CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. NIILO JÄÄSKINEN

présentées le 30 avril 2014 ( 1 )

Affaire C‑417/12 P

Royaume de Danemark

contre

Commission

«Pourvoi — Irrecevabilité — FEOGA — ‘Section Garantie’ — Exclusion du financement communautaire de certaines dépenses effectuées par le Royaume de Danemark au titre du gel des superficies — Contrôles par télédétection — Articles 15, 22 et 23 du règlement (CE) no 2419/2001 — Article 19 du règlement (CE) no 2316/1999 — Couverture végétale sur les parcelles gelées — Charge et niveau de la preuve — Conditions d’application d’une correction forfaitaire»

I – Introduction

1.

Selon une jurisprudence établie, les États membres sont tenus d’organiser un ensemble de contrôles administratifs et de contrôles sur place permettant d’assurer que les conditions matérielles et formelles d’octroi des sommes allouées par le Fonds européen d’orientation et de garantie agricole (FEOGA) soient correctement observées. Si des défaillances sont détectées par la Commission et si des pertes pour le FEOGA sont constatées, la Commission peut exclure du financement les dépenses inéligibles. Il en va également ainsi s’il existe un doute sérieux et raisonnable à cet égard, sans que l’État membre en question ait réussi à fournir d’éléments susceptibles d’étayer ses arguments tendant à lever ledit doute. Ce principe régit tant la détermination de la charge de la preuve que l’application des corrections forfaitaires dans les cas où il existe des irrégularités affectant les sommes octroyées par le FEOGA.

2.

Par son pourvoi, le Royaume de Danemark demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 3 juillet 2012 ( 2 ) (ci‑après l’«arrêt attaqué»), qui a rejeté son recours tendant à obtenir, à titre principal, l’annulation partielle de la décision 2009/253/CE de la Commission, du 19 mars 2009 (ci‑après la «décision litigieuse») ( 3 ), en ce qu’elle exclut du financement communautaire certaines dépenses effectuées par le Royaume de Danemark au titre du gel des superficies.

3.

Par la décision litigieuse, la Commission européenne a, en ce qui concerne le Royaume de Danemark, au titre des exercices financiers 2003, 2004 et 2005, portant respectivement sur les campagnes 2002, 2003 et 2004, proposé d’appliquer des corrections financières forfaitaires. Les corrections s’élevaient, selon les cas, à 2 %, à 5 % ou à 10 %, au titre des lacunes constatées quant aux contrôles par télédétection et aux contrôles du respect des exigences réglementaires pour les superficies gelées (ci‑après les «contrôles des superficies gelées»).

II – Les antécédents du litige, la procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

4.

Par requête déposée au greffe du Tribunal le 2 juin 2009, le Royaume de Danemark a introduit un recours pour obtenir, à titre principal, l’annulation partielle de la décision litigieuse. Le recours, enregistré au greffe du Tribunal sous le numéro T‑212/09, était fondé sur quatre moyens, tirés, premièrement, d’erreurs de droit et d’appréciation des règles relatives aux contrôles par télédétection, deuxièmement, d’erreurs de droit et d’appréciation des règles relatives aux contrôles des superficies gelées, troisièmement, d’une violation des formes substantielles et, quatrièmement, d’erreurs de droit et d’appréciation des règles relatives aux corrections financières.

5.

Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté intégralement le recours et condamné chaque partie à supporter ses propres dépens.

6.

Pour la description détaillée des faits et de la procédure à l’origine du litige, il est renvoyé à la présentation figurant dans l’arrêt attaqué.

III – Les conclusions des parties et la procédure devant la Cour

7.

Par requête déposée au greffe de la Cour le 13 septembre 2012, le Royaume de Danemark a formé un pourvoi contre l’arrêt attaqué. Il conclut à ce qu’il plaise à la Cour d’annuler en tout ou en partie l’arrêt du Tribunal, de faire droit aux demandes formulées devant le Tribunal et, à titre subsidiaire, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il y soit à nouveau statué.

8.

À l’appui de son pourvoi, le Royaume de Danemark fait valoir cinq moyens. Le premier moyen est tiré d’une erreur de droit concernant l’interprétation de l’article 15 du règlement no 2419/2001, lu conjointement avec l’article 23 du même règlement, au sujet de l’insuffisance des mesures de contrôle par télédétection ( 4 ). Le deuxième moyen est tiré de deux erreurs de droit, l’une concernant la mauvaise interprétation de l’article 19, paragraphe 4, du règlement no 2316/1999 et l’autre concernant une obligation injustifiée et indéfinie de fauchage de la couverture végétale éventuelle ( 5 ). Le troisième moyen est fondé sur la dénaturation de la charge de la preuve. Le quatrième moyen est tiré d’une mauvaise application des conditions d’une correction forfaitaire tandis que, selon le cinquième moyen, les conditions pour l’application de corrections forfaitaires de 5 % et de 10 % respectivement n’étaient pas réunies.

9.

La Commission conclut à ce qu’il plaise à la Cour de rejeter le pourvoi et, subsidiairement, de confirmer l’arrêt attaqué et de condamner le Royaume de Danemark aux dépens.

10.

La République française, le Royaume des Pays‑Bas, la République de Finlande et le Royaume de Suède ont été admis à intervenir au soutien du Royaume de Danemark. Ces États membres ont déposé des mémoires en intervention.

11.

Lors de l’audience du 12 décembre 2013, les représentants du Royaume de Danemark et de la Commission ainsi que le représentant du Royaume de Suède ont été entendus.

IV – Analyse juridique

A – Sur la recevabilité du pourvoi

12.

La Commission conclut en premier lieu au «rejet» du pourvoi, ce que j’interprète comme une demande adressée à la Cour, en réalité, de déclarer le pourvoi irrecevable. En effet, la Commission fait valoir que le présent pourvoi se limite à répéter ou à reproduire textuellement les moyens et les arguments qui ont été présentés devant le Tribunal, y compris ceux qui étaient fondés sur des faits expressément rejetés par cette juridiction. Elle ajoute qu’un tel pourvoi constitue plutôt une demande visant à obtenir un simple réexamen de la requête présentée devant le Tribunal, ce qui échappe à la compétence de la Cour ( 6 ). Selon la Commission, l’action intentée par le Royaume de Danemark porte uniquement – ou du moins dans une très large mesure – sur l’appréciation des faits par le Tribunal.

13.

