Conclusions de l'avocat général

Conclusions de l'avocat général

1. La directive 2003/87/CE (2) est l’un des instruments juridiques clés grâce auxquels l’Union européenne et ses États membres entendent remplir leur engagement, au titre du protocole de Kyoto à la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques et l’exécution conjointe des engagements qui en découlent (JO L 130, p. 1), de réduire les émissions anthropiques de gaz à effet de serre. La directive est destinée à contribuer à cet objectif en établissant un marché européen performant des quotas d’émission de gaz à effet de serre en nuisant le moins possible au développement économique et à l’emploi (3) .

2. La présente demande de décision préjudicielle formée par le Bundesverwaltungsgericht (Cour administrative fédérale, Allemagne) invite la Cour à préciser quelles amendes devraient, lorsque cela est approprié, être imposées aux exploitants qui, au 30 avril d’une année donnée, ont restitué un nombre de quotas qui a été vérifié conformément à l’article 15 de la directive 2003/87 comme étant égal à leurs émissions durant l’année précédente, mais qui, après des vérifications subséquentes effectuées par l’autorité nationale compétente, a été jugé insuffisant pour couvrir l’ensemble de leurs émissions.

3. La juridiction de renvoi souhaite, en substance, savoir si un tel comportement devrait, le cas échéant, faire l’objet de sanctions nationales conformément à l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2003/87 ou bien de la sanction automatique prévue à l’article 16, paragraphe 3, de cette directive.

4. J’exposerai dans la suite des présentes conclusions les raisons pour lesquelles j’estime que la première approche est la bonne.

I – Le cadre juridique

A – Le droit de l’Union

5. Au moment des faits (4), l’article 6 de la directive 2003/87, intitulé «Conditions de délivrance et contenu de l’autorisation d’émettre des gaz à effet de serre», disposait:

«1. L’autorité compétente délivre une autorisation d’émettre des gaz à effet de serre concernant les émissions en provenance de tout ou partie d’une installation si elle considère que l’exploitant est en mesure de surveiller et de déclarer les émissions.

[…]

2. L’autorisation d’émettre des gaz à effet de serre contient les éléments suivants:

[…]

e) l’obligation de restituer, dans les quatre mois qui suivent la fin de chaque année civile, des quotas correspondant aux émissions totales de l’installation au cours de l’année civile écoulée, telles qu’elles ont été vérifiées conformément à l’article 15.»

6. En vertu de l’article 12, paragraphe 3, de la directive 2003/87:

«Les États membres s’assurent que, le 30 avril de chaque année au plus tard, tout exploitant d’une installation restitue un nombre de quotas correspondant aux émissions totales de cette installation au cours de l’année civile écoulée, telles qu’elles ont été vérifiées conformément à l’article 15, et pour que ces quotas soient ensuite annulés.»

7. L’article 15 de la directive 2003/87, intitulé «Vérification», disposait, pour autant que cela soit pertinent en l’espèce:

«Les États membres s’assurent que les déclarations présentées par les exploitants en application de l’article 14, paragraphe 3, soient vérifiées conformément aux critères définis à l’annexe V, et à ce que l’autorité compétente en soit informée.

[…]»

8. En vertu de l’article 16 de la directive 2003/87, intitulé «Sanctions»:

«1. Les États membres déterminent le régime de sanctions applicable aux violations des dispositions nationales prises en application de la présente directive, et prennent toute mesure nécessaire pour assurer la mise en œuvre de celui-ci. Les sanctions prévues doivent être effectives, proportionnées et dissuasives. […]

2. Les États membres veillent à publier le nom des exploitants qui sont en infraction par rapport à l’exigence de restituer suffisamment de quotas en vertu de l’article 12, paragraphe 3.

3. Les États membres s’assurent que tout exploitant qui, au plus tard le 30 avril de chaque année, ne restitue pas un nombre de quotas suffisant pour couvrir ses émissions de l’année précédente, soit tenu de payer une amende sur les émissions excédentaires. Pour chaque tonne d’équivalent-dioxyde de carbone émise par une installation pour laquelle l’exploitant n’a pas restitué de quotas, l’amende sur les émissions excédentaires est de 100 euros. Le paiement de l’amende sur les émissions excédentaires ne libère pas l’exploitant de l’obligation de restituer un nombre de quotas égal à ces émissions excédentaires lors de la restitution des quotas correspondant à l’année civile suivante.

[…]»

B – Le droit allemand

9. Les dispositions pertinentes de la législation allemande sont exposées dans la loi sur l’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre (Gesetz über den Handel mit Berechtigungen zur Emission von Treibhausgasen, ci-après le «TEHG»), du 8 juillet 2004 (5) .

10. Aux termes de l’article 4 du TEHG, intitulé «Autorisation des émissions»:

«(1) Les émissions de gaz à effet de serre générées par une activité au sens de la présente loi nécessitent une autorisation.

[…]

(5) L’autorisation comporte les indications et dispositions suivantes:

[…]

5. Une obligation de restitution des quotas conformément à l’article 6.

[…]

(8) En cas de non-respect des obligations mentionnées à l’article 5 par le responsable, les mesures conformément aux articles 17 et 18 de la présente loi priment sur les mesures conformément à l’article 17 de la loi fédérale sur la protection contre les émissions (Bundes-Immissionsschutzgesetze). En cas de violation des obligations prévues à l’article 5, les articles 20 et 21 de la loi fédérale sur la protection contre les émissions ne s’appliquent pas. En cas de non‑respect par le responsable des obligations mentionnées à l’article 6, paragraphe 1, seules les dispositions de la présente loi s’appliquent.»

11. En vertu de l’article 6 du TEHG, intitulé «Quotas»:

«(1) Le responsable restitue à l’autorité compétente, au plus tard le 30 avril de l’année, à compter pour la première fois de 2006, un nombre de quotas correspondant aux émissions résultant de son activité au cours de l’année civile précédente.

[…]»

12. Le chapitre 5 du TEHG concerne les sanctions. Aux termes de l’article 18 de cette loi:

«(1) En cas de non-respect par le responsable de son obligation au titre de l’article 6, paragraphe 1, l’autorité compétente inflige une amende de 100 euros, 40 euros au cours de la première période d’allocation, pour chaque tonne d’équivalent‑dioxyde de carbone émise et pour laquelle le responsable n’a pas restitué de quota. L’autorité peut renoncer à infliger une amende si le responsable n’a pas pu se conformer à son obligation au titre de l’article 6, paragraphe 1, pour cause de force majeure.

(2) Dans la mesure où le responsable n’a pas déclaré de manière correcte les émissions résultant de son activité, l’autorité compétente procède à une estimation des émissions produites par l’activité au cours de l’année civile précédente. Cette évaluation constitue une base irréfragable de l’obligation au titre de l’article 6, paragraphe 1. Il est fait abstraction de l’évaluation si le responsable satisfait de manière correcte à son obligation de déclaration dans le cadre de l’audition précédant la décision fixant l’amende visée au paragraphe 1.

(3) Le responsable demeure tenu de restituer les quotas manquants, conformément à l’évaluation réalisée dans le cas prévu au paragraphe 2, au plus tard le 30 avril de l’année suivante. […]»

II – Les faits à l’origine du litige, la procédure au principal et la question préjudicielle

13. Jusqu’à sa fermeture au mois de mars 2008, la société Nordzucker AG (ci‑après «Nordzucker») exploitait une fabrique de sucre. L’usine comportait un générateur de vapeur ainsi qu’une installation de séchage destinée au séchage thermique de la pulpe de betteraves.

