tel qu’interprété par la jurisprudence de la Cour, qu’un signe ne peut être refusé à l’enregistrement que lorsque la totalité de ses caractéristiques essentielles sont des caractéristiques de forme nécessaires à l’obtention d’un résultat technique, la juridiction de renvoi préfère suivre l’argumentation de Cadbury, consistant à dire que ni le libellé de l’article 3, paragraphe 1, sous e), de la directive sur les marques ni les objectifs qu’il poursuit ne portent à croire qu’une forme, dont l’une des caractéristiques essentielles résulte de la nature même du produit [au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous e), i), de la directive sur les marques] et dont les deux autres caractéristiques essentielles sont nécessaires pour obtenir un résultat technique [au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous e), ii), de cette directive], puisse faire l’objet d’un enregistrement en raison du fait qu’aucun de ces motifs de refus ne s’applique aux trois caractéristiques à la fois.

25.

En outre, la juridiction de renvoi hésite à adopter la position de Nestlé selon laquelle il découlerait manifestement des arrêts Philips (C‑299/99, EU:C:2002:377, point 78) et Lego Juris/OHMI (C‑48/09 P, EU:C:2010:516, point 84) que l’article 3, paragraphe 1, sous e), ii), de la directive sur les marques s’applique lorsque la forme est nécessaire pour obtenir un résultat technique pour ce qui est de la fonction des biens, mais non lorsque la forme est simplement nécessaire pour obtenir un résultat technique relatif à la manière dont les biens sont fabriqués.

IV – La demande de décision préjudicielle et la procédure devant la Cour

26.

C’est dans ce cadre que la High Court of Justice a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)

Afin d’établir qu’une marque a acquis un caractère distinctif après l’usage qui en est fait, au sens de l’article 3, paragraphe 3, de la directive sur les marques, suffit‑il que le demandeur à l’enregistrement démontre que, à la date pertinente, une proportion significative des milieux intéressés reconnaissait la marque et l’associait à ses produits, en ce que si ces personnes s’interrogeaient sur la personne commercialisant les produits revêtus de cette marque, elles identifiaient le demandeur? Ou le demandeur doit‑il démontrer qu’une proportion significative des milieux intéressés estimait que la marque (par opposition à toute autre marque pouvant également être présente) indiquait l’origine des produits?

2)

Lorsqu’une forme consiste en trois caractéristiques essentielles, dont l’une résulte de la nature même du produit et dont les deux autres sont nécessaires pour obtenir un résultat technique, l’article 3, paragraphe 1, [sous] e), i) et/ou ii), de la directive [sur les marques] s’oppose‑t‑il à l’enregistrement de cette forme en tant que marque?

3)

L’article 3, paragraphe 1, [sous] e), ii), de la directive [sur les marques] doit‑il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à l’enregistrement de formes qui sont nécessaires pour obtenir un résultat technique, au regard de la manière dont les biens sont fabriqués, par opposition à la manière dont les biens fonctionnent?»

27.

Des observations écrites ont été déposées par les parties au litige au principal, les gouvernements allemand, polonais et du Royaume‑Uni ainsi que par la Commission européenne.

28.

Ils se sont, en outre, tous exprimés lors de l’audience qui s’est tenue le 30 avril 2015.

V – Analyse

A – Remarque liminaire relative à la directive applicable

29.

La directive dont l’interprétation est demandée est la directive sur les marques. Toutefois, la jurisprudence pertinente porte, essentiellement, sur la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques ( 4 ).

30.

Les références à cette jurisprudence restent néanmoins pertinentes. En effet, comme la Cour l’a précisé dans l’arrêt Oberbank e.a. (C‑217/13 et C‑218/13, EU:C:2014:2012, point 31), les dispositions de la directive sur les marques en cause dans la présente affaire n’ont subi aucune modification substantielle quant à leur libellé, leur contexte ou leur objectif, par rapport aux dispositions équivalentes de la première directive 89/104. En effet, conformément à son considérant 1, la directive sur les marques a simplement opéré une codification de la première directive 89/104.

31.

En ce qui concerne plus précisément l’article 3, paragraphe 1, de la directive sur les marques, seuls les tirets de l’énumération figurant au point e) ont été remplacés par les littera i), ii) et iii). Le mot «ou» séparant les premier et deuxième tirets ainsi que les deuxième et troisième tirets de l’article 3, paragraphe 1, sous e), de la première directive 89/104 a également été enlevé des versions linguistiques dans lesquelles celui‑ci apparaissait ( 5 ).

B – Sur la première question préjudicielle

32.

Selon l’article 3, paragraphe 1, sous b), de la directive sur les marques, les marques qui sont dépourvues de caractère distinctif sont refusées à l’enregistrement. Toutefois, l’article 3, paragraphe 3, de la même directive déroge à cette règle en précisant qu’une telle marque pourra être enregistrée si, avant la date de la demande d’enregistrement et après l’usage qui en a été fait, elle a acquis pareil caractère distinctif.