Pour ma part, je relève que le pourvoi contient incontestablement certains des éléments critiqués par la Commission. Néanmoins, les griefs du Royaume de Danemark se fondent clairement sur de prétendues erreurs juridiques commises par le Tribunal. En effet, le pourvoi vise, en substance, à remettre en cause la position du Tribunal sur plusieurs questions de droit qui lui ont été soumises en première instance, y compris la qualification juridique des éléments factuels par le Tribunal. Ainsi, conformément à la jurisprudence de la Cour, dans la mesure où ledit pourvoi comporte des indications précises sur les points critiqués de l’arrêt attaqué ainsi que les moyens et les arguments sur lesquels il s’appuie, il ne saurait être déclaré irrecevable dans son intégralité ( 7 ).

B – Sur le premier moyen, tiré d’une erreur d’interprétation du règlement no 2419/2001 et d’une omission partielle de statuer

1. Argumentation des parties

14.

Au sujet de l’interprétation des articles 15 et 23 du règlement no 2419/2001, le Royaume de Danemark, soutenu à cet égard par la République française, fait valoir que le Tribunal adopte une interprétation erronée quand il conclut, aux points 51 et 52 de l’arrêt attaqué, que la Commission peut, en vue d’apprécier l’efficacité des contrôles par télédétection des États membres, utiliser tout moyen adéquat, y compris des mesures au sol à l’aide d’un dispositif de positionnement global (ci‑après le «GPS»), afin d’effectuer des comparaisons. Le Royaume de Danemark affirme qu’une différence entre un mesurage par télédétection et un mesurage par GPS ne pourra pas servir aux fins de déterminer si la télédétection a été suffisamment efficace au sens de l’article 15 du règlement no 2419/2001.

15.

Il soutient également que le Tribunal a omis, dans l’arrêt attaqué, de se prononcer sur certains des autres moyens par lesquels le Royaume de Danemark conteste la validité des conclusions de la Commission concernant l’efficacité des mesures danoises de contrôle par télédétection, au motif que ces conclusions reposeraient sur un certain nombre d’erreurs fondamentales. Le Royaume de Danemark estime que, dans ces conditions, le Tribunal, lorsqu’il affirme, au point 50 de l’arrêt attaqué, que la Commission avait antérieurement mis en doute la qualité des contrôles par télédétection exécutés, n’a pas présenté fidèlement les faits. De plus, le Tribunal aurait négligé de tenir compte des actions correctives mises en œuvre par le Royaume de Danemark concernant l’utilisation des images dites «HR» (images en haute résolution) ( 8 ).

16.

La Commission soutient que, aux points 48 et 49 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a, à bon droit, conclu que le contrôle effectué par les autorités danoises s’était avéré insuffisant et, aux points 51 et 52 de l’arrêt attaqué, il a considéré que le grief que le Royaume de Danemark a réitéré dans son pourvoi n’était pas fondé.

2. Appréciation

17.

Le fait que le Tribunal a considéré à juste titre que la question qui se posait en l’espèce n’était pas de savoir si l’utilisation d’images en haute résolution était autorisée mais de quelle manière lesdites images devaient être utilisées est essentiel à mon avis ( 9 ). En effet, il résulte des dispositions pertinentes du droit de l’Union, c’est‑à‑dire notamment de l’article 15 du règlement no 2419/2001 et de l’article 22, paragraphe 1 ( 10 ), du règlement no 2419/2001, qu’il incombe aux États membres d’adopter les mesures qu’ils jugent à même de garantir l’efficacité des contrôles et, partant, l’exactitude des mesures prises en recourant à la télédétection ( 11 ).

18.

Or, le Royaume de Danemark affirme à tort que le Tribunal aurait interprété les articles 15 et 23 du règlement no 2419/2001 d’une façon erronée en ce qui concerne l’utilisation d’un mesurage par GPS aux fins de déterminer si la télédétection a été suffisamment efficace au sens du règlement no 2419/2001.

19.

Selon moi, le Tribunal a correctement reconnu non seulement la responsabilité des États membres quant à la qualité du contrôle, mais aussi le droit de la Commission d’effectuer des vérifications supplémentaires, le cas échéant, afin de pouvoir apprécier la fiabilité des contrôles mis en œuvre par les États membres. Le Tribunal ne saurait être reproché d’avoir privilégié une méthode de mesurage spécifique ou de tirer des conclusions inadéquates en cas d’utilisation de méthodes différentes. Ni le libellé ni l’objectif des articles 15, 22 et 23 du règlement no 2419/2001 n’exigent que la Commission favorise une certaine méthode quand elle vérifie la fiabilité des résultats des contrôles nationaux.

20.

Par conséquent, le Tribunal a pu conclure que les irrégularités relevées par la Commission au cours de l’enquête font ressortir le caractère insuffisant des contrôles sur place effectués par le Royaume de Danemark afin de vérifier le mesurage de la superficie des parcelles initialement réalisé en utilisant des images en haute résolution ( 12 ).

21.

Ainsi, c’était à tort, selon le Tribunal, que le Royaume de Danemark avait reproché à la Commission d’avoir utilisé, lors de l’enquête réalisée en 2002, en 2003 et en 2004, une méthode différente de celle retenue par l’État membre concerné, c’est‑à‑dire le mesurage par GPS ( 13 ). En effet, lorsque la réglementation applicable n’impose pas de recourir à une méthode de mesurage spécifique, il ressort des dispositions de l’article 22, paragraphe 1, première phrase, du règlement no 2419/2001 que, si les États membres sont libres de choisir les moyens de détermination de la superficie des parcelles agricoles, lesdits moyens doivent satisfaire à une exigence de précision. Partant, afin d’apprécier si les États membres ont satisfait à cette exigence, la Commission doit pouvoir elle‑même utiliser tout moyen adéquat lui permettant de déterminer le plus exactement possible la superficie des parcelles qu’elle contrôle ( 14 ). Je partage cette analyse du Tribunal en tous points.

22.

Par ailleurs, l’interprétation proposée par le Royaume de Danemark ne serait, à mon avis, pas cohérente avec les deux niveaux de contrôle sur lesquels repose l’apurement des comptes du FEOGA. En effet, d’une part, à l’échelon national, les organismes payeurs traitent les demandes de financement et s’assurent sur place de ce que les conditions pour le versement des aides sont bien remplies. D’autre part, à l’échelon de l’Union, la Commission, sur le fondement des rapports nationaux des organismes payeurs, effectue elle‑même des contrôles par échantillonnage sur place, afin de s’assurer de la fiabilité des systèmes nationaux de contrôle. Une concordance parfaite entre ces deux niveaux en ce qui concerne les méthodes utilisées aurait pour effet de dégrader ce système.

