CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PAOLO MENGOZZI

présentées le 18 juillet 2013 ( 1 )

Affaire C‑285/12

Aboubacar Diakité

contre

Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides

[demande de décision préjudicielle formée par le Conseil d’État (Belgique)]

«Droit d’asile — Directive 2004/83/CE — Normes minimales relatives aux conditions d’octroi du statut de réfugié ou du statut conféré par la protection subsidiaire — Personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire — Atteintes graves — Article 15, sous c) — Notion de ‘conflit armé interne’ — Interprétation par référence au droit international humanitaire — Critères d’appréciation»

La présente affaire a pour objet une demande de décision préjudicielle formulée par le Conseil d’État (Belgique), portant sur l’interprétation de l’article 15, sous c), de la directive 2004/83/CE (ci-après la «directive qualifications») ( 2 ). Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure opposant M. Diakité, de nationalité guinéenne, au Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides (ci‑après le «Commissaire général») au sujet de la décision de ce dernier de ne pas lui octroyer la protection subsidiaire.

I – Le cadre juridique

A – Le droit international

2

L’article 3 commun aux quatre conventions de Genève du 12 août 1949 ( 3 ) (ci-après l’«article 3 commun aux conventions de Genève»), stipule:

«En cas de conflit armé ne présentant pas un caractère international et surgissant sur le territoire de l’une des Hautes Parties contractantes, chacune des Parties au conflit sera tenue d’appliquer au moins les dispositions suivantes:

1)

Les personnes qui ne participent pas directement aux hostilités, y compris les membres de forces armées qui ont déposé les armes et les personnes qui ont été mises hors de combat par maladie, blessure, détention, ou pour toute autre cause, seront, en toutes circonstances, traitées avec humanité [...]

À cet effet, sont et demeurent prohibées [...], à l’égard des personnes mentionnées ci-dessus:

a)

Les atteintes portées à la vie et à l’intégrité corporelle [...]

[...]

c)

les atteintes à la dignité des personnes, notamment les traitements humiliants et dégradants;

d)

les condamnations prononcées et les exécutions effectuées sans un jugement préalable, rendu par un tribunal régulièrement constitué [...]

[...]»

3

L’article 1er du protocole additionnel aux conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux, du 8 juin 1977 (ci-après le «Protocole II») stipule:

«1.   Le présent Protocole, qui développe et complète l’article 3 commun aux Conventions de Genève du 12 août 1949 sans modifier ses conditions d’application actuelles, s’applique à tous les conflits armés qui ne sont pas couverts par l’article premier du Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (Protocole I), et qui se déroulent sur le territoire d’une Haute Partie contractante entre ses forces armées et des forces armées dissidentes ou des groupes armés organisés qui, sous la conduite d’un commandement responsable, exercent sur une partie de son territoire un contrôle tel qu’il leur permette de mener des opérations militaires continues et concertées et d’appliquer le présent Protocole.

2.   Le présent Protocole ne s’applique pas aux situations de tensions internes, de troubles intérieurs, comme les émeutes, les actes isolés et sporadiques de violence et autres actes analogues, qui ne sont pas considérés comme des conflits armés.»

B – Le droit de l’Union

4

Aux termes de l’article 2, sous e), de la directive qualifications, on entend par:

«‘personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire’, tout ressortissant d’un pays tiers [...] qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine[ ( 4 )] [...], courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 15, l’article 17, paragraphes 1 et 2, n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays».

5

Sous le chapitre V intitulé «Conditions à remplir pour être considéré comme personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire», l’article 15 de la directive «qualifications», lui-même intitulé «Atteintes graves», dispose:

«Les atteintes graves sont:

a)

la peine de mort ou l’exécution, ou

b)

la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine, ou

c)

des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international» ( 5 ).

6

La directive qualifications a fait l’objet d’une refonte par la directive 2011/95/UE ( 6 ) (ci-après la «nouvelle directive qualifications»). Cette dernière directive n’apporte aucune modification substantielle ni à l’article 2, sous e), de la directive qualifications [devenu article 2, sous f)], ni à l’article 15 de celle-ci.

C – Le droit belge

7

L’article 48/4 de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers ( 7 ) (ci-après la «loi du 15 décembre 1980», qui transpose les articles 2, sous e), et 15 de la directive qualifications, dispose:

«§ 1er.   Le statut de protection subsidiaire est accordé à l’étranger qui ne peut être considéré comme un réfugié et qui ne peut pas bénéficier de l’article 9 ter, et à l’égard duquel il y a de sérieux motifs de croire que, s’il était renvoyé dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, il encourrait un risque réel de subir les atteintes graves visées au paragraphe 2, et qui ne peut pas ou, compte tenu de ce risque, n’est pas disposé à se prévaloir de la protection de ce pays [...]

§ 2.   Sont considérées comme atteintes graves:

[...]

c)

les menaces graves contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international».

II – Le litige au principal et la question préjudicielle

8

Le 21 février 2008, M. Diakité a introduit une première demande d’asile en Belgique en invoquant la répression et les faits de violence qu’il aurait subis dans son pays d’origine en raison de sa participation aux manifestations nationales et aux mouvements de protestation contre le pouvoir en place. Le 25 avril 2008, le Commissaire général a pris une première décision de refus de reconnaissance des statuts de réfugié et de protection subsidiaire. Le 17 novembre 2009, cette décision a été retirée et, le 10 mars 2010, le Commissaire général a pris une nouvelle décision de refus des statuts de réfugié et de protection subsidiaire. Cette décision a été confirmée par le Conseil du contentieux des étrangers dans son arrêt du 23 juin 2010 ( 8 ) constatant l’absence de crédibilité des faits invoqués et, partant, du bien-fondé de la crainte et du risque réel d’atteintes graves allégués.

9

Sans avoir regagné son pays d’origine dans l’intervalle, M. Diakité a introduit, auprès des autorités belges, une seconde demande d’asile, le 15 juillet 2010.

10

Le 22 octobre 2010, le Commissaire général a pris une nouvelle décision de refus de reconnaissance des statuts de réfugié et de protection subsidiaire. Le refus d’accorder la protection subsidiaire, seul à être mis en cause au principal, était motivé par le constat qu’il n’existait pas à l’époque en Guinée de situation de violence aveugle ou de conflit armé au sens de l’article 48/4, paragraphe 2, de la loi du 15 décembre 1980. Cette décision a fait l’objet d’un recours devant le Conseil du contentieux des étrangers, lequel a confirmé, par un arrêt du 6 mai 2011 ( 9 ), le double refus du Commissaire général.

11

Dans son recours en cassation administrative devant le Conseil d’État contre ledit arrêt du 6 mai 2011, M. Diakité avance comme moyen unique la violation de l’article 48/4 de la loi du 15 décembre 1980, en particulier de son paragraphe 2, sous c), et de l’article 15, sous c), de la directive qualifications, lu en combinaison avec son article 2, sous e).

12

Devant la juridiction de renvoi, M. Diakité critique l’arrêt du Conseil du contentieux des étrangers en ce que celui-ci, après avoir relevé que ni la directive qualifications, ni la loi belge l’ayant transposée ne contenait de définition du «conflit armé», a décidé qu’il convenait de retenir «la définition […] dégagée par le Tribunal pénal international pour l’ex‑Yougoslavie [(TPIY)] dans l’affaire Tadic» ( 10 ). Il fait valoir que cette définition est trop restrictive et réclame une conception autonome et plus large de la notion de «conflit armé interne».

13

Le Conseil d’État rappelle que, dans son arrêt du 17 février 2009, Elgafaji ( 11 ), la Cour a souligné, à propos de la notion de «violence aveugle», le caractère autonome de l’interprétation dont doit faire l’objet l’article 15, sous c), de la directive qualifications par rapport à l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la «CEDH») ( 12 ). Selon le Conseil d’État, en raison de cet arrêt, et bien que la Cour ne se soit pas prononcée sur la notion spécifique de conflit armé, «il ne peut être exclu, comme le soutient [M. Diakité], que cette notion, au sens de l’article 15, sous c), de la directive [qualifications], puisse être également interprétée de façon autonome, et revêtir une signification spécifique au regard de celle issue de la jurisprudence du [TPIY], en particulier dans l’affaire Tadic».

14

Dans ces conditions, le Conseil d’État a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«Faut-il interpréter l’article 15, sous c), de la directive [qualifications], en ce sens que cette disposition offre uniquement une protection dans une situation de ‘conflit armé interne’ tel qu’interprétée par le droit international humanitaire [ci‑après le ‘DIH’], et en particulier en référence à l’article 3 commun aux quatre conventions de Genève [...]?

