ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

23 octobre 2014 ( *1 )

«Renvoi préjudiciel — Rapprochement des législations — Politique industrielle — Directive 2001/83/CE ? Médicaments à usage humain — Article 6 — Autorisation de mise sur le marché — Article 8, paragraphe 3, sous i) — Obligation de joindre à la demande d’autorisation les résultats des essais pharmaceutiques, précliniques et cliniques — Dérogations concernant les essais précliniques et cliniques — Article 10 — Médicaments génériques — Notion de ‘médicament de référence’ — Droit subjectif du titulaire de l’autorisation de mise sur le marché d’un médicament de référence de s’opposer à l’autorisation de mise sur le marché d’un générique de ce premier médicament — Article 10 bis — Médicaments dont les substances actives sont d’un usage médical bien établi depuis au moins dix ans dans l’Union européenne — Possibilité d’utiliser un médicament dont l’autorisation a été délivrée compte tenu de la dérogation prévue à l’article 10 bis comme médicament de référence pour l’obtention d’une autorisation de mise sur le marché d’un médicament générique»

Dans l’affaire C‑104/13,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Augstākās Tiesas Senāts (Lettonie), par décision du 26 février 2013, parvenue à la Cour le 4 mars 2013, dans la procédure

Olainfarm AS

contre

Latvijas Republikas Veselības ministrija,

Zāļu valsts aģentūra,

en présence de:

Grindeks AS,

LA COUR (cinquième chambre),

composée de M. T. von Danwitz, président de chambre, MM. C. Vajda, A. Rosas, E. Juhász et D. Šváby (rapporteur) juges,

avocat général: M. N. Wahl,

greffier: M. V. Tourrès, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 20 mars 2014,

considérant les observations présentées:

pour Olainfarm AS, par Me M. Grudulis, advokāts,

pour Grindeks AS, par M. J. Bundulis, en qualité de président du conseil d’administration, assisté de Me D. Lasmanis, advokāts, ainsi que de Mmes L. Jāgere et Z. Sedlova,

pour le gouvernement letton, par M. I. Kalniņš et Mme M. Ošleja, en qualité d’agents,

pour le gouvernement estonien, par Mme M. Linntam, en qualité d’agent,

pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée initialement de Mme G. De Socio, puis de M. G. Fiengo, avvocati dello Stato,

pour la Commission européenne, par MM. A. Sipos et A. Sauka ainsi que par Mme M. Šimerdová, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 20 mai 2014,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 novembre 2001, instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain (JO L 311, p. 67), telle que modifiée par le règlement (CE) no 1394/2007 du Parlement européen et du Conseil, du 13 novembre 2007 (JO L 324, p. 121, et rectificatif JO 2009, L 87, p. 174, ci-après la «directive 2001/83»).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un recours opposant Olainfarm AS (ci-après «Olainfarm») au Latvijas Republikas Veselības ministrija (ministère de la Santé de la République de Lettonie) et à la Zāļu valsts aģentūra (Agence nationale des médicaments) au sujet d’une décision de cette dernière accordant à Grindeks AS (ci-après «Grindeks») une autorisation de mise sur le marché (ci‑après une «AMM») pour un médicament générique d’un médicament de référence pour lequel Olainfarm est titulaire d’une AMM.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

La directive 2001/83 contient les considérants suivants:

«[...]

(2)

Toute réglementation en matière de production, de distribution ou d’utilisation des médicaments doit avoir comme objectif essentiel la sauvegarde de la santé publique.

(3)

Toutefois ce but doit être atteint par des moyens qui ne puissent pas freiner le développement de l’industrie pharmaceutique et les échanges de médicaments au sein de la Communauté.

[...]

(9)

L’expérience a montré qu’il convient de mieux préciser encore les cas où les résultats des essais toxicologiques, pharmacologiques ou cliniques n’ont pas à être fournis en vue de l’autorisation d’un médicament essentiellement similaire à un médicament autorisé, tout en veillant à ne pas désavantager les firmes innovatrices.

(10)

Cependant des considérations d’ordre public s’opposent à ce que les essais sur l’homme ou sur l’animal soient répétés sans nécessité impérieuse.

[...]»

4

Le considérant 14 de la directive 2004/27/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, modifiant la directive 2001/83 (JO L 136, p. 34), est rédigé comme suit:

«Étant donné que les médicaments génériques constituent une part importante du marché des médicaments, il convient, à la lumière de l’expérience acquise, de faciliter leur accès au marché communautaire. [...]»

