CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MELCHIOR WATHELET

présentées le 31 janvier 2013 ( 1 )

Affaire C‑534/11

Mehmet Arslan

contre

Policie ČR, Krajské ředitelství policie Ústeckého kraje, odbor cizinecké policie

[demande de décision préjudicielle formée par le Nejvyšší správní soud (République tchèque)]

«Ressortissant d’un pays tiers — Séjour irrégulier — Rétention en vue de la reconduite à la frontière — Directive 2008/115/CE — Demande de protection internationale — Directive 2005/85/CE — Directive 2003/9/CE — Abus de droit»

I – Introduction

1.

La présente demande de décision préjudicielle, déposée au greffe de la Cour le 20 octobre 2011, porte notamment sur l’interprétation de l’article 2, paragraphe 1, lu en combinaison avec le considérant 9, de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier ( 2 ) (ci-après la «directive ‘retour’»), et sur la conjugaison de ces dispositions avec la directive 2005/85/CE du Conseil, du 1er décembre 2005, relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres ( 3 ).

2.

Le présent renvoi préjudiciel s’inscrit dans le cadre d’un litige opposant M. Arslan, un ressortissant turc, et la Policie ČR, Krajské ředitelství policie Ústeckého kraje, odbor cizinecké policie (police de la République tchèque, direction régionale de la région d’Ústí, section de la police des étrangers, ci-après «la défenderesse au principal»). M. Arslan est entré et a séjourné sur le territoire de la République tchèque sans autorisation appropriée. La défenderesse au principal a décidé de le placer en rétention pour une durée de 60 jours en vue de procéder à son éloignement administratif. M. Arslan a introduit un recours devant les juridictions tchèques contre la décision prise par la défenderesse au principal de prolonger sa rétention pour une période supplémentaire de 120 jours. M. Arslan prétend que, à la date de la décision de prolonger la durée de sa rétention, il n’existait plus aucune perspective raisonnable que son éloignement puisse être réalisé avant l’expiration de la période maximale de rétention prévue par la loi nationale, à savoir 180 jours. En effet, selon lui, ce délai serait nécessairement dépassé du fait de sa demande de protection internationale (ci-après «demande d’asile») ( 4 ) et de son intention de faire usage et d’épuiser toutes les voies procédurales et juridictionnelles applicables dans le cadre de cette dernière demande.

3.

La juridiction de renvoi s’interroge, en premier lieu, sur l’applicabilité de la directive «retour» au ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier qui introduit une demande d’asile au sens de la directive 2005/85 et, en second lieu, sur le point de savoir si une telle demande doit avoir pour conséquence la fin de sa rétention à des fins d’éloignement basée sur la directive «retour».

4.

Avec ces questions en toile de fond, le renvoi préjudiciel soulève le problème de la possible instrumentalisation des dispositions relatives à l’asile dans le but de rendre inopérante l’application de la directive «retour».

II – Le cadre juridique

A – Le droit de l’Union

1. La directive «retour»

5.

Le considérant 9 de la directive «retour» prévoit:

«Conformément à la directive [2005/85], le ressortissant d’un pays tiers qui a demandé l’asile dans un État membre ne devrait pas être considéré comme étant en séjour irrégulier sur le territoire de cet État membre avant qu’une décision négative sur sa demande ou une décision mettant fin à son droit de séjour en tant que demandeur d’asile soit entrée en vigueur.»

6.

L’article 2, paragraphe 1, de la directive «retour» dispose:

«La présente directive s’applique aux ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier sur le territoire d’un État membre.»

7.

L’article 3, point 2, de la directive «retour» définit la notion de «séjour irrégulier» comme «la présence sur le territoire d’un État membre d’un ressortissant d’un pays tiers qui ne remplit pas, ou ne remplit plus, les conditions [...] d’entrée, de séjour ou de résidence dans cet État membre».

8.

En vertu de l’article 5 de la directive «retour», les États membres respectent le principe de non-refoulement consacré par l’article 33 de la convention de Genève ( 5 ), y compris quand ils mettent en œuvre cette directive.

9.

L’article 6, paragraphe 1, de la directive «retour» prévoit que «[l]es États membres prennent une décision de retour à l’encontre de tout ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier sur leur territoire […]».

10.

L’article 9, paragraphe 1, sous a), de la directive «retour» dispose que les États membres reportent l’éloignement dans le cas où il se ferait en violation du principe de non-refoulement.

11.

L’article 15 de la directive «retour» énonce:

«1.   À moins que d’autres mesures suffisantes, mais moins coercitives, puissent être appliquées efficacement dans un cas particulier, les États membres peuvent uniquement placer en rétention le ressortissant d’un pays tiers qui fait l’objet de procédures de retour afin de préparer le retour et/ou de procéder à l’éloignement, en particulier lorsque:

a)

il existe un risque de fuite, ou

b)

le ressortissant concerné d’un pays tiers évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement.

Toute rétention est aussi brève que possible et n’est maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise.

[...]

4.   Lorsqu’il apparaît qu’il n’existe plus de perspective raisonnable d’éloignement pour des considérations d’ordre juridique ou autres ou que les conditions énoncées au paragraphe 1 ne sont plus réunies, la rétention ne se justifie plus et la personne concernée est immédiatement remise en liberté.

5.   La rétention est maintenue aussi longtemps que les conditions énoncées au paragraphe 1 sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien. Chaque État membre fixe une durée déterminée de rétention qui ne peut pas dépasser six mois.

6.   Les États membres ne peuvent pas prolonger la période visée au paragraphe 5, sauf pour une période déterminée n’excédant pas douze mois supplémentaires, conformément au droit national, lorsque, malgré tous leurs efforts raisonnables, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison:

a)

du manque de coopération du ressortissant concerné d’un pays tiers, ou

b)

des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires.»

2. La directive 2005/85

12.

La directive 2005/85 établit des normes minimales pour la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié. Elle régit essentiellement le dépôt des demandes d’asile, la procédure de traitement de ces demandes et les droits et obligations des demandeurs d’asile tout au long de cette procédure.

13.

L’article 7 de la directive 2005/85 prévoit:

«1.   Les demandeurs sont autorisés à rester dans l’État membre, aux seules fins de la procédure, jusqu’à ce que l’autorité responsable de la détermination se soit prononcée conformément aux procédures en premier ressort prévues au chapitre III. Ce droit de rester dans l’État membre ne constitue pas un droit à un titre de séjour.

2.   Les États membres ne peuvent prévoir d’exception à cette règle que si, conformément aux articles 32 et 34, l’examen de la demande ultérieure n’est pas poursuivi ou si une personne est, le cas échéant, livrée à, ou extradée vers, soit un autre État membre en vertu des obligations découlant d’un mandat d’arrêt européen ou pour d’autres raisons, soit un pays tiers, soit une cour ou un tribunal pénal(e) international(e).»

14.

L’article 18 de la directive 2005/85 dispose:

«1.   Les États membres ne peuvent placer une personne en rétention au seul motif qu’elle demande l’asile.

2.   Lorsqu’un demandeur d’asile est placé en rétention, les États membres veillent à prévoir la possibilité d’un contrôle juridictionnel rapide.»

15.

