CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

MME ELEANOR SHARPSTON

présentées le 8 mai 2014 ( 1 )

Affaire C‑137/13

Herbaria Kräuterparadies GmbH

contre

Freistaat Bayern

[demande de décision préjudicielle formée par le Bayerisches Verwaltungsgericht München (Allemagne)]

«Agriculture — Étiquetage des produits biologiques — Règlement (CE) no 889/2008 — Article 27, paragraphe 1, sous f) — Utilisation de certains produits et certaines substances dans la transformation de denrées alimentaires étiquetées en tant que produits biologiques — Interdiction d’utiliser les minéraux et les vitamines si leur emploi n’est pas exigé par la loi — Ajout de gluconate ferreux et de vitamines à un mélange de jus de fruits biologique — Quantités requises pour autoriser la vente en tant que complément alimentaire, avec une allégation nutritionnelle ou de santé ou en tant que denrée alimentaire destinée à une alimentation particulière»

1. 

La présente affaire concerne une demande préjudicielle formée par le Bayerisches Verwaltungsgericht München (tribunal administratif de Munich, Allemagne) (ci-après le «Verwaltungsgericht»).

2. 

Elle porte sur un produit essentiellement composé d’ingrédients issus de l’agriculture biologique, mais contenant également des additifs minéraux et vitaminés non biologiques. Peut-il être étiqueté et commercialisé en tant que produit «biologique»? En particulier, ces additifs sont-ils «exigés par la loi» si le produit est commercialisé en tant que complément alimentaire et/ou comme ayant des avantages en termes de santé et de nutrition qui ne peuvent être obtenus sans eux?

3. 

Devant la Cour, le fabricant (européen) du produit fait également valoir que des produits comparables importés des États-Unis d’Amérique peuvent être commercialisés dans l’Union européenne avec un étiquetage portant la mention «biologique» qui respecte les règles américaines équivalentes, mais pas identiques, aux règles de l’Union.

Cadre juridique

Compléments alimentaires et substances nutritionnelles

4.

Le considérant 9 de la directive 2002/46/CE ( 2 ) dispose ce qui suit: «Il importe que seuls les vitamines et les minéraux qui sont normalement présents dans le régime alimentaire et consommés dans ce cadre puissent entrer dans la composition des compléments alimentaires, sans que l’on puisse en déduire que leur présence y soit pour autant indispensable. […]».

5.

Le considérant 15 indique: «Les consommateurs achètent des compléments alimentaires pour compléter les apports de leur régime alimentaire. Afin que ce but puisse être atteint, il importe que les vitamines et les minéraux qui sont déclarés sur l’étiquetage des compléments alimentaires soient présents dans le produit en quantités significatives».

6.

L’article 2 de cette directive définit sous a) les compléments alimentaires comme étant «les denrées alimentaires dont le but est de compléter le régime alimentaire normal et qui constituent une source concentrée de nutriments ou d’autres substances ayant un effet nutritionnel ou physiologique seuls ou combinés, commercialisés sous forme de doses […]», et, sous b), les nutriments comme étant des vitamines ou des minéraux. L’article 4, paragraphe 1, lu en combinaison avec les annexes I et II, édicte une liste exhaustive des vitamines et minéraux qui peuvent être utilisés dans la fabrication de compléments alimentaires.

7.

L’article 5, paragraphe 3, de la directive 2002/46 énonce: «Pour garantir la présence en quantités suffisantes de vitamines et de minéraux dans les compléments alimentaires, des quantités minimales sont fixées, de façon appropriée, en fonction de la portion journalière recommandée par le fabricant». Selon les dispositions de l’article 5, paragraphe 4, les quantités minimales de vitamines et de minéraux mentionnées au paragraphe 3 sont arrêtées par la Commission européenne. Or, ces quantités n’ont pas encore été fixées.

8.

Conformément à l’article 6, paragraphe 3, sous a), de la directive 2002/46, l’étiquetage porte obligatoirement le nom des catégories de nutriments ou substances caractérisant le produit ou une indication relative à la nature de ces nutriments ou substances.

Allégations nutritionnelles et de santé

9.

L’article 2, paragraphe 2, point 1), du règlement (CE) no 1924/2006 ( 3 ) définit une «allégation» comme étant «tout message ou toute représentation, non obligatoire en vertu de la législation communautaire ou nationale […], qui affirme, suggère ou implique qu’une denrée alimentaire possède des caractéristiques particulières».

10.

L’article 3 énonce ce qui suit:

«Des allégations nutritionnelles et de santé ne peuvent être employées dans l’étiquetage et la présentation des denrées alimentaires mises sur le marché communautaire ainsi que dans la publicité faite à l’égard de celles-ci que si elles sont conformes aux dispositions du présent règlement.

[…] les allégations nutritionnelles et de santé ne doivent pas:

a)

être inexactes, ambiguës ou trompeuses;

[…]»

11.

L’article 5, paragraphe 1, dispose, entre autres, ce qui suit:

«L’emploi d’allégations nutritionnelles et de santé n’est autorisé que si les conditions suivantes sont remplies:

a)

la présence […] dans une denrée alimentaire ou une catégorie de denrées alimentaires d’un nutriment ou d’une autre substance faisant l’objet de l’allégation s’est avérée avoir un effet nutritionnel ou physiologique bénéfique, tel qu’établi par des données scientifiques généralement admises;

b)

le nutriment ou toute autre substance faisant l’objet de l’allégation:

i)

se trouve dans le produit final en quantité significative, telle que définie par des dispositions de la législation communautaire, ou, en l’absence de telles dispositions, en une quantité permettant de produire l’effet nutritionnel ou physiologique affirmé, tel qu’établi par des données scientifiques généralement admises,

[…]»

12.

L’article 8, paragraphe 1, dispose: «Les allégations nutritionnelles ne sont autorisées que si elles sont énumérées dans l’annexe et conformes aux conditions fixées dans le présent règlement». L’article 13, paragraphe 1, autorise aussi notamment l’emploi d’allégations de santé qui décrivent ou mentionnent le rôle d’un nutriment ou d’une autre substance dans la croissance, dans le développement et dans les fonctions de l’organisme, qui reposent sur des preuves scientifiques généralement admises et sont bien comprises par le consommateur moyen, et qui figurent dans une liste établie par la Commission conformément à l’article 13, paragraphe 3.

13.

L’annexe du règlement no 1924/2006, sous l’intitulé «Source de [nom des vitamines] et/ou [nom des substances minérales]», indique qu’«[u]ne allégation selon laquelle une denrée alimentaire est une source de vitamines et/ou de substances minérales, ou toute autre allégation susceptible d’avoir le même sens pour le consommateur, ne peut être faite que si le produit contient au moins la quantité significative définie à l’annexe de la directive 90/496/CEE […]» ( 4 ).

