ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

9 septembre 2015 ( *1 )

«Renvoi préjudiciel — Politique sociale — Directive 2000/78/CE — Égalité de traitement en matière d’emploi et de travail — Articles 2, 3, paragraphe 1, sous c), et 6, paragraphe 1 — Discrimination directe fondée sur l’âge — Salaire de base des juges — Régime transitoire — Reclassement et avancement ultérieur — Perpétuation de la différence de traitement — Justifications»

Dans l’affaire C‑20/13,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Verwaltungsgericht Berlin (Allemagne), par décision du 12 décembre 2012, parvenue à la Cour le 15 janvier 2013, dans la procédure

Daniel Unland

contre

Land Berlin,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de Mme R. Silva de Lapuerta, président de chambre, MM. J.‑C. Bonichot, A. Arabadjiev (rapporteur), J. L. da Cruz Vilaça et C. Lycourgos, juges

avocat général: M. Y. Bot,

greffier: M. K. Malacek, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 15 avril 2015,

considérant les observations présentées:

pour M. Unland, par Me M. Quaas, Rechtsanwalt,

pour le gouvernement allemand, par M. T. Henze et M. J. Möller, en qualité d’agents,

pour le gouvernement autrichien, par M. G. Hesse, en qualité d’agent,

pour la Commission européenne, par MM. T. Maxian Rusche, D. Martin et M. Kellerbauer, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle et son complément portent sur l’interprétation des articles 2, 3, paragraphe 1, sous c), et 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail (JO L 303, p. 16).

2

Ces demandes ont été présentées dans le cadre d’un litige opposant M. Unland au Land Berlin au sujet des modalités de reclassement et d’avancement des juges de son ressort au sein du nouveau régime de rémunération qui leur est applicable.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

Aux termes de l’article 1er de la directive 2000/78, celle‑ci «a pour objet d’établir un cadre général pour lutter contre la discrimination fondée sur la religion ou les convictions, [le] handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle, en ce qui concerne l’emploi et le travail, en vue de mettre en œuvre, dans les États membres, le principe de l’égalité de traitement».

4

L’article 2 de cette directive prévoit:

«1.   Aux fins de la présente directive, on entend par ‘principe de l’égalité de traitement’ l’absence de toute discrimination directe ou indirecte, fondée sur un des motifs visés à l’article 1er.

2.   Aux fins du paragraphe 1:

a)

une discrimination directe se produit lorsqu’une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne le serait dans une situation comparable, sur la base de l’un des motifs visés à l’article 1er;

[...]»

5

L’article 3, paragraphe 1, sous c), de ladite directive, intitulé «Champ d’application», précise que celle‑ci s’applique à toutes les personnes, tant pour le secteur public que pour le secteur privé, y compris les organismes publics en ce qui concerne, notamment, «les conditions d’emploi et de travail, y compris les conditions de licenciement et de rémunération».

6

L’article 6, paragraphe 1, de la même directive est ainsi libellé:

«Nonobstant l’article 2, paragraphe 2, les États membres peuvent prévoir que des différences de traitement fondées sur l’âge ne constituent pas une discrimination lorsqu’elles sont objectivement et raisonnablement justifiées, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime, notamment par des objectifs légitimes de politique de l’emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires.

Ces différences de traitement peuvent notamment comprendre:

a)

la mise en place de conditions spéciales d’accès à l’emploi et à la formation professionnelle, d’emploi et de travail, y compris les conditions de licenciement et de rémunération, pour les jeunes, les travailleurs âgés et ceux ayant des personnes à charge, en vue de favoriser leur insertion professionnelle ou d’assurer leur protection;

b)

la fixation de conditions minimales d’âge, d’expérience professionnelle ou d’ancienneté dans l’emploi, pour l’accès à l’emploi ou à certains avantages liés à l’emploi;

[...]»

7

En vertu de l’article 16, sous a), de la directive 2000/78, les États membres prennent les mesures nécessaires afin que soient supprimées les dispositions législatives, réglementaires et administratives contraires au principe de l’égalité de traitement.

Le droit allemand

L’ancienne loi fédérale relative à la rémunération des fonctionnaires

8

La loi fédérale relative à la rémunération des fonctionnaires (Bundesbesoldungsgesetz), dans sa version en vigueur au 31 août 2006 (ci‑après l’«ancienne loi fédérale relative à la rémunération des fonctionnaires»), est demeurée applicable aux fonctionnaires et aux juges fédéraux jusqu’au 30 juin 2011, ainsi qu’aux fonctionnaires et aux juges régionaux du Land Berlin jusqu’au 31 juillet 2011, dans sa version transitoire pour Berlin [Bundesbesoldungsgesetz in der Überleitungsfassung für Berlin, ci‑après la «BBesG Bln, ancienne version»].

9

L’article 38 de l’ancienne loi fédérale relative à la rémunération des fonctionnaires, intitulé «Calcul du traitement de base», disposait:

«(1)   Le traitement de base est calculé, pour autant que le régime de rémunération ne prévoit pas de traitements fixes, en fonction de tranches d’âge. Le traitement de base prévu pour une tranche d’âge donnée est dû à partir du premier jour du mois dans lequel l’âge en question est atteint.

(2)   Si le juge ou procureur est recruté après avoir atteint l’âge de 35 ans révolus, le traitement de base est calculé en fonction d’un âge de référence qui correspond, jusqu’à l’âge de 35 ans révolus, à l’âge réel, auquel s’ajoute, au‑delà, la moitié des années entières écoulées entre la date à laquelle le juge ou procureur a atteint l’âge de 35 ans révolus et la date de son recrutement [...].

(3)   Les juges et procureurs qui n’ont pas encore atteint l’âge de 27 ans révolus perçoivent le traitement de base initial de leur grade jusqu’à ce qu’ils aient atteint l’âge prévu pour avancer dans les tranches d’âge.

(4)   Sans préjudice des dispositions de l’alinéa 2, deuxième et troisième phrases, ci‑dessus, l’âge réel est imputé, au‑delà de trente‑cinq ans révolus, de la moitié des périodes n’ouvrant pas droit à rémunération [...].»

