Affaire C‑461/13

Bund für Umwelt und Naturschutz Deutschland eV

contre

Bundesrepublik Deutschland

(demande de décision préjudicielle, introduite par le Bundesverwaltungsgericht)

«Renvoi préjudiciel — Environnement — Politique de l’Union européenne dans le domaine de l’eau — Directive 2000/60/CE — Article 4, paragraphe 1 — Objectifs environnementaux relatifs aux eaux de surface — Détérioration de l’état d’une masse d’eau de surface — Projet d’aménagement d’une voie navigable — Obligation des États membres de ne pas autoriser un projet susceptible de provoquer une détérioration de l’état d’une masse d’eau de surface — Critères déterminants pour apprécier l’existence d’une détérioration de l’état d’une masse d’eau»

Sommaire – Arrêt de la Cour (grande chambre) du 1er juillet 2015

  1. Environnement — Politique de l’Union dans le domaine de l’eau — Directive 2000/60 — Objectifs environnementaux relatifs aux eaux de surface — Caractère contraignant des dispositions établissant ces objectifs et obligation des États membres de les atteindre

    [Directive du Parlement européen et du Conseil 2000/60, art. 3, 4, § 1, a), i à iii), et 7, 5, 8, 11 et 13 et annexe V]

  2. Environnement — Politique de l’Union dans le domaine de l’eau — Directive 2000/60 — Caractère de directive-cadre — Harmonisation complète des législations nationales — Absence

    [Art. 175, § 1, CE (devenu art. 192, § 1, TFUE); directive du Parlement européen et du Conseil 2000/60]

  3. Environnement — Politique de l’Union dans le domaine de l’eau — Directive 2000/60 — Objectifs environnementaux relatifs aux eaux de surface — Notion de détérioration de l’état d’une masse d’eau de surface

    [Directive du Parlement européen et du Conseil 2000/60, art. 4, § 1, a), i), et 7]

  1.  L’article 4, paragraphe 1, sous a), i) à iii), de la directive 2000/60, établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l’eau, doit être interprété en ce sens que les États membres sont tenus, sous réserve de l’octroi d’une dérogation, de refuser l’autorisation d’un projet particulier lorsqu’il est susceptible de provoquer une détérioration de l’état d’une masse d’eau de surface ou lorsqu’il compromet l’obtention d’un bon état des eaux de surface ou d’un bon potentiel écologique et d’un bon état chimique de telles eaux à la date prévue par cette directive.

    En premier lieu, le libellé de l’article 4, paragraphe 1, sous a), i), de la directive étaye le caractère contraignant de cette disposition. En effet, le renvoi qui y est effectué à la mise en œuvre, par les États membres, des mesures nécessaires pour prévenir la détérioration de l’état de toutes les masses d’eau de surface comporte une obligation pour ceux-ci d’agir en ce sens. Une autorisation d’un projet particulier est comprise comme une telle mise en œuvre.

    En deuxième lieu, l’article 4, paragraphe 1, de ladite directive impose deux objectifs distincts, quoique intrinsèquement liés. D’une part, conformément à l’article 4, paragraphe 1, sous a), i), les États membres mettent en œuvre les mesures nécessaires pour prévenir la détérioration de l’état de toutes les masses d’eau de surface (obligation de prévenir la détérioration). D’autre part, en application de cet article 4, paragraphe 1, sous a), ii) et iii), les États membres protègent, améliorent et restaurent toutes les masses d’eau de surface afin de parvenir à un bon état au plus tard à la fin de l’année 2015 (obligation d’amélioration). Ces obligations visent à réaliser les objectifs qualitatifs recherchés par le législateur de l’Union, à savoir la préservation ou la restauration d’un bon état, d’un bon potentiel écologique et d’un bon état chimique des eaux de surfaces.

    Par ailleurs, afin d’assurer la réalisation par les États membres de ces objectifs environnementaux, la directive 2000/60 prévoit une série de dispositions, notamment celles des articles 3, 5, 8, 11 et 13 de cette directive, ainsi que de l’annexe V de celle-ci, établissant un processus complexe et comportant plusieurs étapes réglementées en détail, en vue de permettre aux États membres de mettre en œuvre les mesures nécessaires, en fonction des spécificités et des caractéristiques des masses d’eau identifiées sur leurs territoires. Ces éléments confortent l’interprétation selon laquelle l’article 4, paragraphe 1, sous a), de cette directive ne se limite pas à énoncer, selon une formulation programmatique, de simples objectifs de planification de gestion, mais déploie des effets contraignants, une fois déterminé l’état écologique de la masse d’eau concernée, à chaque étape de la procédure prescrite par cette directive.