5

Aux termes de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2001/83:

«Aucun médicament ne peut être mis sur le marché d’un État membre sans qu’une [AMM] n’ait été délivrée par l’autorité compétente de cet État membre, conformément à la présente directive, ou qu’une autorisation n’ait été délivrée conformément aux dispositions du règlement (CE) no 726/2004 [du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, établissant des procédures communautaires pour l’autorisation et la surveillance en ce qui concerne les médicaments à usage humain et à usage vétérinaire, et instituant une Agence européenne des médicaments (JO L 136, p. 1)] [...]

[...]»

6

L’article 8 de cette directive dispose:

«1.   En vue de l’octroi d’une [AMM] d’un médicament ne relevant pas d’une procédure instituée par le [règlement no 726/2004], une demande doit être introduite auprès de l’autorité compétente de l’État membre concerné.

[...]

3.   À la demande doivent être joints les renseignements et les documents suivants, présentés conformément à l’annexe I:

[...]

i)

résultat des essais:

pharmaceutiques (physico-chimiques, biologiques ou microbiologiques),

précliniques (toxicologiques et pharmacologiques),

cliniques;

[...]»

7

À l’obligation ainsi établie à l’article 8, paragraphe 3, sous i), de la directive 2001/83, cette dernière prévoit certaines dérogations, notamment à ses articles 10 et 10 bis, lesquels sont libellés comme suit:

«Article 10

1.   Par dérogation à l’article 8, paragraphe 3, point i), et sans préjudice de la législation relative à la protection de la propriété industrielle et commerciale, le demandeur n’est pas tenu de fournir les résultats des essais précliniques et cliniques s’il peut démontrer que le médicament est un générique d’un médicament de référence qui est ou a été autorisé au sens de l’article 6 depuis au moins huit ans dans un État membre ou dans la Communauté.

Un médicament générique autorisé en vertu de la présente disposition ne peut être commercialisé avant le terme de la période de dix ans suivant l’autorisation initiale du médicament de référence.

[...]

La période de dix ans visée au deuxième alinéa est portée à onze ans au maximum si le titulaire de l’[AMM] obtient pendant les huit premières années de ladite période de dix ans une autorisation pour une ou plusieurs indications thérapeutiques nouvelles qui sont jugées, lors de l’évaluation scientifique conduite en vue de leur autorisation, apporter un avantage clinique important par rapport aux thérapies existantes.

2.   Aux fins du présent article, on entend par:

a)

‘médicament de référence’, un médicament autorisé au sens de l’article 6, conformément à l’article 8;

b)

‘médicament générique’, un médicament qui a la même composition qualitative et quantitative en substances actives et la même forme pharmaceutique que le médicament de référence et dont la bioéquivalence avec le médicament de référence a été démontrée par des études appropriées de biodisponibilité. Les différents sels, esters, éthers, isomères, mélanges d’isomères, complexes ou dérivés d’une substance active sont considérés comme une même substance active, à moins qu’ils ne présentent des propriétés sensiblement différentes au regard de la sécurité et/ou de l’efficacité. Dans ce cas, des informations supplémentaires fournissant la preuve de la sécurité et/ou de l’efficacité des différents sels, esters ou dérivés d’une substance active autorisée doivent être données par le demandeur. Les différentes formes pharmaceutiques orales à libération immédiate sont considérées comme une même forme pharmaceutique. Le demandeur peut être dispensé des études de biodisponibilité s’il peut prouver que le médicament générique satisfait aux critères pertinents figurant dans les lignes directrices détaillées applicables.

[...]

5.   Outre les dispositions énoncées au paragraphe 1, lorsque est présentée une demande concernant une nouvelle indication pour une substance bien établie, une période non cumulative d’exclusivité des données d’un an est octroyée pour autant que des études précliniques ou cliniques significatives aient été effectuées en ce qui concerne la nouvelle indication.

6.   La réalisation des études et des essais nécessaires en vue de l’application des paragraphes 1, 2, 3 et 4 et les exigences pratiques qui en résultent ne sont pas considérées comme contraire aux droits relatifs aux brevets et aux certificats complémentaires de protection pour les médicaments.