23.

Quant à la prétendue omission du Tribunal de se prononcer sur certains des autres moyens par lesquels le Royaume de Danemark avait contesté la décision litigieuse, à savoir ceux concernant l’efficacité des mesures danoises de contrôle par télédétection, le Royaume de Danemark se fonde sur des affirmations largement basées sur des références aux pièces de procédure déposées auprès du Tribunal, sans expliquer leur contenu ni préciser pourquoi le Tribunal aurait dû les prendre en compte.

24.

À cet égard, il suffit de rappeler qu’il ressort d’une jurisprudence constante que la Cour n’impose pas au Tribunal de fournir un exposé qui suivrait, de manière exhaustive et un par un, tous les raisonnements articulés par les parties au litige. La motivation peut donc être implicite, à condition qu’elle permette aux intéressés de connaître les raisons pour lesquelles les mesures en question ont été prises et à la juridiction compétente de disposer des éléments suffisants pour exercer son contrôle ( 15 ).

25.

En ce qui concerne l’allégation selon laquelle le Tribunal aurait négligé de tenir compte des actions correctives mises en œuvre par le Royaume de Danemark concernant l’utilisation des images en haute résolution, il convient de rappeler que la Cour a souligné que l’appréciation des faits ne constitue pas, sous réserve du cas de la dénaturation des éléments de preuve produits devant le Tribunal, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour ( 16 ). Une dénaturation doit apparaître de façon manifeste au vu des pièces du dossier, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une nouvelle appréciation des faits et des preuves ( 17 ).

26.

Or, les appréciations effectuées par le Tribunal en ce qui concerne l’efficacité des mesures danoises de contrôle par télédétection ne font, à mon avis, apparaître aucune dénaturation de faits ou d’éléments de preuve.

27.

S’agissant du grief selon lequel le point 50 de l’arrêt attaqué ne représenterait pas fidèlement les faits, il convient de rappeler qu’il ne relève manifestement pas de la compétence de la Cour de procéder à un tel réexamen des faits dans le cadre d’un pourvoi ( 18 ).

28.

Ainsi, le premier moyen doit être rejeté en ce qu’il est partiellement irrecevable et partiellement non fondé.

C – Sur le deuxième moyen, tiré d’une mauvaise interprétation de l’article 19, paragraphe 4, du règlement no 2316/1999

1. Argumentation des parties

29.

Le Royaume de Danemark, soutenu par la République française et la République de Finlande, conteste l’interprétation du Tribunal selon laquelle la notion de «préservation des conditions agronomiques» serait visée à l’article 19, paragraphe 4, du règlement no 2316/1999. Le Royaume de Danemark fait grief au Tribunal d’avoir conclu que ledit paragraphe signifie qu’une éventuelle couverture végétale doit être entretenue de façon à assurer la préservation des conditions agronomiques. Selon cet État membre, le Tribunal ne préciserait pas ce que pourrait recouvrir l’expression «préservation des conditions agronomiques», et notamment si elle pourrait comprendre une obligation de fauchage de la couverture végétale. Ainsi, le Royaume de Danemark conteste l’interprétation retenue par le Tribunal de l’article 19, paragraphe 4, du règlement no 2316/1999, dans la mesure où celui‑ci semble y reconnaître une obligation implicite de fauchage de la couverture végétale.

30.

Ensuite, selon le Royaume de Danemark, le Tribunal ne fait aucune appréciation de la validité des conclusions de la décision litigieuse concernant l’obligation d’entretien, que ce soit au regard de l’interprétation des règles sur laquelle la Commission s’est appuyée ou du critère, non plus amplement défini, que le Tribunal semble avoir dégagé de son interprétation de l’article 19, paragraphe 4, du règlement no 2316/1999.

31.

En outre, le Tribunal ne se serait pas davantage prononcé ni sur les pièces, détaillées et tout à fait cruciales selon le Royaume de Danemark, qui ont été produites, lesquelles montraient notamment que les superficies gelées allaient continuer à être des terres agricoles cultivables pouvant être immédiatement réintégrées dans la production, ni sur la question de la chasse à la prime et des surfaces prétendument trop humides.

32.

Par conséquent, le Royaume de Danemark affirme que l’erreur d’interprétation commise par la Commission était tellement importante que la décision litigieuse aurait dû être annulée. Elle ne saurait être maintenue sur la base de deux irrégularités minimes, à savoir la présence de bottes de foin et de déchets de construction sur les parcelles gelées.

33.

En revanche, la Commission considère que le Tribunal a constaté que les États membres sont tenus de veiller à ce qu’une superficie avec couverture végétale soit entretenue d’une manière conforme aux exigences applicables aux superficies gelées, prévues par la politique agricole commune, et a souligné ensuite qu’il en découlait également le devoir pour l’État membre responsable de contrôler le respect effectif de l’obligation d’entretien ( 19 ). En effet, ce serait précisément aux États membres qu’incomberait la responsabilité de veiller à ce que les fonds du FEOGA ne soient versés que conformément aux orientations adoptées et aux obligations découlant du traité.

34.

De l’avis de la Commission, il ressort des faits de la cause que le Royaume de Danemark a manqué à son obligation de garantir un contrôle suffisant. En outre, le Tribunal aurait confirmé que les irrégularités constatées par la Commission démontraient des insuffisances graves dans le contrôle effectué par le Royaume de Danemark et que cette circonstance suffisait en elle‑même à justifier l’exclusion du financement communautaire.

2. Appréciation

35.

En ce qui concerne l’interprétation de l’article 19, paragraphe 4, du règlement no 2316/1999, il me semble que le Royaume de Danemark a lu l’arrêt attaqué d’une manière incorrecte. En effet, le Tribunal n’a ni explicitement ni même implicitement jugé que l’obligation de fauchage de la couverture végétale résulterait dudit article 19, paragraphe 4.

36.