33.

Par sa première question, la juridiction de renvoi demande à la Cour si, pour prouver qu’une marque a acquis ce «caractère distinctif après l’usage qui en est fait», au sens de l’article 3, paragraphe 3, de la directive sur les marques, il suffit que le demandeur à l’enregistrement démontre que, à la date pertinente, une proportion significative des milieux intéressés reconnaissait la marque et l’associait à ses produits, d’une façon telle que, si ces personnes s’interrogeaient sur la personne commercialisant les produits revêtus de cette marque, elles identifiaient le demandeur ou s’il doit plutôt démontrer qu’une proportion significative des milieux intéressés estimait que la marque (par opposition à toute autre marque pouvant également être présente) indiquait l’origine des produits.

34.

Selon la High Court of Justice, la question traduirait une incertitude persistante au sein des juridictions anglaises, malgré qu’elles aient déjà à deux reprises interrogé la Cour à ce sujet ( 6 ).

35.

La présente affaire donne dès lors l’occasion à la Cour de déterminer si la simple preuve que la forme d’un produit qui a été commercialisé est reconnue par une partie substantielle du public pertinent comme désignant les marchandises d’un opérateur déterminé est suffisante pour établir qu’une marque a acquis un caractère distinctif après l’usage qui en a été fait ou s’il convient de démontrer que le public pertinent utilise la forme et s’y fie en tant que garantie d’origine commerciale ( 7 ).

1. La fonction d’une marque: identification ou garantie d’identité de l’origine des produits

36.

Telle qu’elle a été clairement définie par une jurisprudence constante de la Cour, la fonction d’une marque est inhérente à son caractère distinctif.

37.

En effet, le caractère distinctif d’une marque constitue, selon l’article 3, paragraphe 1, sous b), de la directive sur les marques une des conditions générales exigées pour qu’une marque puisse être enregistrée. Ce caractère distinctif, intrinsèque ou acquis par l’usage qui en a été fait, signifie que la marque est apte à identifier le produit ou le service pour lequel l’enregistrement est demandé comme provenant d’une entreprise déterminée et donc apte à distinguer ce produit ou ce service de ceux d’autres entreprises ( 8 ).

38.

En d’autres termes, «la fonction essentielle de la marque est de garantir au consommateur ou à l’utilisateur final l’identité d’origine du produit ou du service désigné par la marque, en lui permettant de distinguer sans confusion possible ce produit ou ce service de ceux qui ont une autre provenance» ( 9 ). En effet, «la marque doit constituer la garantie que tous les produits ou services qu’elle désigne ont été fabriqués ou fournis sous le contrôle d’une entreprise unique à laquelle peut être attribuée la responsabilité de leur qualité» ( 10 ).

39.

La marque permet non seulement à son titulaire de se distinguer de ses concurrents, mais elle garantit également au consommateur ou à l’utilisateur final que tous les produits ou les services visés par le signe constitutif de la marque ont la même origine commerciale ( 11 ).

40.

Par ailleurs, ce caractère distinctif, intrinsèque ou acquis par l’usage, doit être apprécié par rapport, d’une part, aux produits ou aux services pour lesquels l’enregistrement de la marque est demandé et, d’autre part, à la perception d’un consommateur moyen de la catégorie de produits ou de services en cause, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé ( 12 ).

41.

Comme la Cour l’a très récemment parfaitement expliqué, «il convient toujours de vérifier si une [...] marque permet au consommateur moyen [du] produit [concerné], normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, de distinguer, sans procéder à une analyse et sans faire preuve d’une attention particulière, le produit concerné de ceux d’autres entreprises» ( 13 ). En d’autres termes, la marque, «telle qu’elle est perçue par le public pertinent, [doit être] susceptible d’individualiser les produits visés par ladite marque et de les distinguer de ceux ayant une autre origine commerciale» ( 14 ).

42.

Il ressort de cette jurisprudence que le demandeur à l’enregistrement ne peut pas se contenter de démontrer que le consommateur moyen de la catégorie de produits ou de services en cause, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, reconnaît la marque et l’associe à ses produits. Il doit apporter la preuve que pour ce consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, la marque dont l’enregistrement est demandé indique l’origine exclusive des produits en cause, et ce par opposition à toute autre marque pouvant également être présente, et ce sans confusion possible.

2. Les limites dans le cadre probatoire de l’usage d’un signe en tant qu’élément d’une marque enregistrée ou en combinaison avec une marque enregistrée

43.

Selon Nestlé, il ne serait toutefois pas nécessaire d’avoir utilisé une marque isolément pour qu’elle puisse avoir acquis un caractère distinctif par l’usage qui en a été fait. L’identification de la marque, et donc l’acquisition d’un caractère distinctif, pourrait résulter de l’usage, en tant que partie d’une marque enregistrée, d’un élément de celle‑ci ou encore de l’usage d’une marque distincte en combinaison avec une marque déjà enregistrée. Dans ces hypothèses, il suffirait, en conséquence de cet usage «conjoint», que les milieux intéressés perçoivent effectivement le produit ou le service, désigné par la marque dont l’enregistrement est demandé en combinaison avec un autre élément, comme provenant d’une entreprise déterminée.

