ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre élargie)
13 décembre 2013 ( *1 )
«Rapprochement des législations — Dissémination volontaire d’OGM dans l’environnement — Procédure d’autorisation de mise sur le marché — Avis scientifiques de l’EFSA — Comitologie — Procédure de réglementation — Violation des formes substantielles — Relevé d’office»
Dans l’affaire T‑240/10,
Hongrie, représentée par M. M. Fehér et Mme K. Szíjjártó, en qualité d’agents,
partie requérante,
soutenue par
République française, représentée par MM. G. de Bergues et S. Menez, en qualité d’agents,
par
Grand-Duché de Luxembourg, représenté initialement par M. C. Schiltz, puis par Mme P. Frantzen et enfin par M. L. Delvaux et Mme D. Holderer, en qualité d’agents,
par
République d’Autriche, représentée par Mme C. Pesendorfer et M. E. Riedl, en qualité d’agents,
et par
République de Pologne, représentée initialement par MM. M. Szpunar, B. Majczyna et Mme J. Sawicka, puis par M. Majczyna et Mme Sawicka, en qualité d’agents,
parties intervenantes,
contre
Commission européenne, représentée initialement par M. A. Sipos et Mme L. Pignataro-Nolin, puis par MM. Sipos et D. Bianchi, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
ayant pour objet une demande d’annulation de la décision 2010/135/UE de la Commission, du 2 mars 2010, concernant la mise sur le marché, conformément à la directive 2001/18/CE du Parlement européen et du Conseil, d’une pomme de terre (Solanum tuberosum L. lignée EH92-527-1) génétiquement modifiée pour l’obtention d’un amidon à teneur accrue en amylopectine (JO L 53, p. 11), et de la décision 2010/136/UE de la Commission, du 2 mars 2010, autorisant la mise sur le marché d’aliments pour animaux produits à partir de la pomme de terre génétiquement modifiée EH92-527-1 (BPS-25271-9) et la présence fortuite ou techniquement inévitable de cette pomme de terre dans les denrées alimentaires et d’autres produits destinés à l’alimentation animale, en application du règlement (CE) no 1829/2003 du Parlement européen et du Conseil (JO L 53, p. 15),
LE TRIBUNAL (première chambre élargie),
composé de Mme I. Labucka, faisant fonction de président, M. S. Frimodt Nielsen et Mme M. Kancheva (rapporteur), juges,
grefier : M. J. Palacio González, administrateur principal,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 18 avril 2013,
rend le présent
Arrêt
Cadre juridique
Régime de l’autorisation de mise sur le marché d’organismes génétiquement modifiés
1 |
Le régime de l’autorisation de mise sur le marché (AMM) d’organismes génétiquement modifiés (OGM) en droit de l’Union repose sur le principe de précaution et, en particulier, le principe selon lequel ces organismes, ou les produits qui les contiennent, ne peuvent être disséminés dans l’environnement ou mis sur le marché que s’ils font l’objet d’une autorisation, accordée en vue d’utilisations spécifiques et soumise à des conditions déterminées, après une évaluation scientifique des risques au cas par cas. |
2 |
Ce régime comporte deux actes législatifs principaux, le premier relatif à la dissémination volontaire d’OGM dans l’environnement en général et le second concernant spécialement les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés. |
3 |
Le premier acte législatif est la directive 2001/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 mars 2001, relative à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement et abrogeant la directive 90/220/CEE du Conseil (JO L 106, p. 1). |
4 |
Aux termes de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2001/18 : «Quiconque veut adresser une notification au titre de la partie B [Dissémination volontaire d’OGM à toute autre fin que leur mise sur le marché] ou C [Mise sur le marché d’OGM en tant que produits ou éléments de produits], doit procéder auparavant à une évaluation des risques pour l’environnement. Les informations pouvant être nécessaires pour procéder à cette évaluation sont décrites à l’annexe III. Les États membres et la Commission veillent à ce que l’on accorde une attention particulière aux OGM qui contiennent des gènes exprimant une résistance aux antibiotiques utilisés pour des traitements médicaux ou vétérinaires lors de l’évaluation des risques pour l’environnement, en vue d’identifier et d’éliminer progressivement des OGM les marqueurs de résistance aux antibiotiques qui sont susceptibles d’avoir des effets préjudiciables sur la santé humaine et l’environnement. Cette élimination progressive a lieu d’ici le 31 décembre 2004 dans le cas des OGM mis sur le marché conformément à la partie C et d’ici le 31 décembre 2008 dans le cas des OGM autorisés en vertu de la partie B.» |
5 |
L’annexe II de la directive 2001/18, telle que modifiée, décrit en termes généraux l’objectif à atteindre, les éléments à prendre en considération et les principes généraux et la méthodologie à suivre afin d’effectuer l’évaluation des risques pour l’environnement visée à l’article 4 de la directive. Elle doit être lue en combinaison avec la décision 2002/623/CE de la Commission, du 24 juillet 2002, arrêtant les notes explicatives destinées à compléter l’annexe II de la directive 2001/18 (JO L 200, p. 22). |
6 |
La procédure harmonisée par la directive 2001/18, en particulier ses articles 13 à 19, a pour principe que l’autorité compétente d’un État membre, ayant reçu une notification d’une entreprise assortie d’une évaluation des risques pour l’environnement, prend l’initiative d’émettre une autorisation, sur laquelle les autorités compétentes des autres États membres, ou la Commission européenne, ont la possibilité de faire connaître leurs observations ou objections. |
7 |
L’article 18, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2001/18, intitulé «Procédure communautaire en cas d’objections», dispose : «Lorsqu’une objection est soulevée et maintenue par une autorité compétente ou la Commission conformément aux articles 15, 17 et 20, une décision est adoptée et publiée dans un délai de cent vingt jours, selon la procédure prévue à l’article 30, paragraphe 2 […]» |
8 |
L’article 30, paragraphe 2, de la directive 2001/18, intitulé «Procédure de comité», renvoie à la procédure prévue à l’article 5 de la décision 1999/468/CE du Conseil, du 28 juin 1999, fixant les modalités de l’exercice des compétences d’exécution conférées à la Commission (JO L 184, p. 23), dite «décision comitologie», telle que modifiée par la décision 2006/512/CE du Conseil, du 17 juillet 2006 (JO L 200, p. 11). |
9 |
Le second acte législatif principal du régime de l’AMM d’OGM en droit de l’Union est le règlement (CE) no 1829/2003 du Parlement européen et du Conseil, du 22 septembre 2003, concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés (JO L 268, p. 1). Ce règlement instaure un régime unitaire, spécial par rapport au régime général harmonisé de la directive 2001/18, en matière d’autorisation des denrées alimentaires génétiquement modifiées (chapitre II) et des aliments génétiquement modifiés pour animaux (chapitre III). Sous ce régime unitaire, la demande d’autorisation est directement évaluée au niveau de l’Union, avec consultation des États membres, et la décision définitive sur l’autorisation incombe à la Commission, ou, le cas échéant, au Conseil de l’Union européenne. |
10 |
La Commission et le Conseil fondent leurs décisions sur les avis scientifiques de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), régie par le règlement (CE) no 178/2002 du Parlement européen et du Conseil, du 28 janvier 2002, établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l’Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires (JO L 31, p. 1). Ce règlement édicte des principes généraux pour l’évaluation des risques dans tous les domaines ayant un impact direct ou indirect sur la sécurité des denrées alimentaires et des aliments pour animaux, y compris en matière d’OGM. L’EFSA a également vocation à effectuer l’évaluation des risques dans le cadre de la procédure communautaire en cas d’objections au titre de la directive 2001/18. |
11 |
Les articles 7, paragraphes 1 et 3, et 19, paragraphes 1 et 3, du règlement no 1829/2003, dont les libellés sont identiques et qui figurent respectivement au sein des chapitres II et III du même règlement, disposent : «1. Dans un délai de trois mois suivant la réception de l’avis de l’[EFSA], la Commission soumet au comité visé à l’article 35 un projet de la décision à prendre concernant la demande, tenant compte de l’avis de l’[EFSA], de toute disposition pertinente de la législation communautaire et d’autres facteurs légitimes utiles pour la question examinée. Lorsque le projet de décision n’est pas conforme à l’avis de l’[EFSA], la Commission fournit une explication de cette divergence. […] 3. La décision finale concernant la demande est adoptée conformément à la procédure visée à l’article 35, paragraphe 2.» |
12 |
L’article 35, paragraphe 2, du règlement no 1829/2003, intitulé «Comité», renvoie, tout comme la directive 2001/18 (voir point 8 ci-dessus), à la procédure prévue à l’article 5 de la décision 1999/468. |
Procédure de réglementation
13 |
L’article 5 de la décision 1999/468, intitulé «Procédure de réglementation», est, tel que modifié par la décision 2006/512, libellé comme suit : «1. La Commission est assistée par un comité de réglementation composé des représentants des États membres et présidé par le représentant de la Commission. 2. Le représentant de la Commission soumet au comité un projet des mesures à prendre. Le comité émet son avis sur ce projet dans un délai que le président peut fixer en fonction de l’urgence de la question en cause. L’avis est émis à la majorité prévue à l’article 205, paragraphes 2 et 4, du traité pour l’adoption des décisions que le Conseil est appelé à prendre sur proposition de la Commission. Lors des votes au sein du comité, les voix des représentants des États membres sont affectées de la pondération définie à l’article précité. Le président ne prend pas part au vote. 3. La Commission arrête, sans préjudice de l’article 8, les mesures envisagées lorsqu’elles sont conformes à l’avis du comité. 4. Lorsque les mesures envisagées ne sont pas conformes à l’avis du comité, ou en l’absence d’avis, la Commission soumet sans tarder au Conseil une proposition relative aux mesures à prendre et en informe le Parlement européen. 5. Si le Parlement européen considère qu’une proposition présentée par la Commission en vertu d’un acte de base adopté selon la procédure prévue à l’article 251 du traité excède les compétences d’exécution prévues dans cet acte de base, il informe le Conseil de sa position. 6. Le Conseil peut, le cas échéant à la lumière de cette position éventuelle, statuer à la majorité qualifiée sur la proposition, dans un délai qui sera fixé dans chaque acte de base, mais qui ne saurait en aucun cas dépasser trois mois à compter de la saisine du Conseil. Si, dans ce délai, le Conseil a indiqué, à la majorité qualifiée, qu’il s’oppose à la proposition, la Commission réexamine celle-ci. Elle peut soumettre au Conseil une proposition modifiée, soumettre à nouveau sa proposition ou présenter une proposition législative sur la base du traité. Si, à l’expiration de ce délai, le Conseil n’a pas adopté les mesures d’application proposées ou s’il n’a pas indiqué qu’il s’opposait à la proposition de mesures d’application, les mesures d’application proposées sont arrêtées par la Commission.» |
14 |
Les comités de réglementation compétents pour participer à l’exercice, par la Commission, des compétences d’exécution qui lui sont conférées en vertu de la directive 2001/18 et du règlement no 1829/2003 sont respectivement le comité réglementaire sur la dissémination d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement, instauré à l’article 30, paragraphe 1, de la même directive, et le comité permanent de la chaîne alimentaire et de la santé animale, visé à l’article 35, paragraphe 1, du même règlement et institué conformément à l’article 58 du règlement no 178/2002. |
Antécédents du litige
Produit visé par l’autorisation
15 |
La pomme de terre génétiquement modifiée dénommée Amflora (Solanum tuberosum L. lignée EH92-527-1) est une pomme de terre dont la composante amylacée a été modifiée. Elle se caractérise par une teneur accrue en amylopectine, de façon à ce que son amidon soit constitué presque uniquement d’amylopectine. Elle se différencie ainsi d’une pomme de terre non génétiquement modifiée, dont l’amidon est constitué d’environ 15 à 20 % d’amylose et d’environ 80 à 85 % d’amylopectine. Elle permet une extraction optimisée de l’amylopectine en vue d’applications industrielles, notamment la fabrication de pâte à papier, de fibres ou de colles. |
16 |
La modification génétique implique l’introduction, dans le génome de la pomme de terre Amflora, d’un gène dénommé «nptII» (néomycine phosphotransférase II) (ci-après le «gène nptII»). Le gène nptII appartient à la catégorie des gènes marqueurs de résistance aux antibiotiques (ci-après les «gènes MRA»). Dans la modification génétique, les gènes marqueurs ont pour rôle de marquer, en lien avec le gène porteur de la caractéristique souhaitée, les cellules où l’opération a été réussie. Les gènes MRA exercent leur fonction par le biais de la résistance à l’antibiotique délivré. Le gène nptII, en particulier, exprime une résistance aux antibiotiques néomycine, kanamycine et généticine, qui appartiennent à la famille des aminoglycosides. |
Demandes d’autorisation
17 |
Le 5 août 1996, l’autorité suédoise compétente a reçu une notification, au titre de la directive 90/220, d’une filiale de BASF Plant Science GmbH (ci-après «BASF») dénommée Amylogene HB, devenue Plant Science Sweden AB. Cette notification contenait une demande d’AMM de la pomme de terre Amflora aux fins de cultiver celle-ci à des fins industrielles (production d’amidon) et d’obtention de produits dérivés (pâte de pommes de terre), tout en mentionnant la production d’aliments pour animaux et la présence fortuite de traces dans les denrées alimentaires. |
18 |
À la suite de l’entrée en vigueur de la directive 2001/18, le 17 avril 2001, et du règlement no 1829/2003, le 7 novembre 2003, BASF a scindé sa notification à l’autorité suédoise compétente en deux parties, la première visant à l’AMM de la pomme de terre Amflora en vue de sa culture et de son utilisation à des fins industrielles et la seconde visant à l’AMM en vue de la production d’aliments pour animaux et la présence fortuite de traces dans les denrées alimentaires. Elle a retiré la seconde partie de sa notification à ladite autorité afin de soumettre la demande d’AMM à la procédure unitaire prévue par le règlement no 1829/2003, mais a maintenu la première partie de sa notification à cette autorité, en vertu de la directive 2001/18. En décembre 2003, elle a joint à cette première partie une évaluation des risques pour l’environnement, selon les règles contenues à l’annexe II de la directive 2001/18. |
19 |
Le 8 avril 2004, l’autorité suédoise compétente a adopté son rapport d’évaluation et l’a transmis à la Commission. Dans ce rapport d’évaluation, elle indiquait qu’une utilisation du produit à des fins industrielles était sûre, mais qu’il importait que le produit soit tenu à l’écart de la chaîne alimentaire, son utilisation à des fins alimentaires n’ayant pas fait l’objet d’une évaluation complète. Elle concluait que la pomme de terre Amflora pouvait être mise sur le marché aux conditions fixées et en vue des utilisations prévues par le notifiant. |
20 |
La Commission a transmis le rapport d’évaluation de l’autorité suédoise compétente aux autorités compétentes des autres États membres. Plusieurs États membres, dont la Hongrie, ont émis des observations. Dans ses observations du 3 juillet 2004, la Hongrie a fait valoir que le notifiant devait, d’une part, mettre en œuvre une méthode de détection quantitative avant que l’AMM soit accordée, et, d’autre part, effectuer des recherches supplémentaires sur l’utilisation de la pomme de terre Amflora dans l’alimentation animale et ses effets éventuellement préjudiciables sur la santé humaine, compte tenu des risques de contamination de la chaîne alimentaire. |
21 |
Le 9 février 2005, la Commission a, conformément à l’article 28, paragraphe 1, de la directive 2001/18 et aux articles 22 et 29, paragraphe 1, du règlement no 178/2002, demandé une évaluation des risques à l’EFSA. |
22 |
Parallèlement, le 28 février 2005, en ce qui concerne la production d’alimentation pour animaux et les denrées alimentaires, BASF a, conformément aux articles 5 et 17 du règlement no 1829/2003, notifié une demande d’autorisation auprès de l’autorité compétente du Royaume-Uni. Le 25 avril 2005, cette demande a été transmise à la Commission, en vertu des articles 6, paragraphe 4, et 18, paragraphe 4, du même règlement. |
Évaluations des risques et procédures de comitologie
23 |
Le 2 avril 2004, le groupe scientifique de l’EFSA sur les OGM (ci-après le «groupe OGM») a, de sa propre initiative, rendu un avis concernant l’utilisation de gènes MRA dans les plantes génétiquement modifiées [question EFSA-Q-2003-109, The EFSA Journal (2004) 48, 1-18, ci-après l’«avis de 2004»]. Dans cet avis, l’EFSA a adopté une typologie des gènes MRA en trois groupes, fondée sur divers critères. En particulier, le groupe I contenait les gènes MRA les moins dangereux, à savoir ceux déjà largement répandus dans le sol et les bactéries entériques, et conférant une résistance à des antibiotiques qui n’ont pas de pertinence thérapeutique ou seulement une pertinence thérapeutique mineure en médecine humaine et vétérinaire. L’EFSA a également, selon cette typologie en trois groupes, opéré un classement des gènes MRA connus qui emportait d’importantes conséquences pour l’autorisation de ces gènes à des fins expérimentales (préconisée pour les groupes I et II, à l’exclusion du groupe III) ou à des fins de mise sur le marché (préconisée pour le groupe I seulement, à l’exclusion des groupes II et III). Le gène nptII, qui est, parmi les gènes MRA, le plus utilisé dans la sélection des plantes génétiquement modifiées, a été classé au sein du groupe I. |
24 |