14.

L’annexe du règlement (UE) no 432/2012 ( 5 )contient une liste des allégations de santé autorisées portant sur les denrées alimentaires, telles que visées à l’article 13, paragraphe 3, du règlement no 1924/2006. «Le fer contribue à la formation normale de globules rouges et d’hémoglobine» est une allégation qui ne peut être utilisée que pour une denrée alimentaire qui est au moins une source de fer au sens de l’allégation.

Denrées alimentaires destinées à une alimentation particulière

15.

L’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2009/39/CE ( 6 ) définit les denrées alimentaires destinées à une alimentation particulière comme étant «des denrées alimentaires qui, du fait de leur composition particulière ou du processus particulier de leur fabrication, se distinguent nettement des denrées alimentaires de consommation courante, qui conviennent à l’objectif nutritionnel indiqué et qui sont commercialisées de manière à indiquer qu’elles répondent à cet objectif».

16.

L’article 1er, paragraphe 3, dispose ce qui suit:

«Une alimentation particulière répond aux besoins nutritionnels particuliers:

a)

de certaines catégories de personnes dont le processus d’assimilation ou le métabolisme est perturbé; ou

b)

de certaines catégories de personnes qui se trouvent dans des conditions physiologiques particulières et qui, de ce fait, peuvent tirer des bénéfices particuliers d’une ingestion contrôlée de certaines substances dans les aliments; ou

c)

des nourrissons ou des enfants en bas âge, en bonne santé.»

17.

En vertu de l’article 3, paragraphe 1, la nature ou la composition des denrées alimentaires destinées à une alimentation particulière doit être telle que ces produits sont appropriés à l’objectif nutritionnel particulier auquel ils sont destinés.

18.

L’article 4, paragraphe 3, charge la Commission d’arrêter une liste des substances à but nutritionnel particulier, y compris les vitamines et les sels minéraux, à ajouter aux denrées alimentaires destinées à une alimentation particulière.

19.

Cette liste a été adoptée en annexe du règlement (CE) no 953/2009 ( 7 ), dont le considérant 5 du préambule énonce: «Lorsque l’adjonction d’une substance nutritive a été jugée nécessaire, cet ajout est régi par des règles particulières dans les directives spécifiques concernées et, le cas échéant, par des critères quantitatifs appropriés».

L’étiquetage des denrées alimentaires biologiques fabriquées dans l’Union

20.

Le préambule du règlement (CE) no 834/2007 ( 8 ) inclut, entre autres, les considérants suivants:

«(20)

Les denrées alimentaires transformées ne devraient être étiquetées en tant que produits biologiques que si la totalité ou la quasi-totalité de leurs ingrédients d’origine agricole sont biologiques. Des dispositions particulières devraient toutefois être fixées en matière d’étiquetage des denrées alimentaires transformées contenant des ingrédients agricoles dont l’origine ne saurait être biologique […]

[…]

(22)

Il importe de préserver la confiance des consommateurs à l’égard des produits biologiques. Les dérogations aux exigences en matière de production biologique devraient donc se limiter aux seuls cas pour lesquels l’application de règles exceptionnelles est considérée comme étant justifiée.»

21.

L’article 3 de ce règlement énonce les objectifs généraux poursuivis par la production biologique, y compris, sous c), «[…] produire une grande variété de denrées alimentaires et autres produits agricoles qui répondent à la demande des consommateurs concernant des biens produits par l’utilisation de procédés qui ne nuisent pas à l’environnement, à la santé humaine, à la santé des végétaux ou à la santé et au bien-être des animaux».

22.

L’article 6 dispose ce qui suit:

«[…] la production de denrées alimentaires biologiques transformées est fondée sur les principes spécifiques suivants:

a)

produire des denrées alimentaires biologiques à partir d’ingrédients agricoles biologiques, sauf lorsque un ingrédient n’est pas disponible sur le marché sous une forme biologique;

b)

réduire l’utilisation des additifs alimentaires, des ingrédients non biologiques ayant des fonctions principalement technologiques ou organoleptiques, ainsi que des micronutriments et des auxiliaires technologiques, afin qu’il y soit recouru le moins possible et seulement lorsqu’il existe un besoin technologique essentiel ou à des fins nutritionnelles particulières;

c)

exclure les substances et méthodes de transformation susceptibles d’induire en erreur sur la véritable nature du produit;

[…]»

23.

L’article 19 est intitulé «Règles générales applicables à la production de denrées alimentaires transformées». L’article 19, paragraphe 2, précise notamment:

«Les conditions suivantes s’appliquent à la composition des denrées alimentaires biologiques transformées:

a)

la denrée est fabriquée principalement à partir d’ingrédients d’origine agricole; […]

b)

seuls les additifs, les auxiliaires technologiques, les arômes, l’eau, le sel, les préparations de micro-organismes et d’enzymes, les minéraux, les oligo-éléments, les vitamines, ainsi que les acides aminés et les autres micronutriments destinés à une utilisation nutritionnelle particulière peuvent être utilisés dans les denrées alimentaires, à condition d’avoir fait l’objet d’une autorisation d’utilisation dans la production biologique conformément à l’article 21;

[…]»

24.

L’article 21 prévoit, en particulier:

«1.   L’autorisation des produits et substances destinés à la production biologique et leur inclusion dans une liste restreinte de produits et de substances visés à l’article 19, paragraphe 2, [point b),] est soumise aux […] aux critères suivants, qui sont évalués dans leur ensemble:

i)

il n’existe pas d’autres solutions autorisées conformément au présent chapitre;

ii)

il serait impossible, sans y recourir, de produire ou de conserver les denrées alimentaires ou de respecter des propriétés diététiques prévues en vertu de la législation communautaire.

En outre, les produits et substances visés à l’article 19, paragraphe 2, point b), existent à l’état naturel et ne peuvent avoir subi que des processus mécaniques, physiques, biologiques, enzymatiques ou microbiens, sauf si des produits et substances provenant de telles sources ne sont pas disponibles en quantité ou en qualité suffisante sur le marché.

2.   […] la Commission décide de l’autorisation des produits et substances et de leur inclusion dans la liste restreinte visée au paragraphe 1 du présent article et fixe les conditions spécifiques et les limites de leur utilisation, et, si nécessaire, du retrait de produits.

[…]»

25.