Si la notion de ‘conflit armé interne’ visée par l’article 15, sous c), de la directive [qualifications] doit être interprétée de manière autonome par rapport à l’article 3 commun aux quatre conventions de Genève [...], quels sont dans ce cas les critères servant à apprécier l’existence d’un tel ‘conflit armé interne’?»

III – La procédure devant la Cour

15

M. Diakité, les gouvernements belge, allemand et du Royaume‑Uni ainsi que la Commission européenne ont déposé des observations écrites. Leurs représentants ainsi que celui du gouvernement français ont été entendus par la Cour lors de l’audience qui s’est tenue le 29 mai 2013.

IV – Analyse

16

La question préjudicielle se divise en deux parties qui seront examinées ci-après séparément.

A – Sur la première partie de la question préjudicielle

17

Par la première partie de sa question, le juge de renvoi souhaite en substance savoir si la notion de «conflit armé interne», figurant à l’article 15, sous c), de la directive qualifications est une notion autonome du droit de l’Union ou si elle doit être interprétée en conformité avec le DIH.

18

À l’exception de M. Diakité et du gouvernement du Royaume‑Uni, qui plaident sans réserve pour une interprétation autonome et large de cette notion ( 13 ), les positions exprimées par les autres intéressés ayant présenté des observations devant la Cour demeurent fluides. Le gouvernement français et la Commission, tout en affirmant le caractère autonome de ladite notion, estiment que ses contours devraient être dessinés en partant de la définition donnée par le DIH, entre autres afin d’assurer une cohérence entre les différents systèmes de protection au niveau international et de l’Union. Les gouvernements belge et allemand considèrent en revanche que cette notion devrait avoir comme source d’interprétation principale le DIH, précisant cependant que l’objectif de protection de la directive qualifications peut, à titre exceptionnel, rendre nécessaire de reconnaître l’existence d’un «conflit armé interne» au sens de son l’article 15, sous c), même lorsque toutes les conditions requises par le DIH ne sont pas réunies. Ainsi, bien que partant de prémisses différentes, ces intéressés aboutissent en pratique à des conceptions largement convergentes.

19

Force est de constater que les notions de «conflit armé interne», de «conflit armé ne présentant pas un caractère international» et de «conflit armé non international» figurant, respectivement, à l’article 15, sous c), de la directive qualifications, à l’article 3 commun aux conventions de Genève et dans le Protocole II sont sémantiquement quasi identiques. Ce simple constat ne permet cependant pas à lui seul de conclure que ces notions doivent recevoir la même interprétation.

20

À cet égard, je rappelle que, s’agissant de l’interprétation des dispositions de la directive qualifications, la Cour a déjà eu l’occasion de mettre en garde contre tout mécanisme conduisant à emporter dans le cadre de celle-ci des concepts ou des définitions adoptés dans des contextes différents, encore que relevant du droit de l’Union ( 14 ). En l’espèce, il s’agirait d’avoir recours, pour l’interprétation d’une disposition de ladite directive, à une notion qui non seulement relève d’un domaine, comme on le verra, sensiblement différent, mais qui appartient, au demeurant, à un ordre juridique différent.

21

Dans ses observations présentées lors de l’audience, le gouvernement français a rappelé la jurisprudence de la Cour selon laquelle les termes d’une disposition du droit de l’Union qui ne comporte aucun renvoi exprès au droit des États membres pour déterminer son sens et sa portée doivent normalement trouver, dans toute l’Union européenne, une interprétation autonome et uniforme qui doit être recherchée en tenant compte du contexte de la disposition et de l’objectif poursuivi par la réglementation en cause ( 15 ). De l’avis de ce gouvernement, le même critère devrait s’appliquer en l’espèce.

22

Cette thèse ne me semble pas pouvoir prospérer. En effet, d’une part, comme le souligne à juste titre le gouvernement allemand, une interprétation conforme à celle retenue dans le cadre d’une convention internationale qui lie tous les États membres répond au principal souci de cette jurisprudence qui est d’assurer une interprétation uniforme du droit de l’Union. D’autre part, même à supposer que l’on puisse tirer de cette jurisprudence un principe général valable au-delà des relations entre droit de l’Union et droits des États-membres, un tel principe serait en tout cas inapte à régir les rapports entre ordre juridique de l’Union et ordre juridique international.

23

Aux termes de l’article 3, paragraphe 5, TUE, l’Union «contribue au strict respect et au développement du droit international». Ainsi que la Cour l’a itérativement affirmé, les compétences de l’Union doivent être exercées dans le respect du droit international ( 16 ). Un acte adopté en vertu de ces compétences doit dès lors être interprété, et son champ d’application circonscrit, à la lumière des règles pertinentes du droit international ( 17 ), parmi lesquelles, outre celles issues d’accords internationaux conclus par l’Union ( 18 ), les règles de droit international coutumier, qui lient les institutions de l’Union et font partie de l’ordre juridique de celle-ci ( 19 ). La primauté de ces règles sur les textes de droit de l’Union dérivé commande d’interpréter ces derniers, dans la mesure du possible, en conformité avec celles‑ci ( 20 ).

24

Dès lors, le principe de l’interprétation conforme s’impose à la Cour lorsqu’elle analyse les rapports entre droit international et droit de l’Union ( 21 ).

25

Si l’application de ce principe ne saurait dépendre de la question de savoir si l’acte des institutions à interpréter comporte un renvoi exprès aux règles du droit international, deux précisions doivent cependant être apportées.

26

D’une part, l’obligation d’interprétation conforme n’a été posée, en principe, que par rapport aux engagements internationaux qui lient l’Union ( 22 ). En l’espèce, s’il est constant que l’Union n’est pas partie aux conventions de Genève du 12 août 1949 et à leurs protocoles additionnels, la Cour internationale de justice (CIJ) a affirmé que ces actes expriment des «principes intransgressibles du droit international coutumier» ( 23 ). En tant que tels, ils lient les institutions, y compris la Cour qui doit assurer une lecture du droit de l’Union conforme à ces principes.

27

D’autre part, une mise en conformité du droit de l’Union au droit international par voie interprétative ne saurait être imposée que lorsqu’une cohérence herméneutique entre les différents actes en question se justifie.

28

Tel n’est, à mon sens, pas le cas en l’espèce, compte tenu notamment des différences d’objet, de finalités et de moyens qui existent entre le DIH, d’une part, et le mécanisme de la protection subsidiaire instauré par la directive qualifications, d’autre part, ainsi qu’il sera démontré ci-dessous.

1. Objet, finalités et moyens du DIH

29

Dans son avis intitulé «Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires», la CIJ définit le DIH comme un «système complexe» et unitaire dans lequel confluent les deux branches du droit applicable dans les conflits armés, à savoir le «droit de la Haye» ( 24 ), qui codifie «les lois et coutumes de la guerre sur terre, fixe les droits et les devoirs des belligérants dans la conduite des opérations et limite le choix des moyens de nuire à l’ennemi dans les conflits armés internationaux», et le «droit de Genève», notamment les quatre conventions du 12 août 1949 et les protocoles additionnels de 1977 ( 25 ), «qui protège les victimes de la guerre et vise à sauvegarder les membres des forces armées mis hors de combat et les personnes qui ne participent pas aux hostilités» ( 26 ).

30

Selon l’expression souvent employée pour le désigner, le DIH est donc un «droit de la guerre» (jus in bello), qui vise, pour des raisons humanitaires, à limiter les effets des conflits armés, tant en prévoyant des restrictions aux moyens et aux méthodes de guerre, qu’en protégeant certaines catégories de personnes et de biens.

31

Ainsi, les quatre conventions de Genève du 12 août 1949, issues d’une révision de trois conventions signées en 1929, prévoient que les personnes qui ne participent pas aux combats, comme les civils, le personnel médical ou religieux, et celles qui ont cessé d’y prendre part, comme les combattants blessés ou malades, les naufragés et les prisonniers de guerre, ont droit au respect de leur vie et de leur intégrité physique et morale, bénéficient de garanties judiciaires et doivent, en toutes circonstances, être protégées et traitées avec humanité, sans aucune distinction de caractère défavorable. Chacune de ces conventions renferme une disposition sur les «infractions graves», précisant les infractions aux conventions pour lesquelles il existe une compétence répressive obligatoire universelle parmi les Etats contractants ( 27 ).