Le 7 décembre 2005, le groupe OGM a rendu deux avis aux contenus très similaires. Dans le premier avis, concernant la mise sur le marché de la pomme de terre Amflora à des fins de culture et de production d’amidon industriel, et publié le 24 février 2006 [question EFSA-Q-2005-023, The EFSA Journal (2006) 323, 1-20, ci-après l’«avis de 2005»], l’EFSA a conclu, en substance, qu’il était improbable que la mise sur le marché de ladite pomme de terre eût des effets préjudiciables pour la santé humaine et animale ou pour l’environnement dans le cadre des utilisations proposées. Dans le second avis, concernant la mise sur le marché de cette pomme de terre dans l’alimentation humaine et animale, et publié le 10 novembre 2006 [question EFSA-Q-2005-070, The EFSA Journal (2006) 324, 1-20], l’EFSA a également conclu à l’improbabilité d’effets préjudiciables dans le cadre des utilisations proposées. |
25 |
Le 4 décembre 2006, le comité réglementaire sur la dissémination d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement a, conformément à l’article 5, paragraphe 2, de la décision 1999/468, débattu d’un projet, soumis par la Commission, de décision relative à la mise sur le marché, conformément à la directive 2001/18, d’une pomme de terre (Solanum tuberosum L. lignée EH92-527-1) génétiquement modifiée pour l’obtention d’un amidon à teneur accrue en amylopectine. Ledit comité n’est pas parvenu à dégager une majorité qualifiée pour ou contre ce projet de mesures soumis par la Commission. Les votes étaient divisés comme suit : 134 voix pour, 109 voix contre, 78 abstentions. |
26 |
Le 25 janvier 2007, la Commission a demandé à l’Agence européenne des médicaments (EMA) de confirmer si, à la suite de la position de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui qualifiait les aminoglycosides (dont font partie la néomycine et la kanamycine) d’antibiotiques d’importance critique ou élevée, les utilisations actuelles ou potentielles pour l’avenir de ces antibiotiques étaient toujours conformes à l’avis de l’EFSA de 2004, qui les avait classées parmi celles ayant une pertinence thérapeutique nulle ou mineure. |
27 |
Le 22 février 2007, l’EMA a adopté une déclaration (ci-après la «déclaration de l’EMA de 2007») dans laquelle elle a conclu que la néomycine et la kanamycine étaient importantes pour leur utilisation en médecine humaine ou vétérinaire et que leurs utilisations actuelles ou potentielles pour l’avenir ne pouvaient être classées parmi celles ayant une pertinence thérapeutique nulle ou mineure. |
28 |
Le 23 mars 2007, le groupe OGM, consulté par la Commission, a adopté une déclaration (ci-après la «déclaration de l’EFSA de 2007») dans laquelle il s’est d’emblée accordé avec l’EMA sur l’importance de préserver le potentiel thérapeutique des aminoglycosides, dont la néomycine et la kanamycine. Ensuite, se fondant notamment sur la probabilité extrêmement faible de transfert horizontal du gène nptII des plantes aux bactéries, il a réitéré sa conclusion selon laquelle l’utilisation du gène nptII dans les OGM et leurs produits dérivés ne comportait pas de risque pour la santé humaine ou animale, ni pour l’environnement. |
29 |
Le 13 juin 2007, en l’absence de majorité qualifiée au sein du comité pour ou contre le projet de mesures soumis par la Commission (voir point 25 ci-dessus), celle-ci a soumis au Conseil une proposition de décision du Conseil concernant la mise sur le marché, conformément à la directive 2001/18, d’une pomme de terre (Solanum tuberosum L. lignée EH92-527-1) génétiquement modifiée pour l’obtention d’un amidon à teneur accrue en amylopectine. Le 16 juillet 2007, lors de la session du Conseil, la majorité qualifiée requise pour adopter ou s’opposer à cette proposition soumise par la Commission n’a pu être atteinte. |
30 |
Le 10 octobre 2007, le comité permanent de la chaîne alimentaire et de la santé animale a, conformément à l’article 5, paragraphe 2, de la décision 1999/468, débattu d’un projet, soumis par la Commission, de décision d’AMM de la pomme de terre Amflora à des fins d’utilisation dans l’alimentation humaine et animale, en application du règlement no 1829/2003. Le comité n’est pas parvenu à dégager une majorité qualifiée pour ou contre ce projet de mesures soumis par la Commission. Les votes étaient divisés comme suit : 123 voix pour, 133 voix contre, 89 abstentions. Le 18 décembre 2007, en l’absence de majorité qualifiée au sein du comité, la Commission a soumis au Conseil une proposition de décision ayant le même objet. |
31 |
Le 13 février 2008, en vue de la session du Conseil, une organisation non gouvernementale (ONG) a envoyé au commissaire pour la santé et la sécurité alimentaire une lettre excipant d’incohérences affectant la proposition de la Commission. Selon cette ONG, la proposition omettait de mentionner, d’une part, que l’EFSA, dans son avis de 2004, avait erronément classé les antibiotiques affectés par la pomme de terre génétiquement modifiée comme étant sans importance en médecine humaine et vétérinaire, alors que l’EMA et l’OMS les considéraient d’importance critique, et, d’autre part, que l’EFSA, dans sa déclaration de 2007, avait reconnu son erreur à cet égard, mais avait omis d’en tirer les conséquences logiques et nécessaires quant à l’exclusion du gène nptII du groupe I et à son reclassement au sein du groupe II ou III, selon la classification retenue dans l’avis de l’EFSA de 2004. |
32 |
Le 18 février 2008, lors de la session du Conseil, la majorité qualifiée requise pour adopter ou s’opposer à la proposition soumise par la Commission n’a pu être atteinte. |
33 |
Le 14 mars 2008, les ministres danois de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Pêche, d’une part, et de l’Environnement, d’autre part, ont envoyé aux commissaires pour la santé et pour l’environnement une lettre expliquant, en substance, que les experts danois, tout en s’accordant avec l’EFSA sur l’absence de risque posé par le gène nptII, avaient relevé une incohérence entre l’avis de l’EFSA de 2004 et la déclaration de l’EFSA de 2007 quant au classement du gène nptII selon les critères de l’avis de 2004, et demandant à la Commission et à l’EFSA de clarifier ce point. |
34 |
Le 14 mai 2008, la Commission a, sur la base de l’article 29 du règlement no 178/2002, confié à l’EFSA un «mandat pour un avis consolidé sur l’utilisation de gènes de résistance aux antibiotiques en tant que gènes marqueurs dans les plantes génétiquement modifiées». D’après ce mandat, la Commission entendait «éviter toute ambiguïté» sur la question de l’utilisation des gènes MRA dans les plantes génétiquement modifiées, laquelle faisait alors l’objet de deux évaluations de sécurité par l’EFSA, à savoir l’avis de 2004 et la déclaration de mars 2007, à la suite de la déclaration de l’EMA de 2007. Selon les termes de référence dudit mandat, la Commission a dès lors demandé à l’EFSA, premièrement, de préparer un avis scientifique consolidé qui tienne compte des avis et déclarations précédents en expliquant le raisonnement menant à ses conclusions et, deuxièmement, d’indiquer les conséquences possibles de ce nouvel avis sur les évaluations antérieures par l’EFSA de plantes génétiquement modifiées contenant des gènes MRA. La Commission a expressément requis que l’EFSA travaille en collaboration étroite avec l’EMA et a joint, en annexe à ce nouveau mandat, les lettres d’une ONG et du gouvernement danois. |
35 |
Par requête déposée au greffe du Tribunal le 24 juillet 2008, BASF, Plant Science Sweden AB, Amylogene HB et BASF Plant Science Holding GmbH ont introduit un recours en carence contre la Commission, visant à faire constater que, en s’abstenant d’adopter une décision à l’égard de la notification relative à la mise sur le marché de la pomme de terre génétiquement modifiée Amflora, la Commission avait manqué aux obligations qui lui incombaient en vertu de l’article 18, paragraphe 1, de la directive 2001/18 et de l’article 5 de la décision 1999/468. |
36 |
Les 11 et 26 mars 2009 respectivement, le groupe OGM et le groupe scientifique de l’EFSA sur les dangers biologiques (ci-après le «groupe BIOHAZ») ont adopté, en réponse à la première demande de la Commission, un avis commun intitulé «Utilisation de gènes de résistance aux antibiotiques en tant que gènes marqueurs dans les plantes génétiquement modifiées» [questions EFSA-Q-2008-411 et EFSA-Q-2008-706, The EFSA Journal (2009) 1034, 1-82, ci-après l’«avis commun de 2009»]. L’EFSA, tout en reconnaissant que les antibiotiques kanamycine et néomycine étaient d’une importance thérapeutique élevée, voire critique, s’est notamment fondée sur l’absence de démonstration du transfert horizontal de gènes MRA des plantes génétiquement modifiées aux bactéries de l’environnement. Elle a conclu que, nonobstant les incertitudes relatives, notamment, à l’échantillonnage, à la détection, aux difficultés à estimer les niveaux d’exposition ainsi qu’à l’incapacité à assigner à une source définie les gènes de résistance transférables, l’état actuel des connaissances indiquait que les effets préjudiciables pour la santé humaine et l’environnement, à la suite de l’utilisation de plantes génétiquement modifiées, du transfert du gène MRA nptII à partir desdites plantes vers les bactéries étaient improbables. |
37 |
Cependant, deux membres du groupe BIOHAZ ont formulé des avis minoritaires concernant essentiellement des incertitudes scientifiques liées à la probabilité de transfert horizontal du gène nptII aux bactéries. Les auteurs de ces avis proposaient, en substance, de conclure qu’il serait imprudent de considérer la résistance à un antibiotique comme sans importance ou d’une importance négligeable, voire que, globalement, il n’était pas possible d’évaluer les effets préjudiciables pour la santé humaine et pour l’environnement d’un transfert éventuel. |
38 |
Le 25 mars 2009, le groupe OGM a adopté, en réponse à la deuxième demande de la Commission, un avis intitulé «Conséquences de l’avis sur l’utilisation de gènes de résistance aux antibiotiques comme gènes marqueurs dans des plantes génétiquement modifiées sur les évaluations antérieures par l’EFSA de plantes [génétiquement modifiées] individuelles» [question EFSA-Q-2008-04977, The EFSA Journal (2009) 1035, 1-9] et concluant à l’absence de preuve scientifique nouvelle qui soit de nature à l’amener à revenir sur ses évaluations antérieures. |
39 |
Le 28 avril 2009, la directrice de l’EFSA a demandé aux présidents des groupes OGM et BIOHAZ, ainsi qu’au président du groupe de travail commun, si les deux avis minoritaires exigeaient des travaux scientifiques supplémentaires. Le 25 mai 2009, lesdits présidents ont répondu que, lors de la préparation de l’avis commun de 2009, le contenu des deux avis minoritaires avait largement été pris en considération, de sorte que, d’un point de vue scientifique, l’avis commun de 2009 n’exigeait pas d’éclaircissements complémentaires, ni de travaux scientifiques supplémentaires. |
40 |
Le 11 juin 2009, l’EFSA a adopté l’avis scientifique consolidé contenant l’avis commun de 2009, l’avis du 25 mars 2009, la lettre du 28 avril 2009 et la lettre du 25 mai 2009 [questions EFSA-Q-2009-00589 et EFSA-Q-2009-00593, The EFSA Journal (2009) 1108, 1-8, ci-après l’«avis consolidé de 2009»]. |
41 |
À la suite de cet avis scientifique consolidé, les comités de réglementation compétents n’ont pas été saisis par la Commission de nouveaux projets de décisions d’autorisation. |
Décisions d’autorisation
42 |
Le 2 mars 2010, la Commission a adopté, sur la base de l’article 18, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2001/18, la décision 2010/135/UE de la Commission, du 2 mars 2010, concernant la mise sur le marché, conformément à la directive 2001/18, d’une pomme de terre (Solanum tuberosum L. lignée EH92-527-1) génétiquement modifiée pour l’obtention d’un amidon à teneur accrue en amylopectine (JO L 53, p. 11). Cette décision autorise, en substance, la mise sur le marché de la pomme de terre Amflora pour la culture et la production d’amidon à des fins industrielles. |
43 |
Les considérants 11 et 12 de la décision 2010/135 sont libellés comme suit :
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44 |
L’article 1er de la décision 2010/135, intitulé «Autorisation», dispose : «Sans préjudice d’autres dispositions de la législation [de l’Union], et en particulier du règlement […] no 1829/2003, l’autorité compétente de la Suède autorise par écrit la mise sur le marché, conformément à la présente décision, du produit décrit à l’article 2, notifié par BASF Plant Science (référence C/SE/96/3501). L’autorisation indique expressément, conformément à l’article 19, paragraphe 3, de la directive 2001/18, les conditions dont est assortie l’autorisation, lesquelles sont spécifiées aux articles 3 et 4.» |
45 |
L’article 2, paragraphe 1, de la décision 2001/135, intitulé «Produit», énonce : «L’[OGM] à mettre sur le marché en tant que produit ou ingrédient de produit, ci-après dénommé ‘le produit’, consiste en une pomme de terre (Solanum tuberosum L.) modifiée en vue d’augmenter la teneur en amylopectine de l’amidon, transformée par Agrobacterium tumefaciens porteur du plasmide pHoxwG pour donner la lignée EH92-527-1. Le produit contient les séquences d’ADN suivantes dans deux cassettes :
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46 |
L’article 3 de la décision 2010/135 indique notamment, parmi les conditions de l’autorisation, que la période de validité de celle-ci est de dix ans à compter de sa date de délivrance et que le titulaire de l’autorisation veille à ce que les tubercules de pommes de terre Amflora soient séparés physiquement des pommes de terre destinées à la consommation humaine et à l’alimentation animale au cours de la plantation, de la culture, de la récolte, du transport, du stockage et de la manipulation dans l’environnement, et soient livrés exclusivement à des usines déterminées, notifiées à l’autorité nationale compétente, afin d’y être transformés en amidon industriel dans un système fermé. |
47 |
L’article 4 de la décision 2010/135 prévoit notamment que, durant toute la période de validité de l’autorisation, le titulaire s’assure de la mise en œuvre d’un plan de surveillance qui vise à détecter les éventuels effets néfastes de la manipulation ou de l’utilisation du produit sur la santé humaine et animale ou sur l’environnement et porte sur les suivis spécifiques, sur la surveillance générale et sur un système de préservation de l’identité. |
48 |
Aux termes de l’article 5 de la décision 2010/135, le Royaume de Suède est destinataire de la présente décision. |
49 |
Le 2 mars 2010, la Commission a également adopté, sur la base des articles 7, paragraphe 3, et 19, paragraphe 3, du règlement no 1829/2003, la décision 2010/136/UE de la Commission, du 2 mars 2010, autorisant la mise sur le marché d’aliments pour animaux produits à partir de la pomme de terre génétiquement modifiée EH92-527-1 (BPS-25271-9) et la présence fortuite ou techniquement inévitable de cette pomme de terre dans les denrées alimentaires et d’autres produits destinés à l’alimentation animale, en application du [règlement no 1829/2003] (JO L 53, p. 15). Cette décision autorise, en substance, la mise sur le marché d’aliments pour animaux produits à partir de la pomme de terre Amflora ainsi que la présence fortuite de traces de celle-ci dans l’alimentation animale ou humaine. |
50 |
Les considérants 7 et 8 de la décision 2010/136 sont libellés en des termes identiques à ceux des considérants 11 et 12 de la décision 2010/135, cités au point 43 ci-dessus. |
51 |
L’article 2 de la décision 2010/136, intitulé «Autorisation», dispose : «Les produits suivants sont autorisés aux fins de l’article 4, paragraphe 2, et de l’article 16, paragraphe 2, du règlement no 1829/2003, aux conditions fixées dans la présente décision :
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52 |
Aux termes de l’article 6 de la décision 2010/136, le titulaire de l’autorisation est BASF Plant Science GmbH, Allemagne. |
53 |
Vu l’adoption des décisions 2010/135 et 2010/136 par la Commission, le 9 juin 2010, la première chambre du Tribunal, autrement composée que dans la présente affaire, a prononcé une ordonnance de non-lieu à statuer sur le recours en carence dirigé contre la Commission (ordonnance du Tribunal du 9 juin 2010, BASF Plant Science e.a./Commission, T‑293/08, non publiée au Recueil). |
Procédure et conclusions des parties
54 |
Par requête déposée au greffe du Tribunal le 27 mai 2010, la Hongrie a introduit le présent recours. |
55 |
Par actes déposés au greffe du Tribunal respectivement les 21, 14, 3 et 21 septembre 2010, la République française, le Grand-Duché de Luxembourg, la République d’Autriche et la République de Pologne ont demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions de la Hongrie. |
56 |
Par ordonnance du 8 novembre 2010, le président de la septième chambre du Tribunal a admis l’intervention de la République française, du Grand-Duché de Luxembourg, de la République d’Autriche et de la République de Pologne. |
57 |
Le 24 janvier 2011, la République française, le Grand-Duché de Luxembourg, la République d’Autriche et la République de Pologne ont déposé leurs mémoires en intervention. |
58 |
Le 2 mai 2011, la Commission a déposé ses observations sur les mémoires en intervention. |
59 |
Le 24 mai 2012, le greffe du Tribunal a informé les parties de la réattribution de la présente affaire à la première chambre du Tribunal, à la suite d’une modification de la composition des chambres. |
60 |
Le 7 décembre 2012, le greffe du Tribunal a informé les parties de la décision du Tribunal d’attribuer la présente affaire à la première chambre élargie du Tribunal. Le même jour, le greffe du Tribunal a notifié aux parties, au titre de mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, une liste de demandes de production de documents et de questions écrites. Les parties ont déféré à ces demandes et répondu aux questions dans les délais impartis. |
61 |
Le 4 mars 2013, sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (première chambre élargie) a décidé d’ouvrir la procédure orale. |
62 |
