CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. NIILO JÄÄSKINEN
présentées le 14 juin 2012 ( 1 )
Affaire C‑56/11
Raiffeisen Waren-Zentrale Rhein-Main eG
contre
Saatgut-Treuhandverwaltungs GmbH
[demande de décision préjudicielle formée par l’Oberlandesgericht Düsseldorf (Allemagne)]
«Protection communautaire des obtentions végétales — Règlement (CE) no 2100/94 — Article 14 — Privilège des agriculteurs — Règlement (CE) no 1768/95 — Article 9 — Prestataire d’opérations de triage à façon — Obligation d’information pesant sur ledit prestataire à l’égard du titulaire d’une obtention végétale — Portée temporelle de cette obligation — Demande d’information présentée par le titulaire d’une obtention végétale — Conditions — Indices donnant naissance au droit d’information du titulaire — Absence d’obligation de présenter des preuves justificatives de l’existence de tels indices»
I – Introduction
1. |
Par sa demande de décision préjudicielle, l’Oberlandesgericht Düsseldorf (Allemagne) s’interroge sur l’interprétation de l’article 14, paragraphe 3, du règlement (CE) no 2100/94 ( 2 ) (ci-après le «règlement de base»), instituant un régime de protection communautaire des obtentions végétales, ainsi que de l’article 9, paragraphe 3, du règlement (CE) no 1768/95 ( 3 ) (ci-après le «règlement d’application»), établissant les modalités d’application de la dérogation prévue à l’article 14, paragraphe 3, du règlement de base. |
2. |
Les questions préjudicielles ont été posées dans le cadre d’un litige opposant une société coopérative dénommée Raiffeisen Waren-Zentrale Rhein-Main eG (ci-après «Raiffeisen»), qui est un prestataire d’opérations de triage à façon, à une autre société, Saatgut-Treuhandverwaltungs GmbH (ci-après la «STV»), organisme représentant les intérêts des titulaires des obtentions végétales ( 4 ). Le litige concerne une demande d’information présentée par la STV à Raiffeisen en vertu de l’article 14, paragraphe 3, sixième tiret, du règlement de base et de l’article 9, paragraphes 2 et 3, du règlement d’application, en vue d’obtenir des informations sur certaines campagnes de commercialisation de semences certifiées. |
3. |
Les questions préjudicielles font apparaître la relation triangulaire existant entre les titulaires des obtentions végétales protégées, les agriculteurs qui font usage de la dérogation prévue à l’article 14 du règlement de base – également connue sous le nom de «privilège des agriculteurs» – et les entreprises de traitement de semences auxquelles les titulaires peuvent présenter, dans le cadre du système établi par le privilège des agriculteurs, des demandes d’information relatives aux variétés qui appartiennent aux titulaires et qui font l’objet d’opérations de triage à façon. |
4. |
Il s’agit là d’une demande de décision préjudicielle qui s’inscrit dans une série de demandes préjudicielles introduites par des juridictions allemandes au sujet de l’interprétation du règlement de base et du règlement d’application ( 5 ). La présente demande concerne plus précisément, d’une part, la portée temporelle de l’obligation d’information pesant sur le prestataire d’opérations de triage à façon à l’égard du titulaire d’une obtention végétale et, d’autre part, sur les conditions que doit satisfaire une demande d’information présentée par le titulaire au prestataire d’opérations de triage à façon. |
II – Le cadre juridique
A – Le règlement de base
5. |
Selon l’article 11, paragraphe 1, du règlement de base, le droit à la protection communautaire des obtentions végétales appartient à l’obtenteur, défini comme étant «[l]a personne qui a créé ou qui a découvert et développé la variété, ou son ayant droit ou ayant cause». |
6. |
Sous l’intitulé «Droits du titulaire d’une protection communautaire des obtentions végétales et limitations», l’article 13 du règlement de base dispose: «1. La protection communautaire des obtentions végétales a pour effet de réserver à son ou ses titulaires, ci-après dénommés ‘titulaire’, le droit d’accomplir les actes indiqués au paragraphe 2. 2. Sans préjudice des articles 15 et 16, l’autorisation du titulaire est requise pour les actes suivants en ce qui concerne les constituants variétaux ou le matériel de récolte de la variété protégée, ci-après dénommés ‘matériel’:
[…] Le titulaire peut subordonner son autorisation à des conditions et à des limitations. […]» |
7. |
Le privilège des agriculteurs est prévu à l’article 14, paragraphe 1, du règlement de base dans les termes suivants: «Nonobstant l’article 13 paragraphe 2, et afin de sauvegarder la production agricole, les agriculteurs sont autorisés à utiliser, à des fins de multiplication en plein air dans leur propre exploitation, le produit de la récolte obtenu par la mise en culture, dans leur propre exploitation, de matériel de multiplication d’une variété bénéficiant d’une protection communautaire des obtentions végétales autre qu’une variété hybride ou synthétique.» |
8. |
Les conditions permettant de donner effet au privilège des agriculteurs et de sauvegarder les intérêts légitimes de l’obtenteur et de l’agriculteur sont régies par l’article 14, paragraphe 3, dudit règlement. Ledit paragraphe dispose, notamment, à ses deuxième et sixième tirets:
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B – Le règlement d’application
9. |
L’article 2 du règlement d’application est rédigé comme suit: «1. Les conditions visées à l’article 1er sont mises en œuvre, tant par le titulaire représentant l’obtenteur que par l’agriculteur, de façon à sauvegarder leurs intérêts légitimes réciproques. 2. Les intérêts légitimes ne seront pas considérés comme sauvegardés si un ou plusieurs de ces intérêts sont compromis sans qu’il soit tenu compte de la nécessité de préserver un équilibre raisonnable entre tous ces intérêts ou de la proportionnalité nécessaire entre le but de la condition visée et l’effet réel de sa mise en œuvre.» |
10. |
L’article 9, paragraphes 2 et 3, dudit règlement concerne les informations qu’il appartient au prestataire d’opérations de triage à façon de fournir au titulaire de l’obtention végétale si aucun contrat relatif à ces informations n’a été conclu entre le titulaire et le prestataire: «2. […] le prestataire, sans préjudice des obligations d’information applicables au titre de la législation communautaire ou de la législation des États membres, est tenu de communiquer au titulaire, à la demande de celui-ci, une déclaration relative aux informations utiles. Il est utile de préciser les points suivants:
3. Les informations visées au paragraphe 2 points b), c), d) et e) se rapportent à la campagne de commercialisation en cours et à l’une ou plusieurs des [trois] [ ( 6 )] campagnes précédentes pour lesquelles le titulaire n’a pas encore présenté de demande conformément aux dispositions du paragraphe 4 ou 5; toutefois, la première campagne à laquelle ces informations se rapportent est celle au cours de laquelle a été présentée la première demande relative à la ou aux variétés et au prestataire d’opérations de triage à façon concernés. 4. Les dispositions de l’article 8 paragraphe 4 s’appliquent mutatis mutandis. […]» |
III – Le litige au principal, les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour
11. |
Raiffeisen est une coopérative centrale agricole qui propose aux agriculteurs de réaliser des opérations de triage à façon de semences par lesquelles elle procède au conditionnement du produit d’une récolte en vue de son stockage et de sa mise en culture future. |
12. |
Lesdits services sont proposés, d’une part, aux titulaires d’obtentions végétales, représentés notamment par la STV, une organisation de titulaires d’obtentions végétales, qui ont fait procéder, dans le cadre de mises en culture contractuelles, à la multiplication de semences certifiées en vue de leur commercialisation et, d’autre part, aux agriculteurs qui procèdent à la mise en culture de semences en vertu du privilège des agriculteurs prévu à l’article 14, paragraphe 3, du règlement de base. |
13. |
Il ressort de la décision de renvoi que Raiffeisen a réalisé pour le compte de différents agriculteurs des opérations de triage pour les campagnes de commercialisation 2005/2006 et 2006/2007, dans le cadre de mises en culture contractuelles pour le compte des titulaires des obtentions végétales représentés par la STV. |
