ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)
18 juillet 2013 ( *1 )
«Accès du public à l’information en matière d’environnement — Directive 2003/4/CE — Pouvoir des États membres d’exclure de la notion d’‘autorité publique’ prévue par cette directive les organes agissant dans l’exercice de pouvoirs législatifs — Limites»
Dans l’affaire C‑515/11,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Verwaltungsgericht Berlin (Allemagne), par décision du 22 septembre 2011, parvenue à la Cour le 3 octobre 2011, dans la procédure
Deutsche Umwelthilfe eV
contre
Bundesrepublik Deutschland,
LA COUR (deuxième chambre),
composée de Mme R. Silva de Lapuerta, président de chambre, MM. G. Arestis, J.-C. Bonichot (rapporteur), A. Arabadjiev et J. L. da Cruz Vilaça, juges,
avocat général: Mme E. Sharpston,
greffier: Mme A. Impellizzeri, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 17 janvier 2013,
considérant les observations présentées:
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pour Deutsche Umwelthilfe eV, par Me R. Klinger, Rechtsanwalt, |
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pour le gouvernement allemand, par M. T. Henze et Mme A. Wiedmann, en qualité d’agents, |
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pour la Commission européenne, par MM. P. Oliver et D. Düsterhaus, en qualité d’agents, |
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 21 mars 2013,
rend le présent
Arrêt
1 |
La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 2, point 2, second alinéa, première phrase, de la directive 2003/4/CE du Parlement européen et du Conseil, du 28 janvier 2003, concernant l’accès du public à l’information en matière d’environnement et abrogeant la directive 90/313/CEE du Conseil (JO L 41, p. 26). |
2 |
Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Deutsche Umwelthilfe eV à la Bundesrepublik Deutschland au sujet de sa demande d’accès à des informations détenues par le Bundesministerium für Wirtschaft und Technologie (ministère de l’Économie et des Technologies) dans le cadre de la correspondance de ce ministère avec des représentants de l’industrie automobile allemande lors de la concertation qui a précédé l’adoption d’une réglementation relative à l’étiquetage en matière de consommation énergétique. |
Le cadre juridique
La convention d’Aarhus
3 |
La convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, approuvée au nom de la Communauté européenne par la décision 2005/370/CE du Conseil, du 17 février 2005 (JO L 124, p. 1, ci-après la «convention d’Aarhus»), définit, à son article 2, paragraphe 2, l’expression «autorité publique» en ces termes:
[...] La présente définition n’englobe pas les organes ou institutions agissant dans l’exercice de pouvoirs judiciaires ou législatifs.» |
4 |
L’article 4 de la convention d’Aarhus prévoit que, sous un certain nombre de réserves et de conditions, chaque partie doit faire en sorte que les autorités publiques mettent à la disposition du public, dans le cadre de leur législation nationale, les informations sur l’environnement qui leur sont demandées. |
5 |
L’article 8 de la convention d’Aarhus, intitulé «Participation du public durant la phase d’élaboration de dispositions réglementaires et/ou d’instruments normatifs juridiquement contraignants d’application générale», stipule: «Chaque partie s’emploie à promouvoir une participation effective du public à un stade approprié – et tant que les options sont encore ouvertes – durant la phase d’élaboration par des autorités publiques des dispositions réglementaires et autres règles juridiquement contraignantes d’application générale qui peuvent avoir un effet important sur l’environnement. [...] [...]» |
Le droit de l’Union
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La déclaration de la Communauté européenne concernant certaines dispositions de la directive 2003/4, figurant à l’annexe de la décision 2005/370, énonce: «Eu égard à l’article 9 de la convention d’Aarhus, la Communauté européenne invite les parties à la convention à prendre note de l’article 2, point 2, et de l’article 6 de la directive [2003/4]. Ces dispositions confèrent aux États membres de [l’Union européenne] la possibilité, dans des cas exceptionnels et dans des conditions très précises, d’exclure certains organes et institutions des règles relatives aux procédures de recours à l’égard de décisions portant sur des demandes d’information. [...]» |
7 |
Les considérants 1, 5, 11 et 16 de la directive 2003/4 prévoient:
[...]
[...]
[...]
