ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

13 décembre 2012 ( *1 )

«Protection des intérêts financiers de l’Union — Règlement (CE, Euratom) no 2988/95 — Articles 4 et 5 — Sanction administrative — Mesure administrative — Règlement (CEE) no 822/87 — Aides au stockage privé de moûts de raisins concentrés — Origine communautaire — Règlement (CEE) no 1059/83 — Contrat de stockage à long terme — Article 2, paragraphe 2 — Article 17, paragraphe 1, sous b) — Diminution de l’aide en fonction de la gravité de l’infraction»

Dans l’affaire C‑670/11,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Conseil d’État (France), par décision du 28 novembre 2011, parvenue à la Cour le 29 décembre 2011, dans la procédure

Établissement national des produits de l’agriculture et de la mer (FranceAgriMer)

contre

Vinifrance SA,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. L. Bay Larsen, faisant fonction de président de la quatrième chambre, M. J.‑C. Bonichot, Mmes C. Toader (rapporteur), A. Prechal et M. E. Jarašiūnas, juges,

avocat général: Mme E. Sharpston,

greffier: M. V. Tourrès, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 3 octobre 2012,

considérant les observations présentées:

pour l’Établissement national des produits de l’agriculture et de la mer (FranceAgriMer), par Mes H. Didier et F. Pinet, avocats,

pour le gouvernement français, par MM. G. de Bergues et S. Menez ainsi que Mme C. Candat, en qualité d’agents,

pour le gouvernement polonais, par MM. M. Szpunar et B. Majczyna, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par MM. B. Schima et D. Triantafyllou, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation du règlement (CEE) no 822/87 du Conseil, du 16 mars 1987, portant organisation commune du marché viti-vinicole (JO L 84, p. 1), tel que modifié par le règlement (CEE) no 2253/88 du Conseil, du 19 juillet 1988 (JO L 198, p. 35, ci-après le «règlement no 822/87»), du règlement (CEE) no 1059/83 de la Commission, du 29 avril 1983, relatif aux contrats de stockage pour le vin de table, le moût de raisins, le moût de raisins concentré et le moût de raisins concentré rectifié (JO L 116, p. 77), tel que modifié par le règlement (CE) no 2646/1999 de la Commission, du 15 décembre 1999 (JO L 324, p. 10, ci-après le «règlement no 1059/83»), ainsi que du règlement (CE, Euratom) no 2988/95 du Conseil, du 18 décembre 1995, relatif à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes (JO L 312, p. 1).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant l’Établissement national des produits de l’agriculture et de la mer (FranceAgriMer), venant aux droits de l’Office national interprofessionnel des vins (Onivins), à Vinifrance SA (ci-après «Vinifrance») au sujet de la récupération de l’intégralité des aides au stockage perçues par cette dernière.

I – Le cadre juridique

A – La réglementation relative à l’organisation commune du marché viti-vinicole

1. Le règlement no 822/87

3

Il ressort de l’article 1er ainsi que de l’annexe I, point 6, du règlement no 822/87 que celui-ci régit notamment le moût de raisins concentré, défini comme étant le moût de raisins non caramélisé, obtenu par déshydratation partielle du moût de raisins et «produit dans la Communauté».

4

À cet égard, l’article 32, paragraphes 1 et 2, de ce règlement prévoit:

«1.   Il est institué un régime d’aides au stockage privé:

[...]

du moût de raisins, du moût de raisins concentré et du moût de raisins concentré rectifié.

2.   L’octroi des aides visées au paragraphe 1 est subordonné à la conclusion avec les organismes d’intervention [...] d’un contrat de stockage à long terme.»

2. Le règlement no 1059/83

5

Il ressort de l’article 1er du règlement no 1059/83 que celui-ci établit les modalités d’application pour la conclusion de contrats de stockage.

6

Le troisième considérant de ce règlement indique que, étant donné «que les contrats sont conclus entre les organismes d’intervention et les producteurs qui le demandent[,] il y a lieu de donner une définition du producteur et, compte tenu des obligations auxquelles il doit être soumis, d’exiger qu’il soit propriétaire du produit faisant l’objet du contrat de stockage».

7

L’article 2 dudit règlement se lit comme suit:

«1.   Les organismes d’intervention ne concluent de contrat qu’avec des producteurs isolés ou groupés.

Au sens du présent règlement, on entend par producteur toute personne physique ou morale ou tout groupement de ces personnes qui transforme ou fait transformer:

du raisin frais en moûts de raisins,

du moût de raisins en moût de raisins concentré, ou en moût de raisins concentré rectifié,

du raisin frais, du moût de raisins ou du moût de raisins partiellement fermenté en vin de table.

2.   Un producteur ne peut conclure un contrat que pour un produit élaboré par ses soins ou sous sa responsabilité et dont il est encore le propriétaire.»

8

L’article 12 de ce même règlement fixe de manière forfaitaire, par jour et par hectolitre, le montant de l’aide au stockage, valable pour toute l’Union européenne, notamment pour les moûts de raisins.

9

L’article 17, paragraphe 1, du règlement 1059/83 dispose:

«Sauf en cas de force majeure,

a)

si le producteur ne remplit pas les obligations qui lui incombent en vertu des articles 7, paragraphe 2, 15 et 16 et, le cas échéant, 10, paragraphe 2, l’aide n’est pas due;

b)

si le producteur ne remplit pas une des obligations qui lui incombent en vertu du présent règlement ou du contrat, autres que celles visées sous a), l’aide à verser est diminuée d’un montant fixé par l’autorité compétente selon la gravité de l’infraction commise.»

