Affaire C-492/10

Immobilien Linz GmbH & Co. KG

contre

Finanzamt Freistadt Rohrbach Urfahr

(demande de décision préjudicielle, introduite par

l’Unabhängiger Finanzsenat, Außenstelle Linz)

«Fiscalité — Directive 69/335/CEE — Impôts indirects — Rassemblements de capitaux — Article 4, paragraphe 2, sous b) — Opérations soumises au droit d’apport — Augmentation de l’avoir social — Prestation effectuée par un associé — Reprise des pertes réalisées en vertu d’un engagement préalable à celles-ci»

Sommaire de l'arrêt

Dispositions fiscales — Harmonisation des législations — Impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux — Augmentation de l'avoir social

(Directive du Conseil 69/335, art. 4, § 2, b))

L’article 4, paragraphe 2, sous b), de la directive 69/335, concernant les impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux, telle que modifiée par la directive 85/303, doit être interprété en ce sens que la reprise des pertes d’une société, effectuée par un associé en exécution d’un engagement de ce dernier contracté avant la réalisation de ces pertes et visant uniquement à assurer la couverture de celles-ci, n’augmente pas l’avoir social de cette société.

En effet, si la reprise par un associé des pertes subies par une société doit, en principe, être considérée comme une prestation augmentant l’avoir social de cette société, tel n’est pas le cas dans les circonstances susmentionnées. Cette exception est justifiée par le fait que, en vertu de l’obligation assumée préalablement par son associé, la société au bénéfice de laquelle un tel engagement est souscrit ne pourra, quels que soient les résultats de son activité économique, enregistrer aucune perte dès lors qu’elles seront automatiquement transférées à son associé. Par conséquent, dans l’hypothèse spécifique où un tel engagement a été assumé préalablement à la constatation des pertes de la société, il est acquis que les résultats de l’activité économique de la société ne modifieront pas son potentiel économique.

(cf. points 21-24, 26 et disp.)







ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

1er décembre 2011 (*)

«Fiscalité – Directive 69/335/CEE – Impôts indirects – Rassemblements de capitaux – Article 4, paragraphe 2, sous b) – Opérations soumises au droit d’apport – Augmentation de l’avoir social – Prestation effectuée par un associé – Reprise des pertes réalisées en vertu d’un engagement préalable à celles-ci»

Dans l’affaire C‑492/10,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Unabhängiger Finanzsenat, Auβenstelle Linz (Autriche), par décision du 6 octobre 2010, parvenue à la Cour le 14 octobre 2010, dans la procédure

Immobilien Linz GmbH & Co. KG

contre

Finanzamt Freistadt Rohrbach Urfahr,

LA COUR (première chambre),

composée de M. A. Tizzano, président de chambre, MM. M. Safjan, A. Borg Barthet (rapporteur), E. Levits et J.-J. Kasel, juges,

avocat général: M. P. Mengozzi,

greffier: Mme A. Impellizzeri, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 8 septembre 2011,

considérant les observations présentées:

–        pour Immobilien Linz GmbH & Co. KG, par Me J. Mitterer, Rechtsanwalt,

–        pour le Finanzamt Freistadt Rohrbach Urfahr, par M. G. Wöss, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement autrichien, par Mme C. Pesendorfer et M. F. Koppensteiner, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. G. Aiello, avvocato dello Stato,

–        pour la Commission européenne, par Mme L. Lozano Palacios et M. W. Mölls, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 4, paragraphe 2, sous b), de la directive 69/335/CEE du Conseil, du 17 juillet 1969, concernant les impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux (JO L 249, p. 25), telle que modifiée par la directive 85/303/CEE du Conseil, du 10 juin 1985 (JO L 156, p. 23, ci-après la «directive 69/335»).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Immobilien Linz GmbH & Co. KG (ci-après «Immobilien Linz»), anciennement Immobilien Linz GmbH & Co. KEG (ci-après «Immobilien Linz KEG»), au Finanzamt Freistadt Rohrbach Urfahr (administration fiscale de Freistadt Rohrbach Urfahr, ci-après le «Finanzamt») au sujet de la perception d’un droit d’apport sur la reprise par la ville de Linz (Autriche), qui est l’associée unique de cette société, des pertes réalisées en 2006 par celle-ci.