Lors de l’audience du 18 avril 2013, les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales du Tribunal. En particulier, les parties ont été interrogées par le Tribunal sur le déroulement de la procédure ayant conduit à l’adoption des décisions 2010/135 et 2010/136 (ci-après, prises ensemble, les «décisions attaquées») à la suite de l’adoption, par l’EFSA, de l’avis consolidé de 2009, et sur le respect par la Commission des formes substantielles au cours de cette procédure. À cette occasion, le Tribunal a également adressé à la Commission une demande additionnelle de production de documents portant sur les écritures soumises par celle-ci au Tribunal dans l’affaire ayant donné lieu à l’ordonnance BASF Plant Science e.a./Commission, point 53 supra. La Commission a ensuite déféré à cette demande et les autres parties n’ont pas présenté d’observations au sujet des documents produits. |
63 |
Conformément à l’article 32 du règlement de procédure, le président de la chambre étant empêché d’assister au délibéré après l’expiration de son mandat le 16 septembre 2013, le juge le moins ancien au sens de l’article 6 dudit règlement s’est en conséquence abstenu de participer au délibéré. Les délibérations du Tribunal ont été poursuivies par les trois juges dont le présent arrêt porte la signature, le juge le plus ancien au sens du même article faisant fonction de président. |
64 |
La Hongrie, soutenue par le Grand-Duché de Luxembourg, la République d’Autriche et la République de Pologne en ce qui concerne les conclusions principales et subsidiaires, ainsi que par la République française en ce qui concerne les conclusions subsidiaires, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
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65 |
La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
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En droit
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À l’appui de son recours, la Hongrie soulève deux moyens. |
67 |
Le premier moyen, soulevé à titre principal, est tiré d’une erreur manifeste d’appréciation et d’une violation du principe de précaution ainsi que d’une violation de l’article 4, paragraphe 2, et de l’annexe II de la directive 2001/18, en ce que les décisions d’AMM de l’OGM se fondent sur une évaluation des risques déficiente, incohérente et incomplète. |
68 |
Le second moyen, soulevé à titre subsidiaire, est tiré d’une violation du règlement no 1829/2003, en particulier des exigences prescrites aux articles 4, paragraphe 2, et 16, paragraphe 2, dudit règlement, par l’article 2, sous b) et c), de la décision 2010/136, en ce que cet article fixe un seuil de tolérance de 0,9 %, non prévu ni même autorisé par ledit règlement, pour la présence fortuite ou techniquement inévitable de traces de l’OGM dans l’alimentation humaine ou animale. |
69 |
La Commission conteste les arguments de la Hongrie. |
70 |
Il convient toutefois, à titre liminaire, de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la violation des formes substantielles, au sens de l’article 263 TFUE, constitue un moyen, dit «d’ordre public», qui doit être relevé d’office par le juge de l’Union (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C-367/95 P, Rec. p. I-1719, point 67, et du 30 mars 2000, VBA/Florimex e.a., C-265/97 P, Rec. p. I-2061, point 114 ; voir arrêt du Tribunal du 6 mars 2003, Westdeutsche Landesbank Girozentrale et Land Nordrhein-Westfalen/Commission, T-228/99 et T-233/99, Rec. p. II-435, point 143, et la jurisprudence citée). Il en va de même pour l’incompétence, au sens dudit article (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 10 mai 1960, Allemagne/Haute Autorité, 19/58, Rec. p. 469, 488, et du 13 juillet 2000, Salzgitter/Commission, C-210/98 P, Rec. p. I-5843, point 56 ; arrêt du Tribunal du 28 janvier 2003, Laboratoires Servier/Commission, T-147/00, Rec. p. II-85, point 45). |
71 |
Par ailleurs, l’obligation, pour le juge de l’Union, de relever d’office un moyen d’ordre public doit être exercée à la lumière du principe du contradictoire (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 2 décembre 2009, Commission/Irlande e.a., C-89/08 P, Rec. p. I-11245, points 59 et 60). |
72 |
En l’espèce, les parties ont été invitées, tant au cours de la procédure écrite que lors de la procédure orale, à présenter leurs observations sur le point de savoir, d’une part, si la Commission avait respecté les formes substantielles de la procédure applicable à l’adoption des décisions attaquées et, d’autre part, si la Commission était compétente aux fins d’adopter lesdites décisions. En particulier, le Tribunal a adressé aux parties, au titre de mesures d’organisation de la procédure, deux questions écrites libellées comme suit :
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73 |
La Commission a déféré à la demande du Tribunal en répondant à ces deux questions. La Hongrie a fait de même pour la seconde question, alors que les intervenantes ne se sont pas exprimées à ce sujet. |
Sur le respect des formes substantielles de la procédure de réglementation
74 |
La Commission soutient qu’elle n’a commis aucune violation des formes substantielles au cours des procédures d’élaboration et d’adoption des décisions attaquées. Elle fait valoir que, tant pour la décision 2010/135 que pour la décision 2010/136, elle a respecté la procédure de réglementation prévue à l’article 5 de la décision 1999/468, en soumettant aux comités puis, en l’absence d’avis de ces comités, au Conseil les projets initiaux des décisions d’autorisation. À cet égard, elle estime qu’elle n’était pas tenue de soumettre une nouvelle fois les projets modifiés des décisions d’autorisation auxdits comités, car, en premier lieu, la partie normative des projets initiaux et modifiés était identique, en deuxième lieu, les projets modifiés ne contenaient pas de modification de fond et, en troisième lieu, elle n’a pas tardé à adopter les deux décisions d’autorisation après l’absence de prise de position du Conseil sur les mesures proposées. |
75 |
La Hongrie conteste les arguments de la Commission. |
Sur les faits
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En premier lieu, il convient de constater que la Commission, après avoir reçu les avis de l’EFSA de 2005 (voir point 24 ci-dessus), a soumis les projets initiaux des décisions d’autorisation aux comités de réglementation compétents (voir points 25 et 30 ci-dessus). En l’absence d’avis de ces comités, la Commission a soumis les propositions initiales des décisions d’autorisation au Conseil (voir points 29 et 30 ci-dessus). |
77 |
En deuxième lieu, il importe de relever que, en dépit de l’absence de majorité qualifiée au sein du Conseil pour ou contre les mesures proposées, la Commission n’a pas adopté lesdites mesures. En effet, ayant reçu entre-temps des lettres d’une ONG et du gouvernement danois qui alléguaient certaines incohérences entre les avis scientifiques de l’EFSA sur lesquels se fondaient ces mesures (voir points 31 et 33 ci-dessus), la Commission a plutôt décidé de consulter à nouveau l’EFSA par mandat du 14 mai 2008 (voir point 34 ci-dessus). Le 11 juin 2009, l’EFSA a rendu son avis consolidé, comportant l’avis commun des groupes OGM et BIOHAZ des 11 et 26 mars 2009, y compris des conclusions relatives à l’improbabilité d’effets préjudiciables du gène nptII, assorties d’avis minoritaires émanant de deux membres du groupe BIOHAZ (voir points 36 à 40 ci-dessus). Il est constant que cet avis consolidé n’a pas été transmis aux comités de réglementation précédemment saisis des projets initiaux et qu’aucun nouveau projet de décision d’AMM de la pomme de terre Amflora n’a été soumis auxdits comités. |
78 |
En troisième lieu, il doit être observé que la Commission a, le 2 mars 2010, adopté les décisions attaquées (voir points 42 et 49 ci-dessus). À cet égard, il y a lieu, certes, de relever que les dispositifs respectifs desdites décisions reprennent intégralement, et sans ajout, les articles des projets et propositions de décisions d’autorisation initialement soumis aux comités de réglementation et au Conseil (ci-après les «projets et propositions antérieurs») et que leurs motivations respectives reprennent intégralement les considérants des projets et propositions antérieurs. Cependant, force est de constater que ces décisions diffèrent des projets et propositions antérieurs en ce que leurs préambules comportent de nouveaux considérants qui font respectivement référence au mandat confié par la Commission à l’EFSA le 14 mai 2008 et aux conclusions de l’avis consolidé de l’EFSA du 11 juin 2009. Il s’agit des considérants 11 et 12 de la décision 2010/135 et des considérants 7 et 8 de la décision 2010/136, dont le libellé est identique (voir points 43 et 50 ci-dessus, ci-après les «considérants supplémentaires»). |
79 |
C’est à la lumière de ces éléments qu’il convient d’examiner si la Commission a respecté les règles de procédure régissant l’adoption des décisions attaquées. |
Sur le respect de l’obligation de soumettre les projets modifiés des décisions attaquées aux comités de réglementation compétents
80 |
Il est constant que les mesures proposées par la Commission devaient être adoptées conformément à la procédure de réglementation, telle qu’elle est établie à l’article 5 de la décision 1999/468. Cette procédure prévoit l’obligation, pour la Commission, de soumettre un projet de mesures au comité de réglementation compétent. En l’absence d’avis du comité adopté à la majorité qualifiée, la Commission est tenue de soumettre sans tarder au Conseil une proposition relative aux mesures à prendre. |
81 |
Il convient également d’observer que la Commission n’a pas soumis aux comités de réglementation compétents, avant d’adopter les décisions 2010/135 et 2010/136, les projets modifiés de ces décisions, accompagnés de l’avis consolidé de 2009 et des avis minoritaires. |
82 |
Or, il y a lieu de relever que, si les dispositifs des décisions attaquées sont identiques à ceux des projets de décisions initialement soumis aux comités compétents et au Conseil, tel n’est pas le cas du fondement scientifique retenu par la Commission pour adopter ces décisions, lequel fait partie de la motivation desdites décisions. |
83 |
Force est, dès lors, de constater que la Commission, en ayant décidé de demander un avis consolidé à l’EFSA à la suite des observations d’une ONG et du gouvernement danois, et en fondant les décisions attaquées notamment sur cet avis sans permettre aux comités compétents de prendre position ni sur l’avis ni sur les projets de décisions modifiés pour ce qui concerne leur motivation, s’est écartée de la procédure de réglementation prescrite à l’article 5 de la décision 1999/468, en particulier en son paragraphe 2. |
84 |
À cet égard, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, constitue notamment une violation des formes substantielles le non-respect d’une règle procédurale si, en cas de respect de cette règle, le résultat de la procédure ou le contenu de l’acte adopté aurait pu être substantiellement différent (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 10 juillet 1980, Distillers Company/Commission, 30/78, Rec. p. 2229, point 26 ; du 29 octobre 1980, van Landewyck e.a./Commission, 209/78 à 215/78 et 218/78, Rec. p. 3125, point 47, et du 23 avril 1986, Bernardi/Parlement, 150/84, Rec. p. 1375, point 28). |
85 |
Or, en l’espèce, les votes sur les projets antérieurs au sein des comités avaient été très divisés (voir points 25 et 30 ci-dessus) et les conclusions de l’avis consolidé de l’EFSA de 2009 exprimaient davantage d’incertitudes que les avis antérieurs de l’EFSA, en particulier la déclaration de l’EFSA de 2007, et étaient assorties d’avis minoritaires (voir points 28, 36 et 37 ci-dessus). Au vu de ces éléments, il n’était donc pas exclu que les membres des comités pussent revoir leur position et réunir une majorité qualifiée pour ou contre les projets de mesures. De surcroît, en présence d’un avis défavorable ou en l’absence d’avis, la Commission, en vertu de l’article 5, paragraphe 4, de la décision 1999/468, aurait été tenue de soumettre sans tarder les mesures proposées au Conseil, qui aurait pu adopter ou s’opposer formellement auxdites mesures, à la majorité qualifiée, dans un délai de trois mois. Ce n’est qu’à l’issue de cette procédure, en l’absence de majorité qualifiée au Conseil, que la Commission aurait pu adopter les propositions de mesures litigieuses. Par conséquent, il y a lieu de considérer que le résultat de la procédure ou le contenu des décisions attaquées aurait pu être substantiellement différent si la procédure prévue à l’article 5 de la décision 1999/468 avait été respectée par la Commission. |
86 |
Par ailleurs, il convient de relever que la procédure de réglementation régit une compétence d’exécution conférée à la Commission par le Conseil dans l’acte de base qu’il établit, conformément à l’article 202, troisième tiret, CE. Elle participe ainsi de l’équilibre institutionnel au sein de l’Union, en particulier entre les attributions du Conseil et du Parlement, d’une part, et de la Commission, d’autre part. Le non-respect de cette procédure par la Commission est donc de nature à affecter l’équilibre institutionnel de l’Union. |
87 |
Force est, dès lors, de constater que la Commission, lorsqu’elle a adopté les décisions attaquées en omettant de soumettre aux comités de réglementation compétents les projets modifiés de ces décisions d’autorisation, a violé ses obligations procédurales au titre de l’article 5 de la décision 1999/468 ainsi que des dispositions de la directive 2001/18 et du règlement no 1829/2003 qui y renvoient, et a, par là même, commis, pour chacune desdites décisions, une violation des formes substantielles au sens de l’article 263, deuxième alinéa, TFUE, que le Tribunal est tenu de relever d’office. Partant, ces décisions sont, conformément à l’article 264, premier alinéa, TFUE, frappées de nullité dans leur intégralité. |
Sur l’identité, ou l’absence de modification de fond, entre les décisions attaquées et les projets antérieurs
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Les constatations qui précèdent ne sauraient être infirmées par les arguments de la Commission. |
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En premier lieu, la Commission allègue que les décisions attaquées sont identiques aux projets et aux propositions antérieurs, eu égard à leurs parties normatives identiques. En revanche, les préambules desdites décisions ne feraient pas partie des «mesures» édictées par celles-ci au sens de l’article 5 de la décision 1999/468. |
90 |
À cet égard, il suffit de relever que cette allégation de la Commission se heurte à la jurisprudence constante selon laquelle le dispositif d’un acte doit être lu à la lumière des motifs qui ont conduit à son adoption, et dont il est indissociable, l’acte formant un tout (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 26 avril 1988, Asteris e.a./Commission, 97/86, 99/86, 193/86 et 215/86, Rec. p. 2181, point 27, et du 15 mai 1997, TWD/Commission, C-355/95 P, Rec. p. I-2549, point 21 ; voir arrêt du Tribunal du 7 octobre 1999, Irish Sugar/Commission, T-228/97, Rec. p. II-2969, point 17, et la jurisprudence citée). |
91 |
En outre, contrairement à l’allégation connexe de la Commission selon laquelle les avis scientifiques de l’EFSA, notamment celui du 11 juin 2009, ne feraient pas partie de la motivation des décisions attaquées, il convient de considérer que la Commission, en s’appuyant dans ses décisions sur les avis d’une autorité scientifique, incorpore la teneur de ces avis dans l’appréciation qui préside à l’adoption de ses décisions et dans la motivation de celles-ci. Ainsi, dans la mesure où, dans lesdites décisions, la Commission prétend se fonder sur l’évaluation scientifique retenue dans les avis de l’EFSA de 2005 et de 2009 – tout en s’abstenant de mentionner l’avis de l’EFSA de 2004 –, et s’y réfère dans certains considérants, le contenu de ces avis fait partie intégrante de la motivation de ces décisions [voir, en ce sens et par analogie, arrêt du Tribunal du 18 décembre 2003, Fern Olivieri/Commission et EMEA, T-326/99, Rec. p. II-6053, point 55]. |
92 |
Partant, il y a lieu de constater que l’ajout, dans les projets des décisions attaquées, de considérants se référant à un nouvel avis de l’EFSA en guise de fondement scientifique, constitue une modification qui réfute toute allégation d’identité desdites décisions avec les projets et propositions antérieurs. |
93 |
En deuxième lieu, la Commission allègue que l’ajout des considérants supplémentaires dans les projets modifiés ne constituait pas une modification de fond, mais avait simplement pour objectif de consolider la motivation des décisions attaquées par référence à l’avis consolidé de l’EFSA de 2009. En effet, cet avis serait confirmatif des avis antérieurs de l’EFSA, dans la mesure où il aurait également conclu, en substance, à l’innocuité du gène nptII. |
94 |
À cet égard, il convient de rappeler que, selon les termes mêmes de la Commission, le nouveau processus de consultation avec l’EFSA engagé en mai 2008 était «dû en partie aux doutes exprimés dans la lettre [d’une ONG] de février 2008 et à la lettre d[es] ministre[s] danois de [l’alimentation et de] l’agriculture et de l’environnement de mars 2008», et à l’incertitude scientifique qui en découlait. Ces doutes portaient sur des incohérences entre les avis de l’EFSA spécifiques à la pomme de terre Amflora et l’avis général de l’EFSA de 2004 sur les gènes MRA, lu en combinaison avec la déclaration de l’EMA de 2007 sur la pertinence thérapeutique des antibiotiques auxquels résiste le gène nptII. |
95 |
Il s’ensuit que l’ajout des considérants supplémentaires n’avait pas simplement pour objectif de consolider la motivation des décisions attaquées, mais également, conformément au nouveau mandat conféré par la Commission à l’EFSA le 14 mai 2008, de clarifier certaines incohérences entre les avis antérieurs et de réduire l’incertitude scientifique régnante, en tentant de répondre aux objections de fond exprimées dans les lettres d’une ONG et des ministres danois. Or, il y a lieu de considérer que la réponse, fondée ou non, de l’EFSA à de telles objections de fond constitue un élément essentiel de la motivation desdites décisions, qui emporte une modification de la substance de l’acte et de son contenu décisionnel. |
96 |