L’article 23 («Utilisation de termes faisant référence à la production biologique») prévoit, entre autres:

«1.   Aux fins du présent règlement, un produit est considéré comme portant des termes se référant au mode de production biologique lorsque, dans l’étiquetage, la publicité ou les documents commerciaux, le produit, ses ingrédients ou les matières premières destinées aux aliments pour animaux sont caractérisés par des termes suggérant à l’acheteur que le produit, ses ingrédients ou les matières premières destinées aux aliments pour animaux ont été obtenus selon les règles établies dans le présent règlement. En particulier, les termes énumérés à l’annexe [ ( 9 )], leurs dérivés ou diminutifs, tels que ‘bio’ et ‘éco’, employés seuls ou associés à d’autres termes, peuvent être utilisés dans l’ensemble de la Communauté et dans toute langue communautaire aux fins d’étiquetage et de publicité concernant un produit répondant aux exigences énoncées dans le présent règlement ou conformes à celui-ci.

[…]

2.   L’utilisation des termes visés au paragraphe 1 n’est autorisée en aucun endroit de la Communauté ni dans aucune langue communautaire pour l’étiquetage, la publicité et les documents commerciaux concernant un produit, qui ne répond pas aux exigences énoncées dans le présent règlement, à moins que ces termes ne s’appliquent pas à des produits agricoles présents dans les denrées alimentaires ou les aliments pour animaux ou qu’ils ne soient manifestement pas associés à la production biologique.

[…]

4.   En ce qui concerne les denrées alimentaires transformées, les termes visés au paragraphe 1 peuvent être utilisés:

a)

dans la dénomination de vente à condition que:

i)

la denrée alimentaire transformée soit en conformité avec l’article 19;

ii)

au moins 95 % en poids, de ses ingrédients d’origine agricole soient biologiques;

[…]»

26.

L’article 27 du règlement (CE) no 889/2008 ( 10 ) est intitulé «Utilisation de certains produits et certaines substances dans la transformation de denrées alimentaires». L’article 27, paragraphe 1, prévoit notamment:

«Aux fins de l’article 19, paragraphe 2, point b), du règlement (CE) no 834/2007, seules les substances suivantes peuvent être utilisées dans la transformation des denrées alimentaires biologiques […]

[…]

f)

les minéraux (y compris les oligo-éléments), vitamines, acides aminés et micronutriments, uniquement si leur emploi dans les denrées alimentaires dans lesquelles ils sont incorporés est exigé par la loi.»

L’étiquetage des importations de produits biologiques en provenance des États‑Unis d’Amérique

27.

Le considérant 33 du préambule du règlement no 834/2007 est rédigé comme suit:

«Les produits biologiques importés dans la Communauté européenne devraient pouvoir être commercialisés sur le marché communautaire en tant que produits biologiques, lorsqu’ils ont été obtenus conformément à des règles de production et soumis à des dispositions de contrôle et que ces règles et dispositions sont conformes ou équivalentes à celles que prévoit la législation communautaire. Les produits importés sous un régime équivalent devraient en outre être couverts par un certificat délivré par l’autorité compétente ou par une autorité ou un organisme de contrôle agréé du pays tiers concerné.»

28.

Pour les produits conformes, ces objectifs sont mis en œuvre par l’article 32 de ce règlement et, pour les produits présentant des garanties équivalentes, par l’article 33. L’article 33, paragraphe 1, permet à un tel produit d’être commercialisé sur le marché de l’Union, à condition: a) qu’il ait été produit conformément à des règles de production équivalentes, b) que les opérateurs aient été soumis à des mesures de contrôle d’une efficacité équivalente, c) que les opérateurs aient soumis leurs activités à un système de contrôle reconnu, et d) qu’il soit couvert par un certificat d’inspection délivré par un organisme compétent. L’article 33, paragraphe 2, autorise la Commission à dresser une liste de pays tiers ayant des règles de production équivalentes et dont les mesures de contrôle sont d’une efficacité équivalente.

29.

Le titre III du règlement (CE) no 1235/2008 ( 11 ) est intitulé «Importation de produits présentant des garanties équivalentes». L’article 7 de ce titre concerne l’établissement et le contenu de la liste de pays tiers reconnus, qui figure à l’annexe III, alors que l’article 10 concerne l’établissement et le contenu de la liste des organismes et autorités de contrôle reconnus aux fins de l’équivalence, visée à l’annexe IV.

30.

Ces annexes ont été modifiées en particulier par le règlement (UE) no 126/2012 ( 12 ), lequel a, avec effet du 1er juin 2012 au 30 juin 2015, ajouté les États-Unis d’Amérique à la liste des pays tiers reconnus notamment pour les produits agricoles transformés destinés à l’alimentation humaine et énuméré les organismes de contrôle reconnus dans ce pays.

31.

Le considérant 4 du préambule du règlement no 126/2012 est rédigé comme suit:

«Certains produits agricoles importés des États-Unis sont actuellement commercialisés dans l’Union en application des règles transitoires prévues à l’article 19 du [règlement no 1235/2008]. Les États-Unis ont présenté à la Commission une demande d’inclusion dans la liste prévue à l’article 7 du règlement (CE) no 1235/2008. Ils ont communiqué les informations requises au titre des articles 7 et 8 dudit règlement. Il ressort de l’examen de ces informations et des discussions ultérieures menées avec les autorités américaines que les règles de production et de contrôle des produits agricoles dans ledit pays sont équivalentes à celles établies dans le règlement (CE) no 834/2007. La Commission a procédé à un examen sur place satisfaisant des règles de production et des mesures de contrôle effectivement appliquées aux États-Unis, conformément à l’article 33, paragraphe 2, du règlement (CE) no 834/2007. En conséquence, il convient d’inclure les États-Unis dans la liste qui figure à l’annexe III du règlement (CE) no 1235/2008.»

Faits, procédure et questions préjudicielles

32.

Herbaria Kräuterparadies GmbH (ci-après «Herbaria») fabrique «Herbaria Blutquick – Eisen + Vitamine» (Herbaria Blutquick – fer + vitamines, ci-après «Blutquick»), un mélange de jus de fruits avec des extraits de plantes. Bien qu’il soit essentiellement composé d’ingrédients issus de l’agriculture biologique au sens de l’article 19, paragraphe 2, sous a), du règlement no 834/2007, Blutquick contient des vitamines et du gluconate ferreux non biologiques. Il est présenté et commercialisé en tant que complément alimentaire contenant du fer et des vitamines, et son étiquette comporte une référence à la production biologique au sens de l’article 23 du règlement no 834/2007 ainsi que l’allégation: «le fer contribue à la formation normale de globules rouges et d’hémoglobine». La consommation journalière recommandée couvre 20 % des AJR. Blutquick est également recommandé pour ses effets bénéfiques sur le développement intellectuel naturel de l’enfant s’il est ingéré pendant la grossesse et l’allaitement, pour lutter contre l’épuisement et favoriser le bien-être général.

