ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

21 novembre 2013 ( *1 )

«Renvoi préjudiciel — Article 43 CE — Véhicules automobiles — Utilisation dans un État membre d’un véhicule particulier à moteur immatriculé dans un autre État membre — Taxation de ce véhicule dans le premier État membre lors de sa première utilisation sur le réseau routier national ainsi que dans le second État membre lors de son immatriculation — Véhicule utilisé par le citoyen concerné tant à des fins privées que pour se rendre, depuis l’État membre d’origine, sur le lieu de travail situé dans le premier État membre»

Dans l’affaire C‑302/12,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Hoge Raad der Nederlanden (Pays-Bas), par décision du 6 avril 2012, parvenue à la Cour le 20 juin 2012, dans la procédure

X

contre

Minister van Financiën

LA COUR (deuxième chambre),

composée de Mme R. Silva de Lapuerta (rapporteur), président de chambre, MM. J. L. da Cruz Vilaça, G. Arestis, J.‑C. Bonichot et A. Arabadjiev, juges,

avocat général: Mme J. Kokott,

greffier: M. A. Calot Escobar,

considérant les observations présentées:

pour X, par M. B. Schuver, advocaat,

pour le gouvernement néerlandais, par Mmes B. Koopman et C. Wissels, en qualité d’agents,

pour le gouvernement grec, par Mmes M. Tassopoulou et G. Papagianni, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par Mme C. Barslev et M. W. Roels, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 5 septembre 2013,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 43 CE.

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant X au Minister van Financiën (ministère des Finances) au sujet d’un avis de redressement adressé à l’intéressée en raison du non-paiement de la taxe sur les voitures de tourisme et les motos (ci-après la «taxe VM»), lors de la première utilisation d’un véhicule automobile particulier sur le réseau routier néerlandais.

Le cadre juridique

3

L’article 1er, paragraphe 1, de la loi de 1992 relative à la taxe sur les voitures de tourisme et les motos (Wet op de belasting van personenauto’s en motorrijwielen 1992, Stb. 1992, no 709, ci-après la «loi de 1992») dispose que ces véhicules particuliers à moteur sont soumis à cette taxe.

4

En vertu de l’article 1er, paragraphes 2 et 5, de la loi de 1992, la taxe VM est due à l’occasion de l’inscription du véhicule au registre des immatriculations néerlandais. Cependant, lorsqu’une voiture de tourisme ou une moto, non immatriculée aux Pays-Bas, est mise à la disposition d’une personne physique ou d’une personne morale résidant ou établie dans cet État membre, cette taxe est due à compter de la première utilisation de ce véhicule à moteur sur le réseau routier néerlandais.

5

L’article 5, paragraphe 2, de cette loi prévoit que, pour les voitures de tourisme ou les motos non enregistrées, le redevable de la taxe VM est la personne qui a la disposition effective du véhicule.

6

En vertu de l’article 9, paragraphe 1, de ladite loi, pour une voiture de tourisme, le taux de ladite taxe s’élève, sous réserve des minorations et des majorations prévues à cette disposition, à 45,2 % du prix net sur catalogue de ce véhicule. Ce prix correspond au prix de vente conseillé au revendeur par le fabricant ou l’importateur, diminué de la taxe sur la valeur ajoutée.

7

S’agissant des véhicules automobiles neufs, le prix net sur catalogue est déterminé au jour où un numéro d’immatriculation leur a été attribué aux Pays-Bas. S’agissant des véhicules automobiles d’occasion, leur prix net sur catalogue est déterminé par rapport à la date de leur première utilisation, que celle-ci ait lieu ou non sur le territoire néerlandais.

8

Lors de la première utilisation sur le réseau routier néerlandais de voitures de tourisme ou de motos non immatriculées aux Pays-Bas et mises à la disposition d’une personne physique ou d’une personne morale résidant ou établie dans cet État membre, la réglementation nationale en cause au principal prévoit l’application, en vue du paiement de la taxe VM, du prix net sur catalogue correspondant aux véhicules d’occasion.