14. |
À la suite des déclarations de mise en culture contractuelle que lui ont fait parvenir les agriculteurs concernés, la STV a adressé deux séries de demandes d’information à Raiffeisen au sujet des opérations de triage auxquelles celle-ci a procédé. Une partie des demandes a été présentée après l’expiration de la campagne de commercialisation concernée. |
15. |
Raiffeisen n’a pas répondu favorablement à ces demandes en invoquant, à cet égard, trois séries de motifs pour justifier son refus. Premièrement, elle a considéré que la demande d’information devait contenir les éléments indiquant qu’elle aurait procédé à des opérations de triage relevant de l’obligation d’information visée à l’article 14, paragraphe 3, sixième tiret, du règlement de base. Deuxièmement, elle a estimé que seules les demandes d’information introduites pendant la campagne à laquelle les informations se rapportent étaient juridiquement pertinentes. Troisièmement, aucun indice d’une éventuelle mise en culture des semences ne saurait être déduit des opérations de triage à façon qui ont eu lieu dans le cadre d’une mise en culture contractuelle pour le compte du titulaire. |
16. |
La STV a formé un recours contre Raiffeisen afin de faire aboutir lesdites demandes d’information. La juridiction de première instance a accueilli les demandes d’information de la STV en considérant, d’une part, qu’aucun délai de forclusion ne s’appliquait à l’introduction des demandes d’information et, d’autre part, que les déclarations de mise en culture contractuelle constituaient des indices suffisants pour déclencher l’obligation d’information pesant sur le prestataire, dans la mesure où l’agriculteur qui procède à une mise en culture sur le fondement d’un contrat de multiplication dispose de la possibilité concrète d’effectuer une mise en culture des semences de ferme. Raiffeisen a interjeté appel de ce jugement devant l’Oberlandesgericht Düsseldorf. |
17. |
Dans ce contexte, par décision parvenue à la Cour le 8 février 2011, l’Oberlandesgericht Düsseldorf a décidé de surseoir à statuer et de saisir la Cour des questions préjudicielles suivantes:
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18. |
Des observations écrites ont été présentées par les parties au principal ainsi que par le gouvernement espagnol et la Commission européenne. Les parties au principal et la Commission étaient représentées à l’audience du 15 mars 2012. |
IV – Analyse
A – Remarques liminaires
19. |
Tout d’abord, il est utile de mettre en exergue les éléments clés du système qui sous-tend le privilège des agriculteurs. Selon la jurisprudence de la Cour, l’article 14 du règlement de base établit un équilibre entre, d’une part, les intérêts des titulaires d’une protection des obtentions végétales et, d’autre part, ceux des agriculteurs. |
20. |
Le privilège des agriculteurs, qui s’entend du droit des agriculteurs de mettre en culture, sans l’autorisation préalable du titulaire, le produit de la récolte obtenu par la mise en culture du matériel de multiplication d’une variété affectée par ledit privilège, se double, en effet, d’une obligation d’information pesant sur lesdits agriculteurs et d’un devoir de payer une rémunération équitable au titulaire d’une obtention végétale, ce qui permet de sauvegarder les intérêts légitimes réciproques des agriculteurs et des titulaires dans leurs relations directes ( 7 ). |
21. |
En ce qui concerne, ensuite, le rôle du prestataire d’opérations de triage à façon, l’article 14, paragraphe 3, deuxième tiret, du règlement de base prévoit que le produit de la récolte peut être préparé en vue de la mise en culture par l’agriculteur ou par un prestataire de services. Le droit dudit prestataire d’effectuer des opérations liées à la préparation du produit de la récolte est ainsi dérivé du privilège des agriculteurs ( 8 ). L’obligation d’information pesant sur les prestataires d’opérations de triage à façon, comme Raiffeisen en l’espèce, à l’égard du titulaire se fonde sur l’article 14, paragraphe 3, sixième tiret, du règlement de base. La portée et les modalités de ladite obligation sont précisées à l’article 9 du règlement d’application. |
