Affaire C-11/10
Staatssecretaris van Financiën
contre
Marishipping and Transport BV
(demande de décision préjudicielle, introduite par le Hoge Raad der Nederlanden)
«Renvoi préjudiciel — Règlement (CEE) nº 2658/87 — Tarif douanier commun — Droits de douane — Exonération — Substances pharmaceutiques — Composition — Restrictions»
Sommaire de l'arrêt
Tarif douanier commun — Franchise des droits à l'importation — Produits pharmaceutiques
(Règlement du Conseil nº 2658/87, annexe I, 1re partie, titre II, C, point 1, i), et 3e partie, annexe 3, tel que modifié par les règlements de la Commission nº 2031/2001 et nº 1832/2002)
L’annexe I, première partie, titre II, C, point 1, sous i), du règlement nº 2658/87, relatif à la nomenclature tarifaire et statistique et au tarif douanier commun, tel que modifié respectivement par les règlements nº 2031/2001 et nº 1832/2002, doit être interprétée en ce sens qu’une substance pharmaceutique, figurant sur la liste des substances visées à l’annexe 3 de la troisième partie de la même annexe I, à laquelle ont été ajoutées d’autres substances, notamment pharmaceutiques, ne peut plus bénéficier de l’exonération des droits de douane qui aurait été applicable si ladite substance s’était trouvée à l’état pur.
En effet, la disposition prévoyant l'application d'une exonération des droits de douane établit une exception au principe selon lequel les produits importés dans l’Union sont, en règle générale, soumis aux droits de douane et, partant, elle doit, en tant que disposition dérogatoire, recevoir une interprétation stricte. Dès lors, en l’absence d’indication expresse ou d’élément permettant de conclure que le législateur de l’Union a entendu faire bénéficier de l’exonération les substances pharmaceutiques énumérées à ladite annexe 3 qui, sous réserve des éventuelles impuretés résiduelles contenues dans ces substances, ne se présentent pas à l’état pur, le règlement nº 2658/87 ne saurait être interprété en ce sens que des substances pharmaceutiques auxquelles d’autres substances ont été ajoutées peuvent bénéficier de cette exonération.
Par ailleurs, cette interprétation est celle qui est la plus apte à garantir une application uniforme des dispositions dudit règlement dans la mesure où elle ne laisse qu’une marge d’appréciation limitée aux autorités douanières nationales pour déterminer si une substance pharmaceutique se trouve ou non à l’état pur.
(cf. points 16-17, 25-26 et disp.)
ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)
17 février 2011 (*)
«Renvoi préjudiciel – Règlement (CEE) n° 2658/87 – Tarif douanier commun – Droits de douane – Exonération – Substances pharmaceutiques – Composition – Restrictions»
Dans l’affaire C‑11/10,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Hoge Raad der Nederlanden (Pays-Bas), par décision du 18 décembre 2009, parvenue à la Cour le 8 janvier 2010, dans la procédure
Staatssecretaris van Financiën
contre
Marishipping and Transport BV,
LA COUR (cinquième chambre),
composée de M. J.-J. Kasel (rapporteur), président de chambre, M. E. Levits et Mme M. Berger, juges,
avocat général: M. P. Mengozzi,
greffier: M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées:
– pour le gouvernement néerlandais, par Mmes C. M. Wissels et B. Koopman, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par M. M. van Beek et Mme L. Bouyon, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la première partie, titre II, C, point 1, sous i), de la nomenclature combinée du tarif douanier commun constituant l’annexe I du règlement (CEE) n° 2658/87 du Conseil, du 23 juillet 1987, relatif à la nomenclature tarifaire et statistique et au tarif douanier commun (JO L 256, p. 1), tel que modifié respectivement par les règlements (CE) nos 2031/2001 de la Commission, du 6 août 2001 (JO L 279, p. 1), et 1832/2002 de la Commission, du 1er août 2002 (JO L 290, p. 1, ci-après le «règlement n° 2658/87»).
2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d’un litige opposant le Staatssecretaris van Financiën à Marishipping and Transport BV (ci-après «Marishipping»), une société établie aux Pays-Bas, au sujet de la question de savoir si l’exonération des droits de douane accordée aux produits pharmaceutiques s’applique uniquement aux produits constitués de substances pharmaceutiques pures ou si elle est également applicable à des produits dans lesquels d’autres substances ont été ajoutées.