    En troisième lieu, il en va de même s’agissant du régime des dérogations prévu à l’article 4, paragraphe 7, de ladite directive. Notamment, la structure des catégories de dérogation prévues à l’article 4, paragraphe 7, de cette directive permet de considérer que ledit article 4 ne contient pas uniquement des obligations de principe, mais qu’il concerne également des projets particuliers.

    Cette obligation de prévenir la détérioration de l’état des masses d’eau s’est vue conférer par le législateur de l’Union un statut autonome et ne se limite pas à un instrument mis au service de l’obligation d’amélioration de l’état des masses d’eau. Elle reste contraignante à chaque stade de la mise en œuvre de la directive 2000/60 et est applicable à tout type et à tout état de masse d’eau de surface pour lequel un plan de gestion a été ou aurait dû être adopté.

    (cf. points 31, 32, 39, 41-44, 47, 49-51, disp. 1)

  2.  La directive 2000/60, établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l’eau, est une directive-cadre adoptée sur le fondement de l’article 175, paragraphe 1, CE (devenu article 192, paragraphe 1, TFUE). Elle établit des principes communs et un cadre global d’action pour la protection des eaux et assure la coordination, l’intégration ainsi que, à plus long terme, le développement des principes généraux et des structures permettant la protection et une utilisation écologiquement viable de l’eau dans l’Union européenne. Les principes communs et le cadre global d’action qu’elle arrête doivent être développés ultérieurement par les États membres au moyen de l’adoption de mesures particulières conformément aux délais prévus par cette directive. Cette dernière ne vise toutefois pas une harmonisation totale de la réglementation des États membres dans le domaine de l’eau.

    (cf. point 34)

  3.  La notion de «détérioration de l’état» d’une masse d’eau de surface, figurant à l’article 4, paragraphe 1, sous a), i), de la directive 2000/60, établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l’eau, doit être interprétée en ce sens qu’il y a détérioration dès que l’état d’au moins l’un des éléments de qualité, au sens de l’annexe V de cette directive, se dégrade d’une classe, même si cette dégradation ne se traduit pas par une dégradation de classement, dans son ensemble, de la masse d’eau de surface. Cependant, si l’élément de qualité concerné, au sens de cette annexe, figure déjà dans la classe la plus basse, toute dégradation de cet élément constitue une détérioration de l’état d’une masse d’eau de surface, au sens de cet article 4, paragraphe 1, sous a), i).

    Outre le libellé de cette disposition et l’interprétation littérale qui en découle, cette interprétation est corroborée par les règles d’évaluation de l’état des eaux de surface qui repose sur l’analyse de l’état écologique couvrant cinq classes. Ces classes ne sont qu’un instrument qui limite la marge d’appréciation des États membres lors de la détermination des éléments de qualité qui reflètent l’état réel d’une masse d’eau déterminée. En particulier, l’application de la règle dite «one out all out», selon laquelle une masse d’eau est classée dans la classe immédiatement inférieure dès que le ratio de l’un des éléments de qualité descend sous le niveau correspondant à la classe actuelle, d’une part, découragerait les États membres de prévenir les détériorations de l’état d’une masse d’eau de surface à l’intérieur d’une classe d’état et, d’autre part, conduirait également à exclure les eaux de la classe la plus basse du champ d’application de l’obligation de prévenir la détérioration de l’état de celles-ci.

    S’agissant des critères permettant de conclure à une détérioration de l’état d’une masse d’eau, il ressort de l’économie de l’article 4 de la directive 2000/60, et notamment des paragraphes 6 et 7 de celui-ci, que les détériorations de l’état d’une masse d’eau, même transitoires, ne sont autorisées qu’à de sévères conditions. Il s’ensuit que le seuil au-delà duquel est constatée une violation de l’obligation de prévenir la détérioration de l’état d’une masse d’eau doit être bas.

    Une interprétation contraire, selon laquelle seules les atteintes graves constituent une détérioration de l’état d’une masse d’eau, interprétation qui est fondée, en substance, sur une mise en balance des incidences négatives sur les eaux, d’une part, et des intérêts économiques liés à l’eau, d’autre part, ne peut être déduite du libellé de l’article 4, paragraphe 1, sous a), i), de la directive 2000/60. En outre, une telle interprétation ne respecte pas la différence établie par cette directive entre l’obligation de prévenir la détérioration de l’état d’une masse d’eau et les motifs de dérogation prévus à l’article 4, paragraphe 7, de ladite directive, dans la mesure où seuls ces derniers comportent des éléments de mise en balance des intérêts.