14. À la suite de l’introduction du système d’échange de quotas d’émission, le Bundesministerium für Umwelt, Naturschutz und Reaktorsicherheit (ministère fédéral de l’Environnement, de la Protection de la nature et de la Sûreté nucléaire, ci-après le «ministère») a informé le Verein der Zuckerindustrie (association allemande des industries sucrières), à la demande de celle-ci, dans une lettre du 17 juin 2004, que les installations de séchage, en tant que composantes nécessaires au fonctionnement des installations de l’industrie sucrière, n’étaient pas soumises au système d’échange de quotas d’émission. En revanche, en tant que dispositif auxiliaire, une chaufferie utilisée pour produire de la vapeur et de l’électricité en liaison avec une installation de fabrication ou de raffinage du sucre est soumise au système d’échange de quotas d’émission en cas de dépassement du seuil de puissance thermique nominale totale.

15. Nordzucker a rédigé une déclaration concernant les émissions au titre de l’année 2005. Cette déclaration indique pour le générateur de vapeur une quantité totale d’émissions de 40 288 tonnes de dioxyde de carbone. Cette quantité n’inclut pas les émissions imputables à la production de la vapeur nécessaire à l’exploitation du dispositif de séchage. Un expert a vérifié la déclaration, l’a évaluée comme étant satisfaisante et a donné son accord à l’inscription des émissions indiquées dans le registre d’échange de quotas d’émission. Le 16 mars 2006, la déclaration a été transmise à la Deutsche Emissionshandelsstelle (autorité allemande de gestion des échanges de quotas d’émission de gaz à effet de serre, ci-après l’«Emissionshandelsstelle») par l’intermédiaire des autorités compétentes du Land. Le 30 avril 2006, Nordzucker avait restitué à l’Emissionshandelsstelle un nombre de quotas correspondant à la quantité totale des émissions indiquée dans la déclaration.

16. Par la suite, l’Emissionshandelsstelle a vérifié la déclaration et a invité Nordzucker à la revoir, en tenant compte notamment des émissions imputables aux installations de séchage. Nordzucker a expliqué que, sur la base de la lettre du ministère, elle estimait que les installations de séchage n’étaient pas soumises à l’échange de quotas d’émission et que, pour cette raison, elle n’était donc pas tenue de rendre compte dans sa déclaration des émissions imputables au générateur de vapeur utilisé pour l’exploitation d’une telle installation. Nordzucker a néanmoins corrigé sa déclaration tel qu’exigé par l’Emissionshandelsstelle. Nordzucker a, de ce fait, déclaré des émissions globales de 42 961 tonnes de dioxyde de carbone et a restitué, le 24 avril 2007, 2 673 quotas supplémentaires.

17. Par décision du 7 décembre 2007, les autorités allemandes ont déclaré que Nordzucker devait, en vertu de l’article 18, paragraphe 1, première phrase, du TEHG, verser une amende de 106 920 euros. La réclamation contre cette décision a été rejetée par une décision du 14 avril 2009.

18. Nordzucker a contesté cette décision devant le Verwaltungsgericht (tribunal administratif, Allemagne) qui, par jugement du 11 juin 2010, a annulé la décision litigieuse. Par arrêt du 20 octobre 2011, l’Oberverwaltungsgericht (tribunal administratif supérieur) a rejeté l’appel interjeté par les autorités allemandes contre l’arrêt prononcé en première instance. Les autorités allemandes ont ensuite contesté l’arrêt de l’Oberverwaltungsgericht devant le Bundesverwaltungsgericht.

19. Nourrissant quelques doutes quant à l’interprétation de l’article 16 de la directive 2003/87, le Bundesverwaltungsgericht a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«L’article 16, paragraphes 3 et 4, de la directive 2003/87 doit-il être interprété en ce sens qu’il y a également lieu d’infliger l’amende sur les émissions excédentaires lorsque l’exploitant a, au plus tard le 30 avril d’une année, restitué un nombre de quotas correspondant à la quantité totale des émissions indiquée dans sa déclaration concernant les émissions générées l’année précédente par l’installation et vérifiée comme étant satisfaisante par le vérificateur, mais que les autorités compétentes constatent toutefois, après le 30 avril, que la quantité totale des émissions indiquée dans cette déclaration vérifiée a été, de façon incorrecte, sous-déclarée, que la déclaration est corrigée et que l’exploitant restitue les quotas supplémentaires dans le nouveau délai?»

20. Des observations écrites ont été soumises dans la présente affaire par Nordzucker, l’Emissionshandelsstelle, les gouvernements allemand, tchèque, néerlandais et du Royaume-Uni ainsi que par la Commission européenne. La Cour a décidé de ne pas tenir d’audience.

III – Analyse

21. Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, à la Cour de préciser si la sanction prévue à l’article 16, paragraphe 3, de la directive 2003/87 doit s’appliquer à un exploitant qui, au 30 avril d’une année donnée, a restitué un nombre de quotas qui était égal à ses émissions durant l’année précédente telles que vérifiées conformément à l’article 15 de la directive, mais qui, à la suite d’une vérification subséquente par l’autorité nationale compétente, s’est révélé être insuffisant pour couvrir l’ensemble des émissions de l’ exploitant au cours de l’année précédente.

22. Dans sa décision de renvoi détaillée, le Bundesverwaltungsgericht explique que deux approches sont possibles et que des arguments convaincants plaident en faveur de chacune d’elles. Cette juridiction considère cependant, s’appuyant principalement sur les termes des dispositions pertinentes de la directive 2003/87 et tenant compte du principe de proportionnalité, que la réponse à la question déférée devrait être négative.

23. Les deux approches ont été également examinées par les parties qui ont soumis des observations écrites dans le cadre de la présente procédure. D’un côté, Nordzucker, les gouvernements tchèque, néerlandais et du Royaume-Uni ainsi que la Commission soutiennent en substance que l’article 16, paragraphe 3, de la directive 2003/87 devrait être interprété de manière restrictive. Cette disposition serait donc considérée comme n’étant pas applicable à la situation décrite par la juridiction de renvoi.

24. D’un autre côté, le gouvernement allemand et l’Emissionshandelsstelle suggèrent à la Cour de répondre à la question déférée par l’affirmative. Des parallèles peuvent selon eux être établis entre la situation dans l’affaire pendante devant la juridiction de renvoi et celle examinée par la Cour dans l’affaire Billerud Karlsborg et Billerud Skärblacka (6) . Dans cette dernière affaire, la Cour a confirmé que la sanction prévue à l’article 16, paragraphe 3, de la directive 2003/87 s’appliquait automatiquement à l’égard des exploitants qui, au 30 avril d’une année donnée, n’ont pas restitué un nombre suffisant de quotas et a précisé que le montant de l’amende ne peut pas être modulé par une juridiction nationale.

25. Comme je l’expliquerai ci-après, je suis d’avis qu’en dépit des termes quelque peu ambigus de l’article 16, paragraphe 3, de la directive 2003/87, une lecture systématique et téléologique de cette disposition plaide en faveur des arguments avancés par Nordzucker, les gouvernements tchèque, néerlandais et du Royaume-Uni ainsi que par la Commission. Bien que je comprenne les préoccupations sous-jacentes à l’interprétation de cette disposition défendue par le gouvernement allemand et l’Emissionshandelsstelle, je ne crois pas en dernière analyse que ces préoccupations soient bien fondées. De même, je ne lis pas l’arrêt rendu dans l’affaire Billerud Karlsborg et Billerud Skärblacka (EU:C:2013:664) comme soutenant la position adoptée par ces parties.

26. Il convient de reconnaître pour commencer que le libellé de l’article 16, paragraphe 3, de la directive 2003/87 est quelque peu ambigu en ce qui concerne la nature de l’obligation qui doit être remplie sous peine de se voir infliger la sanction qui y est prévue. Cette disposition exige en fait des États membres qu’ils imposent une amende sur les émissions excédentaires à «tout exploitant qui, au plus tard le 30 avril de chaque année, ne restitue pas un nombre de quotas suffisant pour couvrir ses émissions de l’année précédente».