9

Afin de prélever ladite taxe sur ces véhicules d’occasion, il est tenu compte de la période d’utilisation déjà écoulée, le montant de la taxe étant réduit d’un pourcentage déterminé.

Le litige au principal et les questions préjudicielles

10

X est ressortissante belge. Elle dispose, depuis l’année 1998, d’un cabinet d’orthodontie aux Pays-Bas et possède dans cet État membre une maison qu’elle occupe avec son compagnon pendant les périodes d’ouverture de ce cabinet. En dehors de ces périodes, le couple occupe un appartement qu’il loue en Belgique.

11

X possède une voiture qu’elle a achetée en Belgique au cours de l’année 2004 et qu’elle utilise aussi bien dans cet État membre qu’aux Pays-Bas, à des fins tant privées que professionnelles. Il ressort du dossier que chaque année, les distances parcourues par X au moyen de ce véhicule sont effectuées pour moitié en Belgique et pour moitié aux Pays-Bas.

12

X a immatriculé sa voiture en Belgique et s’est acquittée, au titre de la taxe de mise en circulation belge, de la somme de 4957 euros.

13

Le 19 juillet 2006, le service des impôts néerlandais a constaté que X utilisait sa voiture sur le réseau routier néerlandais sans s’être acquittée de la taxe VM. Un avis de redressement portant sur un montant de 17315 euros lui a, de ce fait, été adressé.

14

X a introduit une réclamation à l’encontre de cet avis de redressement, lequel a toutefois été confirmé par le Belastinginspecteur (Inspecteur des impôts), au motif que l’intéressée résidait aux Pays-Bas et utilisait sa voiture sur la voie publique néerlandaise.

15

Alors que le recours de X dirigé contre la décision du Belastinginspecteur a été accueilli par le Rechtbank te Leeuwarden, le Gerechtshof te Leeuwarden a accueilli l’appel du Minister van Financiën et a annulé le jugement du Rechtbank te Leeuwarden.

16

Selon le Gerechtshof te Leeuwarden, X ne saurait se prévaloir du principe de proportionnalité, dès lors que sa voiture est utilisée durablement et principalement aux Pays-Bas et que la taxe VM ne constitue aucunement une entrave à l’exercice des libertés garanties par le droit de l’Union. À cet égard, le fait d’avoir acquitté la taxe de mise en circulation belge ne s’opposerait pas à ce que X soit redevable de la taxe VM à raison de ce véhicule, en sa qualité de résidente des Pays-Bas, au sens de la réglementation néerlandaise.

17

X s’est pourvue en cassation contre l’arrêt du Gerechtshof te Leeuwarden devant la juridiction de renvoi. Selon cette dernière juridiction, il est constant que X réside aux Pays-Bas, au sens de la réglementation néerlandaise, bien qu’il ne saurait être exclu qu’elle puisse être également considérée comme résidant en Belgique, au sens de la réglementation belge. À cet égard, dans la mesure où ce dernier point n’est pas contesté, la juridiction de renvoi part de la prémisse selon laquelle X réside également en Belgique et que sa voiture est également destinée à être utilisée de façon durable dans cet État membre.

18

C’est dans ce contexte que le Hoge Raad der Nederlanden a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)

L’exercice des compétences fiscales par deux États membres, en particulier la perception d’une taxe d’immatriculation sur un véhicule à moteur, est-il illimité lorsqu’un citoyen de l’Union réside dans deux États membres conformément à [leurs] législations nationales et utilise effectivement et durablement dans ces deux États membres un véhicule à moteur dont il est propriétaire?

2)

En cas de réponse négative à la première question, le principe de proportionnalité peut-il avoir un effet correcteur en matière de perception d’une taxe d’immatriculation dans un cas tel que celui de l’espèce et, dans l’affirmative, ce principe implique-t-il qu’un État membre ou les deux États membres doivent s’imposer des limites dans l’exercice de leurs compétences fiscales et de quelle manière?»

