CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MELCHIOR WATHELET

présentées le 31 janvier 2013 ( 1 )

Affaire C‑677/11

Doux Élevage SNC,

Coopérative agricole UKL-ARREE

contre

Ministère de l’Agriculture, de l’Alimentation, de la Pêche, de la Ruralité et de l’Aménagement du territoire,

Comité interprofessionnel de la dinde française (CIDEF)

[demande de décision préjudicielle formée par le Conseil d’État (France)]

«Aides accordées par les États — Extension à l’ensemble des professionnels d’une filière d’un accord instituant une cotisation obligatoire — Ressources d’État — Imputabilité»

1. 

La présente affaire offre à la Cour l’occasion de se pencher à nouveau sur les notions de «ressources d’État» et d’«imputabilité à l’État» dans le domaine des aides d’État.

2. 

En effet, le Conseil d’État (France) nous demande de clarifier la portée de l’arrêt Pearle e.a. ( 2 ), afin de savoir si la décision d’une autorité nationale étendant à l’ensemble des membres d’une organisation interprofessionnelle reconnue par l’État, un accord qui institue une cotisation obligatoire destinée à financer des actions, entre autres, de promotion et de défense des intérêts du secteur, est «relative» à une aide d’État.

I – Le cadre juridique

A – Le droit de l’Union

3.

Le traité FUE prohibe, en principe, les aides accordées par les États membres aux entreprises. Ainsi, l’article 107, paragraphe 1, TFUE prévoit:

«Sauf dérogations prévues par les traités, sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d’État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions.»

4.

Afin d’assurer la mise en œuvre de ces dispositions, l’article 108 TFUE établit une procédure de contrôle ainsi que d’autorisation préalable des aides d’État. Notamment, en vertu du paragraphe 3 de cette disposition, les États membres sont tenus de notifier à la Commission européenne leurs projets tendant à instituer ou à modifier des aides et ne peuvent mettre à exécution de tels projets avant que la Commission ne soit parvenue à une décision.

B – Le droit français

5.

En droit français, les interprofessions sont constituées par les organisations professionnelles les plus représentatives de la production agricole, de la transformation, de la commercialisation et de la distribution de cette production.

6.

La généralité des principes applicables aux interprofessions agricoles est inscrite dans la loi no 75-600, du 10 juillet 1975, relative à l’organisation interprofessionnelle agricole, qui a été par la suite codifiée dans le livre VI de la partie législative du code rural et de la pêche maritime (ci-après le «code rural»).

7.

Je note que certaines des dispositions pertinentes en l’espèce ont été modifiées par la loi no 2010-874, du 27 juillet 2010, de modernisation de l’agriculture et de la pêche. Toutefois, dans la mesure où cette loi est postérieure à l’introduction du recours ayant donné lieu au renvoi préjudiciel dans la présente affaire, j’estime qu’il est indiqué de se référer aux dispositions du code rural alors en vigueur.

8.

Aux termes de l’article L. 611-1 du code rural:

«Un Conseil supérieur d’orientation et de coordination de l’économie agricole et alimentaire, composé de représentants des ministres intéressés, de la production agricole, de la transformation et de la commercialisation des produits agricoles, de l’artisanat et du commerce indépendant de l’alimentation, des consommateurs et des associations agréées pour la protection de l’environnement, de la propriété agricole, des syndicats représentatifs des salariés des filières agricoles et alimentaires participe à la définition, à la coordination, à la mise en œuvre et à l’évaluation de la politique d’orientation des productions et d’organisation des marchés.

[…]»

9.

L’article L. 632-1 du code rural prévoit:

«I.

Les groupements constitués à leur initiative par les organisations professionnelles les plus représentatives de la production agricole et, selon les cas, de la transformation, de la commercialisation et de la distribution peuvent faire l’objet d’une reconnaissance en qualité d’organisations interprofessionnelles par l’autorité administrative compétente après avis du Conseil supérieur d’orientation et de coordination de l’économie agricole et alimentaire, soit au niveau national, soit au niveau d’une zone de production, par produit ou groupe de produits déterminés s’ils visent, en particulier par la conclusion d’accords interprofessionnels, à la fois:

à définir et favoriser des démarches contractuelles entre leurs nombres;

à contribuer à la gestion des marchés par une veille anticipative des marchés, par une meilleure adaptation des produits aux plans quantitatif et qualitatif et par leur promotion;

à renforcer la sécurité alimentaire, en particulier par la traçabilité des produits, dans l’intérêt des utilisateurs et des consommateurs.

Les organisations interprofessionnelles peuvent également poursuivre d’autres objectifs, tendant notamment:

à favoriser le maintien et le développement du potentiel économique du secteur;

à favoriser le développement des valorisations non alimentaires des produits;

à participer aux actions internationales de développement;

[…]

II.

Il ne peut être reconnu qu’une organisation interprofessionnelle par produit ou groupe de produits. […]

[…]»

10.

L’article L. 632-2-I du code rural dispose:

«[…]

Les organisations interprofessionnelles reconnues peuvent être consultées sur les orientations et les mesures des politiques de filière les concernant.

Elles contribuent à la mise en œuvre de politiques économiques nationales et communautaires et peuvent bénéficier de priorités dans l’attribution des aides publiques.

[…]»

11.

Selon l’article L. 632-2-II du code rural:

«[…]

[Les accords conclus au sein d’une des interprofessions reconnues spécifiques à un produit] sont adoptés à l’unanimité des professions membres de l’interprofession conformément aux dispositions du premier alinéa de l’article L. 632-4 […]

Ces accords sont notifiés, dès leur conclusion et avant leur entrée en application, au ministre de l’Agriculture, au ministre chargé de l’Économie et à l’Autorité de la concurrence.

[…]»

12.

Aux termes de l’article L. 632-3 du code rural:

«Les accords conclus dans le cadre d’une organisation interprofessionnelle reconnue peuvent être étendus, pour une durée déterminée, en tout ou partie, par l’autorité administrative compétente lorsqu’ils tendent, par des contrats types, des conventions de campagne et des actions communes ou visant un intérêt commun conformes à l’intérêt général et compatibles avec les règles de la politique agricole commune, à favoriser notamment:

1o

La connaissance de l’offre et de la demande;

2o

L’adaptation et la régularisation de l’offre;

3o

La mise en oeuvre, sous le contrôle de l’État, de règles de mise en marché, de prix et de conditions de paiement. […];

4o

La qualité des produits […];

5o

Les relations interprofessionnelles dans le secteur intéressé […];

6o

L’information relative aux filières et aux produits ainsi que leur promotion sur les marchés intérieur et extérieurs;

7o

Les démarches collectives visant à lutter contre les risques et aléas liés à la production, à la transformation, à la commercialisation et à la distribution des produits agricoles et alimentaires;

8o

La lutte contre les organismes nuisibles au sens de l’article L. 251-3;

9o

Le développement des valorisations non alimentaires des produits;

10o

La participation aux actions internationales de développement;

11o

Le développement des rapports contractuels entre les membres des professions représentées dans l’organisation interprofessionnelle […]»

13.

L’article L. 632-4 du code rural prévoit:

«L’extension de tels accords est subordonnée à l’adoption de leurs dispositions par les professions représentées dans l’organisation interprofessionnelle, par une décision unanime. […]

Lorsque l’extension est décidée, les mesures ainsi prévues sont obligatoires, dans la zone de production intéressée, pour tous les membres des professions constituant cette organisation interprofessionnelle.

L’autorité compétente dispose d’un délai de deux mois à compter de la réception de la demande présentée par l’organisation interprofessionnelle pour statuer sur l’extension sollicitée. Si, au terme de ce délai, elle n’a pas notifié sa décision, la demande est réputée acceptée.

Les décisions de refus d’extension doivent être motivées.»

14.

L’article L. 632-6 du code rural énonce:

«Les organisations interprofessionnelles reconnues, mentionnées aux articles L. 632-1 et L. 632-2, sont habilitées à prélever, sur tous les membres des professions les constituant, des cotisations résultant des accords étendus selon la procédure fixée aux articles L. 632-3 et L. 632-4 et qui, nonobstant leur caractère obligatoire, demeurent des créances de droit privé.

[…]

Des cotisations peuvent en outre être prélevées sur les produits importés dans des conditions définies par décret. À la demande des interprofessions bénéficiaires, ces cotisations sont recouvrées en douane, à leurs frais. Ces cotisations ne sont pas exclusives de taxes parafiscales.»