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8 |
L’article 2, point 2, premier alinéa, de la directive 2003/4 définit la notion d’«autorité publique» comme suit: «‘autorité publique’:
[...]» |
9 |
L’article 2, point 2, second alinéa, première phrase, de la directive 2003/4 dispose: «Les États membres peuvent prévoir que la présente définition n’inclut pas les organes ou institutions agissant dans l’exercice de pouvoirs [...] législatifs. [...]» |
Le droit allemand
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L’article 80 de la loi fondamentale pour la République fédérale d’Allemagne (Grundgesetz für die Bundesrepublik Deutschland) dispose: «(1) Le gouvernement fédéral, un ministre fédéral ou les gouvernements des Länder peuvent être autorisés par la loi à édicter des règlements. Cette loi doit déterminer le contenu, le but et l’étendue de l’autorisation accordée. Le règlement doit mentionner son fondement juridique. S’il est prévu dans une loi qu’une autorisation peut être subdéléguée, un règlement est nécessaire pour la délégation de l’autorisation. (2) Sont soumis à l’autorisation du Bundesrat, sauf disposition contraire de la loi fédérale, les règlements du gouvernement fédéral ou d’un ministre fédéral [...] qui sont adoptés en vertu de lois fédérales soumises à l’approbation du Bundesrat ou dont les Länder assurent l’exécution par délégation de la Fédération ou à titre de compétence propre. (3) Le Bundesrat peut soumettre au gouvernement fédéral des propositions pour l’édiction des règlements requérant son approbation. (4) Lorsque les Gouvernements des Länder sont autorisés à édicter des règlements par une loi fédérale ou en vertu de lois fédérales, les Länder peuvent également édicter une loi.» |
11 |
La loi sur l’information en matière d’environnement (Umweltinformationsgesetz) du 22 décembre 2004 (BGBl. 2004 I, p. 3704), qui a transposé en droit allemand la directive 2003/4, prévoit à son article 2, paragraphe 1: «Les administrations soumises à l’obligation d’information sont: 1. Le gouvernement et les autres administrations publiques [...] Ne font pas partie des administrations publiques soumises à l’obligation d’information
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12 |
La loi relative à l’étiquetage en matière de consommation énergétique (Energieverbrauchskennzeichnungsgesetz) du 30 janvier 2002 (BGBl. 2002 I, p. 570), dans sa version applicable à l’affaire au principal, habilite, à son article 1er, le Bundesministerium für Wirtschaft und Technologie à édicter des actes réglementaires dans les termes suivants: «(1) En vue de réduire la consommation d’énergie et d’autres ressources importantes, de réduire les émissions de CO2 et d’informer le consommateur à ce sujet, le Bundesministerium für Wirtschaft und Technologie peut, par voie réglementaire et avec l’accord du Bundesrat:
[...] (3) Les dispositions réglementaires visées aux paragraphes 1 et 2 peuvent s’appliquer en particulier:
[...]
[...]
[...]» |
Le litige au principal et les questions préjudicielles
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Deutsche Umwelthilfe eV est une association de protection de l’environnement et des consommateurs. |
14 |
Par décision du 27 octobre 2010, le Bundesministerium für Wirtschaft und Technologie a refusé d’accéder à la demande de cette association tendant à obtenir la transmission d’informations contenues dans une correspondance échangée entre ce ministère et des représentants de l’industrie automobile allemande lors de la concertation qui a précédé l’adoption d’une réglementation relative à l’étiquetage en matière de consommation énergétique. Ce ministère s’est prévalu, à cet égard, de la disposition de la loi sur l’information en matière d’environnement du 22 décembre 2004, qui exempte les autorités publiques de l’obligation d’information en matière d’environnement lorsqu’elles interviennent dans le cadre de l’élaboration d’un règlement. |
15 |
Saisie d’un recours en annulation contre cette décision de refus, la juridiction de renvoi s’interroge sur la compatibilité de cette loi avec la directive 2003/4 et se demande en particulier si l’article 2, point 2, second alinéa, première phrase, de cette directive, en ce qu’il vise les autorités publiques agissant dans l’exercice de pouvoirs législatifs, peut s’appliquer aux autorités publiques lorsqu’elles procèdent à l’élaboration et à l’adoption d’un règlement tel que celui en cause au principal. |
16 |
Le cas échéant, la juridiction de renvoi s’interroge sur la question de savoir si cette exception peut encore être mise en œuvre une fois que la procédure d’élaboration de l’acte en cause est terminée. |
17 |
Dans ces conditions, le Verwaltungsgericht Berlin a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
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Sur les questions préjudicielles
Sur la première question