B – Le règlement no 2988/95 relatif à la protection des intérêts financiers de l’Union

10

Les quatrième, cinquième et huitième considérants du règlement no 2988/95 se lisent comme suit:

«considérant que l’efficacité de la lutte contre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers des Communautés requiert la mise en place d’un cadre juridique commun à tous les domaines couverts par les politiques communautaires;

considérant que les comportements constitutifs d’irrégularités, ainsi que les mesures et sanctions administratives y relatives, sont prévus dans des réglementations sectorielles en conformité avec le présent règlement;

[...]

considérant que le droit communautaire a instauré des sanctions administratives communautaires dans le cadre de la politique agricole commune; que de telles sanctions devront être instaurées également dans d’autres domaines».

11

L’article 1er de ce règlement prévoit:

«1.   Aux fins de la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, est adoptée une réglementation générale relative à des contrôles homogènes et à des mesures et des sanctions administratives portant sur des irrégularités au regard du droit communautaire.

2.   Est constitutive d’une irrégularité toute violation d’une disposition du droit communautaire résultant d’un acte ou d’une omission d’un opérateur économique qui a ou aurait pour effet de porter préjudice au budget général des Communautés ou à des budgets gérés par celles-ci, soit par la diminution ou la suppression de recettes provenant des ressources propres perçues directement pour le compte des Communautés, soit par une dépense indue.»

12

Aux termes de l’article 2, paragraphe 3, dudit règlement, «[l]es dispositions du droit communautaire déterminent la nature et la portée des mesures et sanctions administratives nécessaires à l’application correcte de la réglementation considérée en fonction de la nature et de la gravité de l’irrégularité, du bénéfice accordé ou de l’avantage reçu et du degré de responsabilité».

13

L’article 4 du même règlement, figurant sous le titre II de celui-ci, intitulé «Mesures et sanctions administratives», prévoit:

«1.   Toute irrégularité entraîne, en règle générale, le retrait de l’avantage indûment obtenu:

par l’obligation de verser les montants dus ou de rembourser les montants indûment perçus,

[...]

2.   L’application des mesures visées au paragraphe 1 est limitée au retrait de l’avantage obtenu augmenté, si cela est prévu, d’intérêts qui peuvent être déterminés de façon forfaitaire.

[...]

4.   Les mesures prévues par le présent article ne sont pas considérées comme des sanctions.»

14

L’article 5, paragraphe 1, du règlement no 2988/95 dispose:

«Les irrégularités intentionnelles ou causées par négligence peuvent conduire aux sanctions administratives suivantes:

a)

le paiement d’une amende administrative;

b)

le paiement d’un montant excédant les sommes indûment perçues ou éludées, augmentées, le cas échéant, d’intérêts; ce montant complémentaire, déterminé selon un pourcentage à fixer dans les réglementations spécifiques, ne peut dépasser le niveau strictement nécessaire pour lui donner un caractère dissuasif;

c)

la privation totale ou partielle d’un avantage octroyé par la réglementation communautaire, même si l’opérateur a bénéficié indûment d’une partie seulement de cet avantage;

d)

l’exclusion ou le retrait du bénéfice de l’avantage pour une période postérieure à celle de l’irrégularité;

[...]»

II – Les faits au principal et les questions préjudicielles

15

Vinifrance est une société qui a pour activité la vente et le courtage de vins en vrac et de concentrés de raisins. Au mois de décembre 1997, cette société a acquis 34408 hectolitres de moûts de raisins auprès de deux fournisseurs italiens, les sociétés Cantine Trapizzo et Far Vini. Dans le cadre de deux contrats de stockage à long terme conclus les 23 janvier et 4 février 1998 avec Onivins, Vinifrance a fait concentrer ces moûts de raisins en Italie et les a stockés en France. Le premier contrat de stockage portait sur 8110 hectolitres de moûts de raisins concentrés qui avaient été fournis par la société Cantine Trapizzo, tandis que le second contrat portait sur 1215 hectolitres fournis par la société Far Vini. Vinifrance a, en application de l’article 32 du règlement no 822/87, perçu à ce titre, respectivement les 10 mars et 6 avril 1998, des aides au stockage s’élevant à 170 391,31 euros et à 23 280,79 euros.

16

Un contrôle réalisé au cours des mois de mai, de juin et de juillet 2000 par l’Agence centrale des organismes d’intervention dans le secteur agricole (ACOFA) auprès de Vinifrance a permis d’établir, d’une part, que la société Far Vini n’existait plus depuis l’année 1992 et qu’aucune entreprise vinicole ne se situait à l’adresse indiquée sur les factures et, d’autre part, que la plus grande partie des moûts de raisins acquis par Vinifrance auprès de la société Cantine Trapizzo avait en réalité été fournie à cette dernière par la société Far Vini.

17

Compte tenu de l’inexistence de la société Far Vini à la date des contrats de vente, le rapport de l’ACOFA a conclu en substance que l’origine communautaire des moûts de raisins fournis directement ou indirectement par la société Far Vini était incertaine et qu’il n’était pas sûr que Vinifrance en soit le propriétaire. En revanche, l’ACOFA ne semble pas avoir remis en cause l’origine communautaire et la propriété des moûts de raisins qui avaient été acquis par Vinifrance auprès de la société Cantine Trapizzo, mais qui n’avaient pas été fournis à cette dernière par la société Far Vini, soit une quantité, avant concentration, de 4587,8 hectolitres de moûts de raisins sur les 34408 hectolitres concernés.

18

Au regard du rapport de l’ACOFA, le directeur d’Onivins a, par une décision du 23 décembre 2003, retiré la totalité des aides au stockage qui avaient été versées à Vinifrance, en considérant essentiellement que cette dernière n’était pas en mesure d’établir que les moûts de raisins fournis directement ou indirectement par la société Far Vini étaient d’origine communautaire ni de prouver par ailleurs qu’elle en était le propriétaire.

