ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)
3 septembre 2015 ( *1 )
«Renvoi préjudiciel — Fiscalité — Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) — Directive 2006/112/CE — Article 148, sous a) — Livraison de biens — Notion — Exonération — Livraisons de biens destinés à l’avitaillement des bateaux affectés à la navigation en haute mer — Livraisons à des intermédiaires agissant en leur nom propre»
Dans l’affaire C‑526/13,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Mokestinių ginčų komisija prie Lietuvos Respublikos Vyriausybės (Lituanie), par décision du 30 septembre 2013, parvenue à la Cour le 7 octobre 2013, dans la procédure
«Fast Bunkering Klaipėda» UAB
contre
Valstybinė mokesčių inspekcija prie Lietuvos Respublikos finansų ministerijos,
LA COUR (quatrième chambre),
composée de M. L. Bay Larsen, président de chambre, Mme K. Jürimäe, MM. J. Malenovský (rapporteur), M. Safjan et Mme A. Prechal, juges,
avocat général: Mme E. Sharpston,
greffier: M. M. Aleksejev, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 4 décembre 2014,
considérant les observations présentées:
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pour «Fast Bunkering Klaipėda» UAB, par Me I. Misiūnas, atstovas, |
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pour le gouvernement lituanien, par M. D. Kriaučiūnas ainsi que par Mmes R. Krasuckaitė et D. Stepanienė, en qualité d’agents, |
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pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de Mmes C. Colelli et A. Collabolletta, avvocati dello Stato, |
— |
pour la Commission européenne, par Mmes C. Soulay et A. Steiblytė, en qualité d’agents, |
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 5 mars 2015,
rend le présent
Arrêt
1 |
La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 148, sous a), de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO L 347, p. 1). |
2 |
Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant «Fast Bunkering Klaipėda» UAB (ci‑après «FBK») à la Valstybinė mokesčių inspekcija prie Lietuvos Respublikos finansų ministerijos (direction nationale des impôts auprès du ministère des Finances de la République de Lituanie) au sujet du statut de la livraison de carburant effectuée à des intermédiaires agissant en leur nom propre au regard de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). |
Le cadre juridique
Le droit international
3 |
La convention relative à l’aviation civile internationale, signée à Chicago (États‑Unis) le 7 décembre 1944, a été ratifiée par tous les États membres de l’Union européenne, cette dernière n’étant toutefois pas elle‑même partie à ladite convention. Cette convention prévoit notamment des règles relatives à l’immatriculation des aéronefs ainsi qu’aux autorisations de vols. |
Le droit de l’Union
4 |
La directive 2006/112 a abrogé et remplacé, à compter du 1er janvier 2007, la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1, ci‑après la «sixième directive»). |
5 |
L’article 14 de la directive 2006/112 prévoit: «1. Est considéré comme ‘livraison de biens’, le transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire. 2. Outre l’opération visée au paragraphe 1, sont considérées comme livraison de biens les opérations suivantes: [...]
[...]» |
6 |
L’article 131 de cette directive dispose: «Les exonérations prévues aux chapitres 2 à 9 s’appliquent [...] dans les conditions que les États membres fixent en vue d’assurer l’application correcte et simple desdites exonérations et de prévenir toute fraude, évasion et [tout] abus éventuels.» |
7 |
L’article 146, paragraphe 1, de la directive 2006/112 mentionne: «Les États membres exonèrent les opérations suivantes:
[...]» |
8 |
L’article 148, sous a), de la directive 2006/112 reprend, en des termes analogues, les dispositions de l’article 15, point 4, de la sixième directive. Cet article 148 prévoit: «Les États membres exonèrent les opérations suivantes:
[...]