32

Les principes établis par les quatre conventions de Genève de 1949, conçus initialement pour s’appliquer dans les seuls cas de conflits internationaux, ont ensuite été étendus aux situations de guerre civile.

a) L’article 3 commun aux conventions de Genève et l’élargissement des principes de celles-ci aux conflits armés non internationaux

33

En 1949, à l’initiative du CICR, les trois conventions de Genève de 1929 alors en vigueur ont fait l’objet d’une révision et une quatrième convention, relative à la protection des civils, a été signée. L’une des modifications les plus importantes introduites à cette occasion a été l’élargissement du champ d’application des quatre conventions aux cas de conflits armés «ne présentant pas un caractère international» ( 28 ).

34

À la discussion sur le texte de l’article 3 commun aux conventions de Genève, qui codifie cet élargissement, furent consacrées 25 sessions de la Conférence diplomatique, qui finit par s’accorder sur un texte de compromis. Différemment du projet présenté à la XVIIe conférence internationale de la Croix-Rouge de Stockholm, qui avait constitué le point de départ des débats, le texte finalement approuvé ne prévoyait, en cas de conflit armé interne, que l’application des seuls principes expressément énumérés dans le libellé de l’article. En raison du fait qu’elle s’applique aux seuls conflits armés internes et qu’elle fixe l’ensemble des principes applicables à de tels conflits, cette disposition a été définie comme une «convention en miniature» ( 29 ).

35

Lors des débats sur ledit article 3, la principale crainte des États participants à la conférence diplomatique était de voir appliquer les conventions de Genève du 12 août 1949«à toutes formes d’insurrection, de rébellion, d’anarchie, de désintégration de l’État ou de simple banditisme», ce qui aurait permis aux responsables de ces actes de se prévaloir de leur qualité de belligérants afin de revendiquer une reconnaissance légale et d’échapper aux conséquences de leurs agissements. Cette crainte se reflétait dans les propositions avancées au cours de la conférence, qui visaient à subordonner l’application des conventions aux conflits internes à un certain nombre de conditions, telles que la reconnaissance, de la part du gouvernement de l’État contractant, de la qualité de belligérant de la partie adverse, le fait que celle-ci possède une force militaire organisée et une autorité responsable de ses actes, qu’elle soit dotée d’une autorité civile exerçant le pouvoir de facto sur la population d’une fraction déterminée du territoire national ou, encore, qu’elle dispose d’un régime présentant les caractéristiques d’un État, le fait, enfin, que le gouvernement de l’État contractant soit forcé à faire appel à l’armée régulière pour combattre les insurgés ( 30 ).

36

Dans le texte final, aucune de ces conditions n’a été retenue, le libellé de l’article 3 commun aux conventions de Genève se limitant à préciser qu’il s’applique «en cas de conflit armé ne présentant pas un caractère international et surgissant sur le territoire de l’une de Hautes Parties contractantes». L’objectif de circonscrire la portée de cette disposition avait été poursuivi en limitant l’application desdites conventions aux seuls principes expressément énumérés dans celle-ci, plutôt qu’en procédant à définir les situations auxquelles elle s’applique.

37

L’absence de définition de la notion de conflit armé ne présentant pas un caractère international à l’article 3 commun aux conventions de Genève le rend potentiellement applicable à tout type de conflit armé interne. Pour cette raison, la mise en œuvre de cet article a rencontré des problèmes dans la pratique, lesquels ont souvent conduit à nier son application.

i) La définition de la notion de conflit armé interne en DIH

38

Une définition de la notion de «conflit armé non international» n’a été introduite dans le système des conventions de Genève qu’en 1977, avec le Protocole II, conclu afin de développer et de compléter l’article 3 commun à ces conventions, «sans modifier ses conditions d’application actuelles».

39

Tel qu’il ressort de son article 1er ( 31 ), le champ d’application matériel du Protocole II est plus restreint par rapport à celui de l’article 3 commun aux conventions de Genève. Cependant, puisque l’acquis de cette disposition a été explicitement préservé, celle-ci continue à s’appliquer aux conflits qui ne présentent pas les caractéristiques décrites à l’article 1er du Protocole II et qui ne sont, dès lors, pas couverts par celui-ci. C’est le cas, par exemple, des conflits entre plusieurs factions rivales sans l’intervention des forces armées gouvernementales, qui, ainsi qu’il ressort de l’article 1er, paragraphe 1, du Protocole II, n’entrent pas dans le champ d’application matériel de celui-ci, ce dernier ne s’appliquant qu’aux affrontements entre les forces armées gouvernementales et des forces armées dissidentes ou des groupes armés organisés.

40

Dans le Protocole II, la notion de «conflit armé non international» est, tout d’abord, définie de manière négative. Ainsi, aux termes de son article 1er, ne constituent pas de tels conflits, d’une part, les conflits couverts par l’article 1er du Protocole I, qui définit les conflits armés internationaux, et, d’autre part, les «situations de tensions internes [et] de troubles intérieurs, comme les émeutes, les actes isolés et sporadiques de violence et autres actes analogues» (voir, respectivement, paragraphes 1 et 2).

41

Ce même article énumère, ensuite, à son paragraphe 1, un certain nombre de critères objectifs servant à identifier les situations de conflit armé non international. Ces critères, au nombre de trois, requièrent de la part des insurgés qu’ils disposent, premièrement, d’un commandement responsable, deuxièmement, du contrôle d’une partie du territoire qui leur permette de mener des opérations militaires continues et concertées et, troisièmement, de la capacité d’appliquer le Protocole.

42

Aux termes tant de l’article 1er du Protocole II que de l’article 3 commun aux conventions de Genève, il ne peut y avoir de conflit armé non international que si deux conditions sont remplies, à savoir un certain degré d’intensité du conflit et un certain degré d’organisation des participants aux combats ( 32 ). Afin d’établir si ces deux conditions sont satisfaites, une série d’indicateurs sont normalement pris en compte dans le cadre d’une appréciation globale à conduire au cas par cas.

43

Ainsi, s’agissant de la condition relative à l’intensité, peuvent entrer en ligne de compte le caractère collectif du conflit ainsi que les moyens mis en œuvre par le gouvernement pour rétablir l’ordre et, notamment, le fait qu’il soit obligé à avoir recours à la force militaire contre les insurgés plutôt qu’aux simples forces de police ( 33 ). La durée du conflit, la fréquence et l’intensité des violences, l’étendue de la zone géographique intéressée, la nature des armes utilisée, l’importance des forces déployées et le type de stratégie employée, les déplacements volontaires ou forcés des populations civiles, le contrôle du territoire de la part des groupes armés impliqués, la situation d’insécurité, le nombre de victimes et l’entité des dommages sont également des critères qui ont été utilisés afin d’apprécier le degré d’intensité du conflit ( 34 ). La nécessité de tenir compte des spécificités de chaque situation implique que ces critères ne puissent faire l’objet ni d’une énumération exhaustive ni d’une application cumulative ( 35 ).

44

Pour ce qui est de la seconde condition, relative au degré d’organisation des parties au conflit, celle-ci est considérée normalement comme remplie en ce qui concerne les forces armées gouvernementales. En revanche, deux différents standards conditionnent l’application du Protocole II et de l’article 3 commun aux conventions de Genève s’agissant du degré d’organisation des insurgés. Le premier de ces instruments requiert un niveau d’organisation particulièrement élevé et introduit une condition de contrôle du territoire ( 36 ), alors que, aux fins d’application du second, il suffit que les parties au conflit disposent d’une «certaine structure de commandement» ( 37 ) et qu’elles aient la capacité de mener des opérations militaires durables ( 38 ).

45

Hormis les deux conditions susmentionnées, une troisième condition, de nature temporelle, figure dans la définition de «conflit armé non international» donnée par le TPIY. Dans l’arrêt Tadic, précité, sur lequel s’est fondé le Conseil du contentieux des étrangers dans la procédure au principal, le TPIY a estimé qu’ «un conflit armé existe chaque fois qu’il y a recours à la force armée entre États ou un conflit armé prolongé entre les autorités gouvernementales et des groupes armés organisés ou entre de tels groupes au sein d’un État» ( 39 ). Cette même condition figure à l’article 8, paragraphe 2, sous f), du statut de la Cour pénale internationale (CPI) ( 40 ). Cette disposition, qui s’inspire de la jurisprudence du TPIY, précise que, aux fins de l’application de l’article 8, paragraphe 2, sous e) ( 41 ), du même statut, il y a lieu d’entendre par «conflits armés ne présentant pas un caractère international»«les conflits armés qui opposent de manière prolongée sur le territoire d’un État les autorités du gouvernement de cet État et des groupes armés organisés ou des groupes armés organisés entre eux» ( 42 ).