33.

Au mois de décembre 2011, les autorités bavaroises compétentes ont ordonné à Herbaria de retirer la référence à l’agriculture biologique de l’étiquetage, de la publicité et de la commercialisation de Blutquick, au motif que cela violait l’article 23, paragraphe 4, sous a), point i), du règlement no 834/2007, lu en combinaison avec l’article 19, paragraphe 2, sous b), du même règlement et avec l’article 27, paragraphe 1, sous f), du règlement no 889/2008. Leurs raisons étaient les suivantes: les minéraux et les vitamines ne peuvent être ajoutés que si leur emploi dans les denrées alimentaires dans lesquelles ils sont incorporés est exigé par la loi. Une telle prescription légale n’existerait pas pour Blutquick. En particulier, ce produit ne relèverait pas du règlement national concernant les produits de régime (le Diätverordnung). Le fait que le règlement no 1924/2006 ait soumis les «allégations nutritionnelles et de santé» à des exigences détaillées ne signifierait pas que l’emploi de vitamines et de minéraux dans la fabrication de denrées alimentaires est exigé par la loi si celles-ci ne relèvent pas du Diätverordnung. Même si Blutquick était autorisé conformément au règlement no 1924/2006, il ne pourrait pas être étiqueté, faire l’objet de publicité ni être commercialisé avec la référence à la production biologique régie par l’article 23 du règlement no 834/2007, car le règlement no 1924/2006 n’impose pas d’ajouter des vitamines et du gluconate ferreux aux denrées alimentaires et aux additifs alimentaires.

34.

Herbaria a formé un recours contre cette décision en faisant notamment valoir que l’article 27, paragraphe 1, sous f), du règlement no 889/2008 avait pour objet de permettre l’ajout de minéraux et de vitamines si, et dans la mesure où, d’autres dispositions nationales ou de l’Union imposaient une certaine teneur en vitamines et en minéraux dès lors qu’une denrée alimentaire ne pouvait pas remplir sa finalité sans une telle teneur. Le point de référence serait la denrée alimentaire particulière et sa finalité spécifique. Des dispositions concernant les compléments alimentaires ou les allégations nutritionnelles et de santé, en particulier le règlement no 1924/2006, exigeraient l’ajout de minéraux et de vitamines aux denrées alimentaires dont l’étiquetage indique qu’elles ont une fonction nutritionnelle spécifique. L’interdiction des allégations trompeuses exigerait que la consommation journalière recommandée par le fabricant couvre 15 % de la dose maximale proposée par les autorités en tant que teneur garantie ( 13 ). La finalité déclarée d’un complément alimentaire constituerait le fondement de l’obligation légale d’atteindre les valeurs minimales correspondantes. L’ajout serait exigé par la loi si lesdites valeurs ne pouvaient être atteintes que par l’ajout de substances. En outre, le règlement no 432/2012 édicterait des exigences légales en matière de consommation journalière et imposerait donc l’ajout de substances dans une denrée alimentaire biologique. L’ajout de gluconate ferreux et de vitamines au Blutquick serait indispensable pour atteindre les valeurs nutritionnelles nécessaires à la réalisation de l’objectif nutritionnel déclaré. Cela ne serait pas possible en utilisant des ingrédients issus de produits biologiques. Les ajouts se limiteraient à ce qui est nécessaire.

35.

Les autorités ont répondu que la loi n’exigeait pas d’ajouter des vitamines ou du gluconate ferreux. Le règlement no 1924/2006 se contenterait d’autoriser l’ajout de ces substances, mais ne l’exigerait pas. Toute autre interprétation serait contraire à l’article 6, sous b), du règlement no 834/2007, selon lequel il convient de recourir le moins possible à l’utilisation d’additifs alimentaires dans l’agriculture biologique.

36.

Dans ces conditions, le Verwaltungsgericht a demandé à la Cour de statuer sur les questions préjudicielles suivantes:

«1)

L’article 27, paragraphe 1, sous f), du règlement (CE) no 889/2008 doit-il être interprété en ce sens que l’emploi des substances visées n’est exigé par la loi que si une disposition du droit de l’Union ou une disposition nationale conforme au droit de l’Union prescrit directement l’ajout desdites substances dans la denrée alimentaire dans laquelle elles doivent être incorporées ou fixe à tout le moins une teneur minimale des substances visées devant être incorporées?

2)

Au cas où il serait répondu par la négative à la première question: l’article 27, paragraphe 1, sous f), du règlement (CE) no 889/2008 doit-il être interprété en ce sens que l’emploi des substances visées est également exigé par la loi lorsque, sans l’ajout d’au moins l’une des substances visées, la commercialisation d’une denrée alimentaire en tant que complément alimentaire ou en utilisant des allégations de santé serait trompeuse et induirait le consommateur en erreur, la denrée alimentaire ne pouvant, en raison d’une trop faible concentration de l’une des substances visées, remplir sa finalité en tant que produit alimentaire ou l’objectif indiqué dans l’allégation de santé?

3)

Au cas où il serait répondu par la négative à la première question: l’article 27, paragraphe 1, sous f), du règlement (CE) no 889/2008 doit-il être interprété en ce sens que l’emploi des substances visées est également exigé par la loi lorsqu’une allégation de santé déterminée ne peut être utilisée que pour les denrées alimentaires contenant une quantité déterminée, dite significative, d’au moins l’une des substances visées?»

37.

Des observations écrites ont été présentées par les parties au principal, les gouvernements espagnol, français et tchèque et par la Commission, lesquels ont également présenté, à l’exception des gouvernements espagnol et tchèque, des observations orales lors de l’audience du 13 février 2014.

38.

En substance, tous ceux ayant présenté des observations, à l’exception d’Herbaria, considèrent que la première question appelle une réponse affirmative et qu’il n’existe aucune exigence légale dans la réglementation de l’Union qu’Herbaria puisse invoquer. Herbaria est d’avis contraire, mais soulève également la question des importations des compléments alimentaires américains, dont elle affirme qu’ils peuvent être étiquetés en tant que produits biologiques bien qu’ils contiennent du fer et des vitamines ajoutés. Cette question n’ayant pas été soulevée par la juridiction de renvoi, elle n’a été traitée dans aucun des autres mémoires d’observations, mais a été débattue lors de l’audience.

Analyse

Interprétation de la législation

39.