La nouvelle loi relative à la rémunération des fonctionnaires du Land Berlin

10

En vertu de la loi portant réforme de la rémunération des fonctionnaires du Land Berlin (Gesetz zur Besoldungsneuregelung für das Land Berlin – Berliner Besoldungsneuregelungsgesetz), du 29 juin 2011, les juges dudit Land qui étaient déjà titularisés à la date du 1er août 2011 (ci‑après les «juges déjà titularisés») sont soumis à des règles différentes de celles applicables aux juges entrés en fonction après cette date (ci‑après les «nouveaux juges»).

– La réglementation régionale relative à la rémunération des nouveaux juges

11

L’article Ier, paragraphe 1, de la loi portant réforme de la rémunération des fonctionnaires du Land Berlin a modifié la BBesG Bln, ancienne version. La rémunération des nouveaux juges est donc régie par la nouvelle version de cette dernière loi (ci‑après «BBesG Bln, nouvelle version»). Ses dispositions pertinentes sont ainsi libellées:

«Article 38: Calcul du traitement de base

(1)   Le traitement de base des juges et procureurs est calculé par échelons, pour autant que le régime de rémunération ne prévoit pas de traitements fixes. L’avancement à l’échelon immédiatement supérieur est fonction de l’expérience acquise.

(2)   Pour toute première nomination à un emploi ouvrant droit à percevoir une rémunération relevant du champ d’application de la présente loi, il est en principe fixé un traitement de base correspondant à l’échelon 1, sans préjudice de la prise en compte de périodes antérieures en application de l’article 38a, paragraphe 1, ci‑dessous. L’échelon est fixé par un acte administratif écrit avec effet au premier jour du mois dans lequel la nomination prend effet.

(3)   Le traitement de base augmente au bout de trois ans d’expérience dans l’échelon 1, puis au bout de deux ans d’expérience, respectivement, dans les échelons 2 à 4, puis de trois ans d’expérience, respectivement, dans les échelons 5 à 7. Les périodes n’ouvrant pas droit à une rémunération retardent l’avancement à raison de leur durée respective, sans préjudice des dispositions de l’article 38a, paragraphe 2, ci‑dessous.

[...]»

– La réglementation relative à la rémunération des juges déjà titularisés

12

Conformément à l’article II, paragraphe 1, de la loi portant réforme de la rémunération des fonctionnaires du Land Berlin, la loi établissant un régime transitoire relatif à la rémunération des fonctionnaires du Land Berlin (Berliner Besoldungsüberleitungsgesetz, ci‑après la «BerlBesÜG»), du 29 juin 2011, définit les modalités du reclassement dans le nouveau système des juges déjà titularisés ainsi que les mesures transitoires applicables à ces juges.

13

L’article 2 de la BerlBesÜG, intitulé «Classement dans les échelons et échelons transitoires dans les grades du régime de rémunération A», dispose:

«(1)   Au 1er août 2011, les fonctionnaires sont, selon les modalités définies aux paragraphes ci‑dessous, classés aux échelons ou échelons transitoires prévus à l’annexe 3 de la [loi portant réforme de la rémunération des fonctionnaires du Land Berlin], en fonction de l’emploi occupé au 31 juillet 2011 et du traitement de base auquel ils auraient droit au 1er août 2011 en application de la loi sur l’adaptation des rémunérations et pensions de retraite des fonctionnaires 2010/2011 pour Berlin, du 8 juillet 2010 (GVBl. p. 362, 2011 p. 158). La première phrase ci‑dessus est applicable par analogie aux fonctionnaires en congé sans solde; il convient, en ce qui les concerne, de se référer à la fonction et au traitement de base qui auraient été les leurs en cas de cessation du congé au 31 juillet 2011.

(2)   Le fonctionnaire est classé, conformément au paragraphe 1 ci‑dessus, à l’échelon ou échelon transitoire qui correspond au montant du traitement de base arrondi à l’unité supérieure. À défaut, le fonctionnaire est classé à l’échelon ou échelon transitoire immédiatement supérieur [...]»

14

L’article 5 de la BerlBesÜG, intitulé «Classement dans les échelons et échelons transitoires dans les grades R1 et R2», prévoit:

«Les magistrats percevant une rémunération correspondant aux grades R1 et R2 sont classés dans les échelons ou échelons transitoires prévus à l’annexe 4 de la [loi portant réforme de la rémunération des fonctionnaires du Land Berlin], en fonction de l’emploi occupé au 31 juillet 2011 et du traitement de base auquel ils auraient droit au 1er août 2011 en application de la loi sur l’adaptation des rémunérations et pensions de retraite des fonctionnaires 2010/2011 pour Berlin. L’article 2, paragraphe 1, seconde phrase, ainsi que paragraphes 2 et 4, s’applique par analogie.»

15

L’article 6 de la BerlBesÜG, qui concerne l’avancement ultérieur, dispose:

«(1)   Le magistrat reclassé accède, en cas d’un reclassement à l’un des échelons prévus à l’annexe 4 de la [loi portant réforme de la rémunération des fonctionnaires du Land Berlin] sur le fondement d’un traitement de base correspondant au moins à la tranche d’âge 3 des grades R1 et R2 (ce traitement de base s’entendant de celui auquel ce magistrat aurait eu droit au 1er août 2011 en application de la loi sur l’adaptation des rémunérations et pensions de retraite des fonctionnaires 2010/2011 pour Berlin), à l’échelon immédiatement supérieur, ou, en cas de reclassement à l’un des échelons transitoires prévus à l’annexe 4, à l’échelon de destination afférent à cet échelon transitoire, à la date à laquelle il aurait atteint la tranche d’âge immédiatement supérieure en application de l’article 38, paragraphe 1, de la [BBesG Bln, ancienne version]. C’est ce premier avancement qui constitue le point de départ pour le calcul de la durée de l’expérience déterminante aux fins de l’application de l’article 38, paragraphe 1, seconde phrase, de la [BBesG Bln, nouvelle version].