[...]» |
Le droit lituanien
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L’article 44 de la loi de la République de Lituanie no IX‑751, du 5 mars 2002, relative à la taxe sur la valeur ajoutée (Žin., 2002, no 35‑1271), telle que modifiée par la loi no X‑261, du 21 juin 2005 (Žin., 2005, no 81‑2944, ci‑après la «loi sur la TVA»), prévoit: «1. Sont taxées au taux de 0 % les livraisons de biens destinés à l’avitaillement des bateaux visés à l’article 43, paragraphe 1, de la présente loi [à savoir les ‘bateaux de mer, destinés au transport international de passagers et/ou de marchandises et/ou à la prestation à titre onéreux d’autres services’] [...] [...] 3. Aux fins de la présente loi, sont considérés comme biens d’avitaillement [...] le combustible (carburant) et les lubrifiants. [...]» |
Les faits au principal et la question préjudicielle
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FBK est identifiée à la TVA en Lituanie. |
11 |
Entre le 1er octobre 2008 et le 31 décembre 2011, FBK a avitaillé en carburant, dans les eaux territoriales lituaniennes, des bateaux affectés à la navigation en haute mer. Le carburant en cause provenait d’États tiers et était entreposé en Lituanie sous le régime de l’entrepôt douanier. En application de ce régime, la perception de la TVA due pour l’importation de ce carburant était suspendue tant que celui‑ci n’était pas mis en libre pratique dans l’Union européenne. |
12 |
Lorsque FBK recevait une commande, le carburant correspondant était sorti de l’entrepôt douanier et FBK accomplissait les formalités nécessaires. Le carburant était ensuite vendu «sans frais à bord», c’est‑à‑dire sans les frais de transport et les autres frais et taxes y afférents ainsi que sans les assurances, et FBK le chargeait elle‑même dans les réservoirs des bateaux. |
13 |
Les commandes étaient cependant adressées à FBK non pas par les exploitants des bateaux, mais par des intermédiaires, établis dans différents États membres, auxquels FBK facturait les ventes. Ces intermédiaires agissaient en leur nom propre, tant à l’égard de FBK qu’à l’égard des exploitants de ces bateaux, achetant à la première et revendant à ces derniers. Lors de l’audience, le représentant de FBK a expliqué que lesdits intermédiaires ne prenaient jamais physiquement livraison de la moindre quantité de carburant, leur rôle étant essentiellement de centraliser les commandes et de garantir le paiement du carburant livré. Ce n’était qu’une fois le carburant chargé dans les réservoirs des bateaux que FBK était en mesure de déterminer la quantité effectivement transférée et ainsi d’établir la facture correspondante. |
14 |
Partant du principe que la vente du carburant en cause était exonérée de la TVA, en application de la législation lituanienne transposant l’article 148, sous a), de la directive 2006/112, FBK a appliqué à ces livraisons de carburant un taux de TVA de 0 %. |
15 |
À la suite d’un contrôle fiscal portant sur la période mentionnée au point 11 du présent arrêt, la Klaipėdos apskrities valstybinė mokesčių inspekcija (Inspection des impôts du district de Klaipėda) a établi, le 15 février 2013, un rapport à l’occasion duquel elle indique considérer que, le carburant en cause ayant été vendu non pas directement par FBK aux exploitants des bateaux, mais à des intermédiaires agissant en leur nom propre, ces derniers doivent être considérés comme ayant revendu le carburant auxdits exploitants. Par conséquent, FBK n’aurait pas pu appliquer l’exonération prévue à l’article 44, paragraphe 1, de la loi sur la TVA, car cette exonération ne s’applique qu’en cas de livraison de biens aux exploitants de bateaux de mer destinés au transport international de passagers et/ou de marchandises. |
16 |
Par décision du 26 mars 2013, sur la base du rapport établi le 15 février 2013, la Klaipėdos apskrities valstybinė mokesčių inspekcija a procédé au redressement de la déclaration de FBK à hauteur, pour ce qui est de l’application d’un taux de TVA de 0 % aux livraisons litigieuses de carburant, de 37847771 litas lituaniens (LTL), soit environ 11 millions d’euros. |
17 |
Le 15 avril 2013, FBK a introduit une réclamation contre la décision de la Klaipėdos apskrities valstybinė mokesčių inspekcija auprès de la Valstybinė mokesčių inspekcija prie Lietuvos Respublikos finansų ministerijos. |
18 |
Par décision du 27 juin 2013, la Valstybinė mokesčių inspekcija prie Lietuvos Respublikos finansų ministerijos a rejeté cette réclamation au motif que, selon la jurisprudence de la Cour issue des arrêts Velker International Oil Company (C‑185/89, EU:C:1990:262) et Elmeka (C‑181/04 à C‑183/04, EU:C:2006:563), l’exonération prévue à l’article 148, sous a), de la directive 2006/112 pour les livraisons de biens destinés à l’avitaillement de bateaux affectés à la navigation en haute mer, dont l’article 44, paragraphe 1, de la loi sur la TVA est la transposition, ne peut s’appliquer qu’au dernier stade de la chaîne de commercialisation des biens en cause, lors de leur livraison à l’exploitant des bateaux qui les utilisera. |
