CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PAOLO MENGOZZI

présentées le 15 novembre 2012 ( 1 )

Affaire C‑561/11

Fédération cynologique internationale

contre

Federación Canina Internacional de Perros de Pura Raza

[demande de décision préjudicielle formée par le Juzgado de lo Mercantil no 1 de Alicante y no 1 de Marca Comunitaria (Espagne)]

«Marque communautaire — Contrefaçon — Notion de ‘tiers’»

1. 

Par la présente demande de décision préjudicielle, le Juzgado de lo Mercantil no 1 de Alicante (Espagne) pose à la Cour une question relative à l’interprétation de l’article 9, paragraphe 1, du règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque communautaire ( 2 ).

2. 

La question que la Cour est appelée à résoudre concerne la définition de la notion de «tiers» contre lequel, conformément à la législation en vigueur, le titulaire d’une marque communautaire peut intenter une action en contrefaçon. Il conviendra, en particulier, de préciser si cette notion, au sens de l’article 9, paragraphe 1, du règlement no 207/2009, inclut également le titulaire de la marque communautaire postérieure enregistrée, et si, dans un tel cas, le titulaire d’une marque communautaire antérieure doit, pour pouvoir agir en contrefaçon contre le titulaire de la marque communautaire postérieure, demander au préalable à l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieure (marques, dessins, modèles) (OHMI) de déclarer nulle la marque communautaire postérieure.

3. 

Il convient d’observer dès à présent que le problème sous-jacent à la question soulevée dans cette affaire, qui, comme nous le verrons par la suite fait également l’objet de vifs débats dans la doctrine et la jurisprudence en Espagne, n’est pas entièrement nouveau. En effet, la Cour s’est récemment prononcée sur une demande de décision préjudicielle présentée par la même juridiction de renvoi que dans la présente affaire, concernant une question tout à fait analogue, à propos de l’interprétation du règlement (CE) no 6/2002 du Conseil, du 12 décembre 2001, sur les dessins ou modèles communautaires ( 3 ). Dans mes conclusions relatives à cette affaire ( 4 ), j’ai déjà relevé que, au vu des différences importances existant entre les procédures d’enregistrement des dessins et modèles communautaires, d’une part, et des marques communautaires, d’autre part, les considérations qui valent pour un domaine ne peuvent pas automatiquement être appliquées à l’autre. Dans l’analyse de la question posée par la juridiction de renvoi dans la présente affaire, j’estime qu’il faudra tenir compte de l’approche retenue par la Cour dans l’arrêt Celaya Emparanza y Galdos International, sans néanmoins perdre de vue les importantes différences procédurales existant entre le domaine des marques et celui des dessins et modèles.

I – Le cadre juridique

4.

Aux termes du considérant 7 du règlement no 207/2009, l’enregistrement de la marque communautaire est refusé notamment lorsque des droits antérieurs s’y opposent. Aux termes du considérant 8, la protection conférée par la marque communautaire, dont le but est notamment de garantir la fonction d’origine de la marque, devrait être absolue en cas d’identité entre la marque et le signe et entre les produits ou services, et cette protection vaut également en cas de similitude entre la marque et le signe, et entre les produits ou services. Ce considérant indique, en outre, qu’il y a lieu d’interpréter la notion de similitude en relation avec le risque de confusion.

5.

L’article 9, paragraphe 1, du règlement no 207/2009 indique quels sont les droits conférés par la marque communautaire à son titulaire:

«La marque enregistrée confère à son titulaire un droit exclusif. Le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage, dans la vie des affaires:

a)

d’un signe identique à la marque pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels celle-ci est enregistrée;

b)

d’un signe pour lequel, en raison de son identité ou de sa similitude avec la marque et en raison de l’identité ou de la similitude des produits ou des services couverts par la marque et le signe, il existe, dans l’esprit du public, un risque de confusion qui comprend le risque d’association entre le signe et la marque;

c)

d’un signe identique ou similaire à la marque communautaire pour des produits ou des services qui ne sont pas similaires à ceux pour lesquels la marque communautaire est enregistrée, lorsque celle-ci jouit d’une renommée dans la Communauté et que l’usage du signe sans juste motif tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque communautaire ou leur porte préjudice.»

6.

L’article 54 du règlement no 207/2009, intitulé «Forclusion par tolérance», prévoit que le titulaire d’une marque communautaire qui a toléré pendant cinq années consécutives l’usage d’une marque communautaire postérieure dans l’Union en connaissance de cet usage ne peut plus demander la nullité ni s’opposer à l’usage de la marque postérieure sur la base de cette marque antérieure.

II – Les faits, la procédure au principal et la question préjudicielle

7.

La Fédération cynologique internationale, demanderesse au principal (ci-après «FCI»), association internationale créée en 1911 pour soutenir la cynologie, est titulaire de la marque communautaire mixte no 4438751, demandée le 28 juin 2005 et enregistrée le 5 juillet 2006 pour certains services compris dans les classes 35, 41, 42 et 44 au sens de l’arrangement de Nice du 15 juin 1957 concernant la classification internationale des produits ou services aux fins de l’enregistrement des marques, tel que révisé et modifié. Cette marque est reproduite, à titre informatif, ci-après:

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8.

La Federación Canina Internacional de Perros de Pura Raza, défenderesse au principal (ci-après «FCIPPR»), association de droit privé constituée en 2004, est titulaire de trois marques nationales espagnoles enregistrées pour certains produits et services compris dans la classe 16:

la marque nominative no 2614806, «FEDERACIÓN CANINA INTERNACIONAL DE PERROS DE PURA RAZA – FCI», demandée le 23 septembre 2004 et enregistrée le 20 juin 2005;

la marque mixte no 2786697, «FEDERACIÓN CANINA INTERNACIONAL DE PERROS DE PURA RAZA», demandée le 9 août 2007 et enregistrée le 12 mars 2008;

la marque mixte no 2818217, «FEDERACIÓN CINOLOGICA INTERNACIONAL + FCI», demandée le 11 février 2008 et enregistrée le 26 août 2008.

9.

Le 12 février 2009, FCIPPR a demandé à l’OHMI d’enregistrer le signe reproduit ici en tant que marque communautaire pour certains produits compris dans la classe 16:

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10.

Le 5 février 2010, FCI a formé opposition à l’enregistrement de ce signe en tant que marque communautaire. Toutefois, en raison d’une irrégularité formelle tenant à l’absence de paiement de la taxe d’opposition, l’opposition a été rejetée et ainsi le signe reproduit au point précédent a été enregistré le 3 septembre 2010 en tant que marque communautaire sous le no 7597529.

11.

Le 18 juin 2010, FCI a intenté devant la juridiction de renvoi une action en nullité contre les marques nationales mentionnées au point 8, motif pris de l’existence d’un risque de confusion avec sa marque no 4438751, reproduite au point 7, ainsi qu’une action en contrefaçon de cette marque. Dans le cadre de cette procédure, FCIPPR a contesté l’existence d’un risque de confusion entre ses marques nationales et la marque communautaire no 4438751 et a formé une demande reconventionnelle, en vue d’obtenir l’annulation de cette marque communautaire, au motif qu’elle aurait été enregistrée de mauvaise foi et créerait un risque de confusion avec sa propre marque nationale antérieure no 2614806.

12.

Puis, le 18 novembre 2010, FCI a demandé à l’OHMI d’annuler la marque communautaire no 7597529, enregistrée au profit de FCIPPR. Le 20 septembre 2011, l’OHMI a toutefois décidé de suspendre la procédure dont il était saisi, à la demande de FCIPPR et en raison du fait que la procédure ayant donné lieu à la présente demande préjudicielle était pendante.

13.

La juridiction de renvoi estime que, dans la procédure pendante devant elle, il y a lieu de déterminer si le droit exclusif que l’article 9, paragraphe 1, du règlement no 207/2009 confère au titulaire d’une marque communautaire, en l’occurrence FCI, peut être opposé à un tiers, y compris le tiers titulaire d’une marque communautaire enregistrée postérieurement, en l’occurrence FCIPPR, tant que cette marque postérieure n’a pas été annulée.

14.

Dans ce contexte, le juge de renvoi a sursis à statuer et a saisi la Cour de la question préjudicielle suivante:

«Dans un litige portant sur la violation du droit exclusif conféré par une marque communautaire, le droit d’interdire à des tiers d’utiliser celle-ci dans la vie des affaires, qui est institué à l’article 9, paragraphe 1, du [règlement no 207/2009], s’étend-il à tout tiers qui utilise un signe impliquant un risque de confusion (en raison d’une similitude avec la marque communautaire et du fait que les produits ou les services sont similaires) ou exclut-il au contraire le tiers qui utilise ce signe prêtant à confusion enregistré en sa faveur en tant que marque communautaire tant que cet enregistrement postérieur n’est pas annulé?»

III – La procédure devant la Cour

15.

Le greffe a reçu l’ordonnance de renvoi le 8 novembre 2011. Ont déposé des observations écrites FCI, FCIPPR, les gouvernements hellénique et italien, ainsi que la Commission européenne. À l’audience, qui a eu lieu le 3 octobre 2012, sont intervenus FCI, le gouvernement hellénique et la Commission.

IV – Analyse juridique

A – Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle

16.

Il convient, à titre préliminaire, d’analyser les arguments soulevés par FCI dans ses observations écrites, visant à exciper de l’irrecevabilité de la demande de décision préjudicielle. FCI soutient, tout d’abord, que la question posée par la juridiction de renvoi ne serait pas nécessaire pour résoudre le litige dans l’affaire au principal. L’action en contrefaçon et l’action en nullité intentées par FCI dans cette affaire seraient dirigées uniquement contre les marques nationales dont FCIPPR est titulaire, et non contre la marque communautaire postérieure no 7597529, dont l’enregistrement serait intervenu après l’introduction du recours dans l’affaire au principal. En outre, cette question aurait été soulevée d’office par la juridiction de renvoi sans que les parties aient eu l’occasion de s’exprimer à son sujet, comme elles devaient pouvoir le faire.

17.

Aux fins de l’examen, en premier lieu, de la pertinence de la question posée par la juridiction de renvoi dans l’affaire au principal, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence constante, les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une demande introduite par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique, ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées ( 5 ).

18.

Dans la présente affaire, aucun élément ne permet de considérer que la juridiction nationale a formulé une question hypothétique ou dépourvue de tout rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal. Il résulte, au contraire, de l’ordonnance de renvoi que, dans la procédure au principal, FCI a, d’une part, dénoncé l’usage illégal qui est fait de la marque communautaire postérieure dans le cadre des écritures qu’elle a déposées postérieurement à l’enregistrement de celle-ci et, d’autre part, demandé la cessation de l’usage de tout signe susceptible d’être confondu avec la marque communautaire antérieure, demande qui inclut par conséquent aussi la marque communautaire postérieure.

19.

En second lieu, sur le fait que la juridiction de renvoi a soulevé d’office la question préjudicielle, il suffit de rappeler que, en vertu de la jurisprudence constante, le fait que les parties à la procédure au principal n’aient pas soulevé, devant la juridiction de renvoi, un problème de droit de l’Union n’empêche pas que la Cour puisse en être saisie par cette juridiction. En prévoyant la saisine à titre préjudiciel de la Cour lorsqu’«une question est soulevée devant une juridiction nationale», l’article 267, deuxième et troisième alinéas, TFUE n’entend pas limiter cette saisine aux seuls cas où l’une ou l’autre des parties au principal a pris l’initiative de soulever une question d’interprétation ou de validité du droit de l’Union, mais couvre également les cas où une telle question est soulevée par la juridiction nationale elle-même, qui estime une décision de la Cour sur ce point «nécessaire pour rendre son jugement» ( 6 ).

20.

À mon avis, il résulte des considérations qui précèdent que la question préjudicielle doit être jugée recevable.

B – Sur la question préjudicielle

1. Observations préliminaires

21.

Comme je l’ai mentionné plus haut, et comme je l’avais déjà souligné dans mes conclusions relatives à l’affaire Celaya Emparanza y Galdos International ( 7 ), la question soulevée par la juridiction de renvoi concernant la définition de la personne (le «tiers») contre qui le titulaire d’une marque peut intenter une action en contrefaçon et celle, connexe, de l’éventuelle existence d’un rapport préjudiciel entre l’action en nullité et l’action en contrefaçon, en cas de conflit entre les titulaires de marques enregistrées, font actuellement l’objet de vifs débats au sein de la doctrine et de la jurisprudence en Espagne, même s’il faut préciser que ces questions ne sont pas totalement inédites dans le panorama juridique européen ( 8 ).

22.

Comme l’indique le Juzgado de lo Mercantil no 1 de Alicante dans son ordonnance de renvoi, il existe en effet actuellement en Espagne une jurisprudence du Tribunal Supremo qui, en matière de marques, en application d’une doctrine dite de l’«inmunidad registral» considère l’existence de l’enregistrement d’une marque comme constitutive de protection face à une action en contrefaçon, et subordonne donc l’exercice d’une telle action à l’obtention de la déclaration de nullité de la marque, même si celle-ci a été enregistrée postérieurement à la marque invoquée à l’appui de l’action en contrefaçon. En substance, selon cette thèse, on n’est pas en présence d’un acte illégal tant que le prétendu contrefacteur utilise une marque enregistrée, si bien qu’il n’est possible d’agir en contrefaçon qu’après avoir obtenu l’annulation de la marque enregistrée postérieurement.

23.

Dans l’arrêt précité Celaya Emparanza y Galdos International ( 9 ), la Cour, appelée à se prononcer sur une question analogue à celle soulevée dans la présente affaire, dans le domaine des dessins et modèles communautaires, a opté, dans ce domaine, pour une approche différente de celle correspondant à la doctrine de l’«inmunidad registral» et a déclaré que le droit d’interdire aux tiers d’utiliser un dessin ou modèle communautaire, conféré par le règlement no 6/2002 ( 10 ), s’étend à tout tiers qui utilise un dessin ou modèle non différent, y compris le tiers titulaire d’un dessin ou modèle communautaire enregistré postérieurement. La Cour a estimé, par conséquent, que le fait qu’un dessin ou modèle soit enregistré ne conférait pas à son titulaire une «immunité» face à une action en contrefaçon tant que l’annulation de son titre n’était pas intervenue, et a donc, en substance, rejeté l’existence d’un rapport de subordination entre l’action en nullité et l’action en contrefaçon en cas de conflit entre des dessins et modèles enregistrés.

24.