En outre, quant à l’allégation de la Commission selon laquelle l’avis consolidé de l’EFSA du 11 juin 2009 n’aurait fait que confirmer les évaluations des risques émanant des avis antérieurs de l’EFSA (et mentionnées dans les projets et propositions antérieurs de décisions d’autorisation de la Commission au moment de leur soumission aux comités et au Conseil), en concluant également à l’innocuité du gène nptII, il y a lieu de constater que ledit avis constitue une nouvelle évaluation de fond, et non une simple confirmation de pure forme, par rapport aux évaluations des risques contenues dans les avis de l’EFSA de 2004 et de 2005, ainsi que dans la déclaration de l’EFSA de 2007. Cette constatation se fonde tant sur le libellé du nouveau mandat conféré à l’EFSA que sur des différences majeures entre le nouvel avis de l’EFSA et les avis antérieurs. |
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D’une part, il ressort du libellé même des termes de référence du nouveau mandat conféré par la Commission à l’EFSA le 14 mai 2008, mentionné au considérant 11 de la décision 2010/135 et au considérant 7 de la décision 2010/136, que le nouvel avis demandé à l’EFSA ne pouvait être simplement confirmatif. Premièrement, il incombait à l’EFSA, en «tenant compte» des avis et déclarations précédents, d’«expliquer les raisons» et d’«esquisser le raisonnement» menant à ses conclusions. Cette formulation atteste que la Commission requérait de l’EFSA la production d’un nouveau raisonnement scientifique, qui, tout en tenant compte des avis et déclarations précédents, devait clarifier et compléter leur motivation, voire modifier leurs conclusions. La nécessité pour l’EFSA de revisiter ses analyses scientifiques antérieures était d’ailleurs corroborée par la prolongation ultérieure, demandée par l’EFSA et acceptée par la Commission, de la date limite pour l’avis consolidé d’une durée de six mois par rapport au mandat initial. Deuxièmement, il appartenait à l’EFSA d’indiquer les conséquences possibles de ce nouvel avis sur ses propres évaluations antérieures de plantes génétiquement modifiées individuelles contenant des gènes MRA. Cela démontre également que la Commission attendait de l’EFSA, en étroite collaboration avec l’EMA, une analyse scientifique revisitée, susceptible d’emporter des conséquences nouvelles pour l’évaluation d’autres OGM. Troisièmement, la Commission avait joint en annexe les lettres d’une ONG et du gouvernement danois. Cela suggère qu’il incombait à l’EFSA de dissiper les incohérences alléguées dans ces courriers. |
98 |
D’autre part, il convient de relever trois différences majeures entre l’avis consolidé de l’EFSA de 2009, évoqué au considérant 12 de la décision 2010/135 et au considérant 8 de la décision 2010/136, et les avis antérieurs de l’EFSA, sans qu’il y ait lieu de se prononcer sur le bien-fondé des évaluations des risques effectuées dans chacun de ces avis. En l’occurrence, ces différences ont trait à l’auteur des avis scientifiques sur lesquels se fondent respectivement les projets modifiés et antérieurs des décisions d’autorisation, au contenu des conclusions de ces avis et à la présence d’avis minoritaires au sein desdits avis. Premièrement, l’avis consolidé de l’EFSA de 2009 est l’œuvre d’auteurs supplémentaires par rapport aux avis et déclarations de 2004, de 2005 et de 2007, émis par le seul groupe OGM, en ce qu’il émane aussi du groupe BIOHAZ, et a, selon le nouveau mandat de la Commission, été rédigé en collaboration étroite avec l’EMA. Deuxièmement, les conclusions de l’avis consolidé de l’EFSA de 2009, sur lesquelles se fondent les propositions modifiées, mettent davantage en exergue l’incertitude scientifique («pas complètement comprise», «limitations», «incertitudes», «improbable») et les dangers («cause de préoccupation mondiale») que les conclusions de l’avis de l’EFSA de 2005 («aucune raison de supposer», «ne poserait aucun risque supplémentaire», «aucun risque significatif», «aucun effet préjudiciable pour l’environnement n’a été observé ou ne serait probable») et de la déclaration de l’EFSA de 2007 («ne sera pas compromis», «probabilité extrêmement faible», «très improbable», «ne pose pas de risque»), sur lesquelles se fondent les projets antérieurs. Troisièmement, l’avis consolidé de l’EFSA de 2009 comporte des avis minoritaires émanant de deux membres du groupe BIOHAZ qui insistent sur l’incertitude scientifique, alors que les avis de l’EFSA de 2005 et la déclaration de l’EFSA de 2007 ne comportaient pas d’opinion minoritaire. |
99 |
Au vu de ces éléments, il y a lieu de constater que l’allégation de la Commission selon laquelle l’avis consolidé de l’EFSA de 2009 ne serait qu’un avis confirmatif des avis antérieurs de l’EFSA manque en fait. |
100 |
Au demeurant, il convient de relever que cette allégation est en contradiction avec d’autres assertions de la Commission, formulées dans ses écritures au cours de la présente procédure ainsi que lors de la procédure dans l’affaire ayant donné lieu à l’ordonnance BASF Plant Science e.a./Commission, point 53 supra. |
101 |
D’une part, ladite allégation est en contradiction avec le point 25 du mémoire en défense, dont il ressort que les avis de l’EFSA antérieurs à celui de 2009 n’étaient, de l’aveu même de la Commission, pas totalement clairs et dépourvus d’«ambiguïté» et qu’ils étaient affectés de «contradictions». Or, en divers points de ses mémoires en défense et en duplique, la Commission met en exergue le caractère «complet» de l’avis consolidé de l’EFSA de 2009 et la nature «exhaustive» de l’analyse des risques contenue dans ledit avis. La Commission suggère ainsi que, selon son appréciation, l’avis de l’EFSA de 2009 a fait beaucoup plus que confirmer les évaluations des risques antérieures, puisqu’un tel avis est, à ses yeux, complet et exhaustif, alors que les avis antérieurs souffraient d’ambiguïtés et de contradictions. |
102 |
D’autre part, ladite allégation de la Commission est en contradiction avec son mémoire en défense dans l’affaire ayant donné lieu à l’ordonnance BASF Plant Science e.a./Commission, T‑293/08 (point 53 supra), tel que versé au dossier du présent litige. La Commission y soulignait d’abord l’«essence même» de cette affaire, à savoir ses «obligations en présence d’informations faisant état […] d’incohérences entre des avis scientifiques». Elle relevait ensuite que «l’EFSA n’a[vait] pas envisagé, dans sa déclaration de 2007, le critère de la pertinence thérapeutique, [ne prenant] en compte ni l’avis de l’[EMA], ni l’avis de l’OMS», s’écartant ainsi des critères retenus dans l’avis de l’EFSA de 2004. Elle considérait dès lors que «tout le problème [était] de déterminer s’il y a[vait] cohérence entre les raisonnements et les motifs à la base des conclusions de l’avis de 2004, d’une part, et de la déclaration de 2007, d’autre part». Enfin, elle excipait de son «devoir, au regard du principe de précaution, de clarifier ces incohérences et a[vait] donc, à cette fin, consulté [l’EFSA]», de sorte qu’aucune carence ne pouvait lui être imputée. |
103 |
Il ressort de ces assertions que la Commission, à tout le moins après avoir reçu les lettres d’une ONG et du gouvernement danois, estimait que la déclaration de l’EFSA de 2007, souffrant d’incohérence avec l’avis de l’EFSA de 2004, lu en combinaison avec la déclaration de l’EMA de 2007, constituait un fondement scientifique trop incertain pour adopter les propositions de décisions déjà soumises aux comités de réglementation et au Conseil, et que, eu égard à l’incertitude scientifique régnante, il lui incombait, en vertu du principe de précaution, de consulter à nouveau l’EFSA afin d’obtenir des clarifications sur l’évaluation scientifique des risques liés à la pomme de terre Amflora, en particulier au gène nptII. |
104 |
Partant, les arguments de la Commission relatifs à l’identité, ou du moins à l’absence de modification de fond, entre les décisions attaquées et les projets et propositions antérieurs, doivent être rejetés comme étant dénués de fondement. |
105 |
De surcroît, il y a lieu de considérer que les faits en cause dans l’arrêt du Tribunal du 13 septembre 2006, Sinaga/Commission (T‑217/99, T‑321/00 et T‑222/01, non publié au Recueil, points 90 à 96), invoqué par la Commission aux fins de soutenir que la motivation ajoutée dans les considérants supplémentaires n’emporterait «aucune modification de la substance de l’acte» (arrêt Sinaga/Commission, précité, point 95), doivent être distingués de ceux du présent litige. Tout d’abord, l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Sinaga/Commission, précité, concernait la procédure de gestion au sens de l’article 4 de la décision 1999/468 et non la procédure de réglementation au sens de l’article 5 de la même décision. Or, dans le cadre de la procédure de gestion, la Commission arrête des mesures qui sont immédiatement applicables et, si celles-ci ne sont pas conformes à l’avis du comité, la Commission transmet les mesures déjà arrêtées par elle au Conseil, lequel dispose de trois mois pour adopter une autre décision. Il n’en va pas de même dans la procédure de réglementation, où, si les mesures envisagées ne sont pas conformes à l’avis du comité ou, comme en l’espèce, en l’absence d’avis, la Commission n’arrête pas de mesures, mais soumet sans tarder une proposition au Conseil. Ensuite, était en cause, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Sinaga/Commission, précité, la phase de la procédure après la saisine du comité (de gestion du sucre) et non celle après la saisine du Conseil, comme en l’espèce. Enfin, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Sinaga/Commission, précité, le comité avait, avant l’ajout de la motivation additionnelle qui n’emportait aucune modification de la substance de l’acte, exprimé un «avis positif» et ainsi «approuvé» (arrêt Sinaga/Commission, précité, points 91 à 95) les mesures proposées par la Commission, contrairement au présent litige où le comité n’a pu émettre un avis positif. |
106 |
En troisième lieu, la Commission allègue qu’elle n’a pas tardé dans l’adoption des deux décisions d’autorisation après que le Conseil n’a pas pris position sur les mesures proposées. Elle fait valoir qu’elle disposait alors d’un délai pour solliciter un avis scientifique complémentaire et que l’article 5, paragraphe 6, de la décision 1999/468, contrairement à l’article 5, paragraphe 4, de la même décision, ne comporte pas l’expression «sans tarder». |
107 |
À cet égard, il convient d’observer, d’emblée, que le vice entachant la légalité des décisions attaquées n’est pas lié au délai pris pour adopter lesdites décisions après la soumission au Conseil des propositions initiales lors de ses sessions des 16 juillet 2007 et 18 février 2008, mais à l’omission de soumettre les projets modifiés des décisions d’autorisation aux comités de réglementation compétents et, le cas échéant, au Conseil. |
108 |
Partant, l’argument de la Commission relatif à l’absence de tardiveté dans l’adoption des décisions attaquées doit être écarté comme étant inopérant. |
109 |
De surcroît, il y a lieu de considérer que la référence de la Commission à l’arrêt de la Cour du 18 novembre 1999, Pharos/Commission (C-151/98 P, Rec. p. I-8157), invoqué au soutien de cet argument, est dénuée de pertinence en l’espèce. En effet, l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Pharos/Commission, précité, se rapportait à la phase de la procédure entre la saisine du comité et la saisine du Conseil, où la Cour a admis que la Commission disposait d’un certain délai pour solliciter un nouvel avis scientifique avant de soumettre une proposition au Conseil, en vue de trouver anticipativement une solution de compromis et d’éviter ainsi un rejet ultérieur de la proposition par le Conseil (arrêt Pharos/Commission, précité, points 22 à 27). En revanche, les allégations de la Commission dans le présent litige concernent le stade de la procédure suivant l’absence de décision du Conseil, où, en vertu de l’article 5, paragraphe 6, troisième alinéa, de la décision 1999/468, il appartient à la Commission d’arrêter les mesures telles que proposées, mais non plus de les modifier. |
110 |
Enfin, s’il convient, à l’instar de la Commission, de souligner la «grande sensibilité politique» et la «complexité du sujet» de l’AMM d’OGM, il n’en demeure pas moins que de tels éléments militent précisément en faveur de l’obligation, pour la Commission, de soumettre les projets modifiés des décisions d’autorisation de la pomme de terre Amflora aux comités de réglementation compétents et, le cas échéant, au Conseil. |
111 |
Il résulte de ces considérations que les arguments de la Commission, étant infondés ou inopérants, ne sauraient obvier à ce que le Tribunal relève d’office et constate la violation des formes substantielles entachant la légalité des décisions attaquées. Par ailleurs, il échet d’observer que, dès lors, d’une part, que la compétence de la Commission aux fins d’adopter lesdites décisions était subordonnée au respect par elle de la procédure de réglementation et, d’autre part, qu’elle n’a pas soumis aux comités de réglementation les projets modifiés de mesures ayant donné lieu à ces décisions, ces dernières n’ont pas été arrêtées conformément à l’article 5, paragraphes 3 et 6, de la décision 1999/468. Ainsi, c’est de la violation même des formes substantielles constatée au point 87 ci-dessus que découle l’incompétence de la Commission aux fins d’adopter les décisions en cause. |
Sur le recours en annulation
112 |
Au vu de tout ce qui précède, et sans qu’il soit besoin d’examiner le bien-fondé des moyens soulevés par la Hongrie, il convient d’accueillir le recours en annulation en ses conclusions formulées à titre principal. |
113 |
En conséquence, il y a lieu, en vertu de l’article 264, premier alinéa, TFUE, de déclarer nulles et non avenues les décisions attaquées. |
Sur les dépens
114 |
Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Hongrie. |
115 |
En application de l’article 87, paragraphe 4, premier alinéa, du règlement de procédure, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. La République française, le Grand-Duché de Luxembourg, la République d’Autriche et la République de Pologne supportent donc leurs propres dépens. |
Par ces motifs, LE TRIBUNAL (première chambre élargie) déclare et arrête : |
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Labucka Frimodt Nielsen Kancheva Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 13 décembre 2013. Signatures |
Table des matières
Cadre juridique |
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Régime de l’autorisation de mise sur le marché d’organismes génétiquement modifiés |
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Procédure de réglementation |
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Antécédents du litige |
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Produit visé par l’autorisation |
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Demandes d’autorisation |
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Évaluations des risques et procédures de comitologie |
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Décisions d’autorisation |
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Procédure et conclusions des parties |
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En droit |
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Sur le respect des formes substantielles de la procédure de réglementation |
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Sur les faits |
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Sur le respect de l’obligation de soumettre les projets modifiés des décisions attaquées aux comités de réglementation compétents |
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Sur l’identité, ou l’absence de modification de fond, entre les décisions attaquées et les projets antérieurs |
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Sur le recours en annulation |
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Sur les dépens |
( *1 ) Langue de procédure : le hongrois.
Parties
Motifs de l'arrêt
Dispositif
Dans l’affaire T‑240/10,
Hongrie, représentée par M. M. Fehér et M me K. Szíjjártó, en qualité d’agents,
partie requérante,
soutenue par
République française, représentée par MM. G. de Bergues et S. Menez, en qualité d’agents,
par
Grand-Duché de Luxembourg, représenté initialement par M. C. Schiltz, puis par M me P. Frantzen et enfin par M. L. Delvaux et M me D. Holderer, en qualité d’agents,
par
République d’Autriche, représentée par M me C. Pesendorfer et M. E. Riedl, en qualité d’agents,
et par
République de Pologne, représentée initialement par MM. M. Szpunar, B. Majczyna et M me J. Sawicka, puis par M. Majczyna et M me Sawicka, en qualité d’agents,
parties intervenantes,
contre
Commission européenne, représentée initialement par M. A. Sipos et M me L. Pignataro-Nolin, puis par MM. Sipos et D. Bianchi, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
ayant pour objet une demande d’annulation de la décision 2010/135/UE de la Commission, du 2 mars 2010, concernant la mise sur le marché, conformément à la directive 2001/18/CE du Parlement européen et du Conseil, d’une pomme de terre ( Solanum tuberosum L. lignée EH92‑527‑1) génétiquement modifiée pour l’obtention d’un amidon à teneur accrue en amylopectine (JO L 53, p. 11), et de la décision 2010/136/UE de la Commission, du 2 mars 2010, autorisant la mise sur le marché d’aliments pour animaux produits à partir de la pomme de terre génétiquement modifiée EH92‑527‑1 (BPS‑25271‑9) et la présence fortuite ou techniquement inévitable de cette pomme de terre dans les denrées alimentaires et d’autres produits destinés à l’alimentation animale, en application du règlement (CE) nº 1829/2003 du Parlement européen et du Conseil (JO L 53, p. 15),
LE TRIBUNAL (première chambre élargie),
composé de M me I. Labucka, faisant fonction de président, M. S. Frimodt Nielsen et M me M. Kancheva (rapporteur), juges,
grefier : M. J. Palacio González, administrateur principal,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 18 avril 2013,
rend le présent
Arrêt
Cadre juridique
Régime de l’autorisation de mise sur le marché d’organismes génétiquement modifiés
1. Le régime de l’autorisation de mise sur le marché (AMM) d’organismes génétiquement modifiés (OGM) en droit de l’Union repose sur le principe de précaution et, en particulier, le principe selon lequel ces organismes, ou les produits qui les contiennent, ne peuvent être disséminés dans l’environnement ou mis sur le marché que s’ils font l’objet d’une autorisation, accordée en vue d’utilisations spécifiques et soumise à des conditions déterminées, après une évaluation scientifique des risques au cas par cas.