 Le cadre juridique

 La réglementation de l’Union

3        L’article 1er de la directive 69/335 prévoit:

«Les États membres perçoivent un droit sur les apports à des sociétés de capitaux, harmonisé conformément aux dispositions des articles 2 à 9 et dénommé ci-après droit d’apport.»

4        L’article 3 de ladite directive définit ce qu’il y a lieu d’entendre par société de capitaux au sens de celle-ci. Le paragraphe 2 de cet article dispose:

«Est assimilée aux sociétés de capitaux, pour l’application de la présente directive, toute autre société, association ou personne morale poursuivant des buts lucratifs. Toutefois, un État membre peut ne pas la considérer comme telle pour la perception du droit d’apport.»

5        Aux termes de l’article 4, paragraphe 2, de la même directive: 

«Peuvent continuer à être soumises au droit d’apport les opérations suivantes, dans la mesure où elles étaient taxées au taux de 1 % à la date du 1er juillet 1984:

[…]

b)      l’augmentation de l’avoir social d’une société de capitaux au moyen de prestations effectuées par un associé qui n’entraînent pas une augmentation du capital social, mais qui trouvent leur contrepartie dans une modification des droits sociaux ou bien qui sont susceptibles d’augmenter la valeur des parts sociales.

[…]»

 La réglementation autrichienne

6        L’article 2, points 2 et 4, de la loi sur l’impôt frappant les mouvements de capitaux (Kapitalverkerhrssteuergesetz), dans sa version applicable au litige au principal (BGBl. I, 52/2009, ci-après le «KVG), prévoit:

«Sont soumis au droit d’apport:

2.      les prestations effectuées par les associés d’une société de capitaux établie sur le territoire national en vertu d’une obligation née du rapport social (exemples: apports supplémentaires, versements complémentaires). Est assimilé à la prestation d’un associé le fait, pour une société, de couvrir au moyen de ses fonds propres l’obligation de l’associé;

[…]

4.      les prestations volontaires suivantes effectuées par un associé au profit d’une société de capitaux établie sur le territoire national lorsque la prestation est de nature à augmenter la valeur des droits sociaux:

a)      subventions,

[…]»

7        L’article 4 du KVG, intitulé «Société de capitaux», dispose à son paragraphe 2:

«Sont également considérées comme sociétés de capitaux au sens de la présente loi:

1.      les sociétés en commandite (‘Kommanditgesellschafen’, ‘KG’) comptant parmi leurs commandités une société de capitaux,

2.      les sociétés en commandite opérant de petites exploitations (‘Kommandit-Erwerbsgesellschaften’, ‘KEG’), comptant parmi leurs commandités une société de capitaux,

[…]»

 Le litige au principal et la question préjudicielle

8        Le conseil municipal de la ville de Linz a décidé, au cours de la séance du 16 décembre 2004, de se séparer du patrimoine immobilier de la ville et de transférer les tâches courantes de gestion et d’exploitation patrimoniales aux sociétés Immobilien Linz GmbH et Immobilien Linz KEG, devenue Immobilien Linz. Lors de cette séance, il a également été décidé que, à partir de l’exercice budgétaire de l’année 2005, la ville de Linz octroierait à ces deux sociétés immobilières une subvention d’associé annuelle à concurrence du montant estimé à cet effet dans chaque budget prévisionnel.

9        Par acte constitutif du 22 avril 2005, Immobilien Linz KEG a été créée. La société indéfiniment responsable de celle-ci est Immobilien Linz GmbH, dont l’associé unique est la ville de Linz. Cette dernière est également l’unique commanditaire d’Immobilien Linz.

10      Le 21 décembre 2005, le conseil de surveillance d’Immobilien Linz a approuvé un plan d’exploitation pour l’année 2006. À la même date, la ville de Linz, représentée par son maire, s’est engagée à verser à cette société une subvention d’associé visant à couvrir ses pertes à concurrence du montant nécessaire, dans la limite toutefois d’un montant de 11 862 000 euros tel que prévu dans ce plan d’exploitation. Cette subvention a été octroyée sur le fondement de la délibération du conseil municipal du 16 décembre 2004.

11      La ville de Linz a effectivement accordé à Immobilien Linz, pour l’année 2006, une subvention d’un montant de 11 645 290,17 euros.