22. |
Aux fins de l’examen des questions préjudicielles, il convient donc de garder à l’esprit l’exigence d’équilibre qui sous-tend ainsi le régime établi par l’article 14 du règlement de base ainsi que le règlement d’application. |
B – Sur la portée temporelle de l’obligation d’information
23. |
La Cour a déjà eu l’occasion de s’exprimer sur la portée de l’obligation d’information des prestataires d’opérations de triage à façon. Selon elle, le titulaire doit être autorisé à présenter une demande d’information à un prestataire d’opérations de triage à façon concernant une de ses variétés affectées par le privilège des agriculteurs dès que ce titulaire dispose d’un indice de ce que le prestataire a effectué ou prévoit d’effectuer des opérations de triage à façon du produit de la récolte obtenu par la mise en culture de matériel de multiplication de ladite variété en vue de sa mise en culture ( 9 ). |
24. |
Toutefois, la Cour ne s’est pas exprimée sur les aspects temporels de l’obligation d’information pesant sur le prestataire visés à l’article 9, paragraphe 3, du règlement d’application, et qui font l’objet de la présente affaire. |
1. La période couverte par la demande
25. |
Je rappellerai, tout d’abord, que l’article 9, paragraphe 2, du règlement d’application précise le contenu des informations faisant l’objet de l’obligation du prestataire d’opérations de triage à façon. Le paragraphe 3 de ce même article régit, quant à lui, la période à laquelle se rapportent les informations à fournir au titre dudit paragraphe 2, deuxième phrase. Ladite période correspond, en principe, à la campagne de commercialisation en cours et à l’une ou plusieurs des trois campagnes précédentes, conformément au premier membre de phrase dudit paragraphe 3 ( 10 ). |
26. |
À cet égard, il convient de relever que les versions linguistiques de l’article 9, paragraphe 3, dudit règlement divergent. Alors que la majorité des versions linguistiques, telles les versions en langues espagnole, danoise, allemande, anglaise, italienne, hongroise, finnoise et suédoise se réfère à l’une ou plusieurs des trois campagnes précédentes, la version en langue française omet l’adjectif numéral «trois». |
27. |
La seule référence à la version en langue française pourrait en conséquence conduire à penser que les possibilités d’introduction d’une demande d’information ne seraient pas limitées dans le temps. Toutefois, dès lors qu’il n’est pas possible de tirer avec certitude des conclusions uniquement au vu de ladite divergence, il convient d’examiner la disposition en cause dans son contexte, en tenant compte, en particulier, de son objectif ( 11 ). |
28. |
Le règlement d’application vise à établir, ainsi que l’énonce expressément son article 2, paragraphe 2, un équilibre entre les intérêts réciproques des titulaires et des agriculteurs. Dans cette optique, je considère qu’il serait également contraire à un tel équilibre d’interpréter l’article 9, paragraphe 3, de ce règlement en ce sens qu’une demande d’information pourrait se rapporter à un nombre illimité de campagnes précédentes. Ainsi, afin de respecter l’équilibre des intérêts concernés, il convient de partir du principe que la demande d’information visée dans ledit article 9 est susceptible de couvrir jusqu’à trois campagnes antérieures. |
29. |
De surcroît, une interprétation inverse serait contraire aux exigences de la sécurité juridique des prestataires d’opérations de triage à façon, car elle leur imposerait de conserver indéfiniment les informations qui seraient éventuellement requises par les titulaires. |
30. |
Cette interprétation est par ailleurs corroborée par la lecture de l’article 8, paragraphe 3, du règlement d’application. Il est vrai que cet article régit l’obligation d’information pesant sur l’agriculteur, mais, dès lors que sa teneur est presque identique à celle de l’article 9 de ce même règlement, il convient d’opérer un parallèle avec celui-ci. À cet égard, j’observe, à l’instar de la Commission, que la présence du mot «trois» dans la disposition correspondante – même dans la version française – de l’article 8, paragraphe 3, dudit règlement peut être interprétée comme exprimant l’intention du législateur de limiter dans le temps la portée de la demande d’information en conformité avec l’objectif visant à établir un équilibre entre les intérêts protégés par ledit règlement. |