46

Il importe de souligner que le recours à un tel critère de durée a été prévu dans un contexte assez précis, à savoir afin de définir les violations du DIH qui relèvent de la compétence juridictionnelle de la CPI et des autres tribunaux pénaux internationaux, et que, même dans ce contexte, ce critère ne semble pertinent, à tout le moins dans le cadre du statut de la CPI, qu’en vue de criminaliser des violations autres que celles à l’article 3 commun aux conventions de Genève ( 43 ).

47

Cela étant dit, une référence à la durée du conflit figure également dans la prise de position que le CICR a adoptée en 2008 afin d’illustrer l’«avis de droit prédominant» sur la définition de la notion de conflit armé non international en droit humanitaire ( 44 ). Un tel conflit y est défini comme «un affrontement prolongé qui oppose les forces armées gouvernementales aux forces d’un ou de plusieurs groupes armés, ou de tels groupes armés entre eux, et qui se produit sur le territoire d’un État [...] Cet affrontement armé doit atteindre un niveau minimal d’intensité et les parties impliquées dans le conflit doivent faire preuve d’un minimum d’organisation».

48

Comme je l’ai indiqué plus haut, les conditions pour qu’il y ait conflit armé non international ne sont pas remplies dans des situations de «troubles intérieurs» et de «tensions internes». Ces deux notions figurent à l’article 1er, paragraphe 2, du Protocole II sans y être définies. Leur contenu a été décrit dans les documents élaborés par le CICR en vue de la préparation de la Conférence diplomatique de 1971 ( 45 ). Les «troubles intérieurs» y sont définis comme des «situations où, sans qu’il y ait à proprement parler de conflit armé non international, il existe cependant, sur le plan interne, un affrontement qui présente un certain caractère de gravité ou de durée et comporte des actes de violence. Ces derniers peuvent revêtir des formes variables, allant de la génération spontanée d’actes de révolte à la lutte entre des groupes plus ou moins organisés et les autorités au pouvoir. Dans ces situations, qui ne dégénèrent pas nécessairement en lutte ouverte, les autorités au pouvoir font appel à de vastes forces de police, voire aux forces armées, pour rétablir l’ordre intérieur. Le nombre élevé des victimes a rendu nécessaire l’application d’un minimum de règles humanitaires». Quant aux «tensions internes», elles visent des «situations de tension grave (politique, religieuse, raciale, sociale, économique, etc.) ou encore de séquelles d’un conflit armé ou de troubles intérieurs. Ces situations présentent l’une ou l’autre de ces caractéristiques, sinon toutes à la fois: des arrestations massives; un nombre élevé de détenus «politiques»; l’existence probable de mauvais traitements ou de conditions inhumaines de détention; la suspension des garanties judiciaires fondamentales, en raison de la promulgation d’un état d’exception, soit d’une situation de fait; des allégations de disparitions».

49

Les notions de «troubles intérieurs» et de «tensions internes» délimitent le seuil inférieur de la notion de conflit armé non international aux fins de l’application tant du Protocole II que de l’article 3 commun aux conventions de Genève ( 46 ). À ce jour, ces situations ne sont pas incluses dans le champ d’application du DIH.

ii) La fonction de la notion de conflit armé non international en DIH

50

Il ressort de l’exposé qui précède que la notion de conflit armé non international remplit plusieurs fonctions en DIH et que la définition qui en a été donnée dans ce contexte répond aux objectifs spécifiques de cette branche du droit international ainsi que du droit pénal international.

51

Elle a avant tout la fonction d’identifier une catégorie de conflits auxquels le DIH s’applique. Dans cette fonction de délimitation du champ d’application du DIH, la définition de la notion de conflit armé non international poursuit l’objectif fondamental d’assurer que la protection des victimes de tels conflits ne dépende pas d’une décision arbitraire des autorités concernées. Dès lors, elle comporte l’établissement d’un certain nombre de critères matériels objectifs dont la fonction est, principalement, celle d’éliminer autant que possible toute marge d’appréciation subjective et de renforcer la prévisibilité du DIH. Les critères de caractère organisationnel poursuivent, en outre, le but d’identifier les situations dans lesquelles une application des normes du DIH est concrètement possible, les parties au conflit disposant d’une infrastructure minimale leur permettant d’en assurer le respect.

52

Outre à délimiter le champ d’application du DIH, la notion en cause sert également à déterminer le régime juridique applicable au conflit. Comme je l’ai mentionné ci-dessus, ce régime varie non seulement selon que le conflit revêt une dimension internationale ou interne ( 47 ), mais également selon qu’il satisfait à la définition plus restrictive imposée par le Protocole II ou à celle plus étendue prévue par l’article 3 commun aux conventions de Genève. En dehors d’un noyau commun, relatif aux conditions minimales d’intensité et d’organisation des parties aux conflits, il ne semble pas exister une notion unitaire de «conflit armé non international» en DIH, les critères qui en précisent le contenu étant variables en fonction de l’instrument à appliquer.

53

Enfin, comme je l’ai évoqué ci-dessus, sous certaines conditions, les actes commis en violation du DIH pendant un conflit armé interne constituent des «crimes de guerre», susceptibles d’être poursuivis au titre du droit pénal international ( 48 ). La responsabilité pénale qui peut découler de la commission de tels actes commande que le contenu des notions qui concourent à définir l’incrimination soit précisé de manière suffisamment circonstanciée. Les critères de caractère organisationnel utilisés en DIH pour définir la notion de conflit armé non international revêtent une importance particulière dans ce contexte, où il s’agit d’établir la responsabilité pénale des personnes placées aux différents niveaux de la chaîne hiérarchique du groupe concerné.

54

Pour conclure, je rappelle, d’une manière plus générale, que le processus d’élaboration de la notion de conflit armé non international en DIH procède par étapes, qui reflètent l’état courant d’application et de développement de cette branche du droit international. Dans ce contexte, lors de chaque étape, l’exigence qui prime est d’arriver à un accord afin de préserver l’efficacité du système, ce qui porte inévitablement, ainsi que l’attestent les travaux des conférences diplomatiques ayant mené à l’adoption de l’article 3 commun aux conventions de Genève et du Protocole II, à des solutions de compromis.

55

En conclusion, la définition de la notion de conflit armé non international en DIH répond à des objectifs spécifiques qui sont propres à cette branche du droit international et, comme il sera illustré ci-dessous, étrangers au régime de la protection subsidiaire en droit de l’Union.

2. Objet, finalités et moyens du mécanisme de la protection subsidiaire

56

La directive qualifications constitue la première étape du processus d’harmonisation de la politique d’asile de l’Union. Ce processus doit mener à la création d’un régime d’asile européen commun en tant qu’«élément constitutif de l’objectif de l’Union européenne visant à mettre en place progressivement un espace de liberté, de sécurité et de justice ouvert à ceux qui, poussés par les circonstances, recherchent légitimement une protection dans l’[Union]» (premier considérant de la directive qualifications) ( 49 ).

57

L’objectif principal de cette première étape était, notamment, «d’assurer que tous les États membres appliquent des critères communs pour l’identification des personnes qui ont réellement besoin d’une protection internationale» ( 50 ), réduisant les divergences entre les législations et les pratiques des États membres dans ce domaine ( 51 ).

58

Le point 14 des conclusions du Conseil européen de Tampere, des 15 et 16 octobre 1999, que la directive qualifications vise à mettre en œuvre, recommandait, entre autres, l’adoption de «mesures relatives à des formes subsidiaires de protection», censées compléter les règles relatives au statut de réfugié et offrant un «statut approprié» à toute personne qui, bien que ne remplissant pas les conditions pour être considérée comme réfugié, a néanmoins besoin de protection internationale.

59

Conformément à ces conclusions, la directive qualifications souligne que les mesures au titre de la protection subsidiaire doivent être considérées comme complémentaires au régime de protection instauré par la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés ( 52 ), ainsi que complétée par le protocole relatif au statut des réfugiés, conclu à New York le 31 janvier 1967 ( 53 ).

60

Plus précisément, dans le système de la directive qualifications, le statut de réfugié et la protection subsidiaire sont considérés comme deux composantes distinctes mais étroitement liées de la notion de protection internationale ( 54 ). Une telle approche intégrée permet d’interpréter les dispositions de ladite directive, complétées par le régime instauré par la directive 2001/55/CE ( 55 ), prévoyant une protection temporaire en cas d’afflux massif de personnes déplacées (ci-après la «directive sur la protection temporaire»), comme un système normatif tendanciellement complet, capable de couvrir toute situation dans laquelle un ressortissant d’un pays tiers ou un apatride, qui ne peut pas obtenir une protection par son pays d’origine, invoque la protection internationale sur le territoire de l’Union.