15.

L’article L. 632-8-I du code rural dispose:

«Les organisations interprofessionnelles reconnues rendent compte chaque année aux autorités administratives compétentes de leur activité et fournissent:

les comptes financiers;

un rapport d’activité et le compte rendu des assemblées générales;

un bilan d’application de chaque accord étendu.

Elles procurent aux autorités administratives compétentes tous documents dont la communication est demandée par celles-ci pour l’exercice de leurs pouvoirs de contrôle.»

II – Le cadre factuel

A – Les organisations interprofessionnelles

16.

À ce jour, il existe un peu moins de 60 organisations interprofessionnelles agricoles en France qui ont fait l’objet d’une reconnaissance par l’autorité administrative compétente. Ce sont des personnes morales de droit privé, en général des associations régies par la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association.

17.

Le Comité interprofessionnel de la dinde française (ci-après le «CIDEF») est précisément une de ces organisations. Le CIDEF, association sans but lucratif, a été constitué en 1974, entre les organisations professionnelles représentatives des différents secteurs de la filière de la dinde. Il regroupe ainsi quatre familles professionnelles, à savoir celles de la «production», de l’«accouvage et importation d’œufs à couver et souches», de l’«abattage transformation» et de l’«alimentation animale».

18.

Par arrêté interministériel du 24 juin 1976, l’autorité administrative a reconnu le CIDEF en tant qu’organisation interprofessionnelle agricole conformément à la loi no 75-600.

19.

L’article 2 du statut du CIDEF définit les objectifs de cette association: regrouper toutes les initiatives professionnelles en vue d’organiser et de régulariser le marché de la dinde; mettre en place à cet effet un système d’informations statistiques tendant à faire connaître aux professionnels de façon permanente les mises en place des cheptels, les abattages, les stocks, le commerce extérieur, la consommation des ménages et des collectivités; régulariser la production et le marché de la dinde par des actions sur le volume de l’offre et sur celui de la demande; se doter des moyens financiers nécessaires; rendre obligatoire la passation de contrats écrits pour la fourniture, entre les professionnels, des produits et des services; être l’interlocuteur des instances nationales et communautaires pour tous les problèmes communs aux familles professionnelles posés par la dinde; dans le cadre de la Communauté économique européenne, établir la concertation la plus étroite possible avec les professionnels de la dinde des pays partenaires; prendre toutes les initiatives utiles à la résolution des problèmes techniques et assurer pour les familles professionnelles de la filière de production de viandes de volailles, des prestations de services dans des domaines présentant un intérêt commun.

20.

Aux termes de l’article 8 du statut, les ressources du CIDEF incluent, entre autres, les participations de ses membres, les subventions qui pourraient lui être accordées, ainsi que toutes autres ressources autorisées par les textes législatifs et réglementaires.

B – Le litige au principal

21.

Par un accord interprofessionnel du 18 octobre 2007, les organisations professionnelles membres du CIDEF ont signé un accord interprofessionnel relatif notamment aux actions menées par le CIDEF et à l’établissement d’une cotisation interprofessionnelle, conclu pour une durée de trois ans. Par un avenant conclu le même jour, le montant de cette cotisation a été fixé à 14 euros pour 1000 dindonneaux pour l’année 2008. Par deux arrêtés adoptés le 13 mars 2008, le ministre de l’Économie, des Finances et de l’Emploi, et le ministre de l’Agriculture et de la Pêche (ci-après l’«autorité compétente») ont étendu l’accord interprofessionnel pour une durée de trois ans et l’avenant pour une durée d’un an. Par un nouvel avenant à l’accord interprofessionnel susvisé, conclu le 5 novembre 2008, le CIDEF a décidé de maintenir au même montant la cotisation interprofessionnelle pour l’année 2009. Conformément à l’article L. 632-4, quatrième alinéa, du code rural, cet avenant a été étendu par une décision implicite d’acceptation de l’autorité compétente en date du 29 août 2009 (ci-après la «décision de 2009»). Conformément à la législation en vigueur, cette décision implicite a fait l’objet d’un avis du ministère de l’alimentation, de l’agriculture et de la pêche, publié au JORF du 30 septembre 2009.

22.

Les requérantes au principal, Doux Élevage SNC et la coopérative agricole UKL-ARREE, sont deux entreprises de la filière de la dinde qui, comme les autres professionnels de cette filière, ont été soumises au versement de la cotisation interprofessionnelle établie par cet avenant de l’année 2009. Par requête du 30 novembre 2009, elles ont introduit un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d’État afin d’obtenir, d’une part, l’annulation de la décision tacite d’extension de l’avenant du 5 novembre 2008 et, d’autre part, l’annulation de l’avis ministériel publié le 30 septembre 2009.

23.

Elles ont fait valoir que la cotisation interprofessionnelle établie par l’avenant du 5 novembre 2008, étendue et rendue obligatoire pour tous les professionnels de l’organisation interprofessionnelle par la décision litigieuse, était constitutive d’une aide d’État et que, par conséquent, cette décision aurait dû être préalablement notifiée à la Commission conformément à l’article 108, paragraphe 3, TFUE.

24.

En conséquence, le Conseil d’État a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«L’article 107 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, lu à la lumière de l’arrêt du 15 juillet 2004, Pearle e.a. (C‑345/02), doit-il être interprété en ce sens que la décision d’une autorité nationale étendant à l’ensemble des professionnels d’une filière un accord qui, comme l’accord conclu au sein du Comité interprofessionnel de la dinde française (CIDEF), institue une cotisation dans le cadre d’une organisation interprofessionnelle reconnue par l’autorité nationale et la rend ainsi obligatoire, en vue de permettre la mise en œuvre d’actions de communication, de promotion de relations extérieures, d’assurance qualité, de recherche, de défense des intérêts du secteur, ainsi que l’acquisition d’études et de panels de consommateurs, est, eu égard à la nature des actions en cause, aux modalités de leur financement et aux conditions de leur mise en œuvre, relative à une aide d’État?»

C – Le contexte

25.

Selon les pièces versées au dossier, les juridictions françaises, et en particulier le Conseil d’État, ont déjà eu, dans d’autres affaires, l’opportunité d’apprécier si les cotisations instituées par les organisations interprofessionnelles reconnues, communément appelées «cotisations volontaires obligatoires» (ci-après les «CVO»), ainsi que les actes administratifs par lesquels ces cotisations étaient rendues obligatoires pour tous les professionnels de la filière concernée, relevaient de la notion d’aides d’État

26.

Le Conseil d’État a, dans ces affaires, constamment considéré que tel n’était pas le cas. La juridiction nationale a, en effet, à la lumière de la jurisprudence Pearle e.a., exclu que les CVO puissent être regardées comme des ressources d’État, dans la mesure où elles ne se traduisent par aucune dépense supplémentaire ou atténuation de recettes pour l’État ( 3 ). Cependant, à la suite d’observations de la Cour des comptes, le gouvernement français a décidé, en 2008, de notifier à la Commission, un programme-cadre d’actions susceptibles d’être menées par les organisations interprofessionnelles et y a joint dix accords conclus par les organisations interprofessionnelles les plus importantes. Le gouvernement français, restant convaincu que ce programme-cadre n’incluait aucun élément d’aide d’État, indiquait qu’il n’avait procédé à cette notification qu’à des fins de sécurité juridique.

27.

En revanche, la Commission, par décision du 10 décembre 2008, a considéré que les mesures en cause relevaient de la notion d’aides d’État. La Commission a ensuite constaté que ces mesures ne risquaient pas d’affecter les conditions des échanges dans une mesure contraire à l’intérêt commun et en a déduit qu’elles pouvaient bénéficier de la dérogation prévue à l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE ( 4 ). La Commission est également parvenue à cette conclusion dans deux décisions ultérieures datées des 29 juin ( 5 ) et 13 juillet 2011 ( 6 ). Toutes ces décisions ont fait l’objet de recours en annulation déposés devant le Tribunal tant par la République française que par certaines organisations interprofessionnelles concernées, qui ont – entre autres arguments – contesté la qualification d’aides d’État de telles mesures ( 7 ).

III – Analyse

A – Introduction

28.

En substance, la juridiction de renvoi a demandé des éclaircissements quant à la question de savoir si la décision de l’autorité administrative compétente d’étendre l’applicabilité des CVO, instituées par une organisation interprofessionnelle, à tous les opérateurs d’un secteur, est relative à une aide d’État, en ce qu’elle constitue le mode de financement d’une telle mesure.