2. Ce régime comporte deux actes législatifs principaux, le premier relatif à la dissémination volontaire d’OGM dans l’environnement en général et le second concernant spécialement les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés.
3. Le premier acte législatif est la directive 2001/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 mars 2001, relative à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement et abrogeant la directive 90/220/CEE du Conseil (JO L 106, p. 1).
4. Aux termes de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2001/18 :
« Quiconque veut adresser une notification au titre de la partie B [Dissémination volontaire d’OGM à toute autre fin que leur mise sur le marché] ou C [Mise sur le marché d’OGM en tant que produits ou éléments de produits], doit procéder auparavant à une évaluation des risques pour l’environnement. Les informations pouvant être nécessaires pour procéder à cette évaluation sont décrites à l’annexe III. Les États membres et la Commission veillent à ce que l’on accorde une attention particulière aux OGM qui contiennent des gènes exprimant une résistance aux antibiotiques utilisés pour des traitements médicaux ou vétérinaires lors de l’évaluation des risques pour l’environnement, en vue d’identifier et d’éliminer progressivement des OGM les marqueurs de résistance aux antibiotiques qui sont susceptibles d’avoir des effets préjudiciables sur la santé humaine et l’environnement. Cette élimination progressive a lieu d’ici le 31 décembre 2004 dans le cas des OGM mis sur le marché conformément à la partie C et d’ici le 31 décembre 2008 dans le cas des OGM autorisés en vertu de la partie B. »
5. L’annexe II de la directive 2001/18, telle que modifiée, décrit en termes généraux l’objectif à atteindre, les éléments à prendre en considération et les principes généraux et la méthodologie à suivre afin d’effectuer l’évaluation des risques pour l’environnement visée à l’article 4 de la directive. Elle doit être lue en combinaison avec la décision 2002/623/CE de la Commission, du 24 juillet 2002, arrêtant les notes explicatives destinées à compléter l’annexe II de la directive 2001/18 (JO L 200, p. 22).
6. La procédure harmonisée par la directive 2001/18, en particulier ses articles 13 à 19, a pour principe que l’autorité compétente d’un État membre, ayant reçu une notification d’une entreprise assortie d’une évaluation des risques pour l’environnement, prend l’initiative d’émettre une autorisation, sur laquelle les autorités compétentes des autres États membres, ou la Commission européenne, ont la possibilité de faire connaître leurs observations ou objections.
7. L’article 18, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2001/18, intitulé « Procédure communautaire en cas d’objections », dispose :
« Lorsqu’une objection est soulevée et maintenue par une autorité compétente ou la Commission conformément aux articles 15, 17 et 20, une décision est adoptée et publiée dans un délai de cent vingt jours, selon la procédure prévue à l’article 30, paragraphe 2 […] »
8. L’article 30, paragraphe 2, de la directive 2001/18, intitulé « Procédure de comité », renvoie à la procédure prévue à l’article 5 de la décision 1999/468/CE du Conseil, du 28 juin 1999, fixant les modalités de l’exercice des compétences d’exécution conférées à la Commission (JO L 184, p. 23), dite « décision comitologie », telle que modifiée par la décision 2006/512/CE du Conseil, du 17 juillet 2006 (JO L 200, p. 11).
9. Le second acte législatif principal du régime de l’AMM d’OGM en droit de l’Union est le règlement (CE) nº 1829/2003 du Parlement européen et du Conseil, du 22 septembre 2003, concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés (JO L 268, p. 1). Ce règlement instaure un régime unitaire, spécial par rapport au régime général harmonisé de la directive 2001/18, en matière d’autorisation des denrées alimentaires génétiquement modifiées (chapitre II) et des aliments génétiquement modifiés pour animaux (chapitre III). Sous ce régime unitaire, la demande d’autorisation est directement évaluée au niveau de l’Union, avec consultation des États membres, et la décision définitive sur l’autorisation incombe à la Commission, ou, le cas échéant, au Conseil de l’Union européenne.
10. La Commission et le Conseil fondent leurs décisions sur les avis scientifiques de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), régie par le règlement (CE) nº 178/2002 du Parlement européen et du Conseil, du 28 janvier 2002, établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l’Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires (JO L 31, p. 1). Ce règlement édicte des principes généraux pour l’évaluation des risques dans tous les domaines ayant un impact direct ou indirect sur la sécurité des denrées alimentaires et des aliments pour animaux, y compris en matière d’OGM. L’EFSA a également vocation à effectuer l’évaluation des risques dans le cadre de la procédure communautaire en cas d’objections au titre de la directive 2001/18.
11. Les articles 7, paragraphes 1 et 3, et 19, paragraphes 1 et 3, du règlement nº 1829/2003, dont les libellés sont identiques et qui figurent respectivement au sein des chapitres II et III du même règlement, disposent :
« 1. Dans un délai de trois mois suivant la réception de l’avis de l’[EFSA], la Commission soumet au comité visé à l’article 35 un projet de la décision à prendre concernant la demande, tenant compte de l’avis de l’[EFSA], de toute disposition pertinente de la législation communautaire et d’autres facteurs légitimes utiles pour la question examinée. Lorsque le projet de décision n’est pas conforme à l’avis de l’[EFSA], la Commission fournit une explication de cette divergence.
[…]
3. La décision finale concernant la demande est adoptée conformément à la procédure visée à l’article 35, paragraphe 2. »
12. L’article 35, paragraphe 2, du règlement nº 1829/2003, intitulé « Comité », renvoie, tout comme la directive 2001/18 (voir point 8 ci-dessus), à la procédure prévue à l’article 5 de la décision 1999/468.
Procédure de réglementation
13. L’article 5 de la décision 1999/468, intitulé « Procédure de réglementation », est, tel que modifié par la décision 2006/512, libellé comme suit :
« 1. La Commission est assistée par un comité de réglementation composé des représentants des États membres et présidé par le représentant de la Commission.
2. Le représentant de la Commission soumet au comité un projet des mesures à prendre. Le comité émet son avis sur ce projet dans un délai que le président peut fixer en fonction de l’urgence de la question en cause. L’avis est émis à la majorité prévue à l’article 205, paragraphes 2 et 4, du traité pour l’adoption des décisions que le Conseil est appelé à prendre sur proposition de la Commission. Lors des votes au sein du comité, les voix des représentants des États membres sont affectées de la pondération définie à l’article précité. Le président ne prend pas part au vote.
3. La Commission arrête, sans préjudice de l’article 8, les mesures envisagées lorsqu’elles sont conformes à l’avis du comité.
4. Lorsque les mesures envisagées ne sont pas conformes à l’avis du comité, ou en l’absence d’avis, la Commission soumet sans tarder au Conseil une proposition relative aux mesures à prendre et en informe le Parlement européen.
5. Si le Parlement européen considère qu’une proposition présentée par la Commission en vertu d’un acte de base adopté selon la procédure prévue à l’article 251 du traité excède les compétences d’exécution prévues dans cet acte de base, il informe le Conseil de sa position.
6. Le Conseil peut, le cas échéant à la lumière de cette position éventuelle, statuer à la majorité qualifiée sur la proposition, dans un délai qui sera fixé dans chaque acte de base, mais qui ne saurait en aucun cas dépasser trois mois à compter de la saisine du Conseil.
Si, dans ce délai, le Conseil a indiqué, à la majorité qualifiée, qu’il s’oppose à la proposition, la Commission réexamine celle-ci. Elle peut soumettre au Conseil une proposition modifiée, soumettre à nouveau sa proposition ou présenter une proposition législative sur la base du traité.
Si, à l’expiration de ce délai, le Conseil n’a pas adopté les mesures d’application proposées ou s’il n’a pas indiqué qu’il s’opposait à la proposition de mesures d’application, les mesures d’application proposées sont arrêtées par la Commission. »
14. Les comités de réglementation compétents pour participer à l’exercice, par la Commission, des compétences d’exécution qui lui sont conférées en vertu de la directive 2001/18 et du règlement nº 1829/2003 sont respectivement le comité réglementaire sur la dissémination d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement, instauré à l’article 30, paragraphe 1, de la même directive, et le comité permanent de la chaîne alimentaire et de la santé animale, visé à l’article 35, paragraphe 1, du même règlement et institué conformément à l’article 58 du règlement nº 178/2002.
Antécédents du litige
Produit visé par l’autorisation
15. La pomme de terre génétiquement modifiée dénommée Amflora ( Solanum tuberosum L. lignée EH92‑527‑1) est une pomme de terre dont la composante amylacée a été modifiée. Elle se caractérise par une teneur accrue en amylopectine, de façon à ce que son amidon soit constitué presque uniquement d’amylopectine. Elle se différencie ainsi d’une pomme de terre non génétiquement modifiée, dont l’amidon est constitué d’environ 15 à 20 % d’amylose et d’environ 80 à 85 % d’amylopectine. Elle permet une extraction optimisée de l’amylopectine en vue d’applications industrielles, notamment la fabrication de pâte à papier, de fibres ou de colles.
16. La modification génétique implique l’introduction, dans le génome de la pomme de terre Amflora, d’un gène dénommé « nptII » (néomycine phosphotransférase II) (ci-après le « gène nptII »). Le gène nptII appartient à la catégorie des gènes marqueurs de résistance aux antibiotiques (ci-après les « gènes MRA »). Dans la modification génétique, les gènes marqueurs ont pour rôle de marquer, en lien avec le gène porteur de la caractéristique souhaitée, les cellules où l’opération a été réussie. Les gènes MRA exercent leur fonction par le biais de la résistance à l’antibiotique délivré. Le gène nptII, en particulier, exprime une résistance aux antibiotiques néomycine, kanamycine et généticine, qui appartiennent à la famille des aminoglycosides.
Demandes d’autorisation
17. Le 5 août 1996, l’autorité suédoise compétente a reçu une notification, au titre de la directive 90/220, d’une filiale de BASF Plant Science GmbH (ci - après « BASF ») dénommée Amylogene HB, devenue Plant Science Sweden AB. Cette notification contenait une demande d’AMM de la pomme de terre Amflora aux fins de cultiver celle-ci à des fins industrielles (production d’amidon) et d’obtention de produits dérivés (pâte de pommes de terre), tout en mentionnant la production d’aliments pour animaux et la présence fortuite de traces dans les denrées alimentaires.
18. À la suite de l’entrée en vigueur de la directive 2001/18, le 17 avril 2001, et du règlement nº 1829/2003, le 7 novembre 2003, BASF a scindé sa notification à l’autorité suédoise compétente en deux parties, la première visant à l’AMM de la pomme de terre Amflora en vue de sa culture et de son utilisation à des fins industrielles et la seconde visant à l’AMM en vue de la production d’aliments pour animaux et la présence fortuite de traces dans les denrées alimentaires. Elle a retiré la seconde partie de sa notification à ladite autorité afin de soumettre la demande d’AMM à la procédure unitaire prévue par le règlement nº 1829/2003, mais a maintenu la première partie de sa notification à cette autorité, en vertu de la directive 2001/18. En décembre 2003, elle a joint à cette première partie une évaluation des risques pour l’environnement, selon les règles contenues à l’annexe II de la directive 2001/18.
19. Le 8 avril 2004, l’autorité suédoise compétente a adopté son rapport d’évaluation et l’a transmis à la Commission. Dans ce rapport d’évaluation, elle indiquait qu’une utilisation du produit à des fins industrielles était sûre, mais qu’il importait que le produit soit tenu à l’écart de la chaîne alimentaire, son utilisation à des fins alimentaires n’ayant pas fait l’objet d’une évaluation complète. Elle concluait que la pomme de terre Amflora pouvait être mise sur le marché aux conditions fixées et en vue des utilisations prévues par le notifiant.
20. La Commission a transmis le rapport d’évaluation de l’autorité suédoise compétente aux autorités compétentes des autres États membres. Plusieurs États membres, dont la Hongrie, ont émis des observations. Dans ses observations du 3 juillet 2004, la Hongrie a fait valoir que le notifiant devait, d’une part, mettre en œuvre une méthode de détection quantitative avant que l’AMM soit accordée, et, d’autre part, effectuer des recherches supplémentaires sur l’utilisation de la pomme de terre Amflora dans l’alimentation animale et ses effets éventuellement préjudiciables sur la santé humaine, compte tenu des risques de contamination de la chaîne alimentaire.
21. Le 9 février 2005, la Commission a, conformément à l’article 28, paragraphe 1, de la directive 2001/18 et aux articles 22 et 29, paragraphe 1, du règlement nº 178/2002, demandé une évaluation des risques à l’EFSA.
22. Parallèlement, le 28 février 2005, en ce qui concerne la production d’alimentation pour animaux et les denrées alimentaires, BASF a, conformément aux articles 5 et 17 du règlement nº 1829/2003, notifié une demande d’autorisation auprès de l’autorité compétente du Royaume-Uni. Le 25 avril 2005, cette demande a été transmise à la Commission, en vertu des articles 6, paragraphe 4, et 18, paragraphe 4, du même règlement.
Évaluations des risques et procédures de comitologie
23. Le 2 avril 2004, le groupe scientifique de l’EFSA sur les OGM (ci-après le « groupe OGM ») a, de sa propre initiative, rendu un avis concernant l’utilisation de gènes MRA dans les plantes génétiquement modifiées [question EFSA-Q-2003‑109, The EFSA Journal (2004) 48, 1‑18, ci-après l’« avis de 2004 »]. Dans cet avis, l’EFSA a adopté une typologie des gènes MRA en trois groupes, fondée sur divers critères. En particulier, le groupe I contenait les gènes MRA les moins dangereux, à savoir ceux déjà largement répandus dans le sol et les bactéries entériques, et conférant une résistance à des antibiotiques qui n’ont pas de pertinence thérapeutique ou seulement une pertinence thérapeutique mineure en médecine humaine et vétérinaire. L’EFSA a également, selon cette typologie en trois groupes, opéré un classement des gènes MRA connus qui emportait d’importantes conséquences pour l’autorisation de ces gènes à des fins expérimentales (préconisée pour les groupes I et II, à l’exclusion du groupe III) ou à des fins de mise sur le marché (préconisée pour le groupe I seulement, à l’exclusion des groupes II et III). Le gène nptII, qui est, parmi les gènes MRA, le plus utilisé dans la sélection des plantes génétiquement modifiées, a été classé au sein du groupe I.
24. Le 7 décembre 2005, le groupe OGM a rendu deux avis aux contenus très similaires. Dans le premier avis, concernant la mise sur le marché de la pomme de terre Amflora à des fins de culture et de production d’amidon industriel, et publié le 24 février 2006 [question EFSA-Q-2005‑023, The EFSA Journal (2006) 323, 1‑20, ci-après l’« avis de 2005 »], l’EFSA a conclu, en substance, qu’il était improbable que la mise sur le marché de ladite pomme de terre eût des effets préjudiciables pour la santé humaine et animale ou pour l’environnement dans le cadre des utilisations proposées. Dans le second avis, concernant la mise sur le marché de cette pomme de terre dans l’alimentation humaine et animale, et publié le 10 novembre 2006 [question EFSA-Q-2005‑070, The EFSA Journal (2006) 324, 1‑20], l’EFSA a également conclu à l’improbabilité d’effets préjudiciables dans le cadre des utilisations proposées.
25. Le 4 décembre 2006, le comité réglementaire sur la dissémination d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement a, conformément à l’article 5, paragraphe 2, de la décision 1999/468, débattu d’un projet, soumis par la Commission, de décision relative à la mise sur le marché, conformément à la directive 2001/18, d’une pomme de terre ( Solanum tuberosum L. lignée EH92‑527‑1) génétiquement modifiée pour l’obtention d’un amidon à teneur accrue en amylopectine. Ledit comité n’est pas parvenu à dégager une majorité qualifiée pour ou contre ce projet de mesures soumis par la Commission. Les votes étaient divisés comme suit : 134 voix pour, 109 voix contre, 78 abstentions.
26. Le 25 janvier 2007, la Commission a demandé à l’Agence européenne des médicaments (EMA) de confirmer si, à la suite de la position de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui qualifiait les aminoglycosides (dont font partie la néomycine et la kanamycine) d’antibiotiques d’importance critique ou élevée, les utilisations actuelles ou potentielles pour l’avenir de ces antibiotiques étaient toujours conformes à l’avis de l’EFSA de 2004, qui les avait classées parmi celles ayant une pertinence thérapeutique nulle ou mineure.