19

Par un recours introduit le 16 janvier 2004 devant le tribunal administratif de Montpellier, Vinifrance a demandé l’annulation de cette décision. Par un jugement du 15 juin 2007, cette juridiction a annulé ladite décision au motif qu’Onivins ne pouvait légalement exiger le remboursement total de l’aide.

20

En effet, selon le tribunal administratif de Montpellier, l’article 17, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1059/83 ne permet d’exiger qu’un remboursement partiel, à proportion de la gravité de l’infraction commise par le producteur. Or, ce tribunal a considéré que les manquements reprochés à Vinifrance relevaient de cet article 17. En particulier, il a constaté que le grief, tiré de ce que Vinifrance ne pouvait établir l’origine communautaire et la propriété des moûts de raisins, n’était fondé que pour une partie et non pour la totalité des moûts de raisins concernés par les contrats de stockage. Partant, cette juridiction a jugé que la décision d’Onivins était illégale en ce qu’elle exigeait un remboursement intégral, y compris de la partie de l’aide légalement octroyée.

21

L’Office national interprofessionnel des fruits, des légumes, des vins et de l’horticulture (Viniflhor), venant aux droits d’Onivins, a interjeté appel de ce jugement devant la cour administrative d’appel de Marseille. Par un arrêt du 15 juin 2009, cette juridiction a rejeté ce recours en considérant notamment que le tribunal administratif de Montpellier avait fait une correcte application de l’article 17, paragraphe l, sous b), du règlement no 1059/83. En particulier, elle a considéré que le seul fait que le directeur d’Onivins ait exigé le remboursement de la totalité de l’aide, y compris la part de celle-ci relative aux moûts de raisins dont l’origine et la propriété n’avaient pas été contestées par l’ACOFA, suffisait à établir, en tout état de cause, que cette décision était entachée d’une erreur de droit.

22

FranceAgriMer, organisme ayant succédé à Viniflhor, s’est pourvu en cassation contre cet arrêt devant le Conseil d’État, en faisant notamment valoir que la cour administrative d’appel de Marseille avait commis une erreur de droit, d’une part, en considérant que la décision du directeur d’Onivins ne pouvait pas exiger le remboursement intégral de l’aide perçue par Vinifrance et, d’autre part, en déduisant de cette circonstance que ladite décision devait être annulée dans son intégralité.

23

En effet, selon FranceAgriMer, les irrégularités commises ne relèvent pas de l’article 17 du règlement no 1059/83. Dès lors, en l’absence de disposition expresse prévue par cette réglementation sectorielle au regard des irrégularités reprochées, en l’occurrence le fait que Vinifrance n’avait pas établi qu’elle était propriétaire des moûts de raisins, au sens de l’article 2, paragraphe 2, du règlement no 1059/83, ni que ceux-ci étaient d’origine communautaire comme l’exige le règlement no 822/87, de telles irrégularités, impliquant la nullité des contrats de stockage sur la base desquels les aides avaient été versées, devraient faire l’objet d’une mesure de retrait de l’avantage indûment obtenu. Ainsi, FranceAgriMer fait valoir que, sur le fondement du règlement no 2988/95, Onivins avait pu légalement exiger le remboursement intégral des deux aides au stockage privé qui avaient été accordées à Vinifrance. À titre subsidiaire, cet organisme d’intervention fait valoir que la décision d’Onivins aurait dû être annulée non pas dans son intégralité, mais uniquement pour autant qu’elle exigeait le remboursement de la partie de l’aide pour laquelle le respect des conditions réglementaires n’avait pas été mis en doute.

24

C’est dans ces conditions que le Conseil d’État a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)

Lorsqu’il apparaît qu’un producteur, ayant bénéficié d’aides communautaires au stockage de moûts de raisins concentrés en contrepartie de la conclusion avec l’organisme national d’intervention d’un contrat de stockage, a acquis auprès d’une société fictive ou inexistante les moûts de raisins qu’il a ensuite fait concentrer sous sa responsabilité avant de les stocker, peut-il être regardé comme ayant la qualité de ‘propriétaire’ des moûts de raisins concentrés au sens des dispositions du paragraphe 2 de l’article 2 du règlement [...] no 1059/83 [...]? L’article 17 de ce même règlement est-il applicable lorsque le contrat de stockage conclu avec l’organisme national d’intervention est affecté d’un vice d’une particulière gravité, tenant notamment à la circonstance que la société qui a conclu le contrat avec l’organisme national d’intervention ne peut être regardée comme [étant le] propriétaire des produits stockés?

2)

Lorsqu’un règlement sectoriel, tel que le [règlement no 822/87], institue un dispositif d’aides communautaires sans l’assortir d’un régime de sanctions en cas de manquement aux dispositions qu’il comporte, le [règlement no 2988/95] trouve-t-il à s’appliquer dans l’hypothèse d’un tel manquement?

3)

Lorsqu’un opérateur économique a commis un manquement aux obligations définies par un règlement communautaire sectoriel, tel que le règlement no 1059/83, et aux conditions qu’il fixe pour ouvrir droit au bénéfice d’aides communautaires et que ce règlement sectoriel prévoit, comme c’est le cas de l’article 17 du règlement précité, un régime de mesures ou de sanctions, ce régime s’applique-t-il à l’exclusion de tout autre régime prévu par le droit de l’Union [...], alors même que le manquement en cause préjudicie aux intérêts financiers de l’Union [...]? Ou bien, le régime de mesures et de sanctions administratives prévu par le règlement no 2988/95 est-il, au contraire, dans le cas d’un tel manquement, seul applicable? Ou bien encore, les deux règlements sont-ils applicables?