(2)   Par dérogation aux dispositions du paragraphe 1 ci‑dessus, la durée de l’expérience déterminante aux fins de l’application de l’article 38, paragraphe 1, seconde phrase, de la [BBesG Bln, nouvelle version], commence, en cas de reclassement sur le fondement d’un traitement de base correspondant aux tranches d’âge 1 et 2 du grade R1 (ce traitement de base s’entendant de celui auquel ce magistrat aurait eu droit au 1er août 2011 en application de la loi sur l’adaptation des rémunérations et pensions de retraite des fonctionnaires 2010/2011 pour Berlin), avec le classement à l’échelon 1 prévu à l’annexe 4 de la [loi portant réforme de la rémunération des fonctionnaires du Land Berlin].

(3)   Par dérogation aux dispositions des paragraphes 1 et 2 ci‑dessus, les durées d’expérience sont, à partir de l’échelon 5, respectivement réduites d’un an en cas de reclassement à l’échelon transitoire afférent à l’échelon 4, ou à un échelon ou échelon transitoire supérieur à l’échelon transitoire afférent à l’échelon 4.

(4)   Par dérogation aux dispositions du paragraphe 1 ci‑dessus, la durée de l’expérience dans l’échelon 4 est allongée d’un an pour les magistrats qui ont été reclassées à l’échelon 1 prévu à l’annexe 4 de la [loi portant réforme de la rémunération des fonctionnaires du Land Berlin], dans les cas relevant du paragraphe 2 ci‑dessus, ainsi que pour les magistrats reclassés à l’échelon 2 prévu à l’annexe 4 de [cette loi] sur le fondement du traitement de base auquel ceux‑ci auraient droit au 1er août 2011 en application de la loi sur l’adaptation des rémunérations et pensions de retraite des fonctionnaires 2010/2011 pour Berlin, correspondant à la tranche d’âge 4 du grade R1.»

Le litige au principal et les questions préjudicielles

16

M. Unland, né le 19 février 1976, est juge au service du Land Berlin. Il a été recruté sous l’empire de l’ancienne loi fédérale relative à la rémunération des fonctionnaires, à l’âge de 29 ans et a été reclassé au 1er août 2011 dans le nouveau régime de rémunération conformément aux dispositions de la BerlBesÜG.

17

Par lettre du 17 décembre 2009, le requérant a demandé au Land Berlin à percevoir rétroactivement, pour la période non encore concernée par la prescription, la rémunération afférente à l’échelon le plus élevé de son grade. La Zentrale Besoldungs und Vergütungsstelle der Justiz (service central des rémunérations de la justice) a rejeté sa demande par décision du 12 janvier 2010. Par la suite, le recours précontentieux introduit par le requérant contre cette décision a également été rejeté par la présidente du Kammergericht par décision du 7 mai 2010.

18

Le requérant a alors introduit un recours, le 5 juin 2010, devant le Verwaltungsgericht Berlin (Allemagne), par lequel il a prétendu faire l’objet d’une discrimination fondée sur l’âge résultant de la règle relative à la rémunération en fonction de l’âge. Il considère, notamment, que sont contraires au droit de l’Union non seulement l’ancienne loi fédérale relative à la rémunération des fonctionnaires, mais aussi les modalités de reclassement dans le nouveau régime de rémunération et demande, par conséquent, à recevoir la rémunération afférente à l’échelon le plus élevé de son grade. Il demande à percevoir cette rémunération pour l’avenir et aussi, à titre rétroactif, sous la forme d’un rappel couvrant une période s’étendant au moins jusqu’à l’année 2009.

19

À cet égard, la juridiction de renvoi s’interroge sur la compatibilité des réglementations nationales en cause au principal avec le droit de l’Union, et plus particulièrement avec la directive 2000/78, en ce que ces réglementations seraient susceptibles d’être à l’origine d’une discrimination fondée sur l’âge, prohibée par cette directive.

20

Dans ces conditions, le Verwaltungsgericht Berlin a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)

Le droit européen primaire et/ou dérivé, notamment, en l’espèce, la directive 2000/78/CE, doit‑il être interprété, aux fins d’une application complète de l’interdiction des discriminations injustifiées en raison de l’âge, en ce sens que celle‑ci s’étend également aux règles nationales relatives à la rémunération des juges de Land?

2)

En cas de réponse affirmative à la première question: cette interprétation du droit européen primaire et/ou dérivé doit‑elle conduire à considérer que constitue une discrimination directe ou indirecte en raison de l’âge une disposition nationale en vertu de laquelle le montant du traitement de base d’un juge lors de son entrée dans la magistrature et l’augmentation ultérieure de ce traitement dépendent de son âge?

3)

En cas de réponse affirmative à la deuxième question: cette interprétation du droit européen primaire et/ou dérivé s’oppose‑t‑elle à la justification d’une telle disposition nationale par l’objectif législatif consistant à récompenser l’expérience professionnelle et/ou les compétences sociales?

4)

En cas de réponse affirmative à la troisième question: cette interprétation du droit européen primaire et/ou dérivé admet‑elle, dans l’attente de la mise en place d’un régime de rémunération des fonctionnaires non discriminatoire, une autre conséquence juridique que celle consistant à octroyer de façon rétroactive aux personnes discriminées la rémunération correspondant à l’échelon le plus élevé de leur grade?

La conséquence juridique attachée à la violation du principe de non‑discrimination découle‑t‑elle, ce faisant, directement du droit européen primaire et/ou dérivé lui‑même, notamment, en l’occurrence, de la directive 2000/78/CE, ou la prétention de la personne discriminée résulte‑t‑elle seulement de l’application du principe, reconnu dans le droit de l’Union, de la responsabilité des États membres en cas de transposition incorrecte des dispositions du droit européen?

5)

Cette interprétation du droit européen primaire et/ou dérivé s’oppose‑t‑elle à une mesure nationale qui subordonne l’existence d’un droit à un paiement (a posteriori, sous la forme d’un rappel) ou à une indemnisation à la condition que les juges l’aient fait valoir dans un délai relativement bref?

