Affaire C‑18/13

Maks Pen EOOD

contre

Direktor na Direktsia «Obzhalvane i danachno-osiguritelna praktika» Sofia

(demande de décision préjudicielle, introduite par l’Administrativen sad Sofia-grad)

«Fiscalité — Système commun de la taxe sur la valeur ajoutée — Directive 2006/112/CE — Déduction de la taxe payée en amont — Prestations fournies — Contrôle — Fournisseur ne disposant pas des moyens nécessaires — Notion de fraude fiscale — Obligation de constater d’office la fraude fiscale — Exigence de fourniture effective du service — Obligation de tenir une comptabilité suffisamment détaillée — Contentieux — Interdiction pour le juge de qualifier pénalement la fraude et d’aggraver la situation du requérant»

Sommaire – Arrêt de la Cour (septième chambre) du 13 février 2014

  1. Harmonisation des législations fiscales — Système commun de taxe sur la valeur ajoutée — Déduction de la taxe payée en amont — Taxe figurant sur les factures émises par un fournisseur ne disposant pas des moyens nécessaires pour effectuer les services facturés — Prestations réalisées par un autre fournisseur — Exclusion du droit à déduction — Admissibilité — Conditions — Vérification incombant à la juridiction nationale

    (Directive du Conseil 2006/112)

  2. Droit de l’Union européenne — Recours en justice devant le juge national — Application d’office d’une disposition de droit de l’Union conduisant à écarter la règle nationale d’interdiction de la reformatio in pejus — Obligation pour le juge national — Absence — Exception

  3. Harmonisation des législations fiscales — Système commun de taxe sur la valeur ajoutée — Déduction de la taxe payée en amont — Réglementation nationale interdisant la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée dans le cas de l’existence d’une fraude ou d’un abus — Obligation de constater d’office la fraude fiscale — Interprétation du droit national par le juge national à la lumière du texte et de la finalité de la directive 2006/112 — Prise en considération de l’ensemble du droit interne et application de ses méthodes d’interprétation

    (Directive du Conseil 2006/112)

  4. Harmonisation des législations fiscales — Système commun de taxe sur la valeur ajoutée — Déduction de la taxe payée en amont — Obligation de tenir une comptabilité suffisamment détaillée — Portée — Obligation pour un assujetti de se conformer aux normes comptables internationales — Admissibilité — Conditions

    (Règlement du Parlement européen et du Conseil no 1606/2002; directive du Conseil 2006/112, art. 242 et 273)

  1.  La directive 2006/112, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à ce qu’un assujetti procède à la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée figurant sur les factures émises par un fournisseur lorsque, bien que la prestation ait été fournie, il s’avère qu’elle n’a pas été effectivement réalisée par ce fournisseur ou par son sous-traitant notamment parce que ces derniers ne disposaient pas des personnels, des matériels et des actifs nécessaires, que les coûts de leur prestation n’ont pas été justifiés dans leur comptabilité ou que l’identité des personnes ayant signé certains documents en tant que fournisseurs s’est révélée inexacte, à la double condition que de tels faits soient constitutifs d’un comportement frauduleux et qu’il soit établi, au vu des éléments objectifs fournis par les autorités fiscales, que l’assujetti savait ou aurait dû savoir que l’opération invoquée pour fonder le droit à déduction était impliquée dans cette fraude, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

    (cf. point 32, disp. 1)

  2.  Le droit de l’Union ne saurait obliger le juge national à appliquer d’office une disposition de ce droit lorsqu’une telle application aurait pour conséquence d’écarter le principe, inscrit dans son droit procédural national, d’interdiction de la reformatio in pejus.

    Toutefois, il n’apparaît pas que, dans un litige qui porte depuis son origine sur le droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée figurant sur un certain nombre de factures déterminées, une telle interdiction puisse s’appliquer à la présentation par l’administration fiscale au cours de l’instance juridictionnelle d’éléments nouveaux qui, concernant ces mêmes factures, ne peuvent être regardés comme aggravant la situation de l’assujetti qui se prévaut de ce droit à déduction.

    (cf. point 37)

  3.  Lorsque les juridictions nationales ont l’obligation ou la faculté d’opposer d’office les moyens de droit tirés d’une règle contraignante du droit national, elles doivent le faire par rapport à une règle contraignante du droit de l’Union telle que celle qui exige des autorités et des juridictions nationales qu’elles refusent le bénéfice du droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée, s’il est établi, au vu d’éléments objectifs, que ce droit est invoqué frauduleusement ou abusivement. Il appartient à ces juridictions, dans l’appréciation du caractère frauduleux ou abusif de l’invocation de ce droit à déduction d’interpréter le droit national dans toute la mesure du possible à la lumière du texte et de la finalité de la directive 2006/112, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, afin d’atteindre le résultat visé par celle-ci, ce qui requiert qu’elles fassent tout ce qui relève de leur compétence en prenant en considération l’ensemble du droit interne et en faisant application des méthodes d’interprétation reconnues par celui-ci.

    À cet égard, quand bien même une règle du droit national qualifierait la fraude fiscale d’infraction pénale et que cette qualification incomberait au seul juge pénal, il n’apparaît pas qu’une telle règle s’opposerait à ce que le juge chargé d’apprécier la légalité d’un avis d’imposition rectificatif remettant en cause la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée opérée par un assujetti ne puisse se fonder sur les éléments objectifs présentés par l’administration fiscale pour établir l’existence d’une fraude, alors que, selon une autre disposition du droit national, une taxe sur la valeur ajoutée «indûment facturée» ne peut être déduite.

    (cf. points 38, 39, disp. 2)

  4.  La directive 2006/112, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, en exigeant en particulier, selon son article 242, de tout assujetti qu’il tienne une comptabilité suffisamment détaillée pour permettre l’application de la taxe sur la valeur ajoutée et son contrôle par l’administration fiscale, doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas à ce que l’État membre concerné, dans les limites prévues à l’article 273 de la même directive, exige de tout assujetti qu’il respecte à cet égard l’ensemble des règles comptables nationales conformes aux normes comptables internationales, pourvu que les mesures adoptées en ce sens n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs visant à assurer l’exacte perception de la taxe et à éviter la fraude. À cet égard, la directive 2006/112 s’oppose à une disposition nationale selon laquelle le service est considéré comme fourni à la date où sont remplies les conditions de reconnaissance de la recette provenant de la prestation concernée.

    Dès lors, le moment où la taxe devient exigible, et donc déductible pour l’assujetti, ne saurait être déterminé, de manière générale, par l’accomplissement de formalités telles que l’inscription, dans la comptabilité des fournisseurs, des coûts qu’ils ont supportés pour la fourniture de leurs services. En outre, à condition qu’elles respectent ces limites, le droit de l’Union ne s’oppose pas à des règles comptables nationales supplémentaires qui seraient établies par référence aux normes comptables internationales applicables dans l’Union dans les conditions prévues par le règlement no 1606/2002, sur l’application des normes comptables internationales.

    (cf. points 44, 46, 48, disp. 3)