44.

Je ne partage pas cette interprétation.

45.

Certes, la Cour a déjà eu l’occasion de préciser que, en ce qui concerne l’acquisition d’un caractère distinctif par l’usage, l’identification par les milieux intéressés du produit ou du service comme provenant d’une entreprise déterminée doit être effectuée grâce à l’usage de la marque, «en tant que marque» sans que cela implique nécessairement que la marque dont l’enregistrement est demandé ait fait l’objet d’un usage indépendant ( 15 ).

46.

En effet, selon la Cour, l’expression «usage de la marque en tant que marque» doit être comprise comme se référant seulement à un usage de la marque aux fins de l’identification par les milieux intéressés du produit ou du service comme provenant d’une entreprise déterminée. Or, une telle identification, et donc l’acquisition d’un caractère distinctif, peut résulter aussi bien de l’usage, en tant que partie d’une marque enregistrée, d’un élément de celle‑ci que de l’usage d’une marque distincte en combinaison avec une marque enregistrée ( 16 ).

47.

Toutefois, dans l’arrêt Nestlé (C‑353/03, EU:C:2005:432), la Cour a pris le soin de préciser que, en toute hypothèse, «il suffit que, en conséquence de cet usage, les milieux intéressés perçoivent effectivement le produit ou le service, désigné par la seule marque dont l’enregistrement est demandé, comme provenant d’une entreprise déterminée» ( 17 ).

48.

En d’autres termes, si la marque dont l’enregistrement est demandé peut avoir acquis un caractère distinctif en combinaison avec une autre marque, elle doit à un moment donné, pour être elle‑même protégée en tant que marque à part entière, être susceptible de remplir la fonction d’identification de l’origine du produit à elle seule.

49.

Il s’agit là d’une question probatoire très bien expliquée, dans l’hypothèse d’une marque complexe, par l’avocat général Kokott dans ses conclusions dans l’affaire Nestlé (C‑353/03, EU:C:2005:61), dans lesquelles il est stipulé que, «[p]our prouver le caractère distinctif acquis par voie d’usage en tant qu’élément d’une marque complexe, il ne suffit pas de documenter l’usage de la marque dans son ensemble. Il faut également démontrer que les milieux concernés conçoivent l’élément en cause, dans l’hypothèse d’un usage séparé, de manière telle qu’il identifie un produit comme provenant d’une certaine entreprise et le distingue ainsi de ceux d’autres entreprises» ( 18 ).

50.

Comme la Cour l’a expressément indiqué dans le cadre de l’interprétation de l’article 7, paragraphe 3, du règlement no 40/94, «indépendamment de savoir si l’usage concerne un signe en tant que partie d’une marque enregistrée ou en combinaison avec celle‑ci, la condition essentielle est que, en conséquence de cet usage, le signe dont l’enregistrement est demandé en tant que marque [et lui seul ajouterais‑je de façon redondante] puisse désigner, dans l’esprit des milieux intéressés, les produits sur lesquels il porte comme provenant d’une entreprise déterminée» ( 19 ).

51.

Cette interprétation est confirmée par la précision faite par la Cour dans le cadre de la même affaire et selon laquelle une marque enregistrée qui est uniquement utilisée en tant que partie d’une marque complexe ou conjointement avec une autre marque doit continuer d’être perçue comme une indication de l’origine du produit en cause afin que cet usage satisfasse à la notion d’«usage sérieux» ( 20 ).

52.

Dans le cadre de l’affaire au principal, la question est donc celle de savoir si la forme dont Nestlé demande l’enregistrement en tant que marque, dans un usage séparé de son emballage ou de toute référence à la mention «Kit Kat», permet d’identifier le produit comme étant, sans confusion possible, la gaufrette Kit Kat commercialisée par Nestlé à l’exclusion de toute autre marque également présente ( 21 ).

53.

Il appartient, en effet, à l’autorité compétente d’estimer si les milieux intéressés ou à tout le moins une fraction significative de ceux‑ci identifient, grâce à la marque concernée, le produit ou le service comme provenant exclusivement d’une entreprise déterminée, en ce sens qu’ils ont la même origine commerciale ( 22 ).

54.

En revanche, la détermination précise de l’identité juridique de l’entreprise productrice – en l’espèce, Nestlé par opposition à Cadbury – me paraîtrait aller au‑delà des connaissances qui peuvent être légitimement attendues des milieux concernés tels que définis par la jurisprudence de la Cour, à savoir la perception d’un consommateur moyen de la catégorie de produits ou de services en cause, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé ( 23 ).

55.