En réalité, le Tribunal a jugé dans cette partie de l’arrêt attaqué qu’il y avait lieu d’interpréter les dispositions de l’article 19, paragraphe 4, du règlement no 2316/1999 comme suit. D’une part, les États membres sont tenus d’appliquer des mesures appropriées qui leur permettent d’atteindre les deux objectifs poursuivis en matière de gel des terres, à savoir l’entretien des superficies gelées et la protection de l’environnement. D’autre part, le maintien d’une couverture végétale sur les parcelles gelées constitue une mesure appropriée parmi d’autres, au sens dudit article ( 20 ). Selon le Tribunal, c’était à tort que la Commission avait interprété lesdites dispositions en ce sens que le maintien d’une couverture végétale sur les terres gelées constituait une exception par rapport aux mesures appropriées devant permettre de satisfaire à l’objectif d’entretien des parcelles poursuivi par l’article 19, paragraphe 4, du règlement no 2316/1999 ( 21 ).

37.

Toutefois, le Tribunal a conclu qu’«[i]l résulte de l’ensemble des considérations exposées au titre de l’examen du premier grief que c’est à tort que la Commission a considéré que, s’agissant des superficies gelées, le maintien d’une couverture végétale constituait une exception par rapport aux mesures appropriées appliquées par les États membres, conformément aux dispositions de l’article 19, paragraphe 4, du règlement no 2316/1999. En revanche, c’est à bon droit qu’elle a considéré que la couverture végétale maintenue sur des parcelles gelées devait faire l’objet d’un entretien, au sens de l’article 19, paragraphe 4, du règlement no 2316/1999» ( 22 ).

38.

En conséquence, même si le Royaume de Danemark a plaidé l’«importance» de l’erreur commise par la Commission et constatée par le Tribunal, je pense qu’une prétendue obligation de fauchage de la couverture végétale ne ressort ni expressément ni implicitement de l’arrêt attaqué.

39.

Le Tribunal a ensuite procédé à l’examen des conséquences susceptibles de découler de cette erreur de droit commise par la Commission quant à la légalité de la décision litigieuse ( 23 ). Il a relevé à juste titre que, ainsi que cela ressort des motifs exposés dans le rapport de synthèse quant aux lacunes des contrôles des superficies gelées effectués par le Royaume de Danemark, la Commission a, dans ledit rapport, constaté plusieurs types d’irrégularités qui concernent les parcelles gelées et qui sont susceptibles, selon elle, de fonder sa décision de déclarer des dépenses inéligibles au FEOGA. Or, selon le Tribunal certaines desdites irrégularités étaient étrangères à la question de savoir si une couverture végétale était maintenue sur lesdites parcelles ( 24 ).

40.

Par conséquent, selon le Tribunal, l’erreur de droit commise par la Commission concernant l’article 19, paragraphe 4, du règlement no 2316/1999 n’était pas susceptible de produire des effets juridiques quant à l’appréciation du bien‑fondé du constat par la Commission de ces dernières irrégularités ( 25 ).

41.

Il importe de rappeler, à cet égard, que, selon une jurisprudence bien établie, un motif erroné ne saurait justifier l’annulation de l’acte qui en est entaché s’il revêt un caractère surabondant et qu’il existe d’autres motifs qui suffisent à le fonder ( 26 ). Ainsi, une clarification supplémentaire de l’interprétation de la notion de «préservation des conditions agronomiques» me semble ne pas avoir paru nécessaire au Tribunal pour pouvoir apprécier les irrégularités alléguées.

42.

Le Royaume de Danemark n’a pas pu démontrer qu’une prise de position plus détaillée du Tribunal à cet égard aurait été juridiquement nécessaire pour permettre à ce dernier de statuer sur le reste du deuxième moyen de cet État membre dans la mesure où celui‑ci concernait l’application des règles relatives aux contrôles des superficies gelées. En réalité, le Tribunal a, selon moi à bon droit, qualifié les autres aspects évoqués par le Royaume de Danemark de questions d’appréciation ( 27 ).

43.

Pour ces raisons il convient de rejeter le deuxième moyen du Royaume de Danemark en ce qu’il est non fondé.

D – Sur le troisième moyen, tiré de la dénaturation de la charge de la preuve

1. Argumentation des parties

44.

Le Royaume de Danemark et les quatre États membres intervenants ne contestent pas l’exactitude de la description générale faite par le Tribunal des exigences concernant la charge de la preuve reposant sur la Commission, telles que développées dans la jurisprudence relative à l’apurement des comptes du FEOGA et qui sont, pour des raisons pratiques, marquées par un allégement considérable de ladite charge pour la Commission. Plus précisément, le Tribunal a jugé que la Commission a fondé ses constatations sur un doute sérieux et raisonnable quant au caractère suffisant des contrôles effectués ( 28 ) et qu’il incombait à l’État membre de fournir des éléments susceptibles d’étayer ses arguments tendant à lever lesdits doutes ( 29 ).

45.

Cependant, selon le Royaume de Danemark, il ne saurait être déduit de cette jurisprudence que la Commission pourrait satisfaire à la charge de la preuve en ne s’appuyant que sur des faits constatés à l’aide de contrôles par échantillonnage effectués longtemps après la fin de la période de gel des terres. Il faudrait au moins que les faits en question aient un caractère tel qu’ils constituent des indices concrets de ce que de tels faits se sont également produits au cours de ladite période.

46.

Ensuite, le Royaume de Danemark soutient que le Tribunal a affirmé à tort, au point 123 de l’arrêt attaqué, que le Royaume de Danemark n’a présenté aucun élément susceptible de justifier la conclusion selon laquelle la Commission ne s’est pas acquittée de la charge de la preuve qui reposait sur elle. De plus, il n’incomberait pas au Royaume de Danemark de prouver que la Commission n’a pas satisfait à cette charge, mais, au contraire, de réfuter d’éventuelles allégations présentées par elle.

47.

Selon le Royaume de Danemark, soutenu à cet égard par le Royaume des Pays‑Bas, l’arrêt attaqué repose sur une conception incorrecte de la charge et du niveau de la preuve qui incombe à la Commission. En outre, la conception de preuve imposée par le Tribunal aux États membres irait au‑delà de ce que préconise la jurisprudence constante dans ce domaine et il serait impossible d’y satisfaire en pratique. De surcroît, le Tribunal aurait, à plusieurs égards, manifestement dénaturé les moyens invoqués par le Royaume de Danemark et les circonstances factuelles. Pour ces motifs aussi, il conviendrait donc d’annuler l’arrêt attaqué.

48.