19 |
Le 30 juillet 2013, FBK a introduit un recours contre cette décision devant la Mokestinių ginčų komisija prie Lietuvos Respublikos Vyriausybės (commission des litiges fiscaux auprès du gouvernement de la République de Lituanie). |
20 |
Cette juridiction considère qu’il existe un doute quant à savoir s’il est possible d’appliquer le raisonnement suivi par la Cour dans l’arrêt Velker International Oil Company (C‑185/89, EU:C:1990:262) à une situation où, d’une part, les biens en cause sont chargés dans les réservoirs des bateaux qui les utiliseront par un assujetti et où, d’autre part, des contrôles suffisants étaient, de fait, en place, permettant de garantir l’utilisation effective des biens destinés à l’avitaillement des bateaux affectés à la navigation en haute mer. En effet, dans l’arrêt A (C‑33/11, EU:C:2012:482), la Cour aurait admis que l’exonération, prévue à l’actuel article 148, sous f), de la directive 2006/112, pour les livraisons d’aéronefs puisse s’appliquer à des livraisons antérieures au stade final de la chaîne de commercialisation, au motif, notamment, que, compte tenu du type de biens en cause ainsi que, notamment, des mécanismes d’enregistrement et d’autorisation auxquels est subordonnée leur exploitation, cette extension de l’exonération ne paraît pas de nature à engendrer, pour les États et les opérateurs concernés, des contraintes qui seraient inconciliables avec l’application correcte et simple des exonérations, prescrite à l’actuel article 131 de la directive 2006/112. |
21 |
C’est dans ce contexte que la Mokestinių ginčų komisija prie Lietuvos Respublikos Vyriausybės a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante: «Convient‑il d’interpréter l’article 148, sous a), de la directive 2006/112 en ce sens que la disposition relative à l’exonération de la TVA qui y est énoncée est applicable non seulement aux livraisons de biens d’avitaillement faites à l’exploitant d’un bateau affecté à la navigation en haute mer, lequel utilise ces biens comme tels, mais également aux livraisons faites à des personnes autres que cet exploitant, c’est‑à‑dire à des intermédiaires agissant en leur nom propre, lorsque, au moment de la livraison, la destination finale des biens est connue d’avance et dûment établie et que les preuves le confirmant sont présentées à l’administration fiscale, comme l’exige la réglementation?» |
Sur la question préjudicielle
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Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 148, sous a), de la directive 2006/112 doit être interprété en ce sens que l’exonération prévue à cette disposition est applicable aux livraisons de biens destinés à l’avitaillement faites à des intermédiaires agissant en leur nom propre, lorsque, à la date de la livraison, la destination finale des biens est connue, dûment établie et que des preuves la confirmant sont présentées à l’administration fiscale, conformément à une réglementation nationale. |
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Il convient de rappeler que l’article 148, sous a), de la directive 2006/112 prévoit que sont exonérées de TVA les livraisons de biens destinés à l’avitaillement des bateaux affectés à la navigation en haute mer et assurant un trafic rémunéré de voyageurs ou à l’exercice d’une activité commerciale, industrielle ou de pêche. |
24 |
Il y a lieu, d’emblée, de relever que cette disposition est rédigée dans les mêmes termes que l’article 15, point 4, de la sixième directive que la directive 2006/112 a abrogée et remplacée. |
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En conséquence, la jurisprudence de la Cour relative à l’article 15, point 4, de la sixième directive est, en principe, pertinente pour l’interprétation de l’article 148, sous a), de la directive 2006/112. |
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Or, selon cette jurisprudence, les opérations d’avitaillement des bateaux affectés à la navigation en haute mer sont exonérées en raison du fait qu’elles sont assimilées à des opérations à l’exportation (arrêt Velker International Oil Company, C‑185/89, EU:C:1990:262, point 21). |
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Par conséquent, de même que l’exonération prévue pour les opérations à l’exportation s’applique exclusivement aux livraisons finales de biens exportés par le vendeur ou pour son compte, l’exonération prévue à l’article 148, sous a), de la directive 2006/112 ne peut être étendue aux livraisons de ces biens faites à un stade antérieur de commercialisation (voir, en ce sens, arrêt Velker International Oil Company, C‑185/89, EU:C:1990:262, point 22). |