Par conséquent, au vu des considérations qui précèdent, j’estime qu’il convient de répondre à la première question préjudicielle que le demandeur à l’enregistrement ne peut pas se contenter de démontrer que les milieux concernés reconnaissent la marque dont l’enregistrement est demandé et l’associent à ses produits ou services. Il doit apporter la preuve que la seule marque dont l’enregistrement est demandé indique l’origine exclusive des produits ou des services en cause, et ce par opposition à toute autre marque pouvant également être présente, et ce sans confusion possible.

C – Sur la deuxième question préjudicielle

56.

La forme en cause dans l’affaire au principal possède trois caractéristiques essentielles: la première résulte de la nature même du produit et les deux autres sont nécessaires pour obtenir un résultat technique.

57.

Dans ces circonstances, la juridiction de renvoi se demande si l’article 3, paragraphe 1, sous e), i) et/ou ii), de la directive sur les marques s’oppose à l’enregistrement de cette forme en tant que marque. Autrement dit, elle s’interroge, en substance, sur la possibilité d’une application cumulative des critères énoncés à l’article 3, paragraphe 1, sous e), de la directive sur les marques.

1. Observations liminaires sur l’objectif poursuivi par l’article 3, paragraphe 1, sous e), de la directive sur les marques

58.

Le droit des marques constitue un élément essentiel du système de concurrence dans l’Union européenne. Dans ce système, comme je l’ai déjà indiqué dans le cadre de l’examen de la première question préjudicielle, chaque entreprise doit, afin de fidéliser la clientèle par la qualité de ses produits ou de ses services, être en mesure de faire enregistrer en tant que marques, des signes qui permettent au consommateur ou à l’utilisateur final de distinguer, sans confusion possible, ces produits ou services de ceux qui ont une autre provenance ( 24 ).

59.

La forme d’un produit figure parmi les signes susceptibles de constituer une marque à condition qu’elle soit propre, comme tout autre signe défini à l’article 2 de la directive sur les marques, à distinguer les produits ou les services d’une entreprise de ceux d’autres entreprises, et ce sous réserve des motifs de refus ou de nullité prévus à l’article 3 de ladite directive.

60.

Ces motifs de refus d’enregistrement doivent être interprétés à la lumière de l’intérêt général qui sous‑tend chacun d’entre eux ( 25 ). Or, la ratio legis de l’article 3, paragraphe 1, sous e), de la directive sur les marques consiste, en prévoyant des motifs de refus d’enregistrement, à éviter que la protection du droit de marque aboutisse à conférer à son titulaire un monopole sur des solutions techniques ou des caractéristiques utilitaires d’un produit, susceptibles d’être également recherchées par l’utilisateur dans les produits des concurrents ( 26 ). L’article 3, paragraphe 1, sous e), entend ainsi éviter que la protection conférée par le droit de marque ne s’étende, au‑delà du signe permettant de distinguer un produit ou un service de ceux offerts par les concurrents, pour s’ériger en obstacle à ce que ces derniers puissent offrir librement des produits incorporant lesdites solutions techniques ou lesdites caractéristiques utilitaires en concurrence avec le titulaire de la marque ( 27 ).

61.

En d’autres termes, comme la Cour l’a très récemment constaté dans l’arrêt Hauck (C‑205/13, EU:C:2014:2233), l’objectif immédiat de l’interdiction d’enregistrer les formes imposées par la nature même du produit visée à l’article 3, paragraphe 1, sous e), i), de la directive sur les marques, ou les formes purement fonctionnelles prévues au point e), ii), de cette disposition ou encore celles qui donnent une valeur substantielle au produit, au point e), iii), de la même disposition, «est d’éviter que le droit exclusif et permanent que confère une marque puisse servir à perpétuer, sans limitation dans le temps, d’autres droits que le législateur de l’Union a voulu soumettre à des délais de péremption» ( 28 ).

62.

En effet, les trois motifs visés à l’article 3, paragraphe 1, sous e), de la directive sur les marques visent à maintenir dans le domaine public les caractéristiques essentielles du produit concerné qui se reflètent dans sa forme ( 29 ).

2. Sur la possibilité d’une application cumulative des trois motifs visés à l’article 3, paragraphe 1, sous e), de la directive sur les marques

63.

La réponse à la deuxième question préjudicielle se trouve dans l’arrêt Hauck (C‑205/13, EU:C:2014:2233).

64.

En effet, interrogée sur la question de savoir si l’article 3, paragraphe 1, sous e), de la directive sur les marques devait être interprété en ce sens que les motifs de refus à l’enregistrement énoncés au point e), i) et ii), de cette disposition pouvaient s’appliquer de manière «combinée», la Cour a répondu par la négative.

65.

Il convient toutefois de ne pas se méprendre sur la portée de cette réponse. Si la Cour a conclu dans cette affaire que l’article 3, paragraphe 1, sous e), de la première directive 89/104 devait être interprété en ce sens que les motifs de refus à l’enregistrement énoncés aux premier et troisième tirets de cette disposition ne pourraient pas s’appliquer de manière combinée, cela ne signifie pas que les motifs de refus visés à l’article 3, paragraphe 1, sous e), de cette directive (ou de la directive sur les marques) ne peuvent pas être appliqués de manière cumulative à une même forme.

