Affaire C-87/10
Electrosteel Europe SA
contre
Edil Centro SpA
(demande de décision préjudicielle, introduite par
le Tribunale ordinario di Vicenza )
«Compétence judiciaire, reconnaissance et exécution des décisions en matière civile et commerciale — Règlement (CE) nº 44/2001 — Compétences spéciales — Article 5, point 1, sous b), premier tiret — Tribunal du lieu d’exécution de l’obligation contractuelle qui sert de base à la demande — Vente de marchandises — Lieu de livraison — Contrat contenant la clause ‘Remise: départ usine’»
Sommaire de l'arrêt
Coopération judiciaire en matière civile — Compétence judiciaire et exécution des décisions en matière civile et commerciale — Règlement nº 44/2011 — Compétences spéciales — Compétence en matière contractuelle, au sens de l'article 5, point 1, sous b), premier tiret
(Règlement du Conseil nº 44/2001, art. 5, point 1, b), 1er tiret)
L’article 5, point 1, sous b), premier tiret, du règlement nº 44/2001, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens que, en cas de vente à distance, le lieu où les marchandises ont été ou auraient dû être livrées en vertu du contrat doit être déterminé sur la base des dispositions de ce contrat.
Afin de vérifier si le lieu de livraison est déterminé «en vertu du contrat», la juridiction nationale saisie doit prendre en compte tous les termes et toutes les clauses pertinents de ce contrat qui sont de nature à désigner de manière claire ce lieu, y compris les termes et les clauses généralement reconnus et consacrés par les usages du commerce international, tels que les Incoterms («international commercial terms»), élaborés par la Chambre de commerce internationale, dans leur version publiée en 2000.
S’il est impossible de déterminer le lieu de livraison sur cette base, sans se référer au droit matériel applicable au contrat, ce lieu est celui de la remise matérielle des marchandises par laquelle l’acheteur a acquis ou aurait dû acquérir le pouvoir de disposer effectivement de ces marchandises à la destination finale de l’opération de vente.
(cf. point 26 et disp.)
ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)
9 juin 2011 (*)
«Compétence judiciaire, reconnaissance et exécution des décisions en matière civile et commerciale – Règlement (CE) n° 44/2001 – Compétences spéciales – Article 5, point 1, sous b), premier tiret – Tribunal du lieu d’exécution de l’obligation contractuelle qui sert de base à la demande – Vente de marchandises – Lieu de livraison – Contrat contenant la clause ‘Remise: départ usine’»
Dans l’affaire C‑87/10,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Tribunale ordinario di Vicenza (Italie), par décision du 30 janvier 2010, parvenue à la Cour le 15 février 2010, dans la procédure
Electrosteel Europe SA
contre
Edil Centro SpA,
LA COUR (troisième chambre),
composée de M. K. Lenaerts, président de chambre, M. D. Šváby, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. E. Juhász (rapporteur) et T. von Danwitz, juges,
avocat général: Mme J. Kokott,
greffier: M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées:
– pour Edil Centro SpA, par Me R. Campese, avvocatessa,
– pour la Commission européenne, par MM. N. Bambara et M. Wilderspin, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 3 mars 2011,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 5, point 1, sous b), premier tiret, du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1, ci-après le «règlement»).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Electrosteel Europe SA (ci-après «Electrosteel»), établie à Arles (France), à Edil Centro SpA (ci-après «Edil Centro»), établie à Piovene Rocchette (Italie), au sujet de l’exécution d’un contrat de vente de marchandises.
Le cadre juridique
3 L’article 2, paragraphe 1, du règlement, qui fait partie du chapitre II, section 1, de celui-ci, intitulée «Dispositions générales», énonce:
«Sous réserve des dispositions du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre.»
4 L’article 3, paragraphe 1, du règlement, qui figure à la même section 1, dispose:
«Les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre ne peuvent être attraites devant les tribunaux d’un autre État membre qu’en vertu des règles énoncées aux sections 2 à 7 du présent chapitre.»