27. Ainsi que la juridiction de renvoi le souligne à juste titre, aucune des interprétations proposées n’est, prima facie, incompatible avec les termes de l’article 16, paragraphe 3, de la directive 2003/87. Cette disposition ne peut donc pas être considérée comme faisant référence aux émissions générées durant l’année précédente, telles que vérifiées en vertu de l’article 15 de cette directive, ou à titre alternatif, à l’ensemble des émissions générées durant l’année précédente telles qu’établies dans la déclaration définitive, le cas échéant, après des contrôles supplémentaires des autorités nationales compétentes.

28. Toutefois, lorsque l’article 16, paragraphe 3, de la directive 2003/87 est lu dans le bon contexte, il devient clair, selon moi, que la première interprétation est la bonne.

29. Il convient de souligner, tout d’abord, que l’un des piliers sur lesquels repose le système établi par la directive 2003/87 est l’obligation des exploitants de restituer un nombre de quotas égal à leurs émissions totales durant l’année civile précédente. Il appartient à chaque exploitant de déclarer ses émissions aux autorités compétentes conformément aux règles et principes exposés dans les lignes directrices ad hoc adoptées par la Commission (7) (article 14, paragraphe 3, de la directive 2003/87).

30. Toutefois, compte tenu de l’importance de cet exercice et de l’avantage financier que les exploitants pourraient potentiellement tirer d’une sous‑déclaration de leurs émissions, le législateur de l’Union a décidé que les autorités ne pouvaient pas se fonder automatiquement sur les déclarations transmises par les exploitants et que ces déclarations devaient être soumises à un processus de vérification spécifique. En vertu de l’article 15, premier alinéa, de la directive 2003/87 et de son annexe V, le vérificateur doit être «indépendant de l’exploitant, exerce[r] ses activités avec un professionnalisme sérieux et objectif» et être qualifié pour cette tâche. Il doit examiner les déclarations soumises par les exploitants et les systèmes de surveillance durant l’année précédente en vue de vérifier – en particulier – leur «fiabilité, crédibilité et précision».

31. Cette vérification constitue une étape procédurale décisive. Si une déclaration s’avère après vérification ne pas être satisfaisante, le processus s’arrête. L’exploitant ne peut procéder à d’autres transferts de quotas avant que cette déclaration soit reconnue satisfaisante (article 15, deuxième alinéa). Si, à l’inverse, le résultat de la vérification est positif, l’exploitant a, ainsi qu’il a été indiqué plus haut, jusqu’au 30 avril de la même année pour restituer les quotas égaux aux émissions totales générées. L’article 6, paragraphe 2, sous e), et l’article 12, paragraphe 3, de la directive 2003/87 disposent expressément que l’obligation de restitution des quotas est liée aux quotas correspondant aux émissions «telles qu’elles ont été vérifiées conformément à l’article 15».

32. La directive 2003/87 ne prévoit pas, du moins explicitement, de contrôle ou de vérification ultérieurs d’un certain nombre de quotas déjà vérifiés conformément à l’article 15. Elle ne contient pas non plus de disposition exigeant la restitution de quotas supplémentaires après le 30 avril si les autorités nationales jugent – pour quelque raison que ce soit – que ces quotas ne couvrent pas la totalité des émissions.

33. La directive 2003/87 ne peut clairement pas être interprétée comme faisant obstacle à des contrôles supplémentaires des autorités compétentes ou à la possibilité pour un exploitant de restituer des quotas supplémentaires après le 30 avril afin de remplir son obligation de restituer un nombre suffisant de quotas d’émission. Il me semble au contraire que des dispositions nationales permettant l’une ou l’autre de ces possibilités ne pourraient que venir renforcer le système établi par la directive.

34. La sanction prévue à l’article 16, paragraphe 3, de la directive 2003/87 est cependant nécessairement liée au manquement à l’obligation que cette disposition impose expressément à l’exploitant: restituer d’ici au 30 avril le nombre de quotas dû, tel que vérifié par un expert. Il serait paradoxal d’interpréter la directive comme exigeant d’imposer automatiquement une sanction pour un manquement à une obligation qu’elle ne spécifie pas clairement.

35. Les lignes directrices publiées en vertu de l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2003/87 (8) viennent également confirmer que le nombre de quotas, tel que vérifié en vertu de l’article 15, est déterminant pour le fonctionnement du système établi par la directive. Le point 7.4, sixième alinéa, des lignes directrices dispose: «[s]’il a été jugé satisfaisant au terme de la vérification, l’autorité compétente utilisera le chiffre d’émissions totales de l’installation indiqué dans la déclaration pour vérifier qu’un nombre suffisant de quotas a été restitué par l’exploitant» (9) .

36. Cette lecture semble être confirmée par les travaux préparatoires de la directive 2003/87. Le point 17 de l’exposé des motifs accompagnant la proposition de directive présentée par la Commission le 23 octobre 2001 dispose que «[l]es affaires impliquant une infraction à l’obligation de restituer un nombre suffisant de quotas pour couvrir les émissions dont le rejet a été vérifié doivent être traitées d’une manière stricte et cohérente dans l’ensemble de l’[Union]. Pour ce faire, une amende serait imposée […]» (10) .

37. Il est intéressant de noter que l’article 16, paragraphe 2, de la directive 2003/87, qui concerne la publication du nom des exploitants en infraction pour ce qui est de l’obligation de restituer suffisamment de quotas faisait explicitement référence dans sa version originale, telle qu’applicable aux faits de l’espèce, à l’obligation «en vertu de l’article 12, paragraphe 3», de la directive 2003/87 (11) . Clairement, il peut être soutenu que, dans la mesure où les paragraphes 2 et 3 de l’article 16 de la directive ont été, et demeurent, rédigés différemment, ceux-ci concernent différentes infractions. Le gouvernement allemand et l’Emissionshandelsstelle soutiennent, en substance, que l’article 16, paragraphe 3, de la directive 2003/87 a un champ d’application plus large que l’article 16, paragraphe 2.

38. Cette lecture n’est toutefois pas confirmée par les travaux préparatoires. La différence de libellé entre les deux paragraphes s’explique plutôt par le fait que dans la proposition initialement soumise par la Commission, le paragraphe 2 de l’article 16 de la directive 2003/87 était destiné à s’appliquer à toutes les violations de la législation nationale adoptée pour mettre en œuvre la directive tandis que le paragraphe 3 visait à sanctionner un défaut de restituer un nombre suffisant de quotas. Le Parlement européen a cependant considéré – et la Commission a abondé dans son sens – qu’un système de stigmatisation était disproportionné dans le cas de nombreuses formes d’infractions à la directive 2003/87 dont celles concernant les mesures nationales de mise en œuvre et que ce système devait donc être limité aux cas où les exploitants n’avaient pas restitué un nombre suffisant de quotas (12) .

39. La genèse de la directive 2003/87 semble donc suggérer que la différence de libellé entre les deux paragraphes ne reflétait pas une décision du législateur de l’Union d’établir une distinction entre les types d’infractions respectivement couverts.

40. Une confirmation supplémentaire de cette interprétation est apportée par l’arrêt rendu dans l’affaire Billerud Karlsborg et Billerud Skärblacka où la Cour a déclaré que l’obligation, prévue à l’article 6, paragraphe 2, sous e), et à l’article 12, paragraphe 3, de la directive 2003/87, de restituer un nombre de quotas égal aux émissions totales au cours de l’année civile précédente telles que vérifiées en vertu de l’article 15 est « la seule que la directive 2003/87 assortit elle‑même d’une sanction précise, alors que la sanction de tout autre comportement contraire à ses dispositions est, en vertu de l’article 16 de cette directive, laissée à la décision des États membres» (13) .

41. Une lecture différente de l’article 16, paragraphe 3, de la directive 2003/87 poserait en outre un problème en ce qui concerne la proportionnalité de la sanction prévue par cette disposition.