61

Dans ce sens plaide d’ailleurs le libellé de l’article 78, paragraphe 1, TFUE, qui a remplacé l’article 63, point 1, CE, et qui constitue la base juridique de la nouvelle directive qualifications. Aux termes du paragraphe 1 de cet article, «l’Union développe une politique commune en matière d’asile, de protection subsidiaire et de protection temporaire visant à offrir un statut approprié à tout ressortissant d’un pays tiers nécessitant une protection internationale et à assurer le respect du principe de non-refoulement».

62

Dans le cadre de ce système normatif, le mécanisme de la protection subsidiaire vise, aux termes de l’article 2, sous e), de la directive qualifications, à accorder une protection internationale à toute personne qui ne peut pas se prévaloir du statut de réfugié, mais qui, si elle était rapatriée, courrait un risque réel de subir une violation de ses droits les plus fondamentaux ( 56 ).

63

Il ressort des travaux préparatoires de la directive qualifications que la notion de protection subsidiaire se fonde principalement sur les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme les plus pertinents en la matière, et notamment la CEDH, à son article 3, la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 10 décembre 1984, à son article 3, ainsi que le pacte international relatif aux droits civils et politiques, adopté le 16 décembre 1966 par l’Assemblée générale des Nations unies, à son article 7 ( 57 ). Le choix des catégories de bénéficiaires de cette protection s’inspire, quant à lui, outre que de la CEDH et de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, «en tant que cadre juridique contraignant», des régimes de protection «subsidiaire» ou «complémentaire» mis en place par les États membres ( 58 ).

64

Il ressort également des travaux préparatoires de la directive qualifications qu’il a toujours été question d’inclure parmi les catégories de bénéficiaires du régime de la protection subsidiaire les personnes qui ne peuvent pas retourner dans leur pays d’origine à cause de la situation de violence généralisée et d’insécurité qu’y règne.

65

Cette inclusion, d’une part, visait à compléter le régime instauré par la directive sur la protection temporaire, assurant un accueil pour ces personnes même en dehors des cas d’afflux massifs ( 59 ), et, d’autre part, répondait à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, selon laquelle une expulsion vers un pays où règne un niveau élevé de danger et d’insécurité et/ou de violence pourrait être considérée comme un traitement inhumain ou dégradant au sens de la CEDH ( 60 ).

3. Conclusions intermédiaires

66

L’examen qui précède permet de conclure que le DIH et le mécanisme de la protection subsidiaire prévu par la directive qualifications, tout en étant tous deux fondés sur des considérations humanitaires, ont des objectifs et poursuivent des buts différents.

67

Alors que le DIH vise principalement à réduire l’impact des conflits armés sur les populations concernées, la protection subsidiaire s’adresse aux personnes qui ont quitté les lieux où le conflit se déroule ‐ que ce soit à cause de ceci ou pour d’autres motifs ( 61 ) ‐ et ne peuvent pas y retourner en raison de la situation de violence généralisée qui y règne.

68

Le DIH s’adresse essentiellement à l’État ou aux États directement impliqués dans le conflit, alors que la protection subsidiaire est une forme de «protection de substitution», accordée par un État tiers au conflit lorsqu’il n’existe aucune possibilité réaliste pour le demandeur d’obtenir une protection dans son pays d’origine.

69

Le DIH opère sur deux plans, à savoir en réglementant la conduite des hostilités et en imposant aux parties belligérantes le respect d’un certain code de conduite envers les victimes du conflit. Il s’agit d’un droit de la guerre qui, en tant que tel, prend en compte, outre les besoins de protection des victimes du conflit, les exigences de caractère militaire des parties qui s’affrontent. La protection subsidiaire est, quant à elle, avant tout, une protection fondée sur le principe de non-refoulement, dont l’élément déclencheur déterminant est le besoin réel de protection internationale du demandeur.

70

Enfin, les violations du DIH font l’objet d’une criminalisation au niveau international et donnent lieu à une responsabilité pénale individuelle. De ce fait, le DIH entretient des liens très étroits avec le droit pénal international, ces deux branches du droit international s’influençant mutuellement. Une telle relation est en revanche étrangère au mécanisme de la protection subsidiaire.

71

En raison de ces différences, une cohérence herméneutique entre les notions de «conflit armé interne» au titre de l’article 15, sous c), de la directive qualifications et de «conflit armé non international» au sens du DIH ne se justifie pas. Il s’ensuit qu’aucune obligation d’interpréter la première notion de manière à en assurer la conformité avec la seconde ne peut être tirée de l’articulation entre ordre juridique de l’Union et ordre juridique international.

72

Une telle obligation ne découle non plus d’un renvoi au DIH qui serait contenu dans la directive qualifications.

4. Absence de renvoi au DIH dans la directive qualifications

73

Conformément aux objectifs qu’elle poursuit, la directive qualifications comporte plusieurs renvois aux instruments de droit international auxquels les États membres sont parties et qui définissent leurs obligations envers les demandeurs de protection internationale. Ainsi que la Cour l’a plusieurs fois souligné, ces renvois fournissent des indications sur la façon dont les dispositions de cette directive doivent être interprétées ( 62 ).

74

Outre la convention de Genève de 1951 et le protocole de 1967, définis à son troisième considérant, comme «la pierre angulaire du régime juridique international de protection des réfugiés», la directive qualifications mentionne de manière générale les obligations des États membres au titre des «instruments de droit international [...] qui interdisent la discrimination» (onzième considérant) et des «instruments relatifs aux droits de l’homme» (vingt-cinquième considérant) ainsi que leurs obligations en matière de non-refoulement (trente-sixième considérant et article 21, paragraphe 1). Le vingt-deuxième considérant comporte également une référence au préambule et aux articles 1er et 2 de la charte des Nations unies ainsi qu’aux résolutions des Nations unies concernant les mesures visant à éliminer le terrorisme international.

75

En revanche, cette directive ne contient aucun renvoi exprès au DIH. Ni ses considérants ni aucun de ses articles ne mentionne des instruments relevant de cette branche du droit international ( 63 ).

76

S’il est vrai que, dans l’exposé des motifs de sa proposition de directive, la Commission avait fait référence aux obligations des États membres au titre du DIH comme étant à l’origine des régimes de protection «subsidiaire» ou «complémentaire» adoptés au niveau national, cette référence ‐ par ailleurs indirecte et très générale n’a finalement pas été conservée ( 64 ). Une proposition de la présidence du Conseil de l’Union européenne visant à insérer, à l’article 15, sous c), un renvoi à la convention de Genève du 12 août 1949 relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre ainsi que, sur avis du service juridique du Conseil , à ses annexes et à ses protocoles n’a, de même, pas été retenue.

77

Il s’ensuit qu’aucune indication ne peut être tirée de la directive qualifications en faveur d’un alignement de la notion de «conflit armé interne» au sens de son article 15, sous c), sur celle de «conflit armé non international» en DIH. En revanche, l’absence de tout renvoi exprès au DIH dans le texte de cette la directive ainsi que le processus d’adoption de celle-ci fournissent des éléments qui plaident contre une interprétation de ladite disposition par stricte conformité au DIH.

5. Conclusion sur la première partie de la question préjudicielle

78

L’ensemble des considérations qui précèdent m’amènent à conclure que la notion de «conflit armé interne» au sens de l’article 15, sous c), de la directive qualifications doit être interprétée de manière autonome par rapport à la notion correspondante du DIH.

79

Dans l’arrêt Elgafaji, précité, la Cour a déjà eu l’occasion d’affirmer l’autonomie de l’article 15, sous c), de la directive qualifications par rapport à l’article 3 de la CEDH. Elle s’est fondée, pour ce faire, sur la différence de contenu de ces deux dispositions ainsi que sur des arguments d’ordre systématique.

80

Dans la présente affaire, je propose à la Cour de confirmer cette autonomie également par rapport au DIH, notamment par rapport à l’article 3 commun aux conventions de Genève, en s’appuyant sur la diversité des domaines dont les dispositions de la directive qualifications et celles du DIH relèvent.

B – Sur la seconde partie de la question préjudicielle

81

Par la seconde partie de sa question, la juridiction de renvoi demande à la Cour, pour le cas où elle répondrait à la première partie de cette question que la notion de «conflit armé interne» visée par l’article 15, sous c), de la directive qualifications doit être interprétée de manière autonome par rapport au DIH, quels sont les critères servant à apprécier l’existence d’un tel conflit armé interne.

82

Les réflexions menées jusqu’ici permettent de dégager un certain nombre d’éléments utiles pour répondre à cette partie de la question.

83

Premièrement, les normes de l’Union en matière de protection internationale, y inclus les dispositions de la directive qualifications relatives à la protection subsidiaire, s’inscrivent dans le système de protection des droits fondamentaux de l’Union. Elles sont calquées sur les principaux instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme élaborés au niveau tant européen que mondial et doivent être interprétées et appliquées en tenant compte des valeurs desquelles elles s’inspirent.

