ORDONNANCE DE LA COUR (sixième chambre)

14 décembre 2011 (*)

«Renvoi préjudiciel – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Admissibilité d’une réglementation nationale établissant des diminutions salariales en ce qui concerne plusieurs catégories de fonctionnaires publics – Absence de mise en œuvre du droit de l’Union – Incompétence manifeste de la Cour»

Dans l’affaire C‑434/11,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Tribunalul Alba (Roumanie), par décision du 28 juillet 2011, parvenue à la Cour le 22 août 2011, dans la procédure

Corpul Naţional al Poliţiştilor

contre

Ministerul Administraţiei şi Internelor (MAI),

Inspectoratul General al Poliţiei Române (IGPR),

Inspectoratul de Poliţie al Judeţului Alba (IPJ),

LA COUR (sixième chambre),

composée de M. U. Lõhmus (rapporteur), président de chambre, MM. A. Rosas et C. G. Fernlund, juges,

avocat général: M. P. Cruz Villalón,

greffier: M. A. Calot Escobar,

l’avocat général entendu,

rend la présente

Ordonnance

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 17, paragraphe 1, 20 et 21, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la «charte»).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant le Corpul Naţional al Poliţiştilor (fédération nationale de la police roumaine), agissant pour la défense des intérêts de ses membres, les policiers de l’inspection de la police du département d’Alba, au Ministerul Administraţiei şi Internelor (MAI) (ministère de l’Administration et de l’Intérieur), à l’Inspectoratul General al Poliţiei Române (IGPR) (inspection générale de la police roumaine) ainsi qu’à l’Inspectoratul de Poliţie al Judeţului Alba (IPJ) (inspection de la police du département d’Alba) au sujet de la diminution de la rémunération de ses membres.

 Le cadre juridique national

3        Par la loi n° 118/2010 instaurant certaines mesures nécessaires au rétablissement de l’équilibre budgétaire (legea nr. 118/2010 privind unele măsuri necesare în vederea restabilirii echilibrului bugetar), telle que modifiée par l’ordonnance d’urgence du gouvernement n° 78, du 30 août 2010 (ci-après la «loi n° 118/2010»), l’État roumain a opéré une diminution de 25 % des droits à rémunération des fonctionnaires et agents publics.

4        Il résulte de la décision de renvoi que cette diminution a été décidée, à l’origine, pour une période limitée à six mois, à savoir du 3 juillet au 31 décembre 2010.

5        À partir du 1er janvier 2011, la loi n° 285/2010 relative à la rémunération pour l’année 2011 des fonctionnaires et agents publics (legea nr. 285/2010 privind salarizarea în anul 2011 a personalului plătit din fonduri publice) a prévu une augmentation de 15 % des traitements précédemment réduits.

6        Cette même loi a supprimé les éléments de rémunération correspondant à la prime annuelle pour l’année 2010 ainsi qu’à la prime de vacances pour l’année 2011.

 Le litige au principal et la question préjudicielle

7        Le litige au principal porte sur les droits à rémunération des membres du Corpul Naţional al Poliţiştilor, à savoir des fonctionnaires relevant du statut spécial des policiers, affectés par les diminutions résultant de la loi n° 118/2010.

8        Le Corpul Naţional al Poliţiştilor conclut à ce que soit constaté le droit de ses membres à une rémunération non diminuée. Il demande également que les défendeurs au principal soient condamnés à verser à ses membres la somme correspondant à la quote-part de 25 % retenue sur les traitements durant les mois de juillet à décembre 2010, augmentée en fonction du taux de l’inflation constaté entre les dates d’exigibilité et de paiement effectif de ladite somme.

9        Pour motiver son recours, le Corpul Naţional al Poliţiştilor soulève notamment un moyen tiré de l’incompatibilité des dispositions de la loi n° 118/2010 avec les droits fondamentaux, notamment le droit de propriété ainsi que les principes d’égalité en droit des personnes et de non-discrimination.

10      La juridiction de renvoi estime qu’une interprétation par la Cour des articles de la charte relatifs à ces droits et principes lui est nécessaire aux fins de rendre son jugement dans l’affaire au principal.

11      Dans ces conditions, le Tribunalul Alba a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«Les dispositions des articles 17, paragraphe 1, 20 et 21, paragraphe 1, de la [charte] doivent-elles être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à des baisses de rémunération telles que celles résultant des lois roumaines n° 118/2010 et n° 285/2010?»

 Sur la compétence de la Cour

12      En vertu des articles 92, paragraphe 1, et 103, paragraphe 1, de son règlement de procédure, lorsqu’elle est manifestement incompétente pour connaître d’une demande de décision préjudicielle, la Cour, l’avocat général entendu, peut, sans poursuivre la procédure, statuer par voie d’ordonnance motivée.

13      Dans le cadre d’un renvoi préjudiciel au titre de l’article 267 TFUE, la Cour peut uniquement interpréter le droit de l’Union dans les limites des compétences attribuées à l’Union européenne (voir arrêt du 5 octobre 2010, McB., C‑400/10 PPU, non encore publié au Recueil, point 51, ainsi que ordonnance du 22 juin 2011, Vino, C‑161/11, points 25 et 37).

14      S’agissant des exigences découlant de la protection des droits fondamentaux, il est de jurisprudence constante qu’elles lient les États membres dans tous les cas où ils sont appelés à appliquer le droit de l’Union (voir arrêt du 11 octobre 2007, Möllendorf et Möllendorf-Niehuus, C‑117/06, Rec. p. I‑8361, point 78; ordonnances du 12 novembre 2010, Asparuhov Estov e.a., C‑339/10, non encore publiée au Recueil, point 13, ainsi que du 1er mars 2011, Chartry, C‑457/09, non encore publiée au Recueil, point 22).

15      Toutefois, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 51, paragraphe 1, de la charte, les dispositions de celle-ci s’adressent «aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union» et que, en vertu de l’article 6, paragraphe 1, TUE, qui attribue une valeur contraignante à la charte, celle-ci ne crée aucune compétence nouvelle pour l’Union et ne modifie pas les compétences de cette dernière (voir arrêt McB., précité, point 51; ordonnances précitées Asparuhov Estov e.a., point 12; Chartry, points 23 et 24, ainsi que Vino, point 24).

16      Étant donné que la décision de renvoi ne contient aucun élément concret permettant de considérer que les lois nos 118/2010 et 285/2010 visent à mettre en œuvre le droit de l’Union, la compétence de la Cour pour répondre à la présente demande de décision préjudicielle n’est pas établie.

17      Dans ces conditions, il y a lieu de constater que la Cour est manifestement incompétente pour répondre à la question posée par le Tribunalul Alba.

 Sur les dépens

18      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) dit pour droit:

La Cour de justice de l’Union européenne est manifestement incompétente pour répondre à la question posée par le Tribunalul Alba (Roumanie), par décision du 28 juillet 2011.

Signatures


* Langue de procédure: le roumain.