L’article 23, paragraphe 4, de la directive 2005/85 prévoit:

«Les États membres peuvent également décider […] qu’une procédure d’examen est prioritaire ou est accélérée lorsque:

[...]

g)

la demande formulée par le demandeur est manifestement peu convaincante en raison des déclarations incohérentes, contradictoires, peu plausibles ou insuffisantes qu’il a faites sur les persécutions dont il prétend avoir fait l’objet, visées dans la directive 2004/83/CE [ ( 6 )], ou

[…]

j)

le demandeur ne dépose une demande qu’afin de retarder ou d’empêcher l’exécution d’une décision antérieure ou imminente qui entraînerait son expulsion, ou

l)

le demandeur est entré ou a prolongé son séjour illégalement sur le territoire de l’État membre et, sans motif valable, ne s’est pas présenté aux autorités et/ou n’a pas introduit sa demande d’asile dans les délais les plus brefs compte tenu des circonstances de son entrée sur le territoire […]

[...]»

3. La directive 2003/9

16.

L’article 7 de la directive 2003/9 dispose:

«1.   Les demandeurs d’asile peuvent circuler librement sur le territoire de l’État membre d’accueil ou à l’intérieur d’une zone qui leur est fixée par cet État membre. La zone fixée ne porte pas atteinte à la sphère inaliénable de la vie privée et donne suffisamment de latitude pour garantir l’accès à tous les avantages prévus par la présente directive.

2.   Les États membres peuvent décider du lieu de résidence du demandeur d’asile pour des raisons d’intérêt public ou d’ordre public ou, le cas échéant, aux fins du traitement rapide et du suivi efficace de sa demande.

3.   Lorsque cela s’avère nécessaire, les États membres peuvent obliger un demandeur à demeurer dans un lieu déterminé conformément à leur droit national, par exemple pour des raisons juridiques ou d’ordre public.

[...]»

B – Le droit tchèque

17.

La directive «retour» a été transposée dans le droit tchèque essentiellement par une modification de la loi no 326/1999 Sb. relative au séjour des étrangers sur le territoire de la République tchèque (ci-après la «loi relative au séjour des étrangers»).

18.

En vertu de l’article 124, paragraphe 1, de cette loi, la police «est habilitée à placer en rétention un étranger de plus de 15 ans auquel a été notifiée l’ouverture d’une procédure d’éloignement administratif, vis-à-vis duquel a déjà été adoptée une décision définitive d’éloignement administratif, ou pour lequel un autre État membre de l’Union européenne a édicté une interdiction d’entrée valable pour le territoire des États membres de l’Union européenne et que l’adoption de mesures particulières à des fins d’éloignement volontaire ne suffit pas», et si est remplie au moins l’une des conditions visées sous les points b) et e) de ladite disposition, à savoir qu’«il existe un risque pour que l’étranger fasse échouer ou rende plus difficile l’exécution de la décision d’éloignement administratif», et que «l’étranger est enregistré dans le système d’information des parties contractantes».

19.

Selon l’article 125, paragraphe 1, de la loi relative au séjour des étrangers, la durée de la rétention ne peut, en principe ( 7 ), dépasser 180 jours.

20.

L’article 127 de la loi relative au séjour des étrangers dispose:

«1.   Il doit être mis fin sans délai au placement en rétention

a)

lorsque les motifs de la rétention ont cessé d’exister;

[…]

d)

si l’étranger s’est vu accorder l’asile ou une protection subsidiaire; ou

e)

si l’étranger s’est vu octroyer un permis de séjour de longue durée aux fins de sa protection sur le territoire.

2.   Le dépôt d’une demande de protection internationale pendant la rétention ne constitue pas un motif justifiant la fin du placement en rétention.»

21.

La directive 2005/85 a été transposée en droit tchèque essentiellement par une modification de la loi no 325/1999 relative à l’asile. L’article 85a de cette loi prévoit:

«1)

La déclaration aux fins d’une protection internationale met un terme à la validité du visa de longue durée ou du permis de séjour de longue durée accordé en application de la législation spécifique applicable.

2)

Le statut juridique de l’étranger découlant de son placement dans un centre de rétention n’est pas affecté par une éventuelle déclaration aux fins d’une protection internationale ou par une éventuelle demande de protection internationale (article 10).

3)

L’étranger qui a fait une déclaration aux fins d’une protection internationale ou a introduit une demande de protection internationale est, sous réserve du respect des conditions énoncées dans la législation spécifique applicable, tenu de demeurer dans le centre de rétention.»

III – Le litige au principal et les questions préjudicielles

22.

Le 1er février 2011, M. Arslan a été arrêté par une patrouille de la police tchèque et placé en rétention. Le 2 février 2011, une décision d’éloignement a été prise à son encontre. Par une décision du 8 février 2011, la durée de la rétention de M. Arslan a été portée à 60 jours aux motifs que notamment, compte tenu de son comportement dans le passé, il pouvait être présumé qu’il tenterait de faire échec à la décision d’éloignement. La décision exposait que M. Arslan, porteur d’une carte d’identité de la République de Turquie, était entré clandestinement dans l’espace Schengen, qu’il avait séjourné successivement en Autriche puis en République tchèque sans document de voyage ni visa. En outre, cette décision relevait que M. Arslan avait déjà été interpellé en 2009 sur le territoire grec en possession d’un faux passeport, avait été renvoyé dans son pays d’origine et avait été introduit dans le système d’information Schengen comme une personne étant sous le coup d’une interdiction d’entrée sur le territoire des États de l’espace Schengen pour la période comprise entre le 26 janvier 2010 et le 26 janvier 2013.

23.

Le 8 février 2011, soit sept jours après sa mise en rétention et six jours après la décision d’éloignement prise à son encontre mais à la même date que celle de l’adoption de la décision portant la durée de sa rétention à 60 jours, M. Arslan a déposé auprès des autorités tchèques une demande d’asile.

24.

Le 25 mars 2011, la rétention de M. Arslan a été prolongée par décision de la défenderesse au principal de 120 jours au motif que cette prolongation était nécessaire à la poursuite des préparatifs de l’exécution de la décision d’éloignement de l’intéressé, étant donné que, pendant la période d’examen de sa demande d’asile, la décision d’éloignement administratif ne pouvait pas être exécutée. Selon la décision du 25 mars 2011, la demande d’asile a été introduite par M. Arslan dans le but de rendre plus difficile l’exécution de la décision d’éloignement. Cette décision révélait, par ailleurs, que, jusqu’à ce jour, l’ambassade de Turquie n’avait pas encore établi de document de voyage de remplacement pour M. Arslan, ce qui empêchait également l’exécution de la décision d’éloignement.

25.

Rappelons que M. Arslan a introduit un recours devant le Krajský soud d’Ústí nad Labem (cour régionale d’Ústí nad Labem, République tchèque) contre la décision du 25 mars 2011, en faisant valoir que, au moment de l’adoption de celle-ci, il n’existait plus, au vu de sa demande d’asile, de perspective raisonnable que son expulsion puisse encore être réalisée pendant la période de rétention maximale de 180 jours prévue par la loi relative au séjour des étrangers. M. Arslan faisait d’ailleurs part de son intention, en cas de rejet de sa demande d’asile par le ministère de l’Intérieur, d’attaquer la décision de ce ministère par un recours auquel la loi attache un effet suspensif. Il évoquait encore, en cas de rejet de ce recours, la possibilité d’introduire un recours en cassation devant le Nejvyšší správní soud (Cour administrative suprême), lequel a également un effet suspensif.

26.