5 Aux termes de l’article 5 du règlement, qui figure au chapitre II, section 2, de celui-ci, intitulée «Compétences spéciales»:
«Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite, dans un autre État membre:
1) a) en matière contractuelle, devant le tribunal du lieu où l’obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée;
b) aux fins de l’application de la présente disposition, et sauf convention contraire, le lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande est:
– pour la vente de marchandises, le lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées,
– pour la fourniture de services, le lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis;
c) le point a) s’applique si le point b) ne s’applique pas;
[…]»
6 L’article 23, paragraphe 1, du règlement, qui fait partie dudit chapitre II, section 7, de celui-ci, intitulée «Prorogation de compétence», est libellé comme suit:
«Si les parties, dont l’une au moins a son domicile sur le territoire d’un État membre, sont convenues d’un tribunal ou de tribunaux d’un État membre pour connaître des différends nés ou à naître à l’occasion d’un rapport de droit déterminé, ce tribunal ou les tribunaux de cet État membre sont compétents. Cette compétence est exclusive, sauf convention contraire des parties. Cette convention attributive de juridiction est conclue:
a) par écrit ou verbalement avec confirmation écrite, ou
b) sous une forme qui soit conforme aux habitudes que les parties ont établies entre elles, ou
c) dans le commerce international, sous une forme qui soit conforme à un usage dont les parties avaient connaissance ou étaient censées avoir connaissance et qui est largement connu et régulièrement observé dans ce type de commerce par les parties à des contrats du même type dans la branche commerciale considérée.»
7 L’article 60, paragraphe 1, du règlement, qui fait partie du chapitre V, intitulé «Dispositions générales», dispose:
«Pour l’application du présent règlement, les sociétés et les personnes morales sont domiciliées là ou est situé:
a) leur siège statutaire;
b) leur administration centrale, ou
c) leur principal établissement.»
Les faits du litige au principal et la question préjudicielle
8 Il résulte du dossier soumis à la Cour qu’Edil Centro, qui est le vendeur, et Electrosteel, à savoir l’acheteur, ont conclu un contrat de vente de marchandises. À la suite d’un litige quant à l’exécution de ce contrat, le vendeur a déposé devant le Tribunale ordinario di Vicenza une demande tendant à ce qu’il soit enjoint à l’acheteur de lui verser la somme de 36 588,26 euros en paiement des marchandises acquises.
9 Par acte d’opposition, l’acheteur a excipé, à titre liminaire, de l’incompétence de la juridiction italienne saisie, conformément aux dispositions du règlement. À l’appui de cette opposition, l’acheteur a affirmé que son siège est établi en France et que, dès lors, il aurait dû être attrait devant une juridiction de cet État membre.
10 Edil Centro prétend au contraire que le contrat, conclu à son propre siège, situé en Italie, contient la clause «Resa: Franco ns. [nostra] sede» («Remise: départ notre siège») concernant le lieu de livraison de la marchandise et que, par conséquent, les juridictions italiennes sont compétentes pour connaître du litige.
11 Edil Centro se réfère aux termes élaborés par la Chambre de commerce internationale, dont le siège est à Paris, appelés «Incoterms» («international commercial terms»), dans leur version publiée en 2000 (ci-après les «Incoterms»), rédigés en anglais, qui constitue la langue officielle de ceux-ci, et fait valoir que la clause «Resa: Franco nostra sede» correspond à l’Incoterm «EXW» («Ex Works»), points A4 et B4 de celui-ci, qui désigneraient le lieu de livraison des marchandises.
12 Ces points de l’Incoterm «Ex Works» sont libellés comme suit:
«A4 Delivery
The seller must place the goods at the disposal of the buyer at the named place of delivery, not loaded on any collecting vehicle, on the date or within the period agreed or, if no such time is agreed, at the usual time for delivery of such goods. If no specific point has been agreed within the named place, and if there are several points available, the seller may select the point at the place of delivery which best suits his purpose.
B4 Taking delivery
The buyer must take delivery of the goods when they have been delivered in accordance with A4 […]»
13 Il ressort du dossier que la marchandise qui fait l’objet du contrat litigieux a été livrée à l’acheteur par un transporteur qui a pris en charge cette marchandise en Italie, au siège du vendeur, et l’a livrée en France, au siège de l’acheteur.
14 La juridiction de renvoi relève que la notion de «lieu de livraison» en tant que «lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande», conformément à l’article 5, point 1, sous b), premier tiret, du règlement, a donné lieu à des interprétations divergentes en Italie, de la part tant des juridictions du fond que de la Corte suprema di cassazione.