    (cf. points 55-57, 59, 61-63, 67, 68, 70, disp. 2)


Affaire C‑461/13

Bund für Umwelt und Naturschutz Deutschland eV

contre

Bundesrepublik Deutschland

(demande de décision préjudicielle, introduite par le Bundesverwaltungsgericht)

«Renvoi préjudiciel — Environnement — Politique de l’Union européenne dans le domaine de l’eau — Directive 2000/60/CE — Article 4, paragraphe 1 — Objectifs environnementaux relatifs aux eaux de surface — Détérioration de l’état d’une masse d’eau de surface — Projet d’aménagement d’une voie navigable — Obligation des États membres de ne pas autoriser un projet susceptible de provoquer une détérioration de l’état d’une masse d’eau de surface — Critères déterminants pour apprécier l’existence d’une détérioration de l’état d’une masse d’eau»

Sommaire – Arrêt de la Cour (grande chambre) du 1er juillet 2015

  1. Environnement – Politique de l’Union dans le domaine de l’eau – Directive 2000/60 – Objectifs environnementaux relatifs aux eaux de surface – Caractère contraignant des dispositions établissant ces objectifs et obligation des États membres de les atteindre

    [Directive du Parlement européen et du Conseil 2000/60, art. 3, 4, § 1, a), i à iii), et 7, 5, 8, 11 et 13 et annexe V]

  2. Environnement – Politique de l’Union dans le domaine de l’eau – Directive 2000/60 – Caractère de directive-cadre – Harmonisation complète des législations nationales – Absence

    [Art. 175, § 1, CE (devenu art. 192, § 1, TFUE); directive du Parlement européen et du Conseil 2000/60]

  3. Environnement – Politique de l’Union dans le domaine de l’eau – Directive 2000/60 – Objectifs environnementaux relatifs aux eaux de surface – Notion de détérioration de l’état d’une masse d’eau de surface

    [Directive du Parlement européen et du Conseil 2000/60, art. 4, § 1, a), i), et 7]

  1.  L’article 4, paragraphe 1, sous a), i) à iii), de la directive 2000/60, établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l’eau, doit être interprété en ce sens que les États membres sont tenus, sous réserve de l’octroi d’une dérogation, de refuser l’autorisation d’un projet particulier lorsqu’il est susceptible de provoquer une détérioration de l’état d’une masse d’eau de surface ou lorsqu’il compromet l’obtention d’un bon état des eaux de surface ou d’un bon potentiel écologique et d’un bon état chimique de telles eaux à la date prévue par cette directive.

    En premier lieu, le libellé de l’article 4, paragraphe 1, sous a), i), de la directive étaye le caractère contraignant de cette disposition. En effet, le renvoi qui y est effectué à la mise en œuvre, par les États membres, des mesures nécessaires pour prévenir la détérioration de l’état de toutes les masses d’eau de surface comporte une obligation pour ceux-ci d’agir en ce sens. Une autorisation d’un projet particulier est comprise comme une telle mise en œuvre.

    En deuxième lieu, l’article 4, paragraphe 1, de ladite directive impose deux objectifs distincts, quoique intrinsèquement liés. D’une part, conformément à l’article 4, paragraphe 1, sous a), i), les États membres mettent en œuvre les mesures nécessaires pour prévenir la détérioration de l’état de toutes les masses d’eau de surface (obligation de prévenir la détérioration). D’autre part, en application de cet article 4, paragraphe 1, sous a), ii) et iii), les États membres protègent, améliorent et restaurent toutes les masses d’eau de surface afin de parvenir à un bon état au plus tard à la fin de l’année 2015 (obligation d’amélioration). Ces obligations visent à réaliser les objectifs qualitatifs recherchés par le législateur de l’Union, à savoir la préservation ou la restauration d’un bon état, d’un bon potentiel écologique et d’un bon état chimique des eaux de surfaces.

    Par ailleurs, afin d’assurer la réalisation par les États membres de ces objectifs environnementaux, la directive 2000/60 prévoit une série de dispositions, notamment celles des articles 3, 5, 8, 11 et 13 de cette directive, ainsi que de l’annexe V de celle-ci, établissant un processus complexe et comportant plusieurs étapes réglementées en détail, en vue de permettre aux États membres de mettre en œuvre les mesures nécessaires, en fonction des spécificités et des caractéristiques des masses d’eau identifiées sur leurs territoires. Ces éléments confortent l’interprétation selon laquelle l’article 4, paragraphe 1, sous a), de cette directive ne se limite pas à énoncer, selon une formulation programmatique, de simples objectifs de planification de gestion, mais déploie des effets contraignants, une fois déterminé l’état écologique de la masse d’eau concernée, à chaque étape de la procédure prescrite par cette directive.

