Affaire C-277/10

Martin Luksan

contre

Petrus van der Let

(demande de décision préjudicielle, introduite par le Handelsgericht Wien)

«Renvoi préjudiciel — Rapprochement des législations — Propriété intellectuelle — Droit d’auteur et droits voisins — Directives 93/83/CEE, 2001/29/CE, 2006/115/CE et 2006/116/CE — Partage des droits d’exploitation d’une œuvre cinématographique, par voie contractuelle, entre le réalisateur principal et le producteur de l’œuvre — Réglementation nationale attribuant ces droits, exclusivement et de plein droit, au producteur du film — Possibilité de dérogation à cette règle par un accord entre les parties — Droits à rémunération subséquents»

Sommaire de l’arrêt

  1. Accords internationaux – Accords des États membres – Accords antérieurs à l’adhésion à l’Union d’un État membre – Accord laissant la faculté à l’État membre de prendre une mesure contraire au droit de l’Union – Obligation de l’État membre de s’abstenir de prendre une telle mesure – Incompatibilité résultant d’une évolution du droit de l’Union – Impossibilité pour l’État membre de se prévaloir dudit accord pour s’exonérer des obligations nées de cette évolution

    (Art. 351 TFUE)

  2. Rapprochement des législations – Droit d’auteur et droits voisins – Droits d’exploitation d’une œuvre cinématographique – Droits appartenant de plein droit au réalisateur principal de l’œuvre (Directives du Parlement européen et du Conseil 2001/29, art. 2 et 3, 2006/115, art. 2 et 3, et 2006/116, art. 2; directive du Conseil 93/83, art. 1er et 2)

  3. Rapprochement des législations – Droit d’auteur et droits voisins – Droits d’exploitation d’une œuvre cinématographique – Possibilité, pour les États membres, d’établir une présomption légale de cession de ces droits au producteur de l’œuvre – Condition – Présomption réfragable

    (Directives du Parlement européen et du Conseil 2001/29 et 2006/115, art. 3, § 4 et 5)

  4. Rapprochement des législations – Droit d’auteur et droits voisins – Droits d’exploitation d’une œuvre cinématographique – Droits appartenant de plein droit au réalisateur principal de l’œuvre

    [Directive du Parlement européen et du Conseil 2001/29, art. 5, § 2, b)]

  5. Rapprochement des législations – Droit d’auteur et droits voisins – Droits d’exploitation d’une œuvre cinématographique – Droit à une compensation équitable au titre de l’exception de copie privée – Impossibilité, pour les États membres, d’établir une présomption légale de cession de ce droit au producteur de l’œuvre

    [Directive du Parlement européen et du Conseil 2001/29, art. 5, § 2, b)]

  1.  La disposition de l’article 351, premier alinéa, TFUE a pour objet de préciser, conformément aux principes de droit international, que l’application du traité n’affecte pas l’engagement de l’État membre concerné de respecter les droits des pays tiers résultant d’une convention antérieure à son adhésion et d’observer ses obligations correspondantes. Cependant, lorsqu’une telle convention permet à un État membre de prendre une mesure qui apparaît contraire au droit de l’Union, sans toutefois l’y obliger, l’État membre doit s’abstenir d’adopter une telle mesure. Cette jurisprudence doit également trouver à s’appliquer mutatis mutandis lorsque, en raison d’une évolution du droit de l’Union, une mesure législative prise par un État membre conformément à la faculté offerte par une convention internationale antérieure apparaît contraire à ce droit. Dans une telle situation, l’État membre concerné ne saurait se prévaloir de ladite convention pour s’exonérer des obligations nées ultérieurement du droit de l’Union.

    (cf. points 61-63)

  2.  Les dispositions des articles 1er et 2 de la directive 93/83, relative à la coordination de certaines règles du droit d’auteur et des droits voisins du droit d’auteur applicables à la radiodiffusion par satellite et à la retransmission par câble, d’une part, et des articles 2 et 3 de la directive 2001/29, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, combinés avec les articles 2 et 3 de la directive 2006/115, relative au droit de location et de prêt et à certains droits voisins du droit d’auteur dans le domaine de la propriété intellectuelle et l’article 2 de la directive 2006/116, relative à la durée de protection du droit d’auteur et de certains droits voisins, d’autre part, doivent être interprétées en ce sens que les droits d’exploitation de l’œuvre cinématographique (droit de reproduction, droit de diffusion par satellite et tout autre droit de communication au public par voie de mise à disposition) reviennent de plein droit, directement et originairement, au réalisateur principal. Par conséquent, ces dispositions doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à une législation nationale attribuant, de plein droit et exclusivement, lesdits droits d’exploitation au producteur de l’œuvre en question.