6)

En cas de réponse affirmative aux première à troisième questions: cette interprétation du droit européen primaire et/ou dérivé implique‑t‑elle qu’une loi définissant les modalités du reclassement dans le nouveau système des juges déjà titularisés en prévoyant que l’échelon du nouveau système auquel ceux‑ci seront classés sera déterminé exclusivement en fonction du montant du traitement de base qu’ils percevaient, en application de l’ancien système de rémunération (discriminatoire), à la date de référence fixée pour le passage au nouveau système, et que la progression ultérieure vers les échelons supérieurs sera ensuite déterminée exclusivement en fonction de la seule expérience acquise postérieurement à l’entrée en vigueur de cette loi, quelle que soit l’expérience totale acquise par le juge, perpétue – jusqu’à ce que le juge ait atteint l’échelon le plus élevé – la discrimination fondée sur l’âge existante?

7)

En cas de réponse affirmative à la sixième question: l’interprétation du droit européen primaire et/ou dérivé s’oppose‑t‑elle à ce que cette perpétuation de l’inégalité de traitement originelle puisse être justifiée par l’objectif législatif consistant à protéger non (seulement) les droits acquis à la date de référence pour le passage au nouveau système mais (aussi) les attentes des juges déjà titularisés en ce qui concerne les perspectives d’évolution de revenu, au sein de leur grade respectif, que leur garantissait l’ancien système, et à offrir une meilleure rémunération aux nouveaux juges qu’à ceux déjà titularisés?

La perpétuation de la discrimination des juges en poste peut‑elle être justifiée par l’argument tiré de ce que l’autre solution envisageable (qui consisterait à reclasser individuellement les juges déjà titularisés en fonction de la durée de leur expérience professionnelle) serait administrativement relativement lourde à mettre en œuvre?

8)

Dans l’hypothèse où la Cour rejetterait les justifications visées à la septième question: cette interprétation du droit européen primaire et/ou dérivé admet‑elle, dans l’attente de la mise en place d’un régime de rémunération non discriminatoire y compris pour les juges déjà titularisés, une autre conséquence juridique que celle consistant à octroyer aux juges déjà titularisés la rémunération correspondant à l’échelon le plus élevé de leur grade, de façon rétroactive et continue?

9)

En cas de réponse affirmative aux première à troisième questions et de réponse négative à la sixième question: cette interprétation du droit européen primaire et/ou dérivé doit‑elle conduire à considérer que constitue une discrimination directe ou indirecte en raison de l’âge une disposition législative relative au reclassement des juges dans le nouveau système de rémunération qui, à partir d’un certain échelon, fait bénéficier les juges déjà titularisés qui avaient déjà atteint un certain âge à la date de référence fixée pour le passage au nouveau système, d’un rythme de progression de la rémunération plus rapide que celui prévu pour les juges déjà titularisés mais qui étaient plus jeunes à la date de référence fixée pour le passage au nouveau système?

10)

En cas de réponse affirmative à la neuvième question: l’interprétation du droit européen primaire et/ou dérivé s’oppose‑t‑elle à ce que cette inégalité de traitement puisse être justifiée par l’objectif législatif consistant à protéger non pas les droits acquis à la date de référence pour le passage au nouveau système, mais exclusivement les attentes des juges déjà titularisés en ce qui concerne les perspectives d’évolution de revenu, au sein de leur grade respectif, que leur garantissait l’ancien système?

11)

Dans l’hypothèse où la Cour rejetterait la justification visée à la dixième question: cette interprétation du droit européen primaire et/ou dérivé admet‑elle, dans l’attente de la mise en place d’un régime de rémunération non discriminatoire y compris pour les juges déjà titularisés, une autre conséquence juridique que celle consistant à octroyer à tous les juges déjà titularisés le même rythme de progression de la rémunération qu’aux juges privilégiés tels que décrits à la neuvième question, de façon rétroactive et continue?»

21

Par lettre du 25 juin 2014, le greffe de la Cour a transmis à la juridiction de renvoi une copie de l’arrêt Specht e.a. (C‑501/12 à C‑506/12, C‑540/12 et C‑541/12, EU:C:2014:2005), l’invitant à lui indiquer si, à la lumière de cet arrêt, elle souhaitait maintenir ses questions préjudicielles.

22

Par décision du 19 décembre 2014, parvenue à la Cour le 29 décembre 2014, la juridiction de renvoi lui a confirmé le maintien de ses questions et a reformulé la troisième question de la manière suivante:

«En cas de réponse affirmative à la deuxième question: cette interprétation du droit européen primaire et/ ou dérivé s’oppose‑t‑elle à la justification d’une telle disposition nationale?»

23

Dans ces circonstances, la Cour est appelée à se prononcer sur toutes les questions initialement posées, dont la troisième question, telle que reformulée.

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

24

Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive 2000/78 doit être interprétée en ce sens que les conditions de rémunération des juges relèvent du champ d’application de cette directive.

25

Cette question porte sur le champ d’application matériel et personnel de la directive 2000/78.

26

S’agissant du champ d’application matériel de cette directive, la juridiction de renvoi s’interroge sur l’articulation entre, d’une part, l’article 3, paragraphe 1, sous c), de celle‑ci, en vertu duquel, dans les limites des compétences conférées à l’Union européenne, ladite directive s’applique à toutes les personnes, tant pour le secteur public que pour le secteur privé, y compris les organismes publics, en ce qui concerne les conditions d’emploi et de travail, cette expression couvrant notamment les conditions de licenciement et de rémunération, et, d’autre part, l’article 153, paragraphe 5, TFUE, qui prévoit une exception à la compétence de l’Union en matière de politique sociale en ce que l’Union n’est pas autorisée à intervenir dans le domaine des rémunérations.