42. En effet, dans l’affaire Billerud Karlsborg et Billerud Skärblacka, la Cour a également jugé que l’amende fixe et automatique prévue à l’article 16, paragraphe 3, de la directive 2003/87 était proportionnée, l’une des raisons étant que les exploitants sont en mesure de connaître le nombre exact de quotas qu’ils doivent restituer (du fait de la vérification en vertu de l’article 15) et se voient accorder un délai raisonnable pour se conformer à cette obligation. De toute évidence, un exploitant prudent ne repoussera pas l’exécution de son obligation jusqu’à la dernière minute. La Cour n’a donc pas considéré qu’en vertu du principe de proportionnalité, les juridictions nationales devaient pouvoir modifier le montant de l’amende prévue à l’article 16, paragraphe 3, de la directive 2003/87 même dans l’éventualité où la carence de l’exploitant pourrait être due à un «dysfonctionnement administratif interne» (14) .

43. La présente affaire semble cependant – eu égard aux informations qui peuvent être tirées de la décision de renvoi – plutôt différente de l’affaire susmentionnée. Nordzucker soutient ainsi que l’erreur était due au fait que l’entreprise s’était appuyée sur une lettre du ministère expliquant qu’un des types d’installations qu’elle exploitait, à savoir l’installation de séchage, n’était pas couvert par le système d’échange de quotas d’émission. La déclaration avait de plus été dûment vérifiée par un expert indépendant conformément à l’article 15 de la directive 2003/87. Ce n’est que plus tard – à savoir après le 30 avril – que les autorités allemandes ont informé Nordzucker que le nombre de quotas restitués était insuffisant dans la mesure où les émissions produites par l’installation de séchage devaient être également prises en compte aux fins de la directive.

44. Pour autant que son comportement devrait faire l’objet de sanctions – une question qui doit être examinée par le juge national – Nordzucker était, à tout le moins, incapable, avant le 30 avril, de connaître avec suffisamment de certitude le nombre total de quotas qui devaient être restitués. L’imposition automatique d’une lourde amende dans de telles circonstances pourrait ainsi soulever de sérieuses questions de proportionnalité.

45. D’après le gouvernement allemand et l’Emissionshandelsstelle, il serait au contraire disproportionné d’appliquer cette sanction à la moindre violation de l’obligation posée à l’article 6, paragraphe 2, sous e), et à l’article 12, paragraphe 3, de la directive 2003/87, tandis que des exploitants qui pourraient avoir induit en erreur l’expert vérifiant la déclaration (en communiquant, par exemple, des données trompeuses ou en adoptant un autre comportement frauduleux) échapperaient à la sanction.

46. Je ne saurais souscrire à cette opinion. Le fait que la sanction prévue à l’article 16, paragraphe 3, de la directive 2003/87 ne s’applique pas ne signifie pas qu’aucune sanction quelle qu’elle soit ne peut être imposée à ces exploitants. En effet, l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2003/87 dispose que les États membres doivent déterminer le régime de sanctions applicable aux violations des dispositions nationales prises en application de la directive et que les sanctions doivent être « effectives, proportionnées et dissuasives » (15) .

47. Il appartient donc aux autorités nationales de déterminer les sanctions qui pourraient être imposées aux exploitants qui, bien qu’ils se conforment à l’obligation posée à l’article 6, paragraphe 2, sous e), et à l’article 12, paragraphe 3, de la directive 2003/87, commettent d’autres types d’infractions qui gênent le bon fonctionnement du système d’échange de quotas d’émission établi par la directive. Ces sanctions doivent, d’une part, être effectives et dissuasives: cela signifie selon moi que le comportement frauduleux comme celui évoqué par le gouvernement allemand et l’Emissionshandelsstelle peut (et devrait) faire l’objet de lourdes amendes. Ces sanctions doivent, d’autre part, être proportionnées: cela implique que les situations comme celle dans laquelle se trouve Nordzucker doivent faire l’objet d’une appréciation dans le cadre de laquelle toutes les circonstances de fait pertinentes sont prises en compte afin de se prononcer sur le an debeatur et quantum debeatur de la sanction (comme notamment la bonne foi de l’entreprise ou le point de savoir si l’entreprise a été induite en erreur par les autorités elles-mêmes).

48. J’en conclus que le type d’erreur commise par Nordzucker n’est pas couvert par l’article 16, paragraphe 3, de la directive 2003/87 mais relève, le cas échéant, du champ d’application de son article 16, paragraphe 1.

IV – Conclusion

49. Eu égard aux considérations qui précèdent, je suggère à la Cour de répondre comme suit à la question déférée par le Bundesverwaltungsgericht:

L’amende prévue à l’article 16, paragraphe 3, de la directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 octobre 2003, établissant un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre dans la Communauté et modifiant la directive 96/61/CE du Conseil ne doit pas être appliquée à un exploitant qui, au 30 avril d’une année donnée, a restitué un nombre de quotas égal à ses émissions durant l’année précédente telles que vérifiées en vertu de l’article 15 de la directive 2003/87, mais qui, à la suite d’un contrôle subséquent par les autorités nationales compétentes, a été jugé insuffisant pour couvrir toutes les émissions de l’exploitant durant l’année précédente. Il appartient à l’État membre de déterminer le régime de sanction applicable, là où cela est approprié, à ces types d’infractions. Les sanctions prévues doivent être effectives, proportionnées et dissuasives.

(1) .

(2)  – Directive du Parlement européen et du Conseil du 13 octobre 2003 établissant un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre dans la Communauté et modifiant la directive 96/61/CE du Conseil (JO L 275, p. 32).

(3)  – Voir considérants 3 à 5 de la directive 2003/87.

(4)  – La directive 2003/87 a été modifiée plusieurs fois entre-temps. Il semble néanmoins qu’aucune des modifications subséquentes n’ait la moindre pertinence pour la présente procédure.

(5)  – BGBl. I, p. 1578.

(6)  – Arrêt C‑203/12, EU:C:2013:664.

(7)  – Décision 2004/156/CE de la Commission, du 29 janvier 2004, concernant l’adoption de lignes directrices pour la surveillance et la déclaration des émissions de gaz à effet de serre, conformément à la directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil (JO L 59, p. 1, ci‑après les «lignes directrices»).

(8)  – Idem.

(9)  – Mise en italique par mes soins. Il convient de souligner dans ce contexte que les lignes directrices ont été adoptées, non en tant qu’acte de «soft law», mais, ainsi qu’il a été mentionné à la note en bas de page 6, en tant que décision de la Commission et donc sous la forme d’un acte produisant des effets de droit.

(10)  – COM(2001) 581 final. Mise en italique par mes soins.

(11)  – Dans sa version actuelle, l’article 16, paragraphe 2, de la directive 2003/87 fait référence à l’«exigence de restituer suffisamment de quotas en vertu de la présente directive » (mise en italique par mes soins). Cette modification a été introduite par la directive 2008/101/CE du Parlement européen et du Conseil, du 19 novembre 2008, modifiant la directive 2003/87/CE afin d’intégrer les activités aériennes dans le système communautaire d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre (JO 2009, L 8, p. 3) qui a étendu le système d’échange de quotas d’émission aux activités aéronautiques. Cette modification était destinée à refléter le champ d’application plus large de la directive. Toutefois, ainsi que le gouvernement du Royaume-Uni l’a souligné à juste titre, la modification de l’article 16, paragraphe 2, n’a rien changé aux obligations des exploitants d’installations.

(12)  – Rapport du Parlement européen du 13 septembre 2002 sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil établissant un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre dans la Communauté et modifiant la directive 96/61/CE du Conseil (final A5‑0303/2002, p. 28).

(13)  – EU:C:2013:664, point 25 (mise en italique par mes soins).

(14)  – Ibidem (points 19, 33 et 42).

(15)  – Mise en italique par mes soins.


CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. NILS WAHL

présentées le 5 février 2015 ( 1 )

Affaire C‑148/14

Bundesrepublik Deutschland

contre

Nordzucker AG

[demande de décision préjudicielle

formée par le Bundesverwaltungsgericht (Allemagne)]

«Environnement — Système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre — Article 16, paragraphes 1 et 3, de la directive 2003/87/CE — Surveillance et déclaration des émissions — Vérification des déclarations présentées par les exploitants — Amendes — Proportionnalité»

1. 