Compte tenu de la longueur habituelle des procédures judiciaires dans ce type d’affaires, M. Arslan a jugé qu’il était irréaliste que la décision d’éloignement administratif puisse être exécutée dans ledit délai de 180 jours. Dans ces conditions, la décision de prorogation du 25 mars 2011 serait contraire à l’article 15, paragraphes 1 et 4, de la directive «retour» ainsi qu’à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme relative à l’article 5, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 ( 8 ).

27.

Selon M. Arslan, la décision en cause était illégale non pas en raison d’une contrariété avec le droit d’asile, mais parce qu’une condition essentielle de sa mise en rétention, à savoir une perspective raisonnable d’éloignement avant la fin du délai maximal de cette rétention, n’était pas remplie.

28.

Le Krajský soud a rejeté le recours par un arrêt du 27 avril 2011, en jugeant que l’argumentation de M. Arslan «était purement intéressée et spéculative» au motif que l’on ne saurait exclure que la procédure de demande d’asile, y compris ses éventuelles procédures judiciaires, se déroule dans le délai fixé par la décision du 25 mars 2011. M. Arslan a introduit un recours en cassation devant la juridiction de renvoi en s’appuyant, en substance, sur les mêmes arguments que ceux invoqués en première instance.

29.

Par décision du 12 avril 2011, le ministère de l’Intérieur a rejeté la demande d’asile de M. Arslan. Ce dernier a introduit un recours contre cette décision.

30.

Le 27 juillet 2011, soit pratiquement à l’expiration du délai fixé par la décision attaquée par M. Arslan, les autorités tchèques ont mis fin à la rétention de M. Arslan «parce que les motifs de sa rétention avaient cessé d’exister» ( 9 ).

31.

La juridiction de renvoi s’interroge sur la question de savoir s’il ne convient pas d’interpréter l’article 2, paragraphe 1, de la directive «retour» en ce sens qu’il faut faire cesser la rétention d’un étranger à des fins de retour, dès que ce dernier a introduit une demande d’asile et que, dans le même temps, il n’existe pas d’autres motifs pour prolonger la rétention que de préparer le retour et/ou de procéder à l’éloignement ( 10 ). La juridiction de renvoi penche pour une réponse affirmative, estimant que la rétention ne peut se prolonger qu’à la condition que soit adoptée une nouvelle décision de placement en rétention, qui s’appuierait toutefois non pas sur la directive «retour», mais sur une autre disposition permettant spécifiquement de placer en rétention un demandeur d’asile. Néanmoins, toujours selon la juridiction de renvoi, pareille conclusion pourrait favoriser le recours abusif aux procédures d’asile.

32.

La juridiction de renvoi observe également que le législateur tchèque ne partage pas du tout cette interprétation, ni celle d’ailleurs défendue par M. l’avocat général Mazák dans sa prise de position dans l’affaire Kadzoev ( 11 ).

33.

Dans ces conditions, le Nejvyšší správní soud a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)

Doit-on interpréter l’article 2, paragraphe 1, lu en combinaison avec le [considérant 9] de la directive [‘retour’] en ce sens que cette directive ne s’applique pas au ressortissant d’un pays tiers qui a introduit une demande de protection internationale au sens de la directive [2005/85]?

2)

En cas de réponse affirmative à la première question, doit-il être mis un terme à la rétention de l’étranger à des fins de retour lorsque ce dernier introduit une demande de protection internationale au sens de la directive 2005/85 et qu’il n’existe pas d’autres motifs pour prolonger la rétention?»

IV – La procédure devant la Cour

34.

Dans sa décision de renvoi, le Nejvyšší správní soud a demandé à la Cour de soumettre l’affaire à une procédure accélérée en application de l’article 104 bis, premier alinéa, du règlement de procédure de la Cour, applicable à l’époque des faits au principal. La juridiction de renvoi a expliqué, notamment, que, même si la rétention de M. Arslan avait pris fin le 27 juillet 2011, il restait opportun de soumettre la présente affaire à cette procédure accélérée en raison de l’existence d’un grand nombre de cas similaires dans lesquels la rétention d’étrangers se poursuivait ou de cas de rétention qui ne manqueraient pas de survenir dans un avenir proche.

35.

Par l’ordonnance du président de la Cour du 10 janvier 2012, cette demande a été rejetée.

36.

Des observations écrites ont été présentées par les gouvernements tchèque, allemand, français, slovaque et suisse ainsi que par la Commission européenne. Les gouvernements tchèque, allemand et français ainsi que la Commission ont formulé des observations orales lors de l’audience qui s’est tenue le 7 novembre 2012.

V – Analyse

A – Sur la recevabilité des questions préjudicielles

37.

Le gouvernement français exprime des doutes quant à la recevabilité de la première question posée par la juridiction de renvoi, car il ne ressort pas de la décision de renvoi que M. Arslan ait contesté l’applicabilité de la directive «retour» au motif qu’il avait introduit une demande d’asile. Il semblerait plutôt qu’est en cause la question de savoir si, lorsque cette directive est appliquée à un demandeur d’asile, la condition de son maintien en rétention, à savoir l’existence d’une perspective raisonnable d’éloignement, reste remplie. Le gouvernement français considère qu’il n’est pas évident que la première question soit nécessaire à la juridiction de renvoi pour lui permettre de trancher le litige. Dans ces conditions, cette première question aurait un caractère hypothétique.

38.

Selon une jurisprudence constante, lorsque les questions posées par le juge national portent sur l’interprétation d’une disposition de droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer ( 12 ). Toutefois, la Cour ne peut pas statuer sur une question préjudicielle lorsqu’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation d’une règle de l’Union, demandée par une juridiction nationale, n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige, ou encore lorsque le problème est de nature hypothétique et que la Cour ne dispose pas des éléments de fait ou de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées ( 13 ).

39.

La fonction confiée à la Cour dans le cadre de la procédure préjudicielle consiste, en effet, à contribuer à l’administration de la justice dans les États membres, et non à formuler des opinions consultatives sur des questions générales ou hypothétiques ( 14 ).

40.

Comme le signale le gouvernement français, j’estime que la première question préjudicielle est hypothétique, car la solution du litige au principal ne dépend pas de la réponse de la Cour à cette question.

41.

À cet égard, il ressort clairement de la décision de renvoi que M. Arslan ne remet nullement en cause la motivation de la décision de procéder à son éloignement administratif et de le placer en rétention à cette fin. Il invoque uniquement le fait que, à la date de la décision de prolonger sa rétention, était déjà présent, et ce indépendamment de sa qualité de demandeur d’asile, le motif imposant de mettre fin à cette rétention, puisqu’il n’y avait plus de perspective raisonnable de mettre à exécution la décision de son éloignement avant l’expiration du délai maximal de rétention prévu dans la législation nationale. Je relève que, selon la décision de renvoi, M. Arslan a même fait valoir devant les juridictions nationales qu’il convenait d’interpréter les dispositions nationales au regard du seul article 15 (paragraphes 1 et 4) de la directive «retour».

42.

En outre, il ressort aussi de la décision de renvoi déposée au greffe de la Cour le 20 octobre 2011 que, à cette date, la rétention de M. Arslan avait déjà pris fin «parce que les motifs de sa rétention avaient cessé d’exister». Il faut d’ailleurs noter que, le 27 juillet 2011, date de la cessation de la rétention de M. Arslan, la durée maximale de 180 jours de rétention, en application de l’article 125, paragraphe 1, de la loi relative au séjour des étrangers, était pratiquement atteinte.