J’ai déjà rappelé que le domaine des dessins et modèles présente des différences importantes avec celui des marques, concernant en particulier les modalités et les procédures d’enregistrement du titre de propriété intellectuelle correspondant, et que ces différences empêchent que l’on transpose automatiquement à un domaine les considérations et décisions jurisprudentielles valant pour l’autre domaine ( 11 ). Il faut donc, à mon avis, partir de l’analyse des différences procédurales existant entre les deux domaines pour, ensuite, rechercher si celles-ci justifient que l’on retienne effectivement dans le domaine des marques une approche différente de celle adoptée dans le domaine des dessins et modèles.

2. Sur les différences concernant les procédures d’enregistrement des dessins et modèles et des marques

25.

Dans mes conclusions précitées relatives à l’affaire Celaya Emparanza y Galdos International, j’ai relevé que la différence fondamentale en ce qui concerne les modalités d’enregistrement des dessins et modèles, d’une part, et des marques, d’autre part, consiste dans le fait que, pour ces dernières – et non pour les dessins et modèles – la réglementation applicable prévoit une procédure d’enregistrement sensiblement plus complexe, qui inclut un examen préliminaire de la part de l’OHMI, que nous pourrions qualifier d’examen «au fond», dans le cadre duquel les tiers peuvent présenter des observations ou également former opposition à l’enregistrement de la marque.

26.

Plus spécifiquement, l’enregistrement d’un dessin ou modèle se fait de manière presque automatique par le biais d’une procédure simplifiée, qui comporte un simple contrôle formel de la demande d’enregistrement de la part de l’OHMI ( 12 ). Le règlement no 6/2002 ne prévoit ni un examen approfondi préliminaire à l’enregistrement, visant à vérifier l’existence des conditions requises pour l’obtention de la protection ( 13 ), ni aucune forme d’intervention ni possibilité d’opposition de la part des tiers au cours de la procédure d’enregistrement. Si une procédure simplifiée de ce type a été prévue pour l’enregistrement d’un dessin ou modèle communautaire, c’est dans le but de réduire au minimum les formalités et autres obstacles procéduraux et administratifs, ainsi que les coûts pour les demandeurs, rendant ainsi l’enregistrement plus accessible aux entreprises de petites et moyennes dimensions, et aux créateurs individuels ( 14 ).

27.

Dans le domaine des marques, au contraire, le règlement no 207/2009 prévoit une forme de contrôle ex ante, préalable à l’enregistrement de la marque communautaire, dans le cadre duquel l’OHMI procède à une analyse de la demande d’enregistrement qui ne se limite pas à un simple contrôle formel, mais porte sur le fond de cette demande, en examinant l’existence éventuelle de motifs de refus de l’enregistrement, absolus ou relatifs ( 15 ). Au cours de cette procédure, d’un côté, les tiers disposent de la possibilité, après publication de la demande de marque communautaire, d’adresser à l’OHMI des observations écrites précisant les motifs pour lesquels la marque devrait être exclue d’office de l’enregistrement, en particulier en raison de l’existence de motifs absolus de refus de l’enregistrement ( 16 ). D’un autre côté, les titulaires de droits antérieurs disposent de la faculté de former opposition à l’enregistrement de la marque en question, en faisant valoir l’existence de motifs relatifs de refus de l’enregistrement ( 17 ).

28.

Dans le domaine des marques, la situation des tiers et, en particulier, des détenteurs de droits antérieurs est donc mieux protégée, et ce dès le stade initial de la procédure. En effet, le système offre à ces personnes des facultés procédurales dont elles ne disposent pas en matière de dessins et modèles. Plus spécifiquement, le règlement no 207/2009 offre au titulaire d’une marque antérieure la possibilité de s’opposer préventivement à l’enregistrement d’une marque postérieure qu’il juge contraire à sa propre marque enregistrée, possibilité qui n’est pas offerte, en revanche, du fait des impératifs de célérité mentionnés au point 26, au titulaire du dessin ou modèle.

29.

Les différences que nous venons d’évoquer concernant la procédure d’enregistrement ont pour conséquence que l’enregistrement d’une marque, intervenu à l’issue d’une procédure complexe, doit être considéré avec plus d’«égard» que celui d’un dessin ou modèle ( 18 ). La mise en place d’un système de protection ex ante, tel que celui prévu par le règlement no 207/2009, implique ainsi que le risque d’enregistrements abusifs de marques, ou en tout cas d’enregistrements portant atteinte à des droits antérieurs, est nettement moins élevé que dans le contexte des dessins et modèles ( 19 ). L’enregistrement d’un signe en tant que marque communautaire, obtenu à l’issue d’une procédure de ce genre, confère donc au titulaire un degré plus élevé de sécurité juridique quant au fait que sa marque communautaire ne porte pas atteinte à des droits antérieurs.

30.

Ces considérations ne signifient cependant pas que, dans le domaine des marques, le risque d’enregistrements portant atteinte à des droits antérieurs soit totalement exclu et que l’on ne pourra pas rencontrer, dans ce domaine également, des cas dans lesquels une marque communautaire est enregistrée, alors qu’elle est susceptible de porter préjudice au droit exclusif conféré au titulaire d’une autre marque enregistrée antérieurement. Des situations de ce genre peuvent se rencontrer par exemple dans l’hypothèse où le titulaire de la marque postérieure n’a pas fait opposition à l’enregistrement de la marque antérieure ou, comme dans le cas objet de l’affaire au principal, lorsque l’opposition n’a pas été menée à son terme avec succès pour des raisons indépendantes de l’analyse de fond, telles que des raisons de nature procédurale ( 20 ).

31.

Par conséquent, bien qu’ils soient beaucoup moins probables, il peut exister dans le domaine des marques également des cas où, à l’instar de ce qui peut se produire dans le domaine des dessins ou modèles, est enregistrée une marque communautaire susceptible de porter atteinte à la fonction d’origine d’une autre marque enregistrée antérieurement. C’est pour cette raison, d’ailleurs, que, à l’instar de ce qui est prévu dans le domaine des dessins et modèles, le règlement no 207/2009 prévoit des formes de protection que l’on pourrait qualifier de protection ex post, à savoir précisément l’action en nullité et l’action en contrefaçon, qui sont destinées respectivement à expurger du système les marques qui n’auraient pas dû y être enregistrées et à inhiber les effets des signes portant atteinte à une marque antérieure. Ces formes, je les qualifie de protection ex post dans la mesure où, en cas de conflit entre des marques enregistrées, elles ne peuvent être mises en œuvre par le titulaire de la marque antérieure, pour protéger sa propre marque, qu’après l’enregistrement de la marque postérieure contrefaisante ou dommageable, et ce indépendamment du point de savoir si une éventuelle opposition à l’enregistrement de la marque postérieure objet de l’action a été formée ou du résultat de celle-ci.

32.

En réalité, il me semble que c’est précisément là le cœur du problème qui se pose dans la présente affaire: le fait que, dans le domaine des marques, il existe une forme de protection ex ante – consistant dans la possibilité pour le titulaire d’une marque antérieure de former opposition à l’enregistrement d’une autre marque –, venant s’ajouter aux formes de protection ex post communes tant au domaine des dessins et modèles qu’à celui des marques, pourrait-il justifier que l’on retienne une approche différente de celle retenue par la Cour dans l’arrêt précité Celaya Emparanza y Galdos International, en excluant de la notion de tiers au sens de l’article à l’article 9, paragraphe 1, du règlement no 207/2009 le titulaire d’une marque postérieure régulièrement enregistrée aussi longtemps que cette marque n’a pas été annulée? Comme je l’expliquerai en détails ci-après, la réponse à cette question est, à mon avis, négative.

3. Sur la question préjudicielle

33.

Par la question posée, la juridiction de renvoi invite la Cour à interpréter la notion de «tiers» au sens de l’article 9, paragraphe 1, du règlement no 207/2009, demandant si, en vertu de cette disposition, le titulaire d’une marque communautaire enregistrée peut agir directement en contrefaçon contre le titulaire d’une marque communautaire enregistrée par la suite, ou si, au contraire, il ne peut le faire qu’après avoir obtenu la déclaration de nullité de la marque communautaire postérieure.

34.

La juridiction de renvoi, dans son ordonnance, souligne que des motifs d’ordre littéral, systématique, logique et fonctionnel plaident en faveur d’une interprétation de la disposition en cause conforme à celle retenue par la Cour dans l’arrêt Celaya Emparanza y Galdos International, précité, pour les dessins et modèles, qui admettrait que le titulaire d’une marque communautaire enregistrée peut interdire à tout tiers d’utiliser un signe compris dans les catégories indiquées à l’article 9, paragraphe 1, sous a), b) et c), du règlement no 207/2009, indépendamment du point de savoir si ce signe a été enregistré postérieurement ou non par le tiers en tant que marque communautaire. Ont pris position en faveur de cette approche FCI, la Commission et les gouvernements hellénique et italien.

35.

Cependant, la juridiction de renvoi souligne que l’article 9, paragraphe 1, du règlement no 207/2009 pourrait aussi être interprété conformément à la jurisprudence espagnole, en application de la doctrine de l’«inmunidad registral» ( 21 ), comme s’opposant à ce que le titulaire d’une marque communautaire antérieure interdise l’usage d’une marque enregistrée postérieurement tant que celle-ci n’a pas été déclarée nulle. La deuxième interprétation possible se fonderait sur le principe qui jure suo utitur, neminem laedit, en vertu duquel celui qui exerce un droit qui lui appartient, en l’espèce le droit d’usage découlant de l’enregistrement de la marque communautaire postérieure, ne cause préjudice à personne. FCIPPR a défendu cette position, insistant en particulier sur la nécessité de protéger le droit exclusif conféré par l’enregistrement de la marque, en application du principe de la sécurité juridique.

36.

Or, tout comme dans l’affaire Celaya Emparanza y Galdos International, nous nous trouvons confrontés à une situation dans laquelle, quelle que soit la solution choisie, un titre de propriété intellectuelle, ici une marque enregistrée, finit par ne pas donner une protection intégrale et absolue à son titulaire ( 22 ).

37.

En effet, si l’on se place du point de vue de la marque antérieure, dans l’hypothèse où l’on devrait conclure que son titulaire peut agir en contrefaçon contre le titulaire de la marque enregistrée postérieurement, cette solution impliquerait un affaiblissement du degré de protection garanti au titulaire de la marque postérieure, qui pourrait s’en voir interdire l’usage, bien que la marque ait été régulièrement enregistrée. Inversement, si l’on se place du point de vue de la marque postérieure, et si l’on devait considérer que la déclaration de nullité préalable de cette marque conditionne l’action en contrefaçon visant à protéger la marque antérieure, la protection assurée par cette dernière perdrait de sa force, dans la mesure où l’enregistrement de cette marque ne garantirait pas à son titulaire le droit exclusif de l’utiliser, conféré par l’article 9, paragraphe 1, du règlement no 207/2009, tout au moins aussi longtemps que la marque postérieure, identique ou similaire, n’a pas été annulée.

38.

Dans le premier cas, on ferait prévaloir le jus excludendi du titulaire de la marque antérieure, c’est-à-dire le droit pour celui-ci d’interdire aux tiers d’utiliser sans son consentement le signe qui constitue la marque, sur le jus utendi du titulaire de la marque postérieure, c’est-à-dire le droit d’utiliser le signe qui constitue cette marque ( 23 ). Dans le second cas, l’arbitrage entre les deux droits aboutirait exactement au résultat inverse. Comme dans le cas des dessins et modèles, le choix de l’une ou l’autre interprétation s’effectue donc entre deux droits en principe équivalents.

39.

Or, pour choisir, parmi les droits conférés par les deux marques en conflit, celui qui doit prévaloir, à savoir le droit antérieur ou le droit postérieur, on ne peut pas, à mon avis, ne pas tenir compte d’un principe fondamental qui caractérise le système de protection instauré en matière de marques et constitue un principe fondamental universellement reconnu dans les droits de propriété intellectuelle en général, à savoir le principe de priorité qui veut que le droit exclusif antérieur, en l’occurrence une marque communautaire enregistrée antérieurement, prévale sur les droits nés postérieurement, en l’occurrence sur les marques communautaires enregistrées postérieurement ( 24 ). En effet, comme l’a justement observé la Commission dans ses observations, et par analogie avec ce que la Cour a décidé en matière de dessins et modèles dans l’arrêt Celaya Emparanza y Galdos International ( 25 ), les dispositions du règlement no 207/2009 ne peuvent être interprétées qu’à la lumière de ce principe fondamental en matière de marques, qui trouve son expression dans des dispositions ponctuelles du règlement no 207/2009 lui-même ( 26 ), ainsi que dans des dispositions d’autres réglementations, tant de l’Union ( 27 ) qu’internationales ( 28 ), en matière de marques.

40.

Il résulte, en particulier, du règlement no 207/2009, d’une part, que seuls les signes reproductibles graphiquement qui sont de nature à assumer la fonction essentielle de la marque, à savoir distinguer les produits et services d’une entreprise de ceux d’autres entreprises, peuvent constituer des marques communautaires et bénéficier de la protection correspondante, qui s’acquiert à travers l’enregistrement et, d’autre part, que la protection conférée par la marque communautaire doit être absolue à l’égard des signes identiques ou similaires impliquant un risque de confusion ( 29 ). Cette protection absolue attribuée à la marque est indépendante du point de savoir si les signes impliquant un risque de confusion sont ou non enregistrés en tant que marques communautaires.

41.

Or, en cas de conflit entre deux marques communautaires enregistrées, l’application du principe de priorité conduit, à mon avis, d’une part, à présumer que la marque enregistrée la première remplit les conditions requises pour obtenir la protection communautaire avant celle qui a été enregistrée postérieurement et, d’autre part, à faire dépendre la portée de la protection garantie à la marque communautaire postérieure de l’absence de droits antérieurs entrant en conflit avec elle. C’est pourquoi, en cas de conflit entre des marques communautaires enregistrées, la protection que le règlement no 207/2009 attribue à la marque communautaire postérieure ne sera justifiée que si son titulaire est en mesure de prouver que la marque communautaire antérieure ne remplit pas l’une des conditions nécessaires pour bénéficier de la protection ( 30 ) ou qu’il n’y a pas de conflit entre les marques ( 31 ).

42.