Article 10 bis

Par dérogation à l’article 8, paragraphe 3, point i), et sans préjudice de la législation relative à la protection de la propriété industrielle et commerciale, le demandeur n’est pas tenu de fournir les résultats des essais précliniques et cliniques s’il peut démontrer que les substances actives du médicament sont d’un usage médical bien établi depuis au moins dix ans dans la Communauté et présentent une efficacité reconnue ainsi qu’un niveau acceptable de sécurité en vertu des conditions prévues à l’annexe I. Dans ce cas, les résultats de ces essais sont remplacés par une documentation bibliographique scientifique appropriée.»

8

L’annexe I, partie II, titre 1, de la directive 2001/83 concerne les exigences spécifiques relatives aux dossiers d’AMM présentés en application de l’article 10 bis de celle-ci. Ce titre est rédigé comme suit:

«Pour les médicaments dont la ou les substances actives ont un ‘usage médical bien établi’ visé à l’article [10 bis] et présentent une efficacité reconnue ainsi qu’un niveau acceptable de sécurité, les règles spécifiques suivantes s’appliquent.

Le demandeur soumet les modules 1, 2 et 3 [(relatifs, respectivement, aux renseignements d’ordre administratif, aux résumés et aux informations chimique, pharmaceutique et biologique pour les médicaments contenant des substances chimiques et/ou biologiques actives)] décrits dans la partie I de la présente annexe.

Pour les modules 4 et 5 [(relatifs, respectivement, aux rapports non cliniques et aux rapports d’études cliniques)], une bibliographie scientifique détaillée traite des caractéristiques non cliniques et cliniques.

Les règles spécifiques suivantes s’appliquent pour démontrer l’usage médical bien établi:

a)

Les facteurs à prendre en considération pour démontrer que l’usage médical des composants d’un médicament est bien établi sont:

la durée d’utilisation d’une substance,

les aspects quantitatifs de l’usage de la substance,

le degré d’intérêt scientifique de l’usage de la substance (reflété dans la littérature scientifique publiée) et

la cohérence des évaluations scientifiques.

[...]

b)

La documentation soumise par le demandeur doit couvrir tous les aspects de l’évaluation de la sécurité et/ou de l’efficacité et doit comprendre ou se référer à une étude bibliographique appropriée, en tenant compte des études de précommercialisation et de postcommercialisation et à la littérature scientifique publiée relatant l’expérience sous forme d’enquêtes épidémiologiques et en particulier d’enquêtes épidémiologiques comparatives. Tous les documents, tant favorables que défavorables, doivent être communiqués. Pour ce qui concerne les dispositions relatives à ‘l’usage médical bien établi’, il est en particulier nécessaire que les ‘références bibliographiques’ à d’autres sources d’éléments (études postérieures à la commercialisation, études épidémiologiques, etc.) et non simplement à des données relatives à des essais puissent constituer des preuves valables de la sécurité et de l’efficacité d’un produit si une demande explique et justifie de façon satisfaisante l’utilisation de ces sources d’information.

[...]»

Le droit letton

9

Les dérogations énoncées aux articles 10 et 10 bis de la directive 2001/83 ont été transposées dans le droit letton à l’article 28 du décret du Conseil des ministres no 376 du 9 mai 2006, relatif à la procédure d’enregistrement des médicaments (Ministru kabineta 2006. Gada 9. maija noteikumi Nr. 376 «Zāļu reģistrēšanas kārtība»).

10

La loi relative à la pharmacie (Farmācijas likuma) dispose à son article 31:

«L’enregistrement des médicaments est suspendu ou annulé:

[...]

4)

si de fausses informations ont été soumises ou si les informations contenues dans le dossier d’enregistrement ne sont pas complètes ou si les contrôles du médicament et de ses composants n’ont pas été réalisés en conformité avec les informations contenues dans le dossier d’enregistrement;

[...]

6)

s’il existe une décision judiciaire concernant la violation des droits de propriété intellectuelle;

7)

si le dossier d’enregistrement du médicament n’est pas conforme aux exigences de la législation de [l’Union];

[...]»

Le litige au principal et les questions préjudicielles

11

En 2003, Olainfarm a fait enregistrer en Lettonie le médicament NEIROMIDIN, sur la base des dispositions légales alors applicables dans cet État membre, lesquelles ne correspondaient que partiellement au droit communautaire en vigueur à cette époque.