43.

De surcroît, il ressort du dossier et de l’audience que M. Arslan s’est immédiatement enfui et a disparu dès la mainlevée de sa rétention, le 27 juillet 2011. Il n’a d’ailleurs pas participé à la présente procédure préjudicielle.

44.

Au vu du fait que le litige devant la juridiction de renvoi a pour objet un recours contre la décision de la défenderesse au principal du 25 mars 2011 de prolonger la rétention de M. Arslan et que, à la lumière des faits exposés aux points 42 et 43 des présentes conclusions, sa rétention a cessé, je considère que la réponse aux questions préjudicielles ne permettrait pas de dégager des éléments d’interprétation de droit de l’Union que la juridiction de renvoi pourrait utilement appliquer pour clôturer, en fonction de ce droit, le litige qui avait été introduit devant elle ( 15 ). Mon opinion est confirmée par le fait que la juridiction de renvoi a justifié sa demande de procédure accélérée par l’existence ou l’imminence d’un grand nombre de cas similaires.

45.

Par conséquent, j’estime que les questions préjudicielles posées par la juridiction de renvoi sont irrecevables.

46.

Toutefois, pour le cas où la Cour déciderait de répondre à ces questions, je soumets à la Cour les conclusions qui suivent sur la substance desdites questions.

B – Sur la substance des questions préjudicielles

1. Arguments

47.

Le gouvernement tchèque considère que, si la Cour a constaté dans son arrêt Kadzoev, précité, que la rétention à des fins d’éloignement et les mesures de rétention ordonnées à l’encontre d’un demandeur d’asile relèvent de régimes juridiques distincts, cet arrêt n’exclut toutefois pas que la personne placée en rétention dans le cadre du régime de la directive «retour» soit placée en rétention dans le cadre du même régime après l’introduction d’une demande d’asile.

48.

Étant donné que le placement d’un étranger en rétention à des fins d’éloignement doit être justifié par des motifs sérieux, le gouvernement tchèque estime qu’il serait porté gravement atteinte à la finalité de la directive «retour» si cette personne pouvait échapper au régime de cette directive et à la rétention ordonnée en application de ladite directive par le simple dépôt d’une demande d’asile. Dans un tel cas, l’introduction d’une demande d’asile équivaudrait à «une formule magique» grâce à laquelle une personne placée en rétention dans le cadre du régime de la directive «retour» pourrait facilement «ouvrir les portes» de la rétention.

49.

La République tchèque considère que les personnes placées en rétention, en application de la directive «retour», devraient continuer à relever de cette directive même après l’introduction d’une demande d’asile. Cela n’empêcherait pas ces personnes de relever également des dispositions matérielles et procédurales applicables aux demandeurs d’asile.

50.

Le gouvernement allemand estime qu’il ressort des articles 2, paragraphe 1, et 3, paragraphe 2, de la directive «retour» ainsi que de son considérant 9 que cette directive n’est pas applicable, pendant la durée de la procédure d’asile, aux ressortissants de pays tiers ayant introduit une demande d’asile. En effet, selon le gouvernement allemand, un ressortissant d’un pays tiers qui a introduit une demande de protection en application de la directive 2005/85 est autorisé à séjourner dans l’État membre en application de l’article 7, paragraphe 1, de cette directive.

51.

De l’avis du gouvernement allemand, il appartient aux États membres de déterminer à quelles conditions un demandeur d’asile peut être placé en rétention. Il estime que l’article 18 de la directive 2005/85 ne s’oppose pas au placement en rétention d’un ressortissant d’un pays tiers et la directive 2003/9 suppose également, à ses articles 2, sous k), 6, paragraphe 2, 13, paragraphe 2, et 14, paragraphe 8, que le demandeur d’asile puisse se trouver en rétention.

52.

Le gouvernement allemand considère que l’efficacité de la procédure de retour nécessite, dans certains cas, la possibilité de laisser en rétention les ressortissants de pays tiers qui ont été placés en rétention aux fins de leur retour ou de leur éloignement, même lorsque ces derniers introduisent une demande d’asile au cours de leur rétention. Selon ce gouvernement, le dépôt de demandes d’asile abusives serait encouragé si le dépôt de pareilles demandes entraînait obligatoirement la libération du ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier. Le gouvernement allemand relève que l’article 15 de la directive «retour» n’autorise le placement en rétention, à des fins de retour ou d’éloignement, qu’à des conditions strictes, à savoir pratiquement en tant que ultima ratio de la procédure de retour.

53.

Le gouvernement slovaque considère que l’objectif de la directive «retour» serait compromis s’il n’était pas possible de s’opposer à la fuite d’une personne en séjour irrégulier en la plaçant en rétention pour des motifs et sur le fondement de la directive «retour» même après une demande d’asile. Selon ce gouvernement, cela pourrait justifier de maintenir en rétention un ressortissant d’un pays tiers dans le cadre du régime de la directive «retour» après l’introduction une demande d’asile. Même dans l’hypothèse où cette conclusion ne devait pas s’appliquer, la République slovaque est d’avis qu’il est indispensable que les autorités compétentes disposent, après l’introduction d’une demande d’asile au cours de la rétention à des fins de retour, d’un délai approprié pour apprécier la possibilité de placer en rétention la personne concernée sur la base des directives en matière d’asile et du droit interne.

54.

Le gouvernement français considère qu’il appartient au législateur de l’Union d’assurer un juste équilibre entre le respect du principe de non-refoulement et les objectifs de prévention et de lutte renforcée contre l’immigration illégale.

55.

Le gouvernement français estime que le principe de non-refoulement est également mis en œuvre dans la directive «retour», notamment, à son article 2, interprété à la lumière de son considérant 9. Cependant, ce gouvernement est d’avis que l’article 2 de la directive «retour», lu à la lumière de l’ensemble de cette directive ainsi que des directives 2003/9 et 2005/85, doit être interprété en ce sens que la directive «retour» peut s’appliquer à des ressortissants d’un pays tiers en séjour irrégulier qui ont déposé une demande d’asile, à condition que les garanties conférées par le régime d’asile national conformément aux directives 2003/9 et 2005/85 soient respectées et que, si le respect du principe de non-refoulement l’exige, l’exécution de la décision d’éloignement soit reportée. En outre, la mise en rétention du demandeur d’asile ou le maintien de cette mise en rétention seraient subordonnés, d’une part, au respect du principe de proportionnalité, à la lumière de l’article 15, paragraphe 1, de la directive «retour», et, d’autre part, à l’existence d’une perspective raisonnable d’éloignement, en application de l’article 15, paragraphe 4, de cette directive.

56.

Le gouvernement suisse et la Commission considèrent que, en vertu de l’article 2, paragraphe 1, et du considérant 9 de la directive «retour», un demandeur d’asile ne relève plus de cette directive jusqu’à une décision négative définitive sur sa demande d’asile. Le gouvernement suisse et la Commission relèvent que, si un ressortissant d’un pays tiers qui est en détention sur le fondement de la directive «retour» introduit une demande d’asile, il y a lieu de mettre fin à la détention ordonnée sur la base de cette directive.

57.