    En troisième lieu, il en va de même s’agissant du régime des dérogations prévu à l’article 4, paragraphe 7, de ladite directive. Notamment, la structure des catégories de dérogation prévues à l’article 4, paragraphe 7, de cette directive permet de considérer que ledit article 4 ne contient pas uniquement des obligations de principe, mais qu’il concerne également des projets particuliers.

    Cette obligation de prévenir la détérioration de l’état des masses d’eau s’est vue conférer par le législateur de l’Union un statut autonome et ne se limite pas à un instrument mis au service de l’obligation d’amélioration de l’état des masses d’eau. Elle reste contraignante à chaque stade de la mise en œuvre de la directive 2000/60 et est applicable à tout type et à tout état de masse d’eau de surface pour lequel un plan de gestion a été ou aurait dû être adopté.

    (cf. points 31, 32, 39, 41-44, 47, 49-51, disp. 1)

  2.  La directive 2000/60, établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l’eau, est une directive-cadre adoptée sur le fondement de l’article 175, paragraphe 1, CE (devenu article 192, paragraphe 1, TFUE). Elle établit des principes communs et un cadre global d’action pour la protection des eaux et assure la coordination, l’intégration ainsi que, à plus long terme, le développement des principes généraux et des structures permettant la protection et une utilisation écologiquement viable de l’eau dans l’Union européenne. Les principes communs et le cadre global d’action qu’elle arrête doivent être développés ultérieurement par les États membres au moyen de l’adoption de mesures particulières conformément aux délais prévus par cette directive. Cette dernière ne vise toutefois pas une harmonisation totale de la réglementation des États membres dans le domaine de l’eau.

    (cf. point 34)

  3.  La notion de «détérioration de l’état» d’une masse d’eau de surface, figurant à l’article 4, paragraphe 1, sous a), i), de la directive 2000/60, établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l’eau, doit être interprétée en ce sens qu’il y a détérioration dès que l’état d’au moins l’un des éléments de qualité, au sens de l’annexe V de cette directive, se dégrade d’une classe, même si cette dégradation ne se traduit pas par une dégradation de classement, dans son ensemble, de la masse d’eau de surface. Cependant, si l’élément de qualité concerné, au sens de cette annexe, figure déjà dans la classe la plus basse, toute dégradation de cet élément constitue une détérioration de l’état d’une masse d’eau de surface, au sens de cet article 4, paragraphe 1, sous a), i).

    Outre le libellé de cette disposition et l’interprétation littérale qui en découle, cette interprétation est corroborée par les règles d’évaluation de l’état des eaux de surface qui repose sur l’analyse de l’état écologique couvrant cinq classes. Ces classes ne sont qu’un instrument qui limite la marge d’appréciation des États membres lors de la détermination des éléments de qualité qui reflètent l’état réel d’une masse d’eau déterminée. En particulier, l’application de la règle dite «one out all out», selon laquelle une masse d’eau est classée dans la classe immédiatement inférieure dès que le ratio de l’un des éléments de qualité descend sous le niveau correspondant à la classe actuelle, d’une part, découragerait les États membres de prévenir les détériorations de l’état d’une masse d’eau de surface à l’intérieur d’une classe d’état et, d’autre part, conduirait également à exclure les eaux de la classe la plus basse du champ d’application de l’obligation de prévenir la détérioration de l’état de celles-ci.

    S’agissant des critères permettant de conclure à une détérioration de l’état d’une masse d’eau, il ressort de l’économie de l’article 4 de la directive 2000/60, et notamment des paragraphes 6 et 7 de celui-ci, que les détériorations de l’état d’une masse d’eau, même transitoires, ne sont autorisées qu’à de sévères conditions. Il s’ensuit que le seuil au-delà duquel est constatée une violation de l’obligation de prévenir la détérioration de l’état d’une masse d’eau doit être bas.

    Une interprétation contraire, selon laquelle seules les atteintes graves constituent une détérioration de l’état d’une masse d’eau, interprétation qui est fondée, en substance, sur une mise en balance des incidences négatives sur les eaux, d’une part, et des intérêts économiques liés à l’eau, d’autre part, ne peut être déduite du libellé de l’article 4, paragraphe 1, sous a), i), de la directive 2000/60. En outre, une telle interprétation ne respecte pas la différence établie par cette directive entre l’obligation de prévenir la détérioration de l’état d’une masse d’eau et les motifs de dérogation prévus à l’article 4, paragraphe 7, de ladite directive, dans la mesure où seuls ces derniers comportent des éléments de mise en balance des intérêts.

    (cf. points 55-57, 59, 61-63, 67, 68, 70, disp. 2)