Sur les questions préjudicielles

19

À titre liminaire, il y a lieu de relever que, dans ses questions, la juridiction de renvoi ne donne aucune indication sur la disposition ou les dispositions du droit de l’Union au regard desquelles la Cour devrait porter son appréciation.

20

À cet égard, dans des circonstances similaires, la Cour a précisé qu’il lui incombe d’extraire de l’ensemble des éléments fournis par la juridiction nationale, et notamment de la motivation de la décision de renvoi, les éléments du droit de l’Union pertinents, compte tenu de l’objet du litige au principal (arrêt du 5 mai 2011, Bartlett e.a., C-537/09, Rec. p. I-3417, point 36).

21

En l’occurrence, compte tenu du fait que X est une ressortissante belge qui exerce une activité non salariée d’orthodontiste aux Pays-Bas et que l’avis de redressement en cause au principal lui a été adressé au cours du mois de juillet 2006, il y a lieu, pour la Cour, d’apprécier les questions posées par la juridiction de renvoi au regard de la liberté d’établissement visée à l’article 43 CE.

22

Dès lors, les questions posées par la juridiction de renvoi, qu’il y a lieu d’examiner ensemble, doivent être comprises comme portant sur le point de savoir, en substance, si l’article 43 CE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation d’un État membre qui soumet à une taxe lors de la première utilisation sur le réseau routier national un véhicule automobile immatriculé et ayant déjà fait l’objet d’une taxation en raison de son immatriculation dans un autre État membre, lorsque ce véhicule est destiné à être essentiellement utilisé effectivement et durablement dans ces deux États membres ou est, en fait, utilisé de cette façon.

23

À cet égard, il convient de rappeler que, sous réserve de certaines exceptions non pertinentes dans l’affaire au principal, la taxation des véhicules automobiles n’a pas été harmonisée au niveau de l’Union européenne. Les États membres sont donc libres d’exercer leur compétence fiscale dans ce domaine, à condition de l’exercer dans le respect du droit de l’Union (voir arrêt du 26 avril 2012, van Putten e.a., C‑578/10 à C‑580/10, point 37 et jurisprudence citée, ainsi que ordonnance du 27 avril 2012, Notermans-Boddenberg, C‑114/11, point 21).

24

En ce qui concerne les taxes d’immatriculation des véhicules, il est de jurisprudence constante qu’un État membre peut soumettre à une taxe d’immatriculation un véhicule automobile immatriculé dans un autre État membre lorsque ledit véhicule est destiné à être essentiellement utilisé sur le territoire du premier État membre à titre permanent ou qu’il est, en fait, utilisé de cette façon (voir arrêt van Putten e.a., précité, point 46, ainsi que ordonnance Notermans-Boddenberg, précitée, point 26).

25

S’agissant, en particulier, de la taxe VM, la Cour a eu l’occasion de constater que, si des véhicules non immatriculés aux Pays-Bas sont destinés à être essentiellement utilisés sur le territoire néerlandais à titre permanent ou s’ils sont, en fait, utilisés de cette façon, une différence de traitement entre la personne qui réside aux Pays-Bas et qui utilise un tel véhicule et la personne qui utilise, dans les mêmes conditions, un véhicule immatriculé dans cet État membre n’existe pas, dès lors que ce dernier véhicule, qui est également destiné à être essentiellement utilisé sur le territoire néerlandais à titre permanent, a déjà été soumis à la taxe VM lors de son immatriculation aux Pays-Bas (voir arrêt van Putten e.a., précité, point 50, ainsi que ordonnance Notermans-Boddenberg, précitée, point 27).