Selon la Commission, le statut juridique de l’intéressé, en tant que demandeur d’asile, est alors essentiellement régi par les directives 2003/9 et 2005/85. Ce ne serait donc qu’en vertu de ces directives qu’un demandeur d’asile pourrait être placé en rétention. Elle estime, en outre, que la rétention de l’intéressé en tant que demandeur d’asile ne pourrait se poursuivre qu’à la condition que soit adoptée une nouvelle décision de placement en rétention, fondée alors sur les dispositions de la législation en matière d’asile autorisant la rétention des demandeurs d’asile.

2. Analyse

58.

Avant de répondre aux questions posées par la juridiction de renvoi, il convient de souligner, à titre liminaire, que le principe directeur de non-refoulement tel que consacré par l’article 33 de la convention de Genève s’applique non seulement à la directive 2005/85, mais également à la directive «retour».

59.

Bien que le législateur de l’Union ait adopté la directive «retour» afin de mettre en place une politique de lutte contre l’immigration illégale, le retour constituant un élément indispensable d’une politique migratoire bien gérée ( 16 ), la légitimité de la pratique du retour par les États membres des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier n’est reconnue que sous réserve du respect du régime d’asile et, en particulier, du principe de non-refoulement ( 17 ). En effet, selon l’article 5 de la directive «retour», lorsque les États membres mettent en œuvre cette directive, ils doivent respecter le principe de non-refoulement. En outre, en application de l’article 9 de la directive «retour», les États membres doivent reporter l’éloignement, notamment, dans le cas où il se ferait en violation du principe de non-refoulement ( 18 ).

60.

Quant à la rétention en application de l’article 15 de la directive «retour», il ressort du libellé de cette disposition que la rétention est de caractère exceptionnel et de dernier ressort. Elle ne peut être imposée que si d’autres mesures moins coercitives sont inadéquates et si certains critères très stricts sont et demeurent remplis ( 19 ). À cet égard, le ressortissant d’un pays tiers ne peut être placé en rétention que s’il «fait l’objet de procédures de retour afin de préparer le retour et/ou de procéder à l’éloignement», et qu’il présente «un risque de fuite», «évite ou empêche la préparation du retour» ou le bon déroulement «de la procédure d’éloignement». La rétention de l’intéressé doit être aussi brève que possible et ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise ( 20 ). La rétention doit être ordonnée par écrit par les autorités administratives ou judiciaires, en indiquant les motifs de fait et de droit. Lorsqu’il n’existe plus de perspective raisonnable d’éloignement avant l’expiration du délai maximal de rétention, la rétention ne se justifie plus et l’intéressé doit immédiatement être remis en liberté ( 21 ).

a) Sur la première question

61.

Par sa première question, la juridiction de renvoi interroge la Cour, en substance, sur le point de savoir si la directive «retour» peut encore s’appliquer à un ressortissant d’un pays tiers qui a introduit une demande d’asile.

62.

En vertu du libellé de l’article 2, paragraphe 1, de la directive «retour», cette directive ne s’applique qu’aux ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier sur le territoire d’un État membre. L’article 3, point 2, de la directive «retour» définit la notion de «séjour irrégulier» comme la présence sur le territoire d’un État membre d’un ressortissant d’un pays tiers qui ne remplit pas, ou ne remplit plus, les conditions d’entrée, de séjour ou de résidence dans cet État membre. Or, il ressort de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2005/85 ainsi que de son considérant 13 qu’un demandeur d’asile a le droit de rester dans l’État membre en attendant l’examen de sa demande, même s’il n’a pas droit à un titre de séjour.

63.

S’il est vrai que ce droit de rester n’est prévu à l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2005/85 qu’«aux seules fins de la procédure», il n’en reste pas moins que ce n’est qu’à des conditions très restrictives fixées au paragraphe 2 du même article que le droit de rester peut être limité par les États membres.

64.

L’intention du législateur de l’Union de soustraire, au moins temporairement, de l’application de la directive «retour» un demandeur d’asile résulte aussi clairement du considérant 9 de la directive «retour» qui prévoit que le ressortissant d’un pays tiers qui a demandé l’asile dans un État membre ne doit pas être considéré comme étant en séjour irrégulier sur le territoire de cet État membre avant qu’une décision négative sur sa demande ou une décision mettant fin à son droit de séjour en tant que demandeur d’asile soit entrée en vigueur ( 22 ). Par conséquent, la situation d’un ressortissant d’un pays tiers qui a introduit une demande d’asile n’est, en principe, régie que par le cadre réglementaire relatif au droit d’asile ( 23 ).

65.

Toutefois, et sans préjudice du respect du principe directeur de non-refoulement, des obligations découlant de la convention de Genève et, plus généralement, des droits fondamentaux ( 24 ), je considère que ma position devra être tempérée lorsqu’il existe des indices clairs et concordants d’instrumentalisation du cadre réglementaire relatif à l’octroi d’asile dans le but de rendre inopérante l’application de la directive «retour», au point de créer un abus du droit d’asile ( 25 ).

66.

Ce point sera examiné dans le cadre de la réponse à la seconde question.

67.

Au vu de ce qui précède, je suis d’avis que la réponse de la Cour à la première question devrait être que, sauf en cas d’abus de droit, la directive «retour» n’est plus applicable à un ressortissant d’un pays tiers qui a introduit une demande d’asile, et ce tant que la procédure relative à cette demande est en cours.

b) Sur la seconde question

68.

Par sa seconde question, à laquelle il me faut répondre puisque ma réponse à la première question est, en principe, affirmative, la juridiction de renvoi voudrait savoir s’il doit, dès lors, être mis fin à la rétention d’un ressortissant d’un pays tiers à des fins de retour lorsque ce dernier introduit une demande d’asile et qu’il n’existe pas d’autres motifs pour prolonger cette rétention ( 26 ).

69.

Je considère qu’il découle directement de ma réponse à la première question que, en l’absence d’abus de droit, il doit être mis fin à la rétention d’un ressortissant d’un pays tiers en application des dispositions de la directive «retour», lorsque ce dernier introduit une demande d’asile, et ce tant que la procédure relative à cette demande est en cours. La directive «retour» n’est plus d’application, au moins temporairement, dans ce cas de figure. En outre, il ressort de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/9 que les demandeurs d’asile peuvent, en principe, circuler librement sur le territoire de l’État membre d’accueil ou à l’intérieur d’une zone qui leur est fixée par cet État membre.

70.

Avant d’aborder la question de l’abus de droit, se pose alors celle de savoir si un ressortissant d’un pays tiers ayant introduit une demande d’asile peut être placé ou maintenu en rétention en application d’autres dispositions juridiques, à savoir le cadre réglementaire relatif à l’asile.

71.

S’il est vrai que la situation de l’intéressé n’est plus en principe régie par la directive «retour», mais est régie par les dispositions en matière d’asile, il ressort de l’article 7, paragraphe 3, de la directive 2003/9 que les États membres peuvent obliger un demandeur d’asile à demeurer dans un lieu déterminé conformément à leur droit national, lorsque cela s’avère nécessaire, par exemple pour des raisons juridiques ou d’ordre public ( 27 ). Il est manifeste que cette disposition n’impose pas aux États membres l’adoption des règles nationales relatives à la mise en rétention des demandeurs d’asile, mais leur laisse la possibilité d’adopter des règles à cet égard. En outre, en dépit d’une référence générale aux «raisons juridiques ou d’ordre public», il n’y a pas d’harmonisation quant aux critères spécifiques pour mettre en rétention un demandeur d’asile.