66.

En effet, dans la motivation de sa conclusion, la Cour commence par affirmer que les trois motifs de refus d’enregistrement prévus à l’article 3, paragraphe 1, sous e), de la première directive 89/104 (et donc également de la directive sur les marques) sont de nature autonome. Cela signifie que chacun d’eux doit s’appliquer indépendamment de chacun des deux autres ( 30 ). La Cour en déduit ensuite que si un seul des critères mentionnés à cette disposition est rempli, le signe constitué exclusivement par la forme du produit, voire par une représentation graphique de cette forme, ne peut être enregistré en tant que marque ( 31 ). La Cour précise qu’il est, à cet égard, sans incidence que ce signe puisse être refusé sur le fondement de plusieurs motifs de refus, dès lors qu’un seul de ces motifs s’applique pleinement audit signe ( 32 ).

67.

Comme le suggérait l’avocat général Szpunar dans ses conclusions dans l’affaire Hauck (C‑205/13, EU:C:2014:322), cette interprétation de l’article 3, paragraphe 1, sous e), de la directive sur les marques «n’exclut donc pas que les mêmes circonstances fassent l’objet d’analyses parallèles visant à déterminer si plusieurs des motifs visés dans les différents tirets sont applicables» ( 33 ). En revanche, ce qui est exclu, c’est l’application de cette disposition dans des cas où aucun des trois motifs énoncés par cette disposition ne serait pleinement applicable ( 34 ).

68.

Cela signifie donc bel et bien que les différents motifs de refus énoncés à l’article 3, paragraphe 1, sous e), de la directive sur les marques peuvent être appliqués cumulativement à une même forme, à la condition que chacun, et en tout cas l’un d’entre eux au minimum, s’applique «pleinement» à celle‑ci.

69.

Toute autre interprétation irait à l’encontre de l’objectif poursuivi par l’article 3, paragraphe 1, sous e), de la directive sur les marques qui consiste à éviter, selon une jurisprudence constante répétée dans l’arrêt Hauck (C‑205/13, EU:C:2014:2233, point 19), que la protection du droit des marques aboutisse à conférer à son titulaire un monopole sur des solutions techniques ou des caractéristiques utilitaires d’un produit, susceptibles d’être recherchés par l’utilisateur dans les produits concurrents ( 35 ) ou encore, de façon plus globale, que le droit exclusif et permanent que confère une marque puisse servir à perpétuer, sans limite dans le temps, d’autres droits que le législateur de l’Union a voulu soumettre à des délais de péremption ( 36 ).

70.

Comme le relève le gouvernement polonais dans ses observations écrites, chacun des motifs d’exclusion énumérés à l’article 3, paragraphe 1, sous e), de la directive sur les marques vise à protéger de tout monopole un aspect lié de façon différente à la forme du produit (par sa nature même, par la nécessité d’obtenir un résultat technique ou par sa valeur substantielle). Il serait, en conséquence, paradoxal d’interpréter cette disposition comme interdisant l’application cumulative desdits motifs car cela équivaudrait à soutenir que la possibilité de distinguer, dans une seule forme, plus d’un aspect méritant d’être protégé au titre dudit article 3, paragraphe 1, sous e), éliminerait la nécessité de protéger l’un ou l’autre de ces aspects, voire chacun d’eux ( 37 ).

71.

Au vu des considérations qui précèdent, j’estime qu’il convient de répondre à la deuxième question préjudicielle que l’article 3, paragraphe 1, sous e), de la directive sur les marques doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à l’enregistrement d’une forme en tant que marque lorsque celle‑ci comprend trois caractéristiques essentielles dont l’une résulte de la nature même du produit et dont les deux autres sont nécessaires à l’obtention d’un résultat technique, à la condition qu’au moins un desdits motifs s’applique pleinement à celle‑ci.

D – Sur la troisième question préjudicielle

72.

Par sa troisième question, la juridiction de renvoi interroge la Cour sur la portée de l’article 3, paragraphe 1, sous e), ii), de la directive sur les marques qui exclut du droit à l’enregistrement les signes constitués «par la forme du produit nécessaire à l’obtention d’un résultat technique». La juridiction de renvoi cherche, en substance, à savoir si les termes «nécessaire à l’obtention d’un résultat technique» visent uniquement la manière dont les biens en cause fonctionnent ou s’ils s’appliquent également à la manière dont lesdits biens sont fabriqués.

73.

Une interprétation littérale de l’article 3, paragraphe 1, sous e), ii), de la directive sur les marques conduit à exclure de son champ d’application les formes imposées par le procédé de fabrication.

74.

D’une part, le texte vise expressément et exclusivement la forme du «produit», sans aucunement évoquer le procédé de fabrication. D’autre part, la forme est visée en ce qu’elle est nécessaire à l’obtention d’un résultat. Dans la succession temporelle des événements, le produit est antérieur au résultat technique. Seul ce résultat, qui est nécessairement la conséquence, voulue et recherchée, de la forme du produit, est visé par le libellé de l’article 3, paragraphe 1, sous e), ii), de la directive sur les marques.