    À cet égard, les articles 2 de la directive 93/83 et 2 et 3 de la directive 2001/29 ne sauraient être interprétés, au regard de l’article 1er, paragraphe 4, du traité de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, en ce sens qu’un État membre pourrait, dans sa législation nationale, sur le fondement de l’article 14 bis de la convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques, en se prévalant de la faculté que cet article conventionnel lui accorderait, refuser au réalisateur principal d’une œuvre cinématographique les droits d’exploitation de cette œuvre puisqu’une telle interprétation, tout d’abord ne respecterait pas les compétences de l’Union en la matière, ensuite, ne serait pas compatible avec le but poursuivi par la directive 2001/29 et, enfin, ne serait pas conforme aux exigences découlant de l’article 17, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne garantissant la protection de la propriété intellectuelle.

    (cf. points 71, 72, disp. 1)

  3.  Le droit de l’Union doit être interprété en ce sens qu’il laisse la faculté aux États membres d’établir une présomption de cession, au profit du producteur de l’œuvre cinématographique, des droits d’exploitation de l’œuvre cinématographique (droit de diffusion par satellite, droit de reproduction et tout autre droit de communication au public par voie de mise à disposition), pourvu qu’une telle présomption ne revête pas un caractère irréfragable qui exclurait la possibilité pour le réalisateur principal de ladite œuvre d’en convenir autrement.

    (cf. point 87, disp. 2)

  4.  Le droit de l’Union doit être interprété en ce sens que, en sa qualité d’auteur de l’œuvre cinématographique, le réalisateur principal de celle-ci doit bénéficier, de plein droit, directement et originairement, du droit à la compensation équitable prévue à l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, au titre de l’exception dite de copie privée.

    (cf. point 95, disp. 3)

  5.  Le droit de l’Union doit être interprété en ce sens qu’il ne laisse pas la faculté aux États membres d’établir une présomption de cession, au profit du producteur de l’œuvre cinématographique, du droit à compensation équitable revenant au réalisateur principal de ladite œuvre, que cette présomption soit formulée de manière irréfragable ou qu’elle soit susceptible de dérogation.

    En effet, et sauf à les priver de tout effet utile, les dispositions de l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, imposent à l’État membre qui a introduit l’exception de copie privée dans son droit national une obligation de résultat, en ce sens que cet État est tenu d’assurer, dans le cadre de ses compétences, une perception effective de la compensation équitable destinée à indemniser les titulaires des droits lésés du préjudice subi. Or, imposer aux États membres une telle obligation de résultat de percevoir la compensation équitable au profit des titulaires des droits s’avère conceptuellement inconciliable avec la possibilité pour un tel titulaire de renoncer à cette compensation équitable et, à plus forte raison, avec la faculté, pour les États membres, d’établir une telle présomption de cession.

    (cf. points 106, 108, 109, disp. 4)


Affaire C-277/10

Martin Luksan

contre

Petrus van der Let

(demande de décision préjudicielle, introduite par le Handelsgericht Wien)

«Renvoi préjudiciel — Rapprochement des législations — Propriété intellectuelle — Droit d’auteur et droits voisins — Directives 93/83/CEE, 2001/29/CE, 2006/115/CE et 2006/116/CE — Partage des droits d’exploitation d’une œuvre cinématographique, par voie contractuelle, entre le réalisateur principal et le producteur de l’œuvre — Réglementation nationale attribuant ces droits, exclusivement et de plein droit, au producteur du film — Possibilité de dérogation à cette règle par un accord entre les parties — Droits à rémunération subséquents»

Sommaire de l’arrêt

  1. Accords internationaux — Accords des États membres — Accords antérieurs à l’adhésion à l’Union d’un État membre — Accord laissant la faculté à l’État membre de prendre une mesure contraire au droit de l’Union — Obligation de l’État membre de s’abstenir de prendre une telle mesure — Incompatibilité résultant d’une évolution du droit de l’Union — Impossibilité pour l’État membre de se prévaloir dudit accord pour s’exonérer des obligations nées de cette évolution

    (Art. 351 TFUE)

  2. Rapprochement des législations — Droit d’auteur et droits voisins — Droits d’exploitation d’une œuvre cinématographique — Droits appartenant de plein droit au réalisateur principal de l’œuvre (Directives du Parlement européen et du Conseil 2001/29, art. 2 et 3, 2006/115, art. 2 et 3, et 2006/116, art. 2; directive du Conseil 93/83, art. 1er et 2)

  3. Rapprochement des législations — Droit d’auteur et droits voisins — Droits d’exploitation d’une œuvre cinématographique — Possibilité, pour les États membres, d’établir une présomption légale de cession de ces droits au producteur de l’œuvre — Condition — Présomption réfragable

    (Directives du Parlement européen et du Conseil 2001/29 et 2006/115, art. 3, § 4 et 5)

  4. Rapprochement des législations — Droit d’auteur et droits voisins — Droits d’exploitation d’une œuvre cinématographique — Droits appartenant de plein droit au réalisateur principal de l’œuvre

    [Directive du Parlement européen et du Conseil 2001/29, art. 5, § 2, b)]

  5. Rapprochement des législations — Droit d’auteur et droits voisins — Droits d’exploitation d’une œuvre cinématographique — Droit à une compensation équitable au titre de l’exception de copie privée — Impossibilité, pour les États membres, d’établir une présomption légale de cession de ce droit au producteur de l’œuvre