12

En 2008, Olainfarm a obtenu une AMM pour ce médicament dans ledit État membre conformément à l’article 10 bis de la directive 2001/83, cette société ayant notamment démontré que les substances actives dudit médicament étaient d’un usage médical bien établi depuis au moins dix ans dans la Communauté.

13

En 2011, Grindeks a obtenu de la Zāļu valsts aģentūra une AMM pour un médicament générique, l’IPIDAKRINE-GRINDEKS, ayant mentionné dans sa demande d’autorisation le NEIROMIDIN en tant que médicament de référence au sens de l’article 10 de la directive 2001/83.

14

Olainfarm a contesté cette dernière AMM auprès du Latvijas Republikas Veselības ministrija et a demandé son annulation, soutenant que le dossier d’enregistrement du médicament de référence n’était pas conforme aux exigences du droit de l’Union concernant l’AMM d’un médicament générique. Cette réclamation a été rejetée au motif que le titulaire de l’AMM d’un médicament de référence ne disposerait pas d’un droit subjectif lui permettant de contester l’AMM délivrée pour un médicament générique dudit médicament.

15

Olainfarm a, par la suite, introduit un recours juridictionnel tendant à l’annulation de l’AMM de l’IPIDAKRINE-GRINDEKS.

16

Dans le cadre de ce recours, Olainfarm soutient que, en tant que fabricant du médicament de référence, elle dispose d’un droit subjectif lui permettant de contester l’avantage illégal qui a été, selon elle, octroyé au fabricant du médicament générique concerné.

17

Sur le fond, Olainfarm considère qu’un médicament ayant fait l’objet d’une AMM en application de l’article 10 bis de la directive 2001/83 ne rentre pas dans le cadre de la notion de «médicament de référence» au sens de l’article 10, paragraphe 2, sous a), de cette directive. Cette disposition devrait être interprétée strictement, de sorte que pourraient seuls constituer des médicaments de référence ceux dont l’AMM a été délivrée dans le respect des conditions énumérées à l’article 8 de ladite directive, parmi lesquelles figure la présentation des résultats d’études précliniques et cliniques conformément à l’annexe I de celle-ci.

18

Les défendeurs au principal et Grindeks soutiennent que la délivrance d’une AMM pour un médicament générique ne porte pas atteinte aux droits du fabricant du médicament de référence.

19

Par ailleurs, la délivrance de l’AMM de l’IPIDAKRINE-GRINDEKS serait régulière, car, du fait de la seconde AMM délivrée en 2008 pour le NEIROMIDIN de façon conforme à la directive 2001/83, les conditions seraient réunies pour que ce dernier médicament puisse être utilisé comme médicament de référence par n’importe quel fabricant de médicaments, en application de l’article 10 de cette directive. À cet égard, Grindeks soutient que le délai de protection des données dont bénéficiait Olainfarm pour le médicament de référence concerné est expiré. En outre, compte tenu de l’impossibilité d’obtenir plusieurs AMM pour le même médicament, c’est en vain que le fabricant du médicament de référence réaliserait de nouveaux essais précliniques et cliniques, et prétendrait bénéficier d’une nouvelle période de protection, laquelle ne concernerait que les substances actives vraiment nouvelles et ne pourrait être obtenue qu’une seule fois.

20

Enfin, la Zāļu valsts aģentūra se réfère au point 5.3.1 des recommandations de la Commission européenne publiées dans le courant du mois de novembre 2005 dans le cadre du document intitulé «Notice to applicants Volume 2A Procedures for marketing authorisation Chapter 1 Marketing Authorisation» (Avis aux demandeurs, volume 2A, procédures d’autorisation de mise sur le marché, chapitre 1, autorisation de mise sur le marché), selon lequel le médicament de référence doit être enregistré conformément aux articles 8, paragraphe 3, 10 bis, 10 ter ou 10 quater de la directive 2001/83.

21

La juridiction de renvoi estime qu’il ne ressort clairement de cette directive ni que le fabricant du médicament de référence dispose d’un droit subjectif lui permettant de s’opposer à la délivrance d’une AMM pour un médicament générique, ni qu’un médicament ayant fait l’objet d’une AMM en application de l’article 10 bis de ladite directive puisse être utilisé comme médicament de référence en vue d’obtenir une AMM pour un médicament générique.