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Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 2, point 2, second alinéa, première phrase, de la directive 2003/4 doit être interprété en ce sens que la faculté ouverte par cette disposition aux États membres de ne pas considérer comme autorités publiques, tenues d’accorder l’accès aux informations environnementales qu’elles détiennent, les «organes ou institutions agissant dans l’exercice de pouvoirs [...] législatifs» peut concerner des ministères lorsqu’ils élaborent et adoptent des dispositions normatives en vertu d’une habilitation législative. |
19 |
Il convient de rappeler, à titre liminaire, que la Cour a jugé que cette disposition peut s’appliquer à des ministères dans la mesure où ils participent à la procédure législative proprement dite. Toutefois, elle ne s’est pas prononcée sur la question de savoir si cette même disposition pouvait également s’appliquer aux ministères lorsqu’ils participent à une procédure susceptible d’aboutir à une norme de rang inférieur à une loi (arrêt du 14 février 2012, Flachglas Torgau, C‑204/09, points 34 et 51). |
20 |
À cet égard, il y a lieu de préciser qu’il revient à la juridiction de renvoi d’apprécier si tel est le cas des normes en cause au principal. |
21 |
Afin de déterminer si l’article 2, point 2, second alinéa, première phrase, de la directive 2003/4 vise également les ministères lorsqu’ils participent à une procédure susceptible d’aboutir à une norme de rang inférieur à une loi, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, il découle tant des exigences de l’application uniforme du droit de l’Union que du principe d’égalité que les termes d’une disposition du droit de l’Union qui ne comporte aucun renvoi exprès au droit des États membres pour déterminer son sens et sa portée doivent normalement recevoir, dans toute l’Union, une interprétation autonome et uniforme qui doit être recherchée en tenant compte du contexte de cette disposition et de l’objectif poursuivi par la réglementation en cause (voir arrêt Flachglas Torgau, précité, point 37). |
22 |
Par ailleurs, l’article 2, point 2, second alinéa, première phrase, de la directive 2003/4, qui permet aux États membres de déroger au régime général prévu par celle-ci, ne saurait être interprété de manière à étendre ses effets au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer la protection des intérêts qu’il vise à garantir et la portée des dérogations qu’il prévoit doit être déterminée en tenant compte des finalités de cette directive (arrêt Flachglas Torgau, précité, point 38). |
23 |
À cet égard, il résulte du point 43 de l’arrêt Flachglas Torgau, précité, que l’exception prévue à l’article 2, point 2, second alinéa, première phrase, de la directive 2003/4 a pour objet de permettre aux États membres de fixer les règles propres à assurer le bon déroulement de la procédure d’adoption des lois, en tenant compte du fait que, dans les différents États membres, l’information des citoyens est, normalement, suffisamment assurée dans le cadre de la procédure législative. |
24 |
La Cour a également précisé que, eu égard aux différences susceptibles d’exister entre les procédures législatives des États membres, une interprétation fonctionnelle de la notion d’«organes ou institutions agissant dans l’exercice de pouvoirs législatifs» est justifiée par la nécessité d’assurer une application uniforme de la directive 2003/4 dans ces États (arrêt Flachglas Torgau, précité, point 50). |
25 |
Elle en a déduit qu’il convient de retenir une interprétation fonctionnelle de l’article 2, point 2, second alinéa, première phrase, de la directive 2003/4, selon laquelle la faculté prévue à cette disposition peut s’appliquer aux ministères dans la mesure où ils participent à la procédure législative (arrêt Flachglas Torgau, précité, point 51). |
26 |
Pour autant, les raisons qui ont présidé à l’adoption par la Cour d’une telle interprétation ne sauraient a priori justifier une interprétation extensive de l’expression «pouvoirs législatifs», selon laquelle l’article 2, point 2, second alinéa, première phrase, de la directive 2003/4 viserait l’ensemble des procédures permettant l’élaboration de normes générales et abstraites, y compris de rang inférieur à une loi. |
27 |
En effet, alors que la question posée dans le cadre de l’arrêt Flachglas Torgau, précité, portait sur la détermination des organes et des institutions agissant dans le cadre d’une procédure dont le caractère législatif n’était pas mis en cause, l’affaire au principal porte précisément sur la question distincte de savoir si d’autres procédures sont éventuellement visées à l’article 2, point 2, second alinéa, première phrase, de la directive 2003/4. |
28 |
