CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

MME ELEANOR SHARPSTON

présentées le 27 octobre 2011 ( 1 )

Affaires jointes C‑113/10, C‑147/10 et C‑234/10

Zuckerfabrik Jülich AGcontreHauptzollamt Aachen,

British Sugar plccontreRural Payments Agency

et

TereoscontreDirecteur général des douanes et droits indirects

[demandes de décision préjudicielle formées par, respectivement, le Finanzgericht Düsseldorf (Allemagne), la High Court of Justice (England & Wales) (Chancery Division) (Royaume-Uni) et le tribunal de grande instance de Nanterre (France)]

«Sucre — Détermination du montant des cotisations à la production — Restitutions à l’exportation — Calcul de la perte moyenne par tonne — Inclusion d’un montant théorique au titre de quantités exportées sans donner lieu à restitution — Remboursement de montants perçus en application de règlements déclarés invalides — Taux de change applicable — Intérêts»

1. 

Les présentes demandes de décision préjudicielle concernent les campagnes de commercialisation du sucre de 2001 à 2006; à cette époque, la production de sucre dans l’Union européenne excédait la consommation et les prix y étaient considérablement plus élevés que sur le marché mondial. En conséquence de cette situation, des quotas étaient alloués aux producteurs. Les quantités produites dans le cadre de certains quotas pouvaient être exportées en bénéficiant de restitutions financées au moyen de cotisations à la production. Dans le cadre du calcul de ces cotisations, il fallait, pour chaque campagne de commercialisation, multiplier l’«excédent exportable» par la «perte moyenne par tonne». Ladite perte moyenne était obtenue en divisant le «montant total des restitutions» par le tonnage total des «engagements à l’exportation à réaliser» pour la campagne de commercialisation concernée.

2. 

La principale question qui se pose dans ces affaires est celle de la définition du «montant total des restitutions» dans ce contexte. L’incertitude sur ce point est due au fait que, pour certaines quantités contenues dans des produits transformés exportés, les restitutions à l’exportation, auxquelles elles ouvraient droit, n’ont jamais été demandées, ni payées.

3. 

Dans les règlements fixant les montants des cotisations à la production au titre des campagnes de commercialisation 2003 à 2006, la Commission européenne a inclus ces quantités dans l’«excédent exportable», mais non dans les «engagements à l’exportation à réaliser». Interrogée au sujet de la validité de ce mode de calcul, la Cour a jugé en 2008, dans l’arrêt Zuckerfabrik Jülich e.a. ( 2 ) (ci-après l’«arrêt Jülich I»), que toutes les quantités exportées auraient dû être prises en compte dans les deux cas, que des restitutions aient ou non été payées, et que les règlements en cause étaient de ce fait invalides. Elle ne s’est, en revanche, pas prononcée sur la question de savoir si le «montant total des restitutions» aurait pareillement dû inclure toutes les restitutions susceptibles d’être octroyées, qu’elles aient été payées ou non, ou uniquement les restitutions effectivement payées.

4. 

En 2009, la Commission a adopté un nouveau règlement, rectifiant les règlements déclarés invalides. Dans ses calculs, elle a inclus dans le «montant total des restitutions» toutes les restitutions susceptibles d’être octroyées, qu’elles aient été payées ou non. Les montants des cotisations à la production ainsi recalculées diffèrent peu de ceux initialement fixés, mais sont plus élevés qu’ils ne l’auraient été si seules les restitutions effectivement payées avaient été prises en compte pour le «montant total des restitutions».

5. 

Plusieurs producteurs ont contesté tant le mode de calcul que la base juridique du nouveau règlement et trois juridictions nationales ont demandé à la Cour de se prononcer sur sa validité. L’une de ces juridictions pose également la question, concernant des remboursements dont il est acquis qu’ils sont dus, de savoir à quelle date il convient de se placer aux fins de déterminer le taux de change applicable et si le juge peut assortir d’intérêts le remboursement du trop-perçu.

Contexte juridique et procédural

La législation en matière de ressources propres

6.

Au cours de la période qui nous intéresse, les ressources propres des Communautés européennes étaient régies par la décision 2000/597 du Conseil ( 3 ) (ci-après la «décision sur les ressources propres») et par le règlement no 1150/2000 du Conseil ( 4 ) (ci-après le «règlement sur les ressources propres»).

7.

Selon l’article 2, paragraphe 1, sous a), de la décision sur les ressources propres, les recettes provenant, entre autres, «des cotisations et autres droits prévus dans le cadre de l’organisation commune des marchés dans le secteur du sucre» constituaient des ressources propres inscrites au budget de l’Union européenne.

8.

Son article 2, paragraphe 3, disposait: «Les États membres retiennent, à titre de frais de perception, 25 % des montants visés au paragraphe 1, point[…] a) […]».

9.

L’article 6 de ladite décision énonçait: «Les recettes visées à l’article 2 sont utilisées indistinctement pour financer toutes les dépenses inscrites au budget […]».

10.

L’article 8, paragraphe 1, de cette même décision précisait: «Les ressources propres des Communautés visées à l’article 2, paragraphe 1, point[…] a) […], sont perçues par les États membres conformément aux dispositions législatives, réglementaires et administratives nationales […]».

11.

En vertu de l’article 9, paragraphe 1, du règlement sur les ressources propres, chaque État membre devait ouvrir un compte au nom de la Commission auprès de son trésor ou d’un autre organisme désigné à cet effet et inscrire les ressources propres au crédit de ce compte.

12.

L’article 11, paragraphe 1, de ce même règlement disposait: «Tout retard dans les inscriptions au compte visé à l’article 9, paragraphe 1, donne lieu au paiement, par l’État membre concerné, d’intérêts de retard» ( 5 ).

Le règlement de base

13.

Le règlement no 1260/2001 du Conseil ( 6 ) (ci-après le «règlement de base») réglementait l’organisation commune des marchés dans le secteur du sucre à compter de la campagne de commercialisation 2001/2002 jusqu’à celle de 2005/2006. Il a été abrogé et remplacé avec effet au 1er juillet 2006 ( 7 ).

14.

Les considérants dudit règlement déclaraient notamment:

«(9)

Les raisons qui ont conduit jusqu’ici la Communauté à retenir […] un régime de quotas de production restent toujours fondées […]. Toutefois, des aménagements ont été apportés à celui-ci […] pour doter la Communauté des instruments nécessaires pour assurer de façon juste mais efficace le financement intégral par les producteurs eux-mêmes des charges à l’écoulement des excédents résultant du rapport entre la production de la Communauté et sa consommation […].

[…]

(11)

L’organisation commune des marchés dans le secteur du sucre repose, d’une part, sur le principe de la responsabilité financière intégrale des producteurs pour chaque campagne de commercialisation pour les pertes dues à l’écoulement des excédents de production communautaire dans le cadre des quotas par rapport à la consommation intérieure […].

(12)

[…] Il est souhaitable de maintenir le système de l’autofinancement par les cotisations à la production du secteur et le régime des quotas de production.

(13)

Ainsi le principe de la responsabilité financière restera assuré par les contributions des producteurs qui s’effectuent par la perception d’une cotisation à la production de base s’appliquant à toute la production de sucre A et B [ ( 8 )] mais limitée à 2 % du prix d’intervention du sucre blanc, et une cotisation B affectant la production de sucre B dans la limite maximale de 37,5 % de ce dernier prix. […] Ces limites ne permettent pas dans les conditions précitées d’atteindre l’objectif d’un autofinancement du secteur par campagne. Il convient dès lors de prévoir dans ce cas la perception d’une cotisation complémentaire [ ( 9 )].

(14)

[…] À cette fin, il y a lieu de déterminer un coefficient valable pour toute la Communauté qui représente pour cette même campagne le rapport entre, d’une part, la perte globale constatée et, d’autre part, l’ensemble des recettes dégagées par les cotisations à la production en cause. […]»

15.

Le règlement de base mettait ainsi en place le financement par les producteurs, par le biais des cotisations à la production, des frais occasionnés à l’Union du fait de l’écoulement de la production excédentaire.

16.

L’article 7, paragraphe 3, dudit règlement accordait des restitutions à la production pour le sucre originaire des États membres ou en libre circulation dans l’Union qui était utilisé dans la fabrication de certains produits de l’industrie chimique. La fixation du montant de la restitution s’effectuait compte tenu du coût d’approvisionnement sur le marché mondial.

17.

Les articles 27 à 29 de ce même règlement prévoyaient, pour certains produits du secteur du sucre, des restitutions à l’exportation reflétant la différence entre le prix du marché mondial et le prix constaté sur le marché de la Communauté. Inversement, son article 33 prévoyait un prélèvement à l’exportation dans le cas où le prix du sucre sur le marché mondial dépassait le prix d’intervention. Dans la pratique, c’étaient toujours les prix mondiaux qui étaient les plus bas et, par conséquent, toutes les exportations de sucre A et de sucre B ouvraient droit à des restitutions et aucun prélèvement à l’exportation n’a été perçu.

18.

En ce qui concerne le calcul du montant des cotisations à la production, l’article 15 du règlement de base disposait ( 10 ):

«1.   Avant la fin de chaque campagne de commercialisation, il est constaté:

a)

la quantité prévisible de sucre A et B […] produite au compte de la campagne en cours;

b)

la quantité prévisible de sucre […] écoulée pour la consommation à l’intérieur de la Communauté [ ( 11 )] pendant la campagne en cours;

c)

l’excédent exportable en diminuant la quantité visée au point a) de la quantité visée au point b);

d)

la perte moyenne prévisible ou la recette moyenne prévisible par tonne de sucre pour les engagements à l’exportation à réaliser au titre de la campagne en cours [ ( 12 )].

Cette perte moyenne ou cette recette moyenne est égale à la différence entre le montant total des restitutions et le montant total des prélèvements [ ( 13 )] rapportés au tonnage total des engagements à l’exportation en cause;

e)

la perte globale prévisible ou la recette globale prévisible, en multipliant l’excédent visé au point c) par la perte moyenne ou la recette moyenne visées au point d).