72.

Il s’ensuit que le demandeur d’asile ne peut être mis en rétention que si le droit national en matière d’asile prévoit cette possibilité ( 28 ) et en définit les conditions. Cela étant dit, aux termes de l’article 18, paragraphe 1, de la directive 2005/85, les États membres ne peuvent placer une personne en rétention au seul motif qu’elle demande l’asile et, conformément au paragraphe 2 de ce même article, lorsqu’un demandeur d’asile est placé en rétention, les États membres doivent prévoir la possibilité d’un contrôle juridictionnel rapide.

73.

S’il est constant que la rétention à des fins d’éloignement régie par la directive «retour» et la rétention ordonnée à l’encontre d’un demandeur d’asile relèvent de régimes juridiques distincts ( 29 ), je considère que, afin de ne pas rendre inopérantes les dispositions nationales adoptées en conformité avec l’article 7, paragraphe 3, de la directive 2003/9 et à l’instar du raisonnement de la Cour dans son arrêt Achughbabian ( 30 ), les autorités nationales doivent disposer d’un bref délai, limité à ce qui est strictement nécessaire, pour adopter une décision de rétention de l’intéressé basée sur les dispositions nationales en matière d’asile ( 31 ), avant de mettre fin à sa rétention en application de la directive «retour».

74.

Il me reste à analyser la question de l’éventuel abus de droit.

75.

Il résulte de la jurisprudence de la Cour que les justiciables ne sauraient se prévaloir, frauduleusement ou abusivement, des normes du droit de l’Union et que les juridictions nationales peuvent, au cas par cas, en se fondant sur des éléments objectifs, tenir compte du comportement abusif ou frauduleux des personnes concernées pour leur refuser, le cas échéant, le bénéfice des dispositions dudit droit. Toutefois, lesdites juridictions sont tenues, dans l’appréciation d’un tel comportement, de prendre en considération les objectifs poursuivis par les dispositions du droit de l’Union en cause ( 32 ).

76.

La constatation qu’il s’agit d’une pratique abusive nécessite, d’une part, un ensemble de circonstances objectives d’où il résulte que, malgré un respect formel des conditions prévues par la réglementation de l’Union, l’objectif poursuivi par cette réglementation n’a pas été atteint. Elle requiert, d’autre part, un élément subjectif consistant en la volonté d’obtenir un avantage résultant de la réglementation de l’Union en créant artificiellement les conditions requises pour son obtention. C’est à la juridiction nationale qu’il incombe d’établir l’existence de ces deux éléments, dont la preuve doit être rapportée conformément aux règles du droit national, pour autant qu’il ne soit pas porté atteinte à l’efficacité du droit de l’Union ( 33 ).

77.

Selon le considérant 1 de la directive 2005/85, la politique commune dans le domaine de l’asile a été instaurée pour ceux qui, poussés par les circonstances, recherchent «légitimement» une protection dans l’Union ( 34 ). Il est manifeste qu’une simple demande d’asile d’un ressortissant d’un pays tiers mis en rétention, sur la base de la directive «retour», ne saurait, à elle seule, faire naître une présomption d’abus du droit d’asile, et ce malgré le fait que cette rétention est elle-même exceptionnelle et assujettie à des critères très stricts ( 35 ). Puisque est en cause la liberté ( 36 ) de l’intéressé, les circonstances individuelles et spécifiques de chaque cas doivent être scrupuleusement examinées en détail par les juridictions nationales, afin de faire une différenciation entre «le fait de profiter d’une possibilité offerte par la loi et celui de commettre un abus de droit ( 37 )».

78.

S’agissant de cet examen, la juridiction de renvoi pourrait, notamment, prendre en considération, dans le présent dossier, les éléments suivants:

les précédentes entrées irrégulières de M. Arslan sur le territoire de plusieurs États membres sans qu’il y soit fait mention d’une demande d’asile;

le fait que l’intéressé ait clairement indiqué que, en demandant l’asile, son intention était de faire cesser sa rétention en démontrant que, par l’utilisation de tous les recours suspensifs que pourrait lui offrir la procédure de demande d’asile, sa rétention irait nécessairement au-delà du délai maximal autorisé par le droit national, ce qui annihilait dès le départ toute perspective raisonnable d’aboutissement de la procédure d’éloignement, et

le fait que, après sa libération, M. Arslan ait immédiatement disparu et, ce qui peut être déduit des observations faites lors de l’audience par le gouvernement tchèque, qu’il n’ait pas poursuivi la procédure de demande d’asile.

79.

En cas d’abus du droit d’asile, si l’intéressé peut être maintenu en rétention en application de la directive «retour» et si les préparatifs pour son éloignement peuvent continuer, c’est aux conditions strictes que l’éloignement ne soit pas exécuté tant que la procédure d’asile n’est pas clôturée, que le principe de non-refoulement s’applique dans toute sa rigueur et que la demande d’asile soit examinée et traitée selon toutes les règles imposées, notamment par la directive 2005/85 en respectant toutes les garanties accordées aux demandeurs d’asile à cet égard. Cela implique, également, que le maintien en rétention sur la base de la directive «retour» doive respecter toutes les garanties prévues aux articles 15 à 18 de cette directive, y compris en ce qui concerne la durée maximale de rétention ( 38 ).

80.

Je relève également que les États membres disposent de la faculté d’appliquer une procédure accélérée ou prioritaire aux demandes d’asile, en application de l’article 23, paragraphe 4, de la directive 2005/85 si certaines conditions sont réunies ( 39 ).

81.

Au vu de ce qui précède, je suggère à la Cour de donner à la seconde question préjudicielle la réponse suivante:

il doit être mis fin à la rétention d’un ressortissant d’un pays tiers fondée sur les dispositions de la directive «retour», dès que ce dernier introduit une demande d’asile, et ce tant que la procédure relative à cette demande est en cours;

l’article 7, paragraphe 3, de la directive 2003/9 permet à un État membre de prévoir, dans son droit national en matière d’asile, la possibilité, sous certaines conditions, d’obliger un demandeur d’asile à demeurer dans un lieu déterminé, lorsque cela s’avère nécessaire, par exemple pour des raisons juridiques ou d’ordre public. Dans cette hypothèse, l’autorité nationale dispose d’un bref délai, limité à ce qui est strictement nécessaire, pour adopter une décision de rétention basée sur les dispositions nationales en matière d’asile avant de mettre fin à la rétention de l’intéressé fondée sur la directive «retour», et

en cas d’abus du droit d’asile, c’est-à-dire lorsqu’il existe des indices clairs et concordants d’instrumentalisation du cadre réglementaire relatif à l’octroi de l’asile dans le but de rendre inopérante l’application de la directive «retour», l’intéressé peut être maintenu en rétention en application de cette directive et tous les préparatifs pour son éloignement poursuivis, pour autant que l’éloignement ne soit pas exécuté tant que la procédure d’asile n’est pas clôturée, que le principe de non-refoulement s’applique dans toute sa rigueur et que la demande d’asile soit examinée et traitée selon toutes les règles imposées, notamment par la directive 2005/85 en respectant toutes les garanties accordées aux demandeurs d’asile à cet égard. Cela implique également que le maintien en rétention, sur la base de la directive «retour», doive respecter toutes les garanties prévues aux articles 15 à 18 de cette directive, y compris en ce qui concerne la durée maximale de rétention.