75.

Il est toutefois possible que ce résultat technique ne puisse être obtenu qu’en raison d’un procédé de fabrication spécifique. Ainsi, dans l’affaire au principal, c’est la présence de rainures qui donne au produit la forme nécessaire à l’obtention du résultat technique recherché, c’est‑à‑dire permettre au consommateur de séparer aisément les barres de biscuits les unes des autres. Or, l’angle des côtés du produit et celui des rainures sont conditionnés par un processus spécifique de moulage du chocolat, c’est‑à‑dire la méthode de fabrication du produit ( 38 ).

76.

En outre, s’appuyant sur l’objectif des motifs de refus d’enregistrement prévus à l’article 3, paragraphe 1, sous e), de la directive sur les marques, qui consiste à éviter que la protection du droit de marque aboutisse à conférer à son titulaire un monopole sur des solutions techniques ou des caractéristiques utilitaires d’un produit, susceptibles d’être recherchées par l’utilisateur dans les produits des concurrents, la Cour a jugé à propos des signes constitués exclusivement par la forme du produit nécessaire à l’obtention d’un résultat technique visés à l’article 3, paragraphe 1, sous e), deuxième tiret, de la première directive 89/104, que «cette disposition vise à refuser l’enregistrement des formes dont les caractéristiques essentielles répondent à une fonction technique, de sorte que l’exclusivité inhérente au droit de marque ferait obstacle à la possibilité pour les concurrents d’offrir un produit incorporant une telle fonction, ou du moins à leur libre choix de la solution technique qu’ils souhaitent adopter pour incorporer une telle fonction dans leur produit» ( 39 ).

77.

L’utilisation de la conjonction «ou», accentuée par l’adjonction des mots «du moins», implique que l’article 3, paragraphe 1, sous e), ii), de la directive sur les marques vise deux situations distinctes. La première concerne le produit en tant que tel (qui incorpore la fonction voulue, c’est‑à‑dire le résultat technique recherché). La seconde, nécessairement différente, englobe dans le champ d’application de la disposition en cause la solution technique que le producteur souhaite adopter pour incorporer ladite fonction dans son produit. Une solution technique adoptée pour incorporer une fonction dans un produit est, à l’évidence, la paraphrase d’un «procédé de fabrication» ( 40 ).

78.

Par conséquent, j’estime qu’il convient de répondre à la troisième question préjudicielle que l’article 3, paragraphe 1, sous e), ii), de la directive sur les marques doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à l’enregistrement d’une forme en tant que marque qui est nécessaire à l’obtention d’un résultat technique non seulement au regard de la manière dont les biens fonctionnent, mais également au regard de la manière dont ils sont fabriqués.

VI – Conclusion

79.

Au vu des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division, Intellectual Property, de la manière suivante:

«1)

Le demandeur à l’enregistrement ne peut pas se contenter de démontrer que les milieux concernés reconnaissent la marque dont l’enregistrement est demandé et l’associent à ses produits ou services. Il doit apporter la preuve que la seule marque dont l’enregistrement est demandé indique l’origine exclusive des produits ou des services en cause, et ce par opposition à toute autre marque pouvant également être présente, et ce sans confusion possible.

2)

L’article 3, paragraphe 1, sous e), de la directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2008, rapprochant les législations des États membres sur les marques, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à l’enregistrement d’une forme lorsque celle‑ci comprend trois caractéristiques essentielles dont l’une résulte de la nature même du produit et dont les deux autres sont nécessaires à l’obtention d’un résultat technique, à la condition qu’au moins un desdits motifs s’applique pleinement à celle‑ci.

3)

L’article 3, paragraphe 1, sous e), ii), de la directive 2008/95 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à l’enregistrement d’une forme nécessaire à l’obtention d’un résultat technique non seulement au regard de la manière dont les biens fonctionnent, mais également au regard de la manière dont ils sont fabriqués.»


( 1 ) Langue originale: le français.

( 2 ) JO L 299, p. 25, et rectificatif JO 2009, L 11, p. 86.

( 3 ) Si la présente affaire concerne la demande d’enregistrement en tant que marque au Royaume‑Uni, la forme en cause a également été enregistrée comme marque communautaire pour certains produits de la classe 30 de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié (ci‑après l’«arrangement de Nice»). Cadbury a introduit une action en nullité contre cet enregistrement qui a été rejetée par décision de la deuxième chambre de recours de l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI). Un recours contre cette décision est actuellement pendant devant le Tribunal de l’Union européenne sous le numéro T‑112/13 et a été suspendu en attente du prononcé dans la présente affaire. Une troisième procédure d’enregistrement concernant une version à deux barres de la marque en cause fait quant à elle l’objet d’un sursis à statuer de la chambre de recours de l’OHMI.