2.   Avant la fin de la campagne de commercialisation 2005/2006 […], il est constaté cumulativement pour les campagnes de commercialisation 2001/2002 à 2005/2006:

a)

l’excédent exportable établi en fonction de la production définitive de sucre A et B, […] d’une part, et de la quantité définitive de sucre […] écoulée pour la consommation à l’intérieur de la Communauté, d’autre part;

b)

la perte moyenne ou la recette moyenne par tonne de sucre résultant de la totalité des engagements à l’exportation en cause établie en suivant la règle de calcul visée au paragraphe 1, point d), deuxième alinéa;

c)

la perte globale ou la recette globale en multipliant l’excédent visé au point a) par la perte moyenne ou la recette moyenne visées au point b);

d)

la somme globale des cotisations à la production de base et des cotisations B perçues.

La perte globale prévisible ou la recette globale prévisible visées au paragraphe 1, point e), est ajustée en fonction de la différence entre les constatations visées aux points c) et d).

3.   Lorsque les constatations visées au paragraphe 1 aboutissent, après ajustement conformément au paragraphe 2 […], à une perte globale prévisible, celle-ci est divisée par la quantité prévisible de sucre A et B […] produite au compte de la campagne en cours. Le montant qui en résulte est à percevoir des fabricants en tant que cotisation à la production de base sur leurs productions de sucre A et B […].

[…]

4.   Lorsque le plafonnement de la cotisation à la production de base ne permet pas de couvrir intégralement la perte globale visée au paragraphe 3, premier alinéa, le solde restant est divisé par la quantité prévisible de sucre B […] produite au compte de la campagne concernée. Le montant qui en résulte est à percevoir des fabricants en tant que cotisation B sur leurs productions de sucre B […].

[…]

5.   Lorsque, sur la base des constatations visées au paragraphe 1, il résulte que, en raison du plafonnement de la cotisation à la production de base et de celui de la cotisation B fixés aux paragraphes 3 et 4, la perte globale prévisible de la campagne de commercialisation en cours risque de ne pas être couverte par la recette attendue de ces cotisations, le pourcentage maximal visé au paragraphe 4, premier tiret, est révisé dans la mesure nécessaire pour couvrir ladite perte globale sans pouvoir dépasser 37,5 %.

[…]

6.   Toutes les pertes résultant de l’octroi de restitutions à la production visées à l’article 7, paragraphe 3, sont prises en compte pour l’établissement de la perte globale visée au paragraphe 1, point e).

7.   Les cotisations visées au présent article sont perçues par les États membres.

8.   Sont arrêtées, selon la procédure prévue à l’article 42, paragraphe 2, les modalités d’application du présent article et notamment:

les montants de cotisations à percevoir,

[…]»

19.

L’article 16 du règlement de base prévoyait qu’une cotisation complémentaire était perçue si les cotisations visées à son article 15, paragraphes 3, 4 et 5, ne couvraient pas entièrement la perte constatée pour la campagne concernée. L’article 16, paragraphe 5, du règlement de base prévoyait que les modalités d’application de cette cotisation complémentaires seraient arrêtées selon la procédure prévue à son article 42, paragraphe 2.

Le règlement d’application

20.

Sur la base, entre autres, des articles 15, paragraphe 8, et 16, paragraphe 5, du règlement de base, la Commission a adopté le règlement no 314/2002 ( 14 ) (ci-après le «règlement d’application»), lequel réglementait (entre autres) la détermination de la quantité de sucre écoulée pour la consommation à l’intérieur de la Communauté au sens de l’article 15, paragraphes 1, sous b), et 2, sous a), du règlement de base, et la définition des engagements à l’exportation au sens de l’article 15, paragraphe 1, sous d), du règlement de base.

21.

Conformément à l’article 6, paragraphe 4, du règlement d’application, tel que modifié, il convenait de calculer la quantité écoulée pour la consommation à l’intérieur de la Communauté comme étant i) la somme des quantités stockées au début de la campagne, des quantités produites sous quotas A et B, des quantités importées en l’état et des quantités contenues dans les produits transformés importés, moins ii) la somme des quantités exportées en l’état, des quantités contenues dans les produits transformés exportés, des quantités stockées à la fin de la campagne et des quantités ayant fait l’objet d’un titre de restitutions à la production en application de l’article 7, paragraphe 3, du règlement de base (il s’agit là des quantités utilisées dans l’industrie chimique).

22.

L’article 6, paragraphe 5, du règlement d’application définissait les «engagements à l’exportation au titre de la campagne de commercialisation en cours» comme étant, en substance: toutes les quantités de sucre à exporter en l’état avec restitutions ou prélèvements à l’exportation fixés a) par voie d’adjudications ouvertes pour ladite campagne ou b) sur la base de certificats d’exportation délivrés pendant ladite campagne; c) toutes les exportations prévisibles sous forme de produits transformés avec restitutions ou prélèvements à l’exportation fixés à cette fin pendant ladite campagne; d) les quantités pour lesquelles des titres de restitution à la production ont été délivrés en application de l’article 7, paragraphe 3, du règlement de base au cours de ladite campagne, et e) l’aide alimentaire.

23.

Les articles 6 et 7 du règlement d’application prévoyaient également que des acomptes sur les cotisations à la production seraient versés avant la fin de la campagne de commercialisation, sur la base de prévisions. Le septième considérant dudit règlement expliquait: «Les cotisations à la production prévues à l’article 15 du règlement [de base] ne peuvent être établies qu’après la fin de la campagne de commercialisation compte tenu du fait que les engagements à l’exportation de sucre se font pour une grande part au cours du second semestre de ladite campagne et que les données servant à établir les cotisations à la production sont donc seulement disponibles à ce moment. Dès lors, afin de mettre en œuvre le plus tôt possible la responsabilité financière des producteurs, il convient de prévoir le paiement, bien avant la fin de la campagne de commercialisation, d’acomptes sur cotisations calculés sur la base de prévisions. […] La fixation des montants des cotisations et donc leur perception ne doivent pouvoir intervenir qu’une fois connues les données les plus exactes possibles, en particulier celles concernant la consommation».

Résumé de la formule de calcul

24.

Les présentes demandes de décision préjudicielle concernent le point de départ du calcul des cotisations à la production, à savoir la «perte globale» pour chaque campagne de commercialisation.

25.

Conformément aux dispositions reproduites ci-dessus, la «perte globale» consistait, pour chacune des campagnes en cause, en l’«excédent exportable» multiplié par la «perte moyenne par tonne».

26.

L’«excédent exportable» était, en substance, constitué par la production A et B moins la consommation intérieure. Il représentait, par conséquent, uniquement la production A et B excédentaire au cours de la campagne. En outre, non seulement le sucre C (la partie de la production de l’Union qui dépassait les quotas A et B) devait être exporté sans restitutions, mais les stocks de sucre A et B, tout comme certaines catégories de sucre importé, pouvaient être exportés en bénéficiant de restitutions.

27.

La consommation intérieure était calculée en soustrayant la somme des quantités que l’on savait ne pas avoir été consommées (en substance: exportations, quantités utilisées dans l’industrie chimique et stocks de sucre A et B à la fin de la campagne de commercialisation) de la somme des quantités que l’on savait avoir été disponibles à la consommation (en substance: stocks de sucre A et B au début de la campagne de commercialisation, production A et B au cours de la campagne et importations).

28.

La «perte moyenne par tonne» était obtenue en divisant le «montant total des restitutions» par le «tonnage total des engagements à l’exportation». Il s’agissait donc d’une fraction, dont le «montant total des restitutions» constituait le numérateur et le «tonnage total des engagements à l’exportation» le dénominateur.

29.

La principale question qui se pose dans les présentes affaires est de savoir si le numérateur («montant total des restitutions») de cette fraction doit inclure des restitutions qui n’ont pas été demandées, alors que les exportations concernées pouvaient en bénéficier; il est acquis que le dénominateur («tonnage total des engagements à l’exportation») inclut toutes les quantités ouvrant droit à restitution, que la restitution ait été demandée ou non.

Les cotisations initialement fixées et leur remise en cause

30.

À compter de 2003, lors de la fixation annuelle du montant des cotisations, la Commission interprétait «engagements à l’exportation» comme comprenant uniquement les quantités au titre desquelles des restitutions avaient réellement été payées (mais non celles au titre desquelles des restitutions auraient pu être demandées, mais n’avaient pas été payées). Cela avait pour effet de réduire le dénominateur de la fraction décrite au point 28 ci-dessus et, par voie de conséquence, d’accroître la «perte moyenne par tonne». En même temps, toutefois, la Commission déduisait toutes les quantités contenues dans des produits transformés exportés de la quantité disponible à la consommation dans l’Union (que des restitutions aient effectivement été payées ou non). Le résultat en était que les calculs, décrits aux points 26 et 27 ci-dessus, aboutissaient à une «quantité prévisible écoulée pour la consommation à l’intérieur de la Communauté» plus petite et à un «excédent exportable» plus important que cela n’aurait autrement été le cas. Lorsque l’«excédent exportable» était, ensuite, multiplié par la «perte moyenne par tonne», la «perte globale» était de ce fait plus élevée, ce qui, à son tour, faisait augmenter le montant des cotisations à la production. L’effet était, semble-t-il, appréciable, puisque, dans de nombreux cas, les producteurs de sucre ne demandaient pas à bénéficier de restitutions à l’exportation pour du sucre contenu dans des produits transformés exportés.

31.

Les cotisations à la production pour les campagnes de commercialisation 2001/2002, 2002/2003, 2003/2004 et 2004/2005 ont été fixées, respectivement, par les règlements nos 1837/2002, 1762/2003, 1775/2004 et 1686/2005 ( 15 ). Des contestations quant au calcul de ces cotisations ont donné lieu à plusieurs renvois préjudiciels devant la Cour.

32.

Le 5 mai 2008, la Cour a rendu son arrêt dans l’affaire Jülich I, précitée. Elle a jugé que, aux fins de l’article 15, paragraphe 1, sous c) et d), du règlement de base, toutes les quantités de produits exportées relevant de cet article devaient être prises en compte en vue de la détermination tant de l’«excédent exportable» (où elles devaient être déduites de la consommation) que de la «perte moyenne par tonne de produit», que des restitutions aient ou non été effectivement payées.

33.

L’«excédent exportable», a observé la Cour, était constitué de la différence entre la production de sucre A et B de l’Union et la consommation intérieure. Cette consommation n’avait donc pas vocation à inclure des produits exportés, qu’ils eussent ou non bénéficié de restitutions à l’exportation. Or, si les quantités exportées sans restitutions étaient incluses dans la consommation intérieure, cette dernière serait surévaluée et l’excédent exportable serait sous-estimé, ce qui engendrerait le risque que l’objectif d’assurer le financement par les producteurs eux-mêmes des charges à l’écoulement des excédents ne fût pas atteint ( 16 ).