VI – Conclusion

82.

Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose que la Cour réponde aux questions préjudicielles posées par le Nejvyšší správní soud que:

à l’exception des cas d’abus de droit, la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, n’est plus applicable à un ressortissant d’un pays tiers qui a introduit une demande d’asile tant que la procédure relative à cette demande est en cours. Il doit donc être mis fin à la rétention d’un ressortissant d’un pays tiers fondée sur les dispositions de la directive 2008/115 dès que ce dernier introduit une demande d’asile, et ce tant que la procédure relative à cette demande est en cours,

l’article 7, paragraphe 3, de la directive 2003/9/CE du Conseil, du 27 janvier 2003, relative à des normes minimales pour l’accueil des demandeurs d’asile dans les États membres, permet à un État membre de prévoir, dans son droit national en matière d’asile, la possibilité, sous certaines conditions, d’obliger un demandeur d’asile à demeurer dans un lieu déterminé, lorsque cela s’avère nécessaire, par exemple pour des raisons juridiques ou d’ordre public. Dans cette hypothèse, l’autorité nationale dispose d’un bref délai, limité à ce qui est strictement nécessaire, pour adopter une décision de rétention basée sur les dispositions nationales en matière d’asile avant de mettre fin à la rétention de l’intéressé fondée sur la directive 2008/115, et

en cas d’abus du droit d’asile, c’est-à-dire lorsqu’il existe des indices clairs et concordants d’instrumentalisation du cadre réglementaire relatif à l’octroi de l’asile dans le but de rendre inopérante l’application de la directive 2008/115, l’intéressé peut être maintenu en rétention en application de cette directive et tous les préparatifs pour son éloignement poursuivis, pour autant que l’éloignement ne soit pas exécuté tant que la procédure d’asile n’est pas clôturée, que le principe de non-refoulement s’applique dans toute sa rigueur et que la demande d’asile soit examinée et traitée selon toutes les règles imposées, notamment, par la directive 2005/85/CE du Conseil, du 1er décembre 2005, relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres, en respectant toutes les garanties accordées aux demandeurs d’asile à cet égard. Cela implique également que le maintien en rétention sur la base de la directive 2008/115 doive respecter toutes les garanties prévues aux articles 15 à 18 de cette directive, y compris en ce qui concerne la durée maximale de rétention.


( 1 ) Langue originale: le français.

( 2 ) JO L 348, p. 98.

( 3 ) JO L 326, p. 13, et rectificatif JO 2006, L 236, p. 36.

( 4 ) Selon l’article 2, sous b), de la directive 2005/85, on entend par «demande» ou «demande d’asile»«la demande introduite par un ressortissant d’un pays tiers ou un apatride et pouvant être considérée comme une demande de protection internationale de la part d’un État membre en vertu de la [convention relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 [Recueil des traités des Nations unies, vol. 189, p. 150, no 2545 (1954)], entrée en vigueur le 22 avril 1954 et complétée par le protocole relatif au statut des réfugiés, conclu à New York le 31 janvier 1967, lui-même entré en vigueur le 4 octobre 1967 (ci-après la ‘convention de Genève’)]. Toute demande de protection internationale est présumée être une demande d’asile, à moins que la personne concernée ne sollicite explicitement un autre type de protection pouvant faire l’objet d’une demande séparée». Dans les présentes conclusions, j’utiliserai les termes «demande d’asile» et «demandeur d’asile». Voir, également, l’article 2, sous b), de la directive 2003/9/CE du Conseil, du 27 janvier 2003, relative à des normes minimales pour l’accueil des demandeurs d’asile dans les États membres (JO L 31, p. 18).

( 5 ) Ledit article 33, intitulé «Défense d’expulsion et de refoulement», prévoit, à son paragraphe 1, qu’«[a]ucun des États contractants n’expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques».

( 6 ) Directive du Conseil du 29 avril 2004 concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d’autres raisons, ont besoin d’une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts (JO L 304, p. 12).

( 7 ) L’article 125, paragraphe 2, de ladite loi détermine les exceptions permettant de dépasser ce délai. Selon la juridiction de renvoi, ces exceptions ne sont pas applicables à M. Arslan.

( 8 ) L’article 5, intitulé «Droit à la liberté et à la sûreté», prévoit que «[...] toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales […]».

( 9 ) Cette phrase ressort de la décision de renvoi et vise le point a) du paragraphe 1 de l’article 127 de la loi relative au séjour des étrangers (voir point 20 des présentes conclusions).

( 10 ) Voir article 15, paragraphe 1, de la directive «retour».

( 11 ) Arrêt du 30 novembre 2009 (C-357/09 PPU, Rec. p. I-11189).

( 12 ) Voir arrêt du 8 novembre 1990, Gmurzynska-Bscher (C-231/89, Rec. p. I-4003, point 20).

( 13 ) Voir, notamment, arrêts du 13 mars 2001, PreussenElektra (C-379/98, Rec. p. I-2099, point 39); du 15 juin 2006, Acereda Herrera (C-466/04, Rec. p. I-5341, point 48), ainsi que du 5 décembre 2006, Cipolla e.a. (C-94/04 et C-202/04, Rec. p. I-11421, point 25).

( 14 ) Voir, notamment, arrêts du 12 juin 2003, Schmidberger (C-112/00, Rec. p. I-5659, point 32), et du 8 septembre 2009, Budějovický Budvar (C-478/07, Rec. p. I-7721, point 64).

( 15 ) Voir, en ce sens, arrêt du 16 septembre 1982, Vlaeminck (132/81, Rec. p. 2953, point 13).

( 16 ) Voir le considérant 4 de la directive «retour». En effet, selon les articles 6 et 8 de la directive «retour», et sauf dans quelques cas d’exceptions énumérés dans cette directive, les États membres doivent prendre une décision de retour à l’encontre de tout ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier sur leur territoire et toutes les mesures nécessaires pour exécuter la décision de retour. Voir, en ce sens, le point 59 de l’arrêt du 28 avril 2011, El Dridi, C-61/11 PPU, Rec. p. I-3015, où la Cour a dit pour droit que l’objectif poursuivi par la directive «retour» était l’instauration d’une politique efficace d’éloignement et de rapatriement des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier.

( 17 ) Voir le considérant 8 de la directive «retour».

( 18 ) Voir aussi le considérant 23 de la directive «retour» qui dispose que «[l]’application de la [directive ‘retour’] ne porte pas préjudice aux obligations découlant de la convention de Genève […]».

( 19 ) Je considère que la rétention en application de la directive «retour» est en outre strictement régie par le principe de proportionnalité. Selon le considérant 16 de la directive «retour», «[l]e recours à la rétention aux fins d’éloignement devrait être limité et subordonné au respect du principe de proportionnalité en ce qui concerne les moyens utilisés et les objectifs poursuivis. La rétention n’est justifiée que pour préparer le retour ou procéder à l’éloignement et si l’application de mesures moins coercitives ne suffi[s]ait pas».

( 20 ) Selon l’article 15, paragraphes 5 et 6, de la directive «retour», la rétention ne peut pas dépasser six mois avec la possibilité d’une prolongation n’excédant pas douze mois supplémentaires, lorsqu’il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’intéressé ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires. Rappelons que le législateur tchèque a limité à 180 jours la durée maximale de la rétention (sous réserve de ce qui est dit à la note en bas de page 7 au sujet des exceptions permettant de dépasser ce délai).