La Commission rétorque qu’elle est tenue, non pas de démontrer d’une façon exhaustive l’insuffisance des contrôles effectués par les autorités nationales, mais, au contraire, de présenter des éléments de preuve du doute sérieux et raisonnable qu’elle éprouve à l’égard de ces contrôles ou des chiffres.

49.

Cet allègement de la charge de la preuve pour la Commission s’expliquerait par le fait que c’est l’État membre concerné qui est le mieux placé pour recueillir et vérifier les données nécessaires à l’apurement des comptes du FEOGA et auquel il incombe, en conséquence, de présenter la preuve la plus détaillée et complète de la réalité de ses contrôles ou de ses chiffres et, le cas échéant, de l’inexactitude des affirmations de la Commission ( 30 ). Dès lors qu’il ne parvient pas à démontrer que les constatations de la Commission sont inexactes, celles‑ci constitueraient des éléments susceptibles de faire naître des doutes sérieux quant à la mise en place d’un ensemble adéquat et efficace de mesures de surveillance et de contrôle ( 31 ).

50.

La Commission estime que cette remarque relative aux possibilités d’effectuer le contrôle dont disposent les États membres n’entraîne pas, en fait, l’obligation pour chaque État membre d’effectuer un tel contrôle exhaustif et approfondi de l’ensemble des parcelles bénéficiant d’une aide. Ce serait à l’État membre qu’il incombe d’apporter la preuve qu’une lacune lors du contrôle, concrètement démontrée par la Commission, n’est pas la manifestation d’une lacune générale, mais constitue au contraire un cas unique et totalement isolé.

51.

Enfin, concernant le moment du contrôle, la Commission rappelle que, dans la majorité des cas, les circonstances faisant que des superficies gelées reconnues comme éligibles à une aide par les autorités danoises ne pouvaient être considérées comme éligibles n’avaient pu, vu leur nature, se développer que pendant une longue période. Il serait donc impossible qu’elles soient apparues immédiatement après la clôture de la période de gel. Aussi le moment des visites d’audit était‑il dénué de pertinence dans la plupart des cas.

52.

La Commission relève parallèlement qu’il incombe aux États membres de veiller à ce que le contrôle des superficies gelées s’effectue avant l’expiration de la période de gel et que toute omission ne saurait avoir pour conséquence d’alourdir la charge de la preuve pesant sur la Commission.

2. Appréciation

53.

Je rappelle que la règle relative à la répartition de la charge de la preuve appliquée par le Tribunal n’est contestée ni par les États membres ni par la Commission. C’est son application qui est mis en cause en l’espèce.

54.

Dans la mesure où le Royaume de Danemark affirme avoir respecté l’obligation de preuve qui pèse sur lui, en fournissant des éléments factuels suffisants qui sont susceptibles d’étayer ses arguments tendant à lever les doutes soulevés, force est de constater que son argumentation vise à inciter la Cour à procéder à une nouvelle appréciation des faits.

55.

En revanche, s’agissant du niveau de preuve requis de l’État membre concerné ( 32 ), entendu comme le degré d’exigence appliqué par le juge lorsqu’il examine les éléments de preuve qui lui sont soumis, se pose la question de droit de savoir si le Tribunal a fixé un niveau de preuve impossible à atteindre pour les États membres.

56.

Je relève que le Tribunal a constaté que «la Commission est dans l’impossibilité, pour des raisons pratiques évidentes, de procéder à un contrôle exhaustif et approfondi de l’ensemble des parcelles concernées au sein de chaque État membre. En revanche, […] les États membres sont les mieux placés pour effectuer un tel contrôle» et que «le Royaume de Danemark s’est contenté de présenter des éléments de preuve portant sur les constatations ponctuelles effectuées par la Commission […] à partir de l’échantillon des parcelles retenues. À aucun moment il n’a présenté des éléments de preuve portant sur l’ensemble des parcelles gelées. Dès lors, lesdits éléments ne sont pas suffisamment détaillés et complets pour démontrer la réalité de ses contrôles ou de ses chiffres et, partant, ne répondent pas à la charge de la preuve qui pèse sur les États membres au titre de l’apurement des comptes du FEOGA» ( 33 ).

57.

Malgré un choix de termes quelque peu discutable dans les deux points cités, je ne pense pas que le Tribunal ait attendu de l’État membre qu’il fournisse des preuves concernant toutes les parcelles gelées pour pouvoir satisfaire au niveau de preuve exigé dans une situation où il existe un doute sérieux et raisonnable quant au caractère suffisant des contrôles effectués. À l’instar de la Commission, je pense qu’une lecture de ces points à la lumière des points 57 et 58 de l’arrêt attaqué justifie l’interprétation selon laquelle le Tribunal entend souligner que, dans les cas où les contrôles par échantillonnage révèlent des irrégularités, il incombe à l’État membre de démontrer qu’il s’agissait de cas isolés, qui ne permettent pas de conclure que le système national de contrôle dans son ensemble serait insuffisant ou peu fiable. Cette interprétation est confortée par le point 167 de l’arrêt attaqué, dans lequel le Tribunal conclut que «le Royaume de Danemark n’a pas présenté la preuve la plus détaillée et complète de la réalité de ses contrôles ou de ses chiffres et, le cas échéant, de l’inexactitude des affirmations de la Commission».

58.

En ce qui concerne le moment du contrôle, je note que le Tribunal a constaté que, si le Royaume de Danemark avait mis en œuvre, comme il était tenu de le faire, des actions correctives avant la clôture de la période de gel, et ce notamment par la réalisation de contrôles renforcés sur le terrain, il aurait alors pu constater, avec un plus haut degré de certitude, la présence ou l’absence de bottes de foin ou de déchets de construction sur certaines parcelles ( 34 ), et surtout selon moi pendant la période de gel.

59.

En effet, les inspections menées par la Commission après la période de gel ont réussi à fonder un doute sérieux et raisonnable quant au caractère suffisant des contrôles effectués par le Royaume de Danemark. Sur ce point, dès lors qu’un tel doute existe, il incombe à l’État membre concerné de fournir des éléments susceptibles d’étayer ses arguments tendant à lever ces doutes. Toutefois, en l’espèce, le Tribunal a conclu, à juste titre, que le Royaume de Danemark n’avait présenté aucun élément susceptible d’étayer ses arguments tendant à lever lesdits doutes ( 35 ).

60.