2. Les limitations concernant la période visée par la demande
31. |
Il ressort du libellé de l’article 9, paragraphe 3, du règlement d’application que la période à laquelle se réfère l’obligation d’information pesant sur le prestataire est toutefois assortie d’une double limite. D’une part, en vertu de l’article 9, paragraphe 3, premier membre de phrase, de ce règlement, ladite obligation cesse pour toute campagne de commercialisation pour laquelle le titulaire a déjà présenté une demande d’information. |
32. |
D’autre part, l’article 9, paragraphe 3, deuxième membre de phrase, du règlement d’application précise également que la première campagne à laquelle ces informations se rapportent est celle «au cours de laquelle a été présentée la première demande relative à la ou aux variétés et au prestataire d’opérations de triage à façon concernés» ( 12 ). |
33. |
L’obligation d’information pesant sur le prestataire d’opérations de triage à façon est ainsi subordonnée à la présentation d’une demande d’information par le titulaire. De surcroît, cette demande ne porte dans un premier temps que sur la campagne de commercialisation au cours de laquelle ledit titulaire invoque son droit d’obtenir des informations. En outre, en vertu de l’article 9, paragraphe 3, premier membre de phrase, du règlement d’application, des informations peuvent être exigées pour une période pouvant s’étendre aux trois campagnes de commercialisation précédentes à condition que le titulaire ait déjà adressé une demande d’information au prestataire d’opérations de triage à façon au cours de la première des campagnes de commercialisation précédentes. |
34. |
Autrement dit, lorsqu’il s’agit de la première demande concernant une ou plusieurs variétés, la demande ne peut concerner que la campagne pendant laquelle elle a été présentée audit prestataire. Compte tenu de la nécessité de garantir l’équilibre entre les intérêts concernés, le prestataire d’opérations de triage à façon qui n’a encore jamais reçu de demande d’information pour une variété doit ainsi être protégé contre toute obligation d’information rétroactive. |
35. |
Il n’en va pas de même lorsqu’une demande d’information sur une variété spécifique a déjà été présentée auparavant au prestataire d’opérations de triage à façon. Dans ce cas de figure, la période pour laquelle les informations utiles doivent être fournies est définie par le paragraphe 3, premier membre de phrase, dudit article. En d’autres termes, la date de la demande d’information et la «campagne de commercialisation en cours» constituent le point de départ du calcul des trois campagnes précédentes concernées par une demande d’information. |
C – Sur les indices à fournir par le titulaire
36. |
Outre les aspects temporels de l’obligation d’information pesant sur le prestataire d’opérations de triage à façon qui viennent d’être évoqués, la demande de décision préjudicielle porte à titre subsidiaire sur la nature des indices à fournir par le titulaire à l’appui de sa demande d’information conformément à l’article 9, paragraphe 3, du règlement d’application. |
37. |
Il convient, d’abord, de relever que la décision de demande préjudicielle ne précise pas si, dans le cas d’espèce, il s’agit ou non d’une «première» demande au sens de l’article 9, paragraphe 3, deuxième membre de phrase, de ce règlement. Par conséquent, il y a également lieu de répondre à la deuxième question, par laquelle la juridiction de renvoi s’interroge sur la question de savoir si les indices d’une mise en culture ou d’une opération visant à une mise en culture doivent en outre être justifiés par des preuves contenues dans la demande d’information afin que celle-ci puisse donner naissance à l’obligation d’information pesant sur le prestataire, et donc qu’elle soit présentée dans les délais au sens de l’article 9, paragraphe 3, deuxième membre de phrase, du règlement d’application. |