28 |
Une telle conclusion est d’ailleurs corroborée par la circonstance que l’extension de l’exonération aux stades antérieurs à la livraison finale des biens à l’exploitant des bateaux qui les utilisera pour leur avitaillement exigerait des États qu’ils mettent en place des mécanismes de contrôle et de surveillance en vue de s’assurer de la destination ultime de ces biens livrés en exonération de taxe. Loin d’entraîner une simplification administrative, ces mécanismes se traduiraient, pour les États et pour les assujettis concernés, par des contraintes qui seraient inconciliables avec l’application correcte et simple des exonérations, prescrite à l’article 131 de la directive 2006/112 (voir, en ce sens, arrêt Velker International Oil Company, C‑185/89, EU:C:1990:262, point 24). |
29 |
Il en résulte que, pour bénéficier de l’exonération prévue à l’article 148, sous a), de la directive 2006/112, une livraison de biens destinés à l’avitaillement doit être faite à l’exploitant des bateaux affectés à la navigation en haute mer qui les utilisera et doit, en conséquence, intervenir au stade final de la chaîne de commercialisation de ces biens. |
30 |
Aussi convient‑il d’examiner si une livraison de biens destinés à l’avitaillement à des intermédiaires agissant en leur nom propre, tels que ceux au principal, satisfait aux conditions énoncées aux points précédents. |
31 |
À cet égard, il y a lieu de relever que la directive 2006/112 n’emploie pas la notion d’intermédiaire agissant en leur nom propre. |
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Cela étant, il ressort de l’article 14, paragraphe 2, sous c), de cette directive que la transmission d’un bien effectuée en vertu d’un contrat de commission à l’achat ou à la vente doit être considérée comme une livraison de biens. |
33 |
Or, un contrat de commission constitue, en principe, un accord par lequel un intermédiaire s’engage à accomplir en son nom propre, mais pour le compte d’une tierce personne, une ou plusieurs opérations juridiques. |
34 |
En conséquence, une livraison de biens destinés à l’avitaillement faite à des intermédiaires agissant en leur nom propre, même lorsque ces derniers agissent pour le compte des exploitants des bateaux qui les utiliseront, doit être distinguée, aux fins de l’article 148, sous a), de la directive 2006/112, d’une livraison faite à ces exploitants. |
35 |
Ainsi, une livraison de biens faite à un intermédiaire agissant en son nom propre n’intervient pas au dernier stade de la chaîne de commercialisation de ces biens, étant donné que celui‑ci est censé les acquérir non pour les utiliser, mais pour les revendre à un tiers. |
36 |
Il en résulte qu’une livraison de biens destinés à l’avitaillement faite à des intermédiaires agissant en leur nom propre, tels que ceux en cause au principal, ne saurait, en principe, être considérée comme une livraison telle que celle visée à l’article 148, sous a), de la directive 2006/112 et dès lors bénéficier de l’exonération prévue à cette disposition. |
37 |
La Cour a pourtant admis, certes dans le contexte de l’article 15, point 6, de la sixième directive, dont les dispositions sont reprises quasiment à l’identique à l’article 148, sous f), de la directive 2006/112, que l’exonération prévue à cette disposition peut s’appliquer à la livraison d’un aéronef faite à un opérateur qui n’est pas lui‑même une compagnie de navigation aérienne pratiquant essentiellement un trafic aérien international rémunéré, mais qui l’acquiert aux fins de son utilisation exclusive par une telle compagnie sans transférer à cette dernière le pouvoir de disposer de l’aéronef comme un propriétaire, lorsque cette utilisation est connue et dûment établie. À cet égard, la Cour a notamment souligné que, compte tenu du type de bien en cause ainsi que, notamment, des mécanismes d’enregistrement et d’autorisation auxquels est subordonnée son exploitation, la vérification du caractère effectif d’une telle utilisation n’est pas de nature à engendrer, pour les États et les opérateurs concernés, des contraintes qui seraient inconciliables avec l’application correcte et simple des exonérations (voir, en ce sens, arrêt A, C‑33/11, EU:C:2012:482, points 56 et 57). |
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La juridiction de renvoi s’interroge sur le point de savoir si cette jurisprudence est pertinente aux fins de l’interprétation de l’article 148, sous a), de la directive 2006/112 et si elle peut conduire à l’application de ladite disposition à des livraisons de biens destinés à l’avitaillement faites à des intermédiaires agissant en leur nom propre, lorsque la destination finale de ces biens est connue à la date de la livraison, dûment établie et que des preuves la confirmant sont présentées à l’administration fiscale, conformément à une réglementation nationale. |