27. Le 22 février 2007, l’EMA a adopté une déclaration (ci-après la « déclaration de l’EMA de 2007 ») dans laquelle elle a conclu que la néomycine et la kanamycine étaient importantes pour leur utilisation en médecine humaine ou vétérinaire et que leurs utilisations actuelles ou potentielles pour l’avenir ne pouvaient être classées parmi celles ayant une pertinence thérapeutique nulle ou mineure.
28. Le 23 mars 2007, le groupe OGM, consulté par la Commission, a adopté une déclaration (ci-après la « déclaration de l’EFSA de 2007 ») dans laquelle il s’est d’emblée accordé avec l’EMA sur l’importance de préserver le potentiel thérapeutique des aminoglycosides, dont la néomycine et la kanamycine. Ensuite, se fondant notamment sur la probabilité extrêmement faible de transfert horizontal du gène nptII des plantes aux bactéries, il a réitéré sa conclusion selon laquelle l’utilisation du gène nptII dans les OGM et leurs produits dérivés ne comportait pas de risque pour la santé humaine ou animale, ni pour l’environnement.
29. Le 13 juin 2007, en l’absence de majorité qualifiée au sein du comité pour ou contre le projet de mesures soumis par la Commission (voir point 25 ci-dessus), celle-ci a soumis au Conseil une proposition de décision du Conseil concernant la mise sur le marché, conformément à la directive 2001/18, d’une pomme de terre ( Solanum tuberosum L. lignée EH92‑527‑1) génétiquement modifiée pour l’obtention d’un amidon à teneur accrue en amylopectine. Le 16 juillet 2007, lors de la session du Conseil, la majorité qualifiée requise pour adopter ou s’opposer à cette proposition soumise par la Commission n’a pu être atteinte.
30. Le 10 octobre 2007, le comité permanent de la chaîne alimentaire et de la santé animale a, conformément à l’article 5, paragraphe 2, de la décision 1999/468, débattu d’un projet, soumis par la Commission, de décision d’AMM de la pomme de terre Amflora à des fins d’utilisation dans l’alimentation humaine et animale, en application du règlement nº 1829/2003. Le comité n’est pas parvenu à dégager une majorité qualifiée pour ou contre ce projet de mesures soumis par la Commission. Les votes étaient divisés comme suit : 123 voix pour, 133 voix contre, 89 abstentions. Le 18 décembre 2007, en l’absence de majorité qualifiée au sein du comité, la Commission a soumis au Conseil une proposition de décision ayant le même objet.
31. Le 13 février 2008, en vue de la session du Conseil, une organisation non gouvernementale (ONG) a envoyé au commissaire pour la santé et la sécurité alimentaire une lettre excipant d’incohérences affectant la proposition de la Commission. Selon cette ONG, la proposition omettait de mentionner, d’une part, que l’EFSA, dans son avis de 2004, avait erronément classé les antibiotiques affectés par la pomme de terre génétiquement modifiée comme étant sans importance en médecine humaine et vétérinaire, alors que l’EMA et l’OMS les considéraient d’importance critique, et, d’autre part, que l’EFSA, dans sa déclaration de 2007, avait reconnu son erreur à cet égard, mais avait omis d’en tirer les conséquences logiques et nécessaires quant à l’exclusion du gène nptII du groupe I et à son reclassement au sein du groupe II ou III, selon la classification retenue dans l’avis de l’EFSA de 2004.
32. Le 18 février 2008, lors de la session du Conseil, la majorité qualifiée requise pour adopter ou s’opposer à la proposition soumise par la Commission n’a pu être atteinte.
33. Le 14 mars 2008, les ministres danois de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Pêche, d’une part, et de l’Environnement, d’autre part, ont envoyé aux commissaires pour la santé et pour l’environnement une lettre expliquant, en substance, que les experts danois, tout en s’accordant avec l’EFSA sur l’absence de risque posé par le gène nptII, avaient relevé une incohérence entre l’avis de l’EFSA de 2004 et la déclaration de l’EFSA de 2007 quant au classement du gène nptII selon les critères de l’avis de 2004, et demandant à la Commission et à l’EFSA de clarifier ce point.
34. Le 14 mai 2008, la Commission a, sur la base de l’article 29 du règlement nº 178/2002, confié à l’EFSA un « mandat pour un avis consolidé sur l’utilisation de gènes de résistance aux antibiotiques en tant que gènes marqueurs dans les plantes génétiquement modifiées ». D’après ce mandat, la Commission entendait « éviter toute ambiguïté » sur la question de l’utilisation des gènes MRA dans les plantes génétiquement modifiées, laquelle faisait alors l’objet de deux évaluations de sécurité par l’EFSA, à savoir l’avis de 2004 et la déclaration de mars 2007, à la suite de la déclaration de l’EMA de 2007. Selon les termes de référence dudit mandat, la Commission a dès lors demandé à l’EFSA, premièrement, de préparer un avis scientifique consolidé qui tienne compte des avis et déclarations précédents en expliquant le raisonnement menant à ses conclusions et, deuxièmement, d’indiquer les conséquences possibles de ce nouvel avis sur les évaluations antérieures par l’EFSA de plantes génétiquement modifiées contenant des gènes MRA. La Commission a expressément requis que l’EFSA travaille en collaboration étroite avec l’EMA et a joint, en annexe à ce nouveau mandat, les lettres d’une ONG et du gouvernement danois.
35. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 24 juillet 2008, BASF, Plant Science Sweden AB, Amylogene HB et BASF Plant Science Holding GmbH ont introduit un recours en carence contre la Commission, visant à faire constater que, en s’abstenant d’adopter une décision à l’égard de la notification relative à la mise sur le marché de la pomme de terre génétiquement modifiée Amflora, la Commission avait manqué aux obligations qui lui incombaient en vertu de l’article 18, paragraphe 1, de la directive 2001/18 et de l’article 5 de la décision 1999/468.
36. Les 11 et 26 mars 2009 respectivement, le groupe OGM et le groupe scientifique de l’EFSA sur les dangers biologiques (ci-après le « groupe BIOHAZ ») ont adopté, en réponse à la première demande de la Commission, un avis commun intitulé « Utilisation de gènes de résistance aux antibiotiques en tant que gènes marqueurs dans les plantes génétiquement modifiées » [questions EFSA-Q-2008‑411 et EFSA-Q-2008‑706, The EFSA Journal (2009) 1034, 1‑82, ci-après l’« avis commun de 2009 »]. L’EFSA, tout en reconnaissant que les antibiotiques kanamycine et néomycine étaient d’une importance thérapeutique élevée, voire critique, s’est notamment fondée sur l’absence de démonstration du transfert horizontal de gènes MRA des plantes génétiquement modifiées aux bactéries de l’environnement. Elle a conclu que, nonobstant les incertitudes relatives, notamment, à l’échantillonnage, à la détection, aux difficultés à estimer les niveaux d’exposition ainsi qu’à l’incapacité à assigner à une source définie les gènes de résistance transférables, l’état actuel des connaissances indiquait que les effets préjudiciables pour la santé humaine et l’environnement, à la suite de l’utilisation de plantes génétiquement modifiées, du transfert du gène MRA nptII à partir desdites plantes vers les bactéries étaient improbables.
37. Cependant, deux membres du groupe BIOHAZ ont formulé des avis minoritaires concernant essentiellement des incertitudes scientifiques liées à la probabilité de transfert horizontal du gène nptII aux bactéries. Les auteurs de ces avis proposaient, en substance, de conclure qu’il serait imprudent de considérer la résistance à un antibiotique comme sans importance ou d’une importance négligeable, voire que, globalement, il n’était pas possible d’évaluer les effets préjudiciables pour la santé humaine et pour l’environnement d’un transfert éventuel.
38. Le 25 mars 2009, le groupe OGM a adopté, en réponse à la deuxième demande de la Commission, un avis intitulé « Conséquences de l’avis sur l’utilisation de gènes de résistance aux antibiotiques comme gènes marqueurs dans des plantes génétiquement modifiées sur les évaluations antérieures par l’EFSA de plantes [génétiquement modifiées] individuelles » [question EFSA-Q-2008‑04977, The EFSA Journal (2009) 1035, 1‑9] et concluant à l’absence de preuve scientifique nouvelle qui soit de nature à l’amener à revenir sur ses évaluations antérieures.
39. Le 28 avril 2009, la directrice de l’EFSA a demandé aux présidents des groupes OGM et BIOHAZ, ainsi qu’au président du groupe de travail commun, si les deux avis minoritaires exigeaient des travaux scientifiques supplémentaires. Le 25 mai 2009, lesdits présidents ont répondu que, lors de la préparation de l’avis commun de 2009, le contenu des deux avis minoritaires avait largement été pris en considération, de sorte que, d’un point de vue scientifique, l’avis commun de 2009 n’exigeait pas d’éclaircissements complémentaires, ni de travaux scientifiques supplémentaires.
40. Le 11 juin 2009, l’EFSA a adopté l’avis scientifique consolidé contenant l’avis commun de 2009, l’avis du 25 mars 2009, la lettre du 28 avril 2009 et la lettre du 25 mai 2009 [questions EFSA-Q-2009‑00589 et EFSA-Q-2009‑00593, The EFSA Journal (2009) 1108, 1‑8, ci-après l’« avis consolidé de 2009 »].
41. À la suite de cet avis scientifique consolidé, les comités de réglementation compétents n’ont pas été saisis par la Commission de nouveaux projets de décisions d’autorisation.
Décisions d’autorisation
42. Le 2 mars 2010, la Commission a adopté, sur la base de l’article 18, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2001/18, la décision 2010/135/UE de la Commission, du 2 mars 2010, concernant la mise sur le marché, conformément à la directive 2001/18, d’une pomme de terre ( Solanum tuberosum L. lignée EH92‑527‑1) génétiquement modifiée pour l’obtention d’un amidon à teneur accrue en amylopectine (JO L 53, p. 11). Cette décision autorise, en substance, la mise sur le marché de la pomme de terre Amflora pour la culture et la production d’amidon à des fins industrielles.
43. Les considérants 11 et 12 de la décision 2010/135 sont libellés comme suit :
« (11) Le 14 mai 2008, la Commission a confié un mandat à l’EFSA en ajoutant une requête : i) préparer un avis scientifique consolidé en tenant compte de l’avis précédent et de la déclaration concernant l’utilisation des gènes [MRA] dans des végétaux génétiquement modifiés destinés ou déjà autorisés à être mis sur le marché et leurs utilisations possibles pour l’importation, le traitement et la culture ; ii) indiquer les conséquences possibles de cet avis consolidé sur les évaluations antérieures, réalisées par l’EFSA, de chaque OGM contenant des gènes [MRA]. Le mandat a notamment attiré l’attention de l’EFSA sur des lettres de la Commission émanant du Danemark et [d’une ONG].
(12) Le 11 juin 2009, l’EFSA a publié une déclaration sur l’utilisation des gènes [MRA] dans des plantes génétiquement modifiées qui conclut que l’évaluation précédente de la pomme de terre Solanum tuberosum L. lignée EH92‑527‑1 réalisée par l’EFSA est conforme à la stratégie d’évaluation des risques décrite dans la déclaration et qu’il n’existe aucune nouvelle preuve de nature à inciter l’EFSA à modifier son avis précédent. »
44. L’article 1 er de la décision 2010/135, intitulé « Autorisation », dispose :
« Sans préjudice d’autres dispositions de la législation [de l’Union], et en particulier du règlement […] nº 1829/2003, l’autorité compétente de la Suède autorise par écrit la mise sur le marché, conformément à la présente décision, du produit décrit à l’article 2, notifié par BASF Plant Science (référence C/SE/96/3501).
L’autorisation indique expressément, conformément à l’article 19, paragraphe 3, de la directive 2001/18, les conditions dont est assortie l’autorisation, lesquelles sont spécifiées aux articles 3 et 4. »
45. L’article 2, paragraphe 1, de la décision 2001/135, intitulé « Produit », énonce :
« L’[OGM] à mettre sur le marché en tant que produit ou ingrédient de produit, ci-après dénommé ‘le produit’, consiste en une pomme de terre ( Solanum tuberosum L. ) modifiée en vue d’augmenter la teneur en amylopectine de l’amidon, transformée par Agrobacterium tumefaciens porteur du plasmide pHoxwG pour donner la lignée EH92‑527‑1. Le produit contient les séquences d’ADN suivantes dans deux cassettes :
a) […] un gène du type nptII dérivé de Tn5 et codant pour la résistance à la kanamycine […] ;
b) […] un fragment du gène gbss de la pomme de terre, codant pour la protéine granule bound starch synthase […] »
46. L’article 3 de la décision 2010/135 indique notamment, parmi les conditions de l’autorisation, que la période de validité de celle-ci est de dix ans à compter de sa date de délivrance et que le titulaire de l’autorisation veille à ce que les tubercules de pommes de terre Amflora soient séparés physiquement des pommes de terre destinées à la consommation humaine et à l’alimentation animale au cours de la plantation, de la culture, de la récolte, du transport, du stockage et de la manipulation dans l’environnement, et soient livrés exclusivement à des usines déterminées, notifiées à l’autorité nationale compétente, afin d’y être transformés en amidon industriel dans un système fermé.
47. L’article 4 de la décision 2010/135 prévoit notamment que, durant toute la période de validité de l’autorisation, le titulaire s’assure de la mise en œuvre d’un plan de surveillance qui vise à détecter les éventuels effets néfastes de la manipulation ou de l’utilisation du produit sur la santé humaine et animale ou sur l’environnement et porte sur les suivis spécifiques, sur la surveillance générale et sur un système de préservation de l’identité.
48. Aux termes de l’article 5 de la décision 2010/135, le Royaume de Suède est destinataire de la présente décision.
49. Le 2 mars 2010, la Commission a également adopté, sur la base des articles 7, paragraphe 3, et 19, paragraphe 3, du règlement nº 1829/2003, la décision 2010/136/UE de la Commission, du 2 mars 2010, autorisant la mise sur le marché d’aliments pour animaux produits à partir de la pomme de terre génétiquement modifiée EH92‑527‑1 (BPS‑25271‑9) et la présence fortuite ou techniquement inévitable de cette pomme de terre dans les denrées alimentaires et d’autres produits destinés à l’alimentation animale, en application du [règlement nº 1829/2003] (JO L 53, p. 15). Cette décision autorise, en substance, la mise sur le marché d’aliments pour animaux produits à partir de la pomme de terre Amflora ainsi que la présence fortuite de traces de celle-ci dans l’alimentation animale ou humaine.
50. Les considérants 7 et 8 de la décision 2010/136 sont libellés en des termes identiques à ceux des considérants 11 et 12 de la décision 2010/135, cités au point 43 ci-dessus.
51. L’article 2 de la décision 2010/136, intitulé « Autorisation », dispose :
« Les produits suivants sont autorisés aux fins de l’article 4, paragraphe 2, et de l’article 16, paragraphe 2, du règlement nº 1829/2003, aux conditions fixées dans la présente décision :
a) les aliments pour animaux produits à partir de la pomme de terre [Amflora] ;
b) les denrées alimentaires contenant la pomme de terre [Amflora], consistant en cette pomme de terre ou produites à partir de celle-ci, à la suite de la présence fortuite ou techniquement inévitable de cet OGM dans une proportion ne dépassant pas 0,9 % de chacun de leurs ingrédients pris séparément ou du seul ingrédient dont elles se composent ;
c) les aliments pour animaux contenant la pomme de terre [Amflora] ou consistant en cette pomme de terre, à la suite de la présence fortuite ou techniquement inévitable de cet OGM dans une proportion ne dépassant pas 0,9 % de l’aliment concerné ou de chacun des aliments dont il se co mpose. »
52. Aux termes de l’article 6 de la décision 2010/136, le titulaire de l’autorisation est BASF Plant Science GmbH, Allemagne.
53. Vu l’adoption des décisions 2010/135 et 2010/136 par la Commission, le 9 juin 2010, la première chambre du Tribunal, autrement composée que dans la présente affaire, a prononcé une ordonnance de non-lieu à statuer sur le recours en carence dirigé contre la Commission (ordonnance du Tribunal du 9 juin 2010, BASF Plant Science e.a./Commission, T‑293/08, non publiée au Recueil).
Procédure et conclusions des parties
54. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 27 mai 2010, la Hongrie a introduit le présent recours.
55. Par actes déposés au greffe du Tribunal respectivement les 21, 14, 3 et 21 septembre 2010, la République française, le Grand-Duché de Luxembourg, la République d’Autriche et la République de Pologne ont demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions de la Hongrie.
56. Par ordonnance du 8 novembre 2010, le président de la septième chambre du Tribunal a admis l’intervention de la République française, du Grand-Duché de Luxembourg, de la République d’Autriche et de la République de Pologne.
57. Le 24 janvier 2011, la République française, le Grand-Duché de Luxembourg, la République d’Autriche et la République de Pologne ont déposé leurs mémoires en intervention.
58. Le 2 mai 2011, la Commission a déposé ses observations sur les mémoires en intervention.
59. Le 24 mai 2012, le greffe du Tribunal a informé les parties de la réattribution de la présente affaire à la première chambre du Tribunal, à la suite d’une modification de la composition des chambres.
60. Le 7 décembre 2012, le greffe du Tribunal a informé les parties de la décision du Tribunal d’attribuer la présente affaire à la première chambre élargie du Tribunal. Le même jour, le greffe du Tribunal a notifié aux parties, au titre de mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, une liste de demandes de production de documents et de questions écrites. Les parties ont déféré à ces demandes et répondu aux questions dans les délais impartis.