29.

Ainsi, contrairement à la plupart des procédures qui soulèvent des questions de contrôle des aides d’État, la question posée dans la présente affaire par le Conseil d’État vise – si je peux reprendre une expression utilisée par l’avocat général Jacobs – «non pas le volet ‘dépenses’ du système [mis en place par l’État], mais son volet ‘financement’» ( 8 ). La spécificité de la question est due aux circonstances particulières de l’affaire au principal. En effet, les requérantes au principal ne se sont pas opposées à une aide présumée dans la mesure où elles seraient les concurrentes des bénéficiaires ou, plus généralement, des entreprises lésées par cette mesure. Bien au contraire, elles sont censées figurer parmi les bénéficiaires de l’aide alléguée. Cependant, elles semblent considérer que les contributions qu’elles doivent payer pour financer les mesures en question sont plus importantes que tout avantage qu’elles peuvent obtenir de ces dernières ( 9 ).

30.

Pour cette raison, les requérantes au principal ont introduit des actions en justice contre les autorités administratives compétentes afin d’être libérées du paiement de ces cotisations. Pour contester la validité de la décision de 2009, elles ont invoqué des arguments fondés sur les règles de l’Union en matière d’aides d’État.

31.

En effet, selon une jurisprudence constante, une aide ne peut être considérée séparément des effets de son mode de financement. L’examen d’une mesure d’aide doit ainsi nécessairement prendre également en considération le mode de financement de l’aide, dans le cas où ce dernier fait partie intégrante de la mesure. Le mode de financement d’une aide peut donc rendre l’ensemble du régime d’aides qu’il sert à financer incompatible avec le marché intérieur. Dès lors, afin d’assurer l’effet utile de l’obligation de notification ainsi qu’un examen approprié et complet d’une aide d’État par la Commission, l’État membre est tenu, en vue de respecter ladite obligation, de notifier non seulement le projet d’aide proprement dit, mais aussi le mode de financement de l’aide dans la mesure où ce dernier fait partie intégrante de la mesure projetée ( 10 ).

32.

Cela signifie que, si cette Cour devait conclure que les CVO sont destinées à financer des mesures d’aides d’État, la décision de 2009 aurait dû faire l’objet d’une notification à la Commission conformément à l’article 108, paragraphe 3, TFUE.

33.

Par conséquent, dans la mesure où cette décision n’a jamais été notifiée à la Commission, les requérantes au principal pourraient, probablement, être en mesure de contester avec succès sa validité devant les tribunaux nationaux, sur la base de la jurisprudence constante selon laquelle ces tribunaux doivent «garantir que toutes les conséquences d’une violation de l’article [108, paragraphe 3, dernière phrase, TFUE] seront tirées, conformément à leur droit national, en ce qui concerne tant la validité des actes d’exécution des mesures d’aide que le recouvrement des soutiens financiers accordés au mépris de cette disposition» ( 11 ).

34.

Avant de procéder à un examen plus approfondi des questions soulevées par la juridiction de renvoi, il semble utile de rappeler que, selon une jurisprudence constante, pour apprécier si une mesure constitue une aide d’État, il est nécessaire de vérifier si quatre conditions sont cumulativement réalisées. Premièrement, il doit s’agir d’une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État. Deuxièmement, cette intervention doit être susceptible d’affecter les échanges entre États membres. Troisièmement, elle doit accorder un avantage à son bénéficiaire. Quatrièmement, elle doit fausser ou menacer de fausser la concurrence ( 12 ).

35.

Il est clair que, dans le cas qui nous occupe, nous devons nous concentrer sur la première de ces quatre conditions.

36.

À cet égard, la Cour a constamment jugé que l’article 107, paragraphe 1, TFUE englobe l’ensemble des aides accordées par les États ou au moyen de ressources d’État, sans qu’il y ait lieu de distinguer selon que l’aide est accordée directement par l’État ou par des organismes publics ou privés qu’il institue ou désigne en vue de gérer l’aide ( 13 ). La Cour a également ajouté qu’une «mesure de l’autorité publique favorisant certaines entreprises ou certains produits ne perd pas son caractère d’avantage gratuit par le fait qu’elle serait partiellement ou totalement financée par des contributions imposées par l’autorité publique et prélevées sur les entreprises concernées» ( 14 ) .

37.

La Cour a précisé la portée et la signification de l’expression aides «accordées par les États ou au moyen de ressources d’État», dans ses décisions rendues dans les affaires PreussenElektra ( 15 ) et Stardust Marine ( 16 ), où elle a fait un effort de systématisation de sa jurisprudence antérieure et de clarification des questions en suspens. En particulier, dans la première de ces affaires, la Cour a souligné que le financement au moyen de ressources d’État était un élément constitutif de la notion d’aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. La mesure étatique doit ainsi entraîner une charge pour les finances publiques soit sous la forme d’une dépense, soit sous la forme d’une moindre recette ( 17 ). Dans la deuxième affaire, le juge de l’Union a conclu que, pour qu’une mesure puisse être qualifiée d’«aide d’État», elle doit être imputable à l’État et que cette imputabilité ne peut pas être déduite de la seule circonstance que ladite mesure a été prise par une entité publique. Il est également nécessaire d’examiner si les autorités publiques doivent être considérées comme ayant été impliquées, d’une manière ou d’une autre, dans l’adoption de cette mesure ( 18 ).

38.

Ces deux affaires sont bien connues et nous estimons qu’il n’est pas nécessaire d’illustrer davantage la jurisprudence de la Cour. En revanche, nous croyons qu’il est utile de rappeler brièvement l’arrêt de la Cour dans l’affaire Pearle e.a., précitée, auquel le Conseil d’État se réfère explicitement dans la question posée à titre préjudiciel.

B – L’affaire Pearle e.a.

39.

Dans cette affaire, sans en modifier les principes, la Cour a développé sa jurisprudence sur les notions de «ressources d’État» et d’«imputabilité à l’État». À cet égard, je ne suis pas d’accord avec la Commission lorsqu’elle affirme que l’arrêt Pearle e.a. constitue une exception, et la seule à ce jour, aux principes établis par la Cour dans cette jurisprudence. Au contraire, l’affaire Pearle e.a. est, à mon avis, une application naturelle et logique de la jurisprudence précédente sur les ressources d’État et l’imputabilité à l’État.

40.

Cette affaire concernait la légalité de charges imposées à ses membres par un organisme public, le Hoofdbedrijfschap Ambachten (groupement néerlandais interprofessionnel de l’artisanat, ci-après le «HBA»), en vue du financement d’une campagne publicitaire collective en faveur des entreprises du secteur de l’optique. Le législateur néerlandais avait conféré aux organismes tels que le HBA les compétences nécessaires pour réaliser leur mission, parmi lesquelles celle d’adopter des règlements instituant des prélèvements sur les entreprises relevant du secteur d’activités concernées, afin de faire face à leurs charges.

41.

Les requérantes dans l’affaire au principal, des entreprises actives dans le commerce de matériel d’optique, contestaient des prélèvements qui avaient été institués par le HBA, à la demande d’une association privée d’opticiens [Nederlandse Unie van Opticiens (NUVO)]. À cet égard, les requérantes soutenaient que les services rendus au titre de la campagne publicitaire constituaient des mesures d’aide au sens du traité et que les règlements du HBA instituant les charges destinées au financement de ces aides étaient illégaux, dès lors qu’ils n’avaient pas été préalablement notifiés à la Commission.

42.

Dans son arrêt, la Cour a rejeté ces allégations, suivant essentiellement l’analyse de la mesure effectuée par l’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer ( 19 ). Tout d’abord, la Cour a observé que les fonds qui avaient été utilisés par le HBA aux fins du financement de la campagne publicitaire concernée avaient été collectés auprès de ses affiliés bénéficiaires de la campagne, au moyen de contributions affectées obligatoirement à l’organisation de cette campagne publicitaire. Étant donné que les frais exposés par l’organisme public aux fins de ladite campagne étaient entièrement compensés par les charges prélevées sur les entreprises qui en avaient profité, l’intervention du HBA ne tendait pas à créer un avantage qui constituerait une charge supplémentaire pour l’État ou pour cet organisme ( 20 ).

43.