4)

Si le règlement sectoriel et le règlement no 2988/95 sont tous deux applicables, comment leurs dispositions doivent-elles être combinées pour déterminer les mesures et [les] sanctions à mettre en œuvre?

5)

Lorsqu’un opérateur économique a commis plusieurs manquements au droit de l’Union et que certains de ces manquements entrent dans le champ d’application du régime de mesures ou de sanctions d’un règlement sectoriel, tandis que d’autres constituent des irrégularités au sens du règlement no 2988/95, ce dernier règlement trouve-t-il seul à s’appliquer?»

III – Sur les questions préjudicielles

A – Sur la première partie de la première question

25

Par la première partie de sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si, dans une situation telle que celle en cause au principal où l’inexistence de la société réputée avoir vendu des moûts de raisins a pour conséquence que l’origine communautaire de ces derniers ne peut être établie, le producteur ayant acquis lesdits moûts de raisins auprès de cette société peut néanmoins valablement conclure un contrat de stockage portant sur ceux-ci, y compris au regard de l’obligation d’être «encore le propriétaire» de ces moûts de raisins, telle que prévue à l’article 2, paragraphe 2, du règlement no 1059/83, et bénéficier ainsi à ce titre d’une aide au stockage en vertu du règlement no 822/87.

26

Il convient de relever que l’article 2 du règlement no 1059/83, s’il définit certes la notion de «producteur» au sens de ce règlement et exige notamment que celui-ci soit «propriétaire» des moûts de raisins pour pouvoir valablement conclure avec un organisme d’intervention un contrat de stockage lui ouvrant droit à une aide au stockage, ne donne pas de définition de la notion de «propriétaire».

27

Toutefois, ce règlement n’établit que les modalités d’application du règlement no 822/87 en ce qui concerne les contrats de stockage pouvant ouvrir droit à la perception d’une aide au stockage.

28

Or, ainsi que l’ont relevé à juste titre FranceAgriMer et la Commission européenne, la question de savoir si un opérateur peut être qualifié de «propriétaire», au sens de l’article 2, paragraphe 2, du règlement no 1059/83, et, partant, peut conclure un contrat de stockage ouvrant droit à une aide au stockage, n’a vocation à se poser que dans l’hypothèse où les moûts de raisins relèvent du champ d’application matériel du règlement no 822/87. Sur cet aspect, il n’est pas contesté que, en application de la réglementation en cause, seuls des moûts de raisins d’origine communautaire pouvaient ouvrir le droit à une aide au stockage telle que prévue par ce règlement.

29

Dans l’affaire au principal, il est constant que Vinifrance n’a pas produit elle-même les moûts de raisins, mais les a acquis par contrat de vente. Or, il est apparu que ce contrat de vente avait été établi avec une société n’ayant aucune existence légale au moment de la conclusion de celui-ci et que, de ce fait, l’origine communautaire des moûts de raisins fournis directement ou indirectement par ladite société ne pouvait pas être établie.

30

Dans de telles circonstances, indépendamment du point de savoir si Vinifrance, en tant que «producteur», avait été en droit ou en fait propriétaire des marchandises en cause, dans la mesure où il ne pouvait pas être considéré que celles-ci étaient des moûts de raisins d’origine communautaire, un tel opérateur ne saurait en tout état de cause être considéré comme ayant acquis des moûts de raisins relevant du champ d’application du règlement no 822/87 et lui permettant de bénéficier d’une aide au stockage en vertu de ce règlement.

31

Compte tenu de ce qui précède, il convient de répondre à la première partie de la première question que, dans une situation telle que celle en cause au principal où l’inexistence de la société réputée avoir vendu des moûts de raisins a pour conséquence que l’origine communautaire de ces derniers ne peut être établie, le producteur ayant acquis lesdits moûts de raisins auprès de cette société ne peut pas, en tout état de cause, bénéficier d’une aide au stockage en vertu du règlement no 822/87.

B – Sur la seconde partie de la première question ainsi que sur les deuxième à cinquième questions

32

Par la seconde partie de sa première question ainsi que par ses deuxième à cinquième questions, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 17, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1059/83 doit être interprété en ce sens que le régime de sanctions qu’il prévoit s’applique au cas où un producteur a bénéficié d’aides au stockage alors même que la majeure partie des moûts de raisins ayant fait l’objet des contrats de stockage présentés à l’appui des demandes d’aides n’étaient pas, contrairement à ce qu’exige le règlement no 822/87, d’origine communautaire. En outre, par ces mêmes questions, cette juridiction cherche à savoir si, et dans quelle mesure, les dispositions du règlement no 2988/95 peuvent constituer un fondement juridique complémentaire, ou alternatif, aux fins de la poursuite de telles irrégularités.

1. Observations soumises à la Cour

33

FranceAgriMer et le gouvernement français font en substance valoir que l’article 17 du règlement no 1059/83 n’a pas vocation à régir la poursuite d’irrégularités telles que celles en cause au principal. En effet, d’une part, le paragraphe 1, sous a), de cet article établirait un régime de sanction pour les manquements aux obligations résultant de certaines dispositions de ce règlement limitativement énumérées, mais qui ne seraient pas en cause au principal. D’autre part, le paragraphe 1, sous b), dudit article 17 prévoirait certes une sanction pour la violation d’autres obligations résultant de ce règlement ou des contrats de stockage. Cependant, cette sanction, consistant à réduire l’aide versée en fonction de la gravité de l’infraction commise, ne saurait régir des vices aussi graves tels que l’absence de qualité de propriétaire des moûts de raisins, constituant un manquement à l’article 2, paragraphe 2, du règlement no 1059/83, ou l’impossibilité d’établir l’origine communautaire des moûts de raisins ayant permis l’obtention de l’aide au stockage, laquelle constituerait un manquement à une obligation fondamentale et inhérente à l’octroi d’une aide au stockage tel que prévu par le règlement no 822/87.