Par conséquent, force est de constater que tant le libellé de l’article 2, point 2, second alinéa, première phrase, de la directive 2003/4 que l’objectif poursuivi par la convention d’Aarhus et par cette directive de garantir le droit d’accès aux informations environnementales détenues par les autorités publiques et d’assurer que les informations soient d’office rendues progressivement disponibles et diffusées auprès du public (arrêt Flachglas Torgau, précité, point 39) conduisent à retenir une interprétation restrictive selon laquelle seules les procédures susceptibles d’aboutir à l’adoption d’une loi ou d’une norme de rang équivalent sont visées à l’article 2, point 2, second alinéa, première phrase, de la directive 2003/4. |
29 |
C’est, en effet, la spécificité de la procédure législative et ses caractères propres qui justifient le régime particulier des actes pris dans l’exercice de pouvoirs législatifs au regard du droit à l’information tel qu’il est prévu tant dans la convention d’Aarhus que dans la directive 2003/4. |
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Il en résulte que le caractère de l’acte en cause, et en particulier la circonstance qu’il s’agirait d’un acte de portée générale, n’est pas, à lui seul, susceptible d’exonérer l’organe qui l’adopte des obligations d’information qui découlent de cette directive. |
31 |
Au regard des objectifs de celle-ci, seuls le bon déroulement de la procédure d’adoption des lois et les caractères propres de la procédure législative qui assure normalement suffisamment l’information du public justifient que les organes qui exercent le pouvoir législatif ou participent à celui-ci soient exonérés des obligations d’information qu’elle a posées. |
32 |
Cette interprétation est confortée par le libellé et l’économie de la convention d’Aarhus, au regard de laquelle la directive 2003/4 doit être interprétée (voir, par analogie, arrêt du 12 mai 2011, Bund für Umwelt und Naturschutz Deutschland, Landesverband Nordrhein-Westfalen, C-115/09, Rec. p. I-3673, point 41). |
33 |
En effet, cette convention distingue le régime des actes législatifs de celui des actes réglementaires. Ainsi, alors que l’article 2, paragraphe 2, seconde phrase, de cette convention permet aux États parties de refuser l’accès aux documents détenus par les autorités publiques dans l’exercice de «pouvoirs législatifs», l’article 8 de celle-ci leur impose en revanche de promouvoir une participation effective du public durant la phase d’«élaboration de dispositions réglementaires». |
34 |
Cette limitation de la faculté de dérogation prévue à l’article 2, point 2, second alinéa, première phrase, de la directive 2003/4 s’applique toutefois sans préjudice de la possibilité pour l’institution ou l’organe concerné de refuser la transmission d’informations environnementales pour d’autres motifs, et en particulier de se prévaloir, le cas échéant, de l’une des exceptions prévues à l’article 4 de cette directive. |
35 |
En l’absence de précision dans le droit de l’Union sur ce qui relève d’une loi ou d’une norme de rang équivalent aux fins de l’application de l’article 2, point 2, second alinéa, première phrase, de la directive 2003/4, il convient également d’ajouter que cette appréciation dépend du droit des États membres, sous réserve de ne pas mettre en cause l’effet utile de cette directive. |
36 |
Par conséquent, il convient de répondre à la première question que l’article 2, point 2, second alinéa, première phrase, de la directive 2003/4 doit être interprété en ce sens que la faculté ouverte par cette disposition aux États membres de ne pas considérer comme autorités publiques, tenues d’accorder l’accès aux informations environnementales qu’elles détiennent, les «organes ou institutions agissant dans l’exercice de pouvoirs [...] législatifs» ne peut pas concerner des ministères lorsqu’ils élaborent et adoptent des dispositions normatives qui sont de rang inférieur à une loi. |
Sur la seconde question
37 |
Compte tenu de la réponse apportée à la première question, il n’y a pas lieu de répondre à la seconde question. |
Sur les dépens
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La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement. |
Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit: |
L’article 2, point 2, second alinéa, première phrase, de la directive 2003/4/CE du Parlement européen et du Conseil, du 28 janvier 2003, concernant l’accès du public à l’information en matière d’environnement et abrogeant la directive 90/313/CEE du Conseil, doit être interprété en ce sens que la faculté ouverte par cette disposition aux États membres de ne pas considérer comme autorités publiques, tenues d’accorder l’accès aux informations environnementales qu’elles détiennent, les «organes ou institutions agissant dans l’exercice de pouvoirs [...] législatifs» ne peut pas concerner des ministères lorsqu’ils élaborent et adoptent des dispositions normatives qui sont de rang inférieur à une loi. |
Signatures |
( *1 ) Langue de procédure: l’allemand.