Les trois questions peuvent être reformulées ensemble comme posant la question de savoir si les termes «leur emploi dans les denrées alimentaires dans lesquelles ils sont incorporés est exigé par la loi», figurant à l’article 27, paragraphe 1, sous f), du règlement no 889/2008, renvoient a) uniquement à une exigence légale directe imposant qu’au moins l’une des substances visées soit présente dans une denrée alimentaire si celle-ci doit être commercialisée d’une manière générale, indépendamment de toute allégation concernant ses qualités ou sa finalité, ou b) également à une situation dans laquelle la denrée alimentaire est commercialisée en tant que complément alimentaire, avec une allégation nutritionnelle ou de santé ou en tant que denrée alimentaire destinée à une alimentation particulière, sans toutefois pouvoir être commercialisée légalement en tant que telle à moins de contenir une quantité déterminée de l’une de ces substances au moins.

40.

L’article 23, paragraphe 2, du règlement no 834/2007 interdit l’utilisation d’une référence à la production biologique concernant tout produit qui ne répond pas aux exigences énoncées dans ce règlement. L’article 23, paragraphe 4, souligne que cette référence est autorisée concernant la denrée alimentaire transformée (et un mélange de jus de fruits avec des extraits de plantes est nécessairement une denrée alimentaire transformée) uniquement si cette denrée est en conformité avec l’article 19. L’article 19, paragraphe 2, sous b), autorise l’ajout, entre autres, de minéraux et vitamines à condition qu’ils aient fait l’objet d’une autorisation d’utilisation dans la production biologique conformément à l’article 21. L’article 21 édicte des critères généraux visant à autoriser l’utilisation de ces substances et délègue à la Commission la charge d’établir une liste restreinte dans le cadre de ces critères. Selon les critères généraux, il ne doit pas exister d’autres solutions autorisées, et la substance doit être nécessaire pour produire ou conserver les denrées alimentaires ou respecter des propriétés diététiques prévues en vertu de la législation de l’Union.

41.

Dans ces conditions, la Commission a établi, à l’article 27, paragraphe 1, du règlement no 889/2008, la liste restreinte des substances qui peuvent être utilisées dans la transformation de denrées alimentaires commercialisées en tant que produits biologiques. En vertu de l’article 27, paragraphe 1, sous f), les minéraux et les vitamines sont autorisés uniquement si leur emploi est exigé par la loi.

42.

Le libellé de ces dispositions ( 14 ) montre clairement qu’elles doivent être interprétées de manière restrictive, comme le confirme le considérant 22 du préambule du règlement no 834/2007, selon lequel, afin de préserver la confiance des consommateurs à l’égard des produits biologiques, les dérogations aux exigences en matière de production biologique devraient se limiter aux seuls cas qui sont justifiés.

43.

Dès lors, je conclus sans la moindre hésitation que l’expression «exigé par la loi», figurant à l’article 27, paragraphe 1, sous f), du règlement no 889/2008, doit être interprétée strictement en ce sens qu’elle concerne uniquement une exigence légale directe imposant d’employer la substance dans la transformation de la denrée alimentaire en question.

44.

Nul ne prétend qu’il existe, dans la législation de l’Union ou dans n’importe quelle législation nationale conforme au droit de l’Union, une exigence légale imposant qu’un mélange de jus de fruits avec des extraits de plantes, vendu simplement en tant que denrée alimentaire, qu’il soit biologique ou pas, contienne une quantité déterminée de fer ou d’une vitamine en particulier.

45.

Néanmoins, dans certaines circonstances, l’on pourrait considérer qu’il existe une exigence légale imposant qu’un tel produit contienne une quantité déterminée de certains minéraux ou vitamines s’il doit être vendu en tant que complément alimentaire, avec une allégation nutritionnelle ou de santé ou en tant que denrée alimentaire destinée à une alimentation particulière, et que la présence de ces quantités est nécessaire pour qu’il puisse être commercialisé sous cette forme. Toutefois, je ne serais pas d’accord avec une telle analyse.

46.

Concernant les compléments alimentaires, la Commission souligne que, bien que des quantités minimales de vitamines et de minéraux dans les compléments alimentaires puissent être fixées conformément à l’article 5, paragraphes 3 et 4, de la directive 2002/46, ces quantités n’ont, en fait, pas encore été fixées. De même, bien que cette question relève de la seule appréciation du Verwaltungsgericht, ces quantités ne semblent pas non plus avoir été fixées dans la législation allemande applicable ( 15 ). Par ailleurs, même si des quantités minimales avaient été fixées, cela n’obligerait pas les producteurs à inclure un minéral ou une vitamine spécifique dans leurs produits. Cela leur interdirait plutôt de commercialiser ces produits en tant que compléments alimentaires contenant la ou les substances en question à moins que la ou les quantités minimales ne soient présentes.

47.

Concernant les allégations nutritionnelles et de santé, il ressort des dispositions du règlement no 1924/2006 et du règlement no 432/2012 énoncées aux points 9 à 14 des présentes conclusions que les allégations concernant Blutquick sont telles qu’elles ne peuvent être formulées que si du fer et des vitamines sont présents en quantité significative. Toutefois, comme le souligne également la Commission, une allégation au sens du règlement no 1924/2006 est spécifiquement non obligatoire en vertu de la législation de l’Union ou nationale. Une nouvelle fois, les dispositions en question n’imposent donc aucune exigence légale quant au contenu des denrées alimentaires concernées, mais précisent plutôt les conditions dans lesquelles les allégations nutritionnelles ou de santé peuvent être formulées.

48.

Enfin, concernant les denrées alimentaires destinées à une alimentation particulière, il n’est tout d’abord aucunement évident, à la lecture du dossier, que Blutquick relève de la définition des denrées alimentaires figurant à l’article 1er, paragraphes 2 et 3, de la directive 2009/39, même s’il semble bien destiné, entre autres, aux femmes allaitantes et aux personnes souffrant d’épuisement, lesquelles pourraient être considérées comme se trouvant «dans des conditions physiologiques particulières et [pouvant, de ce fait], tirer des bénéfices particuliers d’une ingestion contrôlée de certaines substances dans les aliments». Cependant, comme le souligne le gouvernement français, il n’en demeure pas moins que des substances nutritives ne doivent être ajoutées que lorsque cet ajout est «régi par des règles particulières dans les directives spécifiques concernées et, le cas échéant, par des critères quantitatifs appropriés» ( 16 ). Or, là encore, il y a non pas d’obligation de commercialiser, par exemple, un mélange de jus de fruits en tant que denrée alimentaire destinée à une alimentation particulière, mais uniquement une interdiction de le commercialiser en tant que tel s’il ne respecte pas les exigences fixées par la directive 2009/39 et le règlement no 953/2009.

49.