34

En particulier, le gouvernement français considère que l’article 17 du règlement no 1059/83 établit des sanctions en lien avec l’exécution des contrats de stockage. Or, les irrégularités mises en exergue dans l’affaire au principal ont trait aux conditions mêmes de conclusion de tels contrats et, partant, à la validité desdits contrats aux fins de l’octroi des aides au stockage.

35

En l’absence de sanction définie dans la réglementation sectorielle applicable, en l’occurrence les règlements nos 822/87 et 1059/83, FranceAgriMer et le gouvernement français estiment que le règlement no 2988/95 a vocation à s’appliquer dans la mesure où les manquements reprochés constituent des irrégularités au sens de l’article 1er de ce dernier règlement. À cet égard, ils relèvent que la Cour a certes déjà jugé que l’article 5 de ce règlement ne saurait servir de fondement juridique pour infliger une sanction administrative. Ils estiment toutefois que l’article 4 dudit règlement, en ce qu’il consacre le principe général du droit de l’Union selon lequel il existe une obligation de remboursement de toute aide communautaire indûment perçue, peut constituer le fondement juridique aux fins de la récupération de l’intégralité des aides au stockage en cause au principal.

36

Le gouvernement polonais estime pour sa part que, lorsqu’une réglementation sectorielle ne prévoit pas l’imposition d’une sanction en vue de poursuivre une irrégularité, il convient de faire application des sanctions qui ont été prévues en droit national, lorsque celles-ci existent. Cela étant, ce gouvernement relève que l’obligation de rembourser une aide indûment perçue relève de la notion de «mesure administrative», au sens de l’article 4 du règlement no 2988/95, et ne fait pas obstacle à ce qu’une sanction administrative soit infligée en sus d’un tel retrait.

37

La Commission a fait valoir dans un premier temps que, dans la mesure où les deux manquements réglementaires constatés ne concernaient qu’une partie des moûts de raisins en cause au principal, la décision de retrait intégral des deux aides au stockage adoptée par l’organisme d’intervention français comportait en réalité deux aspects.

38

D’une part, cette décision aurait consisté en un retrait de la partie des aides au stockage en lien avec les quantités de moûts de raisins pour lesquelles Vinifrance n’avait pas apporté la preuve qu’elle en était le «propriétaire» et qu’elles étaient d’origine communautaire. À cet égard, la Commission relevait que, conformément à la jurisprudence de la Cour, un tel retrait serait la simple conséquence de la constatation que les conditions requises pour l’obtention de l’avantage résultant de la réglementation de l’Union n’étaient pas remplies, rendant l’aide indue et justifiant, dès lors, l’obligation de la restituer.

39

D’autre part, s’agissant du retrait de la partie des aides en lien avec les quantités de moûts de raisins provenant exclusivement de la société Cantine Trapizzo et pour lesquelles aucun manquement aux obligations réglementaires n’aurait été constaté, la Commission faisait valoir que cette partie de ladite décision devait s’analyser comme une sanction. Cependant, celle-ci n’aurait alors trouvé aucun fondement juridique ni dans le règlement no 2988/95, ni dans les règlements sectoriels nos 822/87 et 1059/83, ni encore dans le droit national.

40

Toutefois, lors de l’audience, la Commission a indiqué que, dans la mesure où il n’était plus possible de distinguer, après concentration, les moûts de raisins d’origine communautaire des moûts de raisins d’origine non communautaire, elle considérait désormais que, dans de telles circonstances, l’intégralité des aides au stockage devait être récupérée au moyen d’une mesure administrative.

2. Réponse de la Cour

a) Considérations générales sur le règlement no 2988/95

41

Il convient de rappeler que l’article 1er, paragraphe 1, du règlement no 2988/95 introduit une réglementation générale relative à des contrôles homogènes et à des mesures et à des sanctions administratives portant sur des irrégularités au regard du droit communautaire, et ce, ainsi qu’il ressort du troisième considérant dudit règlement, afin de combattre dans tous les domaines les atteintes aux intérêts financiers de l’Union (arrêts du 24 juin 2004, Handlbauer, C-278/02, Rec. p. I-6171, point 31, et du 22 décembre 2010, Corman, C-131/10, Rec. p. I-14199, point 36).

42

Il ressort ainsi du quatrième considérant du règlement no 2988/95 que l’efficacité de la lutte contre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union requiert la mise en place d’un cadre juridique commun à tous les domaines couverts par les politiques de l’Union. En outre, selon le cinquième considérant du même règlement, les comportements constitutifs d’irrégularités, ainsi que les mesures et les sanctions administratives y afférentes, sont prévus dans des réglementations sectorielles en conformité avec le règlement no 2988/95 (arrêt du 1er juillet 2004, Gerken, C-295/02, Rec. p. I-6369, point 55).

43

Dans le domaine des contrôles et des sanctions des irrégularités commises en droit de l’Union, le législateur de l’Union a, en adoptant le règlement no 2988/95, posé une série de principes et exigé que, en règle générale, l’ensemble des règlements sectoriels respectent ces principes (voir, notamment, arrêts du 11 mars 2008, Jager, C‑420/06, Rec. p. I ‑1315, point 61; du 21 juillet 2011, Beneo-Orafti, C-150/10, Rec. p. I-6843, point 69, ainsi que du 4 octobre 2012, ED & F Man Alcohols, C‑669/11, point 45). En outre, il ressort de ce règlement qu’il s’applique également aux réglementations sectorielles existant au moment de son entrée en vigueur (voir, en ce sens, arrêt du 17 juillet 1997, National Farmers’ Union e.a., C-354/95, Rec. p. I-4559, point 39).