27

Ainsi que la Cour l’a relevé dans l’arrêt Specht e.a. (C‑501/12 à C‑506/12, C‑540/12 et C‑541/12, EU:C:2014:2005, points 34 et 35), il convient de distinguer le terme «rémunération», au sens de l’article 153, paragraphe 5, TFUE du même terme qui figure à l’article 3, paragraphe 1, sous c), de la directive 2000/78, ce dernier terme faisant partie des conditions d’emploi et ne visant pas directement la fixation du montant de la rémunération. Partant, les règles nationales régissant les modalités de classement dans les grades et les échelons de rémunération ne sauraient être soustraites au champ d’application matériel de la directive 2000/78.

28

S’agissant du champ d’application personnel de cette directive, il suffit de rappeler que l’article 3, paragraphe 1, sous c), de celle‑ci prévoit expressément qu’elle s’applique, notamment, à toutes les personnes relevant du secteur public, y compris les organismes publics. En outre, il n’est pas contesté que la charge des juges relève du secteur public.

29

Dès lors, il convient de répondre à la première question posée que l’article 3, paragraphe 1, sous c), de la directive 2000/78 doit être interprété en ce sens que les conditions de rémunération des juges relèvent du champ d’application de cette directive.

Sur les deuxième et troisième questions

30

Par ses deuxième et troisième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 2 et 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation nationale en vertu de laquelle, au sein de chaque grade de fonction, l’échelon de traitement de base d’un juge est déterminé, lors de son recrutement, en fonction de l’âge de ce juge.

31

Outre l’article 38, paragraphe 1, de l’ancienne loi fédérale relative à la rémunération des fonctionnaires, qui prévoit que le traitement de base est calculé en fonction de tranches d’âges, il ressort du paragraphe 2 de cet article que, si le juge ou le procureur est recruté après avoir atteint l’âge de 35 ans révolus, le traitement de base est calculé en fonction d’un âge de référence qui correspond, jusqu’à l’âge de 35 ans révolus, à l’âge réel, auquel s’ajoute, au‑delà, la moitié des années entières écoulées entre la date à laquelle le juge ou le procureur a atteint l’âge de 35 ans révolus et la date de son recrutement. Le paragraphe 3 de cet article prévoyait, par ailleurs, que les juges et les procureurs qui n’ont pas encore atteint l’âge de 27 ans révolus perçoivent le traitement de base initial de leur grade jusqu’à ce qu’ils aient atteint l’âge prévu pour avancer dans les tranches d’âge.

32

Le traitement de base des juges était donc fixé, lors de leur recrutement, exclusivement en fonction de la tranche d’âge à laquelle ceux‑ci appartiennent.

33

Dans son arrêt Specht e.a. (C‑501/12 à C‑506/12, C‑540/12 et C‑541/12, EU:C:2014:2005), la Cour a déjà été amenée à examiner des questions identiques aux deuxième et troisième questions posées dans la présente affaire et, par conséquent, la réponse apportée par la Cour dans ledit arrêt est pleinement transposable aux questions posées par la juridiction de renvoi dans l’affaire au principal.

34

En effet, aux points 39 à 51 de cet arrêt, la Cour a examiné si l’ancienne loi fédérale relative à la rémunération des fonctionnaires renfermait une discrimination au sens des articles 2 et 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78 et a conclu que tel était le cas, au motif que le classement des fonctionnaires, lors de leur recrutement, à un échelon de traitement de base en fonction de l’âge de ceux‑ci allait au‑delà de ce qui était nécessaire pour atteindre l’objectif légitime poursuivi par cette loi.

35

La circonstance que les dispositions en cause au principal aient pour objectif de récompenser l’expérience professionnelle et/ou les compétences sociales des juges est sans incidence à cet égard.

36

Dans ces conditions, il convient de répondre aux deuxième et troisième questions que les articles 2 et 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle le traitement de base d’un juge est déterminé, lors de son recrutement, uniquement en fonction de l’âge de ce juge.

Sur les sixième et septième questions

37

Par ses sixième et septième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 2 et 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, définissant les modalités du reclassement, au sein d’un nouveau système de rémunération, des juges déjà titularisés en prévoyant que l’échelon de traitement auquel ceux‑ci sont désormais classés est déterminé sur la seule base du montant du traitement de base qu’ils percevaient en application de l’ancien système de rémunération, alors que ce dernier reposait sur une discrimination fondée sur l’âge du juge. La juridiction de renvoi cherche, en particulier, à savoir si la différence de traitement que comporterait cette législation est susceptible d’être justifiée par l’objectif de protection des droits acquis.

38

Il ressort de l’article 5 de la BerlBesÜG que seul le traitement de base antérieur est pris en compte aux fins du reclassement des juges déjà titularisés dans un échelon ou un échelon transitoire du nouveau système. Le reclassement des juges déjà titularisés dans le nouveau système de rémunération s’effectue exclusivement en fonction de la tranche d’âge acquise dans l’ancien système.

39

Force est de constater que ledit article est susceptible de perpétuer la différence de traitement entre les juges en fonction de l’âge au sein du nouveau système de rémunération.

40

En effet, les mesures de reclassement instaurées par une disposition, telle que l’article 5 de la BerlBesÜG, en vertu desquelles le reclassement est fondé sur la rémunération perçue antérieurement par les fonctionnaires déjà titularisés, laquelle était elle‑même fondée sur l’âge, perpétuent une situation discriminatoire au terme de laquelle des juges perçoivent une rémunération moindre que celle perçue par d’autres juges alors qu’ils se trouvent dans des situations comparables, cela uniquement en raison de l’âge qu’ils avaient lors de leur recrutement (voir, en ce sens, arrêt Specht e.a., C‑501/12 à C‑506/12, C‑540/12 et C‑541/12, EU:C:2014:2005, points 56 à 58).

41

Il convient donc d’examiner si cette différence de traitement fondée sur l’âge est susceptible d’être justifiée au regard de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78.

42

S’agissant, d’une part, de l’objectif visant à préserver les droits acquis invoqué par la juridiction de renvoi, il y a lieu de constater que la protection des droits acquis par une catégorie de personnes constitue une raison impérieuse d’intérêt général (arrêt Specht e.a., C‑501/12 à C‑506/12, C‑540/12 et C‑541/12, EU:C:2014:2005, point 64 et jurisprudence citée).