12      Par décision du 29 janvier 2008, le Finanzamt a fixé le droit d’apport à un montant de 116 452,90 euros, soit 1 % de la subvention effectivement octroyée. Cette décision est motivée comme suit:

«Selon une jurisprudence constante, les prestations des associés en faveur de leur société sont soumises au droit d’apport. Seule la reprise de pertes dans le cadre d’un contrat de transfert de résultats s’inscrivant dans la durée n’est pas soumise au droit d’apport. En cas de promesse de financement par un associé reposant sur un plan de financement détaillé, les prestations subséquentes ne constituent pas des prestations obligatoires au sens de l’article 2, point 2, du KVG. Il s’agit de prestations d’associé volontaires soumises au droit d’apport au sens de l’article 2, point 4, sous a), du KVG.»

13      Immobilien Linz a introduit un recours contre ladite décision du Finanzamt devant la juridiction de renvoi au motif que, par la délibération du conseil municipal du 16 décembre 2004 et par la délibération générale de ce dernier autorisant la couverture des pertes afférentes à la gestion du patrimoine immobilier de la ville de Linz, celle-ci, en sa qualité d’associée, aurait contracté envers Immobilien Linz une obligation de comblement des pertes née du rapport social.

14      La juridiction de renvoi s’interroge sur le caractère déterminant, aux fins de l’existence d’une augmentation de l’avoir social au sens de l’article 4, paragraphe 2, sous b), de la directive 69/335, des modalités juridiques selon lesquelles l’associé s’est engagé à couvrir les pertes futures de la société. En effet, d’une part, l’administration fiscale autrichienne ainsi que les juridictions nationales partiraient du principe que c’est seulement lorsque la reprise des pertes intervient sur la base d’un contrat de transfert de résultats qu’elle n’entraîne pas d’augmentation de l’avoir social. D’autre part, la Cour, dans l’arrêt du 28 mars 1990, Siegen (C-38/88, Rec. p. I-1447), aurait retenu comme seul critère, aux fins de déterminer s’il y a ou non augmentation de l’avoir social, l’existence préalable d’une obligation de l’associé de couvrir les pertes, ce qui implique que les pertes que la société subira ultérieurement n’auront aucune incidence sur le niveau de l’avoir social.

15      La juridiction de renvoi relève que l’adoption d’engagements spécifiques de couverture des pertes au profit d’Immobilien Linz, avant le début de chaque exercice budgétaire, à concurrence du montant estimé à cet effet dans le budget prévisionnel ou le plan d’exploitation de cette société, confère à celle-ci un droit dont elle peut se prévaloir devant les tribunaux. Il en irait ainsi de l’engagement pris par le maire de la ville de Linz le 21 décembre 2005.

16      Dans ces conditions, l’Unabhängiger Finanzsenat, Außenstelle Linz, a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«La reprise de certaines pertes d’une société par son associé unique, une personne morale de droit public dont le représentant a été mandaté par l’organe compétent pour octroyer annuellement une subvention d’associé visant à couvrir les pertes à concurrence du montant estimé à cet effet avant le début de l’exercice dans le budget prévisionnel ou le plan d’exploitation adopté par la société, augmente-t-elle l’avoir social de celle-ci au sens de l’article 4, paragraphe 2, sous b), de la directive 69/335/CEE [...]?»

 Sur la question préjudicielle

17      Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si seule la reprise des pertes d’une société par un associé en exécution d’un contrat de transfert de résultats conclu avant la réalisation desdites pertes est une opération qui n’augmente pas l’avoir social de cette société, au sens de l’article 4, paragraphe 2, sous b), de la directive 69/335, ou si tel est également le cas dans l’hypothèse d’une reprise des pertes en exécution d’un engagement préalable de l’associé visant uniquement à assurer la couverture des pertes futures de cette société.

18      Il convient de rappeler d’emblée que, en vertu de l’article 4, paragraphe 2, sous b), de la directive 69/335, peuvent être soumises à un droit d’apport les prestations d’un associé qui permettent à une société de capitaux d’augmenter son avoir social sans entraîner d’augmentation du capital social et qui sont susceptibles d’augmenter la valeur des parts sociales.