44

Le règlement no 2988/95 a vocation à régir toute situation mettant en cause une «irrégularité», au sens de l’article 1er de celui-ci, à savoir une violation d’une disposition du droit de l’Union résultant d’un acte ou d’une omission d’un opérateur économique qui a ou aurait pour effet de porter préjudice au budget général de l’Union ou à des budgets gérés par celle-ci, soit par la diminution ou par la suppression de recettes provenant des ressources propres perçues directement pour le compte de l’Union, soit par une dépense indue.

45

À cet égard, toute «irrégularité», au sens de l’article 1er de ce règlement, donne lieu à l’application de mesures et de sanctions administratives (voir, en ce sens, arrêt du 5 juin 2012, Bonda, C‑489/10, point 33).

46

L’article 4, paragraphe 1, premier tiret, du règlement no 2988/95 prévoit ainsi que toute irrégularité doit entraîner, en règle générale, le retrait de l’avantage indûment obtenu, notamment par l’obligation de verser les montants dus ou de rembourser les montants indûment perçus.

47

S’agissant des irrégularités intentionnelles ou causées par négligence, l’article 5 de ce règlement se limite à prévoir que celles-ci peuvent conduire à certaines des sanctions administratives énumérées à cet article (voir arrêt du 28 octobre 2010, SGS Belgium e.a., C-367/09, Rec. p. I-10761, point 35).

48

Ladite disposition ne détermine pas précisément laquelle des sanctions qu’elle énumère devrait être appliquée dans un cas d’irrégularité portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union (voir arrêts précités SGS Belgium e.a., point 36, ainsi que ED & F Man Alcohols, point 46).

49

En effet, il ressort de l’article 2 du règlement no 2988/95, et notamment de son paragraphe 3, lu en combinaison avec les cinquième et huitième considérants de ce règlement, qu’il appartient au législateur de l’Union de prévoir des réglementations sectorielles instaurant des sanctions administratives, à l’instar de celles qui existaient déjà lors de l’adoption dudit règlement dans le cadre de la politique agricole commune (voir arrêt SGS Belgium e.a., précité, point 37).

50

Il résulte de l’article 5, paragraphe 1, sous c) et d), du règlement no 2988/95 que la privation totale ou partielle d’un avantage octroyé par la réglementation communautaire, même si l’opérateur a bénéficié indûment seulement d’une partie de cet avantage, constitue une sanction administrative (voir, en ce sens, arrêt Bonda, précité, point 34). Cependant, conformément à la jurisprudence de la Cour, une telle sanction, même de caractère non pénal, ne peut être infligée que si elle repose sur une base légale claire et non ambiguë (voir arrêts du 14 décembre 2000, Emsland-Stärke, C-110/99, Rec. p. I-11569, point 56; du 11 juillet 2002, Käserei Champignon Hofmeister, C-210/00, Rec. p. I-6453, point 52, ainsi que du 6 avril 2006, ED & F Man Sugar, C-274/04, Rec. p. I-3269, point 15), et ne saurait, par conséquent, être infligée sur le fondement de ces seules dispositions (voir, en ce sens, arrêt SGS Belgium e.a., précité, point 43).

b) Sur l’articulation des règlements sectoriels nos 822/87 et 1059/83 avec le règlement no 2988/95

51

Dans le cadre du système d’aides au stockage mis en place par le règlement no 822/87, il y a lieu de relever que seul le stockage de moûts de raisins d’origine communautaire peut faire l’objet de telles aides. Par ailleurs, conformément à l’article 32, paragraphe 2, de ce règlement, une telle aide est subordonnée à la conclusion par le producteur, avec un ou des organismes d’intervention, d’un ou de contrats de stockage dont la validité est une condition d’éligibilité auxdites aides.

52

Le non-respect de l’obligation tenant à l’origine communautaire des moûts de raisins constitue une violation de dispositions du droit de l’Union portant préjudice au budget de l’Union en créant une dépense indue. Un tel manquement relève donc de la notion d’«irrégularité», au sens de l’article 1er du règlement no 2988/95.

i) Sur la possibilité d’infliger une sanction sur le fondement de l’article 17, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1059/83

53

S’agissant du point de savoir si une telle irrégularité, au sens de l’article 1er du règlement no 2988/95, peut être poursuivie sur le fondement de l’article 17, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1059/83, lequel règlement constitue une réglementation sectorielle, il y a lieu de relever que cet article 17, paragraphe 1, prévoit deux types de sanctions.

54

En effet, d’une part, l’article 17, paragraphe 1, sous a), de ce règlement prévoit que l’aide au stockage n’est pas due lorsque le producteur ne remplit pas les obligations qui lui incombent en vertu des articles 7, paragraphe 2, 15 et 16 et, le cas échéant, 10, paragraphe 2, de ce même règlement. De telles obligations, qui ne sont pas en cause au principal, portent en substance sur les conditions d’exécution du contrat de stockage liant le producteur à l’organisme d’intervention et concernent l’éventuelle obstruction de ce producteur aux contrôles pouvant être diligentés par cet organisme ainsi que les conditions mêmes du stockage des moûts de raisins faisant l’objet dudit contrat.

55

D’autre part, le point b) dudit article 17, paragraphe 1, prévoit, s’agissant des autres obligations incombant au producteur, en vertu de ce règlement ou en vertu du contrat de stockage, que les manquements auxdites obligations donnent lieu à une diminution de l’aide selon la gravité de l’infraction commise.