Il convient d’ajouter que le Tribunal a critiqué la méthode utilisée par les autorités danoises, qui consistait, en cas de constatation d’irrégularités telles que, par exemple, le stockage de bottes de foin sur une parcelle, à faire bénéficier du doute le demandeur de l’aide, et ce en considérant que lesdites bottes n’étaient pas stockées sur la parcelle en cause au cours de la période de gel. Selon le Tribunal, une telle méthode n’est pas conforme aux règles de contrôle qui doivent être mises en œuvre par les États membres afin de garantir le bon usage des fonds de l’Union, et ce conformément aux dispositions du droit de l’Union applicables au titre de l’apurement des comptes du FEOGA. En effet, elle accroît les risques de détournement desdits fonds, puisque, en cas de détection d’une possible irrégularité durant des contrôles tardifs, lesdits services danois présumaient qu’elle n’aurait pas été constatée au cours de la période de gel des parcelles en cause ( 36 ).

61.

Quant à la prétendue dénaturation des moyens invoqués par le Royaume de Danemark et des circonstances factuelles, je réaffirme le point de vue exprimé aux points 24 et 25 à 27 ci‑dessus.

62.

Pour ces raisons, je considère que le Tribunal n’a pas commis d’erreurs de droit dans l’application des règles et principes relatifs à la charge et au niveau de la preuve. Par conséquent, je propose à la Cour de rejeter le troisième moyen du pourvoi en ce qu’il est non fondé.

E – Sur les quatrième et cinquième moyens, concernant les conditions d’application des corrections forfaitaires et les conditions d’application de corrections financières forfaitaires de 5 % et de 10 % respectivement

1. Argumentation des parties

63.

En ce qui concerne le quatrième moyen, le Royaume de Danemark observe d’abord que le Tribunal a, à tort, affirmé, au point 155 de l’arrêt attaqué, que le Royaume de Danemark n’avait pas émis de doute quant au fait que le choix d’une correction forfaitaire était bien fondé.

64.

Ensuite, sur la question de savoir si le FEOGA a été exposé à un risque réel de perte ou d’irrégularité, le Royaume de Danemark fait valoir un principe fondamental à cet égard, à savoir que le taux de correction doit clairement être en relation avec la perte probable. Puisque le Tribunal ne s’est prononcé que sur les soi‑disant irrégularités concernant le stockage de bottes de foins et de déchets de chantier, on ne pourrait pas considérer que les prétendus faits reprochés par la Commission ( 37 ) ont constitué des irrégularités, et encore moins que celles‑ci auraient exposé le FEOGA à un risque réel de perte. Les deux anomalies invoquées par le Tribunal pour justifier sa décision de considérer la décision litigieuse comme fondée seraient loin de pouvoir être qualifiées de risque réel de perte. Ainsi, le Tribunal aurait, en réalité, tout à fait dénaturé le contexte originel et le fondement de ladite décision, et aurait ainsi substitué au fondement retenu par la Commission le sien propre. Cette circonstance justifierait en soi l’annulation de l’arrêt attaqué.

65.

Dans le cadre du cinquième moyen, concernant les conditions d’application de corrections financières forfaitaires de 5 % et de 10 % respectivement, le Royaume de Danemark fait valoir que les conditions pour l’application de telles corrections forfaitaires ne sont pas réunies et qu’il a prouvé qu’il n’y a pas eu de risque réel de perte pour le FEOGA. De plus, le Tribunal, au point 158 de l’arrêt attaqué, aurait fait une représentation inexacte des allégations du Royaume de Danemark et des circonstances factuelles de la cause.

66.

Selon le Royaume de Danemark, l’approche du Tribunal, qui consiste à faire entièrement reposer le rejet de la position du Royaume de Danemark sur les irrégularités minimes en question et à ne pas prendre position sur les aspects essentiels sur lesquels la Commission s’était appuyée pour prendre sa décision, a pour conséquence qu’on ne peut pas considérer comme établi le fait que les conditions pour l’application de corrections forfaitaires de 5 % et de 10 % respectivement sont réunies.

67.

La République française, la République de Finlande et le Royaume de Suède contestent le droit d’appliquer des corrections financières forfaitaires en l’espèce, au motif que les conditions générales pour leur application ne seraient pas remplies. Ces États membres intervenants soutiennent en outre que l’application effective des corrections financières forfaitaires est disproportionnée.

68.

Selon la Commission, dès lors qu’il ne garantissait aucunement de l’entretien continu, le régime danois ne respectait pas l’ensemble des exigences prévues à l’article 19 du règlement no 2316/1999. Il était donc nécessaire, dans l’intérêt commun et en vue de protéger les ressources de la Communauté, d’appliquer une correction financière forfaitaire.

69.

C’est pourquoi une correction financière au taux forfaitaire de respectivement 5 % et 10 % aurait été appliquée pour les années 2003, 2004 et 2005, en raison de faiblesses dans le contrôle du respect des exigences afférentes aux parcelles gelées.

70.

En l’espèce, il a été appliqué des corrections financières forfaitaires de respectivement 2 %, 5 % et 10 %, calculées sur une très petite partie des fonds du FEOGA distribués à des agriculteurs danois par les autorités danoises en 2003, en 2004 et en 2005. La Commission maintient que cette application de corrections financières forfaitaires est à la fois légitime et proportionnée.

2. Appréciation

71.

Il convient d’emblée de rappeler que le Tribunal n’a pas établi une obligation de fauchage, mais qu’il a fondé son arrêt sur la conclusion que la Commission avait valablement fondé ses constatations sur un doute sérieux et raisonnable quant au caractère suffisant des contrôles effectués, sans que l’État membre ait pu fournir d’éléments susceptibles d’étayer ses arguments tendant à lever ledit doute. Ce raisonnement se fonde sur la constatation d’irrégularités non détectées par les inspections nationales, notamment la présence de bottes de foin ou de déchets de construction sur certaines parcelles, ainsi que sur l’application d’une méthode inadaptée par les autorités danoises.

72.

Le Tribunal a également appliqué ce raisonnement en ce qui concerne l’application des corrections forfaitaires et la détermination de leur niveau. Ainsi, il a conclu au point 168 de l’arrêt attaqué qu’«[i]l résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que, d’une part, la Commission a apporté à suffisance de droit la preuve d’un élément de nature à justifier le doute sérieux et raisonnable qu’elle éprouvait à l’égard des contrôles clés portant sur les parcelles gelées réalisés par le Royaume de Danemark et, d’autre part, elle a raisonnablement pu conclure que le risque de pertes pour le FEOGA était significatif et, partant, sans violer le principe de proportionnalité, imposer une correction forfaitaire d’un montant de 5 % ou de 10 %».