1. L’obligation du titulaire de disposer d’un indice de ce que le prestataire a effectué ou prévoit d’effectuer des opérations de triage à façon
38. |
Je souhaite relever d’emblée que le règlement d’application n’exige pas expressément que le titulaire nomme dans sa demande d’information les indices de mise en culture dont il dispose. Il n’en demeure pas moins que l’existence des éléments invoqués constitue une condition non écrite, dégagée par la Cour dans les arrêts précités Schulin et Brangewitz, qui doit, en tout état de cause, être respectée. |
39. |
À cet égard, j’observe que, dans ses conclusions dans l’affaire Brangewitz, précitée, l’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer a opéré une distinction convaincante entre les exigences donnant naissance à l’obligation d’information des agriculteurs, d’une part, et des prestataires d’opérations de triage à façon, d’autre part ( 13 ). |
40. |
Tout d’abord, en se référant à l’arrêt Schulin, précité, l’avocat général a constaté que le titulaire ne peut présenter une demande d’information à un agriculteur du simple fait de son appartenance à ladite profession. Au contraire, il doit disposer d’un indice de ce que l’agriculteur a utilisé ou utilisera la dérogation prévue à l’article 14 du règlement de base ( 14 ). |
41. |
Ensuite, il a considéré que, s’agissant des prestataires d’opérations de triage à façon, la situation est différente. En effet, la probabilité est grande que les entreprises de triage à façon de semences traitent, dans l’exercice de cette profession, du matériel de multiplication d’une variété protégée. Étant donné que, si elles n’ont pas signé de contrat, aucune relation juridique ne les lie au titulaire et que les agriculteurs ont recours à cette catégorie d’entreprises lorsqu’ils font usage de la dérogation, il semble logique que les titulaires puissent s’adresser aux uns ou aux autres à la recherche d’informations pour exercer leur droit à percevoir une rémunération équitable. L’avocat général en a conclu que, en vue du rôle des prestataires d’opérations de triage à façon dans le contexte du privilège des agriculteurs, les titulaires doivent être admis à présenter des demandes d’information auxdits prestataires sans disposer d’indice de ce qu’ils ont traité du matériel protégé dans leurs installations ( 15 ). |
42. |
Selon ce raisonnement, les indices à apporter aux fins de la présentation d’une demande d’information à un agriculteur seraient donc plus nombreux qu’en cas de demande adressée aux prestataires d’opérations de triage à façon. Toutefois, la Cour ne semble pas avoir suivi la proposition de l’avocat général exposée ci-dessus, en observant que le titulaire doit être autorisé à présenter une demande d’information à un prestataire d’opérations de triage à façon concernant une de ses variétés affectées par le privilège des agriculteurs à condition qu’il dispose d’un indice de ce que le prestataire a effectué ou prévoit d’effectuer des opérations de triage à façon du produit de la récolte obtenu par la mise en culture de matériel de multiplication de ladite variété en vue de sa mise en culture ( 16 ). |
43. |
Par conséquent, il apparaît que la Cour n’opère pas de distinction entre les différents destinataires des demandes d’information présentées par le titulaire. C’est pourquoi je conduirai mon analyse en me fondant sur cette prémisse. |
2. L’absence d’obligation du titulaire d’apporter la preuve de l’existence des indices
44. |
Suivant le raisonnement susmentionné de la Cour, il suffit donc que le titulaire dispose d’un indice de ce que des opérations de triage à façon ont été effectuées ou sont prévues par le prestataire pour qu’il puisse présenter une demande d’information. En revanche, elle n’a pas imposé au titulaire d’apporter la preuve de l’existence d’un tel indice. |
45. |
En ce qui concerne la nature des indices qui déclenchent, d’une part, le droit du titulaire de présenter une demande d’information et, d’autre part, l’obligation du prestataire d’opérations de triage à façon de lui fournir des informations, il convient, tout d’abord, de relever l’importance particulière que revêt la nécessité de sauvegarder les intérêts légitimes réciproques du titulaire et de l’agriculteur, conformément à l’article 14, paragraphe 3, du règlement de base et à l’article 2 du règlement d’application. |