Ces considérations sont indépendantes du fait que la procédure d’enregistrement d’une marque communautaire prévoit, contrairement à celle applicable aux dessins et modèles communautaires, la possibilité pour les tiers de former opposition à l’enregistrement de la marque postérieure. En effet, comme on l’a montré aux points 30 et 31, bien que l’instauration d’un contrôle ex ante de ce type attribue au titulaire de la marque enregistrée ultérieurement un degré plus élevé de sécurité juridique et réduise, par rapport au domaine des dessins et modèles, le risque que soient enregistrées des marques portant atteinte à des droits antérieurs, le fait qu’un signe soit enregistré en tant que marque communautaire ne constitue pas une garantie absolue que ce signe ne porte pas atteinte au droit exclusif conféré par une marque enregistrée antérieurement. Les différences procédurales existant entre le domaine des dessins et modèles et celui des marques, si elles sont importantes, ne sont cependant pas de nature à justifier, à mon avis, une interprétation de la norme en question qui ne soit pas conforme au principe de priorité ( 32 ).

43.

En outre, dans le cas où le titulaire de la marque antérieure agit pour protéger son propre titre face à un signe portant atteinte à ses propres droits, bien que ce signe soit une marque régulièrement enregistrée postérieurement, il est nécessaire que le système de protection instauré par le règlement no 207/2009 lui garantisse la possibilité d’obtenir l’interdiction d’utiliser la marque lui portant préjudice le plus rapidement possible, dans la mesure où la présence sur le marché d’une marque de ce type est susceptible de porter atteinte à la fonction essentielle de la marque antérieure ( 33 ). Il semble d’ailleurs évident que plus la coexistence des deux marques sur le marché durera longtemps, plus grave sera le préjudice potentiel ou réel pour la marque antérieure.

44.

À cet égard, il est important de relever que la Cour a déjà eu l’occasion de préciser à plusieurs reprises que la protection absolue attribuée à une marque, sous la forme du droit exclusif conféré à son titulaire par la réglementation applicable, vise précisément à permettre à ce dernier de protéger ses intérêts spécifiques en tant que titulaire de la marque, c’est-à-dire de garantir que la marque puisse remplir ses fonctions ( 34 ). L’article 9, paragraphe 1, du règlement no 207/2009 ne peut, à mon avis, être interprété que dans l’optique ainsi mise au jour par cette jurisprudence constante.

45.

Par ailleurs, comme le note à juste titre la Commission, subordonner l’exercice de l’action en contrefaçon à la déclaration de nullité de la marque postérieure équivaudrait à exposer la procédure en contrefaçon à un risque de retards disproportionnés dès lors que, outre le fait de devoir attendre la décision de l’OHMI à cet effet, qui interviendra déjà à l’issue de deux degrés de contrôle administratif interne, le titulaire de la marque antérieure risquerait de devoir attendre le résultat d’éventuels recours juridictionnels portés devant le Tribunal et, éventuellement, devant la Cour ( 35 ). La coexistence sur le marché de la marque antérieure et de la marque lui portant atteinte pourrait donc durer plusieurs années, avec, potentiellement, un grave préjudice pour le titulaire de la marque antérieure.

46.

En outre, la position du titulaire de la marque postérieure me paraît, en tout état de cause, être protégée contre d’éventuels exercices abusifs de l’action en contrefaçon de la part du titulaire d’une marque antérieure, dans la mesure où il dispose de la possibilité de se défendre devant le tribunal des marques communautaires, devant qui il peut se prévaloir d’un éventuel rejet sur le fond de l’opposition de la part de l’OHMI ( 36 ), ainsi que de la possibilité de former une demande reconventionnelle en déchéance ou nullité de la marque antérieure sur laquelle se fonde l’action en contrefaçon ( 37 ). Du reste, comme nous l’avons noté aux points 40 et 41, la portée de la protection de son titre dépend dès le début de l’absence de droits antérieurs entrant en conflit avec lui.

47.

Il résulte, à mon avis, des considérations qui précèdent que seule une interprétation de la notion de «tiers», figurant à l’article 9, paragraphe 1, du règlement no 207/2009, qui soit conforme au principe de priorité et de nature à inclure tout tiers, et par conséquent aussi le tiers titulaire d’une marque communautaire postérieure, est apte à garantir l’objectif de protection absolue des marques communautaires enregistrées poursuivi par le règlement no 207/2009.

48.

Au demeurant, en sus des considérations exposées ci-dessus, il existe d’autres éléments d’ordre littéral et systématique qui, à mon avis, militent en faveur de l’interprétation qui vient d’être proposée de l’article 9, paragraphe 1, du règlement no 207/2009.

49.

En effet, sur le plan littéral, il convient de relever que, si le règlement no 207/2009 ne contient pas de disposition expresse quant à la possibilité pour le titulaire d’une marque communautaire enregistrée antérieurement d’intenter une action en contrefaçon contre le titulaire d’une autre marque communautaire enregistrée ultérieurement, le texte de l’article 9, paragraphe 1, du règlement no 207/2009 confère au titulaire d’une marque communautaire enregistrée le droit exclusif d’utiliser cette marque et d’interdire «aux tiers» d’utiliser sans son consentement un signe portant atteinte à sa marque, sans distinguer selon que le tiers est ou non titulaire d’une marque communautaire enregistrée postérieurement ( 38 ). Il me semble d’ailleurs vraisemblable que le législateur l’aurait fait de manière explicite s’il avait voulu introduire dans la réglementation un principe de protection des titulaires de marques enregistrées postérieurement.

50.

Sur le plan de l’interprétation systématique, il convient ensuite de noter qu’aucune disposition du règlement no 207/2009 ne prévoit une éventuelle immunité au profit du tiers titulaire d’une marque postérieure, par rapport à l’interdiction prévue à l’article 9, paragraphe 1, dudit règlement ( 39 ), alors que ce règlement ne prévoit, en revanche, aucune restriction au droit exclusif conféré au titulaire d’une marque enregistrée ( 40 ). L’article 54 du règlement no 207/2009 revêt une importance particulière à cet égard. Il résulte en effet de cette disposition que ce n’est que dans le cas où les conditions qu’elle prévoit (la tolérance de l’usage pendant cinq années consécutives) sont remplies que l’action en nullité et celle en contrefaçon sont refusées au titulaire de la marque communautaire antérieure contre le titulaire d’une autre marque communautaire postérieure. On peut donc en déduire, a contrario, que, si ces conditions ne sont pas remplies, le titulaire de la marque antérieure peut parfaitement agir en contrefaçon contre le titulaire de la marque communautaire enregistrée postérieurement.

51.

L’article 54 du règlement no 207/2009 est important à cet égard, en outre, du point de vue de l’interprétation systématique de ce règlement. On peut déduire, en effet, de la distinction effectuée dans cet article entre la demande en nullité de la marque postérieure et l’opposition à l’usage de celle-ci que le règlement no 207/2009 considère l’action en nullité et celle en contrefaçon comme deux actions distinctes, en ne prévoyant aucune relation d’ordre préjudiciel entre les deux ( 41 ).

52.

En effet, précisément comme en matière de dessins et modèles communautaires, dans le domaine des marques également, le règlement no 207/2009 distingue clairement entre les deux types d’action, qui ont des objets, des effets et des finalités différents. D’une part, l’article 96 du règlement no 207/2009 a attribué aux tribunaux nationaux des marques communautaires la compétence exclusive pour connaître des litiges en matière de contrefaçon. D’autre part, pour ce qui est des demandes en nullité des marques, le règlement no 207/2009 a en revanche opté pour leur traitement centralisé auprès de l’OHMI, même si ce principe, tout comme dans le domaine des dessins et modèles, est tempéré par la possibilité, pour les tribunaux des marques, d’examiner les demandes reconventionnelles en nullité d’une marque communautaire enregistrée, présentées dans le contexte d’une action en contrefaçon. Aucun élément ne permet de considérer que le législateur a entendu subordonner l’exercice d’une action à l’exercice préalable ou simultané de l’autre ( 42 ).

53.

En outre, j’estime que l’interprétation proposée de la notion de «tiers» employée à l’article 9, paragraphe 1, du règlement no 207/2009 ne pose pas de problèmes particuliers dans la répartition des compétences entre les tribunaux des marques communautaires et l’OHMI. En effet, s’il est vrai que, comme je l’avais déjà mis en exergue pour le domaine des dessins et modèles ( 43 ), il existe aussi dans le domaine des marques la possibilité que la situation juridique de la marque postérieure reste indéterminée dans le cas où le titulaire de la marque communautaire qui a eu gain de cause dans son action en contrefaçon contre le titulaire de la marque communautaire n’agit pas pour faire déclarer la nullité de cette marque, il me semble néanmoins que les raisons qui m’avaient conduit à estimer que cette incertitude juridique ne peut pas être décisive pour l’interprétation de la notion de «tiers» contre qui le titulaire du dessin ou modèle ( 44 ) peut agir en contrefaçon sont applicables mutatis mutandis dans le domaine des marques ( 45 ). J’estime en revanche que, dans la mesure où, comme je l’ai relevé aux points 43 et 45, l’interprétation alternative mettrait en péril l’efficacité de l’action en contrefaçon, c’est celle-ci qui risquerait de porter préjudice au système de protection prévu par le règlement no 207/2009.

54.

Au vu de ce qui précède, la question déférée par la juridiction de renvoi doit être résolue, à mon avis, en déclarant que l’article 9, paragraphe 1, du règlement no 207/2009 doit être interprété en ce sens que, en cas de litige concernant la violation du droit exclusif conféré par une marque communautaire, le droit d’interdire aux tiers d’utiliser cette marque s’étend à tout tiers, y compris le tiers titulaire d’une marque communautaire enregistrée postérieurement.

55.

Afin de fournir à la juridiction de renvoi le cadre le plus complet possible, j’estime opportun de préciser que, si la Cour devait retenir l’interprétation de la notion de «tiers» figurant à l’article 9, paragraphe 1, du règlement no 207/2009 que j’ai proposée au point précédent, cette interprétation devrait nécessairement s’étendre au tiers titulaire d’une marque postérieure enregistrée dans un État membre, et ce indépendamment de la teneur des dispositions nationales pertinentes.

56.

Retenir une solution différente non seulement ne serait pas logique ni cohérent avec l’interprétation qui vient d’être donnée, mais mettrait en péril l’effet utile de l’article 9, paragraphe 1, du règlement no 207/2009 dans la mesure où elle permettrait, à travers l’enregistrement d’un signe au niveau national, de limiter la protection qui est conférée au titulaire de la marque communautaire antérieure par les dispositions du règlement no 207/2009. En outre, une interprétation différente serait, à mon avis, contraire au principe du caractère unitaire de la marque ( 46 ), dès lors que le titulaire de la marque communautaire antérieure serait protégé de manière différente dans les divers États membres, selon que le droit national lui confère ou non la possibilité d’agir contre le contrefacteur sans attendre l’annulation de la marque nationale postérieure portant atteinte à ses droits.

57.

Dans le même sens, j’estime enfin opportun d’observer que, conformément à la nécessité d’une interprétation uniforme du droit de l’Union, affirmée de façon répétée par la Cour ( 47 ), l’interprétation de la notion de «tiers» figurant à l’article 9, paragraphe 1, du règlement no 207/2009 ne pourra pas ne pas s’étendre à la notion correspondante figurant à l’article 5, paragraphes 1 et 2, de la directive 2008/95, rédigée en des termes équivalents ( 48 ).

V – Conclusion

58.

Sur la base des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre comme suit à la question posée par le Juzgado de lo Mercantil no 1 de Alicante y no 1 de Marca Comunitaria:

«L’article 9, paragraphe 1, du règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque communautaire, doit être interprété en ce sens que, en cas de litige concernant la violation du droit exclusif conféré par une marque communautaire, le droit d’interdire aux tiers d’utiliser cette marque s’étend à tout tiers utilisant un signe comportant un risque de confusion, y compris le tiers titulaire d’une marque communautaire enregistrée postérieurement.»


( 1 ) Langue originale: l’italien.

( 2 ) JO L 78, p. 1.

( 3 ) Arrêt du 16 février 2012, Celaya Emparanza y Galdos International (C‑488/10), dans lequel la Cour s’est prononcée sur une question préjudicielle posée par le Juzgado de lo Mercantil no 1 de Alicante portant sur l’interprétation de la notion de «tiers» au sens de l’article 19, paragraphe 1, du règlement (CE) no 6/2002 (JO 2002, L 3, p. 1).

( 4 ) Voir mes conclusions présentées le 8 novembre 2011, et en particulier points 20 à 23.

( 5 ) Parmi les nombreux arrêts rendus en ce sens, voir, tout récemment, arrêts du 28 février 2012, Inter-Environnement Wallonie et Terre wallonne (C‑41/11, point 35), et du 29 mars 2012, SAG ELV Slovensko e.a. (C‑599/10, point 15 et jurisprudence citée).

( 6 ) Arrêts du 16 juin 1981, Salonia (126/80, Rec. p. 1563, point 7), et du 8 mars 2012, Huet (C‑251/11, point 23).

( 7 ) Voir point 3 ci-dessus, ainsi que point 19 de mes conclusions dans cette affaire (précitée note 3).

( 8 ) Il est intéressant de noter qu’un problème analogue à celui de la présente affaire s’était déjà posé en Allemagne au début du siècle précédent, où il avait fait l’objet d’intenses débats au niveau des plus hautes juridictions de l’époque. Plus précisément, dans une première tendance jurisprudentielle, le Reichsgericht avait estimé que l’utilisation d’une marque enregistrée ne pouvait pas être jugée illégale tant que cette marque n’était pas annulée dans le registre des marques (voir, à ce propos, arrêt du Reichsgericht du 13 novembre 1906, II 155/06, RGZ 64, p. 273 et suiv., et en particulier p. 275). Toutefois, le même Reichsgericht avait par la suite «désavoué» cette solution dans un arrêt de 1927, dans lequel il avait considéré que l’illégalité objective liée à l’utilisation d’une marque enregistrée postérieurement résultait directement du droit prioritaire du signe antérieur (voir Reichsgericht, arrêt du 20 septembre 1927, II 409/26, RGZ 118, p. 76 et suiv., et en particulier p. 78 et 79).

( 9 ) Voir note 3.

( 10 ) Cité note 3.

( 11 ) Voir point 3 ci-dessus, ainsi que points 20 à 22 de mes conclusions relatives à l’affaire Celaya Emparanza y Galdos International (précitée note 3).

( 12 ) La procédure d’enregistrement des dessins et modèles est régie par le titre V (articles 45 à 50) du règlement no 6/2002.