22

Dans ces conditions, l’Augstākās Tiesas Senāts (Sénat de la Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)

Convient-il d’interpréter l’article 10 ou toute autre disposition de la directive 2001/83 [...] en ce sens que le fabricant d’un médicament [A, enregistré à la demande de celui-ci,] a un droit subjectif de former un recours contre la décision de l’autorité compétente par laquelle un médicament générique d’un autre fabricant est enregistré en utilisant comme médicament de référence le[dit] médicament [A]? En d’autres termes, le fabricant du médicament de référence tire-t-il de cette directive le droit de saisir la justice afin de faire vérifier si le fabricant du médicament générique a fait référence de manière légale et fondée au médicament enregistré à la demande du fabricant du médicament de référence, conformément aux termes de l’article 10 de cette directive?

2)

Si la réponse à la première question est affirmative, convient-il d’interpréter les dispositions des articles 10 et 10 bis de la directive [2001/83] en ce sens qu’un médicament enregistré conformément [audit] article 10 bis, en tant que médicament [dont les substances actives sont] d’un usage médical bien établi, peut être utilisé comme médicament de référence au sens de l’article 10, paragraphe 2, sous a), de cette directive?»

Sur les questions préjudicielles

Sur la seconde question

23

Par sa seconde question, qu’il y a lieu d’examiner en premier lieu, pour les motifs exposés par M. l’avocat général au point 19 de ses conclusions, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la notion de «médicament de référence» au sens de l’article 10, paragraphe 2, sous a), de la directive 2001/83 doit être interprétée en ce sens qu’elle englobe un médicament dont l’AMM a été délivrée sur le fondement de l’article 10 bis de cette directive.

24

La notion de «médicament de référence» est définie à l’article 10, paragraphe 2, sous a), de cette directive comme un médicament autorisé au sens de l’article 6 de ladite directive, conformément à l’article 8 de celle-ci.

25

Établissant une dérogation à l’article 8, paragraphe 3, sous i), de la directive 2001/83, l’article 10 bis de celle-ci dispose que le demandeur d’une AMM pour un médicament donné n’est pas tenu de fournir les résultats des essais précliniques et cliniques, mais peut remplacer ceux-ci par une documentation bibliographique scientifique appropriée, s’il démontre que les substances actives de ce médicament sont d’un usage médical bien établi depuis au moins dix ans dans l’Union et présentent une efficacité reconnue ainsi qu’un niveau acceptable de sécurité conformément aux conditions prévues à l’annexe I de cette directive.

26

L’article 10 bis de la directive 2001/83 a ainsi pour effet d’exempter le demandeur de l’une des obligations établies à l’article 8 de cette directive en vue d’obtenir une AMM au sens de l’article 6 de celle-ci. Dès lors, un médicament dont l’AMM a été délivrée en application de l’article 10 bis de cette directive, le demandeur de cette autorisation ayant fait usage de la dérogation prévue à cet article et ayant rempli par ailleurs toutes les autres obligations établies à l’article 8 de ladite directive, doit être considéré comme un médicament autorisé au sens de l’article 6 de ladite directive, conformément à l’article 8 de cette même directive.

27

À cet égard, il convient de relever, d’une part, que l’obligation, pour les demandeurs d’une AMM, de joindre à la demande le résultat des essais précliniques et cliniques visés à l’article 8, paragraphe 3, sous i), de la directive 2001/83 a pour but de fournir la preuve de la sécurité et de l’efficacité du médicament concerné [voir, en ce sens, arrêt Generics (UK), C‑527/07, EU:C:2009:379, point 22 et jurisprudence citée].

28

D’autre part, compte tenu notamment du fait que toute réglementation en matière de production et de distribution de médicaments doit avoir pour objectif essentiel la sauvegarde de la santé publique, ainsi qu’il est énoncé au considérant 2 de la directive 2001/83, la notion de «médicament de référence» au sens de l’article 10, paragraphe 2, sous a), de cette directive ne saurait être interprétée de telle manière que la procédure abrégée prévue à cet article se traduise par un assouplissement des normes de sécurité et d’efficacité auxquelles doivent satisfaire les médicaments [arrêt Generics (UK), EU:C:2009:379, point 24 et jurisprudence citée]. Il importe dès lors, pour que l’AMM d’un médicament générique puisse être délivrée sur la base de cette procédure abrégée, que tous les renseignements et documents relatifs au médicament de référence et démontrant la sécurité et l’efficacité de ce dernier restent à la disposition de l’autorité compétente concernée par la demande d’autorisation [voir, en ce sens, arrêt Generics (UK), EU:C:2009:379, point 25 et jurisprudence citée].