46. |
À cet égard, il convient de préciser que l’obligation d’information pesant sur le prestataire d’opérations de triage à façon, bien qu’elle dépende de l’utilisation par un agriculteur de la dérogation établie à l’article 14, paragraphe 1, du règlement de base et de sa décision d’avoir recours aux services du prestataire, est liée aux variétés végétales qu’il a préparées et non à son client qui est l’agriculteur ( 17 ). En conséquence, lorsque le titulaire présente une demande d’information au prestataire, ce dernier est tenu de fournir les informations utiles relatives non seulement aux agriculteurs pour lesquels le titulaire dispose d’un indice de ce que le prestataire a effectué ou prévoit d’effectuer lesdites opérations, mais également à tous les autres agriculteurs pour lesquels il en a effectué ou prévoit d’en effectuer pour autant que la variété en cause a été déclarée au prestataire ou était connue de celui-ci ( 18 ). |
47. |
Afin de répondre à l’exigence d’équilibre qui sous-tend le privilège des agriculteurs, en particulier dans le cadre du règlement d’application qui met en œuvre ledit privilège, le titulaire doit être autorisé à demander des informations à un prestataire d’opérations de triage à façon dès qu’il dispose d’un indice de ce que le prestataire a effectué, ou prévoit d’effectuer, des opérations de triage à façon du produit de la récolte obtenu par la mise en culture de matériel de multiplication de ladite variété en vue de sa mise en culture. |
48. |
En effet, selon l’article 9, paragraphe 2, du règlement d’application, le prestataire d’opérations de triage à façon est tenu de communiquer au titulaire une déclaration relative aux informations utiles dont le contenu est précisé par ladite disposition. Une telle communication est nécessaire lorsque le titulaire ne dispose que d’un indice de ce que le prestataire d’opérations de triage à façon a effectué, ou prévoit d’effectuer, de telles opérations sur le produit de la récolte obtenu par des agriculteurs par la mise en culture de matériel de multiplication d’une variété du titulaire en vue de sa mise en culture ( 19 ). |
49. |
Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour, l’acquisition du matériel de multiplication d’une variété végétale protégée qui appartient au titulaire doit être considérée comme un tel indice ( 20 ). De même, je suis enclin à considérer que les informations fournies par les agriculteurs au titre de l’article 8 du règlement d’application peuvent constituer des indices qui déclenchent l’obligation d’information pesant sur le prestataire d’opérations de triage à façon envers le titulaire. |
50. |
À l’instar de la Commission, je considère qu’il appartient aux juridictions des États membres de déterminer au cas par cas si de tels indices au sens de la jurisprudence précitée existent ou non. Elles doivent tenir compte dans leur appréciation de l’ensemble des facteurs et circonstances propres au cas d’espèce. À cet égard, des indices requis par la jurisprudence peuvent, par exemple, résulter d’une mise en culture contractuelle d’une variété protégée visant à produire des semences commercialisables dans le cadre d’une licence octroyée par le titulaire. |
51. |
Enfin, il convient de relever que les exigences relatives aux indices qui donnent naissance au droit d’information du titulaire, tant à l’égard de l’agriculteur qu’à celui du prestataire d’opérations de triage à façon, me semblent peu élevées. Par conséquent, le fait qu’une mise en culture ou une opération de triage à façon ait été effectuée ou, à tout le moins, soit prévue, en vue d’une telle mise en culture, peut constituer un indice pertinent, dès lors que ce sont de tels éléments qui déclenchent les droits du titulaire au titre de l’article 14, paragraphe 3, du règlement de base. |
V – Conclusion
52. |
Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par l’Oberlandesgericht Düsseldorf de la manière suivante:
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( 1 ) Langue originale: le français.