26

De même, il a été jugé que, dans ces conditions, le fait d’exiger le paiement de la taxe VM, à l’occasion de la première utilisation sur le réseau routier néerlandais de véhicules non immatriculés aux Pays-Bas, est justifié à l’instar du paiement de la taxe due à l’occasion de l’immatriculation d’un véhicule aux Pays-Bas, pour autant que ladite taxe tient compte, ainsi qu’il semble résulter de la loi de 1992, de la dépréciation du véhicule au moment de cette première utilisation (voir arrêt van Putten e.a., précité, point 51, ainsi que ordonnance Notermans-Boddenberg, précitée, point 28).

27

La juridiction de renvoi demande si le seul fait qu’un véhicule soit destiné à être essentiellement utilisé effectivement et durablement ou qu’il soit, en fait, utilisé de cette façon, non seulement sur le territoire néerlandais, mais aussi, sur le territoire de l’État membre de son immatriculation, devrait donner lieu à des limites dans l’exercice des compétences fiscales de ces deux États membres.

28

À cet égard, il y a lieu de rappeler que, en l’absence d’une harmonisation au niveau de l’Union, les désavantages pouvant découler de l’exercice parallèle des compétences fiscales des différents États membres, pour autant qu’un tel exercice n’est pas discriminatoire, ne constituent pas des restrictions aux libertés de circulation (voir arrêt du 8 décembre 2011, Banco Bilbao Vizcaya Argentaria, C-157/10, Rec. p. I-13023, point 38).

29

Par ailleurs, ainsi que l’a relevé Mme l’avocat général au point 48 de ses conclusions, en se référant à l’arrêt Banco Bilbao Vizcaya Argentaria, précité (point 39), à supposer même que le fait générateur de la taxe VM et de la taxe de mise en circulation belge soit identique, il y a lieu de rappeler que les États membres ne sont pas tenus d’adapter leur propre système fiscal aux différents systèmes de taxation des autres États membres, en vue notamment d’éliminer des doubles impositions.

30

En l’espèce, même si la voiture en cause au principal est utilisée par X tant à des fins privées que pour se rendre sur son lieu de travail, situé dans un autre État membre, la législation en cause au principal ne désavantage pas l’intéressée par rapport aux personnes exerçant une activité non salariée qui étaient déjà assujetties à la taxe VM, étant donné que tout résident des Pays-Bas, qu’il exerce ou non une telle activité, est soumis à cette taxe soit à l’occasion de l’inscription d’un véhicule à moteur au registre des immatriculations néerlandais, soit à compter de la première utilisation d’un tel véhicule, immatriculé dans un autre État membre, sur le réseau routier néerlandais (voir en ce sens, s’agissant de l’article 39 CE, ordonnance Notermans-Boddenberg, précitée, point 30).

31

Il s’ensuit que le désavantage fiscal subi par X, au regard de la situation dans laquelle celle-ci exerçait ses activités antérieurement à l’exercice de sa liberté d’établissement aux Pays-Bas, qui découle seulement de l’exercice non discriminatoire, par les deux États membres concernés, de leurs compétences fiscales, ne contrevient pas à l’article 43 CE.

32

Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux questions posées que l’article 43 CE doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation d’un État membre qui soumet à une taxe, lors de la première utilisation sur le réseau routier national, un véhicule automobile immatriculé et ayant déjà fait l’objet d’une taxation en raison de son immatriculation dans un autre État membre, lorsque ce véhicule est destiné à être essentiellement utilisé effectivement et durablement dans ces deux États membres ou est, en fait, utilisé de cette façon, pour autant que cette taxe n’est pas discriminatoire.

Sur les dépens

33

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit:

 

L’article 43 CE doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation d’un État membre qui soumet à une taxe, lors de la première utilisation sur le réseau routier national, un véhicule automobile immatriculé et ayant déjà fait l’objet d’une taxation en raison de son immatriculation dans un autre État membre, lorsque ce véhicule est destiné à être essentiellement utilisé effectivement et durablement dans ces deux États membres ou est, en fait, utilisé de cette façon, pour autant que cette taxe n’est pas discriminatoire.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure: le néerlandais.