39 |
À cet égard, il convient de rappeler, à titre liminaire, que, au point 53 de l’arrêt A (C‑33/11, EU:C:2012:482), la Cour a expressément relevé que, s’agissant de l’interprétation de l’article 15, point 6, de la sixième directive, disposition dont le texte est identique à celui de l’article 148, sous f), de la directive 2006/112, il n’y avait pas lieu de transposer les solutions retenues dans l’arrêt Velker International Oil Company (C‑185/89, EU:C:1990:262) à propos de l’interprétation de l’article 15, point 4, de la sixième directive, disposition dont le texte est identique à l’article 148, sous a), de la directive 2006/112. |
40 |
Ensuite, il y a lieu de relever que, si les exonérations prévues à l’article 148, sous a) et f), de la directive 2006/112 ont en commun que leur application dépend de l’utilisation qui sera faite des biens concernés, il n’en demeure pas moins que les biens visés, à savoir du carburant dans la première hypothèse et un aéronef dans la seconde, ont des natures radicalement différentes de sorte qu’une éventuelle analogie entre les deux régimes d’exonération qui y correspondent ne s’impose aucunement. |
41 |
Par ailleurs, les exonérations de TVA visées à l’article 148 de la directive 2006/112 constituent des notions autonomes du droit de l’Union qui doivent, par conséquent, faire l’objet d’une interprétation et d’une application uniforme dans l’ensemble de l’Union (voir, en ce sens, arrêt Unterpertinger, C‑212/01, EU:C:2003:625, point 34). |
42 |
Dans l’arrêt A (C‑33/11, EU:C:2012:482), la Cour s’est ainsi notamment fondée, pour parvenir à la conclusion selon laquelle l’exonération en cause pouvait être appliquée à la livraison d’un aéronef faite dans les conditions précisées au point 37 du présent arrêt, sur l’existence de règles relatives à l’immatriculation ainsi qu’aux autorisations de vols existant dans l’ensemble des États membres en raison, notamment, de l’appartenance de tous ces États à la convention relative à l’aviation civile internationale mentionnée au point 3 du présent arrêt. |
43 |
Or, il n’est pas établi qu’il existe, dans l’ensemble des États membres, des règles ou des mécanismes d’autorisations communs permettant de garantir l’utilisation effective des biens destinés à l’avitaillement par des bateaux affectés à la navigation en haute mer. |
44 |
Il en découle que l’application uniforme de l’article 148, sous a), de la directive 2006/112 ne pourrait pas être garantie, sans remettre en cause l’objectif de simplification administrative mentionné au point 28 du présent arrêt, si cette disposition devait être interprétée comme s’appliquant à des livraisons de biens faites à des opérateurs économiques qui ne sont pas des exploitants de bateaux affectés à la navigation en haute mer, mais qui les acquièrent aux fins de leur utilisation exclusive par de tels exploitants, et ce même si cette destination est connue, dûment établie et que des preuves la confirmant sont présentées à l’administration fiscale, conformément à une réglementation nationale. |
45 |
Par conséquent, quand bien même certains États, comme cela semble être le cas de la République de Lituanie, auraient mis individuellement en place des mécanismes visant à garantir l’utilisation effective des biens destinés à l’avitaillement par des bateaux affectés à la navigation en haute mer, la jurisprudence exposée au point 37 du présent arrêt ne saurait être considérée comme pertinente pour interpréter l’article 148, sous a), de la directive 2006/112. |
46 |
Il résulte de ce qui précède que l’exonération prévue à l’article 148, sous a), de la directive 2006/112 n’est, en principe, pas applicable aux livraisons faites à des intermédiaires agissant en leur nom propre, même si, à la date de la livraison, la destination finale des biens est connue, dûment établie et que des preuves la confirmant sont présentées à l’administration fiscale, conformément à une réglementation nationale. |
47 |
Cela étant, il ressort du dossier dont la Cour dispose ainsi que des explications fournies par le représentant de FBK lors de l’audience que, dans l’affaire au principal, FBK chargeait elle‑même le carburant directement dans les réservoirs des bateaux auxquels ce combustible était destiné. Elle adressait ensuite la facture correspondante à des intermédiaires agissant en leur nom propre, étant donné que ce n’est qu’à l’issue du chargement que la quantité précise du carburant ainsi livrée pouvait être déterminée. |
48 |