43

D’autre part, la Cour a déjà constaté qu’une loi telle que la BerlBesÜG apparaît de nature à atteindre l’objectif poursuivi, consistant à garantir le maintien des droits acquis (arrêt Specht e.a., C‑501/12 à C‑506/12, C‑540/12 et C‑541/12, EU:C:2014:2005, point 65 à 68). Elle a ensuite considéré que le législateur national n’a pas été au‑delà de ce qui était nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi en adoptant les mesures transitoires dérogatoires mises en place par la BerlBesÜG (arrêt Specht e.a., C‑501/12 à C‑506/12, C‑540/12 et C‑541/12, EU:C:2014:2005, points 69 à 85).

44

Aucun des éléments du dossier soumis à la Cour n’est de nature à affecter ces constatations.

45

Ainsi qu’il ressort des éléments soumis à la Cour, le reclassement des juges ne se distingue pas de celui qui a été effectué pour les fonctionnaires du Land Berlin en ce qui concerne la méthode choisie et le but poursuivi. En effet, la BerlBesÜG a mis en place des règles uniformément applicables aux juges, aux procureurs et aux fonctionnaires aux fins de leur reclassement.

46

Ainsi, par l’adoption de la BerlBesÜG, le législateur national a procédé à une refonte du régime de rémunération des fonctionnaires et des juges du Land Berlin. Cette loi prévoit, aux fins du maintien des droits acquis des juges déjà titularisés, une dérogation transitoire à leur égard, en vertu de laquelle ces juges ont immédiatement été reclassés dans un échelon ou un échelon transitoire (voir, en ce sens, arrêt Specht e.a., C‑501/12 à C‑506/12, C‑540/12 et C‑541/12, EU:C:2014:2005, points 72 et 73).

47

En outre, l’article 38 de l’ancienne loi fédérale relative à la rémunération des fonctionnaires s’appliquant à tout juge du Land Berlin lors de son recrutement, les aspects discriminatoires qui en découlaient affectaient potentiellement l’ensemble de ces juges (voir, en ce sens, arrêt Specht e.a., C‑501/12 à C‑506/12, C‑540/12 et C‑541/12, EU:C:2014:2005, point 96). Partant, il y a lieu de conclure à l’absence de système de référence valable au sein de l’ancienne loi fédérale relative à la rémunération des fonctionnaires, et, contrairement à ce que soutient le requérant au principal, à l’inexistence tant d’une catégorie de «jeunes juges» défavorisée par cette loi et par la BerlBesÜG que d’une catégorie de «juges plus âgés» favorisée par ces lois.

48

Par ailleurs, les modalités d’un tel reclassement doivent être considérées comme étant compatibles avec l’obligation, découlant de l’article 16, sous a), de la directive 2000/78, qui incombe à l’État membre de prendre les mesures nécessaires afin que soient supprimées les dispositions législatives, réglementaires et administratives contraires au principe de l’égalité de traitement.

49

Dès lors, il convient de répondre aux sixième et septième questions que les articles 2 et 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78 doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, définissant les modalités du reclassement, au sein d’un nouveau système de rémunération, des juges déjà titularisés et prévoyant que l’échelon de traitement auquel ceux‑ci sont désormais classés est déterminé sur la seule base du montant du traitement de base qu’ils percevaient en application de l’ancien système de rémunération, alors que ce dernier reposait sur une discrimination fondée sur l’âge du juge, dans la mesure où la différence de traitement que comporte cette législation est susceptible d’être justifiée par l’objectif de protection des droits acquis.

Sur les neuvième et dixième questions

50

Par ses neuvième et dixième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 2 et 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, définissant les modalités d’avancement des juges déjà titularisés, au sein d’un nouveau système de rémunération, et prévoyant que, à partir d’un certain échelon, les juges qui avaient atteint un certain âge à la date de référence fixée pour le passage au nouveau système bénéficient d’un rythme de progression de la rémunération plus rapide que celui prévu pour les juges qui étaient plus jeunes à la date de référence fixée pour le passage au nouveau système. La juridiction de renvoi cherche, en particulier, à savoir si la différence de traitement que comporterait cette législation est susceptible d’être justifiée.

51

Il y a lieu de constater que, par l’article 6 de la BerlBesÜG, le législateur allemand a introduit une différence en fonction de la tranche d’âge atteinte lors de la date de référence fixée pour le passage au nouveau système, et ce tant en ce qui concerne la date fixée pour le prochain avancement d’échelon qu’en ce qui concerne le calcul des durées d’expérience ultérieures.

52

En effet, s’agissant du premier avancement d’échelon au sein du nouveau système de rémunération, il ressort des constatations formulées par la juridiction de renvoi que, en vertu de l’article 6, paragraphes 1 et 2, de la BerlBesÜG, la durée d’expérience des juges qui, dans l’ancien système, devaient être classés dans la tranche d’âge 1 ou 2 à la date de référence fixée pour le passage au nouveau système, à savoir les juges qui avaient à cette date moins de 31 ans, repart de zéro à la date du reclassement. En revanche, concernant les juges qui ont été reclassés au moins sur le fondement du traitement de base correspondant à la tranche d’âge 3, à savoir ceux qui étaient âgés de 31 ans révolus, le prochain avancement d’échelon a lieu à la date à laquelle ils auraient atteint la tranche d’âge immédiatement supérieure dans l’ancien système.

53

S’agissant de l’avancement ultérieur au sein du nouveau système de rémunération, l’article 6, paragraphes 3 et 4, de la BerlBesÜG prévoit, à partir de l’échelon 5, la réduction des durées d’expérience requises pour l’avancement à l’échelon suivant à la condition que les juges déjà titularisés aient été initialement reclassés au moins à l’échelon transitoire 4 du nouveau système de rémunération.