Le cadre juridique
3 L’annexe I, première partie, titre II, C, point 1, sous i), du règlement n° 2658/87, qui contient les règles applicables à l’exonération des droits de douane accordée aux produits pharmaceutiques relevant de certaines catégories, prévoit:
«L’exonération des droits de douanes est accordée aux produits pharmaceutiques des catégories suivantes:
i) produits pharmaceutiques couverts par les CAS RN (Chemical Abstracts Service Registry Numbers) et par les dénominations communes internationales (DCI) énumérées dans l’annexe 3».
4 L’annexe I, première partie, titre II, C, point 2, sous i), du règlement n° 2658/87 dispose:
«Cas particuliers:
i) Les DCI couvrent seulement les substances décrites dans les listes recommandées et proposées publiées par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Quand le nombre de substances couvertes par une DCI est inférieur à celui couvert par le CAS RN, seules les substances couvertes par la DCI sont exonérées».
5 Parmi les substances énumérées dans la liste des substances pharmaceutiques pouvant être admises au bénéfice d’une exonération des droits figure, notamment, le chitosane (polyglusam).
6 Tant le chitosane que l’acide ascorbique disposent respectivement d’une dénomination commune internationale et d’un numéro CAS individuels.
Les faits au principal et les questions préjudicielles
7 Au cours des années 2002 et 2003, Marishipping a présenté diverses déclarations de mise en libre pratique pour un produit désigné dans les déclarations comme de la «poudre absorbante» (ci-après la «marchandise»). La marchandise a été déclarée sous la position tarifaire 3913 90 80 de la nomenclature combinée. En 2002 et en 2003, l’importation de marchandises relevant de cette position était soumise à des droits de douane s’élevant respectivement à 7,6 % et 7,1 %. Dans ses déclarations, Marishipping se prévalait d’une exonération des droits de douane pour la marchandise et se référait à cet égard à l’annexe I du règlement n° 2658/87.
8 Après avoir contrôlé la marchandise, l’inspecteur des douanes a considéré que celle-ci, composée de 96 % de chitosane, de 3 % d’acide ascorbique et de 1 % d’acide tartrique, ne pouvait pas bénéficier de ladite exonération. Il a estimé que l’exonération des droits de douane prévue pour le chitosane est limitée à la substance pure et ne peut pas s’appliquer à une marchandise telle que celle en cause au principal. Partant, il a procédé au recouvrement a posteriori des droits de douane afférents auxdites importations.
9 Ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, les autres substances contenues dans la marchandise, à savoir l’acide ascorbique et l’acide tartrique, protègent le chitosane contre l’oxydation et ont été ajoutées à ce dernier afin d’en augmenter la durée de conservation. Ces deux acides n’ont pas d’influence sur l’efficacité du chitosane. La durée de conservation de celui-ci sous une forme pure peut également être augmentée en procédant à un emballage sous vide de la substance. La marchandise est destinée à être utilisée comme le composant principal pour la fabrication d’un produit qui est vendu comme produit d’amaigrissement.
10 Le Rechtbank te Haarlem, saisi en première instance du recours introduit par Marishipping contre les avis de mise en recouvrement des droits de douane pris par l’inspecteur des douanes, a jugé que ce recours n’était pas fondé. Cette société ayant interjeté appel de ce jugement devant le Gerechtshof te Amsterdam, ce dernier a considéré, dans un arrêt du 18 décembre 2007, que l’ajout de très faibles quantités d’acide ascorbique et d’acide tartrique en vue d’assurer une meilleure conservation de la substance principale ne faisait pas obstacle à l’application de l’exonération accordée aux produits pharmaceutiques. En conséquence, la juridiction d’appel a annulé ledit jugement ainsi que les avis de mise en recouvrement notifiés à Marishipping.
11 Dans son pourvoi en cassation, le Staatssecretaris van Financiën fait valoir que les dispositions pertinentes de l’annexe I du règlement n° 2658/87 ne permettent pas d’accorder l’exonération prévue par celles-ci à un produit pharmaceutique composé d’une substance pharmaceutique de base à laquelle ont été ajoutées d’autres substances pharmaceutiques, et ce quelle que soit la proportion des substances ajoutées.