29

Or, s’agissant de l’article 10 bis de la directive 2001/83, il y a lieu de constater, en premier lieu, que la procédure régie par celui-ci n’assouplit nullement les normes de sécurité et d’efficacité auxquelles doivent satisfaire les médicaments, mais vise seulement à réduire la période de préparation d’une demande d’AMM en dispensant le demandeur de l’obligation de réaliser les essais précliniques et cliniques visés à l’article 8, paragraphe 3, sous i), de la directive 2001/83, pour autant qu’il soit établi par documentation bibliographique scientifique appropriée, dans le respect des exigences énoncées à l’annexe I, partie II, titre 1, de cette directive, que ces essais ont été réalisés antérieurement et qu’ils ont démontré que le ou les composants du médicament concerné remplissent les critères indiqués audit article 10 bis [voir, s’agissant de la disposition comparable de la directive 65/65/CEE du Conseil, du 26 janvier 1965, concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives, relatives aux spécialités pharmaceutiques (JO 1965, 22, p. 369), telle que modifiée par la directive 87/21/CEE du Conseil, du 22 décembre 1986 (JO 1987, L 15, p. 36), arrêt Scotia Pharmaceuticals, C‑440/93, EU:C:1995:307, point 17]. Partant, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 39 de ses conclusions, un tel médicament n’est mis sur le marché qu’après que l’autorité compétente en a contrôlé la sécurité et l’efficacité.

30

En second lieu, et par voie de conséquence, le dossier de l’AMM accordée pour un médicament en application dudit article 10 bis contient tous les renseignements et documents requis pour démontrer la sécurité et l’efficacité de ce médicament.

31

Partant, aucun obstacle ne s’oppose à ce qu’un tel médicament puisse être utilisé comme médicament de référence en vue de l’obtention d’une AMM pour un médicament générique.

32

Il y a donc lieu de répondre à la seconde question que la notion de «médicament de référence» au sens de l’article 10, paragraphe 2, sous a), de la directive 2001/83 doit être interprétée en ce sens qu’elle englobe un médicament dont l’AMM a été délivrée sur le fondement de l’article 10 bis de cette directive.

Sur la première question

33

Par sa première question, la juridiction de renvoi demande si le fabricant d’un médicament utilisé par un autre fabricant comme médicament de référence en vue d’obtenir la délivrance d’une AMM pour un médicament générique, en application de l’article 10 de la directive 2001/83, tire de cette directive le droit de saisir la justice afin de faire vérifier si le fabricant de ce médicament générique a fait référence de manière légale et fondée à son propre médicament, conformément audit article 10.

34

À titre liminaire, il convient de constater que, dans le cadre de la directive 2001/83, la procédure de délivrance d’une AMM est conçue comme une procédure bilatérale, n’impliquant que le demandeur et l’autorité compétente (voir, par analogie, arrêt Olivieri/Commission et EMEA, T‑326/99, EU:T:2003:351, point 94), et que cette directive ne contient aucune disposition explicite en ce qui concerne le droit de recours dont disposerait le titulaire d’une AMM délivrée pour un médicament original contre la décision de l’autorité compétente octroyant, en application de l’article 10 de ladite directive, une AMM pour un médicament générique dont ce médicament original serait le médicament de référence.

35

Toutefois, conformément à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la «Charte»), a droit à un recours effectif devant un tribunal, notamment, toute personne dont les droits garantis par le droit de l’Union ont été violés.

36

Dès lors, la première question doit être comprise comme portant, en substance, sur le point de savoir si l’article 10 de la directive 2001/83, lu en combinaison avec l’article 47 de la Charte, doit être interprété en ce sens qu’il confère au titulaire de l’AMM d’un médicament utilisé comme médicament de référence dans le cadre d’une demande d’AMM pour un médicament générique d’un autre fabricant, introduite sur le fondement de cet article 10, un droit de recours contre la décision de l’autorité compétente octroyant une AMM pour ce dernier médicament.

37

À cet égard, il y a lieu de relever que l’article 10 de la directive 2001/83 fixe les conditions dans lesquelles le titulaire de l’AMM d’un médicament doit tolérer que le fabricant d’un autre médicament puisse se référer aux résultats des essais précliniques et cliniques contenus dans le dossier de demande d’AMM de ce premier médicament, plutôt que de réaliser lui-même de tels essais, en vue d’obtenir une AMM pour cet autre médicament. Il en ressort que ledit article confère corrélativement au titulaire de l’AMM du premier médicament le droit d’exiger le respect des prérogatives qui découlent, en ce qui le concerne, de ces conditions.