15 Eu égard à ces interprétations divergentes, le Tribunale ordinario di Vicenza a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:
«Convient-il d’interpréter l’article 5, paragraphe 1, sous b), du règlement […] et, de façon plus générale, le droit communautaire en ce sens que, lorsqu’il prévoit que, dans un cas de vente de biens, le lieu d’exécution de l’obligation est le lieu où les biens ont été ou auraient dû être livrés conformément au contrat, le lieu de la livraison pertinent aux fins de la désignation du juge doté de la compétence juridictionnelle serait celui de la destination finale des marchandises qui font l’objet du contrat ou en ce sens que ce lieu pertinent serait le lieu où le vendeur s’acquitte de l’obligation de livraison conformément aux règles de droit matériel applicables en l’espèce ou les dispositions précitées seraient‑elles encore susceptibles d’une autre interprétation?»
Sur la question préjudicielle
16 Il convient, à titre liminaire, de constater que la Cour, après l’introduction de la présente demande de décision préjudicielle par la juridiction de renvoi, a rendu l’arrêt du 25 février 2010, Car Trim (C‑381/08, non encore publié au Recueil), dans lequel elle a dit pour droit, au point 2 du dispositif de cet arrêt, que l’article 5, point 1, sous b), premier tiret, du règlement doit être interprété en ce sens que, en cas de vente à distance, le lieu où les marchandises ont été ou auraient dû être livrées en vertu du contrat doit être déterminé sur la base des dispositions de ce contrat. Elle a ajouté que, s’il est impossible de déterminer le lieu de livraison sur cette base, sans se référer au droit matériel applicable au contrat, ce lieu est celui de la remise matérielle des marchandises par laquelle l’acheteur a acquis ou aurait dû acquérir le pouvoir de disposer effectivement de ces marchandises à la destination finale de l’opération de vente.
17 L’interprétation de ladite disposition donnée par la Cour dans l’arrêt Car Trim, précité, est transposable à l’affaire au principal et elle fournit une réponse presque complète à la question posée par le Tribunale ordinario di Vicenza.
18 La question qui reste toutefois à clarifier est celle de savoir de quelle manière il convient d’interpréter les termes «en vertu du contrat», figurant à l’article 5, point 1, sous b), premier tiret, du règlement, notamment dans quelle mesure il est possible de prendre en considération des termes et des clauses du contrat qui ne contiennent pas une désignation directe et explicite d’un lieu de livraison qui déterminerait le tribunal compétent pour connaître des différends entre les parties.
19 À cet égard, il convient de rappeler que, selon l’article 23 du règlement, une convention attributive de juridiction peut être conclue non seulement par écrit ou verbalement avec confirmation écrite, mais également sous une forme qui soit conforme aux habitudes que les parties ont établies entre elles ou, dans le commerce international, sous une forme qui soit conforme à un usage dont les parties avaient connaissance ou étaient censées avoir connaissance et qui est largement connu et régulièrement observé dans ce type de commerce par les parties à des contrats du même type dans la branche commerciale considérée.
20 Il n’y a pas de raison de considérer que le législateur de l’Union aurait voulu écarter la prise en compte de tels usages commerciaux aux fins de l’interprétation d’autres dispositions du même règlement et, notamment, pour la détermination du tribunal compétent conformément à l’article 5, point 1, sous b), premier tiret, de ce règlement.
21 Les usages, notamment s’ils sont assemblés, précisés et publiés par les organisations professionnelles reconnues et sont largement suivis dans la pratique par les opérateurs économiques, jouent un rôle important dans la réglementation non étatique du commerce international. Ils facilitent les tâches de ces derniers dans la rédaction du contrat, car, par l’utilisation de termes brefs et simples, ils peuvent déterminer une large partie de leurs relations commerciales. Les Incoterms élaborés par la Chambre de commerce internationale, qui définissent et codifient le contenu de certains termes et de certaines clauses utilisés couramment dans le commerce international, ont une reconnaissance et une utilisation pratique particulièrement élevée.