34.

En ce qui concerne la «perte moyenne par tonne», la Cour a estimé que la notion d’«engagements à l’exportation à réaliser» [le dénominateur de la fraction mentionnée au point 28 ci-dessus, défini à l’article 15, paragraphe 1, sous d), du règlement de base] ne pouvait pas être interprétée, de manière cohérente avec l’article 22, paragraphe 1, de ce règlement (en vertu duquel toute exportation était soumise à la présentation d’un certificat d’exportation, lui-même subordonné à la constitution d’une garantie assurant que l’exportation aurait lieu pendant la durée de validité du certificat ( 17 )), comme limitée aux engagements au titre desquels des restitutions à l’exportation avaient effectivement été payées. Elle a rejeté l’argument avancé par la Commission, selon lequel cette limitation, en augmentant le montant des cotisations à la production, pourrait dissuader de la formation d’excédents, en soulignant que le calcul ne devait pas aller au-delà de l’objectif d’un autofinancement juste des charges par les producteurs ( 18 ).

35.

La Cour a, dès lors, jugé que les règlements nos 1762/2003 et 1775/2004 étaient invalides, dans la mesure où ils ne prenaient en compte, pour calculer la «perte moyenne par tonne», que les exportations assorties de restitutions. En revanche, l’examen du règlement no 1837/2002 n’avait pas révélé l’existence d’éléments de nature à en affecter la validité, dans la mesure où il avait pris en compte l’ensemble des quantités exportées sous la forme de produits transformés, que ces exportations eussent ou non effectivement bénéficié de restitutions.

36.

La Cour ne s’est pas prononcée — et il ne lui avait pas été demandé de le faire — sur le point de savoir si, pour le calcul du «montant total des restitutions», il aurait également fallu prendre en compte l’ensemble des quantités exportées sous la forme de produits transformés, que des restitutions aient effectivement été payées ou non.

37.

Par la suite, la Cour a jugé dans l’affaire SAFBA e.a. ( 19 ), d’une part, que l’article 6, paragraphe 4, du règlement d’application n’était pas invalide en ce qu’il ne prévoyait pas, pour le calcul des cotisations à la production, d’exclure de l’«excédent exportable» les quantités contenues dans des produits transformés exportés pour lesquelles aucune restitution à l’exportation n’avait été octroyée et, d’autre part, que le règlement no 1686/2005 était invalide dans la mesure où il ne respectait pas la méthode de calcul approuvée dans l’arrêt Jülich I.

Le règlement contesté

38.

La Commission n’a pas adopté immédiatement de nouvelles mesures pour se conformer à l’arrêt de la Cour. Des procédures ont été introduites devant plusieurs juridictions nationales en vue d’obtenir le remboursement des cotisations payées en application des règlements déclarés invalides. Dans un certain nombre de cas, les juges ont ordonné le remboursement de la partie des cotisations qui a été jugée avoir été trop perçue. La Commission, ayant connaissance de ces décisions, a estimé que les juridictions et autorités nationales tiraient des conclusions erronées de l’arrêt Jülich I. En janvier 2009, elle a informé les États membres de ce qu’elle était en train de rédiger un nouveau règlement, qui préciserait les bons montants des cotisations pour les campagnes de commercialisation concernées et qu’elle les informerait en temps utile de la marche à suivre. Le projet a été discuté au sein du comité de gestion compétent au cours des mois de septembre et d’octobre 2009. Le comité était cependant réticent à accepter les calculs sur lesquels se basait la Commission et un grand nombre d’États membres souhaitait utiliser d’autres chiffres, qui avaient été proposés par la Présidence.

39.

En substance, la Commission a calculé le «montant total des restitutions» en multipliant la somme totale des exportations pertinentes, qu’elles aient ou non donné lieu au paiement d’une restitution, par le montant moyen de la restitution due pour de telles exportations; le numérateur et le dénominateur de la fraction mentionnée au point 28 ci-dessus reflétaient ainsi tous deux le montant total des exportations ouvrant droit à restitution. Le calcul de la Présidence, en revanche, incluait dans le numérateur uniquement le montant des restitutions effectivement payées, le dénominateur restant inchangé. Ce calcul aboutissait à tant une «perte globale» que, par conséquent, un montant des cotisations à la production inférieurs ( 20 ).

40.

Le Conseil de l’Union européenne n’est cependant pas parvenu à adopter un règlement différent dans les délais requis ( 21 ). Par conséquent, la Commission a adopté le projet, tel qu’il avait été proposé, en tant que règlement no 1193/2009 ( 22 ) (ci-après le «règlement contesté»), fixant de nouvelles cotisations à la production tant pour les campagnes concernées par les règlements déclarés invalides que pour la campagne de commercialisation 2005/2006, pour laquelle la même méthode de calcul avait été utilisée ( 23 ).

41.

Les textes cités dans le préambule du règlement contesté à titre de base juridique étaient le traité CE ainsi que le règlement de base, et notamment ses articles 15, paragraphe 8, premier tiret, et 16, paragraphe 5.

42.

Les cinquième et sixième considérants du règlement contesté déclarent:

«(5)

Dans son arrêt du 8 mai 2008 dans les affaires jointes C‑5/06 et C‑23/06 à C‑36/06, la Cour a conclu que l’examen du règlement (CE) no 1837/2002 de la Commission du 15 octobre 2002 fixant, pour la campagne de commercialisation 2001/2002, les montants des cotisations à la production ainsi que le coefficient de la cotisation complémentaire dans le secteur du sucre n’avait pas révélé l’existence d’éléments de nature à en affecter la validité. Pour fixer les montants des cotisations à la production, [...] la Commission [avait] détermin[é] la perte moyenne sur la base des quantités totales de sucre exportées sous la forme de produits transformés, qu’elles [aient] ou non [bénéficié] des restitutions.

(6)

Il est dès lors opportun que la Commission fixe les montants des cotisations à la production, y compris, si nécessaire, un coefficient pour la cotisation complémentaire, en utilisant la même méthode de calcul que celle utilisée pour la campagne de commercialisation 2001/2002.»

43.

Les articles 1er à 4 du règlement contesté fixent les nouveaux montants des cotisations, en remplacement de ceux précédemment fixés dans les règlements concernés. Parmi les vingt et une cotisations concernées, douze sont restées inchangées, six sont légèrement inférieures et trois légèrement supérieures aux montants précédemment calculés.

44.

Selon l’article 6 du règlement contesté, les articles 1er à 4 s’appliquent à compter des dates d’entrée en vigueur respectives des différents règlements dont ils remplacent les dispositions.

La remise en cause du règlement contesté et les questions soumises à la Cour

L’affaire Zuckerfabrik Jülich (C‑113/10)

45.

La société Zuckerfabrik Jülich AG (ci-après «Jülich») est un producteur de sucre allemand. Sa contestation des cotisations au titre des campagnes de commercialisation 2002/3003, 2004/2005 et 2005/2006 en vertu des règlements nos 1762/2003, 1686/2005 et 164/2007 a abouti à l’arrêt Jülich I. Consécutivement à l’adoption du règlement contesté, l’agence nationale a établi les nouvelles cotisations à la production pour les campagnes de commercialisation concernées. Jülich a alors contesté les avis fixant le montant de ces cotisations devant le Finanzgericht (tribunal des finances) Düsseldorf, invoquant que le règlement contesté était invalide.

46.

Le Finanzgericht relève que la Commission a recalculé le montant total des restitutions pour les campagnes de commercialisation en cause en y incluant des restitutions fictives pour des exportations au titre desquelles aucune restitution n’a été payée. Il s’interroge sur la compatibilité de ce nouveau calcul des montants des cotisations avec le principe de non-rétroactivité en droit de l’Union, dans la mesure où il va au-delà des conditions imposées par l’arrêt Jülich I et s’applique à des campagnes de commercialisation déjà achevées.

47.

Le Finanzgericht Düsseldorf a, dès lors, demandé à la Cour de statuer, à titre préjudiciel, sur la question: «Le [règlement contesté] est-il valide?»

L’affaire British Sugar (C‑147/10)

48.

La société British Sugar plc (ci-après «British Sugar»), fabricant de produits dans le secteur du sucre, réclame le remboursement du montant, majoré des intérêts, des cotisations à la production qu’elle affirme avoir payé en trop à l’agence nationale compétente au titre des campagnes de commercialisation 2002/2003 à 2005/2006. En se fondant sur l’arrêt Jülich I, elle a calculé que ce montant s’élevait approximativement à 12531000 euros, hors intérêts. Elle soutient, en premier lieu, que le règlement contesté est entaché du même vice fondamental que les règlements nos 1762/2003, 1775/2004 et 1686/2005. La méthode de calcul appliquée, notamment en ce qui concerne la «perte moyenne par tonne», se fonde sur des pertes fictives, occasionnées par des restitutions à l’exportation théoriquement disponibles, mais qui n’ont jamais été effectivement payées. Cela a pour effet d’accroître la «perte globale». En deuxième lieu, estime British Sugar, le règlement contesté est également invalide dans la mesure où il exige que les remboursements dans des monnaies autres que l’euro soient effectués au taux de change qui était en vigueur au moment où la cotisation a été initialement calculée, et non au moment du remboursement. British Sugar réclame, enfin, des intérêts sur les sommes à rembourser. Elle a, dès lors, porté l’affaire devant la High Court of Justice (England & Wales).

49.

L’agence nationale fait valoir que le règlement contesté établit désormais la formule légale de calcul du remboursement dû à British Sugar et qu’il a un caractère obligatoire. Suivant ce mode de calcul, le montant dû s’élève à 366590,79 GBP. L’agence avance que la Cour a avalisé la méthode du règlement no 1837/2002, dans la mesure où elle ne l’a pas déclaré invalide. Le règlement contesté suit la même méthode et est dès lors pareillement valide. Le taux de change approprié est celui qui était en vigueur lors de la détermination des cotisations à la production initiales. Enfin, l’agence nationale estime qu’il n’y a pas lieu d’octroyer des intérêts à British Sugar. À tout remboursement correspondra un remboursement par la Commission à l’agence conformément au système des ressources propres de l’Union. Il n’existe pas de base juridique dans la législation relative aux ressources propres qui permette aux États membres de récupérer auprès de la Commission les intérêts et le même principe doit s’appliquer à tout remboursement en faveur de British Sugar.