61. Le 4 mars 2013, sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (première chambre élargie) a décidé d’ouvrir la procédure orale.
62. Lors de l’audience du 18 avril 2013, les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales du Tribunal. En particulier, les parties ont été interrogées par le Tribunal sur le déroulement de la procédure ayant conduit à l’adoption des décisions 2010/135 et 2010/136 (ci-après, prises ensemble, les « décisions attaquées ») à la suite de l’adoption, par l’EFSA, de l’avis consolidé de 2009, et sur le respect par la Commission des formes substantielles au cours de cette procédure. À cette occasion, le Tribunal a également adressé à la Commission une demande additionnelle de production de documents portant sur les écritures soumises par celle-ci au Tribunal dans l’affaire ayant donné lieu à l’ordonnance BASF Plant Science e.a./Commission, point 53 supra. La Commission a ensuite déféré à cette demande et les autres parties n’ont pas présenté d’observations au sujet des documents produits.
63. Conformément à l’article 32 du règlement de procédure, le président de la chambre étant empêché d’assister au délibéré après l’expiration de son mandat le 16 septembre 2013, le juge le moins ancien au sens de l’article 6 dudit règlement s’est en conséquence abstenu de participer au délibéré. Les délibérations du Tribunal ont été poursuivies par les trois juges dont le présent arrêt porte la signature, le juge le plus ancien au sens du même article faisant fonction de président.
64. La Hongrie, soutenue par le Grand-Duché de Luxembourg, la République d’Autriche et la République de Pologne en ce qui concerne les conclusions principales et subsidiaires, ainsi que par la République française en ce qui concerne les conclusions subsidiaires, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– à titre principal, annuler les décisions attaquées ;
– à titre subsidiaire, en cas de rejet du chef de conclusions visant à l’annulation de la décision 2010/136, annuler l’article 2, sous b) et c), de ladite décision ;
– condamner la Commission aux dépens.
65. La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– condamner la Hongrie aux dépens.
En droit
66. À l’appui de son recours, la Hongrie soulève deux moyens.
67. Le premier moyen, soulevé à titre principal, est tiré d’une erreur manifeste d’appréciation et d’une violation du principe de précaution ainsi que d’une violation de l’article 4, paragraphe 2, et de l’annexe II de la directive 2001/18, en ce que les décisions d’AMM de l’OGM se fondent sur une évaluation des risques déficiente, incohérente et incomplète.
68. Le second moyen, soulevé à titre subsidiaire, est tiré d’une violation du règlement nº 1829/2003, en particulier des exigences prescrites aux articles 4, paragraphe 2, et 16, paragraphe 2, dudit règlement, par l’article 2, sous b) et c), de la décision 2010/136, en ce que cet article fixe un seuil de tolérance de 0,9 %, non prévu ni même autorisé par ledit règlement, pour la présence fortuite ou techniquement inévitable de traces de l’OGM dans l’alimentation humaine ou animale.
69. La Commission conteste les arguments de la Hongrie.
70. Il convient toutefois, à titre liminaire, de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la violation des formes substantielles, au sens de l’article 263 TFUE, constitue un moyen, dit « d’ordre public », qui doit être relevé d’office par le juge de l’Union (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, Rec. p. I‑1719, point 67, et du 30 mars 2000, VBA/Florimex e.a., C‑265/97 P, Rec. p. I‑2061, point 114 ; voir arrêt du Tribunal du 6 mars 2003, Westdeutsche Landesbank Girozentrale et Land Nordrhein-Westfalen/Commission, T‑228/99 et T‑233/99, Rec. p. II‑435, point 143, et la jurisprudence citée). Il en va de même pour l’incompétence, au sens dudit article (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 10 mai 1960, Allemagne/Haute Autorité, 19/58, Rec. p. 469, 488, et du 13 juillet 2000, Salzgitter/Commission, C‑210/98 P, Rec. p. I‑5843, point 56 ; arrêt du Tribunal du 28 janvier 2003, Laboratoires Servier/Commission, T‑147/00, Rec. p. II‑85, point 45).
71. Par ailleurs, l’obligation, pour le juge de l’Union, de relever d’office un moyen d’ordre public doit être exercée à la lumière du principe du contradictoire (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 2 décembre 2009, Commission/Irlande e.a., C‑89/08 P, Rec. p. I‑11245, points 59 et 60).
72. En l’espèce, les parties ont été invitées, tant au cours de la procédure écrite que lors de la procédure orale, à présenter leurs observations sur le point de savoir, d’une part, si la Commission avait respecté les formes substantielles de la procédure applicable à l’adoption des décisions attaquées et, d’autre part, si la Commission était compétente aux fins d’adopter lesdites décisions. En particulier, le Tribunal a adressé aux parties, au titre de mesures d’organisation de la procédure, deux questions écrites libellées comme suit :
– « La Commission est invitée à préciser les raisons pour lesquelles elle n’a pas arrêté, conformément à l’article 5, paragraphe 6, troisième alinéa, de la décision 1999/468/CE, les mesures d’application qu’elle avait proposées au Conseil, immédiatement après qu’une majorité qualifiée n’a pu être atteinte au sein de celui-ci pour l’adoption des deux propositions qu’elle lui avait soumises (voir le considérant 22 de la décision [2010/135] et le considérant 17 de la décision [2010/136]). La Commission est invitée à préciser, à cet égard, les raisons pour lesquelles elle a estimé opportun de consulter à nouveau l’EFSA après qu’une majorité qualifiée n’a pu être atteinte au Conseil, ce qui correspond, en substance, à la question débattue dans le cadre du recours en carence BASF Plant Science GmbH e.a./Commission, T‑293/08. »
– « Il ne ressort pas du dossier si, à la suite de l’avis consolidé de l’EFSA du 11 juin 2009 mentionné au considérant 12 de la décision 2010/135/UE et au considérant 8 de la décision 2010/136/UE, la Commission a a) à nouveau consulté, d’une part, le comité institué par l’article 30, paragraphe 1, de la directive 2001/18/CE et, d’autre part, le comité institué par l’article 58, paragraphe 1, du règlement (CE) nº 178/2002 [et visé à l’article 35, paragraphe 1, du règlement (CE) nº 1829/2003], et b) soumis au Conseil des propositions modifiées intégrant le texte, d’une part, des considérants 11 et 12 de la décision 2010/135/UE et, d’autre part, des considérants 7 et 8 de la décision 2010/136/UE. Si tel n’est effectivement pas le cas, les parties sont invitées à indiquer si 1) l’omission de soumettre une proposition modifiée au comité compétent et au Conseil constitue la violation d’une formalité substantielle et 2) si la Commission, après avoir obtenu de nouvelles conclusions scientifiques de l’EFSA qu’elle n’avait pas communiquées au Conseil, était compétente pour arrêter les décisions attaquées le 2 mars 2010, au regard, en particulier, des dispositions de l’article 5, paragraphe 6, de la décision 1999/468/CE. »
73. La Commission a déféré à la demande du Tribunal en répondant à ces deux questions. La Hongrie a fait de même pour la seconde question, alors que les intervenantes ne se sont pas exprimées à ce sujet.
Sur le respect des formes substantielles de la procédure de réglementation
74. La Commission soutient qu’elle n’a commis aucune violation des formes substantielles au cours des procédures d’élaboration et d’adoption des décisions attaquées. Elle fait valoir que, tant pour la décision 2010/135 que pour la décision 2010/136, elle a respecté la procédure de réglementation prévue à l’article 5 de la décision 1999/468, en soumettant aux comités puis, en l’absence d’avis de ces comités, au Conseil les projets initiaux des décisions d’autorisation. À cet égard, elle estime qu’elle n’était pas tenue de soumettre une nouvelle fois les projets modifiés des décisions d’autorisation auxdits comités, car, en premier lieu, la partie normative des projets initiaux et modifiés était identique, en deuxième lieu, les projets modifiés ne contenaient pas de modification de fond et, en troisième lieu, elle n’a pas tardé à adopter les deux décisions d’autorisation après l’absence de prise de position du Conseil sur les mesures proposées.
75. La Hongrie conteste les arguments de la Commission.
Sur les faits
76. En premier lieu, il convient de constater que la Commission, après avoir reçu les avis de l’EFSA de 2005 (voir point 24 ci-dessus), a soumis les projets initiaux des décisions d’autorisation aux comités de réglementation compétents (voir points 25 et 30 ci-dessus). En l’absence d’avis de ces comités, la Commission a soumis les propositions initiales des décisions d’autorisation au Conseil (voir points 29 et 30 ci-dessus).
77. En deuxième lieu, il importe de relever que, en dépit de l’absence de majorité qualifiée au sein du Conseil pour ou contre les mesures proposées, la Commission n’a pas adopté lesdites mesures. En effet, ayant reçu entre-temps des lettres d’une ONG et du gouvernement danois qui alléguaient certaines incohérences entre les avis scientifiques de l’EFSA sur lesquels se fondaient ces mesures (voir points 31 et 33 ci-dessus), la Commission a plutôt décidé de consulter à nouveau l’EFSA par mandat du 14 mai 2008 (voir point 34 ci-dessus). Le 11 juin 2009, l’EFSA a rendu son avis consolidé, comportant l’avis commun des groupes OGM et BIOHAZ des 11 et 26 mars 2009, y compris des conclusions relatives à l’improbabilité d’effets préjudiciables du gène nptII, assorties d’avis minoritaires émanant de deux membres du groupe BIOHAZ (voir points 36 à 40 ci-dessus). Il est constant que cet avis consolidé n’a pas été transmis aux comités de réglementation précédemment saisis des projets initiaux et qu’aucun nouveau projet de décision d’AMM de la pomme de terre Amflora n’a été soumis auxdits comités.
78. En troisième lieu, il doit être observé que la Commission a, le 2 mars 2010, adopté les décisions attaquées (voir points 42 et 49 ci-dessus). À cet égard, il y a lieu, certes, de relever que les dispositifs respectifs desdites décisions reprennent intégralement, et sans ajout, les articles des projets et propositions de décisions d’autorisation initialement soumis aux comités de réglementation et au Conseil (ci-après les « projets et propositions antérieurs ») et que leurs motivations respectives reprennent intégralement les considérants des projets et propositions antérieurs. Cependant, force est de constater que ces décisions diffèrent des projets et propositions antérieurs en ce que leurs préambules comportent de nouveaux considérants qui font respectivement référence au mandat confié par la Commission à l’EFSA le 14 mai 2008 et aux conclusions de l’avis consolidé de l’EFSA du 11 juin 2009. Il s’agit des considérants 11 et 12 de la décision 2010/135 et des considérants 7 et 8 de la décision 2010/136, dont le libellé est identique (voir points 43 et 50 ci-dessus, ci-après les « considérants supplémentaires »).
79. C’est à la lumière de ces éléments qu’il convient d’examiner si la Commission a respecté les règles de procédure régissant l’adoption des décisions attaquées.
Sur le respect de l’obligation de soumettre les projets modifiés des décisions attaquées aux comités de réglementation compétents
80. Il est constant que les mesures proposées par la Commission devaient être adoptées conformément à la procédure de réglementation, telle qu’elle est établie à l’article 5 de la décision 1999/468. Cette procédure prévoit l’obligation, pour la Commission, de soumettre un projet de mesures au comité de réglementation compétent. En l’absence d’avis du comité adopté à la majorité qualifiée, la Commission est tenue de soumettre sans tarder au Conseil une proposition relative aux mesures à prendre.
81. Il convient également d’observer que la Commission n’a pas soumis aux comités de réglementation compétents, avant d’adopter les décisions 2010/135 et 2010/136, les projets modifiés de ces décisions, accompagnés de l’avis consolidé de 2009 et des avis minoritaires.
82. Or, il y a lieu de relever que, si les dispositifs des décisions attaquées sont identiques à ceux des projets de décisions initialement soumis aux comités compétents et au Conseil, tel n’est pas le cas du fondement scientifique retenu par la Commission pour adopter ces décisions, lequel fait partie de la motivation desdites décisions.
83. Force est, dès lors, de constater que la Commission, en ayant décidé de demander un avis consolidé à l’EFSA à la suite des observations d’une ONG et du gouvernement danois, et en fondant les décisions attaquées notamment sur cet avis sans permettre aux comités compétents de prendre position ni sur l’avis ni sur les projets de décisions modifiés pour ce qui concerne leur motivation, s’est écartée de la procédure de réglementation prescrite à l’article 5 de la décision 1999/468, en particulier en son paragraphe 2.
84. À cet égard, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, constitue notamment une violation des formes substantielles le non-respect d’une règle procédurale si, en cas de respect de cette règle, le résultat de la procédure ou le contenu de l’acte adopté aurait pu être substantiellement différent (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 10 juillet 1980, Distillers Company/Commission, 30/78, Rec. p. 2229, point 26 ; du 29 octobre 1980, van Landewyck e.a./Commission, 209/78 à 215/78 et 218/78, Rec. p. 3125, point 47, et du 23 avril 1986, Bernardi/Parlement, 150/84, Rec. p. 1375, point 28).
85. Or, en l’espèce, les votes sur les projets antérieurs au sein des comités avaient été très divisés (voir points 25 et 30 ci-dessus) et les conclusions de l’avis consolidé de l’EFSA de 2009 exprimaient davantage d’incertitudes que les avis antérieurs de l’EFSA, en particulier la déclaration de l’EFSA de 2007, et étaient assorties d’avis minoritaires (voir points 28, 36 et 37 ci-dessus). Au vu de ces éléments, il n’était donc pas exclu que les membres des comités pussent revoir leur position et réunir une majorité qualifiée pour ou contre les projets de mesures. De surcroît, en présence d’un avis défavorable ou en l’absence d’avis, la Commission, en vertu de l’article 5, paragraphe 4, de la décision 1999/468, aurait été tenue de soumettre sans tarder les mesures proposées au Conseil, qui aurait pu adopter ou s’opposer formellement auxdites mesures, à la majorité qualifiée, dans un délai de trois mois. Ce n’est qu’à l’issue de cette procédure, en l’absence de majorité qualifiée au Conseil, que la Commission aurait pu adopter les propositions de mesures litigieuses. Par conséquent, il y a lieu de considérer que le résultat de la procédure ou le contenu des décisions attaquées aurait pu être substantiellement différent si la procédure prévue à l’article 5 de la décision 1999/468 avait été respectée par la Commission.
86. Par ailleurs, il convient de relever que la procédure de réglementation régit une compétence d’exécution conférée à la Commission par le Conseil dans l’acte de base qu’il établit, conformément à l’article 202, troisième tiret, CE. Elle participe ainsi de l’équilibre institutionnel au sein de l’Union, en particulier entre les attributions du Conseil et du Parlement, d’une part, et de la Commission, d’autre part. Le non-respect de cette procédure par la Commission est donc de nature à affecter l’équilibre institutionnel de l’Union.
87. Force est, dès lors, de constater que l a Commission, lorsqu’elle a adopté les décisions attaquées en omettant de soumettre aux comités de réglementation compétents les projets modifiés de ces décisions d’autorisation, a violé ses obligations procédurales au titre de l’article 5 de la décision 1999/468 ainsi que des dispositions de la directive 2001/18 et du règlement nº 1829/2003 qui y renvoient, et a, par là même, commis, pour chacune desdites décisions, une violation des formes substantielles au sens de l’article 263, deuxième alinéa, TFUE, que le Tribunal est tenu de relever d’office. Partant, ces décisions sont, conformément à l’article 264, premier alinéa, TFUE, frappées de nullité dans leur intégralité.
Sur l’identité, ou l’absence de modification de fond, entre les décisions attaquées et les projets antérieurs
88. Les constatations qui précèdent ne sauraient être infirmées par les arguments de la Commission.
89. En premier lieu, la Commission allègue que les décisions attaquées sont identiques aux projets et aux propositions antérieurs, eu égard à leurs parties normatives identiques. En revanche, les préambules desdites décisions ne feraient pas partie des « mesures » édictées par celles-ci au sens de l’article 5 de la décision 1999/468.
90. À cet égard, il suffit de relever que cette allégation de la Commission se heurte à la jurisprudence constante selon laquelle le dispositif d’un acte doit être lu à la lumière des motifs qui ont conduit à son adoption, et dont il est indissociable, l’acte formant un tout (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 26 avril 1988, Asteris e.a./Commission, 97/86, 99/86, 193/86 et 215/86, Rec. p. 2181, point 27, et du 15 mai 1997, TWD/Commission, C‑355/95 P, Rec. p. I‑2549, point 21 ; voir arrêt du Tribunal du 7 octobre 1999, Irish Sugar/Commission, T‑228/97, Rec. p. II‑2969, point 17, et la jurisprudence citée).
91. En outre, contrairement à l’allégation connexe de la Commission selon laquelle les avis scientifiques de l’EFSA, notamment celui du 11 juin 2009, ne feraient pas partie de la motivation des décisions attaquées, il convient de considérer que la Commission, en s’appuyant dans ses décisions sur les avis d’une autorité scientifique, incorpore la teneur de ces avis dans l’appréciation qui préside à l’adoption de ses décisions et dans la motivation de celles-ci. Ainsi, dans la mesure où, dans lesdites décisions, la Commission prétend se fonder sur l’évaluation scientifique retenue dans les avis de l’EFSA de 2005 et de 2009 – tout en s’abstenant de mentionner l’avis de l’EFSA de 2004 –, et s’y réfère dans certains considérants, le contenu de ces avis fait partie intégrante de la motivation de ces décisions [voir, en ce sens et par analogie, arrêt du Tribunal du 18 décembre 2003, Fern Olivieri/Commission et EMEA, T‑326/99, Rec. p. II‑6053, point 55].