Deuxièmement, la Cour a observé que l’initiative pour l’organisation et la poursuite de la campagne publicitaire concernée émanait de la NUVO, une association privée d’opticiens, et non du HBA. Cette dernière a servi uniquement d’instrument pour la perception et l’affectation de ressources générées en faveur d’un objectif purement commercial fixé préalablement par le milieu professionnel concerné et qui ne s’inscrivait nullement dans le cadre d’une politique définie par les autorités néerlandaises ( 21 ).

44.

La Cour a ainsi distingué l’affaire de celle ayant conduit à l’arrêt Steinike & Weinlig, précité. En effet, d’une part, le fonds dont il était question dans cette dernière affaire était financé à la fois par des subventions directes de l’État et des contributions des entreprises affiliées dont le taux et la base de perception étaient fixés par la loi instituant le fonds. D’autre part, le fonds concerné servait d’instrument pour la mise en œuvre d’une politique fixée par l’État, à savoir la promotion de l’agriculture, de la sylviculture et de l’industrie alimentaire nationales ( 22 ).

45.

La Cour en a conclu que la condition visée à l’actuel article 107, paragraphe 1, TFUE relative aux ressources d’État faisait défaut dans les circonstances de l’espèce.

C – La mesure dans l’affaire au principal

46.

C’est à la lumière des principes découlant de cette jurisprudence que les mesures qui font l’objet du litige au principal doivent, à mon avis, être examinées.

47.

Les requérantes au principal et la Commission, sur la base d’arguments très semblables, font valoir que les mesures évoquées par le Conseil d’État constituent des aides d’État dans la mesure où elles remplissent toutes les conditions prévues à l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Tant les requérantes au principal que la Commission considèrent que deux éléments distinguent la présente affaire de celle qui a donné lieu à l’arrêt Pearle e.a., précité.

48.

D’une part, elles considèrent que l’État a le pouvoir de garantir que les interprofessions agissent en conformité avec sa politique économique. À cet égard, elles s’appuient sur le fait que les articles L. 632-1 et L. 632-2 du code rural fixent, de façon générale, les objectifs que les organisations interprofessionnelles doivent poursuivre, si elles souhaitent être reconnues par l’État et, de manière plus spécifique, lorsqu’elles demandent l’extension de la validité de ses accords.

49.

D’autre part, elles évoquent les pouvoirs de contrôle sur les organisations interprofessionnelles que les autorités publiques seraient en mesure d’exercer à différents moments de la vie de ces associations, notamment lorsqu’elles demandent la reconnaissance de l’État ou l’extension de leurs accords à tous les opérateurs concernés. En outre, il y aurait aussi un contrôle ex post, dans la mesure où les organisations interprofessionnelles doivent, chaque année, communiquer un certain nombre de documents et d’informations aux autorités publiques, en vertu de l’article L. 632-8-I du code rural.

50.

J’indique d’emblée que je ne partage pas la thèse avancée par les requérantes au principal et la Commission. En effet, je ne suis pas persuadé que les différences alléguées entre la présente affaire et l’affaire Pearle e.a., précitée, soient déterminantes. Bien au contraire, à l’instar du gouvernement français et du CIDEF, je relève des similitudes importantes entre ces deux affaires, au moins sur les aspects qui sont pertinents pour résoudre les questions de droit soulevées par la juridiction de renvoi.

51.

En particulier, il me semble que, tout comme dans l’affaire Pearle e.a., précitée, les mesures en cause ne peuvent pas être qualifiées d’aides d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, dans la mesure où les deux éléments de ressources d’État et d’imputabilité des mesures à l’État ne sont pas présents.

D – Ressources d’État et imputabilité à l’État

52.

Dans la présente affaire, je crois qu’il est nécessaire de procéder à une analyse en trois étapes. Tout d’abord, les organisations interprofessionnelles sont-elles des entités publiques, dans le sens d’entités qui font partie de l’administration publique? Si ce n’est pas le cas, les fonds utilisés par ces organisations pour financer leurs actions constituent-ils des «ressources publiques» dans la mesure où ils seraient issus, directement ou indirectement, de l’État ou d’autres organismes publics? Faute de quoi, ces fonds ne pourraient-ils être qualifiés de «ressources publiques» et considérés comme imputables à l’État parce que, en dépit du fait qu’ils proviennent d’entreprises privées, les actions qu’ils financent sont soumises à un contrôle effectif des pouvoirs publics?

1. Entité publique

53.

S’agissant de la première étape, je pense qu’il ne fait aucun doute que des organisations interprofessionnelles telles que celles dans l’affaire au principal ne peuvent être considérées comme appartenant à l’administration publique: ce sont des associations de droit privé, créées à l’initiative de leurs membres, qui décident seules de leurs actions. Pour autant que l’on sache, aucun représentant des administrations publiques ne fait partie du conseil d’administration de ces organisations, ou ne se voit attribuer des pouvoirs d’exécution ou de direction au sein de celles-ci.

2. Ressources publiques

54.

En passant à la deuxième étape, je dois attirer l’attention sur une prémisse essentielle sur laquelle se fonde mon raisonnement. Les actions en justice introduites par les requérantes au principal visent, comme cela a déjà été souligné, l’intervention de l’État qui rend obligatoire pour tous les membres d’une profession les CVO mises en place par les organisations interprofessionnelles. La juridiction de renvoi mentionne ces contributions comme source de financement des actions «de communication, de promotion, de relations extérieures, d’assurance qualité, de recherche, de défense des intérêts du secteur, ainsi que l’acquisition d’études et de panels de consommateurs» réalisées par les organisations interprofessionnelles. Par conséquent, c’est sur la base de la prémisse qu’elles sont exclusivement financées par les CVO que j’examine la nature éventuelle d’aide d’État de cette intervention étatique.

55.

Mon analyse pourrait mener à d’autres conclusions si ces actions étaient, en tout ou en partie, financées par le biais de fonds publics. À cet égard, je note que, conformément à l’article L. 632-2-I du code rural, «[l]es organisations interprofessionnelles reconnues [...] peuvent bénéficier de priorités dans l’attribution des aides publiques». De même, l’article 8 du statut du CIDEF mentionne, parmi les ressources de l’association, les «subventions qui pourraient lui être accordées».

56.

De toute évidence, la condition relative aux ressources d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE serait remplie si les mesures en question étaient financées ou cofinancées par des subventions publiques, et ce même s’il pourrait être compliqué de distinguer les actions financées uniquement par les CVO de celles qui sont financées par le biais de subventions publiques dans un cas, comme dans la présente affaire, où les organisations interprofessionnelles ne tiennent pas une comptabilité séparée ( 23 ).

57.

Toutefois, les fonds privés utilisés par les interprofessions ne deviennent pas des «ressources publiques» simplement parce qu’ils sont utilisés de manière conjointe à des sommes provenant du budget public. En d’autres termes, la nature publique de certains fonds ne s’étend pas, automatiquement, à d’autres sources de financement qui, en principe, ne remplissent pas les conditions prévues à l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

58.

La relation précise entre fonds publics et privés dans le budget et les actions des organisations interprofessionnelles serait, en tout état de cause, un élément qu’il reviendrait à la juridiction nationale d’apprécier (ou à la Commission dans le cadre d’une procédure au sens de l’article 108 TFUE).

59.

Je rappelle encore que le Conseil d’État n’interroge la Cour, dans la présente procédure, qu’à propos de la relation avec la notion d’aide d’État de la décision de l’État d’étendre à l’ensemble d’un secteur la décision d’une interprofession d’instituer une cotisation permettant la mise en œuvre d’actions de promotion de ce secteur. Par conséquent, afin de répondre à la question du Conseil d’État, c’est la nature des CVO qui seule fera l’objet de mon examen sous le prisme de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

60.

À cet égard, j’estime que les CVO ne constituent pas des ressources d’État dans le sens où elles ne créent pas une dépense supplémentaire pour l’État ou toute autre entité publique. En effet, les CVO proviennent directement des opérateurs économiques actifs sur les marchés concernés par les organisations interprofessionnelles.

61.

En outre, les CVO ne sont pas des ressources qui normalement auraient dû être versées au budget de l’État, comme dans le cas d’exonérations fiscales. L’État n’a aucun droit de revendiquer ces sommes. Bien plus, les organisations interprofessionnelles doivent saisir le juge judiciaire lorsqu’un membre de l’une des professions de la filière refuse de payer des CVO. L’État n’est nullement partie à cette procédure judiciaire.

62.