56

À cet égard, il y a lieu de relever que, dans les règlements antérieurs au règlement no 1059/83, la disposition correspondant à l’article 17 de ce dernier règlement ne prévoyait l’application que d’une sanction unique consistant en un retrait pur et simple de l’aide, sans prévoir expressément la possibilité de procéder à une réduction de l’aide octroyée dans le cas où l’opérateur avait manqué à une obligation prévue par ces règlements. En effet, l’article 15, paragraphe 1, du règlement (CEE) no 2015/76 de la Commission, du 13 août 1976, relatif aux contrats de stockage pour le vin de table, le moût de raisin et le moût de raisin concentré (JO L 221, p. 20), ainsi que l’article 16, paragraphe 1, du règlement (CEE) no 2600/79 de la Commission, du 23 novembre 1979, relatif aux contrats de stockage pour le vin de table, le moût de raisin et le moût de raisin concentré (JO L 297, p. 15), prévoyaient que «[s]auf en cas de force majeure, si le producteur ne remplit pas les obligations qui lui incombent en vertu du contrat, l’aide n’est pas due».

57

Dans ces conditions, force est de constater que, en adoptant l’article 17 du règlement no 1059/83, le législateur de l’Union a entendu opérer une distinction et une gradation des sanctions entre, d’une part, la violation d’obligations limitativement identifiées, pour laquelle la sanction devant être appliquée consistait en un retrait pur et simple de l’aide, et, d’autre part, les violations d’obligations contractuelles ou réglementaires moins importantes pour lesquelles une réduction de l’aide en proportion de la gravité constituait une sanction plus appropriée.

58

Il résulte de ce qui précède que, ainsi que l’ont fait valoir à juste titre FranceAgriMer, le gouvernement français et la Commission, la sanction prévue à l’article 17, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1059/83 a vocation à s’appliquer à la poursuite d’irrégularités relatives aux conditions d’exécution du contrat de stockage et qui s’avèrent moins graves que celles visées au point a) de cet article 17, paragraphe 1. En revanche, l’article 17, paragraphe 1, sous b), dudit règlement ne saurait être appliqué pour sanctionner des vices graves affectant la validité même d’un contrat de stockage présenté à l’appui d’une demande d’aide au stockage, lesquels vices remettent directement en cause l’éligibilité du producteur aux aides au stockage.

59

Lorsque l’origine communautaire des moûts de raisins faisant l’objet du contrat de stockage présenté à l’appui d’une demande d’aides n’est pas établie, cette circonstance suffit à elle seule à faire obstacle à ce qu’un tel contrat puisse valablement ouvrir droit à une aide au stockage en vertu du règlement no 822/87.

ii) Sur la possibilité d’appliquer une sanction administrative ou une mesure administrative sur le fondement du règlement no 2988/95

60

Il convient encore de déterminer si, en l’absence de sanction prévue dans la réglementation sectorielle applicable, une telle irrégularité, au sens de l’article 1er du règlement no 2988/95, peut, sur le fondement de ce règlement, donner lieu à l’application d’une sanction administrative ou, le cas échéant, d’une mesure administrative.

61

À cet égard, il convient de rappeler que, dans le contexte de la protection des intérêts financiers de l’Union, l’article 5 du règlement no 2988/95 ne constitue pas un fondement juridique suffisant pour l’application d’une sanction administrative, puisque l’application d’une sanction nécessite que, antérieurement à la commission de l’irrégularité en cause, soit le législateur de l’Union ait adopté une réglementation sectorielle définissant une telle sanction, soit, le cas échéant, lorsqu’une telle réglementation n’a pas encore été adoptée au niveau de l’Union, que le droit de l’État membre où a été commise cette irrégularité ait prévu l’application d’une sanction administrative (voir, en ce sens, arrêts précités SGS Belgium e.a., point 43, ainsi que ED & F Man Alcohols, point 47).

62

Il en résulte que, dans des circonstances telles que celles au principal, en l’absence dans la réglementation sectorielle et dans la réglementation nationale de disposition prévoyant l’application d’une sanction, l’«irrégularité» en cause ne saurait faire l’objet d’une «sanction» au sens de l’article 5 du règlement no 2988/95.

63

La question se pose dès lors de savoir si une telle irrégularité, au sens de l’article 1er du règlement no 2988/95, peut en revanche donner lieu à l’application d’une mesure administrative au sens de l’article 4 de ce règlement.

64

Il convient d’observer à cet égard que, dans le cadre de la politique agricole commune, lorsque le législateur de l’Union fixe des conditions d’éligibilité pour l’octroi d’une aide, l’exclusion qu’entraîne l’inobservation de l’une de ces conditions constitue non pas une sanction, mais la simple conséquence du non-respect desdites conditions prévues par la loi (voir arrêts du 24 mai 2007, Maatschap Schonewille-Prins, C-45/05, Rec. p. I-3997, point 47, et du 24 mai 2012, Hehenberger, C‑188/11, point 37).

65

Ainsi, l’obligation de restituer un avantage indûment perçu au moyen d’une pratique irrégulière ne méconnaît pas le principe de légalité. En effet, la constatation que les conditions requises pour l’obtention de l’avantage résultant du droit de l’Union ont été artificiellement créées rend en tout état de cause indu l’avantage perçu et justifie, dès lors, l’obligation de le restituer (voir, en ce sens, arrêts Emsland-Stärke, précité, point 56, et du 4 juin 2009, Pometon, C-158/08, Rec. p. I-4695, point 28).

66

Or, s’agissant des aides dispensées par le budget de l’Union dans le cadre de la politique agricole commune, la Cour a déjà eu l’occasion de constater que tout exercice, par l’État membre, d’un pouvoir d’appréciation sur l’opportunité d’exiger ou non la restitution des aides indûment ou illégalement octroyées serait incompatible avec les obligations que la réglementation de l’Union applicable dans ces secteurs fait aux administrations nationales de récupérer les aides indûment ou illégalement versées (arrêt SGS Belgium e.a., précité, point 50).