Dans ces conditions, il ne peut pas être exclu que le transfert de la propriété du carburant à ces intermédiaires ne se réalise qu’à l’issue du chargement. S’il en est ainsi, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, il y a lieu de relever qu’un tel transfert de la propriété est survenu au plus tôt concomitamment au moment où les exploitants des bateaux se sont vu habiliter à disposer du carburant, en fait, comme s’ils en étaient les propriétaires. |
49 |
En effet, ainsi que Mme l’avocat général l’a relevé aux points 42 à 44 de ses conclusions, à compter du moment où un carburant est chargé dans le réservoir d’un bateau, son exploitant est normalement censé être habilité à en disposer, en fait, comme s’il en était le propriétaire. |
50 |
Par conséquent, il doit être constaté que, dans de telles conditions, bien que, selon les formes prévues par le droit national applicable, la propriété du carburant ait été formellement transférée aux intermédiaires et que ces derniers soient supposés avoir agi en leur nom propre, à aucun moment ces intermédiaires n’ont été en mesure de disposer des quantités livrées, le pouvoir d’en disposer ayant appartenu aux exploitants des bateaux dès ledit chargement du carburant par FBK. |
51 |
Or, pour qu’une opération puisse être qualifiée de livraison de biens faite à une personne au sens de l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2006/112, il est nécessaire que ladite opération ait eu pour effet d’habiliter cette personne à en disposer, en fait, comme si elle en était le propriétaire. En effet, selon une jurisprudence constante, la notion de «livraison de biens» visée à cette disposition ne se réfère pas au transfert de propriété dans les formes prévues par le droit national applicable, mais elle inclut toute opération de transfert d’un bien corporel par une partie qui habilite l’autre partie à en disposer, en fait, comme si elle était le propriétaire de ce bien (arrêt Evita‑K, C‑78/12, EU:C:2013:486, point 33 et jurisprudence citée). |
52 |
Il s’ensuit que, dans l’hypothèse évoquée au point 48 du présent arrêt, les opérations réalisées par un opérateur économique, tel que FBK, ne sauraient être qualifiées de livraisons faites à des intermédiaires agissant en leur nom propre, mais devraient être regardées comme constituant des livraisons faites directement à des exploitants de bateaux, susceptibles, à ce titre, de bénéficier de l’exonération prévue à l’article 148, sous a), de la directive 2006/112. |
53 |
Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 148, sous a), de la directive 2006/112 doit être interprété en ce sens que l’exonération prévue à cette disposition n’est, en principe, pas applicable aux livraisons de biens destinés à l’avitaillement faites à des intermédiaires agissant en leur nom propre, même si, à la date de la livraison, la destination finale des biens est connue, dûment établie et que des preuves la confirmant sont présentées à l’administration fiscale, conformément à une réglementation nationale. Toutefois, dans des circonstances telles que celles au principal, ladite exonération peut s’appliquer si le transfert auxdits intermédiaires de la propriété des biens concernés dans les formes prévues par le droit national applicable est intervenu au plus tôt concomitamment au moment où les exploitants des bateaux affectés à la navigation en haute mer se sont vu habiliter à disposer de ces biens, en fait, comme s’ils en étaient les propriétaires, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier. |
Sur les dépens
54 |
La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle‑ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement. |
Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit: |
L’article 148, sous a), de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, doit être interprété en ce sens que l’exonération prévue à cette disposition n’est, en principe, pas applicable aux livraisons de biens destinés à l’avitaillement faites à des intermédiaires agissant en leur nom propre, même si, à la date de la livraison, la destination finale des biens est connue, dûment établie et que des preuves la confirmant sont présentées à l’administration fiscale, conformément à une réglementation nationale. Toutefois, dans des circonstances telles que celles au principal, ladite exonération peut s’appliquer si le transfert auxdits intermédiaires de la propriété des biens concernés dans les formes prévues par le droit national applicable est intervenu au plus tôt concomitamment au moment où les exploitants des bateaux affectés à la navigation en haute mer se sont vu habiliter à disposer de ces biens, en fait, comme s’ils en étaient les propriétaires, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier. |
Signatures |
( *1 ) Langue de procédure: le lituanien.