50.

Dans ces conditions, la High Court of Justice (Chancery Division) a demandé à la Cour de se prononcer à titre préjudiciel sur les questions suivantes:

«1)

Le [règlement contesté] est-il invalide à la lumière de [l’arrêt Jülich I et de l’ordonnance SAFBA e.a.]?

2)

Le [règlement contesté] est-il invalide au regard de la base juridique en vertu de laquelle il a été adopté, à savoir le [règlement de base]?

3)

Pour calculer l’indemnité payable au titre des paiements excédentaires de cotisations à la production de sucre pour les campagnes de commercialisation 2002/2003, 2003/2004, 2004/2005 et 2005/2006, le taux de change applicable et la date de conversion doivent-ils être déterminés par le droit de l’Union? Si tel est le cas, l’article 6 du [règlement contesté] doit-il être interprété en ce sens qu’il exige que l’indemnité soit versée en fonction du taux de change en vigueur au moment où le trop-perçu de cotisations a été initialement calculé? S’il en est ainsi, l’article 6 du [règlement contesté] est-il valide?

4)

En ce qui concerne les intérêts:

i)

Le droit de l’Union s’oppose-t-il à ce qu’une personne qui se trouve dans la situation de la requérante puisse récupérer, auprès de l’autorité nationale compétente pour percevoir les cotisations à la production, les intérêts sur les sommes payées en trop en conséquence d’un règlement de la Commission jugé invalide, lorsque ladite autorité nationale ne peut recouvrer les intérêts sur les sommes correspondantes qui lui sont dues par la Commission?

ii)

En cas de réponse affirmative à la question i) ci-dessus, la législation de l’Union concernant les ressources propres [décision 2000/597/CE, Euratom et son règlement d’application (CE) no 1150/2000] s’oppose-t-elle à ce que l’autorité nationale compétente pour percevoir les cotisations à la production puisse recouvrer les intérêts sur les sommes qui lui sont dues par la Commission dans les circonstances de l’espèce?

iii)

En cas de réponse négative à la question i) ci-dessus, le droit de l’Union s’oppose-t-il à ce qu’un juge national ou une autorité nationale exercent leur éventuel pouvoir d’appréciation en décidant de ne pas accorder des intérêts dans de telles circonstances lorsqu’ils octroient un remboursement à une personne qui se trouve dans la situation de la requérante?»

L’affaire Tereos (C‑234/10)

51.

Estimant avoir payé un montant trop élevé au titre des cotisations dues en vertu du règlement no 1686/2005, la société Tereos, un producteur de sucre français, en a sollicité le remboursement partiel auprès de l’agence nationale compétente, le 2 mai 2007. N’ayant pas reçu de réponse à sa réclamation, Tereos a saisi le tribunal de grande instance de Nanterre, invoquant l’invalidité du règlement no 1686/2005 et demandant le remboursement d’un montant de 11600782 euros. Après l’adoption du règlement contesté, Tereos a demandé à la juridiction de renvoi de saisir la Cour à titre préjudiciel au sujet de sa validité au regard de l’article 15 du règlement de base et d’ordonner le remboursement, à Tereos, de la somme réclamée, assortie des intérêts de droit.

52.

La juridiction de renvoi observe que, dans le règlement contesté, la Commission n’a pas recalculé le montant de la cotisation à la production en appliquant strictement la méthode de calcul issue de l’article 15 du règlement de base tel qu’interprété par la Cour dans l’arrêt Jülich I, mais a utilisé celle qui avait été appliquée pour la campagne 2001/2002, la Cour ayant indiqué que l’examen du règlement no 1837/2002 n’avait pas révélé l’existence d’éléments de nature à en affecter la validité.

53.

Elle a donc sursis à statuer et a posé à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«l)

L’article 15, paragraphe 1, sous d), du [règlement de base] doit-il être interprété en ce sens que, aux fins du calcul de la perte moyenne, il convient de diviser, pour toutes les catégories de sucre exportées, la somme des dépenses réelles par la somme des quantités exportées, que des restitutions aient ou non été effectivement payées pour ces quantités?

2)

Le [règlement contesté] est-il invalide au regard de l’article 15 du [règlement de base] en ce qu’il fixe une cotisation à la production pour le sucre calculée à partir d’une perte moyenne dans le calcul de laquelle intervient, en ce qui concerne le sucre exporté dans les produits transformés, une multiplication entre le montant unitaire de la restitution à l’exportation relative à ces produits et les quantités totales exportées, y compris les quantités exportées sans percevoir de restitution, et non une division des dépenses réellement effectuées par la somme des quantités exportées, avec ou sans restitution?»

La procédure devant la Cour

54.

Les trois renvois préjudiciels ont été joints par la Cour aux fins de la procédure orale et de l’arrêt.

55.

Des observations écrites ont été présentées par les parties requérantes au principal dans les trois affaires, par les gouvernements allemand, espagnol, français, lituanien, autrichien et du Royaume-Uni, ainsi que par la Commission. Lors de l’audience, qui s’est tenue le 30 juin 2011, des observations orales ont été présentées par les trois parties requérantes au principal, par les gouvernements allemand et français, ainsi que par la Commission. À l’exception de la Commission et, dans une certaine mesure, du Royaume-Uni, toutes les parties et tous les intéressés qui ont présenté des observations considèrent que le règlement contesté est invalide.

Recours parallèles en annulation pendants devant le Tribunal

56.

En outre, Jülich, British Sugar et plusieurs autres producteurs de sucre ont introduit des recours en annulation du règlement contesté devant le Tribunal et la République de Pologne a formé un recours tendant à l’annulation de l’article 3 de ce règlement ( 24 ). Dans toutes ces affaires, la procédure a été suspendue en attendant l’issue de la présente procédure.

Appréciation

57.

La question centrale dans ces trois affaires est de savoir si le calcul effectué par la Commission dans le règlement contesté est valide en ce qu’il inclut dans le «montant total des restitutions» des restitutions auxquelles les exportateurs étaient en droit de prétendre, mais qui, dans les faits, n’ont pas été demandées.

58.

Le règlement contesté est toutefois également remis en cause en ce qui concerne sa validité formelle, au motif que le règlement de base, visé à titre de base juridique, avait été abrogé avant l’adoption du règlement contesté. Cette question, me semble-t-il, devra logiquement être examinée en premier. Je me pencherai ensuite sur la validité du calcul, suivie d’un certain nombre d’autres points relatifs à sa compatibilité avec l’arrêt Jülich I.

59.

En outre, deux autres questions sont posées dans la décision de renvoi dans l’affaire British Sugar: la date de référence correcte pour déterminer le taux de change applicable aux remboursements à effectuer dans des monnaies autres que l’euro et la mesure dans laquelle ces sommes sont susceptibles de porter intérêt. J’aborderai ces questions en dernier lieu, en commençant par celle de la possibilité d’ordonner le paiement d’intérêts, une question qui intéresse tous les États membres et qui semble se situer en amont de celle engendrée par la fluctuation des taux de change.

La validité formelle — la base juridique

60.

Les articles 15, paragraphe 8, et 16, paragraphe 5, du règlement de base prévoient que les modalités d’application de ces deux articles seront arrêtées selon la procédure prévue à l’article 42, paragraphe 2, de ce même règlement, lequel article renvoie, à son tour, à la décision comitologie ( 25 ). En résumé, ces dispositions fournissaient à la Commission une base juridique pour adopter des règlements fixant les montants des cotisations à la production pour chaque campagne de commercialisation suivant la procédure du comité de gestion.

61.

Or, le règlement no 318/2006 ( 26 ) a abrogé le règlement de base avec effet au 1er juillet 2006.

62.

En conséquence, ce dernier n’était plus en vigueur au moment de l’adoption du règlement contesté, le 3 novembre 2009. Les textes visés à titre de base juridique sont néanmoins, premièrement, le traité CE et, deuxièmement, le règlement de base «et notamment son article 15, paragraphe 8, premier tiret, et son article 16, paragraphe 5».

63.

La Commission admet que, le 3 novembre 2009, le règlement de base avait été abrogé et remplacé par un nouvel instrument, qui mettait en place un régime différent pour le secteur du sucre et qui ne fournissait pas de base juridique pour un acte fixant des cotisations dans le cadre du précédent régime. Elle fait valoir, toutefois, que l’article 233 CE (devenu article 266 TFUE) lui faisait obligation de prendre les mesures que comportait l’exécution des décisions de la Cour dans les affaires Jülich I et SAFBA e.a. Ces décisions, affirme la Commission, avaient ainsi pour effet de «‘primer sur’ l’apparente absence de base juridique» et «avaient en quelque sorte redonné vie à l’article 15, paragraphe 8, et à l’article 16, paragraphe 5, du règlement de base, dans la mesure nécessaire pour lui permettre de remédier aux illégalités constatées par la Cour».

64.

Je ne peux souscrire à cette analyse. Tout acte visant à créer des effets juridiques emprunte sa force obligatoire à une disposition du droit de l’Union qui doit expressément être indiquée comme base légale et qui prescrit la forme juridique dont l’acte doit être revêtu ( 27 ). La disposition constituant la base juridique d’un acte et habilitant l’institution de l’Union à adopter l’acte en cause doit être en vigueur au moment de l’adoption de celui-ci ( 28 ). Une disposition qui a été abrogée ne répond pas à ces critères. Pas davantage un arrêt de la Cour ne peut-il ressusciter une mesure abrogée autrement qu’en déclarant invalide la mesure l’abrogeant.

65.

Cela ne signifie cependant pas pour autant que la Commission ait été dans l’impossibilité de prendre — comme l’article 233 CE lui en faisait obligation — les mesures que comportait l’exécution des décisions rendues dans les affaires Jülich I et SAFBA e.a. Au moins deux voies lui étaient ouvertes.

66.