    [Directive du Parlement européen et du Conseil 2001/29, art. 5, § 2, b)]

  1.  La disposition de l’article 351, premier alinéa, TFUE a pour objet de préciser, conformément aux principes de droit international, que l’application du traité n’affecte pas l’engagement de l’État membre concerné de respecter les droits des pays tiers résultant d’une convention antérieure à son adhésion et d’observer ses obligations correspondantes. Cependant, lorsqu’une telle convention permet à un État membre de prendre une mesure qui apparaît contraire au droit de l’Union, sans toutefois l’y obliger, l’État membre doit s’abstenir d’adopter une telle mesure. Cette jurisprudence doit également trouver à s’appliquer mutatis mutandis lorsque, en raison d’une évolution du droit de l’Union, une mesure législative prise par un État membre conformément à la faculté offerte par une convention internationale antérieure apparaît contraire à ce droit. Dans une telle situation, l’État membre concerné ne saurait se prévaloir de ladite convention pour s’exonérer des obligations nées ultérieurement du droit de l’Union.

    (cf. points 61-63)

  2.  Les dispositions des articles 1er et 2 de la directive 93/83, relative à la coordination de certaines règles du droit d’auteur et des droits voisins du droit d’auteur applicables à la radiodiffusion par satellite et à la retransmission par câble, d’une part, et des articles 2 et 3 de la directive 2001/29, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, combinés avec les articles 2 et 3 de la directive 2006/115, relative au droit de location et de prêt et à certains droits voisins du droit d’auteur dans le domaine de la propriété intellectuelle et l’article 2 de la directive 2006/116, relative à la durée de protection du droit d’auteur et de certains droits voisins, d’autre part, doivent être interprétées en ce sens que les droits d’exploitation de l’œuvre cinématographique (droit de reproduction, droit de diffusion par satellite et tout autre droit de communication au public par voie de mise à disposition) reviennent de plein droit, directement et originairement, au réalisateur principal. Par conséquent, ces dispositions doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à une législation nationale attribuant, de plein droit et exclusivement, lesdits droits d’exploitation au producteur de l’œuvre en question.

    À cet égard, les articles 2 de la directive 93/83 et 2 et 3 de la directive 2001/29 ne sauraient être interprétés, au regard de l’article 1er, paragraphe 4, du traité de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, en ce sens qu’un État membre pourrait, dans sa législation nationale, sur le fondement de l’article 14 bis de la convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques, en se prévalant de la faculté que cet article conventionnel lui accorderait, refuser au réalisateur principal d’une œuvre cinématographique les droits d’exploitation de cette œuvre puisqu’une telle interprétation, tout d’abord ne respecterait pas les compétences de l’Union en la matière, ensuite, ne serait pas compatible avec le but poursuivi par la directive 2001/29 et, enfin, ne serait pas conforme aux exigences découlant de l’article 17, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne garantissant la protection de la propriété intellectuelle.

    (cf. points 71, 72, disp. 1)

  3.  Le droit de l’Union doit être interprété en ce sens qu’il laisse la faculté aux États membres d’établir une présomption de cession, au profit du producteur de l’œuvre cinématographique, des droits d’exploitation de l’œuvre cinématographique (droit de diffusion par satellite, droit de reproduction et tout autre droit de communication au public par voie de mise à disposition), pourvu qu’une telle présomption ne revête pas un caractère irréfragable qui exclurait la possibilité pour le réalisateur principal de ladite œuvre d’en convenir autrement.

    (cf. point 87, disp. 2)

  4.  Le droit de l’Union doit être interprété en ce sens que, en sa qualité d’auteur de l’œuvre cinématographique, le réalisateur principal de celle-ci doit bénéficier, de plein droit, directement et originairement, du droit à la compensation équitable prévue à l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, au titre de l’exception dite de copie privée.

    (cf. point 95, disp. 3)

  5.  Le droit de l’Union doit être interprété en ce sens qu’il ne laisse pas la faculté aux États membres d’établir une présomption de cession, au profit du producteur de l’œuvre cinématographique, du droit à compensation équitable revenant au réalisateur principal de ladite œuvre, que cette présomption soit formulée de manière irréfragable ou qu’elle soit susceptible de dérogation.

    En effet, et sauf à les priver de tout effet utile, les dispositions de l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, imposent à l’État membre qui a introduit l’exception de copie privée dans son droit national une obligation de résultat, en ce sens que cet État est tenu d’assurer, dans le cadre de ses compétences, une perception effective de la compensation équitable destinée à indemniser les titulaires des droits lésés du préjudice subi. Or, imposer aux États membres une telle obligation de résultat de percevoir la compensation équitable au profit des titulaires des droits s’avère conceptuellement inconciliable avec la possibilité pour un tel titulaire de renoncer à cette compensation équitable et, à plus forte raison, avec la faculté, pour les États membres, d’établir une telle présomption de cession.

    (cf. points 106, 108, 109, disp. 4)