Le libellé du code rural confirme cette interprétation à son article L. 623-6, qui prévoit que les CVO, «nonobstant leur caractère obligatoire, demeurent des créances de droit privé» et qu’elles «ne sont pas exclusives de taxes parafiscales». Cela n’est contesté ni par la Commission, ni par les requérantes au principal. Par ailleurs, le caractère privé des CVO a été récemment réaffirmé par le Conseil constitutionnel qui, dans une décision du 17 février 2012, a exclu que ces contributions puissent constituer des «impositions de toute nature» au sens de l’article 34 de la Constitution française ( 24 ).

3. Contrôle par les autorités publiques et imputabilité à l’État

63.

Reste la troisième étape: les sommes perçues par les organisations interprofessionnelles ne sont-elles finalement pas des sommes mises à la disposition des pouvoirs publics, dans la mesure où les autorités pourraient exercer, à un moment donné, un pouvoir de contrôle sur ces ressources ( 25 )? Ces autorités publiques sont-elles impliquées, d’une manière ou d’une autre, dans l’adoption des mesures financées par lesdites sommes?

64.

Tel n’est pas, à mon sens, le cas dans la présente affaire, car les règles nationales visées par les parties ne suggèrent nullement que les pouvoirs publics puissent exercer un contrôle réel sur les CVO et les actions qu’elles financent.

65.

Au contraire, la décision d’introduire les CVO, ainsi que la détermination de leur assiette et de leurs taux et modalités de financement relèvent de la discrétion complète des organisations interprofessionnelles. L’intervention de l’État, afin d’étendre l’applicabilité des CVO à tous les opérateurs actifs dans le secteur, est clairement destinée à éviter des «free riders», c’est-à-dire des entreprises qui bénéficient des mesures prises par les organisations interprofessionnelles sans toutefois y avoir contribué. Dans la mesure où ces actions poursuivent réellement l’intérêt de l’ensemble du secteur, et en supposant que toutes les entreprises actives dans ce secteur peuvent, sous une forme ou une autre, en tirer des avantages, je vois l’intervention de l’État comme étant simplement destinée à assurer le «level playing field» (c’est-à-dire à faire en sorte que les entreprises puissent se faire concurrence à armes égales).

66.

Le système mis en place par le code rural semble être un système «fermé» en ce sens que les sommes en jeu sont tout le temps gérées et contrôlées par des entités privées: elles sont payées par les professionnels des filières aux organisations interprofessionnelles, qui les emploient pour des activités qui sont censées procurer des avantages à ces mêmes professionnels. À aucun moment, ces sommes ne tombent sous un contrôle public.

67.

Par ailleurs, je note que, contrairement à la jurisprudence précitée Steinkine & Weinlig et Pearle e.a., les CVO ne sont même pas, dans la présente affaire, collectées par une entité qui appartient à l’administration publique.

68.

En outre, je ne partage pas la thèse des requérantes au principal et de la Commission lorsqu’elles affirment que les CVO doivent être considérées comme étant sous contrôle public, parce que l’État peut toujours refuser d’étendre leur applicabilité, malgré la demande faite en ce sens par les organisations interprofessionnelles, ou décider de n’étendre l’accord que partiellement ou pour une période de temps limitée. À mon avis, une simple possibilité de l’État de dire «non» aux organisations interprofessionnelles n’entraîne pas automatiquement le type de contrôle que la Cour a considéré pertinent dans sa jurisprudence ( 26 ). La notion de «contrôle» au sens de cette jurisprudence doit être comprise, selon moi, comme un pouvoir de diriger, ou du moins d’influencer, le moment ou la façon dont les fonds concernés sont utilisés.

69.

Ma conclusion aurait pu être différente si le gouvernement français avait eu la possibilité de soumettre sa réponse favorable à la condition que les sommes soient utilisées pour des actions déterminées par l’administration publique. Dans ce cas, en effet, l’État serait en mesure de poursuivre ses propres politiques grâce à l’exploitation des fonds collectés par les organisations interprofessionnelles.

70.

Cela ne me semble pas être le cas en l’espèce. Les dispositions pertinentes du code rural prévoient simplement que l’État peut étendre l’applicabilité des accords instituant les CVO et que «les décisions de refus d’extension doivent être motivées» ( 27 ). Aucune disposition ne confère à l’autorité compétente le pouvoir de diriger ou d’influencer l’administration des fonds.

71.

Le Conseil d’État a d’ailleurs jugé dans deux arrêts récents que les dispositions du code rural n’autorisaient pas les autorités publiques à soumettre les CVO «à un contrôle autre que de régularité et de conformité à la loi» ( 28 ). Cela semble, à mon avis, exclure tout contrôle d’opportunité politique ou de conformité à la politique des autorités publiques ( 29 ). Les informations que le gouvernement français a fournies à la Cour lors de l’audience confirment cette conclusion ( 30 ).

72.

Notons également que la règle prévue à l’article L. 632-4 du code rural, selon laquelle seuls les accords conclus à l’unanimité entre les différentes familles d’interprofessions peuvent faire l’objet d’une extension, rendrait difficile pour l’État d’exercer une véritable influence sur le contenu de ces accords. Il serait en effet suffisant qu’une seule famille parmi celles qui composent une interprofession ne se trouve pas d’accord avec ce que les pouvoirs publics auraient éventuellement suggéré ou proposé, pour rendre impossible les accords et, par là, leur extension.

73.

Le fait que l’État ait le pouvoir, en vertu de l’article L. 632-8-I du code rural, d’obtenir des informations auprès des organisations interprofessionnelles sur la façon dont les CVO ont été utilisées ne semble pas aller à l’encontre de cette conclusion. Ces pouvoirs de vérification a posteriori semblent intrinsèquement liés au fait que les CVO sont rendues obligatoires par le biais d’une décision de l’État. Dans la mesure où c’est l’État qui autorise l’extension des contributions, la loi lui impose aussi de vérifier si sa décision n’a pas fait l’objet d’une application incorrecte ou illégale. Par conséquent, ces pouvoirs ne confèrent pas à l’État une capacité concrète de peser sur l’utilisation des fonds, mais visent seulement l’objectif d’éviter les fraudes et les abus.

74.

Pour ces raisons, un contrôle a posteriori par l’État me paraît non seulement légitime, mais même souhaitable. On pourrait dire que l’État ne fait ainsi qu’assumer sa responsabilité vis-à-vis des entreprises qui ont été soumises aux CVO en raison de sa décision d’étendre les effets de l’accord instituant des telles contributions.

75.

De plus, je ne vois ni un article de la loi française ni un élément factuel qui pourraient suggérer que l’État ait effectivement exercé une influence déterminante sur les activités des organisations interprofessionnelles et, en particulier, que les autorités publiques aient été impliquées, d’une manière ou d’une autre, dans l’adoption des mesures prises par celles-ci. Par ailleurs, aucune partie n’a fait valoir que les autorités de l’État auraient tenté d’exercer une telle influence, fût-ce par des moyens informels.

76.

Rappelons en premier lieu que le code rural prévoit une procédure de consentement tacite pour l’extension des accords. La décision de 2009 contestée par les requérantes au principal est d’ailleurs le résultat d’une telle procédure. Cela me semble difficilement conciliable avec l’idée d’une administration publique qui voudrait orienter et contrôler l’action des organisations interprofessionnelles en général et, plus précisément, l’utilisation des fonds.

77.

En deuxième lieu, notons qu’il n’est pas non plus possible de présumer que ces organisations doivent «tenir compte des directives émanant» ( 31 ) des pouvoirs publics ou ne puissent pas prendre des décisions «sans tenir compte des exigences» de ceux-ci ( 32 ).

78.

À cet égard, les requérantes au principal et la Commission se réfèrent tout d’abord à l’article L. 632-1 du code rural, selon lequel les organisations interprofessionnelles ne peuvent faire l’objet d’une reconnaissance de l’État que si leur mission comprend les objectifs énoncés par cette disposition. Elles évoquent, ensuite, les conditions, énumérées à l’article L. 632-3 du code rural et qui doivent être remplies pour que les accords puissent être étendus par l’État à l’ensemble de l’interprofession.

79.