73.

Comme je l’ai déjà constaté, conformément à une jurisprudence constante de la Cour, s’il appartient à la Commission de prouver l’existence d’une violation des règles communautaires, une fois cette violation établie, il revient à l’État membre de démontrer, le cas échéant, que la Commission a commis une erreur quant aux conséquences financières à en tirer ( 38 ). Comme la Commission le rappelle à juste titre, conformément au document no VI/5330/97, du 23 décembre 1997 ( 39 ), lorsqu’il n’est pas possible d’évaluer précisément les pertes subies par la Communauté, une correction forfaitaire peut être envisagée ( 40 ).

74.

Je relève à cet égard que, lorsque la Commission, au lieu de rejeter la totalité des dépenses concernées par l’infraction, s’est efforcée d’établir des règles visant à instaurer un traitement différencié des cas d’irrégularités, selon le niveau de carence des contrôles et le degré de risque encouru par le FEOGA, il incombe à l’État membre de démontrer que ces critères sont arbitraires et inéquitables conformément à la jurisprudence de la Cour ( 41 ).

75.

Force est de constater que le Royaume de Danemark n’a pas établi, en l’occurrence, que la perte maximale à laquelle était exposé le FEOGA serait inférieure au montant produit par la correction financière forfaitaire, mais il affirme de façon répétitive que l’application des corrections forfaitaires ne se fondait que sur des irrégularités mineures et isolées. Selon moi, cette argumentation tend en réalité à mettre en cause la méthode des contrôles par échantillonnage dans le contexte de l’apurement des comptes du FEOGA. Toutefois, en l’absence d’une preuve de la réalité des contrôles effectués par l’État membre ou des chiffres présentés par lui et, le cas échéant, de l’inexactitude des affirmations de la Commission, ou à défaut de toute tentative d’apporter une telle preuve, il y a lieu de considérer les corrections financières appliquées comme un moyen approprié et proportionné pour compenser la perte subie par le FEOGA du fait des lacunes du système de contrôle danois.

76.

Même si le principe de proportionnalité a été mentionné en tant que tel par le Royaume de Danemark seulement lors de l’audience, ce principe doit naturellement être observé lors de l’application des corrections financières, afin que celles‑ci se limitent à ce qui est effectivement nécessaire, compte tenu de la gravité des manquements constatés ( 42 ).

77.

Il est de jurisprudence constante que, en ce qui concerne le montant de la correction financière, la Commission peut refuser la prise en charge par le FEOGA de l’intégralité des dépenses exposées si elle constate qu’il n’existe pas de mécanismes de contrôle suffisants ( 43 ). A fortiori, il n’est pas possible d’affirmer que les corrections forfaitaires imposées par la Commission à cause de graves défauts des mécanismes de contrôle seraient disproportionnées. En fait, la Commission est liée par les orientations qu’elle a adoptées et elle les a correctement suivies en l’espèce, ainsi que le Tribunal l’a relevé dans l’arrêt attaqué ( 44 ).

78.

En l’espèce, l’importance mineure des échantillons – à savoir les parcelles où l’on a constaté des irrégularités et sur la base desquelles des conclusions ont été tirées sur la qualité des systèmes de contrôle et l’ampleur des irrégularités – ne saurait affecter l’importance du manquement. La méthode de contrôle par échantillonnage suit le principe dit «pars pro toto», selon lequel une conclusion sur le tout est tirée des qualités de parties considérées comme représentatives. Néanmoins, l’estimation de l’ampleur quantitative des irrégularités concernant ce tout doit naturellement être fondée sur une extrapolation dérivée à partir de tels échantillons, et non sur une addition entre ceux‑ci.

79.

Par conséquent, je propose à la Cour de rejeter les quatrième et cinquième moyens.

V – Conclusion

80.

En conclusion, je suggère à la Cour:

de rejeter le pourvoi et condamner le Royaume de Danemark aux dépens, et

de condamner les États membres intervenants à supporter leurs propres dépens.


( 1 ) Langue originale: le français.

( 2 ) Arrêt Danemark/Commission (T‑212/09, EU:T:2012:335).

( 3 ) Décision écartant du financement communautaire certaines dépenses effectuées par les États membres au titre du Fonds européen d’orientation et de garantie agricole (FEOGA), section «Garantie», et du Fonds européen agricole de garantie (FEAGA) (JO L 75, p. 15).

( 4 ) Selon l’article 15 du règlement (CE) no 2419/2001 de la Commission, du 11 décembre 2001, portant modalités d’application du système intégré de gestion et de contrôle relatif à certains régimes d’aides communautaires établis par le règlement (CEE) no 3508/92 du Conseil (JO L 327, p. 11), les contrôles administratifs et les contrôles sur place sont effectués de façon à assurer la vérification efficace du respect des conditions d’octroi des aides. L’article 23, paragraphe 1, dudit règlement dispose entre autres que, lorsqu’un État membre a recours à la télédétection pour tout ou partie de l’échantillon à contrôler, les zones à contrôler par télédétection sont sélectionnées dans la mesure du possible sur la base de facteurs de risque appropriés, à établir par l’État membre. Selon le paragraphe 2 dudit article, l’État membre procède à la photo‑interprétation d’images satellites ou de photographies aériennes de toutes les parcelles agricoles à contrôler, en vue de reconnaître les couvertures végétales et de mesurer les superficies, ainsi qu’au contrôle sur place de toutes les demandes pour lesquelles la photo‑interprétation ne permet pas de conclure, à la satisfaction de l’autorité compétente, que la déclaration est exacte. Le paragraphe 3 dudit article prévoit que, lorsqu’un État membre a recours à la télédétection, les contrôles supplémentaires visés à l’article 18, paragraphe 2, du règlement sont effectués selon les modalités des contrôles sur place traditionnels s’il n’est plus possible de les réaliser par télédétection pendant l’année en cours.