En résumé, tous les cas cités dans la demande préjudicielle ou par Herbaria, dans lesquels l’ajout de minéraux et/ou de vitamines pourrait être considéré comme «exigé par la loi», sont en fait des cas dans lesquels le fabricant n’est pas autorisé à commercialiser le produit en tant que complément alimentaire, avec des allégations nutritionnelles ou de santé ou en tant que denrée alimentaire destinée à une alimentation particulière, à moins qu’il ne contienne une certaine teneur en minéraux ou vitamines. Étant donné qu’il n’existe aucune exigence légale de commercialiser un quelconque produit dans ces termes, une interprétation excessivement large de l’article 27, paragraphe 1, sous f), du règlement no 889/2008 serait nécessaire pour inclure ces situations dans son champ d’application et autoriser, sur ce fondement, l’emploi de minéraux et/ou de vitamines dans la transformation de denrées alimentaires destinées à être commercialisées en tant que produits biologiques.

50.

En l’état actuel de la législation ( 17 ), il me semble que c’est la seule interprétation cohérente possible.

51.

Je reconnais que, dans le contexte de l’accord sur les obstacles techniques au commerce ( 18 ), l’organe d’appel de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) a considéré qu’une prescription imposant de respecter certaines conditions pour utiliser le label «dolphin-safe» pour un produit du thon (une situation qui n’est pas sans rappeler celle de la présente espèce) était obligatoire au sens de l’annexe 1.1 de cet accord même si le produit pouvait être commercialisé sans ce label ( 19 ).

52.

Cependant, les circonstances de la présente espèce sont plus complexes que celles examinées par l’organe d’appel. Il ne s’agit pas simplement ici d’un problème de respect de conditions particulières afin d’utiliser une allégation particulière sur l’étiquetage. Le problème consiste plutôt à concilier au moins deux séries d’exigences, lesquelles ne peuvent pas toutes nécessairement être respectées simultanément, afin d’utiliser une combinaison d’allégations sur l’étiquetage.

53.

Dans la législation de l’Union, certaines conditions doivent être remplies pour qu’un produit soit commercialisé en tant que produit biologique. D’autres conditions doivent être remplies pour qu’il soit commercialisé en tant que complément alimentaire, avec des allégations nutritionnelles ou de santé ou en tant que denrée alimentaire destinée à une alimentation particulière. Pour qu’il soit commercialisé à la fois comme produit biologique et comme complément alimentaire, avec des allégations nutritionnelles ou de santé ou en tant que denrée alimentaire destinée à une alimentation particulière, toutes les conditions requises doivent être remplies. Toutefois, il n’existe en aucun cas d’exigence légale imposant qu’un produit soit commercialisé sous l’une quelconque de ces formes. Lorsque les conditions pertinentes permettant la commercialisation sous une combinaison de formes ne peuvent pas toutes être remplies simultanément pour le même produit, il appartient au producteur de choisir comment commercialiser le produit et de vérifier ainsi quelles conditions doivent être remplies. Comme le souligne le gouvernement français, toute approche contraire permettrait aux fabricants de commercialiser en tant que produits biologiques des produits contenant des substances non biologiques non autorisées simplement en choisissant de formuler d’autres allégations en plus de celle tenant à la production biologique, qui ne pourraient pas être formulées sans l’ajout de ces substances.

54.

Néanmoins, Herbaria soutient que l’objectif visé à l’article 3, sous c), du règlement no 834/2007, consistant à produire une «grande variété» de denrées alimentaires et produits biologiques qui répondent à la demande des consommateurs, implique la possibilité de commercialiser des produits biologiques dans toutes les catégories alimentaires répondant à cette demande, y compris les compléments alimentaires, les produits diététiques et les denrées alimentaires courantes comportant des allégations nutritionnelles ou de santé.

55.

Cet argument ne me convainc pas. L’objectif en question inclut bien sûr la commercialisation de produits biologiques dans ces catégories. Toutefois, il n’inclut pas la commercialisation de produits dans ces catégories en tant que produits biologiques lorsqu’ils ne remplissent pas les conditions pour être commercialisés en tant que tels.

56.

C’est pourquoi je suis d’avis que les termes «dans les denrées alimentaires dans lesquelles ils sont incorporés est exigé par la loi», figurant à l’article 27, paragraphe 1, sous f), du règlement no 889/2008, font uniquement référence à une exigence légale directe imposant qu’au moins l’une des substances énumérées soit présente dans la denrée alimentaire pour autant que celle-ci doive être commercialisée d’une manière générale. Ces termes ne s’étendent pas à une situation dans laquelle la denrée alimentaire est commercialisée en tant que complément alimentaire, avec une allégation nutritionnelle ou de santé ou en tant que denrée alimentaire destinée à une alimentation particulière, sans toutefois pouvoir être commercialisée en tant que telle à moins de contenir une quantité déterminée de l’une de ces substances au moins.

Différence de traitement par rapport aux importations en provenance des États-Unis d’Amérique

57.

Dans ses observations écrites à la Cour, Herbaria a fait valoir que, à la suite de l’entrée en vigueur du règlement no 126/2012 [mettant en œuvre un échange de lettres entre la Commission et le Department of Agriculture (ministère de l’Agriculture) américain], les denrées alimentaires fabriquées aux États-Unis d’Amérique pouvaient être commercialisées en tant que produits biologiques dans l’Union même si elles contenaient des vitamines et minéraux à des fins nutritionnelles non biologiques, car cet étiquetage était autorisé aux États-Unis d’Amérique par l’article 205.605 du titre 7 (Agriculture) du code des règlements fédéraux) (Electronic Code of Federal Regulations) ( 20 ). Elle a cité un produit américain (Organic Life Vitamins), prétendument comparable à Blutquick, qui serait commercialisé dans l’Union et qui contiendrait des vitamines et minéraux non biologiques. Si Blutquick ne pouvait pas être commercialisé de la même manière, cela porterait atteinte au droit d’Herbaria à l’égalité de traitement.

58.

À la demande de la Cour, les observations orales présentées lors de l’audience ont été essentiellement consacrées à cette question.

59.

Ce point est, potentiellement, de toute première importance. Il laisse présager, dans un contexte un peu plus limité, le genre de problèmes qui pourraient survenir dans le cadre du Partenariat transatlantique pour le commerce et l’investissement (PTCI), qui est actuellement en cours de négociation entre la Commission, pour le compte de l’Union, et le représentant américain au commerce, pour le compte des États-Unis d’Amérique ( 21 ). C’est un problème de «reconnaissance mutuelle» qui soulève des questions d’égalité de traitement et, éventuellement, de discrimination à rebours. Si l’Union doit accepter l’importation puis la vente, en tant que produits biologiques, de denrées alimentaires qui ne respectent pas les règles de l’Union, mais offrent seulement des garanties équivalentes, l’on peut se demander s’il ne devrait pas être également autorisé de commercialiser, en tant que produits biologiques, des denrées alimentaires fabriquées dans l’Union qui respecteraient les exigences posées par les règles qui offrent ces garanties équivalentes. Concernant le PTCI, des inquiétudes ont été exprimées, entre autres, quant à une assimilation de facto de larges pans de mesures réglementaires et à une perte corrélative d’autonomie en matière de réglementation.