La directive 2003/87/CE ( 2 ) est l’un des instruments juridiques clés grâce auxquels l’Union européenne et ses États membres entendent remplir leur engagement, au titre du protocole de Kyoto à la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques et l’exécution conjointe des engagements qui en découlent (JO L 130, p. 1), de réduire les émissions anthropiques de gaz à effet de serre. La directive est destinée à contribuer à cet objectif en établissant un marché européen performant des quotas d’émission de gaz à effet de serre en nuisant le moins possible au développement économique et à l’emploi ( 3 ).

2. 

La présente demande de décision préjudicielle formée par le Bundesverwaltungsgericht (Cour administrative fédérale, Allemagne) invite la Cour à préciser quelles amendes devraient, lorsque cela est approprié, être imposées aux exploitants qui, au 30 avril d’une année donnée, ont restitué un nombre de quotas qui a été vérifié conformément à l’article 15 de la directive 2003/87 comme étant égal à leurs émissions durant l’année précédente, mais qui, après des vérifications subséquentes effectuées par l’autorité nationale compétente, a été jugé insuffisant pour couvrir l’ensemble de leurs émissions.

3. 

La juridiction de renvoi souhaite, en substance, savoir si un tel comportement devrait, le cas échéant, faire l’objet de sanctions nationales conformément à l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2003/87 ou bien de la sanction automatique prévue à l’article 16, paragraphe 3, de cette directive.

4. 

J’exposerai dans la suite des présentes conclusions les raisons pour lesquelles j’estime que la première approche est la bonne.

I – Le cadre juridique

A – Le droit de l’Union

5.

Au moment des faits ( 4 ), l’article 6 de la directive 2003/87, intitulé «Conditions de délivrance et contenu de l’autorisation d’émettre des gaz à effet de serre», disposait:

«1.   L’autorité compétente délivre une autorisation d’émettre des gaz à effet de serre concernant les émissions en provenance de tout ou partie d’une installation si elle considère que l’exploitant est en mesure de surveiller et de déclarer les émissions.

[…]

2.   L’autorisation d’émettre des gaz à effet de serre contient les éléments suivants:

[…]

e)

l’obligation de restituer, dans les quatre mois qui suivent la fin de chaque année civile, des quotas correspondant aux émissions totales de l’installation au cours de l’année civile écoulée, telles qu’elles ont été vérifiées conformément à l’article 15.»

6.

En vertu de l’article 12, paragraphe 3, de la directive 2003/87:

«Les États membres s’assurent que, le 30 avril de chaque année au plus tard, tout exploitant d’une installation restitue un nombre de quotas correspondant aux émissions totales de cette installation au cours de l’année civile écoulée, telles qu’elles ont été vérifiées conformément à l’article 15, et pour que ces quotas soient ensuite annulés.»

7.

L’article 15 de la directive 2003/87, intitulé «Vérification», disposait, pour autant que cela soit pertinent en l’espèce:

«Les États membres s’assurent que les déclarations présentées par les exploitants en application de l’article 14, paragraphe 3, soient vérifiées conformément aux critères définis à l’annexe V, et à ce que l’autorité compétente en soit informée.

[…]»

8.

En vertu de l’article 16 de la directive 2003/87, intitulé «Sanctions»:

«1.   Les États membres déterminent le régime de sanctions applicable aux violations des dispositions nationales prises en application de la présente directive, et prennent toute mesure nécessaire pour assurer la mise en œuvre de celui-ci. Les sanctions prévues doivent être effectives, proportionnées et dissuasives. […]

2.   Les États membres veillent à publier le nom des exploitants qui sont en infraction par rapport à l’exigence de restituer suffisamment de quotas en vertu de l’article 12, paragraphe 3.

3.   Les États membres s’assurent que tout exploitant qui, au plus tard le 30 avril de chaque année, ne restitue pas un nombre de quotas suffisant pour couvrir ses émissions de l’année précédente, soit tenu de payer une amende sur les émissions excédentaires. Pour chaque tonne d’équivalent-dioxyde de carbone émise par une installation pour laquelle l’exploitant n’a pas restitué de quotas, l’amende sur les émissions excédentaires est de 100 euros. Le paiement de l’amende sur les émissions excédentaires ne libère pas l’exploitant de l’obligation de restituer un nombre de quotas égal à ces émissions excédentaires lors de la restitution des quotas correspondant à l’année civile suivante.

[…]»

B – Le droit allemand

9.

Les dispositions pertinentes de la législation allemande sont exposées dans la loi sur l’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre (Gesetz über den Handel mit Berechtigungen zur Emission von Treibhausgasen, ci-après le «TEHG»), du 8 juillet 2004 ( 5 ).

10.

Aux termes de l’article 4 du TEHG, intitulé «Autorisation des émissions»:

«(1)   Les émissions de gaz à effet de serre générées par une activité au sens de la présente loi nécessitent une autorisation.

[…]

(5)   L’autorisation comporte les indications et dispositions suivantes:

[…]

5.

Une obligation de restitution des quotas conformément à l’article 6.

[…]

(8)   En cas de non-respect des obligations mentionnées à l’article 5 par le responsable, les mesures conformément aux articles 17 et 18 de la présente loi priment sur les mesures conformément à l’article 17 de la loi fédérale sur la protection contre les émissions (Bundes-Immissionsschutzgesetze). En cas de violation des obligations prévues à l’article 5, les articles 20 et 21 de la loi fédérale sur la protection contre les émissions ne s’appliquent pas. En cas de non‑respect par le responsable des obligations mentionnées à l’article 6, paragraphe 1, seules les dispositions de la présente loi s’appliquent.»

11.

En vertu de l’article 6 du TEHG, intitulé «Quotas»:

«(1) Le responsable restitue à l’autorité compétente, au plus tard le 30 avril de l’année, à compter pour la première fois de 2006, un nombre de quotas correspondant aux émissions résultant de son activité au cours de l’année civile précédente.

[…]»

12.

Le chapitre 5 du TEHG concerne les sanctions. Aux termes de l’article 18 de cette loi:

«(1)   En cas de non-respect par le responsable de son obligation au titre de l’article 6, paragraphe 1, l’autorité compétente inflige une amende de 100 euros, 40 euros au cours de la première période d’allocation, pour chaque tonne d’équivalent‑dioxyde de carbone émise et pour laquelle le responsable n’a pas restitué de quota. L’autorité peut renoncer à infliger une amende si le responsable n’a pas pu se conformer à son obligation au titre de l’article 6, paragraphe 1, pour cause de force majeure.

(2)   Dans la mesure où le responsable n’a pas déclaré de manière correcte les émissions résultant de son activité, l’autorité compétente procède à une estimation des émissions produites par l’activité au cours de l’année civile précédente. Cette évaluation constitue une base irréfragable de l’obligation au titre de l’article 6, paragraphe 1. Il est fait abstraction de l’évaluation si le responsable satisfait de manière correcte à son obligation de déclaration dans le cadre de l’audition précédant la décision fixant l’amende visée au paragraphe 1.

(3)   Le responsable demeure tenu de restituer les quotas manquants, conformément à l’évaluation réalisée dans le cas prévu au paragraphe 2, au plus tard le 30 avril de l’année suivante. […]»

II – Les faits à l’origine du litige, la procédure au principal et la question préjudicielle

13.

Jusqu’à sa fermeture au mois de mars 2008, la société Nordzucker AG (ci‑après «Nordzucker») exploitait une fabrique de sucre. L’usine comportait un générateur de vapeur ainsi qu’une installation de séchage destinée au séchage thermique de la pulpe de betteraves.

14.