( 2 ) Règlement du Conseil du 27 juillet 1994 (JO L 227, p. 1).
( 3 ) Règlement de la Commission du 24 juillet 1995 (JO L 173, p. 14).
( 4 ) Pour plus de précisions sur les activités de la STV, voir arrêt du 11 mars 2004, Jäger (C-182/01, Rec. p. I-2263, point 17).
( 5 ) Voir arrêts du 10 avril 2003, Schulin (C-305/00, Rec. p. I-3525); Jäger, précité; du 14 octobre 2004, Brangewitz (C-336/02, Rec. p. I-9801), ainsi que du 8 juin 2006, Deppe e.a. (C-7/05 à C-9/05, Rec. p. I-5045). Voir, également, mes conclusions dans l’affaire Geistbeck (C‑509/10), pendante devant la Cour.
( 6 ) L’adjectif numéral «trois» ne figure pas dans la version française du règlement d’application. Voir points 25 et suiv. des présentes conclusions.
( 7 ) Voir, en ce sens, arrêt Brangewitz, précité (point 43). Voir, également, point 46 de mes conclusions dans l’affaire Geistbeck, précitée.
( 8 ) Arrêt Brangewitz, précité (point 44).
( 9 ) Arrêt Brangewitz, précité (point 53). Voir, également, arrêt Schulin, précité (point 63).
( 10 ) Selon l’article 7, paragraphe 2, du règlement d’application, la campagne de commercialisation débute le 1er juillet d’une année donnée et s’achève le 30 juin de l’année civile suivante.
( 11 ) Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour, la nécessité d’une interprétation uniforme des différentes versions linguistiques d’une disposition du droit de l’Union exige, en cas de divergence entre celles-ci, que la disposition en cause soit interprétée en fonction de l’économie générale et de la finalité de la réglementation dont elle constitue un élément. Voir à cet égard, notamment, arrêt du 15 décembre 2011, Møller (C-585/10, Rec. p. I-13407, point 26 et jurisprudence citée).
( 12 ) En ce qui concerne l’obligation d’information pesant sur l’agriculteur, il convient de relever que l’article 8, paragraphe 3, du règlement d’application comporte une disposition analogue.
( 13 ) Voir points 34 et suiv. des conclusions de l’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer dans l’affaire Brangewitz, précitée.
( 14 ) Arrêt Schulin, précité (point 57).
( 15 ) Voir points 37 et suiv. des conclusions de l’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer dans l’affaire Brangewitz, précitée. L’avocat général a également observé, au point 38 de ses conclusions, que, «lorsque les obtenteurs s’adressent aux prestataires d’opérations de triage à façon […] ils doivent tout d’abord vérifier s’ils ont traité des semences de l’une de leurs variétés pour ensuite déterminer, dans l’affirmative, les quantités, les dates, les lieux et les bénéficiaires du service. Si le législateur avait voulu que, pour contacter un prestataire de services de triage à façon, le titulaire dispose d’un indice de ce qu’il a traité du matériel protégé dans ses installations [par exemple, au moyen des informations que l’agriculteur est tenu de fournir en vertu de l’article 8, paragraphe 2, sous d), du règlement no 1768/95], l’article 9 aurait été rédigé de façon à ce que l’entreprise se limite à confirmer les détails connus du titulaire. Toutefois, comme le montre à l’évidence son paragraphe 2, sous b) et e), tel n’est pas le cas».
( 16 ) Arrêt Brangewitz, précité (point 53).
( 17 ) Arrêt Brangewitz, précité (point 62).
( 18 ) Arrêt Brangewitz, précité (point 65).
( 19 ) Arrêt Brangewitz, précité (points 61 et 63). Voir également, en ce qui concerne l’obligation d’information pesant sur l’agriculteur, arrêt Schulin, précité (points 63 et 64).
( 20 ) Arrêt Schulin, précité (point 65).