( 13 ) Voir considérant 18 du règlement no 6/2002. Il convient, en outre, d’observer que l’article 47 de ce règlement prévoit une analyse, bien que relativement limitée, de certains «motifs de rejet de l’enregistrement».

( 14 ) Voir considérants 18 et 24 du règlement no 6/2002.

( 15 ) Les motifs de refus absolus sont prévus à l’article 7 du règlement no 207/2009 (voir aussi article 37 dudit règlement); les motifs de refus relatifs sont prévus à l’article 8 du règlement no 207/2009 (voir aussi articles 40 à 42 de ce règlement).

( 16 ) Voir article 40 du règlement no 207/2009.

( 17 ) Voir articles 41 et 42 du règlement no 207/2009. À cet égard, voir aussi la disposition de l’article 38 dudit règlement, qui prévoit une procédure de recherche des marques antérieures entrant potentiellement en conflit avec la marque demandée.

( 18 ) Voir point 23 de mes conclusions relatives à l’affaire Celaya Emparanza y Galdos International (précitée note 4).

( 19 ) Ibidem. La mise en place d’un tel système implique, par conséquent, que le domaine des marques ne peut pas se voir appliquer les considérations que j’avais développées dans mes conclusions concernant la possibilité théorique pour un contrefacteur de mauvaise foi, en cas de reconnaissance du caractère préjudiciel de l’action en nullité par rapport à l’action en contrefaçon, d’utiliser des moyens dilatoires en réitérant l’enregistrement de dessins ou modèles légèrement différents, théoriquement également après l’annulation du dessin ou modèle postérieur contesté, afin de continuer à commercialiser un produit substantiellement identique, avec pour effet de compromettre sérieusement le système et l’effet utile de la réglementation de l’Union en matière de dessins et modèles (voir points 31 à 33 de mes conclusions relatives à l’affaire Celaya Emparanza y Galdos International). En effet, des situations de ce type ne peuvent pas se produire dans le domaine des marques, dans la mesure où, dans de tels cas, le titulaire de la marque communautaire antérieure dispose toujours de la possibilité de bloquer préventivement l’enregistrement de la marque postérieure demandée de mauvaise foi, en s’opposant à son enregistrement en application de l’article 41 du règlement no 207/2009.

( 20 ) Le fait que de telles situations puissent se produire se déduit d’ailleurs du texte des articles 53, paragraphe 1, et 57, paragraphe 5, du règlement no 207/2009.

( 21 ) Voir point 22 ci-dessus.

( 22 ) Voir point 30 de mes conclusions relatives à cette affaire (précitée note 3).

( 23 ) L’article 9, paragraphe 1, du règlement no 207/2009, comme du reste l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2008, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO L 299, p. 25), à la différence de certains droits nationaux tels que le droit espagnol, et contrairement aussi au règlement no 6/2002, se borne à prévoir que la marque communautaire confère à son titulaire un «droit exclusif», spécifiant seulement que ce droit exclusif consiste dans la faculté d’interdire aux tiers l’usage dans le commerce des signes mentionnés aux points a), b) et c). Dans la doctrine, on a toutefois souligné que ce «droit exclusif» recouvre non seulement la faculté négative explicitée dans la règle – le jus excludendi – consistant dans le droit d’interdire aux tiers d’utiliser un signe identique ou similaire, mais aussi une faculté positive, à savoir le droit d’utiliser ce signe, le jus utendi, qui peut être exercé éventuellement aussi par l’attribution d’une marque sous licence. L’existence de ce droit à caractère positif est d’ailleurs inhérente à la propriété de la marque. En effet, comme l’a observé l’avocat général Jacobs aux points 33 et 34 de ses conclusions relatives à l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt du 14 mai 2002, Hölterhoff (C-2/00, Rec. p. I-4187), présentées le 20 septembre 2001, un opérateur enregistre une marque, avant tout, non pas pour en interdire l’usage aux tiers, mais pour l’utiliser lui-même. En outre, le droit d’usage est un élément central et essentiel du droit de propriété, y compris le droit de propriété intellectuelle.

( 24 ) En principe, le caractère prioritaire d’une marque est déterminé par la date de dépôt de la demande d’enregistrement de la marque (à cet égard, voir articles 8, paragraphe 2, et 27 du règlement no 207/2009). On trouve des définitions plus spécifiques du principe de priorité également au point 57 des conclusions de l’avocat général Trstenjak relatives à l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt du 22 septembre 2011, Budějovický Budvar (C-482/09, Rec. p. I-8701), ainsi qu’au point 54 des conclusions de l’avocat général Jääskinen relatives à l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt du 22 mars 2012, Génesis (C‑190/10).

( 25 ) Voir points 39 et 40 de cet arrêt (précité note 3).

( 26 ) Voir, par exemple, considérant 7, ainsi qu’article 8, sections 2, 3 et 4, du titre III (articles 29 à 35) et articles 41, 42, 53 et 54 du règlement.

( 27 ) Voir, par exemple, article 4, paragraphes 1, 2, 3 et 4, articles 5, 6, paragraphe 2, 9, 11, paragraphe 4, et 14 de la directive 2008/95.

( 28 ) Voir, par exemple, article 4, A. 1 et B, de la convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle, signée à Paris le 20 mars 1883, révisée en dernier lieu à Stockholm le 14 juillet 1967 et modifiée le 28 septembre 1979 (Recueil des Traités des Nations unies, vol. 828, no 11851, p. 305). La version française de cette convention peut être consultée sur le site suivant: www.wipo.int/treaties/fr/ip/paris/trtdocs_wo020.html.

( 29 ) Voir considérant 7, ainsi qu’articles 4 et 6 du règlement no 207/2009.

( 30 ) Ce que le titulaire de la marque pourra faire avec la demande de nullité de la marque antérieure, portée devant l’OHMI, ou éventuellement avec une demande reconventionnelle formée devant le tribunal des marques devant lequel il est assigné pour contrefaçon.

( 31 ) Ce que le titulaire de la marque postérieure pourra faire devant le tribunal des marques devant lequel il est assigné pour contrefaçon.

( 32 ) Certes, on pourrait éventuellement objecter que tant l’absence d’opposition que le rejet de l’opposition pour des problèmes de nature procédurale tels que celui propre à l’affaire au principal (le défaut de paiement de la taxe d’opposition) sont dus à une sorte de «négligence» du titulaire de la marque antérieure qui n’a pas exercé, ou a mal exercé, la faculté de former opposition qui lui est reconnue par le règlement no 207/2009. C’est pourquoi, contrairement à ce qui se passe dans le domaine des dessins et modèles, dans celui des marques, le titulaire de la marque antérieure pourrait être considéré comme au moins partiellement responsable de la survenance de l’enregistrement de la marque postérieure et donc de la situation d’incertitude juridique créée. Cette responsabilité pourrait donc être «sanctionnée» par l’obligation d’attendre la déclaration de nullité de la marque postérieure avant de pouvoir agir en contrefaçon pour faire protéger la marque antérieure. À cette objection possible, je répondrai, en premier lieu, qu’il n’est pas dit que l’absence de formation d’une opposition soit nécessairement due à une négligence du titulaire de la marque antérieure. Il se pourrait, par exemple, que le risque de confusion entre deux marques ne devienne évident qu’à la suite de l’usage concret qui est fait du signe postérieur et donc uniquement à partir du moment où les deux signes en conflit coexistent sur le marché. En second lieu, et en toute hypothèse, j’estime que l’absence d’exercice, ou le mauvais exercice, de la faculté de former opposition n’est pas de nature à remettre en question l’application d’un principe fondamental en matière de marques tel que celui de la priorité, en vertu duquel le droit antérieur prévaut sur le droit postérieur.

( 33 ) C’est-à-dire, comme on l’a vu au point 40 ci-dessus, la fonction de garantir au consommateur ou à l’utilisateur final l’identité d’origine du produit ou du service désigné par la marque, en lui permettant de distinguer sans confusion possible ce produit ou ce service de ceux qui ont une autre provenance. Voir, à cet égard, l’abondante jurisprudence en ce sens, et récemment arrêt du 15 mars 2012, Strigl et Securvita (C‑90/11 et C‑91/11, point 30).

( 34 ) Voir, par analogie, en ce qui concerne l’article 5, paragraphe 1, de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 1989, L 40, p. 1, abrogée et remplacée par la directive 2008/95), arrêts du 18 juin 2009, L’Oréal e.a. (C-487/07, Rec. p. I-5185, point 58), et du 19 juillet 2012, Pie Optiek (C‑376/11, point 46 et jurisprudence citée). Il convient, en outre, d’observer que, selon la jurisprudence citée, figurent au nombre de ces fonctions non seulement la fonction essentielle mentionnée ci-dessus au point 40 et à la note précédente, mais aussi les autres fonctions de la marque, notamment celle de garantir la qualité du produit ou du service en cause, ou celle de communication, d’investissement ou de publicité.

( 35 ) À cet égard, voir titre VII du règlement no 207/2009, et en particulier articles 58, 64, paragraphe 3, et 65.

( 36 ) Certes, la décision de rejet sur le fond de l’opposition par l’OHMI ne liera pas la juridiction nationale. Elle constituera cependant à tout le moins, en fonction des différentes règles procédurales nationales, un «élément de preuve significatif» de l’absence de contrefaçon. Du reste, même s’il recourt aux mêmes critères que ceux utilisés par l’OHMI dans le cadre d’une opposition, étant donné la correspondance entre la situation prévue à l’article 8, paragraphe 1, sous a) et b), et paragraphe 5, d’une part, et celle prévue à l’article 9, paragraphe 1, sous a), b) et c), du règlement no 207/2009, d’autre part, l’examen de la contrefaçon auquel doit procéder la juridiction nationale n’est pas exactement identique à l’examen pratiqué par l’OHMI. Il s’en distingue par le fait que, dans le cadre de l’action en contrefaçon, la comparaison effectuée entre les signes en cause et les produits pour la désignation desquels ils sont utilisés se fait concrètement par une analyse ex post de la situation réelle de leur usage sur le marché, et non, comme dans la procédure d’opposition, par une analyse ex ante de type prévisionnel et abstrait, fondée principalement sur les éléments des demandes d’enregistrement.

( 37 ) Voir articles 96, sous d), et 100 du règlement no 207/2009.

( 38 ) À cet égard, j’observe que, si les versions italienne et allemande du règlement no 207/2009 font référence de manière générale aux «terzi» et «Dritten», les versions française, anglaise et espagnole sont encore plus explicites dans leur référence à une interdiction faite à tout tiers, puisqu’elles emploient respectivement les expressions «tout tiers», «all third parties» et «cualquier tercero».

( 39 ) On ne saurait, à mon avis, déduire une éventuelle immunité de ce genre, comme prétend le faire FCIPPR dans ses observations, des termes de l’article 6 du règlement no 207/2009, qui prévoit que la marque communautaire s’acquiert avec l’enregistrement. En effet, cette disposition doit, elle aussi, être interprétée, comme toutes les autres dispositions du règlement no 207/2009, à la lumière du principe de priorité (voir point 39 ci-dessus).

( 40 ) En particulier, outre l’article 54 du règlement no 207/2009, analysé dans la suite du texte, on peut citer l’article 12 du même règlement, qui prévoit certaines limites à la faculté pour le titulaire d’interdire aux tiers l’usage dans le commerce de la marque communautaire, ainsi que l’article 13 du règlement no 207/2009, qui dispose que le droit conféré par la marque communautaire ne permet pas au titulaire d’en empêcher l’usage pour des produits mis dans le commerce dans l’Union par le titulaire lui-même ou avec son consentement.

( 41 ) Comme l’a fait observer à juste titre la Commission, d’autres dispositions du règlement no 207/2009, telles que l’article 1er, paragraphe 2, ou l’article 110, établissent expressément une distinction entre les deux actions.

( 42 ) Il convient de noter, à cet égard, que l’article 100, paragraphe 7, du règlement no 207/2009 dispose que le tribunal des marques communautaires saisi d’une demande reconventionnelle en déchéance ou en nullité peut suspendre la procédure, à la demande du titulaire de la marque communautaire, et, après avoir entendu les autres parties, inviter le défendeur à présenter une demande de déchéance ou de nullité devant l’OHMI. Cette règle cependant, en premier lieu, attribue une simple faculté au tribunal de suspendre la procédure, en deuxième lieu, vise à éviter un conflit de décisions concernant la nullité de la marque antérieure et, en troisième lieu et en toute hypothèse, concerne exclusivement l’éventuelle nullité de la marque antérieure invoquée au soutien de l’action en contrefaçon, et non l’éventuelle légitimité de l’enregistrement postérieur du signe faisant l’objet de l’action en contrefaçon.

( 43 ) Voir mes conclusions relatives à l’affaire Celaya Emparanza y Galdos International (précitée note 3), points 39 à 44.

( 44 ) Dans mes conclusions relatives à l’affaire Celaya Emparanza y Galdos International, précitée, aux points 39 à 44, j’avais montré, d’une part, que l’éventualité que le titulaire du titre postérieur l’utilise après avoir succombé dans une action en contrefaçon était faible et, d’autre part, qu’en cas d’usage de ce titre – encore formellement valide, puisqu’il n’a pas été déclaré nul – dans une action en contrefaçon vis-à-vis d’un tiers, ce dernier dispose de la possibilité de le faire déclarer nul à titre reconventionnel.

( 45 ) Certes, en cas de succès d’une action en contrefaçon contre une marque communautaire postérieure enregistrée à la suite du rejet d’une opposition sur le fond s’appuyant sur la même marque communautaire antérieure que celle invoquée au soutien de l’action en contrefaçon, il existerait un conflit potentiel entre la décision adoptée par l’OHMI dans le cadre de la procédure d’opposition et la décision du tribunal des marques. Toutefois, ce cas de figure me semble peu probable, étant donné la nature d’«élément de preuve significative», mentionnée à la note 36, que la décision de l’OHMI devrait revêtir dans la procédure nationale quant à l’absence de contrefaçon. En outre, un tel conflit pourrait éventuellement se justifier à la lumière des optiques différentes de la procédure d’opposition et de l’action en contrefaçon, mentionnées à la note 36 également.

( 46 ) Voir considérant 3 et article 1er, paragraphe 2, du règlement no 207/2009.

( 47 ) Voir, notamment, arrêts du 16 juillet 2009, Hadadi (C-168/08, Rec. p. I-6871, point 38); du 21 octobre 2010, Padawan (C-467/08, Rec. p. I-10055, point 32), et du 16 juin 2011, Omejc (C-536/09, Rec. p. I-5367, point 19).