À la suite de l’introduction du système d’échange de quotas d’émission, le Bundesministerium für Umwelt, Naturschutz und Reaktorsicherheit (ministère fédéral de l’Environnement, de la Protection de la nature et de la Sûreté nucléaire, ci-après le «ministère») a informé le Verein der Zuckerindustrie (association allemande des industries sucrières), à la demande de celle-ci, dans une lettre du 17 juin 2004, que les installations de séchage, en tant que composantes nécessaires au fonctionnement des installations de l’industrie sucrière, n’étaient pas soumises au système d’échange de quotas d’émission. En revanche, en tant que dispositif auxiliaire, une chaufferie utilisée pour produire de la vapeur et de l’électricité en liaison avec une installation de fabrication ou de raffinage du sucre est soumise au système d’échange de quotas d’émission en cas de dépassement du seuil de puissance thermique nominale totale.

15.

Nordzucker a rédigé une déclaration concernant les émissions au titre de l’année 2005. Cette déclaration indique pour le générateur de vapeur une quantité totale d’émissions de 40288 tonnes de dioxyde de carbone. Cette quantité n’inclut pas les émissions imputables à la production de la vapeur nécessaire à l’exploitation du dispositif de séchage. Un expert a vérifié la déclaration, l’a évaluée comme étant satisfaisante et a donné son accord à l’inscription des émissions indiquées dans le registre d’échange de quotas d’émission. Le 16 mars 2006, la déclaration a été transmise à la Deutsche Emissionshandelsstelle (autorité allemande de gestion des échanges de quotas d’émission de gaz à effet de serre, ci-après l’«Emissionshandelsstelle») par l’intermédiaire des autorités compétentes du Land. Le 30 avril 2006, Nordzucker avait restitué à l’Emissionshandelsstelle un nombre de quotas correspondant à la quantité totale des émissions indiquée dans la déclaration.

16.

Par la suite, l’Emissionshandelsstelle a vérifié la déclaration et a invité Nordzucker à la revoir, en tenant compte notamment des émissions imputables aux installations de séchage. Nordzucker a expliqué que, sur la base de la lettre du ministère, elle estimait que les installations de séchage n’étaient pas soumises à l’échange de quotas d’émission et que, pour cette raison, elle n’était donc pas tenue de rendre compte dans sa déclaration des émissions imputables au générateur de vapeur utilisé pour l’exploitation d’une telle installation. Nordzucker a néanmoins corrigé sa déclaration tel qu’exigé par l’Emissionshandelsstelle. Nordzucker a, de ce fait, déclaré des émissions globales de 42961 tonnes de dioxyde de carbone et a restitué, le 24 avril 2007, 2673 quotas supplémentaires.

17.

Par décision du 7 décembre 2007, les autorités allemandes ont déclaré que Nordzucker devait, en vertu de l’article 18, paragraphe 1, première phrase, du TEHG, verser une amende de 106920 euros. La réclamation contre cette décision a été rejetée par une décision du 14 avril 2009.

18.

Nordzucker a contesté cette décision devant le Verwaltungsgericht (tribunal administratif, Allemagne) qui, par jugement du 11 juin 2010, a annulé la décision litigieuse. Par arrêt du 20 octobre 2011, l’Oberverwaltungsgericht (tribunal administratif supérieur) a rejeté l’appel interjeté par les autorités allemandes contre l’arrêt prononcé en première instance. Les autorités allemandes ont ensuite contesté l’arrêt de l’Oberverwaltungsgericht devant le Bundesverwaltungsgericht.

19.

Nourrissant quelques doutes quant à l’interprétation de l’article 16 de la directive 2003/87, le Bundesverwaltungsgericht a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«L’article 16, paragraphes 3 et 4, de la directive 2003/87 doit-il être interprété en ce sens qu’il y a également lieu d’infliger l’amende sur les émissions excédentaires lorsque l’exploitant a, au plus tard le 30 avril d’une année, restitué un nombre de quotas correspondant à la quantité totale des émissions indiquée dans sa déclaration concernant les émissions générées l’année précédente par l’installation et vérifiée comme étant satisfaisante par le vérificateur, mais que les autorités compétentes constatent toutefois, après le 30 avril, que la quantité totale des émissions indiquée dans cette déclaration vérifiée a été, de façon incorrecte, sous-déclarée, que la déclaration est corrigée et que l’exploitant restitue les quotas supplémentaires dans le nouveau délai?»

20.

Des observations écrites ont été soumises dans la présente affaire par Nordzucker, l’Emissionshandelsstelle, les gouvernements allemand, tchèque, néerlandais et du Royaume-Uni ainsi que par la Commission européenne. La Cour a décidé de ne pas tenir d’audience.

III – Analyse

21.

Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, à la Cour de préciser si la sanction prévue à l’article 16, paragraphe 3, de la directive 2003/87 doit s’appliquer à un exploitant qui, au 30 avril d’une année donnée, a restitué un nombre de quotas qui était égal à ses émissions durant l’année précédente telles que vérifiées conformément à l’article 15 de la directive, mais qui, à la suite d’une vérification subséquente par l’autorité nationale compétente, s’est révélé être insuffisant pour couvrir l’ensemble des émissions de l’exploitant au cours de l’année précédente.

22.

Dans sa décision de renvoi détaillée, le Bundesverwaltungsgericht explique que deux approches sont possibles et que des arguments convaincants plaident en faveur de chacune d’elles. Cette juridiction considère cependant, s’appuyant principalement sur les termes des dispositions pertinentes de la directive 2003/87 et tenant compte du principe de proportionnalité, que la réponse à la question déférée devrait être négative.

23.

Les deux approches ont été également examinées par les parties qui ont soumis des observations écrites dans le cadre de la présente procédure. D’un côté, Nordzucker, les gouvernements tchèque, néerlandais et du Royaume-Uni ainsi que la Commission soutiennent en substance que l’article 16, paragraphe 3, de la directive 2003/87 devrait être interprété de manière restrictive. Cette disposition serait donc considérée comme n’étant pas applicable à la situation décrite par la juridiction de renvoi.

24.

D’un autre côté, le gouvernement allemand et l’Emissionshandelsstelle suggèrent à la Cour de répondre à la question déférée par l’affirmative. Des parallèles peuvent selon eux être établis entre la situation dans l’affaire pendante devant la juridiction de renvoi et celle examinée par la Cour dans l’affaire Billerud Karlsborg et Billerud Skärblacka ( 6 ). Dans cette dernière affaire, la Cour a confirmé que la sanction prévue à l’article 16, paragraphe 3, de la directive 2003/87 s’appliquait automatiquement à l’égard des exploitants qui, au 30 avril d’une année donnée, n’ont pas restitué un nombre suffisant de quotas et a précisé que le montant de l’amende ne peut pas être modulé par une juridiction nationale.

25.

Comme je l’expliquerai ci-après, je suis d’avis qu’en dépit des termes quelque peu ambigus de l’article 16, paragraphe 3, de la directive 2003/87, une lecture systématique et téléologique de cette disposition plaide en faveur des arguments avancés par Nordzucker, les gouvernements tchèque, néerlandais et du Royaume-Uni ainsi que par la Commission. Bien que je comprenne les préoccupations sous-jacentes à l’interprétation de cette disposition défendue par le gouvernement allemand et l’Emissionshandelsstelle, je ne crois pas en dernière analyse que ces préoccupations soient bien fondées. De même, je ne lis pas l’arrêt rendu dans l’affaire Billerud Karlsborg et Billerud Skärblacka (EU:C:2013:664) comme soutenant la position adoptée par ces parties.

26.

Il convient de reconnaître pour commencer que le libellé de l’article 16, paragraphe 3, de la directive 2003/87 est quelque peu ambigu en ce qui concerne la nature de l’obligation qui doit être remplie sous peine de se voir infliger la sanction qui y est prévue. Cette disposition exige en fait des États membres qu’ils imposent une amende sur les émissions excédentaires à «tout exploitant qui, au plus tard le 30 avril de chaque année, ne restitue pas un nombre de quotas suffisant pour couvrir ses émissions de l’année précédente».

27.