54

Dans la mesure où, ainsi qu’il ressort des constatations formulées par la juridiction de renvoi, seuls les juges âgés d’au moins 39 ans à la date du passage au nouveau système peuvent bénéficier de cette réduction de l’intervalle afin de progresser dans les échelons, tandis que les juges n’ayant pas atteint cet âge lors du reclassement sont exclus du champ d’application de cette disposition et doivent, a fortiori, attendre une année de plus afin d’atteindre l’échelon supérieur pertinent, il y a lieu de constater que la réglementation nationale en cause au principal contient une différence de traitement directement fondée sur l’âge au sens de l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la directive 2000/78.

55

Il convient donc d’examiner si cette différence de traitement est susceptible d’être justifiée au regard de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78.

56

Il ressort, à cet égard, des observations du gouvernement allemand que l’article 6 de la BerlBesÜG visait à aligner la courbe d’évolution de la rémunération des juges sur celle des fonctionnaires, cette dernière ayant déjà fait l’objet d’une modernisation en 1997, et, in fine, à rendre la fonction de juge plus attrayante qu’auparavant, en garantissant notamment que le revenu au début de carrière évolue plus rapidement. Il convenait, en outre, de s’assurer, d’une part, qu’aucun juge déjà titularisé ne subisse de perte salariale immédiate ou sur l’ensemble de sa carrière et, d’autre part, que tous les juges aient, à l’âge de 49 ans, atteint le dernier échelon de rémunération.

57

Il y a lieu de rappeler que, en l’état actuel du droit de l’Union, les États membres ainsi que, le cas échéant, les partenaires sociaux à l’échelle nationale disposent d’une large marge d’appréciation dans le choix non seulement de la poursuite d’un objectif déterminé parmi d’autres en matière de politique sociale et de l’emploi, mais également dans la définition des mesures susceptibles de le réaliser (voir, notamment, arrêt Palacios de la Villa, C‑411/05, EU:C:2007:604, point 68).

58

Des objectifs tels que ceux poursuivis par la réglementation nationale en cause au principal sont, en principe, de nature à justifier «objectivement et raisonnablement», «dans le cadre du droit national», ainsi que le prévoit l’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2000/78, une différence de traitement fondée sur l’âge.

59

Encore faut‑il vérifier, selon les termes mêmes de ladite disposition, si les moyens mis en œuvre pour réaliser ces objectifs sont «appropriés et nécessaires».

60

Dans ses observations et par ses précisions apportées au cours de l’audience, le gouvernement allemand a abondamment exposé les raisons ayant conduit à l’adoption de l’article 6 de la BerlBesÜG.

61

Ce gouvernement a notamment fait valoir que la durée totale sur laquelle s’étend l’échelle des rémunérations est plus courte dans le cas des juges et des procureurs que dans celui des fonctionnaires, car elle tient compte de la durée généralement plus longue de la formation et de l’entrée plus tardive dans la profession. Le nouveau système d’avancement comprend moins d’échelons, à savoir huit «échelons d’expérience», si bien que le juge arriverait plus rapidement aux échelons correspondant aux rémunérations plus élevées. Étant donné, toutefois, que, pour des raisons budgétaires, le revenu des juges ne pouvait pas augmenter de manière considérable, cette progression salariale est de nouveau ralentie dans les années intermédiaires. Ainsi, à partir de l’échelon 5, un juge doit désormais patienter une année de plus pour avancer à l’échelon supérieur.

62

Selon le gouvernement allemand, cette modification, qui favorise les juges qui ont entre 31 ans et 39 ans, doit être perçue comme une gratification du fait que l’expérience professionnelle croît de manière particulièrement importante au cours des premières années d’activité, mais également un moyen de répondre aux besoins des juges à une période de leur vie où ils doivent habituellement, selon ce gouvernement, faire face à des dépenses plus élevées. En outre, la progression des juges déjà titularisés qui sont reclassés à un âge relativement élevé, à savoir à partir de la tranche d’âge 7 de l’ancien système, serait ralentie par l’application de la nouvelle courbe d’avancement. Pour compenser cet effet, la durée respective des échelons a été raccourcie d’un an pour cette catégorie. Ce gouvernement a, en réponse à une demande de précision adressée par la Cour lors de l’audience, indiqué que la complexité de ce système découle de la préoccupation du législateur qu’aucune catégorie de juges ne bénéficie d’avantages ou ne subisse de désavantage excessif à la suite du reclassement dans le nouveau système de rémunération.

63

Il y a lieu de constater que l’examen du dossier soumis à la Cour n’a révélé aucun élément de nature à remettre en cause ces observations du gouvernement allemand. De même, aucun élément visant à contester le caractère approprié et nécessaire du nouveau système d’avancement n’a été soumis à la Cour.

64

Par ailleurs, il convient de relever que l’argument selon lequel l’article 6 de la BerlBesÜG entraînerait une «aggravation» de la situation des «jeunes juges», qui auraient déjà été défavorisés par l’ancienne loi fédérale relative à la rémunération des fonctionnaires, doit être rejeté dès lors que, ainsi qu’il a été constaté au point 47 du présent arrêt, de telles catégories sont inexistantes.

65

Au vu de ces considérations, il convient de considérer, compte tenu de la large marge d’appréciation reconnue aux États membres dans le choix non seulement de la poursuite d’un objectif déterminé en matière de politique sociale et de l’emploi, mais également dans la définition des mesures susceptibles de le réaliser, qu’il n’apparaît pas déraisonnable au regard de la finalité poursuivie par le législateur national d’adopter l’article 6 de la BerlBesÜG.

66

Eu égard à tout ce qui précède, il convient de répondre aux neuvième et dixième questions que les articles 2 et 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78 doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, définissant les modalités d’avancement des juges déjà titularisés, au sein d’un nouveau système de rémunération, et prévoyant que, à partir d’un certain échelon, les juges qui avaient atteint un certain âge à la date de référence fixée pour le passage au nouveau système, bénéficient d’un rythme de progression de la rémunération plus rapide que celui prévu pour les juges qui étaient plus jeunes à la date de référence fixée pour le passage au nouveau système, dans la mesure où la différence de traitement que comporte cette législation est susceptible d’être justifiée au regard de l’article 6, paragraphe 1, de cette directive.