( 48 ) La Cour a d’ailleurs interprété à plusieurs reprises de façon parallèle l’article 9 du règlement no 207/2009 et la disposition correspondante de la directive 2008/95 ou, antérieurement, de la première directive 89/104. Voir arrêt du 22 septembre 2011, Interflora et Interflora British Unit (C-323/09, Rec. p. I-8625, point 38 et jurisprudence citée).


Conclusions de l'avocat général

Conclusions de l'avocat général

1. Par la présente demande de décision préjudicielle, le Juzgado de lo Mercantil n o  1 de Alicante (Espagne) pose à la Cour une question relative à l’interprétation de l’article 9, paragraphe 1, du règlement (CE) n o  207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque communautaire (2) .

2. La question que la Cour est appelée à résoudre concerne la définition de la notion de «tiers» contre lequel, conformément à la législation en vigueur, le titulaire d’une marque communautaire peut intenter une action en contrefaçon. Il conviendra, en particulier, de préciser si cette notion, au sens de l’article 9, paragraphe 1, du règlement n o  207/2009, inclut également le titulaire de la marque communautaire postérieure enregistrée, et si, dans un tel cas, le titulaire d’une marque communautaire antérieure doit, pour pouvoir agir en contrefaçon contre le titulaire de la marque communautaire postérieure, demander au préalable à l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieure (marques, dessins, modèles) (OHMI) de déclarer nulle la marque communautaire postérieure.

3. Il convient d’observer dès à présent que le problème sous-jacent à la question soulevée dans cette affaire, qui, comme nous le verrons par la suite fait également l’objet de vifs débats dans la doctrine et la jurisprudence en Espagne, n’est pas entièrement nouveau. En effet, la Cour s’est récemment prononcée sur une demande de décision préjudicielle présentée par la même juridiction de renvoi que dans la présente affaire, concernant une question tout à fait analogue, à propos de l’interprétation du règlement (CE) n o  6/2002 du Conseil, du 12 décembre 2001, sur les dessins ou modèles communautaires (3) . Dans mes conclusions relatives à cette affaire (4), j’ai déjà relevé que, au vu des différences importances existant entre les procédures d’enregistrement des dessins et modèles communautaires, d’une part, et des marques communautaires, d’autre part, les considérations qui valent pour un domaine ne peuvent pas automatiquement être appliquées à l’autre. Dans l’analyse de la question posée par la juridiction de renvoi dans la présente affaire, j’estime qu’il faudra tenir compte de l’approche retenue par la Cour dans l’arrêt Celaya Emparanza y Galdos International, sans néanmoins perdre de vue les importantes différences procédurales existant entre le domaine des marques et celui des dessins et modèles.

I – Le cadre juridique

4. Aux termes du considérant 7 du règlement n o  207/2009, l’enregistrement de la marque communautaire est refusé notamment lorsque des droits antérieurs s’y opposent. Aux termes du considérant 8, la protection conférée par la marque communautaire, dont le but est notamment de garantir la fonction d’origine de la marque, devrait être absolue en cas d’identité entre la marque et le signe et entre les produits ou services, et cette protection vaut également en cas de similitude entre la marque et le signe, et entre les produits ou services. Ce considérant indique, en outre, qu’il y a lieu d’interpréter la notion de similitude en relation avec le risque de confusion.

5. L’article 9, paragraphe 1, du règlement n o  207/2009 indique quels sont les droits conférés par la marque communautaire à son titulaire:

«La marque enregistrée confère à son titulaire un droit exclusif. Le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage, dans la vie des affaires:

a) d’un signe identique à la marque pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels celle-ci est enregistrée;

b) d’un signe pour lequel, en raison de son identité ou de sa similitude avec la marque et en raison de l’identité ou de la similitude des produits ou des services couverts par la marque et le signe, il existe, dans l’esprit du public, un risque de confusion qui comprend le risque d’association entre le signe et la marque;

c) d’un signe identique ou similaire à la marque communautaire pour des produits ou des services qui ne sont pas similaires à ceux pour lesquels la marque communautaire est enregistrée, lorsque celle-ci jouit d’une renommée dans la Communauté et que l’usage du signe sans juste motif tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque communautaire ou leur porte préjudice.»

6. L’article 54 du règlement n o  207/2009, intitulé «Forclusion par tolérance», prévoit que le titulaire d’une marque communautaire qui a toléré pendant cinq années consécutives l’usage d’une marque communautaire postérieure dans l’Union en connaissance de cet usage ne peut plus demander la nullité ni s’opposer à l’usage de la marque postérieure sur la base de cette marque antérieure.

II – Les faits, la procédure au principal et la question préjudicielle

7. La Fédération cynologique internationale, demanderesse au principal (ci-après «FCI»), association internationale créée en 1911 pour soutenir la cynologie, est titulaire de la marque communautaire mixte n o  4438751, demandée le 28 juin 2005 et enregistrée le 5 juillet 2006 pour certains services compris dans les classes 35, 41, 42 et 44 au sens de l’arrangement de Nice du 15 juin 1957 concernant la classification internationale des produits ou services aux fins de l’enregistrement des marques, tel que révisé et modifié. Cette marque est reproduite, à titre informatif, ci-après:

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8. La Federación Canina Internacional de Perros de Pura Raza, défenderesse au principal (ci-après «FCIPPR»), association de droit privé constituée en 2004, est titulaire de trois marques nationales espagnoles enregistrées pour certains produits et services compris dans la classe 16:

– la marque nominative n o  2614806, «FEDERACIÓN CANINA INTERNACIONAL DE PERROS DE PURA RAZA – FCI», demandée le 23 septembre 2004 et enregistrée le 20 juin 2005;

– la marque mixte n o  2786697, «FEDERACIÓN CANINA INTERNACIONAL DE PERROS DE PURA RAZA», demandée le 9 août 2007 et enregistrée le 12 mars 2008;

– la marque mixte n o  2818217, «FEDERACIÓN CINOLOGICA INTERNACIONAL + FCI», demandée le 11 février 2008 et enregistrée le 26 août 2008.

9. Le 12 février 2009, FCIPPR a demandé à l’OHMI d’enregistrer le signe reproduit ici en tant que marque communautaire pour certains produits compris dans la classe 16:

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10. Le 5 février 2010, FCI a formé opposition à l’enregistrement de ce signe en tant que marque communautaire. Toutefois, en raison d’une irrégularité formelle tenant à l’absence de paiement de la taxe d’opposition, l’opposition a été rejetée et ainsi le signe reproduit au point précédent a été enregistré le 3 septembre 2010 en tant que marque communautaire sous le n o  7597529.

11. Le 18 juin 2010, FCI a intenté devant la juridiction de renvoi une action en nullité contre les marques nationales mentionnées au point 8, motif pris de l’existence d’un risque de confusion avec sa marque n o  4438751, reproduite au point 7, ainsi qu’une action en contrefaçon de cette marque. Dans le cadre de cette procédure, FCIPPR a contesté l’existence d’un risque de confusion entre ses marques nationales et la marque communautaire n o  4438751 et a formé une demande reconventionnelle, en vue d’obtenir l’annulation de cette marque communautaire, au motif qu’elle aurait été enregistrée de mauvaise foi et créerait un risque de confusion avec sa propre marque nationale antérieure n o  2614806.

12. Puis, le 18 novembre 2010, FCI a demandé à l’OHMI d’annuler la marque communautaire n o  7597529, enregistrée au profit de FCIPPR. Le 20 septembre 2011, l’OHMI a toutefois décidé de suspendre la procédure dont il était saisi, à la demande de FCIPPR et en raison du fait que la procédure ayant donné lieu à la présente demande préjudicielle était pendante.

13. La juridiction de renvoi estime que, dans la procédure pendante devant elle, il y a lieu de déterminer si le droit exclusif que l’article 9, paragraphe 1, du règlement n o  207/2009 confère au titulaire d’une marque communautaire, en l’occurrence FCI, peut être opposé à un tiers, y compris le tiers titulaire d’une marque communautaire enregistrée postérieurement, en l’occurrence FCIPPR, tant que cette marque postérieure n’a pas été annulée.

14. Dans ce contexte, le juge de renvoi a sursis à statuer et a saisi la Cour de la question préjudicielle suivante:

«Dans un litige portant sur la violation du droit exclusif conféré par une marque communautaire, le droit d’interdire à des tiers d’utiliser celle-ci dans la vie des affaires, qui est institué à l’article 9, paragraphe 1, du [règlement n o  207/2009], s’étend-il à tout tiers qui utilise un signe impliquant un risque de confusion (en raison d’une similitude avec la marque communautaire et du fait que les produits ou les services sont similaires) ou exclut-il au contraire le tiers qui utilise ce signe prêtant à confusion enregistré en sa faveur en tant que marque communautaire tant que cet enregistrement postérieur n’est pas annulé?»

III – La procédure devant la Cour

15. Le greffe a reçu l’ordonnance de renvoi le 8 novembre 2011. Ont déposé des observations écrites FCI, FCIPPR, les gouvernements hellénique et italien, ainsi que la Commission européenne. À l’audience, qui a eu lieu le 3 octobre 2012, sont intervenus FCI, le gouvernement hellénique et la Commission.

IV – Analyse juridique

A – Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle

16. Il convient, à titre préliminaire, d’analyser les arguments soulevés par FCI dans ses observations écrites, visant à exciper de l’irrecevabilité de la demande de décision préjudicielle. FCI soutient, tout d’abord, que la question posée par la juridiction de renvoi ne serait pas nécessaire pour résoudre le litige dans l’affaire au principal. L’action en contrefaçon et l’action en nullité intentées par FCI dans cette affaire seraient dirigées uniquement contre les marques nationales dont FCIPPR est titulaire, et non contre la marque communautaire postérieure n o  7597529, dont l’enregistrement serait intervenu après l’introduction du recours dans l’affaire au principal. En outre, cette question aurait été soulevée d’office par la juridiction de renvoi sans que les parties aient eu l’occasion de s’exprimer à son sujet, comme elles devaient pouvoir le faire.

17. Aux fins de l’examen, en premier lieu, de la pertinence de la question posée par la juridiction de renvoi dans l’affaire au principal, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence constante, les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une demande introduite par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique, ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (5) .

18. Dans la présente affaire, aucun élément ne permet de considérer que la juridiction nationale a formulé une question hypothétique ou dépourvue de tout rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal. Il résulte, au contraire, de l’ordonnance de renvoi que, dans la procédure au principal, FCI a, d’une part, dénoncé l’usage illégal qui est fait de la marque communautaire postérieure dans le cadre des écritures qu’elle a déposées postérieurement à l’enregistrement de celle-ci et, d’autre part, demandé la cessation de l’usage de tout signe susceptible d’être confondu avec la marque communautaire antérieure, demande qui inclut par conséquent aussi la marque communautaire postérieure.

19. En second lieu, sur le fait que la juridiction de renvoi a soulevé d’office la question préjudicielle, il suffit de rappeler que, en vertu de la jurisprudence constante, le fait que les parties à la procédure au principal n’aient pas soulevé, devant la juridiction de renvoi, un problème de droit de l’Union n’empêche pas que la Cour puisse en être saisie par cette juridiction. En prévoyant la saisine à titre préjudiciel de la Cour lorsqu’«une question est soulevée devant une juridiction nationale», l’article 267, deuxième et troisième alinéas, TFUE n’entend pas limiter cette saisine aux seuls cas où l’une ou l’autre des parties au principal a pris l’initiative de soulever une question d’interprétation ou de validité du droit de l’Union, mais couvre également les cas où une telle question est soulevée par la juridiction nationale elle-même, qui estime une décision de la Cour sur ce point «nécessaire pour rendre son jugement» (6) .

20. À mon avis, il résulte des considérations qui précèdent que la question préjudicielle doit être jugée recevable.

B – Sur la question préjudicielle

1. Observations préliminaires

21. Comme je l’ai mentionné plus haut, et comme je l’avais déjà souligné dans mes conclusions relatives à l’affaire Celaya Emparanza y Galdos International (7), la question soulevée par la juridiction de renvoi concernant la définition de la personne (le «tiers») contre qui le titulaire d’une marque peut intenter une action en contrefaçon et celle, connexe, de l’éventuelle existence d’un rapport préjudiciel entre l’action en nullité et l’action en contrefaçon, en cas de conflit entre les titulaires de marques enregistrées, font actuellement l’objet de vifs débats au sein de la doctrine et de la jurisprudence en Espagne, même s’il faut préciser que ces questions ne sont pas totalement inédites dans le panorama juridique européen (8) .

22. Comme l’indique le Juzgado de lo Mercantil n o  1 de Alicante dans son ordonnance de renvoi, il existe en effet actuellement en Espagne une jurisprudence du Tribunal Supremo qui, en matière de marques, en application d’une doctrine dite de l’«inmunidad registral» considère l’existence de l’enregistrement d’une marque comme constitutive de protection face à une action en contrefaçon, et subordonne donc l’exercice d’une telle action à l’obtention de la déclaration de nullité de la marque, même si celle-ci a été enregistrée postérieurement à la marque invoquée à l’appui de l’action en contrefaçon. En substance, selon cette thèse, on n’est pas en présence d’un acte illégal tant que le prétendu contrefacteur utilise une marque enregistrée, si bien qu’il n’est possible d’agir en contrefaçon qu’après avoir obtenu l’annulation de la marque enregistrée postérieurement.

23. Dans l’arrêt précité Celaya Emparanza y Galdos International (9), la Cour, appelée à se prononcer sur une question analogue à celle soulevée dans la présente affaire, dans le domaine des dessins et modèles comm unautaires, a opté, dans ce domaine, pour une approche différente de celle correspondant à la doctrine de l’«inmunidad registral» et a déclaré que le droit d’interdire aux tiers d’utiliser un dessin ou modèle communautaire, conféré par le règlement n o  6/2002 (10), s’étend à tout tiers qui utilise un dessin ou modèle non différent, y compris le tiers titulaire d’un dessin ou modèle communautaire enregistré postérieurement. La Cour a estimé, par conséquent, que le fait qu’un dessin ou modèle soit enregistré ne conférait pas à son titulaire une «immunité» face à une action en contrefaçon tant que l’annulation de son titre n’était pas intervenue, et a donc, en substance, rejeté l’existence d’un rapport de subordination entre l’action en nullité et l’action en contrefaçon en cas de conflit entre des dessins et modèles enregistrés.