À ce propos, il faut constater que les objectifs que les organisations interprofessionnelles doivent ( 33 ) ou peuvent ( 34 ) poursuivre en vertu de l’article L. 632-1 du code rural pour obtenir leur reconnaissance y sont décrits en termes très généraux et visent toutes sortes d’actions qui sont typiques des associations regroupant les acteurs d’un secteur économique. Au travers de tous les objectifs énumérés dans cette disposition, on peut toujours trouver un intérêt commercial direct pour les membres de l’association. De cette disposition, il ne découle nullement que ces associations soient tenues de mettre en balance leurs propres intérêts avec ceux de l’ensemble de la société, ou d’entreprendre des actions qui ne procurent aucun bénéfice à leurs membres, même si pour plusieurs des objectifs (comme la sécurité alimentaire par exemple) intérêt public et intérêt privé peuvent se rejoindre.

80.

Le même constat peut être opéré à propos des objectifs que, conformément à l’article L. 632-3 du code rural, les accords conclus par les organisations interprofessionnelles doivent poursuivre afin de permettre à l’autorité compétente d’étendre leurs effets.

81.

Tout d’abord, la liste de ces objectifs est, d’une part, assez longue et variée et, d’autre part, non exhaustive («notamment»).

82.

Ensuite, s’il est vrai, comme le soutient la Commission, que ces objectifs peuvent souvent coïncider avec ceux qui sont propres à une politique générale de l’État, il est tout aussi vrai que ces objectifs correspondent, d’abord et avant tout, aux intérêts que tous les membres des organisations interprofessionnelles ont en commun. Cela découle de la lettre même du code rural qui parle d’«actions communes ou visant un intérêt commun» qui sont, en même temps, «conformes à l’intérêt général et compatibles avec les règles de la politique agricole commune». Après tout, il serait surprenant que les intérêts commerciaux généraux des membres d’un secteur commercial donné ne coïncident que rarement avec l’intérêt général de l’État dans ce secteur. Dans n’importe quel domaine de l’économie, l’État vise également à renforcer et à soutenir les entreprises présentes sur le marché.

83.

Enfin – et c’est ce qui importe le plus, à mon avis – le fait que les autorités publiques et les organisations interprofessionnelles puissent avoir en commun certains intérêts ne signifie pas que les actions de promotion et de défense de ces intérêts, entreprises par ces derniers, doivent nécessairement prendre en compte les désirs et les exigences des autorités ou exécuter les lignes politiques qu’elles définissent.

84.

Pour ces motifs, je ne suis pas convaincu par la Commission qui considère les CVO comme un instrument d’une politique d’État dans la mesure où les actions financées par celles-ci ne poursuivent pas des «objectifs commerciaux purement privés». Il suffit d’observer, à cet égard, que la mesure qui faisait l’objet de l’affaire PreussenElektra a été clairement adoptée afin de poursuivre un objectif d’intérêt public (la réduction des émissions de dioxyde de carbone) ( 35 ). Pareillement, la loi néerlandaise régissant les activités du HBA en cause dans l’affaire Pearle e.a., précitée, obligeait cet organisme à prendre en compte l’intérêt général en même temps que les intérêts des entreprises du secteur concerné et de leur personnel ( 36 ).

85.

Il me semble que, tout bien considéré, lorsque la Cour a évoqué, dans sa décision Pearle e.a., une politique fixée (ou définie) par l’État ( 37 ), elle se référait à quelque chose de plus concret et de plus précis qu’une simple indication d’objectifs généraux à poursuivre. On ne peut, à mon avis, parler d’une «politique de l’État» en présence d’une simple énumération d’objectifs généraux, sans définition de mesures ou actions spécifiques qui doivent être menées pour atteindre ces objectifs. Il me semble que ce dernier élément fait clairement défaut dans la présente affaire.

86.

En troisième lieu, les requérantes et la Commission font encore valoir que, aux termes de l’article L. 632-2-I du code rural, «[l]es organisations interprofessionnelles reconnues peuvent être consultées sur les orientations et les mesures des politiques de filière les concernant» et qu’«elles contribuent à la mise en œuvre de politiques économiques nationales et communautaires».

87.

Contrairement aux requérantes au principal et à la Commission, et en dépit des références aux politiques publiques contenues dans l’article L. 632-2-I du code rural, je ne vois dans cette disposition que le reflet d’une réalité qui est commune à de nombreux pays (et à l’Union elle-même): il est normal que les organisations qui sont représentatives d’un secteur de l’économie ou d’une catégorie d’acteurs du marché et qui partagent les mêmes intérêts commerciaux soient des interlocuteurs des pouvoirs publics. Un dialogue entre administrateurs et administrés est typique de nombreuses démocraties modernes, que cela s’organise par des moyens informels ou dans un contexte plus formel. L’institutionnalisation d’un tel dialogue ne signifie pas que les pouvoirs publics peuvent utiliser ces interlocuteurs comme leur longa manus ou comme les instruments d’exécution de leurs politiques.

88.

De même, il me semble que la référence, contenue à l’article L. 632-2-I du code rural, au fait que les organisations interprofessionnelles «contribuent à la mise en œuvre de politiques économiques nationales et communautaires», n’est pas décisive. Cette disposition ne me semble en effet énoncer qu’un axiome: dans la mesure où les associations interprofessionnelles poursuivent des intérêts qui sont véritablement communs à tous les acteurs de leur secteur d’activité, intérêts qui coïncident souvent avec ce qui pourrait être défini comme l’intérêt public général, ils fournissent évidemment une contribution positive à la mise en œuvre des politiques économiques nationales et de l’Union dans ce secteur.

89.

En conclusion, il ne découle pas des dispositions du code rural visées par les requérantes au principal et la Commission que soit attribué aux organisations interprofessionnelles un véritable rôle public ni que soient octroyés aux autorités publiques des pouvoirs de contrôle sur les actions menées par ces organisations.

90.

Dans ce contexte, je note que, tout comme dans le cas de l’affaire Pearle e.a., précitée, l’initiative des CVO provient toujours du secteur privé lui-même. Les autorités publiques n’agissent, donc, que – pour reprendre un terme utilisé dans l’arrêt Pearle e.a. ( 38 ) – comme un «instrument» afin de rendre obligatoires les contributions instituées par les organisations interprofessionnelles pour la poursuite des fins qu’elles déterminent elles-mêmes.

91.

Je suis certes bien conscient du fait que de nombreuses mesures d’aides d’État sont adoptées par les États à la demande des entreprises concernées. C’est même typiquement le cas des aides au sauvetage et à la restructuration d’entreprises en difficulté. Il est donc vrai que l’initiative privée n’exclut pas, dans tous les cas, l’imputabilité d’une mesure à l’État. Les circonstances de l’espèce sont cependant très différentes dès lors que l’initiative des mesures provient des entreprises qui sont, en même temps, les donneurs et les bénéficiaires des fonds.

92.

Pour toutes ces raisons, je ne vois aucune indication dans la présente affaire que la direction et la responsabilité des actions menées par les organisations interprofessionnelles puissent être attribuées à d’autres sujets qu’à ces organisations elles-mêmes.

93.

À la lumière de ce qui précède, je conclus que les CVO ne constituent pas des ressources d’État et que les décisions relatives à l’utilisation de celles-ci ne sont pas imputables à l’État.

E – Remarques finales

94.

Ma première remarque est liée au fait qu’il y a un grand nombre d’organisations interprofessionnelles en France (et ailleurs dans l’Union) avec une grande diversité de statuts juridiques. Le CIDEF lui-même le signale dans ses observations écrites.

95.

Aussi, si les conclusions auxquelles j’aboutis dans la présente affaire peuvent être valables dans de très nombreux cas, elles pourraient ne pas l’être pour tous. En effet, comme mentionné ci-dessus, il peut y avoir des cas dans lesquels les organisations interprofessionnelles reçoivent des fonds publics destinés à financer ou à cofinancer certaines actions qui pourraient procurer un avantage économique aux opérateurs du marché. De même, il ne peut être exclu que, dans certaines circonstances, l’État (par exemple, par des organismes tels que le Conseil supérieur d’orientation et de coordination de l’économie agricole et alimentaire, établi sur la base de l’article L. 611-1 du code rural) puisse être en position d’exercer, de jure ou de facto, une influence réelle sur l’utilisation des fonds collectés par les organisations interprofessionnelles à travers les CVO.

96.

Cette constatation plaide pour une analyse au cas par cas. Cependant, la présente affaire démontre qu’il ne peut y avoir de présomption que toutes les mesures adoptées par les organisations interprofessionnelles et financées au moyen de CVO remplissent les critères de ressources d’État et d’imputabilité à celui-ci.

97.