( 4 ) JO 1989, L 40, p. 1, et rectificatif JO 1989, L 207, p. 44.

( 5 ) Voir, par exemple, les versions anglaise et allemande comparées aux versions française et italienne.

( 6 ) La Cour n’a, cependant, pas encore eu l’occasion de répondre à la question. En effet, la première affaire a été retirée (ordonnance du président de la Cour Nestlé, C‑7/03, EU:C:2003:268) et la seconde jugée sur le fondement de l’article 2 de la première directive 89/104, la Cour ayant constaté l’absence de signe susceptible de constituer une marque, sans aborder la question du caractère distinctif acquis par l’usage au sens de l’article 3 de cette directive (arrêt Dyson, C‑321/03, EU:C:2007:51).

( 7 ) Cette reformulation de la première question préjudicielle posée par la juridiction de renvoi correspond à une compilation des deuxième et troisième questions posées par la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division dans l’affaire ayant donné lieu à l’ordonnance du président de la Cour Nestlé (C‑7/03, EU:C:2003:268).

( 8 ) Voir arrêts Philips (C‑299/99, EU:C:2002:377, point 35) et Oberbank e.a. (C‑217/13 et C‑218/13, EU:C:2014:2012, point 38).

( 9 ) Arrêt Philips (C‑299/99, EU:C:2002:377, point 30), c’est moi qui souligne. Il s’agit d’une jurisprudence constante de la Cour. Voir, notamment, arrêts Hoffmann‑La Roche (102/77, EU:C:1978:108, point 7); HAG GF (C‑10/89, EU:C:1990:359, point 14); Loendersloot (C‑349/95, EU:C:1997:530, point 24); Canon (C‑39/97, EU:C:1998:442, point 28), ainsi que Pi‑Design e.a./Yoshida Metal Industry (C‑337/12 P à C‑340/12 P, EU:C:2014:129, point 42).

( 10 ) Arrêt Philips (C‑299/99, EU:C:2002:377, point 30). Comme l’explique le professeur Monteagudo, la marque n’est pas simplement le «signe» en cause mais le lien entre celui‑ci et le produit (ou le service) auquel il se rapporte, et qui permet de le différencier ou de l’individualiser par rapport à d’autres produits (ou services) identiques ou similaires proposés par d’autres personnes. Il s’agit là de la fonction prédominante de la marque, à savoir une fonction d’identification de l’origine du produit [Monteagudo, M., «Los requisitos de validez de una marca tridimensional (Comentario a la Sentencia del TJCE de 18 de junio de 2002, asunto C‑299/99, caso ‘Koninklijke Philips Electronics NV v. Remington Consumer Products Ltd’)», Actas de derecho industrial y derecho de autor, 2002, p. 391 à 408, spécialement p. 397].

( 11 ) Basire, Y., «La fonction patrimoniale de la marque», Légicom, no 44, 2010, p. 17 à 26, spécialement p. 24 et 25.

( 12 ) Voir, en ce sens, arrêts Philips (C‑299/99, EU:C:2002:377, points 59 et 63); Nestlé (C‑353/03, EU:C:2005:432, point 25), ainsi que Oberbank e.a. (C‑217/13 et C‑218/13, EU:C:2014:2012, point 39).

( 13 ) Arrêt Voss of Norway/OHMI (C‑445/13 P, EU:C:2015:303, point 92).

( 14 ) Ibidem (point 94).

( 15 ) Voir, en ce sens, arrêt Nestlé (C‑353/03, EU:C:2005:432, points 26 et 27).

( 16 ) Voir, en ce sens, arrêt Nestlé (C‑353/03, EU:C:2005:432, points 29 et 30). Voir également, à propos de l’article 7, paragraphe 3, du règlement (CE) no 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), qui correspondant, en substance, à l’article 3, paragraphe 3, de la directive sur les marques, arrêt Colloseum Holding (C‑12/12, EU:C:2013:253, point 27).

( 17 ) Point 30, c’est moi qui souligne.

( 18 ) Point 43.

( 19 ) Arrêt Colloseum Holding (C‑12/12, EU:C:2013:253, point 28). C’est moi qui souligne.

( 20 ) Ibidem (point 35).

( 21 ) Si les termes «Kit Kat» apparaissent en relief sur chacune des barres qui composent le biscuit «Kit Kat», la forme dont l’enregistrement est demandé est, elle, vierge de toute inscription et pourrait, éventuellement, être identifiée par le public concerné comme se rapportant à des produits d’autres entreprises. Dans ce cas, elle ne posséderait pas le caractère distinctif requis. C’est à la juridiction de renvoi qu’il appartient de le vérifier.

( 22 ) Voir, en ce sens, Basire, Y., «La fonction patrimoniale de la marque», Légicom, no 44, 2010, p. 17 à 26, spécialement p. 25.

( 23 ) Arrêts Philips (C‑299/99, EU:C:2002:377, points 59 et 63); Nestlé (C‑353/03, EU:C:2005:432, point 25), ainsi que Oberbank e.a. (C‑217/13 et C‑218/13, EU:C:2014:2012, point 39).