60.

Toutefois, la Cour aurait, à mon avis, de bonnes raisons de ne pas examiner ces questions dans le cadre de la présente procédure.

61.

Tout d’abord, le Verwaltungsgericht n’a demandé aucun éclaircissement sur cette question, même si, selon les déclarations formulées par le conseil d’Herbaria lors de l’audience, cette question avait été soulevée et débattue dans le cadre de la procédure nationale. La Cour a toujours soutenu qu’il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour ( 22 ). Dans ces conditions, je pense qu’il doit aussi appartenir au juge national, au moins en premier lieu, de décider qu’il n’est pas nécessaire qu’une question du droit de l’Union dont il est saisi soit tranchée pour être en mesure de rendre son jugement et qu’il n’y a donc pas lieu, dans l’intérêt de l’efficacité procédurale, de la poser à la Cour. La procédure préjudicielle a toujours été considérée comme un dialogue de juge à juge, dont le déclenchement dépend entièrement de l’appréciation que fait la juridiction nationale de la pertinence et de la nécessité dudit renvoi ( 23 ).

62.

Par ailleurs, le fait que le Verwaltungsgericht n’ait pas évoqué la question soulevée par Herbaria implique inévitablement que sa demande préjudicielle ne contient pas l’ensemble des éléments requis par l’article 94 du règlement de procédure de la Cour en ce qui concerne cette question. En particulier, elle ne contient aucune indication sur d’éventuelles constatations factuelles ou hypothèses concernant la comparabilité d’Organic Life Vitamins avec Blutquick, sur la vente effective du premier produit dans l’Union conformément aux procédures établies par l’article 33 du règlement no 834/2007, ni sur la conformité possible du second produit aux règlements américains dans l’hypothèse où il aurait été fabriqué aux États-Unis d’Amérique; et elle ne contient bien sûr aucune indication expliquant les raisons pour lesquelles un jugement sur l’interprétation des règles relatives à l’étiquetage et à la commercialisation des denrées alimentaires biologiques provenant des États-Unis d’Amérique pourrait être nécessaire.

63.

En disant cela, je n’entends pas critiquer le Verwaltungsgericht. Au contraire, cette juridiction a manifestement décidé, en connaissance de cause, de ne pas poser de question sur ce point et, donc, de s’abstenir, à juste titre, de fournir une explication et des détails factuels à ce sujet. Par conséquent, si la Cour examinait cette question, elle devrait le faire in abstracto, sans connaître les raisons qui ont incité le Verwaltungsgericht à ne pas demander d’éclaircissements sur ce point ni les éléments factuels et procéduraux sur la base desquels ces raisons pourraient être remises en cause. La Cour dépasserait les limites de sa fonction si elle décidait de statuer sur un problème qui est de nature hypothétique, sans disposer des éléments de fait ou de droit nécessaires ( 24 ). À mon avis, répondre à une question soulevée par une partie au principal sans le consentement de la juridiction de renvoi outrepasserait encore davantage les limites de cette fonction.

64.

En outre, examiner une question qui a été posée non pas dans la demande préjudicielle – et qui ne se situe même pas dans le prolongement naturel ou logique des questions qui y sont soulevées –, mais uniquement dans les observations d’une partie au principal, reviendrait à priver les États membres, pour partie, des droits que leur confère l’article 23 du statut de la Cour, d’être informés de l’objet des questions posées à la Cour et de déposer des observations écrites sur ces questions. Il est vrai qu’un État membre peut demander à présenter des observations orales lors de l’audience en réponse à des points soulevés dans les observations écrites. Cependant, d’une part, il se peut qu’il n’ait pas reçu ces observations dans sa propre langue officielle, alors que la demande de décision préjudicielle est toujours traduite, ou tout au moins résumée, dans toutes les langues officielles de l’Union et, d’autre part, un temps limité étant imparti lors des audiences, il peut s’avérer impossible de présenter des observations aussi détaillées et utiles qu’à l’écrit.

65.

Par ailleurs, comme la Commission l’a souligné lors de l’audience, la procédure au principal concerne un recours contre une décision prise par les autorités bavaroises au mois de décembre 2011, dont la validité devrait donc sans doute être appréciée au regard de la loi en vigueur à l’époque. Conformément à son article 3, le règlement no 126/2012, sur lequel Herbaria fonde ses allégations, n’était applicable qu’à compter du 1er juin 2012. Il apparaît donc qu’au moment de ce qui semble être la date pertinente, il ne pouvait pas y avoir de denrées alimentaires en provenance des États-Unis d’Amérique contenant des vitamines et minéraux non biologiques, dont la commercialisation dans l’Union en tant que produits biologiques était autorisée, qu’Herbaria aurait pu invoquer pour fonder un grief d’inégalité de traitement.

66.

Dans ces circonstances, je suggère à la Cour de ne pas tenter d’examiner la question supplémentaire soulevée par Herbaria dans le cadre de la présente procédure. Toutefois, si la Cour jugeait opportun de le faire, je considère qu’elle devrait d’abord demander des éclaircissements au Verwaltungsgericht en application de l’article 101 du règlement de procédure, puis, le cas échéant, rouvrir la phase orale conformément à l’article 83 de ce règlement afin de permettre aux États membres intéressés de présenter des observations à la lumière de ces éclaircissements.

Conclusion

67.

À la lumière de l’ensemble des considérations qui précèdent, j’estime que la Cour devrait répondre à la demande préjudicielle dans les termes suivants:

L’article 27, paragraphe 1, sous f), du règlement (CE) no 889/2008 de la Commission, du 5 septembre 2008, portant modalités d’application du règlement (CE) no 834/2007 du Conseil doit être interprété en ce sens que l’emploi des substances visées n’est exigé par la loi que si une disposition du droit de l’Union ou une disposition nationale conforme au droit de l’Union prescrit directement l’ajout desdites substances dans la denrée alimentaire dans laquelle elles doivent être incorporées ou fixe à tout le moins une teneur minimale desdites substances, avant la mise sur le marché de cette denrée alimentaire.