24. J’ai déjà rappelé que le domaine des dessins et modèles présente des différences importantes avec celui des marques, concernant en particulier les modalités et les procédures d’enregistrement du titre de propriété intellectuelle correspondant, et que ces différences empêchent que l’on transpose automatiquement à un domaine les considérations et décisions jurisprudentielles valant pour l’autre domaine (11) . Il faut donc, à mon avis, partir de l’analyse des différences procédurales existant entre les deux domaines pour, ensuite, rechercher si celles-ci justifient que l’on retienne effectivement dans le domaine des marques une approche différente de celle adoptée dans le domaine des dessins et modèles.

2. Sur les différences concernant les procédures d’enregistrement des dessins et modèles et des marques

25. Dans mes conclusions précitées relatives à l’affaire Celaya Emparanza y Galdos International, j’ai relevé que la différence fondamentale en ce qui concerne les modalités d’enregistrement des dessins et modèles, d’une part, et des marques, d’autre part, consiste dans le fait que, pour ces dernières – et non pour les dessins et modèles – la réglementation applicable prévoit une procédure d’enregistrement sensiblement plus complexe, qui inclut un examen préliminaire de la part de l’OHMI, que nous pourrions qualifier d’examen «au fond», dans le cadre duquel les tiers peuvent présenter des observations ou également former opposition à l’enregistrement de la marque.

26. Plus spécifiquement, l’enregistrement d’un dessin ou modèle se fait de manière presque automatique par le biais d’une procédure simplifiée, qui comporte un simple contrôle formel de la demande d’enregistrement de la part de l’OHMI (12) . Le règlement n o  6/2002 ne prévoit ni un examen approfondi préliminaire à l’enregistrement, visant à vérifier l’existence des conditions requises pour l’obtention de la protection (13), ni aucune forme d’intervention ni possibilité d’opposition de la part des tiers au cours de la procédure d’enregistrement. Si une procédure simplifiée de ce type a été prévue pour l’enregistrement d’un dessin ou modèle communautaire, c’est dans le but de réduire au minimum les formalités et autres obstacles procéduraux et administratifs, ainsi que les coûts pour les demandeurs, rendant ainsi l’enregistrement plus accessible aux entreprises de petites et moyennes dimensions, et aux créateurs individuels (14) .

27. Dans le domaine des marques, au contraire, le règlement n o  207/2009 prévoit une forme de contrôle ex ante, préalable à l’enregistrement de la marque communautaire, dans le cadre duquel l’OHMI procède à une analyse de la demande d’enregistrement qui ne se limite pas à un simple contrôle formel, mais porte sur le fond de cette demande, en examinant l’existence éventuelle de motifs de refus de l’enregistrement, absolus ou relatifs (15) . Au cours de cette procédure, d’un côté, les tiers disposent de la possibilité, après publication de la demande de marque communautaire, d’adresser à l’OHMI des observations écrites précisant les motifs pour lesquels la marque devrait être exclue d’office de l’enregistrement, en particulier en raison de l’existence de motifs absolus de refus de l’enregistrement (16) . D’un autre côté, les titulaires de droits antérieurs disposent de la faculté de former opposition à l’enregistrement de la marque en question, en faisant valoir l’existence de motifs relatifs de refus de l’enregistrement (17) .

28. Dans le domaine des marques, la situation des tiers et, en particulier, des détenteurs de droits antérieurs est donc mieux protégée, et ce dès le stade initial de la procédure. En effet, le système offre à ces personnes des facultés procédurales dont elles ne disposent pas en matière de dessins et modèles. Plus spécifiquement, le règlement n o  207/2009 offre au titulaire d’une marque antérieure la possibilité de s’opposer préventivement à l’enregistrement d’une marque postérieure qu’il juge contraire à sa propre marque enregistrée, possibilité qui n’est pas offerte, en revanche, du fait des impératifs de célérité mentionnés au point 26, au titulaire du dessin ou modèle.

29. Les différences que nous venons d’évoquer concernant la procédure d’enregistrement ont pour conséquence que l’enregistrement d’une marque, intervenu à l’issue d’une procédure complexe, doit être considéré avec plus d’«égard» que celui d’un dessin ou modèle (18) . La mise en place d’un système de protection ex ante, tel que celui prévu par le règlement n o  207/2009, implique ainsi que le risque d’enregistrements abusifs de marques, ou en tout cas d’enregistrements portant atteinte à des droits antérieurs, est nettement moins élevé que dans le contexte des dessins et modèles (19) . L’enregistrement d’un signe en tant que marque communautaire, obtenu à l’issue d’une procédure de ce genre, confère donc au titulaire un degré plus élevé de sécurité juridique quant au fait que sa marque communautaire ne porte pas atteinte à des droits antérieurs.

30. Ces considérations ne signifient cependant pas que, dans le domaine des marques, le risque d’enregistrements portant atteinte à des droits antérieurs soit totalement exclu et que l’on ne pourra pas rencontrer, dans ce domaine également, des cas dans lesquels une marque communautaire est enregistrée, alors qu’elle est susceptible de porter préjudice au droit exclusif conféré au titulaire d’une autre marque enregistrée antérieurement. Des situations de ce genre peuvent se rencontrer par exemple dans l’hypothèse où le titulaire de la marque postérieure n’a pas fait opposition à l’enregistrement de la marque antérieure ou, comme dans le cas objet de l’affaire au principal, lorsque l’opposition n’a pas été menée à son terme avec succès pour des raisons indépendantes de l’analyse de fond, telles que des raisons de nature procédurale (20) .

31. Par conséquent, bien qu’ils soient beaucoup moins probables, il peut exister dans le domaine des marques également des cas où, à l’instar de ce qui peut se produire dans le domaine des dessins ou modèles, est enregistrée une marque communautaire susceptible de porter atteinte à la fonction d’origine d’une autre marque enregistrée antérieurement. C’est pour cette raison, d’ailleurs, que, à l’instar de ce qui est prévu dans le domaine des dessins et modèles, le règlement n o  207/2009 prévoit des formes de protection que l’on pourrait qualifier de protection ex post, à savoir précisément l’action en nullité et l’action en contrefaçon, qui sont destinées respectivement à expurger du système les marques qui n’auraient pas dû y être enregistrées et à inhiber les effets des signes portant atteinte à une marque antérieure. Ces formes, je les qualifie de protection ex post dans la mesure où, en cas de conflit entre des marques enregistrées, elles ne peuvent être mises en œuvre par le titulaire de la marque antérieure, pour protéger sa propre marque, qu’après l’enregistrement de la marque postérieure contrefaisante ou dommageable, et ce indépendamment du point de savoir si une éventuelle opposition à l’enregistrement de la marque postérieure objet de l’action a été formée ou du résultat de celle-ci.

32. En réalité, il me semble que c’est précisément là le cœur du problème qui se pose dans la présente affaire: le fait que, dans le domaine des marques, il existe une forme de protection ex ante – consistant dans la possibilité pour le titulaire d’une marque antérieure de former opposition à l’enregistrement d’une autre marque –, venant s’ajouter aux formes de protection ex post communes tant au domaine des dessins et modèles qu’à celui des marques, pourrait-il justifier que l’on retienne une approche différente de celle retenue par la Cour dans l’arrêt précité Celaya Emparanza y Galdos International, en excluant de la notion de tiers au sens de l’article à l’article 9, paragraphe 1, du règlement n o  207/2009 le titulaire d’une marque postérieure régulièrement enregistrée aussi longtemps que cette marque n’a pas été annulée? Comme je l’expliquerai en détails ci-après, la réponse à cette question est, à mon avis, négative.

3. Sur la question préjudicielle

33. Par la question posée, la juridiction de renvoi invite la Cour à interpréter la notion de «tiers» au sens de l’article 9, paragraphe 1, du règlement n o  207/2009, demandant si, en vertu de cette disposition, le titulaire d’une marque communautaire enregistrée peut agir directement en contrefaçon contre le titulaire d’une marque communautaire enregistrée par la suite, ou si, au contraire, il ne peut le faire qu’après avoir obtenu la déclaration de nullité de la marque communautaire postérieure.

34. La juridiction de renvoi, dans son ordonnance, souligne que des motifs d’ordre littéral, systématique, logique et fonctionnel plaident en faveur d’une interprétation de la disposition en cause conforme à celle retenue par la Cour dans l’arrêt Celaya Emparanza y Galdos International, précité, pour les dessins et modèles, qui admettrait que le titulaire d’une marque communautaire enregistrée peut interdire à tout tiers d’utiliser un signe compris dans les catégories indiquées à l’article 9, paragraphe 1, sous a), b) et c), du règlement n o  207/2009, indépendamment du point de savoir si ce signe a été enregistré postérieurement ou non par le tiers en tant que marque communautaire. Ont pris position en faveur de cette approche FCI, la Commission et les gouvernements hellénique et italien.

35. Cependant, la juridiction de renvoi souligne que l’article 9, paragraphe 1, du règlement n o  207/2009 pourrait aussi être interprété conformément à la jurisprudence espagnole, en application de la doctrine de l’«inmunidad registral» (21), comme s’opposant à ce que le titulaire d’une marque communautaire antérieure interdise l’usage d’une marque enregistrée postérieurement tant que celle-ci n’a pas été déclarée nulle. La deuxième interprétation possible se fonderait sur le principe qui jure suo utitur, neminem laedit, en vertu duquel celui qui exerce un droit qui lui appartient, en l’espèce le droit d’usage découlant de l’enregistrement de la marque communautaire postérieure, ne cause préjudice à personne. FCIPPR a défendu cette position, insistant en particulier sur la nécessité de protéger le droit exclusif conféré par l’enregistrement de la marque, en application du principe de la sécurité juridique.

36. Or, tout comme dans l’affaire Celaya Emparanza y Galdos International, nous nous trouvons confrontés à une situation dans laquelle, quelle que soit la solution choisie, un titre de propriété intellectuelle, ici une marque enregistrée, finit par ne pas donner une protection intégrale et absolue à son titulaire (22) .

37. En effet, si l’on se place du point de vue de la marque antérieure, dans l’hypothèse où l’on devrait conclure que son titulaire peut agir en contrefaçon contre le titulaire de la marque enregistrée postérieurement, cette solution impliquerait un affaiblissement du degré de protection garanti au titulaire de la marque postérieure, qui pourrait s’en voir interdire l’usage, bien que la marque ait été régulièrement enregistrée. Inversement, si l’on se place du point de vue de la marque postérieure, et si l’on devait considérer que la déclaration de nullité préalable de cette marque conditionne l’action en contrefaçon visant à protéger la marque antérieure, la protection assurée par cette dernière perdrait de sa force, dans la mesure où l’enregistrement de cette marque ne garantirait pas à son titulaire le droit exclusif de l’utiliser, conféré par l’article 9, paragraphe 1, du règlement n o  207/2009, tout au moins aussi longtemps que la marque postérieure, identique ou similaire, n’a pas été annulée.

38. Dans le premier cas, on ferait prévaloir le jus excludendi du titulaire de la marque antérieure, c’est-à-dire le droit pour celui-ci d’interdire aux tiers d’utiliser sans son consentement le signe qui constitue la marque, sur le jus utendi du titulaire de la marque postérieure, c’est-à-dire le droit d’utiliser le signe qui constitue cette marque (23) . Dans le second cas, l’arbitrage entre les deux droits aboutirait exactement au résultat inverse. Comme dans le cas des dessins et modèles, le choix de l’une ou l’autre interprétation s’effectue donc entre deux droits en principe équivalents.

39. Or, pour choisir, parmi les droits conférés par les deux marques en conflit, celui qui doit prévaloir, à savoir le droit antérieur ou le droit postérieur, on ne peut pas, à mon avis, ne pas tenir compte d’un principe fondamental qui caractérise le système de protection instauré en matière de marques et constitue un principe fondamental universellement reconnu dans les droits de propriété intellectuelle en général, à savoir le principe de priorité qui veut que le droit exclusif antérieur, en l’occurrence une marque communautaire enregistrée antérieurement, prévale sur les droits nés postérieurement, en l’occurrence sur les marques communautaires enregistrées postérieurement (24) . En effet, comme l’a justement observé la Commission dans ses observations, et par analogie avec ce que la Cour a décidé en matière de dessins et modèles dans l’arrêt Celaya Emparanza y Galdos International (25), les dispositions du règlement n o  207/2009 ne peuvent être interprétées qu’à la lumière de ce principe fondamental en matière de marques, qui trouve son expression dans des dispositions ponctuelles du règlement n o  207/2009 lui-même (26), ainsi que dans des dispositions d’autres réglementations, tant de l’Union (27) qu’internationales (28), en matière de marques.

40. Il résulte, en particulier, du règlement n o  207/2009, d’une part, que seuls les signes reproductibles graphiquement qui sont de nature à assumer la fonction essentielle de la marque, à savoir distinguer les produits et services d’une entreprise de ceux d’autres entreprises, peuvent constituer des marques communautaires et bénéficier de la protection correspondante, qui s’acquiert à travers l’enregistrement et, d’autre part, que la protection conférée par la marque communautaire doit être absolue à l’égard des signes identiques ou similaires impliquant un risque de confusion (29) . Cette protection absolue attribuée à la marque est indépendante du point de savoir si les signes impliquant un risque de confusion sont ou non enregistrés en tant que marques communautaires.

41. Or, en cas de conflit entre deux marques communautaires enregistrées, l’application du principe de priorité conduit, à mon avis, d’une part, à présumer que la marque enregistrée la première remplit les conditions requises pour obtenir la protection communautaire avant celle qui a été enregistrée postérieurement et, d’autre part, à faire dépendre la portée de la protection garantie à la marque communautaire postérieure de l’absence de droits antérieurs entrant en conflit avec elle. C’est pourquoi, en cas de conflit entre des marques communautaires enregistrées, la protection que le règlement n o  207/2009 attribue à la marque communautaire postérieure ne sera justifiée que si son titulaire est en mesure de prouver que la marque communautaire antérieure ne remplit pas l’une des conditions nécessaires pour bénéficier de la protection (30) ou qu’il n’y a pas de conflit entre les marques (31) .