Ainsi que la juridiction de renvoi le souligne à juste titre, aucune des interprétations proposées n’est, prima facie, incompatible avec les termes de l’article 16, paragraphe 3, de la directive 2003/87. Cette disposition ne peut donc pas être considérée comme faisant référence aux émissions générées durant l’année précédente, telles que vérifiées en vertu de l’article 15 de cette directive, ou à titre alternatif, à l’ensemble des émissions générées durant l’année précédente telles qu’établies dans la déclaration définitive, le cas échéant, après des contrôles supplémentaires des autorités nationales compétentes.

28.

Toutefois, lorsque l’article 16, paragraphe 3, de la directive 2003/87 est lu dans le bon contexte, il devient clair, selon moi, que la première interprétation est la bonne.

29.

Il convient de souligner, tout d’abord, que l’un des piliers sur lesquels repose le système établi par la directive 2003/87 est l’obligation des exploitants de restituer un nombre de quotas égal à leurs émissions totales durant l’année civile précédente. Il appartient à chaque exploitant de déclarer ses émissions aux autorités compétentes conformément aux règles et principes exposés dans les lignes directrices ad hoc adoptées par la Commission ( 7 ) (article 14, paragraphe 3, de la directive 2003/87).

30.

Toutefois, compte tenu de l’importance de cet exercice et de l’avantage financier que les exploitants pourraient potentiellement tirer d’une sous‑déclaration de leurs émissions, le législateur de l’Union a décidé que les autorités ne pouvaient pas se fonder automatiquement sur les déclarations transmises par les exploitants et que ces déclarations devaient être soumises à un processus de vérification spécifique. En vertu de l’article 15, premier alinéa, de la directive 2003/87 et de son annexe V, le vérificateur doit être «indépendant de l’exploitant, exerce[r] ses activités avec un professionnalisme sérieux et objectif» et être qualifié pour cette tâche. Il doit examiner les déclarations soumises par les exploitants et les systèmes de surveillance durant l’année précédente en vue de vérifier – en particulier – leur «fiabilité, crédibilité et précision».

31.

Cette vérification constitue une étape procédurale décisive. Si une déclaration s’avère après vérification ne pas être satisfaisante, le processus s’arrête. L’exploitant ne peut procéder à d’autres transferts de quotas avant que cette déclaration soit reconnue satisfaisante (article 15, deuxième alinéa). Si, à l’inverse, le résultat de la vérification est positif, l’exploitant a, ainsi qu’il a été indiqué plus haut, jusqu’au 30 avril de la même année pour restituer les quotas égaux aux émissions totales générées. L’article 6, paragraphe 2, sous e), et l’article 12, paragraphe 3, de la directive 2003/87 disposent expressément que l’obligation de restitution des quotas est liée aux quotas correspondant aux émissions «telles qu’elles ont été vérifiées conformément à l’article 15».

32.

La directive 2003/87 ne prévoit pas, du moins explicitement, de contrôle ou de vérification ultérieurs d’un certain nombre de quotas déjà vérifiés conformément à l’article 15. Elle ne contient pas non plus de disposition exigeant la restitution de quotas supplémentaires après le 30 avril si les autorités nationales jugent – pour quelque raison que ce soit – que ces quotas ne couvrent pas la totalité des émissions.

33.

La directive 2003/87 ne peut clairement pas être interprétée comme faisant obstacle à des contrôles supplémentaires des autorités compétentes ou à la possibilité pour un exploitant de restituer des quotas supplémentaires après le 30 avril afin de remplir son obligation de restituer un nombre suffisant de quotas d’émission. Il me semble au contraire que des dispositions nationales permettant l’une ou l’autre de ces possibilités ne pourraient que venir renforcer le système établi par la directive.

34.

La sanction prévue à l’article 16, paragraphe 3, de la directive 2003/87 est cependant nécessairement liée au manquement à l’obligation que cette disposition impose expressément à l’exploitant: restituer d’ici au 30 avril le nombre de quotas dû, tel que vérifié par un expert. Il serait paradoxal d’interpréter la directive comme exigeant d’imposer automatiquement une sanction pour un manquement à une obligation qu’elle ne spécifie pas clairement.

35.

Les lignes directrices publiées en vertu de l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2003/87 ( 8 ) viennent également confirmer que le nombre de quotas, tel que vérifié en vertu de l’article 15, est déterminant pour le fonctionnement du système établi par la directive. Le point 7.4, sixième alinéa, des lignes directrices dispose: «[s]’il a été jugé satisfaisant au terme de la vérification, l’autorité compétente utilisera le chiffre d’émissions totales de l’installation indiqué dans la déclaration pour vérifier qu’un nombre suffisant de quotas a été restitué par l’exploitant» ( 9 ).

36.

Cette lecture semble être confirmée par les travaux préparatoires de la directive 2003/87. Le point 17 de l’exposé des motifs accompagnant la proposition de directive présentée par la Commission le 23 octobre 2001 dispose que «[l]es affaires impliquant une infraction à l’obligation de restituer un nombre suffisant de quotas pour couvrir les émissions dont le rejet a été vérifié doivent être traitées d’une manière stricte et cohérente dans l’ensemble de l’[Union]. Pour ce faire, une amende serait imposée […]» ( 10 ).

37.

Il est intéressant de noter que l’article 16, paragraphe 2, de la directive 2003/87, qui concerne la publication du nom des exploitants en infraction pour ce qui est de l’obligation de restituer suffisamment de quotas faisait explicitement référence dans sa version originale, telle qu’applicable aux faits de l’espèce, à l’obligation «en vertu de l’article 12, paragraphe 3», de la directive 2003/87 ( 11 ). Clairement, il peut être soutenu que, dans la mesure où les paragraphes 2 et 3 de l’article 16 de la directive ont été, et demeurent, rédigés différemment, ceux-ci concernent différentes infractions. Le gouvernement allemand et l’Emissionshandelsstelle soutiennent, en substance, que l’article 16, paragraphe 3, de la directive 2003/87 a un champ d’application plus large que l’article 16, paragraphe 2.

38.

Cette lecture n’est toutefois pas confirmée par les travaux préparatoires. La différence de libellé entre les deux paragraphes s’explique plutôt par le fait que dans la proposition initialement soumise par la Commission, le paragraphe 2 de l’article 16 de la directive 2003/87 était destiné à s’appliquer à toutes les violations de la législation nationale adoptée pour mettre en œuvre la directive tandis que le paragraphe 3 visait à sanctionner un défaut de restituer un nombre suffisant de quotas. Le Parlement européen a cependant considéré – et la Commission a abondé dans son sens – qu’un système de stigmatisation était disproportionné dans le cas de nombreuses formes d’infractions à la directive 2003/87 dont celles concernant les mesures nationales de mise en œuvre et que ce système devait donc être limité aux cas où les exploitants n’avaient pas restitué un nombre suffisant de quotas ( 12 ).

39.

La genèse de la directive 2003/87 semble donc suggérer que la différence de libellé entre les deux paragraphes ne reflétait pas une décision du législateur de l’Union d’établir une distinction entre les types d’infractions respectivement couverts.

40.

Une confirmation supplémentaire de cette interprétation est apportée par l’arrêt rendu dans l’affaire Billerud Karlsborg et Billerud Skärblacka où la Cour a déclaré que l’obligation, prévue à l’article 6, paragraphe 2, sous e), et à l’article 12, paragraphe 3, de la directive 2003/87, de restituer un nombre de quotas égal aux émissions totales au cours de l’année civile précédente telles que vérifiées en vertu de l’article 15 est «la seule que la directive 2003/87 assortit elle‑même d’une sanction précise, alors que la sanction de tout autre comportement contraire à ses dispositions est, en vertu de l’article 16 de cette directive, laissée à la décision des États membres» ( 13 ).

41.

Une lecture différente de l’article 16, paragraphe 3, de la directive 2003/87 poserait en outre un problème en ce qui concerne la proportionnalité de la sanction prévue par cette disposition.