En premier lieu, la Commission aurait pu demander au Conseil de l’habiliter à adopter un règlement fixant les nouveaux montants des cotisations au titre des campagnes de commercialisation en cause. L’argument avancé par la Commission, selon lequel une telle demande aurait été vouée à l’échec en raison du différend existant entre les deux institutions quant à la méthode de calcul correcte, ne me convainc pas. La mesure requise n’aurait concerné que la compétence formelle de la Commission pour fixer le montant des cotisations à nouveau, non la façon dont ce montant était calculé.

67.

En deuxième lieu, comme le soulignent les parties requérantes au principal, l’adoption d’un règlement n’était que l’une des voies disponibles pour exécuter les décisions de la Cour ( 29 ). C’est d’abord entre les producteurs de sucre et les agences nationales que se passent les remboursements (avec l’intervention, le cas échéant, des juridictions nationales) ( 30 ). Il est bien entendu souhaitable que, consécutivement à l’arrêt Jülich I, le montant des cotisations soit ajusté de façon uniforme à travers l’Union. À cette fin, la Commission aurait pu fournir des orientations quant à la méthode de calcul appropriée. Toute question concernant ces orientations aurait pu être déférée à la Cour pour être tranchée à titre préjudiciel, à l’instar de ce qui s’est passé dans les présentes affaires (bien qu’il ait pu ne pas être possible d’introduire des recours en annulation devant le Tribunal).

68.

Toutefois, dans la mesure où la décision contestée visait également le traité CE à titre de base juridique, la question a été soulevée de savoir si les articles 37 CE ou 233 CE (devenus, respectivement, articles 43 TFUE et 266 TFUE) n’auraient pas pu conférer la compétence nécessaire à la Commission. Je ne le pense pas.

69.

En premier lieu, le guide pratique commun pour la rédaction des textes législatifs communautaires ( 31 ) précise: «Si la base juridique directe de l’acte est une disposition du traité, la citation globale de celui-ci est accompagnée des mots ‘, et notamment’ suivis de l’article pertinent […]. Si, par contre, la base juridique directe de l’acte se trouve dans un acte de droit dérivé […], celui-ci est cité dans un deuxième visa avec l’article pertinent, précédé là aussi des mots ‘, et notamment’». Si nous partons du principe que la Commission a suivi ses propres lignes directrices pour la rédaction, elle ne s’est donc pas fondée sur une disposition spécifique du traité comme base juridique directe du règlement contesté. Elle ne s’est fondée que sur les seuls articles 15, paragraphe 8, et 16, paragraphe 5, du règlement de base.

70.

En deuxième lieu, l’article 37 CE ne conférait à la Commission aucune compétence législative en matière agricole autre que celle de soumettre des propositions au Conseil. Toute mesure adoptée sur le fondement de cet article aurait dû l’être par le Conseil.

71.

En troisième lieu, s’il est vrai que l’article 233 CE exigeait de la Commission de prendre les mesures que comportait l’exécution de l’arrêt Jülich I, il ne fournissait pas lui-même une base juridique à la Commission pour adopter un règlement dépourvu de toute autre base juridique dans le traité ou dans le droit dérivé — à tout le moins dans le cas où, comme en l’espèce, il existait d’autres modes d’exécution.

72.

Je suis, par conséquent, d’avis que le règlement contesté est invalide sur le plan formel, étant dépourvu de base juridique en vigueur au moment de son adoption.

73.

Cela ne signifie toutefois pas que la Cour puisse s’abstenir de contrôler la conformité au règlement de base de la nouvelle méthode de calcul, sur laquelle repose le règlement contesté. Même si ce dernier est formellement invalide, les agences nationales, saisies de demandes de remboursement, et les juridictions nationales, devant lesquelles sont portés les litiges y afférents, doivent toujours, avec ou sans orientations fournies par la Commission, ajuster le montant des cotisations à la production pour tirer les conséquences de l’arrêt Jülich I. Cet ajustement doit se faire en conformité avec les exigences du règlement de base tel qu’interprété par la Cour et il serait déraisonnable de différer cette interprétation jusqu’à ce qu’elle soit saisie, dans l’avenir, d’une affaire Jülich III.

Validité de la méthode de calcul

74.

Ramenée à l’essentiel, la question est simple: en procédant au calcul exigé par l’article 15, paragraphe 1, sous d), du règlement de base, la Commission aurait-elle dû inclure dans le «montant total des restitutions» des restitutions qui auraient pu être demandées au titre d’engagements d’exportation, mais qui, dans les faits, n’ont jamais été demandées, ni payées?

75.

Malheureusement, comme les présentes affaires l’ont montré, l’expression utilisée («montant total des restitutions») pourrait avoir l’une ou l’autre signification: «montant total des restitutions qui peuvent être demandées» ou «montant total des restitutions payées».

76.

La conclusion la plus évidente qui découle de ce manque de précision est que, lors de la rédaction de cette disposition, le législateur n’a pas pensé qu’il puisse y avoir la moindre ambiguïté. Je conçois difficilement que le législateur ait pu, lors de la rédaction des projets et des débats sur la méthode de calcul des cotisations à la production, avoir conscience de l’existence d’une alternative quant à l’interprétation du «montant total des restitutions», qui avait pour effet de faire aboutir le calcul à deux résultats différents, sans préciser laquelle de ces interprétations il convenait de retenir ou à tout le moins de prévoir que ce choix serait fait dans des actes d’application.

77.

Une explication plausible en est que le législateur est parti du principe que toutes les restitutions dont les exportateurs étaient en droit de demander paiement seraient effectivement demandées et payées. Lorsqu’un mot comme «restitutions» est utilisé sans autre précision, la seule interprétation naturelle est, à moins que le contexte ne pointe dans une autre direction, qu’il vise les restitutions effectivement payées.

78.

Il me semble, par conséquent, que le point de départ doit être une présomption forte, bien que pas nécessairement irréfutable, que «montant total des restitutions» vise uniquement les restitutions effectivement payées, à l’exclusion de restitutions purement potentielles, jamais demandées ni versées.

79.

La Commission a cependant avancé une série de raisons d’interpréter l’expression comme incluant toutes les restitutions potentielles et ces arguments doivent être examinés. En résumé: i) c’était là l’interprétation sur laquelle reposait le règlement no 1837/2002, que la Cour n’a pas déclaré invalide dans l’arrêt Jülich I; ii) elle est cohérente avec l’inclusion, dans le dénominateur de la fraction, des engagements d’exportation pour lesquels il n’a pas été demandé de restitution; iii) elle est cohérente avec la référence aux quantités et montants prévisibles à l’article 15 du règlement de base, et iv) elle assure que les producteurs couvrent le coût des restitutions à l’exportation. J’examinerai ces arguments l’un après l’autre.

Cohérence avec une interprétation qui n’a pas été déclarée invalide

80.

La Commission fait valoir que, pour le règlement contesté, elle a simplement utilisé les mêmes bases de calcul que pour le règlement no 1837/2002, que la Cour avait examiné dans l’arrêt Jülich I et qu’elle n’avait pas déclaré invalide. La Commission déclare avoir été contrainte de recourir à cette méthode dans le règlement contesté afin d’assurer la cohérence entre les cinq campagnes de commercialisation couvertes par le règlement de base. En outre, indique-t-elle, elle avait utilisé, sans la moindre contestation de la part des producteurs de sucre, les mêmes bases de calcul au cours des précédentes campagnes de commercialisation, en application de différents règlements contenant des dispositions rédigées en des termes en substance identiques à ceux du règlement de base en cause en l’occurrence.

81.

Je ne peux pas accepter cette justification, même si les calculs effectués au cours des années précédentes reposaient sur une compréhension du «montant total des restitutions» et du «tonnage total des engagements à l’exportation» comme incluant, respectivement, des restitutions qui auraient pu être demandées, mais ne l’ont pas été, et des engagements à l’exportation au titre desquels des restitutions auraient pu être demandées, mais ne l’ont pas été ( 32 ).

82.

Dans l’affaire Jülich I, il était demandé à la Cour d’interpréter le règlement de base en ce qui concernait deux éléments de calcul: l’«excédent exportable» et le «tonnage total des engagements à l’exportation», utilisé pour calculer ensuite la «perte moyenne par tonne». Il ne lui avait pas été demandé, ni ne l’a-t-elle fait, de se prononcer sur la bonne interprétation de l’autre élément entrant dans ce dernier calcul, à savoir du «montant total des restitutions». Par conséquent, sa constatation que «l’examen du règlement no 1837/2002 n’a pas révélé l’existence d’éléments de nature à en affecter la validité» ne saurait avoir la moindre portée en ce qui concerne la façon dont la Commission a interprété dans ce règlement le «montant total des restitutions». Même si, comme le fait valoir la Commission, tous les éléments utilisés dans le calcul avaient été exposés à la Cour, les questions déférées et, dès lors, l’examen de la Cour étaient limités à certains de ces éléments. L’élément en cause dans le cadre de la présente affaire n’en faisait pas partie.

83.

Ne saurait pas davantage avoir la moindre pertinence le point de savoir si, sous l’empire des règlements précédemment applicables en la matière et édictant des règles en substance identiques, la Commission a toujours retenu la même interprétation du «montant total des restitutions» pour calculer la «perte moyenne par tonne». Même si cette base a effectivement été utilisée et n’a pas été remise en cause, sa légalité dépend non pas d’une application répétée et d’un acquiescement, mais d’une interprétation correcte de la législation d’habilitation applicable.

84.

J’admets que, au moment de rectifier des calculs dont la Cour a constaté qu’ils étaient incorrects, il ait pu sembler raisonnable à la Commission de reprendre une méthode consacrée par l’usage qui n’avait pas été déclarée incorrecte. Toutefois, le fait que son interprétation du «montant total des restitutions» dans le règlement no 1837/2002 n’ait pas été contestée dans le passé ni, par voie de conséquence, sanctionnée par la Cour ne signifie pas que l’autre interprétation, utilisée dans les règlements déclarés invalides, était incorrecte. Celle-ci, non plus, n’a jamais été ni contestée ni sanctionnée par la Cour.

85.

J’admets également que, toutes choses étant égales par ailleurs, des dispositions qui sont en substance identiques doivent recevoir une même interprétation. Toutefois, le règlement de base a instauré un régime pour le secteur du sucre qui différait de manière significative tant de celui qui l’a précédé que de celui qui lui a succédé. En l’absence de continuité du contexte, il n’y avait aucun besoin déterminant de continuité d’interprétation sur tous les points. En outre, en ce qui concerne les cinq campagnes de commercialisation couvertes par le règlement de base, la Commission aurait pu — à supposer qu’il existât une base juridique appropriée — rectifier de façon uniforme tous les cinq règlements fixant les montants des cotisations à la production, si tel était exigé par l’arrêt Jülich I. Elle ne semble cependant pas avoir envisagé cette possibilité.