Cette exigence n’est pas requise lorsque, sans l’ajout d’au moins l’une des substances visées, la commercialisation d’une denrée alimentaire en tant que complément alimentaire, avec une allégation nutritionnelle ou de santé ou en tant que denrée alimentaire destinée à une alimentation particulière serait trompeuse et induirait le consommateur en erreur, la denrée alimentaire ne pouvant, en raison d’une trop faible concentration de l’une des substances visées, remplir sa finalité en tant que produit alimentaire ou l’objectif indiqué dans l’allégation nutritionnelle ou de santé. Cette exigence n’est pas non plus requise lorsqu’une allégation nutritionnelle ou de santé déterminée ne peut être utilisée que pour les denrées alimentaires contenant une quantité «significative» de la ou des substances visées.


( 1 ) Langue originale: l’anglais.

( 2 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 10 juin 2002 relative au rapprochement des législations des États membres concernant les compléments alimentaires (JO 2002, L 183, p. 51), telle que modifiée (ci-après la «directive 2002/46»).

( 3 ) Règlement du Parlement européen et du Conseil du 20 décembre 2006 concernant les allégations nutritionnelles et de santé portant sur les denrées alimentaires (JO 2006, L 404, p. 9).

( 4 ) Directive du Conseil du 24 septembre 1990 relative à l’étiquetage nutritionnel des denrées alimentaires (JO 1990, L 276, p. 40). L’annexe I prévoit: «De manière générale, la quantité à prendre en considération pour décider de ce qui constitue une quantité significative correspond à 15 % de l’apport recommandé spécifié à la présente annexe pour 100 g ou 100 ml ou par emballage si celui-ci ne contient qu’une seule portion». Un apport journalier recommandé (AJR) est fixé pour un certain nombre de substances, y compris le fer et les différentes vitamines que le produit en cause dans la procédure au principal est censé contenir.

( 5 ) Règlement de la Commission du 16 mai 2012 établissant une liste des allégations de santé autorisées portant sur les denrées alimentaires, autres que celles faisant référence à la réduction du risque de maladie ainsi qu’au développement et à la santé infantiles (JO 2012, L 136, p. 1).

( 6 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 6 mai 2009 relative aux denrées alimentaires destinées à une alimentation particulière (refonte) (JO 2009, L 124, p. 21).

( 7 ) Règlement de la Commission du 13 octobre 2009 relatif aux substances qui peuvent être ajoutées dans un but nutritionnel spécifique aux denrées alimentaires destinées à une alimentation particulière (JO 2009, L 269, p. 9).

( 8 ) Règlement du Conseil du 28 juin 2007 relatif à la production biologique et à l’étiquetage des produits biologiques et abrogeant le règlement (CEE) no 2092/91 (JO 2007, L 189, p. 1).

( 9 ) L’annexe énumère, pour chacune des (désormais) 25 langues utilisées dans l’Union (les 24 langues officielles plus le luxembourgeois), un ou deux termes, qui signifient presque tous «biologique» ou «écologique» (les exceptions sont l’estonien, où un mot signifiant apparemment «doux» peut être utilisé, et le finnois, où le sens du terme donné semble être plus proche de «naturel»).

( 10 ) Règlement de la Commission du 5 septembre 2008 portant modalités d’application du règlement no 834/2007 du Conseil (JO 2008, L 250, p. 1).

( 11 ) Règlement de la Commission du 8 écembre 2008 portant modalités d’application du règlement no 834/2007 du Conseil en ce qui concerne le régime d’importation de produits biologiques en provenance des pays tiers (JO 2008, L 334, p. 25).

( 12 ) Règlement d’exécution de la Commission du 14 février 2012 modifiant le règlement no 889/2008 en ce qui concerne les documents justificatifs et modifiant le règlement no 1235/2008 en ce qui concerne le régime d’importation de produits biologiques en provenance des États-Unis d’Amérique (JO 2012, L 41, p. 5).

( 13 ) Cela semble faire référence à un document national intitulé «Toxikologische und ernährungsphysiologische Aspekte der Verwendung von Mineralstoffen und Vitaminen in Lebensmitteln» (aspects toxicologiques, nutritionnels et physiologiques de l’utilisation de minéraux et vitamines dans les denrées alimentaires), publié en 2002 ou en 2004 par le Bundesinstitut für gesundheitlichen Verbraucherschutz und Veterinärmedizin allemand (Institut fédéral de protection de la santé des consommateurs et de médecine vétérinaire), qui formule certaines recommandations pour la législation future. Voir également note en bas de page 4 des présentes conclusions.

( 14 ) Voir également article 6 du règlement no 834/2007, cité au point 22 des présentes conclusions, qui utilise des termes tels que «restriction», «le moins possible», «seulement», «essentiel» et «exclusion».

( 15 ) Le Verwaltungsgericht précise que Blutquick n’est pas un produit qui relève du Diätverordnung (voir point 33 des présentes conclusions). Un document également mentionné dans la décision de renvoi (voir note 13 des présentes conclusions) propose, afin d’éviter d’induire les consommateurs en erreur, que la teneur minimale en minéraux des compléments alimentaires soit telle qu’elle permette d’absorber 15 % de la quantité maximale respective recommandée en consommant la dose préconisée par le fabricant, mais rien n’indique que cette proposition ait été mise en œuvre.

( 16 ) Voir point 19 des présentes conclusions.

( 17 ) Je ne chercherai pas à savoir s’il devrait être possible qu’un produit soit commercialisé avec une référence au mode de production biologique dans les circonstances de l’affaire au principal; cette question relève de la seule compétence du législateur.

( 18 ) Annexe 1A des Négociations multilatérales du cycle de l’Uruguay (1986/1994) (JO 1994, L 336, p. 86, ci-après l’«accord OTC»).

( 19 ) Rapport de l’organe d’appel, États-Unis – Mesures concernant l’importation, la commercialisation et la vente de thon et de produits du thon, WT/DS381/AB/R, adopté le 13 juin 2012, voir en particulier point 196.

( 20 ) http://www.ecfr.gov.

( 21 ) Voir http://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2013/july/tradoc_151605.pdf pour un résumé sommaire. Il convient également de noter que, selon les prescriptions de l’article 2.7 de l’accord OTC (cité à la note en bas de page 18), les Membres «envisageront de manière positive d’accepter comme équivalents les règlements techniques des autres Membres, même si ces règlements diffèrent des leurs, à condition d’avoir la certitude que ces règlements remplissent de manière adéquate les objectifs de leurs propres règlements».

( 22 ) Pour un exemple récent, voir arrêt Nordecon et Ramboll Eesti (C‑561/12, EU:C:2013:793, point 29).

( 23 ) Pour un exemple récent, voir arrêt Križan e.a. (C‑416/10, EU:C:2013:8, point 66).

( 24 ) Pour un exemple récent de la jurisprudence constante, voir ordonnance Società cooperativa Madonna dei miracoli (C‑82/13, EU:C:2013:655, points 11 et 12 ainsi que jurisprudence citée).