38

Ainsi, sans préjudice de la législation relative à la protection de la propriété industrielle et commerciale, le titulaire de l’AMM d’un médicament a le droit d’exiger que, conformément à l’article 10, paragraphe 1, premier, deuxième et cinquième alinéas, de cette directive, ce médicament ne soit pas utilisé comme médicament de référence en vue de faire autoriser la mise sur le marché d’un médicament d’un autre fabricant avant l’écoulement d’un délai de huit années à compter de la délivrance de cette AMM ou qu’un médicament dont la mise sur le marché a été autorisée sur la base de cet article ne soit pas commercialisé avant le terme de la période de dix ans, éventuellement portée à onze ans, suivant la délivrance de ladite AMM. De même, ledit titulaire peut réclamer que son médicament ne soit pas utilisé en vue de l’obtention, en application de cet article 10, d’une AMM pour un médicament à l’égard duquel son propre médicament ne saurait être considéré comme médicament de référence au sens dudit article 10, paragraphe 2, sous a), ainsi que le fait valoir Olainfarm devant la juridiction de renvoi, ou qui ne remplit pas la condition de similarité avec ce dernier quant à la composition en substances actives et la forme pharmaceutique, telle que cette condition découle de l’article 10, paragraphe 2, sous b), de ladite directive.

39

Le titulaire de l’AMM d’un médicament utilisé comme médicament de référence dans le cadre d’une demande d’AMM fondée sur l’article 10 de la directive 2001/83 doit donc, en vertu de cet article lu en combinaison avec l’article 47 de la Charte, se voir reconnaître le droit à une protection juridictionnelle en ce qui concerne le respect de ces prérogatives.

40

Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 10 de la directive 2001/83, lu en combinaison avec l’article 47 de la Charte, doit être interprété en ce sens que le titulaire de l’AMM d’un médicament utilisé comme médicament de référence dans le cadre d’une demande d’AMM pour un médicament générique d’un autre fabricant, introduite sur la base de l’article 10 de cette directive, dispose d’un droit de recours contre la décision de l’autorité compétente octroyant une AMM pour ce dernier médicament pour autant qu’il s’agisse d’obtenir la protection juridictionnelle d’une prérogative que cet article 10 reconnaît à ce titulaire. Un tel droit de recours existe notamment si ledit titulaire réclame que son médicament ne soit pas utilisé en vue de l’obtention d’une AMM en application dudit article 10 pour un médicament à l’égard duquel son propre médicament ne saurait être considéré comme médicament de référence au sens du même article 10, paragraphe 2, sous a).

Sur les dépens

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La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit:

 

1)

La notion de «médicament de référence» au sens de l’article 10, paragraphe 2, sous a), de la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 novembre 2001, instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain, telle que modifiée par le règlement (CE) no 1394/2007 du Parlement européen et du Conseil, du 13 novembre 2007, doit être interprétée en ce sens qu’elle englobe un médicament dont l’autorisation de mise sur le marché a été délivrée sur le fondement de l’article 10 bis de cette directive.

 

2)

L’article 10 de la directive 2001/83, telle que modifiée par le règlement no 1394/2007, lu en combinaison avec l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, doit être interprété en ce sens que le titulaire de l’autorisation de mise sur le marché d’un médicament utilisé comme médicament de référence dans le cadre d’une demande d’autorisation de mise sur le marché pour un médicament générique d’un autre fabricant, introduite sur la base de l’article 10 de cette directive, dispose d’un droit de recours contre la décision de l’autorité compétente octroyant une autorisation de mise sur le marché pour ce dernier médicament pour autant qu’il s’agisse d’obtenir la protection juridictionnelle d’une prérogative que cet article 10 reconnaît à ce titulaire. Un tel droit de recours existe notamment si ledit titulaire réclame que son médicament ne soit pas utilisé en vue de l’obtention d’une autorisation de mise sur le marché en application dudit article 10 pour un médicament à l’égard duquel son propre médicament ne saurait être considéré comme médicament de référence au sens du même article 10, paragraphe 2, sous a).

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure: le letton.