92. Partant, il y a lieu de constater que l’ajout, dans les projets des décisions attaquées, de considérants se référant à un nouvel avis de l’EFSA en guise de fondement scientifique, constitue une modification qui réfute toute allégation d’identité desdites décisions avec les projets et propositions antérieurs.
93. En deuxième lieu, la Commission allègue que l’ajout des considérants supplémentaires dans les projets modifiés ne constituait pas une modification de fond, mais avait simplement pour objectif de consolider la motivation des décisions attaquées par référence à l’avis consolidé de l’EFSA de 2009. En effet, cet avis serait confirmatif des avis antérieurs de l’EFSA, dans la mesure où il aurait également conclu, en substance, à l’innocuité du gène nptII.
94. À cet égard, il convient de rappeler que, selon les termes mêmes de la Commission, le nouveau processus de consultation avec l’EFSA engagé en mai 2008 était « dû en partie aux doutes exprimés dans la lettre [d’une ONG] de février 2008 et à la lettre d[es] ministre[s] danois de [l’alimentation et de] l’agriculture et de l’environnement de mars 2008 », et à l’incertitude scientifique qui en découlait. Ces doutes portaient sur des incohérences entre les avis de l’EFSA spécifiques à la pomme de terre Amflora et l’avis général de l’EFSA de 2004 sur les gènes MRA, lu en combinaison avec la déclaration de l’EMA de 2007 sur la pertinence thérapeutique des antibiotiques auxquels résiste le gène nptII.
95. Il s’ensuit que l’ajout des considérants supplémentaires n’avait pas simplement pour objectif de consolider la motivation des décisions attaquées, mais également, conformément au nouveau mandat conféré par la Commission à l’EFSA le 14 mai 2008, de clarifier certaines incohérences entre les avis antérieurs et de réduire l’incertitude scientifique régnante, en tentant de répondre aux objections de fond exprimées dans les lettres d’une ONG et des ministres danois. Or, il y a lieu de considérer que la réponse, fondée ou non, de l’EFSA à de telles objections de fond constitue un élément essentiel de la motivation desdites décisions, qui emporte une modification de la substance de l’acte et de son contenu décisionnel.
96. En outre, quant à l’allégation de la Commission selon laquelle l’avis consolidé de l’EFSA du 11 juin 2009 n’aurait fait que confirmer les évaluations des risques émanant des avis antérieurs de l’EFSA (et mentionnées dans les projets et propositions antérieurs de décisions d’autorisation de la Commission au moment de leur soumission aux comités et au Conseil), en concluant également à l’innocuité du gène nptII, il y a lieu de constater que ledit avis constitue une nouvelle évaluation de fond, et non une simple confirmation de pure forme, par rapport aux évaluations des risques contenues dans les avis de l’EFSA de 2004 et de 2005, ainsi que dans la déclaration de l’EFSA de 2007. Cette constatation se fonde tant sur le libellé du nouveau mandat conféré à l’EFSA que sur des différences majeures entre le nouvel avis de l’EFSA et les avis antérieurs.
97. D’une part, il ressort du libellé même des termes de référence du nouveau mandat conféré par la Commission à l’EFSA le 14 mai 2008, mentionné au considérant 11 de la décision 2010/135 et au considérant 7 de la décision 2010/136, que le nouvel avis demandé à l’EFSA ne pouvait être simplement confirmatif. Premièrement, il incombait à l’EFSA, en « tenant compte » des avis et déclarations précédents, d’« expliquer les raisons » et d’« esquisser le raisonnement » menant à ses conclusions. Cette formulation atteste que la Commission requérait de l’EFSA la production d’un nouveau raisonnement scientifique, qui, tout en tenant compte des avis et déclarations précédents, devait clarifier et compléter leur motivation, voire modifier leurs conclusions. La nécessité pour l’EFSA de revisiter ses analyses scientifiques antérieures était d’ailleurs corroborée par la prolongation ultérieure, demandée par l’EFSA et acceptée par la Commission, de la date limite pour l’avis consolidé d’une durée de six mois par rapport au mandat initial. Deuxièmement, il appartenait à l’EFSA d’indiquer les conséquences possibles de ce nouvel avis sur ses propres évaluations antérieures de plantes génétiquement modifiées individuelles contenant des gènes MRA. Cela démontre également que la Commission attendait de l’EFSA, en étroite collaboration avec l’EMA, une analyse scientifique revisitée, susceptible d’emporter des conséquences nouvelles pour l’évaluation d’autres OGM. Troisièmement, la Commission avait joint en annexe les lettres d’une ONG et du gouvernement danois. Cela suggère qu’il incombait à l’EFSA de dissiper les incohérences alléguées dans ces courriers.
98. D’autre part, il convient de relever trois différences majeures entre l’avis consolidé de l’EFSA de 2009, évoqué au considérant 12 de la décision 2010/135 et au considérant 8 de la décision 2010/136, et les avis antérieurs de l’EFSA, sans qu’il y ait lieu de se prononcer sur le bien-fondé des évaluations des risques effectuées dans chacun de ces avis. En l’occurrence, ces différences ont trait à l’auteur des avis scientifiques sur lesquels se fondent respectivement les projets modifiés et antérieurs des décisions d’autorisation, au contenu des conclusions de ces avis et à la présence d’avis minoritaires au sein desdits avis. Premièrement, l’avis consolidé de l’EFSA de 2009 est l’œuvre d’auteurs supplémentaires par rapport aux avis et déclarations de 2004, de 2005 et de 2007, émis par le seul groupe OGM, en ce qu’il émane aussi du groupe BIOHAZ, et a, selon le nouveau mandat de la Commission, été rédigé en collaboration étroite avec l’EMA. Deuxièmement, les conclusions de l’avis consolidé de l’EFSA de 2009, sur lesquelles se fondent les propositions modifiées, mettent davantage en exergue l’incertitude scientifique (« pas complètement comprise », « limitations », « incertitudes », « improbable ») et les dangers (« cause de préoccupation mondiale ») que les conclusions de l’avis de l’EFSA de 2005 (« aucune raison de supposer », « ne poserait aucun risque supplémentaire », « aucun risque significatif », « aucun effet préjudiciable pour l’environnement n’a été observé ou ne serait probable ») et de la déclaration de l’EFSA de 2007 (« ne sera pas compromis », « probabilité extrêmement faible », « très improbable », « ne pose pas de risque »), sur lesquelles se fondent les projets antérieurs. Troisièmement, l’avis consolidé de l’EFSA de 2009 comporte des avis minoritaires émanant de deux membres du groupe BIOHAZ qui insistent sur l’incertitude scientifique, alors que les avis de l’EFSA de 2005 et la déclaration de l’EFSA de 2007 ne comportaient pas d’opinion minoritaire.
99. Au vu de ces éléments, il y a lieu de constater que l’allégation de la Commission selon laquelle l’avis consolidé de l’EFSA de 2009 ne serait qu’un avis confirmatif des avis antérieurs de l’EFSA manque en fait.
100. Au demeurant, il convient de relever que cette allégation est en contradiction avec d’autres assertions de la Commission, formulées dans ses écritures au cours de la présente procédure ainsi que lors de la procédure dans l’affaire ayant donné lieu à l’ordonnance BASF Plant Science e.a./Commission, point 53 supra.
101. D’une part, ladite allégation est en contradiction avec le point 25 du mémoire en défense, dont il ressort que les avis de l’EFSA antérieurs à celui de 2009 n’étaient, de l’aveu même de la Commission, pas totalement clairs et dépourvus d’« ambiguïté » et qu’ils étaient affectés de « contradictions ». Or, en divers points de ses mémoires en défense et en duplique, la Commission met en exergue le caractère « complet » de l’avis consolidé de l’EFSA de 2009 et la nature « exhaustive » de l’analyse des risques contenue dans ledit avis. La Commission suggère ainsi que, selon son appréciation, l’avis de l’EFSA de 2009 a fait beaucoup plus que confirmer les évaluations des risques antérieures, puisqu’un tel avis est, à ses yeux, complet et exhaustif, alors que les avis antérieurs souffraient d’ambiguïtés et de contradictions.
102. D’autre part, ladite allégation de la Commission est en contradiction avec son mémoire en défense dans l’affaire ayant donné lieu à l’ordonnance BASF Plant Science e.a./Commission, T‑293/08 (point 53 supra), tel que versé au dossier du présent litige. La Commission y soulignait d’abord l’« essence même » de cette affaire, à savoir ses « obligations en présence d’informations faisant état […] d’incohérences entre des avis scientifiques ». Elle relevait ensuite que « l’EFSA n’a[vait] pas envisagé, dans sa déclaration de 2007, le critère de la pertinence thérapeutique, [ne prenant] en compte ni l’avis de l’[EMA], ni l’avis de l’OMS », s’écartant ainsi des critères retenus dans l’avis de l’EFSA de 2004. Elle considérait dès lors que « tout le problème [était] de déterminer s’il y a[vait] cohérence entre les raisonnements et les motifs à la base des conclusions de l’avis de 2004, d’une part, et de la déclaration de 2007, d’autre part ». Enfin, elle excipait de son « devoir, au regard du principe de précaution, de clarifier ces incohérences et a[vait] donc, à cette fin, consulté [l’EFSA] », de sorte qu’aucune carence ne pouvait lui être imputée.
103. Il ressort de ces assertions que la Commission, à tout le moins après avoir reçu les lettres d’une ONG et du gouvernement danois, estimait que la déclaration de l’EFSA de 2007, souffrant d’incohérence avec l’avis de l’EFSA de 2004, lu en combinaison avec la déclaration de l’EMA de 2007, constituait un fondement scientifique trop incertain pour adopter les propositions de décisions déjà soumises aux comités de réglementation et au Conseil, et que, eu égard à l’incertitude scientifique régnante, il lui incombait, en vertu du principe de précaution, de consulter à nouveau l’EFSA afin d’obtenir des clarifications sur l’évaluation scientifique des risques liés à la pomme de terre Amflora, en particulier au gène nptII.
104. Partant, les arguments de la Commission relatifs à l’identité, ou du moins à l’absence de modification de fond, entre les décisions attaquées et les projets et propositions antérieurs, doivent être rejetés comme étant dénués de fondement.
105. De surcroît, il y a lieu de considérer que les faits en cause dans l’arrêt du Tribunal du 13 septembre 2006, Sinaga/Commission (T‑217/99, T‑321/00 et T‑222/01, non publié au Recueil, points 90 à 96), invoqué par la Commission aux fins de soutenir que la motivation ajoutée dans les considérants supplémentaires n’emporterait « aucune modification de la substance de l’acte » (arrêt Sinaga/Commission, précité, point 95), doivent être distingués de ceux du présent litige. Tout d’abord, l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Sinaga/Commission, précité, concernait la procédure de gestion au sens de l’article 4 de la décision 1999/468 et non la procédure de réglementation au sens de l’article 5 de la même décision. Or, dans le cadre de la procédure de gestion, la Commission arrête des mesures qui sont immédiatement applicables et, si celles-ci ne sont pas conformes à l’avis du comité, la Commission transmet les mesures déjà arrêtées par elle au Conseil, lequel dispose de trois mois pour adopter une autre décision. Il n’en va pas de même dans la procédure de réglementation, où, si les mesures envisagées ne sont pas conformes à l’avis du comité ou, comme en l’espèce, en l’absence d’avis, la Commission n’arrête pas de mesures, mais soumet sans tarder une proposition au Conseil. Ensuite, était en cause, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Sinaga/Commission, précité, la phase de la procédure après la saisine du comité (de gestion du sucre) et non celle après la saisine du Conseil, comme en l’espèce. Enfin, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Sinaga/Commission, précité, le comité avait, avant l’ajout de la motivation additionnelle qui n’emportait aucune modification de la substance de l’acte, exprimé un « avis positif » et ainsi « approuvé » (arrêt Sinaga/Commission, précité, points 91 à 95) les mesures proposées par la Commission, contrairement au présent litige où le comité n’a pu émettre un avis positif.
106. En troisième lieu, la Commission allègue qu’elle n’a pas tardé dans l’adoption des deux décisions d’autorisation après que le Conseil n’a pas pris position sur les mesures proposées. Elle fait valoir qu’elle disposait alors d’un délai pour solliciter un avis scientifique complémentaire et que l’article 5, paragraphe 6, de la décision 1999/468, contrairement à l’article 5, paragraphe 4, de la même décision, ne comporte pas l’expression « sans tarder ».
107. À cet égard, il convient d’observer, d’emblée, que le vice entachant la légalité des décisions attaquées n’est pas lié au délai pris pour adopter lesdites décisions après la soumission au Conseil des propositions initiales lors de ses sessions des 16 juillet 2007 et 18 février 2008, mais à l’omission de soumettre les projets modifiés des décisions d’autorisation aux comités de réglementation compétents et, le cas échéant, au Conseil.
108. Partant, l’argument de la Commission relatif à l’absence de tardiveté dans l’adoption des décisions attaquées doit être écarté comme étant inopérant.
109. De surcroît, il y a lieu de considérer que la référence de la Commission à l’arrêt de la Cour du 18 novembre 1999, Pharos/Commission (C‑151/98 P, Rec. p. I‑8157), invoqué au soutien de cet argument, est dénuée de pertinence en l’espèce. En effet, l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Pharos/Commission, précité, se rapportait à la phase de la procédure entre la saisine du comité et la saisine du Conseil, où la Cour a admis que la Commission disposait d’un certain délai pour solliciter un nouvel avis scientifique avant de soumettre une proposition au Conseil, en vue de trouver anticipativement une solution de compromis et d’éviter ainsi un rejet ultérieur de la proposition par le Conseil (arrêt Pharos/Commission, précité, points 22 à 27). En revanche, les allégations de la Commission dans le présent litige concernent le stade de la procédure suivant l’absence de décision du Conseil, où, en vertu de l’article 5, paragraphe 6, troisième alinéa, de la décision 1999/468, il appartient à la Commission d’arrêter les mesures telles que proposées, mais non plus de les modifier.
110. Enfin, s’il convient, à l’instar de la Commission, de souligner la « grande sensibilité politique » et la « complexité du sujet » de l’AMM d’OGM, il n’en demeure pas moins que de tels éléments militent précisément en faveur de l’obligation, pour la Commission, de soumettre les projets modifiés des décisions d’autorisation de la pomme de terre Amflora aux comités de réglementation compétents et, le cas échéant, au Conseil.
111. Il résulte de ces considérations que les arguments de la Commission, étant infondés ou inopérants, ne sauraient obvier à ce que le Tribunal relève d’office et constate la violation des formes substantielles entachant la légalité des décisions attaquées. Par ailleurs, il échet d’observer que, dès lors, d’une part, que la compétence de la Commission aux fins d’adopter lesdites décisions était subordonnée au respect par elle de la procédure de réglementation et, d’autre part, qu’elle n’a pas soumis aux comités de réglementation les projets modifiés de mesures ayant donné lieu à ces décisions, ces dernières n’ont pas été arrêtées conformément à l’article 5, paragraphes 3 et 6, de la décision 1999/468. Ainsi, c’est de la violation même des formes substantielles constatée au point 87 ci-dessus que découle l’incompétence de la Commission aux fins d’adopter les décisions en cause.
Sur le recours en annulation
112. Au vu de tout ce qui précède, et sans qu’il soit besoin d’examiner le bien-fondé des moyens soulevés par la Hongrie, il convient d’accueillir le recours en annulation en ses conclusions formulées à titre principal.
113. En conséquence, il y a lieu, en vertu de l’article 264, premier alinéa, TFUE, de déclarer nulles et non avenues les décisions attaquées.
Sur les dépens
114. Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Hongrie.
115. En application de l’article 87, paragraphe 4, premier alinéa, du règlement de procédure, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. La République française, le Grand-Duché de Luxembourg, la République d’Autriche et la République de Pologne supportent donc leurs propres dépens.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (première chambre élargie)
déclare et arrête :
1) La décision 2010/135/UE de la Commission, du 2 mars 2010, concernant la mise sur le marché, conformément à la directive 2001/18/CE du Parlement européen et du Conseil, d’une pomme de terre ( Solanum tuberosum L. lignée EH92‑527‑1) génétiquement modifiée pour l’obtention d’un amidon à teneur accrue en amylopectine, et la décision 2010/136/UE de la Commission, du 2 mars 2010, autorisant la mise sur le marché d’aliments pour animaux produits à partir de la pomme de terre génétiquement modifiée EH92‑527‑1 (BPS‑25271‑9) et la présence fortuite ou techniquement inévitable de cette pomme de terre dans les denrées alimentaires et d’autres produits destinés à l’alimentation animale, en application du règlement (CE) nº 1829/2003 du Parlement européen et du Conseil, sont annulées.
2) La Commission européenne est condamnée à supporter ses propres dépens, ainsi que ceux exposés par la Hongrie.
3) La République française, le Grand-Duché de Luxembourg, la République d’Autriche et la République de Pologne supportent leurs propres dépens.