86.

Je conclus que le fait que l’expression «montant total des restitutions» ait été précédemment (et même systématiquement) interprétée par la Commission comme incluant des restitutions qui auraient pu être demandées, mais ne l’ont pas été, est sans incidence sur la façon dont cette expression aurait dû être interprétée aux fins de l’article 15, paragraphe 1, sous d), du règlement de base.

Cohérence entre le numérateur et le dénominateur

87.

La Commission fait valoir qu’il est logiquement cohérent de prendre, lors de la détermination de la «perte moyenne par tonne» (le «montant total des restitutions» divisé par le «tonnage total des engagements à l’exportation»), à la fois un numérateur de la fraction («montant total des restitutions») et un dénominateur («tonnage total des restitutions à l’exportation») qui comprennent tous deux soit tous les cas dans lesquels des restitutions auraient pu être accordées, qu’elles aient été effectivement payées ou non, soit uniquement les cas dans lesquels des restitutions ont effectivement été payées. Selon la Commission, il serait incohérent si le numérateur comprenait uniquement les cas dans lesquels des restitutions ont effectivement été payées, tandis que le dénominateur incluait tous les cas dans lesquels des restitutions auraient pu être accordées, qu’elles aient été effectivement payées ou non. Dès lors que, conclut-elle, conformément à l’arrêt Jülich I, le dénominateur doit inclure tous les cas dans lesquels des restitutions auraient pu être accordées, il doit en aller de même en ce qui concerne le numérateur.

88.

Cet argument, aussi attrayant qu’il soit à première vue, n’emporte, au final, pas la conviction.

89.

Si la «perte moyenne par tonne» était à déterminer uniquement pour le tonnage d’engagements à l’exportation au titre desquels des restitutions ont effectivement été payées, alors tant le numérateur que le dénominateur auraient dû être limités aux cas dans lesquels des restitutions ont été payées. C’était là l’approche choisie dans les règlements déclarés invalides, mais la Cour a jugé que le dénominateur devait inclure toutes les quantités de produits exportés, que des restitutions aient été payées ou non.

90.

Dans ces conditions, et sauf à donner à l’expression «perte moyenne par tonne» une signification qui s’écarte de tout usage normal ( 33 ), la somme des pertes effectives (c’est-à-dire des restitutions effectives) doit être divisée par le nombre total de tonnes effectivement exportées. Une autre possibilité, plus laborieuse, serait de calculer le montant des restitutions payées pour chaque tonne exportée (qui est parfois de zéro) et de déterminer la moyenne en additionnant tous ces montants avant de diviser le chiffre obtenu par le nombre de tonnes (y compris celles pour lesquelles la restitution était d’un montant nul). De remplacer ces montants nuls par des montants théoriques semble être à l’opposé de toute cohérence logique.

91.

Comme le conseil de Tereos l’a formulé lors de l’audience, si un commerçant offre quatre kilos de sucre pour le prix de trois, le prix moyen par kilo payé par le client est obtenu en divisant la somme totale par quatre, non par trois. Si le total était divisé par trois, cela reviendrait à faire abstraction du quatrième kilo, «gratuit», dans le dénominateur de la fraction. Si nous transposons cette analyse au calcul prévu à l’article 15, paragraphe 1, sous d), du règlement de base, cela reviendrait à faire abstraction des quantités au titre desquelles aucune restitution n’a été payée — ce qui serait contraire à l’arrêt Jülich I.

92.

Telle n’est pas exactement l’approche suivie par la Commission dans le règlement contesté, mais elle parvient quasiment au même résultat en augmentant le numérateur. Si (pour revenir à notre exemple des «quatre pour le prix de trois») le prix normal d’un kilo est ajouté au numérateur, le résultat sera le même que si le quatrième kilo est omis dans le dénominateur. L’approche de la Commission a dans une large mesure neutralisé la modification du dénominateur qu’exigeait l’arrêt Jülich I — ce qui explique très largement pourquoi les nouveaux montants des cotisations fixés dans le règlement contesté diffèrent aussi peu de ceux fixés dans les précédents règlements déclarés invalides par la Cour.

93.

Je ne vois pas en quoi cette modification du numérateur a pu être dictée par des considérations de cohérence interne de la définition des éléments entrant dans la division à effectuer.

Cohérence avec la perte globale «prévisible»

94.

La Commission a fait observer que l’article 15 du règlement de base faisait de manière répétée référence à des quantités et montants «prévisibles» ( 34 ) et à des engagements «à réaliser». En particulier, le calcul décrit à l’article 15, paragraphe 3, du règlement de base, qui utilise des chiffres d’abord estimés pour chaque campagne de commercialisation, puis ajustés à la lumière de sommes cumulatives pour les cinq campagnes de commercialisation concernées, fait référence à une «perte globale prévisible» après ajustement. En outre, dans l’arrêt Jülich I, la Cour a déclaré que «la méthode de calcul de la perte globale prévisible tend, en tout état de cause, à établir de manière prospective et conventionnelle les pertes dues à l’écoulement des excédents de production communautaire» ( 35 ). La Commission en déduit que, dans l’intention du législateur, les montants et quantités à prendre en compte aux fins des calculs ne devaient pas être des chiffres réels, établis de façon définitive après réception de toutes les données, mais, au contraire, refléter le besoin d’anticiper, dans le budget concerné, les dépenses et les recettes. Par conséquent, argue-t-elle, le législateur entendait que les calculs prennent en compte toutes les restitutions susceptibles d’être payées et non celles effectivement payées, que des chiffres définitifs soient établis par la suite ou non.

95.

Il est vrai que la terminologie utilisée dans le règlement de base a un caractère prospectif. Cela semble inévitable si — comme l’exige le règlement — les chiffres doivent être constatés, individuellement, avant la fin de chaque campagne de commercialisation (en application de l’article 15, paragraphe 1, du règlement de base) ou, cumulativement, avant la fin de la période de cinq ans (conformément à son article 15, paragraphe 2). Cela ne signifie cependant pas que les chiffres définitifs ne doivent pas être utilisés, une fois disponibles; en effet, l’article 15, paragraphe 2, sous a), du règlement de base — qui a une incidence sur tous les calculs visés à l’article 15, paragraphe 2, alors même qu’il faille les effectuer avant la fin de la période de cinq ans — fait référence à des chiffres «définiti[fs]» et le quatorzième considérant du règlement de base mentionne la «perte globale constatée».

96.

Je relève également que le règlement contesté a été adopté en novembre 2009, plus de trois ans après la fin de la dernière campagne de commercialisation concernée, et personne n’a soutenu que les chiffres définitifs concernant les restitutions à l’exportation effectivement payées n’auraient pas été disponibles à ce stade. (De fait, les règlements rectifiés par le règlement contesté ont tous été adoptés plus de trois mois après l’achèvement de la campagne de commercialisation respectivement concernée.) En outre, le septième considérant du règlement d’application, adopté par la Commission elle-même, indique que l’approche poursuivie était d’obtenir le paiement d’acomptes sur cotisations calculés sur la base de prévisions, avant de fixer les montants définitifs des cotisations une fois des informations exactes disponibles.

97.

Si le législateur avait entendu limiter le calcul aux restitutions à l’exportation prévisibles, qu’elles aient été payées ou non et alors même que des chiffres définitifs étaient disponibles, je m’attendrais à ce que cela soit expressément indiqué. Le texte, tel qu’il est libellé et replacé dans son contexte, ne contient aucun indice de ce que telle était l’intention du législateur.

98.

L’argument de la Commission, à mon avis, ne réfute donc pas la présomption que l’expression «montant total des restitutions» vise uniquement les restitutions effectivement payées, à l’exclusion de restitutions purement potentielles qui n’ont jamais été demandées, ni payées.

Un résultat plus exact

99.

Dans ses observations, la Commission a produit un tableau précisant, pour chacune des cinq campagnes de commercialisation régies par le règlement de base: i) le montant des restitutions octroyées aux producteurs de sucre ( 36 ), ii) le montant des cotisations telles que calculées dans le règlement contesté et iii) le montant des cotisations telles que recalculées suivant la méthode préconisée par les parties requérantes au principal. Ces chiffres montrent, selon la Commission, que, à l’issue de la période de cinq ans, le montant des cotisations imposées par le règlement contesté est d’environ 60 millions d’euros inférieur aux restitutions octroyées, tandis que le montant des cotisations déterminées suivant la méthode des parties requérantes y serait inférieur de 346 millions d’euros. Partant, avance la Commission, les cotisations fixées par le règlement contesté ne suffisent déjà pas à couvrir le coût des restitutions et la méthode des parties requérantes au principal serait même encore plus profitable aux producteurs.

100.

Les chiffres de la Commission relatifs aux montants des restitutions octroyées ont été âprement discutés. Il est notamment soutenu qu’ils incluent des restitutions à l’exportation qui n’ont pas été effectivement payées ( 37 ) et/ou des restitutions à la production. Lors de l’audience, les parties requérantes au principal ont produit des chiffres alternatifs, montrant, selon elles, que, sur cette période de cinq ans, le montant des cotisations imposées par le règlement contesté excédait celui des restitutions accordées par 325 à 338 millions d’euros, tandis que le montant des cotisations déterminées suivant la méthode des parties requérantes au principal n’excéderait celui des restitutions que de 39 à 53 millions d’euros. (Par ailleurs, je constate qu’aucune des sommes totales des restitutions ne peut être rattachée sans difficulté aux chiffres indiqués dans les documents soumis au comité de gestion par la Commission et par la Présidence — et que ces documents divergent sur les montants en question).

101.

Judex non calculat, selon la formulation employée par le représentant du gouvernement allemand lors de l’audience. Face à une telle diversité des chiffres, la Cour serait en effet bien avisée de résister à la tentation de chercher une solution arithmétique.

102.