42.

En effet, dans l’affaire Billerud Karlsborg et Billerud Skärblacka, la Cour a également jugé que l’amende fixe et automatique prévue à l’article 16, paragraphe 3, de la directive 2003/87 était proportionnée, l’une des raisons étant que les exploitants sont en mesure de connaître le nombre exact de quotas qu’ils doivent restituer (du fait de la vérification en vertu de l’article 15) et se voient accorder un délai raisonnable pour se conformer à cette obligation. De toute évidence, un exploitant prudent ne repoussera pas l’exécution de son obligation jusqu’à la dernière minute. La Cour n’a donc pas considéré qu’en vertu du principe de proportionnalité, les juridictions nationales devaient pouvoir modifier le montant de l’amende prévue à l’article 16, paragraphe 3, de la directive 2003/87 même dans l’éventualité où la carence de l’exploitant pourrait être due à un «dysfonctionnement administratif interne» ( 14 ).

43.

La présente affaire semble cependant – eu égard aux informations qui peuvent être tirées de la décision de renvoi – plutôt différente de l’affaire susmentionnée. Nordzucker soutient ainsi que l’erreur était due au fait que l’entreprise s’était appuyée sur une lettre du ministère expliquant qu’un des types d’installations qu’elle exploitait, à savoir l’installation de séchage, n’était pas couvert par le système d’échange de quotas d’émission. La déclaration avait de plus été dûment vérifiée par un expert indépendant conformément à l’article 15 de la directive 2003/87. Ce n’est que plus tard – à savoir après le 30 avril – que les autorités allemandes ont informé Nordzucker que le nombre de quotas restitués était insuffisant dans la mesure où les émissions produites par l’installation de séchage devaient être également prises en compte aux fins de la directive.

44.

Pour autant que son comportement devrait faire l’objet de sanctions – une question qui doit être examinée par le juge national – Nordzucker était, à tout le moins, incapable, avant le 30 avril, de connaître avec suffisamment de certitude le nombre total de quotas qui devaient être restitués. L’imposition automatique d’une lourde amende dans de telles circonstances pourrait ainsi soulever de sérieuses questions de proportionnalité.

45.

D’après le gouvernement allemand et l’Emissionshandelsstelle, il serait au contraire disproportionné d’appliquer cette sanction à la moindre violation de l’obligation posée à l’article 6, paragraphe 2, sous e), et à l’article 12, paragraphe 3, de la directive 2003/87, tandis que des exploitants qui pourraient avoir induit en erreur l’expert vérifiant la déclaration (en communiquant, par exemple, des données trompeuses ou en adoptant un autre comportement frauduleux) échapperaient à la sanction.

46.

Je ne saurais souscrire à cette opinion. Le fait que la sanction prévue à l’article 16, paragraphe 3, de la directive 2003/87 ne s’applique pas ne signifie pas qu’aucune sanction quelle qu’elle soit ne peut être imposée à ces exploitants. En effet, l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2003/87 dispose que les États membres doivent déterminer le régime de sanctions applicable aux violations des dispositions nationales prises en application de la directive et que les sanctions doivent être «effectives, proportionnées et dissuasives» ( 15 ).

47.

Il appartient donc aux autorités nationales de déterminer les sanctions qui pourraient être imposées aux exploitants qui, bien qu’ils se conforment à l’obligation posée à l’article 6, paragraphe 2, sous e), et à l’article 12, paragraphe 3, de la directive 2003/87, commettent d’autres types d’infractions qui gênent le bon fonctionnement du système d’échange de quotas d’émission établi par la directive. Ces sanctions doivent, d’une part, être effectives et dissuasives: cela signifie selon moi que le comportement frauduleux comme celui évoqué par le gouvernement allemand et l’Emissionshandelsstelle peut (et devrait) faire l’objet de lourdes amendes. Ces sanctions doivent, d’autre part, être proportionnées: cela implique que les situations comme celle dans laquelle se trouve Nordzucker doivent faire l’objet d’une appréciation dans le cadre de laquelle toutes les circonstances de fait pertinentes sont prises en compte afin de se prononcer sur le an debeatur et quantum debeatur de la sanction (comme notamment la bonne foi de l’entreprise ou le point de savoir si l’entreprise a été induite en erreur par les autorités elles-mêmes).

48.

J’en conclus que le type d’erreur commise par Nordzucker n’est pas couvert par l’article 16, paragraphe 3, de la directive 2003/87 mais relève, le cas échéant, du champ d’application de son article 16, paragraphe 1.

IV – Conclusion

49.

Eu égard aux considérations qui précèdent, je suggère à la Cour de répondre comme suit à la question déférée par le Bundesverwaltungsgericht:

L’amende prévue à l’article 16, paragraphe 3, de la directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 octobre 2003, établissant un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre dans la Communauté et modifiant la directive 96/61/CE du Conseil ne doit pas être appliquée à un exploitant qui, au 30 avril d’une année donnée, a restitué un nombre de quotas égal à ses émissions durant l’année précédente telles que vérifiées en vertu de l’article 15 de la directive 2003/87, mais qui, à la suite d’un contrôle subséquent par les autorités nationales compétentes, a été jugé insuffisant pour couvrir toutes les émissions de l’exploitant durant l’année précédente. Il appartient à l’État membre de déterminer le régime de sanction applicable, là où cela est approprié, à ces types d’infractions. Les sanctions prévues doivent être effectives, proportionnées et dissuasives.


( 1 ) Langue originale: l’anglais.

( 2 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 13 octobre 2003 établissant un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre dans la Communauté et modifiant la directive 96/61/CE du Conseil (JO L 275, p. 32).

( 3 ) Voir considérants 3 à 5 de la directive 2003/87.

( 4 ) La directive 2003/87 a été modifiée plusieurs fois entre-temps. Il semble néanmoins qu’aucune des modifications subséquentes n’ait la moindre pertinence pour la présente procédure.

( 5 ) BGBl. I, p. 1578.

( 6 ) Arrêt C‑203/12, EU:C:2013:664.

( 7 ) Décision 2004/156/CE de la Commission, du 29 janvier 2004, concernant l’adoption de lignes directrices pour la surveillance et la déclaration des émissions de gaz à effet de serre, conformément à la directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil (JO L 59, p. 1, ci‑après les «lignes directrices»).

( 8 ) Idem.

( 9 ) Mise en italique par mes soins. Il convient de souligner dans ce contexte que les lignes directrices ont été adoptées, non en tant qu’acte de «soft law», mais, ainsi qu’il a été mentionné à la note en bas de page 6, en tant que décision de la Commission et donc sous la forme d’un acte produisant des effets de droit.

( 10 ) COM(2001) 581 final. Mise en italique par mes soins.

( 11 ) Dans sa version actuelle, l’article 16, paragraphe 2, de la directive 2003/87 fait référence à l’«exigence de restituer suffisamment de quotas en vertu de la présente directive» (mise en italique par mes soins). Cette modification a été introduite par la directive 2008/101/CE du Parlement européen et du Conseil, du 19 novembre 2008, modifiant la directive 2003/87/CE afin d’intégrer les activités aériennes dans le système communautaire d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre (JO 2009, L 8, p. 3) qui a étendu le système d’échange de quotas d’émission aux activités aéronautiques. Cette modification était destinée à refléter le champ d’application plus large de la directive. Toutefois, ainsi que le gouvernement du Royaume-Uni l’a souligné à juste titre, la modification de l’article 16, paragraphe 2, n’a rien changé aux obligations des exploitants d’installations.

( 12 ) Rapport du Parlement européen du 13 septembre 2002 sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil établissant un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre dans la Communauté et modifiant la directive 96/61/CE du Conseil (final A5‑0303/2002, p. 28).

( 13 ) EU:C:2013:664, point 25 (mise en italique par mes soins).

( 14 ) Ibidem (points 19, 33 et 42).

( 15 ) Mise en italique par mes soins.