( 24 ) Voir, en ce sens, arrêt Lego Juris/OHMI (C‑48/09 P, EU:C:2010:516, point 38 et jurisprudence citée).

( 25 ) Voir, en ce sens, arrêt Hauck (C‑205/13, EU:C:2014:2233, point 17 et jurisprudence citée).

( 26 ) Ibidem (point 18).

( 27 ) Voir, en ce sens, arrêt Philips (C‑299/99, EU:C:2002:377, point 78).

( 28 ) Point 19. La Cour ajoute également, au point 20 de cet arrêt, que «le motif de refus d’enregistrement prévu à l’article 3, paragraphe 1, sous e), premier tiret, de la directive sur les marques poursuit le même objectif que celui poursuivi par les deuxième et troisième tirets de cette disposition». Les droits visés sont essentiellement ceux conférés par la réglementation des brevets et des modèles et des dessins industriels [voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Ruiz‑Jarabo Colomer dans l’affaire Philips (C‑299/99, EU:C:2001:52, point 30)]. Voir également, à propos de la différence d’objectifs entre ces réglementations, conclusions de l’avocat général Szpunar dans l’affaire Hauck (C‑205/13, EU:C:2014:322, points 35 à 37). En doctrine, voir, notamment, Vanbrabant, B., La propriété intellectuelle – Nature juridique et régime patrimonial, Bruxelles, Larcier, 2015 (à paraître), tome 1, p. 352; Monteagudo, M., «Los requisitos de validez de una marca tridimensional (Comentario a la Sentencia del TJCE de 18 de junio de 2002, asunto C‑299/99, caso ‘Koninklijke Philips Electronics NV v. Remington Consumer Products Ltd’)», Actas de derecho industrial y derecho de autor, 2002 p. 391 à 408, spécialement p. 403 et 404.

( 29 ) Voir, en ce sens, à propos de la première directive 89/104, conclusions de l’avocat général Szpunar dans l’affaire Hauck (C‑205/13, EU:C:2014:322, point 28).

( 30 ) Arrêt Hauck (C‑205/13, EU:C:2014:2233, point 39).

( 31 ) Ibidem (point 40). Cette déduction n’est pas neuve. La Cour avait interprété la disposition en cause de cette façon dans l’arrêt Philips (C‑299/99, EU:C:2002:377, point 76) et l’avait répété dans l’arrêt Benetton Group (C‑371/06, EU:C:2007:542, point 26, troisième tiret).

( 32 ) Arrêt Hauck (C‑205/13, EU:C:2014:2233, point 41). C’est moi qui souligne.

( 33 ) Point 105.

( 34 ) Ibidem (point 99).

( 35 ) Voir, en ce sens, outre l’arrêt Hauck (C‑205/13, EU:C:2014:2233), arrêts Philips (C‑299/99, EU:C:2002:377, point 78); Linde e.a. (C‑53/01 à C‑55/01, EU:C:2003:206, point 72), ainsi que Lego Juris/OHMI (C‑48/09 P, EU:C:2010:516, point 43).

( 36 ) Voir, en ce sens, arrêt Hauck (C‑205/13, EU:C:2014:2233, point 19), ainsi que, à propos de solutions techniques, arrêt Lego Juris/OHMI (C‑48/09 P, EU:C:2010:516, points 45 et 46).

( 37 ) Il n’est pas inintéressant de noter que pour Mme Suthersanen, dans son commentaire de l’arrêt Philips (C‑299/99, EU:C:2002:377), la possibilité de cumuler les trois exceptions prévues à l’article 3, paragraphe 1, sous e), de la première directive 89/104 n’est pas mise en cause. La question est celle de savoir quels sont les tests qui doivent être réalisés pour déterminer si une forme est exclue du droit d’enregistrement sur la base d’un seul (ou de deux, ajouterais‑je) ou des trois motifs visés par cette disposition (Suthersanen, U., «The European Court of Justice in Philips v Remington – Trade Marks and Market Freedom», Intellectual Property Quarterly, 2003, no 3, p. 257 à 283, spécialement p. 258).

( 38 ) Selon les observations de l’examinateur reprises par la juridiction de renvoi au point 29 de la demande de décision préjudicielle.

( 39 ) Arrêt Philips (C‑299/99, EU:C:2002:377, point 79). C’est moi qui souligne.

( 40 ) Selon Iván L. Sempere Massa, il y a plusieurs critères pour apprécier si la forme d’un produit remplit une fonction technique. Parmi ceux‑ci, l’auteur cite l’exemple d’une forme ayant déjà fait l’objet d’un brevet, mais également l’hypothèse d’un producteur qui, dans la publicité du produit, aurait fait référence aux avantages techniques que ladite forme possède pour son utilisation ou sa fabrication (Sempere Massa, I. L., La protección de las formas como marca tridimensional, Tirant, Valence, 2011, spécialement p. 101).