67

Il en résulte que, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, où les irrégularités constatées ont pour conséquence que les contrats de stockage ne pouvaient pas être considérés comme ayant été valablement conclus aux fins d’obtenir les aides au stockage litigieuses, les autorités nationales sont tenues d’appliquer une mesure administrative, au sens de l’article 4, paragraphe 1, premier tiret, du règlement no 2988/95, consistant à exiger le remboursement de ces aides indûment perçues.

68

À cet égard, il y a lieu de préciser que, dans les circonstances de l’affaire au principal, les irrégularités reprochées concernaient la majeure partie des moûts de raisins, puisque, sur les 34408 hectolitres en cause, 29821 hectolitres provenaient directement ou indirectement de la société Far Vini, société inexistante, tandis que seulement 4587 hectolitres avaient été régulièrement fournis par la société Cantine Trapizzo.

69

Par ailleurs, il ressort de la décision de renvoi que ces 4587 hectolitres ont fait l’objet du contrat de stockage ayant donné lieu au versement d’une somme de 170391,31 euros le 10 mars 1998. Ainsi, ces quantités auraient été mélangées avec les moûts de raisins fournis par la société Cantine Trapizzo mais pour lesquels cette dernière s’était elle-même fournie auprès de la société Far Vini.

70

Dans de telles circonstances, où les moûts de raisins d’origine communautaire n’ont pas fait l’objet isolément de l’un des deux contrats de stockage, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, cette dernière pourra, le cas échéant, conclure que, dans la mesure où les moûts de raisins d’origine communautaire ont été mélangés avec les moûts de raisins d’origine non communautaire, de sorte qu’ils ne peuvent plus, à l’issue des opérations de concentration, être identifiées ni séparés, ces deux contrats de stockage étaient, dans leur globalité, irréguliers au regard de la condition tenant à l’origine communautaire des moûts de raisins concernés.

71

Il en résulterait que, comme l’ont fait valoir FranceAgriMer et le gouvernement français, ainsi que la Commission lors de l’audience, les deux contrats de stockage ne pouvaient pas valablement ouvrir le droit aux aides au stockage en cause au principal, si bien que les autorités nationales sont en droit d’exiger le remboursement de l’intégralité des aides ayant ainsi été indûment versées à Vinifrance.

72

Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de répondre à la seconde partie de la première question ainsi qu’aux deuxième à cinquième questions que, dans des circonstances telles que celles en cause au principal:

l’article 17, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1059/83 ne saurait constituer un fondement juridique aux fins de sanctionner une violation par le producteur de l’obligation, prévue par le règlement no 822/87, selon laquelle les moûts de raisins pouvant ouvrir droit à une aide au stockage doivent être d’origine communautaire;

en l’absence tant dans la réglementation sectorielle que dans la réglementation nationale de disposition prévoyant l’application d’une sanction, les irrégularités en cause ne sauraient faire l’objet d’une «sanction», au sens de l’article 5 du règlement no 2988/95, et

les autorités nationales sont tenues d’appliquer une mesure administrative, au sens de l’article 4, paragraphe 1, premier tiret, du règlement no 2988/95, consistant à exiger le remboursement de l’intégralité des aides indûment perçues, pour autant qu’il soit établi, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, que les deux contrats de stockage en cause au principal portaient chacun, partiellement ou totalement, sur des moûts de raisins ne pouvant pas être considérés comme étant d’origine communautaire et qui ont été mélangés, dans le cadre des opérations de concentration et de stockage, avec des moûts de raisins d’origine communautaire.

IV – Sur les dépens

73

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit:

 

1)

Dans une situation telle que celle en cause au principal où l’inexistence de la société réputée avoir vendu des moûts de raisins a pour conséquence que l’origine communautaire de ces derniers ne peut être établie, le producteur ayant acquis lesdits moûts de raisins auprès de cette société ne peut pas, en tout état de cause, bénéficier d’une aide au stockage en vertu du règlement (CEE) no 822/87 du Conseil, du 16 mars 1987, portant organisation commune du marché viti-vinicole, tel que modifié par le règlement (CEE) no 2253/88 du Conseil, du 19 juillet 1988.

 

2)

Dans des circonstances telles que celles au principal:

l’article 17, paragraphe 1, sous b), du règlement (CEE) no 1059/83 de la Commission, du 29 avril 1983, relatif aux contrats de stockage pour le vin de table, le moût de raisins, le moût de raisins concentré et le moût de raisins concentré rectifié, tel que modifié par le règlement (CE) no 2646/1999 de la Commission, du 15 décembre 1999, ne saurait constituer un fondement juridique aux fins de sanctionner une violation par le producteur de l’obligation, prévue par le règlement no 822/87, tel que modifié par le règlement no 2253/88, selon laquelle les moûts de raisins pouvant ouvrir droit à une aide au stockage doivent être d’origine communautaire;

en l’absence tant dans la réglementation sectorielle que dans la réglementation nationale de disposition prévoyant l’application d’une sanction, les irrégularités en cause ne sauraient faire l’objet d’une «sanction», au sens de l’article 5 du règlement (CE, Euratom) no 2988/95 du Conseil, du 18 décembre 1995, relatif à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, et

les autorités nationales sont tenues d’appliquer une mesure administrative, au sens de l’article 4, paragraphe 1, premier tiret, du règlement no 2988/95, consistant à exiger le remboursement de l’intégralité des aides indûment perçues, pour autant qu’il soit établi, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, que les deux contrats de stockage en cause au principal portaient chacun, partiellement ou totalement, sur des moûts de raisins ne pouvant pas être considérés comme étant d’origine communautaire et qui ont été mélangés, dans le cadre des opérations de concentration et de stockage, avec des moûts de raisins d’origine communautaire.

 

Signatures


( *1 )   Langue de procédure: le français.