42. Ces considérations sont indépendantes du fait que la procédure d’enregistrement d’une marque communautaire prévoit, contrairement à celle applicable aux dessins et modèles communautaires, la possibilité pour les tiers de former opposition à l’enregistrement de la marque postérieure. En effet, comme on l’a montré aux points 30 et 31, bien que l’instauration d’un contrôle ex ante de ce type attribue au titulaire de la marque enregistrée ultérieurement un degré plus élevé de sécurité juridique et réduise, par rapport au domaine des dessins et modèles, le risque que soient enregistrées des marques portant atteinte à des droits antérieurs, le fait qu’un signe soit enregistré en tant que marque communautaire ne constitue pas une garantie absolue que ce signe ne porte pas atteinte au droit exclusif conféré par une marque enregistrée antérieurement. Les différences procédurales existant entre le domaine des dessins et modèles et celui des marques, si elles sont importantes, ne sont cependant pas de nature à justifier, à mon avis, une interprétation de la norme en question qui ne soit pas conforme au principe de priorité (32) .

43. En outre, dans le cas où le titulaire de la marque antérieure agit pour protéger son propre titre face à un signe portant atteinte à ses propres droits, bien que ce signe soit une marque régulièrement enregistrée postérieurement, il est nécessaire que le système de protection instauré par le règlement n o  207/2009 lui garantisse la possibilité d’obtenir l’interdiction d’utiliser la marque lui portant préjudice le plus rapidement possible, dans la mesure où la présence sur le marché d’une marque de ce type est susceptible de porter atteinte à la fonction essentielle de la marque antérieure (33) . Il semble d’ailleurs évident que plus la coexistence des deux marques sur le marché durera longtemps, plus grave sera le préjudice potentiel ou réel pour la marque antérieure.

44. À cet égard, il est important de relever que la Cour a déjà eu l’occasion de préciser à plusieurs reprises que la protection absolue attribuée à une marque, sous la forme du droit exclusif conféré à son titulaire par la réglementation applicable, vise précisément à permettre à ce dernier de protéger ses intérêts spécifiques en tant que titulaire de la marque, c’est-à-dire de garantir que la marque puisse remplir ses fonctions (34) . L’article 9, paragraphe 1, du règlement n o  207/2009 ne peut, à mon avis, être interprété que dans l’optique ainsi mise au jour par cette jurisprudence constante.

45. Par ailleurs, comme le note à juste titre la Commission, subordonner l’exercice de l’action en contrefaçon à la déclaration de nullité de la marque postérieure équivaudrait à exposer la procédure en contrefaçon à un risque de retards disproportionnés dès lors que, outre le fait de devoir attendre la décision de l’OHMI à cet effet, qui interviendra déjà à l’issue de deux degrés de contrôle administratif interne, le titulaire de la marque antérieure risquerait de devoir attendre le résultat d’éventuels recours juridictionnels portés devant le Tribunal et, éventuellement, devant la Cour (35) . La coexistence sur le marché de la marque antérieure et de la marque lui portant atteinte pourrait donc durer plusieurs années, avec, potentiellement, un grave préjudice pour le titulaire de la marque antérieure.

46. En outre, la position du titulaire de la marque postérieure me paraît, en tout état de cause, être protégée contre d’éventuels exercices abusifs de l’action en contrefaçon de la part du titulaire d’une marque antérieure, dans la mesure où il dispose de la possibilité de se défendre devant le tribunal des marques communautaires, devant qui il peut se prévaloir d’un éventuel rejet sur le fond de l’opposition de la part de l’OHMI (36), ainsi que de la possibilité de former une demande reconventionnelle en déchéance ou nullité de la marque antérieure sur laquelle se fonde l’action en contrefaçon (37) . Du reste, comme nous l’avons noté aux points 40 et 41, la portée de la protection de son titre dépend dès le début de l’absence de droits antérieurs entrant en conflit avec lui.

47. Il résulte, à mon avis, des considérations qui précèdent que seule une interprétation de la notion de «tiers», figurant à l’article 9, paragraphe 1, du règlement n o  207/2009, qui soit conforme au principe de priorité et de nature à inclure tout tiers, et par conséquent aussi le tiers titulaire d’une marque communautaire postérieure, est apte à garantir l’objectif de protection absolue des marques communautaires enregistrées poursuivi par le règlement n o  207/2009.

48. Au demeurant, en sus des considérations exposées ci-dessus, il existe d’autres éléments d’ordre littéral et systématique qui, à mon avis, militent en faveur de l’interprétation qui vient d’être proposée de l’article 9, paragraphe 1, du règlement n o  207/2009.

49. En effet, sur le plan littéral, il convient de relever que, si le règlement n o  207/2009 ne contient pas de disposition expresse quant à la possibilité pour le titulaire d’une marque communautaire enregistrée antérieurement d’intenter une action en contrefaçon contre le titulaire d’une autre marque communautaire enregistrée ultérieurement, le texte de l’article 9, paragraphe 1, du règlement n o  207/2009 confère au titulaire d’une marque communautaire enregistrée le droit exclusif d’utiliser cette marque et d’interdire «aux tiers» d’utiliser sans son consentement un signe portant atteinte à sa marque, sans distinguer selon que le tiers est ou non titulaire d’une marque communautaire enregistrée postérieurement (38) . Il me semble d’ailleurs vraisemblable que le législateur l’aurait fait de manière explicite s’il avait voulu introduire dans la réglementation un principe de protection des titulaires de marques enregistrées postérieurement.

50. Sur le plan de l’interprétation systématique, il convient ensuite de noter qu’aucune disposition du règlement n o  207/2009 ne prévoit une éventuelle immunité au profit du tiers titulaire d’une marque postérieure, par rapport à l’interdiction prévue à l’article 9, paragraphe 1, dudit règlement (39), alors que ce règlement ne prévoit, en revanche, aucune restriction au droit exclusif conféré au titulaire d’une marque enregistrée (40) . L’article 54 du règlement n o  207/2009 revêt une importance particulière à cet égard. Il résulte en effet de cette disposition que ce n’est que dans le cas où les conditions qu’elle prévoit (la tolérance de l’usage pendant cinq années consécutives) sont remplies que l’action en nullité et celle en contrefaçon sont refusées au titulaire de la marque communautaire antérieure contre le titulaire d’une autre marque communautaire postérieure. On peut donc en déduire, a contrario, que, si ces conditions ne sont pas remplies, le titulaire de la marque antérieure peut parfaitement agir en contrefaçon contre le titulaire de la marque communautaire enregistrée postérieurement.

51. L’article 54 du règlement n o  207/2009 est important à cet égard, en outre, du point de vue de l’interprétation systématique de ce règlement. On peut déduire, en effet, de la distinction effectuée dans cet article entre la demande en nullité de la marque postérieure et l’opposition à l’usage de celle-ci que le règlement n o  207/2009 considère l’action en nullité et celle en contrefaçon comme deux actions distinctes, en ne prévoyant aucune relation d’ordre préjudiciel entre les deux (41) .

52. En effet, précisément comme en matière de dessins et modèles communautaires, dans le domaine des marques également, le règlement n o  207/2009 distingue clairement entre les deux types d’action, qui ont des objets, des effets et des finalités différents. D’une part, l’article 96 du règlement n o  207/2009 a attribué aux tribunaux nationaux des marques communautaires la compétence exclusive pour connaître des litiges en matière de contrefaçon. D’autre part, pour ce qui est des demandes en nullité des marques, le règlement n o  207/2009 a en revanche opté pour leur traitement centralisé auprès de l’OHMI, même si ce principe, tout comme dans le domaine des dessins et modèles, est tempéré par la possibilité, pour les tribunaux des marques, d’examiner les demandes reconventionnelles en nullité d’une marque communautaire enregistrée, présentées dans le contexte d’une action en contrefaçon. Aucun élément ne permet de considérer que le législateur a entendu subordonner l’exercice d’une action à l’exercice préalable ou simultané de l’autre (42) .

53. En outre, j’estime que l’interprétation proposée de la notion de «tiers» employée à l’article 9, paragraphe 1, du règlement n o  207/2009 ne pose pas de problèmes particuliers dans la répartition des compétences entre les tribunaux des marques communautaires et l’OHMI. En effet, s’il est vrai que, comme je l’avais déjà mis en exergue pour le domaine des dessins et modèles (43), il existe aussi dans le domaine des marques la possibilité que la situation juridique de la marque postérieure reste indéterminée dans le cas où le titulaire de la marque communautaire qui a eu gain de cause dans son action en contrefaçon contre le titulaire de la marque communautaire n’agit pas pour faire déclarer la nullité de cette marque, il me semble néanmoins que les raisons qui m’avaient conduit à estimer que cette incertitude juridique ne peut pas être décisive pour l’interprétation de la notion de «tiers» contre qui le titulaire du dessin ou modèle (44) peut agir en contrefaçon sont applicables mutatis mutandis dans le domaine des marques (45) . J’estime en revanche que, dans la mesure où, comme je l’ai relevé aux points 43 et 45, l’interprétation alternative mettrait en péril l’efficacité de l’action en contrefaçon, c’est celle-ci qui risquerait de porter préjudice au système de protection prévu par le règlement n o  207/2009.

54. Au vu de ce qui précède, la question déférée par la juridiction de renvoi doit être résolue, à mon avis, en déclarant que l’article 9, paragraphe 1, du règlement n o  207/2009 doit être interprété en ce sens que, en cas de litige concernant la violation du droit exclusif conféré par une marque communautaire, le droit d’interdire aux tiers d’utiliser cette marque s’étend à tout tiers, y compris le tiers titulaire d’une marque communautaire enregistrée postérieurement.

55. Afin de fournir à la juridiction de renvoi le cadre le plus complet possible, j’estime opportun de préciser que, si la Cour devait retenir l’interprétation de la notion de «tiers» figurant à l’article 9, paragraphe 1, du règlement n o  207/2009 que j’ai proposée au point précédent, cette interpr étation devrait nécessairement s’étendre au tiers titulaire d’une marque postérieure enregistrée dans un État membre, et ce indépendamment de la teneur des dispositions nationales pertinentes.

56. Retenir une solution différente non seulement ne serait pas logique ni cohérent avec l’interprétation qui vient d’être donnée, mais mettrait en péril l’effet utile de l’article 9, paragraphe 1, du règlement n o  207/2009 dans la mesure où elle permettrait, à travers l’enregistrement d’un signe au niveau national, de limiter la protection qui est conférée au titulaire de la marque communautaire antérieure par les dispositions du règlement n o  207/2009. En outre, une interprétation différente serait, à mon avis, contraire au principe du caractère unitaire de la marque (46), dès lors que le titulaire de la marque communautaire antérieure serait protégé de manière différente dans les divers États membres, selon que le droit national lui confère ou non la possibilité d’agir contre le contrefacteur sans attendre l’annulation de la marque nationale postérieure portant atteinte à ses droits.

57. Dans le même sens, j’estime enfin opportun d’observer que, conformément à la nécessité d’une interprétation uniforme du droit de l’Union, affirmée de façon répétée par la Cour (47), l’interprétation de la notion de «tiers» figurant à l’article 9, paragraphe 1, du règlement n o  207/2009 ne pourra pas ne pas s’étendre à la notion correspondante figurant à l’article 5, paragraphes 1 et 2, de la directive 2008/95, rédigée en des termes équivalents (48) .

V – Conclusion

58. Sur la base des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre comme suit à la question posée par le Juzgado de lo Mercantil n o  1 de Alicante y n o  1 de Marca Comunitaria:

«L’article 9, paragraphe 1, du règlement (CE) n o  207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque communautaire, doit être interprété en ce sens que, en cas de litige concernant la violation du droit exclusif conféré par une marque communautaire, le droit d’interdire aux tiers d’utiliser cette marque s’étend à tout tiers utilisant un signe comportant un risque de confusion, y compris le tiers titulaire d’une marque communautaire enregistrée postérieurement.»

(1) .

(2) – JO L 78, p. 1.

(3) – Arrêt du 16 février 2012, Celaya Emparanza y Galdos International (C-488/10), dans lequel la Cour s’est prononcée sur une question préjudicielle posée par le Juzgado de lo Mercantil n o  1 de Alicante portant sur l’interprétation de la notion de «tiers» au sens de l’article 19, paragraphe 1, du règlement (CE) n o  6/2002 (JO 2002, L 3, p. 1).

(4) – Voir mes conclusions présentées le 8 novembre 2011, et en particulier points 20 à 23.

(5) – Parmi les nombreux arrêts rendus en ce sens, voir, tout récemment, arrêts du 28 février 2012, Inter-Environnement Wallonie et Terre wallonne (C-41/11, point 35), et du 29 mars 2012, SAG ELV Slovensko e.a. (C-599/10, point 15 et jurisprudence citée).

(6) – Arrêts du 16 juin 1981, Salonia (126/80, Rec. p. 1563, point 7), et du 8 mars 2012, Huet (C-251/11, point 23).

(7) – Voir point 3 ci-dessus, ainsi que point 19 de mes conclusions dans cette affaire (précitée note 3).

(8) – Il est intéressant de noter qu’un problème analogue à celui de la présente affaire s’était déjà posé en Allemagne au début du siècle précédent, où il avait fait l’objet d’intenses débats au niveau des plus hautes juridictions de l’époque. Plus précisément, dans une première tendance jurisprudentielle, le Reichsgericht avait estimé que l’utilisation d’une marque enregistrée ne pouvait pas être jugée illégale tant que cette marque n’était pas annulée dans le registre des marques (voir, à ce propos, arrêt du Reichsgericht du 13 novembre 1906, II 155/06, RGZ 64, p. 273 et suiv., et en particulier p. 275). Toutefois, le même Reichsgericht avait par la suite «désavoué» cette solution dans un arrêt de 1927, dans lequel il avait considéré que l’illégalité objective liée à l’utilisation d’une marque enregistrée postérieurement résultait directement du droit prioritaire du signe antérieur (voir Reichsgericht, arrêt du 20 septembre 1927, II 409/26, RGZ 118, p. 76 et suiv., et en particulier p. 78 et 79).

(9) – Voir note 3.

(10) – Cité note 3.

(11) – Voir point 3 ci-dessus, ainsi que points 20 à 22 de mes conclusions relatives à l’affaire Celaya Emparanza y Galdos International (précitée note 3).

(12) – La procédure d’enregistrement des dessins et modèles est régie par le titre V (articles 45 à 50) du règlement n o  6/2002.

(13) – Voir considérant 18 du règlement n o  6/2002. Il convient, en outre, d’observer que l’article 47 de ce règlement prévoit une analyse, bien que relativement limitée, de certains «motifs de rejet de l’enregistrement».

(14) – Voir considérants 18 et 24 du règlement n o  6/2002.