12 La juridiction de renvoi relève que lesdites dispositions pertinentes ne prévoient pas explicitement que, afin de pouvoir bénéficier de l’exonération des droits de douane prévue à l’annexe I, première partie, titre II, C, point 1, sous i), du règlement n° 2658/87, les substances visées doivent se trouver à l’état pur. Toutefois, eu égard à la jurisprudence de la Cour, et plus particulièrement au point 13 de l’arrêt du 18 mars 1986, Ethicon (58/85, Rec. p. 1131), elle se demande s’il est possible d’ajouter à la substance active pharmaceutique d’autres substances et, dans l’affirmative, quelles sont les limites qu’il convient alors de respecter afin que la marchandise puisse encore bénéficier de l’exonération des droits de douane.
13 Dans ces conditions, le Hoge Raad der Nederlanden a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1) L’exonération des droits de douane pour les substances pharmaceutiques visées à l’annexe I du règlement (CEE) n° 2658/87 […], première partie, titre II, […] C, point 1, sous i), lue conjointement avec la liste des substances pharmaceutiques figurant dans la troisième partie (annexes), section II, annexe 3, est-elle limitée aux substances (chimiques) désignées se trouvant à l’état pur?
2) Si d’autres substances peuvent être ajoutées à la substance pharmaceutique indiquée, quelles sont les limites qui doivent être appliquées à cet égard?»
Sur les questions préjudicielles
Sur la première question
14 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la première partie, titre II, C, point 1, sous i), de l’annexe I du règlement n° 2658/87 doit être interprétée en ce sens qu’une substance pharmaceutique, figurant sur la liste des substances visées à l’annexe 3 de la troisième partie de cette même annexe I, à laquelle ont été ajoutées d’autres substances, notamment pharmaceutiques, peut encore bénéficier de l’exonération des droits de douane qui aurait été applicable si une telle substance s’était trouvée à l’état pur.
15 En vue de répondre à cette question, il y a lieu de relever que ni l’annexe I, première partie, titre II, C, point 1, sous i), du règlement n° 2658/87 ni l’annexe 3 de la troisième partie de la même annexe I ne prévoient explicitement que, afin de pouvoir bénéficier de l’exonération des droits de douane prévue à l’égard des produits pharmaceutiques énumérés à ladite annexe 3, ceux-ci doivent se trouver à l’état pur.
16 Il convient toutefois de préciser que la disposition prévoyant l’application d’une exonération des droits de douane constitue une exception au principe selon lequel les produits importés dans l’Union européenne sont, en règle générale, soumis aux droits de douane et, partant, elle doit, en tant que disposition dérogatoire, recevoir une interprétation stricte.
17 Dès lors, en l’absence d’indication expresse ou d’élément permettant de conclure que le législateur de l’Union a entendu faire bénéficier de l’exonération des droits de douane les substances pharmaceutiques énumérées à ladite annexe 3 qui, sous réserve des éventuelles impuretés résiduelles contenues dans ces substances, ne se présentent pas à l’état pur, le règlement n° 2658/87 ne saurait être interprété en ce sens que des substances pharmaceutiques auxquelles d’autres substances ont été ajoutées peuvent bénéficier de cette exonération.
18 Ne peuvent être considérées comme constituant de telles impuretés résiduelles des substances, telles que celle en cause au principal, qui ont été ajoutées, dans des quantités variables, à la substance de base et qui ne font pas partie, en tant que telles, de cette substance ou du produit à partir duquel celle-ci a été obtenue.
19 Il s’ensuit que le règlement n° 2658/87 doit être interprété en ce sens qu’une marchandise telle que celle en cause au principal, qui est composée d’une substance pharmaceutique de base, en l’espèce le chitosane, à laquelle ont été ajoutées d’autres substances (pharmaceutiques) ne saurait bénéficier de l’exonération des droits de douane prévue par ledit règlement.