84

Deuxièmement, ces normes forment un système tendanciellement complet, dont l’objectif est de créer un «espace commun de protection et de solidarité» ( 65 ) pour tous ceux qui recherchent légitimement une protection internationale sur le territoire de l’Union. Elles doivent recevoir une interprétation et une application qui permet d’assurer la flexibilité de ce système.

85

Troisièmement, le but du mécanisme de la protection subsidiaire est d’offrir un statut approprié à tout ressortissant d’un pays tiers qui, sans obtenir l’asile européen, nécessite une protection internationale. Le besoin de protection du demandeur est, dès lors, le principal critère qui doit guider les autorités nationales compétentes saisies d’une demande d’octroi du statut de protection subsidiaire ou les juridictions d’un État membre auxquelles une décision de rejet d’une telle demande est déférée.

86

Afin d’établir l’existence d’un besoin de protection lié au risque de subir les atteintes définies à l’article 15, sous c), de la directive qualifications, auquel serait confrontée la personne sollicitant l’octroi de la protection subsidiaire si elle était renvoyée dans son pays d’origine, les autorités et les juridictions nationales compétentes doivent tenir compte, conformément aux règles établies à l’article 4, paragraphe 3, de cette directive, de l’ensemble des circonstances pertinentes qui caractérisent tant la situation du pays d’origine du demandeur au moment de statuer sur la demande que la situation personnelle de celui-ci.

87

Une telle approche casuistique, qui seule permet d’apprécier l’existence d’un besoin réel de protection, s’oppose à la fixation de critères auxquels la situation dans le pays d’origine du demandeur doit obligatoirement satisfaire pour pouvoir être définie de «conflit armé interne» au sens dudit article 15, sous c).

88

Par conséquent, afin de répondre utilement à la seconde partie de la question préjudicielle, je me limiterai à quelques indications générales d’ordre méthodologique.

89

Dans le contexte de l’article 15, sous c), de la directive qualifications, les notions de «violence aveugle» et de «conflit armé» sont étroitement liées entre elles, la seconde servant en substance à définir le cadre de la première.

90

En outre, différemment qu’en DIH, où l’existence d’un conflit armé interne ou international détermine à elle seule l’application du régime de protection, l’élément décisif afin de déclencher le mécanisme de la protection subsidiaire au titre de l’article 15, sous c), de la directive qualifications, lu en combinaison avec l’article 2, sous e), de celle-ci, est le risque encouru par le demandeur en raison de la situation de violence généralisée existant dans son pays d’origine.

91

Il s’ensuit que, dans le contexte de ces dispositions, l’examen relatif à l’intensité de la violence et au risque qui en découle pour le demandeur joue un rôle central, alors que l’identification et la qualification des faits qui sont à l’origine de cette violence revêtent une importance mineure.

92

Dès lors, l’application de l’article 15, sous c), de la directive qualifications, lu en combinaison avec l’article 2, sous e), de celle-ci, ne saurait être écartée d’emblée au seul motif que la situation dans le pays d’origine du demandeur ne remplit pas tous les critères utilisés en DIH ou dans l’État membre concerné pour définir la notion de conflit armé interne. Ne peuvent donc être considérées comme automatiquement exclues du champ d’application de ces dispositions les situations dans lesquelles, par exemple, la violence armée est exercée unilatéralement, les parties belligérantes ne disposent pas du degré d’organisation requis par le DIH ou n’exercent pas un contrôle sur le territoire, les forces gouvernementales n’interviennent pas dans le conflit, il n’y a pas d’«affrontement prolongé» au sens du DIH, le conflit tourne à sa phase finale ou, encore, la situation relève, en DIH, des notions de «troubles intérieurs» ou de «tensions internes» ( 66 ).

93

Toutes ces situations sont susceptibles d’être couvertes par l’article 15, sous c), de la directive qualifications lorsque le degré de violence aveugle dans le pays tiers concerné au moment de statuer sur la demande de protection subsidiaire atteint un niveau tel qu’il existe un risque réel pour la vie ou la personne du demandeur en cas de rapatriement. Cette appréciation devra être conduite en tenant compte de la précision apportée par la Cour au point 39 de l’arrêt Elgafaji, précité, à savoir que «plus le demandeur est éventuellement apte à démontrer qu’il est affecté spécifiquement en raison d’éléments propres à sa situation personnelle, moins sera élevé le degré de violence aveugle requis pour qu’il puisse bénéficier de la protection subsidiaire».

94

L’interprétation proposée reflète l’approche qui semble pouvoir se dégager de l’arrêt Elgafaji, précité, dans lequel la Cour, appelée à clarifier la notion de «menaces individuelles» au sens de l’article 15, sous c), de la directive qualifications, a établi un lien explicite et direct entre le risque que court le demandeur de protection subsidiaire de subir les atteintes définies à cet article, d’une part, et le degré de violence aveugle qui caractérise le conflit armé en cours, d’autre part ( 67 ). La même ligne interprétative est suivie par les autorités et les juridictions compétentes de certains États membres ‐ notamment les Pay-Bas et le Royaume‑Uni, qui ont modifié leur pratique antérieure à la suite dudit arrêt Elgafaji ( 68 ) ‐, et semble avoir été adoptée par la Commission dans l’exposé des motifs de sa proposition de refonte de la directive qualifications ( 69 ).

95

Je conclus en observant que la circonstance, soulignée lors de l’audience, que la directive qualifications poursuit un objectif d’harmonisation minimale ne doit pas conduire la Cour à privilégier une interprétation restrictive de ses dispositions, en particulier lorsqu’il s’agit de déterminer la portée des notions employées pour définir le champ d’application du régime de la protection subsidiaire.

96

En revanche, ces notions doivent être interprétées en tenant compte des considérations humanitaires qui sont à l’origine de ce régime, expression des valeurs de respect de la dignité humaine et de respect des droits de l’homme sur lesquels, aux termes de l’article 2 TUE, l’Union est fondée.

V – Conclusion

97

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre à la question posée par le Conseil d’État comme suit:

L’article 15, sous c), de la directive 2004/83/CE du Conseil, du 29 avril 2004, concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d’autres raisons, ont besoin d’une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts, lu en combinaison avec l’article 2, sous e), de celle-ci, doit être interprété en ce sens que:

l’existence de menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne du demandeur de la protection subsidiaire n’est pas subordonnée à la condition que la situation dans son pays d’origine, ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, soit qualifiable de conflit armé interne au sens du droit international humanitaire et, notamment, de l’article 3 commun aux quatre conventions de Genève du 12 août 1949, à savoir la convention (I) pour l’amélioration du sort des blessés et des malades dans les forces armées en campagne; la convention (II) pour l’amélioration du sort des blessés, des malades et des naufragés des forces armées sur mer; la convention (III) relative au traitement des prisonniers de guerre, ainsi que la convention (IV) relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre;

l’existence de telles menaces doit être appréciée en fonction du degré de violence aveugle qui caractérise la situation dans le pays d’origine du demandeur, ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, au moment de statuer sur la demande de protection subsidiaire.


( 1 ) Langue originale: le français.

( 2 ) Directive du Conseil du 29 avril 2004 concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes, qui, pour d’autres raisons, ont besoin d’une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts (JO L 304, p. 12, et rectificatif JO 2005, L 204, p. 24).

( 3 ) Respectivement, convention (I) pour l’amélioration du sort des blessés et des malades dans les forces armées en campagne; convention (II) pour l’amélioration du sort des blessés, des malades et des naufragés des forces armées sur mer; convention (III) relative au traitement des prisonniers de guerre, et convention (IV) relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre.

( 4 ) Aux termes de l’article 2, sous k), de la directive, on entend par «pays d’origine» le pays ou les pays dont le demandeur a la nationalité ou, s’il est apatride, le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle. La même définition est retenue aux fins des présentes conclusions.

( 5 ) Voir le rectificatif cité à la note en bas de page 2 des présentes conclusions.

( 6 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection (JO L 337, p. 9).

( 7 ) Moniteur belge du 31 décembre 1980, p. 14584. Ledit article 48/4 a été introduit par une loi modificative du 15 septembre 2006 (Moniteur belge du 6 octobre 2006, p. 53533).

( 8 ) Arrêt no 45.299.

( 9 ) Arrêt no 61.019.

( 10 ) Voir arrêt du 2 octobre 1995, Tadic, relatif à l’appel de la défense concernant l’exception préjudicielle d’incompétence. Créé par le Conseil de sécurité agissant en vertu du chapitre VII de la charte des Nations unies, le TPIY est, au titre de l’article 1er de son statut, habilité à juger les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991.