(15) – Les motifs de refus absolus sont prévus à l’article 7 du règlement n o  207/2009 (voir aussi article 37 dudit règlement); les motifs de refus relatifs sont prévus à l’article 8 du règlement n o  207/2009 (voir aussi articles 40 à 42 de ce règlement).

(16) – Voir article 40 du règlement n o  207/2009.

(17) – Voir articles 41 et 42 du règlement n o  207/2009. À cet égard, voir aussi la disposition de l’article 38 dudit règlement, qui prévoit une procédure de recherche des marques antérieures entrant potentiellement en conflit avec la marque demandée.

(18) – Voir point 23 de mes conclusions relatives à l’affaire Celaya Emparanza y Galdos International (précitée note 4).

(19) – Ibidem. La mise en place d’un tel système implique, par conséquent, que le domaine des marques ne peut pas se voir appliquer les considérations que j’avais développées dans mes conclusions concernant la possibilité théorique pour un contrefacteur de mauvaise foi, en cas de reconnaissance du caractère préjudiciel de l’action en nullité par rapport à l’action en contrefaçon, d’utiliser des moyens dilatoires en réitérant l’enregistrement de dessins ou modèles légèrement différents, théoriquement également après l’annulation du dessin ou modèle postérieur contesté, afin de continuer à commercialiser un produit substantiellement identique, avec pour effet de compromettre sérieusement le système et l’effet utile de la réglementation de l’Union en matière de dessins et modèles (voir points 31 à 33 de mes conclusions relatives à l’affaire Celaya Emparanza y Galdos International). En effet, des situations de ce type ne peuvent pas se produire dans le domaine des marques, dans la mesure où, dans de tels cas, le titulaire de la marque communautaire antérieure dispose toujours de la possibilité de bloquer préventivement l’enregistrement de la marque postérieure demandée de mauvaise foi, en s’opposant à son enregistrement en application de l’article 41 du règlement n o  207/2009.

(20) – Le fait que de telles situations puissent se produire se déduit d’ailleurs du texte des articles 53, paragraphe 1, et 57, paragraphe 5, du règlement n o  207/2009.

(21) – Voir point 22 ci-dessus.

(22) – Voir point 30 de mes conclusions relatives à cette affaire (précitée note 3).

(23) – L’article 9, paragraphe 1, du règlement n o  207/2009, comme du reste l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2008, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO L 299, p. 25), à la différence de certains droits nationaux tels que le droit espagnol, et contrairement aussi au règlement n o  6/2002, se borne à prévoir que la marque communautaire confère à son titulaire un «droit exclusif», spécifiant seulement que ce droit exclusif consiste dans la faculté d’interdire aux tiers l’usage dans le commerce des signes mentionnés aux points a), b) et c). Dans la doctrine, on a toutefois souligné que ce «droit exclusif» recouvre non seulement la faculté négative explicitée dans la règle – le jus excludendi – consistant dans le droit d’interdire aux tiers d’utiliser un signe identique ou similaire, mais aussi une faculté positive, à savoir le droit d’utiliser ce signe, le jus utendi, qui peut être exercé éventuellement aussi par l’attribution d’une marque sous licence. L’existence de ce droit à caractère positif est d’ailleurs inhérente à la propriété de la marque. En effet, comme l’a observé l’avocat général Jacobs aux points 33 et 34 de ses conclusions relatives à l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt du 14 mai 2002, Hölterhoff (C-2/00, Rec. p. I-4187), présentées le 20 septembre 2001, un opérateur enregistre une marque, avant tout, non pas pour en interdire l’usage aux tiers, mais pour l’utiliser lui-même. En outre, le droit d’usage est un élément central et essentiel du droit de propriété, y compris le droit de propriété intellectuelle.

(24) – En principe, le caractère prioritaire d’une marque est déterminé par la date de dépôt de la demande d’enregistrement de la marque (à cet égard, voir articles 8, paragraphe 2, et 27 du règlement n o  207/2009). On trouve des définitions plus spécifiques du principe de priorité également au point 57 des conclusions de l’avocat général Trstenjak relatives à l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt du 22 septembre 2011, Budějovický Budvar (C-482/09, Rec. p. I-8701), ainsi qu’au point 54 des conclusions de l’avocat général Jääskinen relatives à l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt du 22 mars 2012, Génesis (C-190/10).

(25) – Voir points 39 et 40 de cet arrêt (précité note 3).

(26) – Voir, par exemple, considérant 7, ainsi qu’article 8, sections 2, 3 et 4, du titre III (articles 29 à 35) et articles 41, 42, 53 et 54 du règlement.

(27) – Voir, par exemple, article 4, paragraphes 1, 2, 3 et 4, articles 5, 6, paragraphe 2, 9, 11, paragraphe 4, et 14 de la directive 2008/95.

(28) – Voir, par exemple, article 4, A. 1 et B, de la convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle, signée à Paris le 20 mars 1883, révisée en dernier lieu à Stockholm le 14 juillet 1967 et modifiée le 28 septembre 1979 ( Recueil des Traités des Nations unies, vol. 828, n o  11851, p. 305). La version française de cette convention peut être consultée sur le site suivant: www.wipo.int/treaties/fr/ip/paris/trtdocs_wo020.html.

(29) – Voir considérant 7, ainsi qu’articles 4 et 6 du règlement n o  207/2009.

(30) – Ce que le titulaire de la marque pourra faire avec la demande de nullité de la marque antérieure, portée devant l’OHMI, ou éventuellement avec une demande reconventionnelle formée devant le tribunal des marques devant lequel il est assigné pour contrefaçon.

(31) – Ce que le titulaire de la marque postérieure pourra faire devant le tribunal des marques devant lequel il est assigné pour contrefaçon.

(32) – Certes, on pourrait éventuellement objecter que tant l’absence d’opposition que le rejet de l’opposition pour des problèmes de nature procédurale tels que celui propre à l’affaire au principal (le défaut de paiement de la taxe d’opposition) sont dus à une sorte de «négligence» du titulaire de la marque antérieure qui n’a pas exercé, ou a mal exercé, la faculté de former opposition qui lui est reconnue par le règlement n o  207/2009. C’est pourquoi, contrairement à ce qui se passe dans le domaine des dessins et modèles, dans celui des marques, le titulaire de la marque antérieure pourrait être considéré comme au moins partiellement responsable de la survenance de l’enregistrement de la marque postérieure et donc de la situation d’incertitude juridique créée. Cette responsabilité pourrait donc être «sanctionnée» par l’obligation d’attendre la déclaration de nullité de la marque postérieure avant de pouvoir agir en contrefaçon pour faire protéger la marque antérieure. À cette objection possible, je répondrai, en premier lieu, qu’il n’est pas dit que l’absence de formation d’une opposition soit nécessairement due à une négligence du titulaire de la marque antérieure. Il se pourrait, par exemple, que le risque de confusion entre deux marques ne devienne évident qu’à la suite de l’usage concret qui est fait du signe postérieur et donc uniquement à partir du moment où les deux signes en conflit coexistent sur le marché. En second lieu, et en toute hypothèse, j’estime que l’absence d’exercice, ou le mauvais exercice, de la faculté de former opposition n’est pas de nature à remettre en question l’application d’un principe fondamental en matière de marques tel que celui de la priorité, en vertu duquel le droit antérieur prévaut sur le droit postérieur.

(33) – C’est-à-dire, comme on l’a vu au point 40 ci-dessus, la fonction de garantir au consommateur ou à l’utilisateur final l’identité d’origine du produit ou du service désigné par la marque, en lui permettant de distinguer sans confusion possible ce produit ou ce service de ceux qui ont une autre provenance. Voir, à cet égard, l’abondante jurisprudence en ce sens, et récemment arrêt du 15 mars 2012, Strigl et Securvita (C-90/11 et C-91/11, point 30).

(34) – Voir, par analogie, en ce qui concerne l’article 5, paragraphe 1, de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 1989, L 40, p. 1, abrogée et remplacée par la directive 2008/95), arrêts du 18 juin 2009, L’Oréal e.a. (C-487/07, Rec. p. I-5185, point 58), et du 19 juillet 2012, Pie Optiek (C-376/11, point 46 et jurisprudence citée). Il convient, en outre, d’observer que, selon la jurisprudence citée, figurent au nombre de ces fonctions non seulement la fonction essentielle mentionnée ci-dessus au point 40 et à la note précédente, mais aussi les autres fonctions de la marque, notamment celle de garantir la qualité du produit ou du service en cause, ou celle de communication, d’investissement ou de publicité.

(35) – À cet égard, voir titre VII du règlement n o  207/2009, et en particulier articles 58, 64, paragraphe 3, et 65.

(36) – Certes, la décision de rejet sur le fond de l’opposition par l’OHMI ne liera pas la juridiction nationale. Elle constituera cependant à tout le moins, en fonction des différentes règles procédurales nationales, un «élément de preuve significatif» de l’absence de contrefaçon. Du reste, même s’il recourt aux mêmes critères que ceux utilisés par l’OHMI dans le cadre d’une opposition, étant donné la correspondance entre la situation prévue à l’article 8, paragraphe 1, sous a) et b), et paragraphe 5, d’une part, et celle prévue à l’article 9, paragraphe 1, sous a), b) et c), du règlement n o  207/2009, d’autre part, l’examen de la contrefaçon auquel doit procéder la juridiction nationale n’est pas exactement identique à l’examen pratiqué par l’OHMI. Il s’en distingue par le fait que, dans le cadre de l’action en contrefaçon, la comparaison effectuée entre les signes en cause et les produits pour la désignation desquels ils sont utilisés se fait concrètement par une analyse ex post de la situation réelle de leur usage sur le marché, et non, comme dans la procédure d’opposition, par une analyse ex ante de type prévisionnel et abstrait, fondée principalement sur les éléments des demandes d’enregistrement.

(37) – Voir articles 96, sous d), et 100 du règlement n o  207/2009.

(38) – À cet égard, j’observe que, si les versions italienne et allemande du règlement n o  207/2009 font référence de manière générale aux «terzi» et «Dritten», les versions française, anglaise et espagnole sont encore plus explicites dans leur référence à une interdiction faite à tout tiers, puisqu’elles emploient respectivement les expressions «tout tiers», «all third parties» et «cualquier tercero».

(39) – On ne saurait, à mon avis, déduire une éventuelle immunité de ce genre, comme prétend le faire FCIPPR dans ses observations, des termes de l’article 6 du règlement n o  207/2009, qui prévoit que la marque communautaire s’acquiert avec l’enregistrement. En effet, cette disposition doit, elle aussi, être interprétée, comme toutes les autres dispositions du règlement n o  207/2009, à la lumière du principe de priorité (voir point 39 ci-dessus).

(40) – En particulier, outre l’article 54 du règlement n o  207/2009, analysé dans la suite du texte, on peut citer l’article 12 du même règlement, qui prévoit certaines limites à la faculté pour le titulaire d’interdire aux tiers l’usage dans le commerce de la marque communautaire, ainsi que l’article 13 du règlement n o  207/2009, qui dispose que le droit conféré par la marque communautaire ne permet pas au titulaire d’en empêcher l’usage pour des produits mis dans le commerce dans l’Union par le titulaire lui-même ou avec son consentement.

(41) – Comme l’a fait observer à juste titre la Commission, d’autres dispositions du règlement n o  207/2009, telles que l’article 1 er , paragraphe 2, ou l’article 110, établissent expressément une distinction entre les deux actions.

(42) – Il convient de noter, à cet égard, que l’article 100, paragraphe 7, du règlement n o  207/2009 dispose que le tribunal des marques communautaires saisi d’une demande reconventionnelle en déchéance ou en nullité peut suspendre la procédure, à la demande du titulaire de la marque communautaire, et, après avoir entendu les autres parties, inviter le défendeur à présenter une demande de déchéance ou de nullité devant l’OHMI. Cette règle cependant, en premier lieu, attribue une simple faculté au tribunal de suspendre la procédure, en deuxième lieu, vise à éviter un conflit de décisions concernant la nullité de la marque antérieure et, en troisième lieu et en toute hypothèse, concerne exclusivement l’éventuelle nullité de la marque antérieure invoquée au soutien de l’action en contrefaçon, et non l’éventuelle légitimité de l’enregistrement postérieur du signe faisant l’objet de l’action en contrefaçon.

(43) – Voir mes conclusions relatives à l’affaire Celaya Emparanza y Galdos International (précitée note 3), points 39 à 44.

(44) – Dans mes conclusions relatives à l’affaire Celaya Emparanza y Galdos International, précitée, aux points 39 à 44, j’avais montré, d’une part, que l’éventualité que le titulaire du titre postérieur l’utilise après avoir succombé dans une action en contrefaçon était faible et, d’autre part, qu’en cas d’usage de ce titre – encore formellement valide, puisqu’il n’a pas été déclaré nul – dans une action en contrefaçon vis-à-vis d’un tiers, ce dernier dispose de la possibilité de le faire déclarer nul à titre reconventionnel.

(45) – Certes, en cas de succès d’une action en contrefaçon contre une marque communautaire postérieure enregistrée à la suite du rejet d’une opposition sur le fond s’appuyant sur la même marque communautaire antérieure que celle invoquée au soutien de l’action en contrefaçon, il existerait un conflit potentiel entre la décision adoptée par l’OHMI dans le cadre de la procédure d’opposition et la décision du tribunal des marques. Toutefois, ce cas de figure me semble peu probable, étant donné la nature d’«élément de preuve significative», mentionnée à la note 36, que la décision de l’OHMI devrait revêtir dans la procédure nationale quant à l’absence de contrefaçon. En outre, un tel conflit pourrait éventuellement se justifier à la lumière des optiques différentes de la procédure d’opposition et de l’action en contrefaçon, mentionnées à la note 36 également.

(46) – Voir considérant 3 et article 1 er , paragraphe 2, du règlement n o  207/2009.

(47) – Voir, notamment, arrêts du 16 juillet 2009, Hadadi (C-168/08, Rec. p. I-6871, point 38); du 21 octobre 2010, Padawan (C-467/08, Rec. p. I-10055, point 32), et du 16 juin 2011, Omejc (C-536/09, Rec. p. I-5367, point 19).

(48) – La Cour a d’ailleurs interprété à plusieurs reprises de façon parallèle l’article 9 du règlement n o  207/2009 et la disposition correspondante de la directive 2008/95 ou, antérieurement, de la première directive 89/104. Voir arrêt du 22 septembre 2011, Interflora et Interflora British Unit (C-323/09, Rec. p. I-8625, point 38 et jurisprudence citée).