Toutefois, un point ressort clairement des deux séries de chiffres qui ont été présentées à la Cour. Aucune des méthodes de calcul proposées ne parvient à faire coïncider les restitutions à l’exportation et les cotisations à la production. Chacun des deux montants peut être plus élevé que l’autre et, quelle que soit la méthode utilisée, l’écart varie d’une année sur l’autre (par exemple, suivant les deux méthodes, les cotisations à la production sont inférieures aux restitutions à l’exportation pour la campagne de commercialisation 2002/2003, mais y sont supérieures pour la campagne 2003/2004).

103.

Il serait évidemment souhaitable de pouvoir interpréter le règlement de base de sorte à réduire l’écart à un minimum. Toutefois, l’importance des variations des chiffres fournis laisse fortement à penser que ce résultat ne peut pas être garanti, que le «montant total des restitutions» inclue ou exclue des restitutions à l’exportation potentielles qui n’ont pas été effectivement payées. La raison peut en être que d’autres facteurs, sans lien avec le calcul prévu à l’article 15, paragraphe 1, du règlement de base, influent sur le résultat final. Quelle que soit l’explication, cependant, elle ne saurait justifier que l’on fausse les paramètres du calcul pour parvenir à un résultat déterminé.

104.

Je relève par ailleurs, aux articles 2, paragraphe 3, et 6 de la décision sur les ressources propres ( 38 ), que seulement 75 % du montant des cotisations à la production collectées est versé au budget de l’Union et que le montant versé n’est pas affecté à une utilisation précise. Par conséquent, la force de la justification avancée pour faire coïncider avec précision les cotisations et les restitutions apparaît considérablement amoindrie.

105.

Je propose, pour cette raison, à la Cour d’examiner comment le règlement de base a été conçu pour assurer que les cotisations à la production couvrent le coût des restitutions à l’exportation, plutôt que le point de savoir de quelle manière certaines méthodes de calcul peuvent s’écarter de ce qui peut être considéré comme un résultat idéal.

106.

Le règlement de base a pour objectif la «responsabilité financière intégrale des producteurs pour chaque campagne de commercialisation pour les pertes dues à l’écoulement des excédents de production communautaire dans le cadre des quotas par rapport à la consommation intérieure» ( 39 ). Ce résultat doit, toutefois, être atteint «de façon juste mais efficace» ( 40 ), et non pas uniquement avec la rigueur arithmétique d’une simple division des pertes par les excédents ( 41 ).

107.

Il peut être utile d’envisager les différentes étapes du calcul dans un ordre différent de celui de l’article 15, paragraphe 1, du règlement de base.

108.

La «perte globale» que les cotisations à la production doivent couvrir ne constitue pas la totalité des pertes encourues par l’Union du fait de l’ensemble des restitutions payées au titre d’exportations durant la campagne de commercialisation. Il s’agit de la partie de ces pertes qui est due à l’«excédent exportable». L’«excédent exportable» est la partie de la production de l’Union réalisée dans la limite des quotas A et B qui excède la consommation intérieure. Indépendamment des quantités de sucre précises qui sont effectivement exportées, l’existence d’un tel excédent crée un besoin d’exporter et, par conséquent, occasionne le paiement de restitutions à l’exportation. Toutefois, même si la production n’excédait pas la consommation, certaines exportations ouvriraient toujours droit à des restitutions. Il est dès lors logique — et parfaitement conforme au principe d’autofinancement qui sous-tend le règlement de base — d’imputer à l’excédent exportable seulement cette partie du coût des restitutions à l’exportation qui n’aurait pas été encourue sans cet excédent et de limiter les cotisations à la production à des niveaux où seule cette partie du coût total est couverte.

109.

La partie du coût total qui est imputable à l’excédent exportable est calculée au prorata. Au tonnage total des engagements à l’exportation pour une campagne de commercialisation donnée correspond un montant total des restitutions. Ce montant total (le numérateur), divisé par ce tonnage total (le dénominateur), donne une restitution moyenne par tonne, qui est ensuite multipliée par le tonnage de l’excédent exportable pour obtenir le montant imputable à cet excédent — la «perte globale», qui déterminera le montant des cotisations à la production.

110.

J’ai expliqué, aux points 89 et suivants ci-dessus, pour quelles raisons, si toutes les quantités exportées doivent être incluses dans le dénominateur de la fraction, il me semble intrinsèquement logique d’inclure dans le numérateur uniquement les restitutions effectivement payées pour déterminer la «perte moyenne par tonne». Mais cette approche est-elle compatible avec la nature et la conception du calcul de la «perte globale» à partir de laquelle les cotisations à la production sont déterminées? Je suis convaincue qu’elle l’est.

111.

L’«excédent exportable» ne représente pas toutes les quantités exportées ouvrant droit à des restitutions (si j’ai bien compris les déclarations de la Commission à l’audience, il équivaut à environ la moitié de ces quantités). La consommation intérieure est en partie couverte au moyen d’importations ou de stocks reportés de la campagne de commercialisation précédente. Par conséquent, de la production réalisée au cours d’une campagne de commercialisation donnée dans la limite des quotas A et B, une certaine quantité sera consommée à l’intérieur de l’Union, une autre exportée et encore une autre stockée en vue d’être reportée sur la campagne de commercialisation suivante. Les proportions ne correspondront cependant pas à la ligne de séparation entre la consommation intérieure et l’excédent exportable tracée à l’article 15, paragraphe 1, du règlement de base.

112.

Le but de l’identification de l’«excédent exportable», en tant qu’étape de la détermination de la «perte globale», n’est donc pas de permettre l’estimation du montant des restitutions effectivement payées pour chaque tonne. Il s’agit plutôt de déterminer dans quelle mesure l’existence de l’excédent exportable vient augmenter le montant total des restitutions. Les quantités effectivement exportées consistent en celles exportées en l’état et celles exportées dans des produits transformés, ces dernières comprenant des quantités au titre desquelles des restitutions sont payées ainsi que des quantités pour lesquelles aucune restitution n’est payée. Il semble raisonnable de présumer que les proportions respectives sont les mêmes pour tous les engagements à l’exportation réalisés, qu’ils fassent partie de l’excédent exportable ou non. Ces proportions devraient par conséquent se refléter dans la «perte moyenne par tonne» imputable à l’excédent. Ce résultat est atteint en excluant les restitutions qui ne sont pas effectivement payées du «montant total des restitutions» visé à l’article 15, paragraphe 1, sous d), du règlement de base, non en les y incluant.

113.

Une nouvelle fois, je ne vois donc pas de raison pour abandonner la présomption que j’ai déduite du libellé de la disposition, aux points 74 et suivants ci-dessus. Je considère, par conséquent, que l’expression «montant total des restitutions» à l’article 15, paragraphe 1, sous d), du règlement de base recouvre uniquement des restitutions effectivement payées et que le règlement contesté est invalide en ce que la méthode de calcul des cotisations fixées pour les campagnes de commercialisation en cause inclut, dans le «montant total des restitutions» au sens de cette disposition, des restitutions qui auraient pu être demandées au titre d’engagements à l’exportation, mais qui, dans les faits, n’ont jamais été demandées, ni payées.

Les autres motifs d’invalidité invoqués

114.

Les considérations exposées ci-dessus semblent suffire pour répondre aux questions posées à la Cour au sujet de la validité formelle et matérielle du règlement contesté et de la bonne interprétation de l’article 15, paragraphe 1, sous d), du règlement de base. Diverses autres objections à la validité du règlement contesté ont cependant également été avancées au cours de la procédure. Je les examinerai plus brièvement.

115.

Toutes ces objections découlent en substance du fait que, dans le règlement contesté, la Commission ne s’en est pas tenue à l’application stricte de l’interprétation du règlement de base donnée dans l’arrêt Jülich I. Comme il ressort de mon exposé ci-dessus, je suis d’accord avec les parties requérantes au principal — et avec tous les gouvernements qui ont présenté des observations, sauf un — sur le point que la modification du mode du calcul du «montant total des restitutions» dans le règlement contesté non seulement n’était pas exigée par cet arrêt, mais était même incompatible avec lui, dans la mesure où elle neutralisait les effets de la règle y énoncée, selon laquelle les «engagements à l’exportation à réaliser» incluent toutes les quantités exportées, que des restitutions aient été payées ou non. De cette incompatibilité, il a été tiré argument pour soutenir que le règlement contesté violait les principes de sécurité juridique, de non-rétroactivité et de protection de la confiance légitime, qu’il n’était pas dûment motivé et que la Commission s’était rendue coupable d’un détournement de pouvoir.

116.

En ce qui concerne les trois premiers principes dont la violation a été alléguée, il est de jurisprudence constante que si, en règle générale, le principe de sécurité juridique s’oppose à ce que la portée dans le temps d’un acte de l’Union voie son point de départ fixé à une date antérieure à celle de la publication de cet acte, il peut en être autrement, à titre exceptionnel, lorsqu’un but d’intérêt général l’exige et lorsque la confiance légitime des intéressés est dûment respectée ( 42 ). Sous ces conditions, il convient donc d’admettre que la Commission peut, lorsqu’un règlement de la Commission a été déclaré invalide par la Cour en raison des vices spécifiques dont il était entaché, prendre un nouvel acte législatif revêtu d’un effet rétroactif pour remédier à ces vices dans le cas où la situation résultant de l’invalidation est également incompatible avec le droit de l’Union et où il est impossible de remédier à cette incompatibilité sans ce nouvel acte législatif.

117.

Dans le cas présent, comme je l’ai souligné ( 43 ), l’adoption d’un nouvel acte législatif n’était qu’une possibilité parmi plusieurs pour remédier à la situation. Il n’est donc pas certain que l’objectif concret à atteindre exigeait l’adoption d’un nouvel acte législatif. Quoi qu’il en soit, toutefois, l’arrêt Jülich I n’exigeait pas de modifier la méthode de calcul du «montant total des restitutions», ni explicitement ni de façon implicite. Dans la mesure où cet aspect du calcul n’avait pas fait l’objet d’une quelconque appréciation par la Cour, tous les intéressés étaient en droit de nourrir une confiance légitime en ce qu’il ne serait pas modifié rétroactivement. Je suis, par conséquent, d’accord sur le point que le règlement contesté a violé les principes de sécurité juridique, de non-rétroactivité et de protection de la confiance légitime.

118.