20 Il importe de préciser, tout d’abord, que cette interprétation est corroborée, ainsi que l’a relevé notamment la Commission européenne, par les directives sur l’utilisation des DCI en ce qui concerne les substances pharmaceutiques. En effet, selon ces directives, les DCI sont, en principe, sélectionnées pour des substances individuelles bien définies qui peuvent être désignées sans ambiguïté par un nom (ou une formule) chimique, le programme DCI ayant pour principe de ne pas octroyer de noms pour des mélanges de substances.
21 Or, en l’espèce, il ressort du dossier que la DCI attribuée au chitosane ne couvre pas la marchandise puisque celle-ci comporte une part trop importante d’autres substances.
22 S’agissant des numéros CAS auxquels se réfère également l’annexe I, première partie, titre II, C, point 1, sous i), du règlement n° 2658/87, il y a lieu de préciser qu’il est également constant, ainsi que le gouvernement néerlandais et la Commission l’ont relevé, que tant le chitosane (CAS 9012‑76-4) que l’acide ascorbique (CAS 5081‑7) et l’acide tartrique (CAS 8769-4) disposent chacun d’un numéro d’identification CAS individuel et que leur mélange ne peut être identifié à l’aide d’un seul numéro CAS.
23 Ensuite, l’interprétation donnée au point 19 du présent arrêt est conforme au principe selon lequel les dispositions relatives aux suspensions et aux exonérations des droits de douane doivent correspondre aux exigences de la sécurité juridique et tenir compte des difficultés auxquelles doivent faire face les administrations douanières nationales en raison de l’ampleur et de la complexité des tâches qu’elles ont à accomplir (voir, en ce sens, arrêts Ethicon, précité, point 12, et du 3 décembre 1998, Schoonbroodt, C‑247/97, Rec. p. I‑8095, point 23).
24 En effet, si l’exigence selon laquelle les substances pharmaceutiques doivent, afin de pouvoir bénéficier de l’exonération des droits de douane prévue à l’annexe I, première partie, titre II, C, point 1, sous i), du règlement n° 2658/87, en principe se présenter à l’état pur ne dispense certes pas les autorités douanières de procéder, le cas échéant, à l’analyse chimique d’un échantillon d’une marchandise importée, il n’en demeure pas moins que, lors de cette analyse, lesdites autorités pourront se borner à rechercher si cette marchandise est effectivement composée de manière exclusive d’une substance figurant sur la liste des substances pharmaceutiques pouvant bénéficier de l’exonération en question, sans qu’elles soient tenues d’identifier les autres substances contenues dans cette marchandise ni de déterminer quelle est leur part dans la composition de celle-ci.
25 Enfin, ladite interprétation est celle qui est la plus apte à garantir une application uniforme des dispositions du règlement n° 2658/87 dans la mesure où elle ne laisse qu’une marge d’appréciation limitée aux autorités douanières nationales pour déterminer si une substance pharmaceutique se trouve ou non à l’état pur.
26 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question que l’annexe I, première partie, titre II, C, point 1, sous i), du règlement n° 2658/87 doit être interprétée en ce sens qu’une substance pharmaceutique, figurant sur la liste des substances visées à l’annexe 3 de la troisième partie de la même annexe I, à laquelle ont été ajoutées d’autres substances, notamment pharmaceutiques, ne peut plus bénéficier de l’exonération des droits de douane qui aurait été applicable si une telle substance s’était trouvée à l’état pur.
Sur la seconde question
27 Eu égard à la réponse apportée à la première question, il n’y a pas lieu de répondre à la seconde question.
Sur les dépens
28 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit:
L’annexe I, première partie, titre II, C, point 1, sous i), du règlement (CEE) n° 2658/87 du Conseil, du 23 juillet 1987, relatif à la nomenclature tarifaire et statistique et au tarif douanier commun, tel que modifié respectivement par les règlements (CE) nos 2031/2001 de la Commission, du 6 août 2001, et 1832/2002 de la Commission, du 1er août 2002, doit être interprétée en ce sens qu’une substance pharmaceutique, figurant sur la liste des substances visées à l’annexe 3 de la troisième partie de la même annexe I, à laquelle ont été ajoutées d’autres substances, notamment pharmaceutiques, ne peut plus bénéficier de l’exonération des droits de douane qui aurait été applicable si une telle substance s’était trouvée à l’état pur.
Signatures
* Langue de procédure: le néerlandais.