22 Ainsi, dans le cadre de l’examen d’un contrat, afin de déterminer le lieu de livraison au sens de l’article 5, point 1, sous b), premier tiret, du règlement, la juridiction nationale doit prendre en compte tous les termes et toutes les clauses pertinents de ce contrat, y compris, le cas échéant, les termes et les clauses généralement reconnus et consacrés par les usages du commerce international, tels que les Incoterms, pour autant qu’ils sont de nature à permettre d’identifier, de manière claire, ce lieu.
23 Lorsque le contrat en cause contient de tels termes ou clauses, il peut s’avérer nécessaire d’examiner si ceux-ci sont des stipulations qui fixent uniquement les conditions relatives à la répartition des risques liés au transport des marchandises ou à la répartition des coûts entre les parties contractantes ou s’ils désignent également le lieu de livraison des marchandises. En ce qui concerne l’Incoterm «Ex Works», qui est invoqué dans le cadre du litige au principal, il y a lieu de constater que, ainsi que l’a relevé Mme l’avocat général au point 40 de ses conclusions, cette clause comporte non seulement les dispositions des points A5 et B5, intitulés «Transfer of risks», qui concernent le transfert des risques, ainsi que celles des points A6 et B6, intitulés «Division of costs», qui traitent de la répartition des coûts, mais également, de manière distincte, les dispositions des points A4 et B4, intitulés respectivement «Delivery» et «Taking delivery», qui renvoient au même lieu et permettent ainsi de désigner le lieu de livraison des marchandises.
24 En revanche, lorsque les marchandises faisant l’objet du contrat ne font que transiter par le territoire d’un État membre qui est un tiers au regard tant du domicile des parties que du lieu de départ ou de destination des marchandises, il faut vérifier, en particulier, si le lieu figurant dans le contrat, situé sur le territoire d’un tel État membre, ne sert qu’à répartir les coûts et les risques liés au transport des marchandises ou bien s’il constitue également le lieu de livraison de celles‑ci.
25 Il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier si la clause «Resa: Franco [nostra] sede», reprise dans le contrat en cause au principal, correspond à l’Incoterm «Ex Works», points A4 et B4, ou à une autre clause ou un autre usage habituellement employé dans le commerce et qui est apte à désigner, de manière claire, sans qu’il soit nécessaire de recourir au droit matériel applicable au contrat, le lieu de livraison des marchandises conformément à ce contrat.
26 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que l’article 5, point 1, sous b), premier tiret, du règlement doit être interprété en ce sens que, en cas de vente à distance, le lieu où les marchandises ont été ou auraient dû être livrées en vertu du contrat doit être déterminé sur la base des dispositions de ce contrat. Afin de vérifier si le lieu de livraison est déterminé «en vertu du contrat», la juridiction nationale saisie doit prendre en compte tous les termes et toutes les clauses pertinents de ce contrat qui sont de nature à désigner de manière claire ce lieu, y compris les termes et les clauses généralement reconnus et consacrés par les usages du commerce international, tels que les Incoterms élaborés par la Chambre de commerce internationale, dans leur version publiée en 2000. S’il est impossible de déterminer le lieu de livraison sur cette base, sans se référer au droit matériel applicable au contrat, ce lieu est celui de la remise matérielle des marchandises par laquelle l’acheteur a acquis ou aurait dû acquérir le pouvoir de disposer effectivement de ces marchandises à la destination finale de l’opération de vente.
Sur les dépens
27 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit:
L’article 5, point 1, sous b), premier tiret, du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens que, en cas de vente à distance, le lieu où les marchandises ont été ou auraient dû être livrées en vertu du contrat doit être déterminé sur la base des dispositions de ce contrat.
Afin de vérifier si le lieu de livraison est déterminé «en vertu du contrat», la juridiction nationale saisie doit prendre en compte tous les termes et toutes les clauses pertinents de ce contrat qui sont de nature à désigner de manière claire ce lieu, y compris les termes et les clauses généralement reconnus et consacrés par les usages du commerce international, tels que les Incoterms («international commercial terms»), élaborés par la Chambre de commerce internationale, dans leur version publiée en 2000.
S’il est impossible de déterminer le lieu de livraison sur cette base, sans se référer au droit matériel applicable au contrat, ce lieu est celui de la remise matérielle des marchandises par laquelle l’acheteur a acquis ou aurait dû acquérir le pouvoir de disposer effectivement de ces marchandises à la destination finale de l’opération de vente.
Signatures
* Langue de procédure: l’italien.