( 11 ) C-465/07, Rec. p. I-921.

( 12 ) Aux termes de cet article, intitulé «Interdiction de la torture», «nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants».

( 13 ) Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) s’est exprimé dans le même sens dans le document Safe at last? Law and practice in selected EU members States with respect to asylum-seekers fleeing indiscriminate violence, juillet 2001, p. 103 et 104, disponible sur le site Internet du HCR à l’adresse www.unhcr.org/refworld/docid/4e2ee0022.html, ainsi que dans la note établie dans le cadre de la présente affaire, produite en annexe des observations présentées devant la Cour par M. Diakité.

( 14 ) Voir arrêt du 9 novembre 2010, B et D (C-57/09 et C-101/09, Rec. p. I-10979, points 89 à 94).

( 15 ) Voir, notamment, arrêts du 18 janvier 1984, Ekro (327/82, Rec. p. 107, point 11); du 19 septembre 2000, Linster (C-287/98, Rec. p. I-6917, point 43); du 21 octobre 2010, Padawan (C-467/08, Rec. p. I-10055 point 32), et du 1er mars 2012, González Alonso (C‑166/11, point 25). Voir, également, arrêts du 1er février 1977, Verbond van Nederlandse Ondernemingen (51/76, Rec. p. 113, points 10 et 11); du 14 janvier 1982, Corman (64/81, Rec. p. 13, point 8); du 2 avril 1998, EMU Tabac e.a. (C-296/95, Rec. p. I-1605, point 30); du 22 mai 2003, Commission/Allemagne (C-103/01, Rec. p. I-5369, point 33), ainsi que du 18 décembre 2007, Société Pipeline Méditerranée et Rhône (C-314/06, Rec. p. I-12273, point 21).

( 16 ) Voir arrêts du 24 novembre 1992, Poulsen et Diva Navigation (C-286/90, Rec. p. I-6019, point 9); du 16 juin 1998, Racke (C-162/96, Rec. p. I-3655, point 45); du 3 septembre 2008, Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission (C-402/05 P et C-415/05 P, Rec. p. I-6351, point 291), ainsi que, dans le même sens, du 21 décembre 2011, Air Transport Association of America e.a. (C-366/10, Rec. p. I-13755, point 101).

( 17 ) Arrêts précités Poulsen et Diva Navigation (point 9); Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission (point 291), ainsi que Air Transport Association of America e.a. (point 123).

( 18 ) L’article 216, paragraphe 2, TFUE prévoit que les accords conclus par l’Union lient les institutions de l’Union et les États membres.

( 19 ) Voir arrêts précités Poulsen et Diva Navigation (point 10), concernant les règles de droit international maritime coutumier, ainsi que Racke (point 46), où il était question des règles, codifiées à l’article 62 de la convention de Vienne sur le droit des traités, du 23 mai 1969, concernant la cessation des relations conventionnelles en raison d’un changement de circonstances. On retrouve la même affirmation, avec une portée plus générale, dans l’arrêt Air Transport Association of America e.a., précité (point 101).

( 20 ) Voir, en ce qui concerne les accords conclus par l’Union, arrêts du 10 septembre 1996, Commission/Allemagne (C-61/94, Rec. p. I-3989, point 52); du 9 janvier 2003, Petrotub et Republica (C-76/00 P, Rec. p. I-79, point 57); du 1er avril 2004, Bellio F.lli (C-286/02, Rec. p. I-3465, point 33); du 12 janvier 2006, Algemene Scheeps Agentuur Dordrecht (C-311/04, Rec. p. I-609, point 25); du 8 mars 2007, Thomson et Vestel France (C-447/05 et C-448/05, Rec. p. I-2049, point 30); du 7 juin 2007, Řízení Letového Provozu (C-335/05, Rec. p. I-4307, point 16), ainsi que du 6 juillet 2010, Monsanto Technology (C-428/08, Rec. p. I-6765, point 72).

( 21 ) Voir, en ce sens, en dernier lieu, Simon D., La panacée de l’interprétation conforme : injection homéopathique ou thérapie palliative ?, De Rome à Lisbonne : les juridictions de l’Union européenne à la croisée des chemins, Mélanges en l’honneur de P. Mengozzi, Bruylant, 2013 p. 279 et suivantes, p. 285.

( 22 ) Cependant, dans l’arrêt du 3 juin 2008, Intertanko e.a. (C-308/06, Rec. p. I-4057), la Cour a affirmé le principe selon lequel, compte tenu du principe coutumier de bonne foi, qui fait partie du droit international général, et du principe de coopération loyale, il lui appartient d’interpréter les dispositions d’une directive «en tenant compte» d’une convention ne liant pas l’Union à laquelle tous les États membres sont parties.

( 23 ) CIJ, avis consultatif du 8 juillet 1996, «Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires» (Rec. 1996, p. 226, point 79; voir, également, point 80).

( 24 ) Notamment les conventions des 29 juillet 1899 et 18 octobre 1907.

( 25 ) On fait remonter la naissance de cette branche du DIH à l’appel lancé par Henry Dunant dans son ouvrage intitulé Un souvenir de Solferino, témoignage des atrocités auxquelles il avait assisté pendant la guerre de Solferino. Sa publication en 1862 fut suivie par la création du Comité international de secours aux blessés, qui deviendra le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), et par la signature, en 1864, de la première convention de Genève.

( 26 ) Voir CIJ, avis cité à la note en bas de page 23 (point 75). Le noyau du DIH identifié par la CIJ est complété par d’autres traités internationaux interdisant l’emploi de certaines armes et tactiques militaires ou protégeant certaines catégories de personnes ou de biens, tels que la convention de la Haye du 14 mai 1954 pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé et ses deux protocoles; la convention du 10 avril 1972 sur l’interdiction des armes biologiques; la convention des Nations unies de 1980 sur certaines armes classiques et ses cinq protocoles; la convention du 13 janvier 1993 sur les armes chimiques, ainsi que la convention d’Ottawa de 1997 sur les mines antipersonnel ainsi que le protocole facultatif de 2000 se rapportant à la convention relative aux droits de l’enfant, concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés.

( 27 ) Convention (I), article 50; Convention (II), article 51; Convention (III), article 130; Convention (IV), article 147; voir également le Protocole I, articles, 11, paragraphe 4, 85 et 86.

( 28 ) Pour une reconstruction des différentes étapes ayant mené à cet élargissement et des débats auxquels il a donné lieu lors de la Conférence diplomatique de 1949, voir le commentaire relatif à l’article 3 commun aux conventions de Genève accessible sur le site Internet du CICR à l’adresse http://www.icrc.org/applic/ihl/dih.nsf/vwTreaties1949.xsp.

( 29 ) Ibidem.

( 30 ) Idem.

( 31 ) Voir point 4 des présentes conclusions. Cet article est «le résultat d’un compromis délicat, longuement négocié, auquel le sort du Protocole tout entier a été lié jusqu’au moment de son adoption définitive, en séance plénière de la Conférence», voir Sandoz, Y., e.a., Commentaire des Protocoles additionnels du 8 juin 1977 aux Conventions de Genève, CICR, Genève, 1986, accessible sur le site Internet du CICR à l’adresse: http://www.icrc.org/applic/ihl/dih.nsf/vwTreaties1949.xsp.

( 32 ) La pertinence des objectifs poursuivis par les parties belligérantes a été expressément exclue dans l’arrêt du TPIY du 30 novembre 2005, The Prosecutor v. Fatmir Limaij (IT‑03‑66‑T, point 170).

( 33 ) Voir CICR, Comment le terme ‘conflit armé’ est-il défini en droit international humanitaire?, prise de position, mars 2008, accessible sur le site Internet du CICR à l’adresse http://www.icrc.org/fre/resources/documents/article/other/armed-conflict-article-170308.htm.

( 34 ) TPIY, arrêt The Prosecutor v. Fatmir Limaij, précité (notamment paragraphes 136 à 168).

( 35 ) Voir Vité, S., «Typology of armed conflicts in international humanitarian law: legal concepts and actual situation», International Review of the Red Cross, vol. 91, no 873, mars 2009, p. 69 à 94.

( 36 ) Selon Sandoz, Y., e.a., op. cit , paragraphe 4467, cette condition requiert une «certaine stabilité dans le contrôle d’une portion, même modeste, du territoire».