( 5 ) L’article 19, paragraphes 3 et 4, du règlement (CE) no 2316/1999 de la Commission, du 22 octobre 1999, portant modalités d’application du règlement no 1251/1999 du Conseil instituant un régime de soutien aux producteurs de certaines cultures arables (JO L 280, p. 43), dispose que «[l]es superficies gelées ne peuvent être utilisées pour aucune production agricole autre que celles visées à l’article 6, paragraphe 3, du règlement (CE) no 1251/1999, ni faire l’objet d’une utilisation lucrative qui serait incompatible avec une culture arable», et que «[l]es États membres appliquent les mesures appropriées qui correspondent à la situation particulière des superficies gelées, de façon à assurer leur entretien et la protection de l’environnement. Ces mesures peuvent également concerner une couverture végétale; dans ce cas, ces mesures doivent prévoir que le couvert végétal ne puisse être destiné à la production des semences et qu’il ne puisse être utilisé en aucun cas à des fins agricoles avant le 31 août [de chaque année] ni donner lieu, jusqu’au 15 janvier suivant, à une production végétale destinée à être commercialisée».

( 6 ) Arrêt Reynolds Tobacco e.a./Commission (C‑131/03 P, EU:C:2006:541, points 49 et 50).

( 7 ) Arrêt Pologne/Commission (C‑335/09 P, EU:C:2012:385, point 28).

( 8 ) Je relève que cette notion n’est pas définie par les parties.

( 9 ) Point 44 de l’arrêt attaqué.

( 10 ) L’article 22, paragraphe 1, dispose: «La détermination de la superficie des parcelles agricoles se fait par tout moyen approprié défini par l’autorité compétente et garantissant une exactitude de mesure au moins équivalente à celle requise pour les mesures officielles prévues par les dispositions nationales. L’autorité compétente établit une marge de tolérance, en tenant compte de la technique de mesure utilisée, de l’exactitude des documents officiels disponibles, de la situation locale (par exemple, la pente ou la forme des parcelles) et des dispositions du paragraphe 2».

( 11 ) Point 41 de l’arrêt attaqué.

( 12 ) Point 49 de l’arrêt attaqué.

( 13 ) Point 51 de l’arrêt attaqué.

( 14 ) Point 52 de l’arrêt attaqué.

( 15 ) Arrêts Komninou e.a./Commission (C‑167/06 P, EU:C:2007:633, point 22 et jurisprudence citée) et FIAMM e.a./Conseil et Commission (C‑120/06 P et C‑121/06 P, EU:C:2008:476, point 96 et jurisprudence citée).

( 16 ) Arrêt Italie/Commission (C‑587/12 P, EU:C:2013:721, point 31).

( 17 ) Arrêts Trubowest Handel et Makarov/Conseil et Commission (C‑419/08 P, EU:C:2010:147, point 32) et Grèce/Commission (C‑547/12 P, EU:C:2013:713, point 12). Voir aussi mes conclusions dans l’affaire France/Commission (C‑559/12 P, EU:C:2013:766, point 78).

( 18 ) Le Tribunal a relevé, au point 50 de l’arrêt attaqué, que la Commission avait, dès le mois de février 2002, informé le Royaume de Danemark de ses doutes quant à la qualité des contrôles par télédétection exécutés dès la campagne 2000.

( 19 ) Points 91 à 93 de l’arrêt attaqué.

( 20 ) Point 85 de l’arrêt attaqué.

( 21 ) Point 86 de l’arrêt attaqué.

( 22 ) Point 94 de l’arrêt attaqué.

( 23 ) Point 103 de l’arrêt attaqué.

( 24 ) Point 104 de l’arrêt attaqué.

( 25 ) Point 104 de l’arrêt attaqué.

( 26 ) Arrêt Grèce/Commission (C‑321/09 P, EU:C:2011:218, point 61 et jurisprudence citée).

( 27 ) Point 107 de l’arrêt attaqué.

( 28 ) Points 57, 105 et 106 de l’arrêt attaqué.

( 29 ) Point 123 de l’arrêt attaqué.

( 30 ) Arrêts Allemagne/Commission (C‑344/01, EU:C:2004:121, point 58 et jurisprudence citée) et Grèce/Commission (C‑300/02, EU:C:2005:103, point 36 et jurisprudence citée).

( 31 ) Arrêt Grèce/Commission (EU:C:2005:103, point 35 et jurisprudence citée).

( 32 ) Au point 74 et dans la note 64 en bas page de page de ses conclusions dans l’affaire Akzo Nobel e.a./Commission (C‑97/08 P, EU:C:2009:262), l’avocat général Kokott a expliqué la nécessité de distinguer entre la charge de la preuve et le niveau de la preuve. Voir aussi mes conclusions dans l’affaire France/Commission (EU:C:2013:766, point 34).

( 33 ) Points 161 et 162 de l’arrêt attaqué (souligné par mes soins).

( 34 ) Point 120 de l’arrêt attaqué.

( 35 ) Point 123 de l’arrêt attaqué.

( 36 ) Points 121 et 122 de l’arrêt attaqué.

( 37 ) En ce qui concerne la couverture végétale, l’obligation d’entretien, la chasse à la prime, les terrains humides, etc.

( 38 ) Arrêts Grèce/Commission (C‑5/03, EU:C:2005:426, point 38 et jurisprudence citée) et Belgique/Commission (C‑418/06 P, EU:C:2008:247, point 135).

( 39 ) Document de la Commission intitulé «Orientations concernant le calcul des conséquences financières lors de la préparation de la décision d’apurement des comptes du FEOGA‑Garantie», cité au point 151 de l’arrêt attaqué.

( 40 ) Arrêts Royaume‑Uni/Commission (C‑346/00, EU:C:2003:474, point 53) et Belgique/Commission (EU:C:2008:247, point 136).

( 41 ) Arrêts Pays‑Bas/Commission (C‑28/94, EU:C:1999:191, point 56), Espagne/Commission (C‑130/99, EU:C:2002:192, point 44), Italie/Commission (C‑242/96, EU:C:1998:452, point 75) et Belgique/Commission (EU:C:2008:247, point 138).

( 42 ) Voir, à cet égard, le point 148 de l’arrêt attaqué, dans lequel le Tribunal rappelle que «le principe de proportionnalité exige, selon une jurisprudence constante, que les actes des institutions communautaires ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire pour atteindre le but recherché». Arrêts Denkavit Nederland (15/83, EU:C:1984:183, point 25) et Air Inter/Commission (T‑260/94, EU:T:1997:89, point 144).

( 43 ) Arrêt Espagne/Commission (C‑349/97, EU:C:2003:251, point 273).

( 44 ) Points 152 à 158 de l’arrêt attaqué.