19      S’agissant de la première condition, relative à l’augmentation de l’avoir social, il convient de rappeler que, dans la mesure où celui-ci est défini comme l’ensemble des biens que les associés ont mis en commun avec leurs accroissements, l’augmentation de l’avoir social comprend, en principe, toute forme d’augmentation du patrimoine social d’une société de capitaux (arrêt du 30 mars 2006, Aro Tubi Trafilerie, C-46/04, Rec. p. I-3009, point 34 et jurisprudence citée). La Cour a ainsi jugé que la reprise des pertes d’une société par l’un de ses associés constitue une prestation qui augmente l’avoir social de cette société dans la mesure où elle ramène celui-ci au niveau qu’il avait atteint avant la réalisation des pertes (arrêt Siegen, précité, point 13).

20      S’agissant de la seconde condition, relative à l’augmentation de la valeur des parts sociales, il y a lieu de relever que, dans la mesure où la reprise des pertes d’une société par l’un de ses associés ramène l’avoir social au niveau que celui-ci avait atteint avant la réalisation de ces pertes, cette opération contribue au renforcement du potentiel économique de cette société. Une telle reprise doit dès lors être regardée comme susceptible d’augmenter la valeur des parts sociales au sens de l’article 4, paragraphe 2, sous b), de la directive 69/335 (voir, en ce sens, arrêts du 5 février 1991, Deltakabel, C-15/89, Rec. p. I-241, point 13, et Trave-Schiffahrtsgesellschaft, C-249/89, Rec. p. I-257, point 13).

21      Il s’ensuit que la reprise des pertes d’une société par l’un de ses associés augmente l’avoir social de celle-ci au sens de l’article 4, paragraphe 2, sous b), de la directive 69/335.

22      Toutefois, aux points 13 et 14 de l’arrêt Siegen, précité, la Cour a jugé que, si la reprise, par un associé, des pertes subies par une société doit être considérée comme une prestation augmentant l’avoir social de cette société, tel n’est pas le cas lorsque cette reprise intervient en exécution d’un contrat de transfert de résultats conclu avant la réalisation desdites pertes, cet engagement impliquant que les pertes subies ultérieurement par la société n’auront aucune incidence sur le niveau de l’avoir social de celle-ci.

23      Il ressort de l’arrêt Siegen, précité, que la Cour a admis une exception lorsque l’associé reprend les pertes en vertu d’un engagement auquel il a souscrit avant la réalisation de celles-ci, cet engagement impliquant que les pertes que la société subira ultérieurement n’auront aucune incidence sur le niveau de son avoir social. Cette interprétation dudit arrêt Siegen est confirmée par l’arrêt du 17 septembre 2002, Norddeutsche Gesellschaft zur Beratung und Durchführung von Entsorgungsaufgaben bei Kernkraftwerken (C‑392/00, Rec. p. I-7397, point 21).

24      Cette exception est justifiée par le fait que, en vertu de l’obligation assumée préalablement par son associé, la société au bénéfice de laquelle un tel engagement est souscrit ne pourra, quels que soient les résultats de son activité économique, enregistrer aucune perte dès lors qu’elles seront automatiquement transférées à son associé. Par conséquent, dans l’hypothèse spécifique, telle que celle de l’affaire au principal, où un tel engagement a été assumé préalablement à la constatation des pertes de la société, il est acquis que les résultats de l’activité économique de la société ne modifieront pas son potentiel économique.

25      Dans ces conditions, la perception d’un droit d’apport sur l’opération de reprise des pertes de cette société par un associé n’est pas justifiée, puisqu’il n’y a pas d’augmentation de l’avoir social.

26      Il y a lieu, dès lors, de répondre à la question posée que l’article 4, paragraphe 2, sous b), de la directive 69/335 doit être interprété en ce sens que la reprise des pertes d’une société, effectuée par un associé en exécution d’un engagement de ce dernier contracté avant la réalisation de ces pertes et visant uniquement à assurer la couverture de celles-ci, n’augmente pas l’avoir social de cette société.

 Sur les dépens

27      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:

L’article 4, paragraphe 2, sous b), de la directive 69/335/CEE du Conseil, du 17 juillet 1969, concernant les impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux, telle que modifiée par la directive 85/303/CEE du Conseil, du 10 juin 1985, doit être interprété en ce sens que la reprise des pertes d’une société, effectuée par un associé en exécution d’un engagement de ce dernier contracté avant la réalisation de ces pertes et visant uniquement à assurer la couverture de celles-ci, n’augmente pas l’avoir social de cette société.

Signatures


* Langue de procédure: l’allemand.