( 37 ) Dans son arrêt The Prosecutor v. Fatmir Limaij, précité, le TPIY met l’accent, outre que sur la structure hiérarchisée de l’Armée de libération du Kosovo, sur l’existence en son sein d’organes et de méthodes consacrés à la communication avec le public, sur la circonstance qu’il s’était doté de règlements établissant une chaîne de hiérarchie militaire entre les différents niveaux de commandement et qu’il avait mis en place une police militaire responsable, entre autres, de la discipline des soldats, sur sa capacité de recruter de nouveaux soldats et de les entraîner, sur le port d’un uniforme ainsi que sur son rôle dans les négociations avec les représentants des Communautés européennes et des missions étrangères basées à Belgrade (voir paragraphes 94 à 134).

( 38 ) Voir CICR, Comment le terme ‘conflit armé’ est-il défini en droit international humanitaire, op. cit. [point II, 1, a)].

( 39 ) Paragraphe 70, souligné par mes soins. Cette définition revient de manière constante dans la jurisprudence du TPIY, voir, par exemple, arrêt The Prosecutor v. Fatmir Limaij, précité (notamment paragraphe 84).

( 40 ) Signé à Rome le 17 juillet 1998 et entré en vigueur le 1er juillet 2002, Nations unies, Recueil des traités des Nations unies, vol. 2187, no 38544.

( 41 ) Cette disposition énumère les violations graves des lois et des coutumes applicables aux conflits armés ne présentant pas un caractère international autres que les violations graves de l’article 3 commun aux conventions de Genève, visées par l’article 8, paragraphe 2, sous c).

( 42 ) Souligné par mes soins.

( 43 ) En ce sens, voir Vité, S., op. cit., p. 81 à 83.

( 44 ) Le CICR a agi sur la base du mandat qui lui avait été conféré par les États parties aux conventions de Genève du 12 août 1949 au moyen des statuts du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge

( 45 ) Il s’agit des documents présentés par le CICR à la première session de la Conférence d’experts gouvernementaux, en 1971 (voir Sandoz, Y., e.a., op. cit.).

( 46 ) Voir, également, article 8, paragraphe 2, sous d) et f), du statut de la CPI.

( 47 ) Dans le premier cas, c’est l’ensemble des dispositions des quatre conventions de Genève du 12 août 1949 ainsi que le Protocole I qui s’appliquent, alors que, dans le second cas, seul l’article 3 commun à ces conventions et le Protocole II seront applicables. Cependant, la ligne de démarcation entre ces deux types de conflits se brouille jusqu’à disparaître dans la jurisprudence récente du TPIY, voir, à ce propos, Sassoli M. et Olson L. M., The judgement of the ICTY appeals chamber on the merits in the Tadic case, International Review of the Red Cross, 2000, n. 839, disponible sur le site internet du CICR à l’adresse http://www.icrc.org/eng/resources/documents/misc/57jqqc.htmp.

( 48 ) Ni l’article 3 commun aux conventions de Genève, ni le Protocole II ne prévoient des dispositions visant à criminaliser les violations de ces instruments. Par ailleurs, le système de répression des infractions graves prévu par les quatre conventions de Genève, rappelé au point 31 ci-dessus, ne s’applique qu’aux conflits armés internationaux. Le principe de la responsabilité pénale pour violation du droit applicable aux conflits armés non internationaux a toutefois été affirmé par le TPIY dans son arrêt Tadic relatif à l’appel de la défense concernant l’exception préjudicielle d’incompétence, cité à la note en bas de page 10 des présentes conclusions (notamment, paragraphe 134). Contrairement au statut du TPIY, le statut du Tribunal pénal international pour le Rwanda, créé par la résolution du Conseil des Nations‑Unies 955 (1994) du 8 novembre 1994, établit explicitement la compétence de ce tribunal à l’égard des violations graves de l’article 3 commun aux conventions de Genève et du Protocole II (article 4). Il en va de même, ainsi que je l’ai évoqué plus haut, pour le statut de la CPI (voir point 45 ci-dessus).

( 49 ) Parmi les étapes fondamentales de ce processus d’harmonisation des politiques d’asile des États membres de l’Union figurent les programmes adoptés lors des Conseils européens de Tampere des 15 et 16 octobre 1999, de la Haye des 4 et 5 novembre 2004, ainsi que de Stockholm des 10 et 11 décembre 2009, ce dernier précédé par le Pacte européen sur l’immigration et l’asile du 24 septembre 2008.

( 50 ) Voir le sixième considérant de la directive qualifications (souligné par mes soins).

( 51 ) Voir la proposition de directive du Conseil concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers et les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou de personne qui, pour d’autres raisons, a besoin d’une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts [COM(2001) 510 final, JO 2002, C 51E, p. 325, section 2].

( 52 ) Recueil des traités des Nations unies, vol. 189, p. 150, no 2545 (1954).

( 53 ) Voir, notamment, le vingt-quatrième considérant de la directive qualifications.

( 54 ) Voir, en ce sens, les premier, cinquième, sixième et vingt-quatrième considérants de la directive qualifications ainsi que les articles 1er et 2, sous a) et e), de celle‑ci.

( 55 ) Directive du Conseil du 20 juillet 2001 relative à des normes minimales pour l’octroi d’une protection temporaire en cas d’afflux massif de personnes déplacées et à des mesures tendant à assurer un équilibre entre les efforts consentis par les États membres pour accueillir ces personnes et supporter les conséquences de cet accueil (JO L 212, p. 12).

( 56 ) Voir, en ce sens, point 33 des conclusions de l’avocat général Poiares Maduro présentées le 9 septembre 2008 dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Elgafaji, précité.

( 57 ) Voir proposition de directive COM(2001) 510 final, susmentionnée (section 3).

( 58 ) Ibidem. Voir, également, vingt-cinquième considérant de la directive qualifications.

( 59 ) Le texte de l’article 15, sous c), initialement proposé par la Commission allait dans le sens d’aligner la définition de cette catégorie de bénéficiaires de la protection subsidiaire sur celle figurant à l’article 2, sous c), de la directive sur la protection temporaire et couvrait toute personne craignant «une menace contre sa vie, sa sécurité ou sa liberté en raison d’une violence non ciblée liée à un conflit armé ou de violations systématiques ou généralisées des droits de l’homme». Ce texte a été longuement débattu au cours du processus d’adoption de la directive et a fait l’objet de nombreux amendements qui ont finalement conduit à garder la seule référence aux situations caractérisées par «une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international».

( 60 ) Voir, notamment, Cour eur. D. H., arrêt Vilvarajah c. Royaume-Uni 30 octobre 1991. Voir également la note de la présidence du Conseil de l’Union européenne au comité stratégique sur l’immigration, les frontières et l’asile, du 25 septembre 2002, 12148/02, annexée aux observations de la Commission.

( 61 ) Voir article 5 de la directive qualifications, concernant le besoin de protection surgissant sur place.

( 62 ) Arrêts du 2 mars 2010, Salahadin Abdulla e.a. (C-175/08, C-176/08, C-178/08 et C-179/08, Rec. p. I-1493, points 52, 53 et 54); du 17 juin 2010, Bolbol (C-31/09, Rec. p. I-5539, points 37 et 38), ainsi que B et D, précité (point 78).

( 63 ) Les articles 12, paragraphe 2, sous a), et 17, paragraphe 1, sous a), de la directive qualifications concernant les causes d’exclusion du statut de réfugié et du statut conféré par la protection subsidiaire, font référence, pour l’identification d’agissements considérés comme des crimes contre la paix, des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité, aux «instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes».

( 64 ) Voir proposition de directive COM(2001) 510 final, susmentionnée (section 3).

( 65 ) Voir le point 6.2 du programme de Stockholm, cité.

( 66 ) À cet égard, je relève que la directive qualifications identifie elle-même un seuil minimal d’application de l’article 15, sous e), au vingt-sixième considérant de celle-ci, qui prévoit que «les risques auxquels la population d’un pays ou une partie de la population est généralement exposée ne constituent normalement pas en eux-mêmes des menaces individuelles à qualifier d’atteintes graves».

( 67 ) Voir, notamment, points 33 à 38 et dispositif de l’arrêt.

( 68 ) Voir HCR, Safe at last? Law and practice in selected EU members States with respect to asylum-seekers fleeing indiscriminate violence, op. cit., p. 65 à 71.

( 69 ) Proposition de directive du Parlement européen et d Conseil concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, et relatives au contenu de cette protection, COM(2009)551 final. Dans la section 2 de cette proposition, la Commission renvoie à l’interprétation retenue par la Cour dans l’arrêt Elgafaji, précité, afin de justifier l’absence de propositions visant à préciser les conditions d’application de l’article 15, sous c), la directive qualifications, malgré les nombreuses sollicitations reçues en ce sens.