Ma deuxième remarque est plus générale et concerne la notion même d’aide d’État. Je voudrais en effet me rallier à la position de plusieurs avocats généraux qui, dans le passé, ont mis en garde contre une extension excessive de la notion d’aide d’État ( 39 ).

98.

Dans ce contexte, je note que les requérantes au principal et la Commission mentionnent le fait que le CIDEF aurait, au moins dans le passé, mené des campagnes de promotion de la viande française. D’un autre côté, j’observe que, conformément à l’article L. 632-6 du code rural, les CVO «peuvent en outre être prélevées sur les produits importés dans des conditions définies par décret. À la demande des interprofessions bénéficiaires, ces cotisations sont recouvrées en douane, à leur frais».

99.

Dans des situations telles que celles décrites au point précédent, il n’est pas indiqué, à mon avis, d’étendre la notion de ressources d’État et donc d’aide d’État au-delà des limites imposées par l’article 107, paragraphe 1, TFUE. En effet, l’absence de ressources d’État ou le fait que l’État n’exerce aucun pouvoir de contrôle sur l’utilisation de certains fonds privés, ne signifie pas que toute action menée par des organisations telles que les interprofessions soit nécessairement compatible avec toutes les règles de l’Union.

100.

En premier lieu, les mesures adoptées par les organisations interprofessionnelles peuvent bien être contraires aux règles du marché intérieur. La circonstance que des associations telles que le CIDEF ne sont pas contrôlées par l’État n’est pas, en soi, un obstacle à l’application des dispositions des traités sur le marché intérieur. Par exemple, en ce qui concerne l’article 56 TFUE, la Cour a constamment jugé que le respect de cette disposition «s’impose aussi aux réglementations de nature non publique qui visent à régler, de façon collective, les prestations de services. En effet, l’abolition entre les États membres des obstacles à la libre prestation des services serait compromise si l’abolition des barrières d’origine étatique pouvait être neutralisée par des obstacles résultant de l’exercice de leur autonomie juridique par des associations ou des organismes ne relevant pas du droit public» ( 40 ). La Cour a suivi un raisonnement analogue en ce qui concerne, notamment, la libre circulation des personnes ( 41 ) et le droit d’établissement ( 42 ).

101.

En particulier, l’extension, décidée par l’État, de la nature obligatoire de contributions utilisées pour soutenir des campagnes promotionnelles ou publicitaires, gérées par les organisations interprofessionnelles et ayant pour objectif de promouvoir la production nationale ou les produits nationaux, pourrait également être contraire aux règles du marché intérieur, indépendamment de l’origine des fonds employés. Par exemple, selon une jurisprudence bien établie, une charge qui frappe les produits nationaux et importés sur la base de critères identiques peut être interdite lorsque le produit de cette imposition est destiné à alimenter des activités qui profitent spécialement aux produits nationaux imposés. Si les avantages dont bénéficient ces produits compensent intégralement la taxe qui les frappe, les effets de cette dernière ne se manifestent qu’à l’égard des produits importés et celle-ci constitue alors une taxe d’effet équivalent au sens de l’article 30 TFUE. En revanche, si ces avantages ne compensent qu’une partie de la charge supportée par les produits nationaux, la taxe en question constitue une imposition discriminatoire au sens de l’article 110 TFUE, dont la perception est interdite pour la fraction de son montant affectée à la compensation dont bénéficient les produits nationaux ( 43 ).

102.

En outre, dans la célèbre affaire dite «Buy Irish», la Cour a conclu à une violation de l’article 34 TFUE en raison du soutien accordé par le gouvernement irlandais à un organisme privé qui avait mis en œuvre une campagne en faveur de la vente et de l’achat de produits nationaux, visant à freiner les échanges intracommunautaires ( 44 ).

103.

En second lieu, des mesures adoptées, sans aide d’État, par des organisations interprofessionnelles, pourraient être discriminatoires vis-à-vis de producteurs d’autres États membres et, de ce fait, s’avérer contraires aux règles de la politique agricole commune (article 40, paragraphe 2, deuxième phrase, TFUE).

104.

Enfin, la décision de l’État d’étendre les effets de certains accords conclus entre les membres des organisations interprofessionnelles pourrait également tomber sous le coup de l’article 101 TFUE, lu en combinaison avec l’article 4, paragraphe 3, du traité UE, lorsque ces accords ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur. En effet, selon une jurisprudence bien établie, ces dispositions imposent aux États membres de ne pas prendre ou de maintenir en vigueur des mesures, même de nature législative ou réglementaire, susceptibles d’éliminer l’effet utile des règles de concurrence applicables aux entreprises. Tel est le cas lorsqu’un État membre soit impose ou favorise la conclusion d’ententes contraires à l’article 101 TFUE, ou renforce les effets de telles ententes, soit retire à sa propre réglementation son caractère étatique en déléguant à des opérateurs privés la responsabilité de prendre des décisions d’intervention en matière économique ( 45 ).

105.

Ce ne sont que quelques exemples évidents. Il est inutile d’insister davantage sur ces questions, car elles ne sont pas immédiatement pertinentes dans le cas qui nous occupe. Toutefois, cela permet de souligner que les règles de l’Union en matière de contrôle des aides d’État ne sont que l’un des instruments pouvant s’appliquer à des mesures adoptées par des organisations telles que celles qui sont partie au litige au principal et qui pourraient être de nature à altérer le bon fonctionnement du marché intérieur. En outre, je soulignerai également que le fait que d’autres instruments ne soient pas utilisables, ne peut justifier une extension excessive de la notion d’aide d’État.

IV – Conclusion

106.

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre à la question posée par le Conseil d’État de la manière suivante:

L’article 107 TFUE doit être interprété en ce sens que la décision d’une autorité nationale, telle que celle visée par la juridiction de renvoi, étendant à l’ensemble des professionnels d’une filière un accord qui institue une cotisation dans le cadre d’une organisation interprofessionnelle reconnue par l’autorité nationale et la rend ainsi obligatoire, en vue de permettre la mise en œuvre d’actions de communication, de promotion, de relations extérieures, d’assurance qualité, de recherche, de défense des intérêts du secteur, ainsi que l’acquisition d’études et de panels de consommateurs, n’est pas relative à une aide d’État.


( 1 ) Langue originale: le français.

( 2 ) Arrêt du 15 juillet 2004 (C-345/02, Rec. p. I-7139).

( 3 ) Voir, notamment, arrêt du 21 juin 2006, Confédération paysanne (requête no 271.450).

( 4 ) Décision C(2008) 7846 final de la Commission, du 10 décembre 2008, déclarant aide compatible avec le marché commun le régime-cadre d’actions susceptibles d’être menées par les interprofessions agricoles reconnues en France, consistant en des aides à l’assistance technique, aux produits agricoles de qualité, à la recherche-développement et aux actions de publicité en faveur des membres des filières agricoles représentées, financées par des «cotisations volontaires rendues obligatoires» (aide d’État N 561/2008 – France).

( 5 ) Décision C(2011) 4376 final de la Commission, du 29 juin 2011, déclarant que les actions menées par l’interprofession nationale porcine (INAPORC), financées par des «cotisations volontaires rendues obligatoires», constituent une aide compatible avec le marché intérieur (aide d’État NN 10/2010 – France).

( 6 ) Décision C(2011) 4973 final de la Commission, du 13 juillet 2011, déclarant que les actions menées par l’Association interprofessionnelle du bétail et des viandes (Interbev), financées par des «cotisations volontaires rendues obligatoires», constituent une aide compatible avec le marché intérieur [aide d’État no C 46/2003 (ex NN 39/2003) – France].

( 7 ) Il s’agit, respectivement, des affaires pendantes devant le Tribunal France/Commission (T‑79/09); CNIEL/Commission (T‑293/09); CNIPT/Commission (T‑302/09); CIVR e.a./Commission (T‑303/09); Unicid/Commission (T‑305/09); Val’hor/Commission (T‑306/09); Onidol/Commission (T‑313/09); Intercéréales et Grossi/Commission (T‑314/09); France/Commission (T‑478/11); Inaporc/Commission (T‑575/11); France/Commission (T‑511/11), et Interbev/Commission (T‑18/12).

( 8 ) Conclusions dans l’affaire van Calster e.a. (arrêt du 21 octobre 2003, C-261/01 et C-262/01, Rec. p. I-12249, point 27).

( 9 ) Sur cet aspect, elles sont dans une position semblable à celle des sociétés qui avaient contesté la mesure en cause dans l’affaire Pearle e.a., précitée (voir conclusions de l’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer dans cette affaire).