( 21 ) En cas de rétention ordonnée par les autorités administratives, les États membres doivent prévoir la possibilité d’un contrôle juridictionnel accéléré de la légalité de la rétention. L’intéressé doit être immédiatement remis en liberté si la rétention n’est pas légale. Voir l’article 15, paragraphe 2, de la directive «retour».

( 22 ) Je relève que, au point 82 de sa prise de position dans l’affaire Kadzoev, précitée, l’avocat général Mazák a considéré «qu’un ressortissant d’un pays tiers ayant demandé asile n’entre pas – ou, selon le cas, n’entre plus – dans le champ d’application de la directive ‘retour’ tant que se déroule la procédure d’examen de sa demande d’asile».

( 23 ) Voir, en ce sens, la prise de position de l’avocat général Mazák dans l’affaire Kadzoev, précitée (point 84).

( 24 ) Voir les considérants 23 et 24 de la directive «retour».

( 25 ) À cet égard, je relève que, lors d’une réunion de travail tenue au sein du Conseil de l’Union européenne le 24 novembre 2011, au sujet de la proposition modifiée de directive du Parlement européen et du Conseil établissant des normes pour l’accueil des demandeurs d’asile [COM(2011) 320 final], il a été proposé de modifier l’article 8, paragraphe 3, de cette proposition en ajoutant une disposition prévoyant la mise en rétention d’un demandeur d’asile lorsque celui-ci est déjà retenu sur la base de la directive «retour», afin de préparer son éloignement et/ou de poursuivre la procédure d’éloignement, et que sa demande d’asile a uniquement pour but de retarder ou de frustrer l’exécution de la décision de retour. Je constate, toutefois, que cette suggestion ne figure pas dans le texte actuel de la proposition datée du 1er juin 2011, ni a fortiori dans le droit positif.

( 26 ) Un ressortissant d’un État tiers en séjour irrégulier ayant introduit une demande d’asile pourrait éventuellement être retenu en application, par exemple, de dispositions pénales nationales, s’il est soupçonné d’avoir commis ou a commis un délit (voir arrêt El Dridi, précité, points 53 à 55 et jurisprudence citée).

( 27 ) Voir arrêt Kadzoev, précité (point 42). Il convient de remarquer que, selon l’article 2, sous k), de la directive 2003/9, la «rétention» est définie comme «toute mesure d’isolement d’un demandeur d’asile par un État membre dans un lieu déterminé, où le demandeur d’asile est privé de sa liberté de mouvement». Toutefois, même si l’on se trouve toujours face à une privation de liberté, «la rétention à des fins d’éloignement régie par la directive [‘retour’] et la rétention ordonnée à l’encontre d’un demandeur d’asile, notamment en vertu des directives 2003/9 et 2005/85 et des dispositions nationales applicables, relèvent de régimes juridiques distincts» (voir arrêt Kadzoev, précité, point 45). En outre, «la période durant laquelle une personne a été placée en centre de placement provisoire sur le fondement d’une décision prise au titre des dispositions nationales et communautaires relatives aux demandeurs d’asile ne doit pas être considérée comme une rétention aux fins d’éloignement au sens de l’article 15 de la directive [‘retour’]» (voir arrêt Kadzoev, précité, point 48).

( 28 ) En l’absence de dispositions nationales, ce qui semble être le cas en République tchèque, un État membre ne peut pas s’appuyer directement sur l’article 7, paragraphe 3, de la directive 2003/9 pour retenir un demandeur d’asile. Voir, par analogie, arrêt du 5 juillet 2007, Kofoed (C-321/05, Rec. p. I-5795, points 42 et 45).

( 29 ) Voir arrêt Kadzoev, précité (point 45).

( 30 ) Arrêt du 6 décembre 2011 (C-329/11, Rec. p. I-12695, points 30 et 31).

( 31 ) Adoptées en conformité avec l’article 7, paragraphe 3, de la directive 2003/9.

( 32 ) Voir arrêts du 9 mars 1999, Centros (C-212/97, Rec. p. I-1459, points 24 et 25), ainsi que du 21 novembre 2002, X et Y (C-436/00, Rec. p. I-10829, point 42).

( 33 ) Voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 14 décembre 2000, Emsland-Stärke (C-110/99, Rec. p. I-11569, points 52 à 54).

( 34 ) Le règlement (CE) no 343/2003 du Conseil, du 18 février 2003, établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des États membres par un ressortissant d’un pays tiers (JO L 50, p. 1), ainsi que les directives 2003/9 et 2004/83 également «font référence, à leur considérant 1, au fait qu’une politique commune en matière d’asile, incluant un régime d’asile européen commun, est un élément constitutif de l’objectif de l’Union visant à mettre en place progressivement un espace de liberté, de sécurité et de justice ouvert à ceux qui, poussés par les circonstances, recherchent légitimement une protection dans la Communauté» (c’est moi qui souligne). Voir arrêt du 21 décembre 2011, N. S. e.a. (C-411/10 et C-493/10, Rec. p. I-13905, point 14).

( 35 ) Voir point 60 des présentes conclusions.

( 36 ) La possibilité pour un État de mettre en rétention, sous certaines conditions, un demandeur d’asile a été reconnue par la Cour européenne des droits de l’homme dans son arrêt Saadi c. Royaume-Uni du 29 janvier 2008. Dans cette affaire, la grande chambre de ladite Cour a interprété, notamment, l’article 5, paragraphe 1, sous f), première partie, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui prévoit une exception au droit à la liberté «s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire […]».

( 37 ) Voir point 127 des conclusions de l’avocat général Sharpston dans l’affaire Commission/Pays-Bas (arrêt du 14 juin 2012, C‑542/09). Voir, également, les conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire Kofoed, précitée (point 58).

( 38 ) Voir l’article 15, paragraphes 5 et 6, de la directive «retour» relatif à la durée maximale de rétention, ainsi que le point 57 de l’arrêt Kadzoev, précité, où la Cour a interprété strictement ces dispositions et a dit pour droit que «l’article 15, paragraphes 5 et 6, de la directive [‘retour’] doit être interprété en ce sens que la période pendant laquelle l’exécution de l’arrêté de reconduite forcée à la frontière a été suspendue en raison d’une procédure de recours juridictionnel introduite par l’intéressé contre cet arrêté est prise en compte pour le calcul de la période de rétention aux fins d’éloignement lorsque, pendant la durée de cette procédure, l’intéressé a continué à séjourner dans un centre de placement provisoire». Les États membres ont la faculté d’adopter des dispositions plus favorables relatives à la durée maximale de rétention. Voir, en ce sens, les articles 4 ainsi que 15, paragraphes 5 et 6, de la directive «retour». Rappelons qu’il ressort du dossier pendant devant la Cour que la République tchèque n’a pas utilisé la possibilité offerte par l’article 15, paragraphes 5 et 6, de la directive «retour» de prévoir 18 mois de durée maximale de rétention, mais a prévu une durée plus courte, à savoir un total de 180 jours au maximum.

( 39 ) Quant aux circonstances en cause dans l’affaire au principal, je considère que, dans des cas similaires, les termes de l’article 23, paragraphe 4, sous g), j) et l), de la directive 2005/85 pourraient éventuellement être invoqués par les autorités nationales pour appliquer une procédure accélérée ou prioritaire aux demandes d’asile.