Sur la quatrième question

67

Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi interroge la Cour sur les conséquences juridiques qu’elle doit tirer en cas de violation, par l’ancienne loi fédérale relative à la rémunération des fonctionnaires, du principe de non‑discrimination sur le fondement sur l’âge. Cette juridiction cherche à savoir si ces conséquences découlent de la directive 2000/78 ou de la jurisprudence issue de l’arrêt Francovich e.a. (C‑6/90 et C‑9/90, EU:C:1991:428) et si, dans cette dernière hypothèse, les conditions d’un engagement de la responsabilité de la République fédérale d’Allemagne sont réunies.

68

La Cour a déjà été amenée à statuer sur cette question dans l’arrêt Specht e.a. (C‑501/12 à C‑506/12, C‑540/12 et C‑541/12, EU:C:2014:2005) et la réponse qu’elle y a apportée est pleinement transposable à la présente affaire.

69

Dans ces conditions, pour des motifs identiques à ceux énoncés aux points 88 à 107 de l’arrêt Specht e.a. (C‑501/12 à C‑506/12, C‑540/12 et C‑541/12, EU:C:2014:2005), il convient de répondre à la quatrième question posée de la manière suivante:

Dans des circonstances telles que celles relatives à l’affaire au principal, le droit de l’Union n’impose pas d’octroyer de façon rétroactive aux juges discriminés un montant correspondant à la différence entre la rémunération effectivement perçue et celle correspondant à l’échelon le plus élevé de leur grade.

Il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier si l’ensemble des conditions posées par la jurisprudence de la Cour sont réunies pour que, en vertu du droit de l’Union, la responsabilité de la République fédérale d’Allemagne se trouve engagée.

Sur la cinquième question

70

Par sa cinquième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le droit de l’Union doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une règle nationale, telle que celle en cause dans l’affaire au principal, qui prévoit l’obligation pour le juge national de faire valoir un droit à des prestations pécuniaires qui ne découlent pas directement de la loi dans un délai relativement bref, à savoir avant la fin de l’exercice budgétaire en cours.

71

La Cour a déjà été amenée à statuer sur cette question dans l’arrêt Specht e.a. (C‑501/12 à C‑506/12, C‑540/12 et C‑541/12, EU:C:2014:2005) et la réponse qu’elle y a apportée est pleinement transposable à la présente affaire.

72

Dans ces conditions, pour des motifs identiques à ceux énoncés aux points 111 à 114 de l’arrêt Specht e.a. (C‑501/12 à C‑506/12, C‑540/12 et C‑541/12, EU:C:2014:2005), il convient de répondre à la cinquième question posée que le droit de l’Union doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une règle nationale, telle que celle en cause au principal, qui prévoit l’obligation pour le juge national de faire valoir un droit à des prestations pécuniaires qui ne découlent pas directement de la loi dans un délai relativement bref, à savoir avant la fin de l’exercice budgétaire en cours, si cette règle ne heurte ni le principe d’équivalence ni le principe d’effectivité. Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier que ces conditions sont remplies dans l’affaire au principal.

Sur les huitième et onzième questions

73

Eu égard aux réponses apportées aux sixième, septième, neuvième et dixième questions, il n’y a pas lieu de répondre aux huitième et onzième questions.

Sur les dépens

74

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle‑ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit:

 

1)

L’article 3, paragraphe 1, sous c), de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, doit être interprété en ce sens que les conditions de rémunération des juges relèvent du champ d’application de cette directive.

 

2)

Les articles 2 et 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle le traitement de base d’un juge est déterminé, lors de son recrutement, uniquement en fonction de l’âge de ce juge.

 

3)

Les articles 2 et 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78 doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, définissant les modalités du reclassement, au sein d’un nouveau système de rémunération, des juges déjà titularisés avant l’entrée en vigueur de cette législation, et prévoyant que l’échelon de traitement auquel ceux‑ci sont désormais classés est déterminé sur la seule base du montant du traitement de base qu’ils percevaient en application de l’ancien système de rémunération, alors que ce dernier reposait sur une discrimination fondée sur l’âge du juge, dans la mesure où la différence de traitement que comporte cette législation est susceptible d’être justifiée par l’objectif de protection des droits acquis.

 

4)

Les articles 2 et 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78 doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, définissant les modalités d’avancement des juges déjà titularisés avant l’entrée en vigueur de cette législation, au sein d’un nouveau système de rémunération et prévoyant que, à partir d’un certain échelon, les juges qui avaient atteint un certain âge à la date de référence fixée pour le passage au nouveau système, bénéficient d’un rythme de progression de la rémunération plus rapide que celui prévu pour les juges qui étaient plus jeunes à la date de référence fixée pour le passage au nouveau système, dans la mesure où la différence de traitement que comporte cette législation est susceptible d’être justifiée au regard de l’article 6, paragraphe 1, de cette directive.

 

5)

Dans des circonstances telles que celles relatives à l’affaire au principal, le droit de l’Union n’impose pas d’octroyer de façon rétroactive aux juges discriminés un montant correspondant à la différence entre la rémunération effectivement perçue et celle correspondant à l’échelon le plus élevé de leur grade.

Il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier si l’ensemble des conditions posées par la jurisprudence de la Cour sont réunies pour que, en vertu du droit de l’Union, la responsabilité de la République fédérale d’Allemagne se trouve engagée.

 

6)

Le droit de l’Union ne s’oppose pas à une règle nationale, telle que celle en cause au principal, qui prévoit l’obligation pour le juge national de faire valoir un droit à des prestations pécuniaires qui ne découlent pas directement de la loi dans un délai relativement bref, à savoir avant la fin de l’exercice budgétaire en cours, si cette règle ne heurte ni le principe d’équivalence ni le principe d’effectivité. Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier que ces conditions sont remplies dans l’affaire au principal.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure: l’allemand.