( 10 ) Voir, notamment, arrêt van Calster e.a., précité (points 46 à 51). Plus récemment, voir arrêts du 22 décembre 2008, Régie Networks (C-333/07, Rec. p. I-10807, points 89 et 90), et du 21 juillet 2011, Alcoa Trasformazioni/Commission (C-194/09 P, Rec. p. I-6311, point 48).

( 11 ) Voir, en ce sens, arrêts du 21 novembre 1991, Fédération nationale du commerce extérieur des produits alimentaires et Syndicat national des négociants et transformateurs de saumon (C-354/90, Rec. p. I-5505, point 12); du 11 juillet 1996, SFEI e.a. (C-39/94, Rec. p. I-3547, point 40), ainsi que du 12 février 2008, CELF et ministre de la Culture et de la Communication (C-199/06, Rec. p. I-469, point 41).

( 12 ) Voir, notamment, arrêts du 16 mai 2002, France/Commission, dit «Stardust Marine» (C-482/99, Rec. p. I-4397, point 68); du 24 juillet 2003, Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg (C-280/00, Rec. p. I-7747, point 74), et du 17 juillet 2008, Essent Netwerk Noord e.a. (C-206/06, Rec. p. I-5497, point 6).

( 13 ) Voir, en particulier, arrêts du 30 janvier 1985, Commission/France (290/83, Rec. p. 439, point 14), et du 7 juin 1988, Grèce/Commission (57/86, Rec. p. 2855, point 12).

( 14 ) Arrêts du 22 mars 1977, Steinike & Weinlig (78/76, Rec. p. 595, point 22), et du 11 novembre 1987, France/Commission (259/85, Rec. p. 4393, point 23).

( 15 ) Arrêt du 13 mars 2001 (C-379/98, Rec. p. I-2159).

( 16 ) Précitée.

( 17 ) Points 58 et 59 de l’arrêt.

( 18 ) Points 51 et 52 de l’arrêt.

( 19 ) Voir, en particulier, points 54 à 78 de ses conclusions dans l’affaire Pearle e.a., précitée.

( 20 ) Arrêt Pearle e.a., précité (point 36).

( 21 ) Ibidem (point 37).

( 22 ) Ibidem (point 38).

( 23 ) Cela a été confirmé lors de l’audience par le gouvernement français.

( 24 ) Voir considérant 4 de la décision du Conseil constitutionnel no 2011-211, QPC du 17 février 2012, Société Chaudet et fille et autres.

( 25 ) Voir arrêts du 16 mai 2000, France/Ladbroke Racing et Commission (C-83/98 P, Rec. p. I-3271, point 50); Pearle e.a., précité (point 36), ainsi que Essent Netwerk Noord e.a., precité (point 72). Voir également conclusions de l’avocat général Mengozzi dans l’affaire Essent Netwerk Noord e.a., précitée (point 109), ainsi que conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire UTECA (arrêt du 5 mars 2009, C-222/07, Rec. p. I-1407, points 128 et 129).

( 26 ) Voir, notamment, arrêts du 2 juillet 1974, Italie/Commission (173/73, Rec. p. 709, point 35); Steinike & Weinlig, précité; France/Ladbroke Racing et Commission, precité (point 50), ainsi que Stardust Marine, précité (points 37 et 38).

( 27 ) Article L. 632-4 du code rural.

( 28 ) Voir arrêts du 7 mai 2008, Coopérative Cooperl Hunaudaye et Société Syndigel (requêtes no 278820 et no 279020), ainsi que du 16 février 2011, Fédération des Entreprises du Commerce et de la Distribution (requêtes no 301333 et no 317146).

( 29 ) Dans ce contexte, je note un autre élément commun à la présente affaire et à l’affaire Pearle e.a., précitée. En effet, dans le cadre de cette dernière procédure, le gouvernement néerlandais avait confirmé que les règlements adoptés par des organismes tels que le HBA et établissant des charges financières, devaient être approuvés par le Sociaal-Economische Raad (Conseil socio-économique) et, dans certaines circonstances, également par le ministre compétent. Tant le Sociaal-Economische Raad que le ministre ont la faculté de refuser l’approbation lorsque, entre autres choses, la proposition de règlement constituerait une violation des lois ou serait contraire à l’intérêt général.

( 30 ) Selon le gouvernement français, 18 demandes d’extension auraient été refusées ces dernières années sur un total avoisinant les 300 demandes. Parmi les motifs de refus, le gouvernement français évoque: a) une violation de l’article 110 TFUE dans la mesure où l’action envisagée créait une discrimination fiscale en fonction de l’origine des produits (matière première originaire de France); b) l’incompatibilité de l’accord, qui aurait été financé par les CVO, avec le cahier des charges des appellations d’origine contrôlée applicables aux produits en cause; c) l’impossibilité d’identifier les actions qui allaient être financées par les CVO; d) le fait que l’accord, qui aurait été financé par les CVO, ne concernait pas le produit pour lequel l’interprofession qui demandait l’extension avait été reconnue, et e) le fait que l’action, qui devait être financée par les CVO, était non pas une action collective, mais une action individuelle.

( 31 ) Arrêt Stardust Marine, précité (point 55). Voir aussi arrêts du 21 mars 1991, Italie/Commission (C-303/88, Rec. p. I-1433, points 11 et 12), et Italie/Commission (C-305/89, Rec. p. I-1603, points 13 et 14).

( 32 ) Arrêts Stardust Marine, précité (point 55), et du 2 février 1988, Kwekerij van der Kooy e.a./Commission (67/85, 68/85 et 70/85, Rec. p. 219, point 37).

( 33 ) Première partie de l’article L. 632-1 du code rural.

( 34 ) Deuxième partie de l’article L. 632-1 du code rural.

( 35 ) Arrêt PreussenElektra, précité, point 73.

( 36 ) Arrêt Pearle e.a., précité (point 7). En outre, comme le gouvernement néerlandais l’avait confirmé dans le cadre de cette procédure, la même loi définissait, en termes généraux, la mission des organisations tels que le HBA.

( 37 ) Ibidem (points 36 et 37).

( 38 ) Ibidem (point 37).

( 39 ) Voir, entre autres, conclusions de l’avocat général Capotorti dans l’affaire van Tiggele (arrêt du 24 janvier 1978, 82/77, Rec. p. 25, point 8); conclusions de l’avocat général Jacobs dans les affaires précitées PreussenElektra et Stardust Marine, respectivement aux points 150 à 159 et 53 à 55, et conclusions de l’avocat général Poiares Maduro dans l’affaire Enirisorse (arrêt du 23 mars 2006, C-237/04, Rec. p. I-2843, points 44 à 46).

( 40 ) Voir, notamment, arrêts du 12 décembre 1974, Walrave et Koch (36/74, Rec. p. 1405, points 17 et 18); du 15 décembre 1995, Bosman (C-415/93, Rec. p. I-4921, points 83 et 84); du 19 février 2002, Wouters e.a. (C-309/99, Rec. p. I-1577, point 120), et du 18 décembre 2007, Laval un Partneri (C-341/05, Rec. p. I-11767, point 98).

( 41 ) Arrêts du 11 avril 2000, Deliège (C-51/96 et C-191/97, Rec. p. I-2549, point 47), et du 6 juin 2000, Angonese (C-281/98, Rec. p. I-4139, point 32).

( 42 ) Arrêt du 11 décembre 2007, International Transport Workers’ Federation and Finnish Seamen’s Union (C-438/05, Rec. p. I-10779, point 59).

( 43 ) Arrêts de la Cour du 19 juin 1973, Capolongo (77/72, Rec. p. 611, points 13 et 14); du 11 mars 1992, Compagnie commerciale de l’Ouest e.a. (C-78/90 à C-83/90, Rec. p. I-1847, point 27); du 17 septembre 1997, Fricarnes (C‑28/96, Rec. p. I-4939, point 24), et Essent Netwerk Noord e.a., précité (point 42).

( 44 ) Arrêt du 24 novembre 1982, Commission/Irlande (249/81, Rec. p. 4005).

( 45 ) Arrêts du 16 novembre 1977, GB-Inno-BM (13/77, Rec. p. 2115, point 31); du 21 septembre 1988, Van Eycke (267/86, Rec. p. 4769, point 16), ainsi que du 17 novembre 1993, Meng (C-2/91, Rec. p. I-5751, point 14).