En ce qui concerne l’obligation de la Commission de motiver la modification de la méthode de calcul du «montant total des restitutions», il faut admettre que les considérants du règlement contesté contiennent bien une explication — bien que, d’après moi, celle-ci ne soit pas valable — du retour à la méthode de calcul utilisée dans le règlement no 1837/2002. Il est de même constant que le détail des calculs de la Commission et les chiffres sur lesquels ils reposaient ont été fournis aux États membres dans le cadre du comité de gestion. En outre, les producteurs de sucre ne semblent pas avoir rencontré la moindre difficulté à obtenir ces données à temps pour pouvoir introduire des recours en annulation devant le Tribunal et les documents pertinents ont été produits devant la Cour en tant qu’annexes à toute une série d’observations. Dans ces circonstances, j’aurais des hésitations à considérer le règlement contesté comme invalide au seul motif qu’il n’est pas dûment motivé.

119.

Enfin, le grief d’un détournement de pouvoir a été avancé sous deux aspects. Sur un plan plus général, il est avancé que le pouvoir de la Commission à prendre un nouveau règlement ne s’étendait pas à la modification de la méthode de calcul du «montant total des restitutions». Si je suis d’accord avec cette affirmation, je n’estime pas nécessaire de l’analyser comme un motif d’invalidité séparé. De façon plus spécifique, il a été soutenu que l’approche de la Commission était motivée non pas par le souci d’assurer le respect de l’article 15 du règlement de base, mais par la conscience de ce que le budget des ressources propres n’était pas suffisamment provisionné pour effectuer tous les remboursements qui seraient dus si aucune modification n’était apportée au «montant total des restitutions» et que d’autres contributions de la part des États membres seraient donc nécessaires. Cela, si la preuve en était apportée, constituerait, d’après moi, clairement un détournement de pouvoir. Toutefois, dans le cadre des présents renvois préjudiciels, la Cour ne dispose pas d’éléments de preuve qui lui permettraient de conclure si, oui ou non, tel était le cas.

120.

Je passe à présent aux deux questions uniquement soulevées dans le cadre de l’affaire British Sugar, dont l’une est néanmoins pertinente pour toutes les procédures similaires et l’autre peut l’être dans plusieurs autres États membres.

Les intérêts sur les remboursements

121.

Il est un fait que des cotisations à la production ont, dans une certaine mesure, été versées en trop sur le fondement d’un acte législatif de l’Union invalide. Si le remboursement en est réclamé dans les formes et délais prescrits, le trop-perçu doit être remboursé, plusieurs années après sa perception, par les agences nationales aux producteurs, puis par l’Union aux agences nationales. Dans le cadre de toute action en remboursement intentée à ce titre, il importe de savoir si ces sommes portent intérêt.

122.

Dans le cadre de la procédure au principal intentée par British Sugar, celle-ci peut en principe se prévaloir d’un droit à intérêts en vertu du droit anglais, mais l’agence nationale avance qu’il ne peut lui en être alloué dans la mesure où elle ne peut pas elle-même réclamer d’intérêts à l’Union. Elle invoque le point 4 de la recommandation de la Commission à l’intention des États membres concernant l’application du règlement contesté ( 44 ), qui déclare en substance que tout intérêt sur les montants remboursés par les États membres aux producteurs ne peut être déduit des ressources propres de l’Union, la législation applicable ne fournissant aucune base sur laquelle fonder une telle déduction.

123.

La juridiction de renvoi demande, par conséquent, si le droit de l’Union fait obstacle à l’allocation d’intérêts aux producteurs dans le cas où l’agence nationale ne peut réclamer les intérêts correspondants sur les ressources propres de l’Union, s’il est exact qu’aucun intérêt ne peut être réclamé à ce titre et si le droit de l’Union fait obstacle à ce qu’une juridiction nationale ou une agence nationale exercent le pouvoir d’appréciation, dont elles sont titulaires en vertu du droit national, pour décider de ne pas accorder d’intérêts.

124.

Il est de jurisprudence constante que, à défaut de dispositions du droit de l’Union en matière de restitution de redevances indûment perçues sur la base de règlements de l’Union déclarés invalides, toutes questions accessoires, tel le versement éventuel d’intérêts, y compris la date à partir de laquelle ceux-ci doivent être calculés et leur taux, sont à résoudre en application du droit national ( 45 ). La juridiction de renvoi s’interroge cependant sur la mesure dans laquelle le droit de l’Union, en particulier ses règles concernant la possibilité — ou l’impossibilité — pour un État membre de percevoir des intérêts sur des fonds de l’Union, est susceptible de limiter l’application du droit national.

125.

Il convient, me semble-t-il, de partir de la raison sur laquelle repose le principe même d’un octroi d’intérêts. Cette raison se trouve être l’interdiction de tout enrichissement qui serait, dans le langage du «common law», «injuste» («unjust») ou, dans de nombreux ordres juridiques continentaux, «sans cause» ou «indu» ( 46 ).

126.

Dans l’arrêt Masdar (UK)/Commission ( 47 ), la grande chambre a déclaré: «Selon les principes communs aux droits des États membres, une personne ayant subi une perte qui améliore le patrimoine d’une autre personne sans qu’il y ait un quelconque fondement juridique à cet enrichissement a, en règle générale, droit à une restitution, jusqu’à concurrence de cette perte, de la part de la personne enrichie. [… L]’action fondée sur l’enrichissement sans cause telle qu’elle est prévue dans la plupart des systèmes juridiques nationaux ne contient pas de condition tenant à une illégalité ou à une faute dans le comportement de la partie défenderesse. […] En revanche, […] il est essentiel que l’enrichissement soit dépourvu de toute base légale valable. […] Étant donné que l’enrichissement sans cause, tel que défini ci-dessus, constitue une source d’obligation non contractuelle commune aux ordres juridiques des États membres, la Communauté ne saurait échapper à l’application des mêmes principes à son égard lorsqu’une personne physique ou morale lui reproche de s’être injustement enrichie à son détriment». Ces observations semblent tout particulièrement pouvoir s’appliquer aux faits en cause dans la présente affaire.

127.

Lorsque le budget de l’Union a reçu, que ce soit directement ou indirectement, d’un opérateur économique une somme sur laquelle l’Union n’a aucun droit, celle-ci bénéficie d’un enrichissement sans cause. Il est remédié, dans une large mesure, à cette situation par le remboursement du montant principal concerné. Toutefois, durant le laps de temps qui s’est écoulé entre la perception et le remboursement, le montant a été à la disposition de l’Union et non de l’opérateur économique. Et, lorsque c’est une partie plutôt qu’une autre qui dispose d’une somme d’argent, c’est la première qui peut la faire fructifier et non la seconde.

128.

Dans ce type de situation, ce qui importe est non pas tant l’éventuel enrichissement sans cause de la partie en possession de la somme que l’impossibilité, pour la partie privée de cette possession, de s’enrichir normalement. Telle était la logique sous-tendant les points 82 à 89 de l’arrêt Metallgesellschaft e.a. ( 48 ), où la Cour a conclu que l’exigibilité prématurée d’un impôt, contraire au droit de l’Union, conférait au contribuable le droit d’exiger le «montant des intérêts qu’aurait généré la somme devenue indisponible à la suite de l’exigibilité prématurée de l’impôt». Conformément à l’arrêt Masdar (UK)/Commission, ce principe doit également s’appliquer lorsque c’est l’Union elle-même, et non l’État membre, qui est responsable de l’erreur commise lors de la perception de la cotisation.

129.

Par conséquent, j’estime que le principe général interdisant tout enrichissement sans cause exige qu’un producteur de sucre, qui a droit au remboursement d’une cotisation perçue par l’agence nationale compétente et versée au budget de l’Union, doit pouvoir réclamer des intérêts sur la somme concernée pour la période durant laquelle il n’en disposait pas.

130.

En outre, dans la mesure où la somme concernée était à la disposition du budget de l’Union et non de l’État membre, l’agence nationale tenue de payer des intérêts doit pouvoir récupérer ces intérêts, tout comme le montant principal, du budget de l’Union.

131.

Sur ce dernier point, je ne suis pas convaincue par les arguments tirés de ce que la législation en matière de ressources propres ne contient aucune disposition prévoyant de tels intérêts. Aucune disposition explicite n’est nécessaire pour permettre l’application d’un principe général tel que celui en cause; par ailleurs, aucune disposition n’a été invoquée qui pourrait interdire le paiement d’intérêts. En revanche, la législation en cause ( 49 ) prévoit expressément que les États membres doivent payer des intérêts en cas de retard dans l’inscription des sommes dues au compte des ressources propres. Il serait inéquitable s’il n’y avait aucune possibilité d’obtenir des intérêts dans la situation inverse, lorsque des sommes ont été indûment inscrites au crédit de ce compte.

132.

La Commission soutient, toutefois, que les 25 % du montant des cotisations à la production retenus par les États membres «à titre de frais de perception» devraient servir à couvrir les intérêts que l’agence nationale est tenue de payer en application du droit national. Elle part de la prémisse que, lorsque des sommes sont perçues par les États membres et versées aux ressources propres de l’Union, la relation entre le contribuable et l’État membre ne saurait être mise sur un pied d’égalité avec celle existant entre l’État membre et l’Union. Elle rappelle que le manquement, par une agence nationale, à percevoir une cotisation due n’exonère pas l’État membre de son obligation de verser la somme concernée au budget de l’Union, ainsi que, le cas échéant, les intérêts y afférents ( 50 ). De la même manière, affirme la Commission, le fait qu’un État membre peut être obligé de verser des intérêts lors du remboursement de sommes, indûment perçues, relevant des ressources propres ne lui confère pas un droit correspondant à réclamer de l’Union des intérêts dans le cadre de la correction des comptes. Les 25 % retenus par les États membres, poursuit-elle, sont destinés à couvrir tous les frais liés à la perception, y compris ceux engendrés par des procédures judiciaires nationales concernant les conséquences de trop-perçus. Comme le paiement d’intérêts est ordonné en application du droit national dans le cadre de telles procédures judiciaires nationales, la Commission conclut qu’il convient de les considérer comme des frais de perception.

133.

Je ne suis pas convaincue. Si l’omission, par une agence nationale, à percevoir une cotisation due n’exonère pas l’État membre de son obligation de verser la somme concernée au budget de l’Union, ainsi que, le cas échéant, les intérêts y afférents, la conclusion qui en découle logiquement est que, lorsque le législateur de l’Union impose illégalement une cotisation qui est perçue et versée au budget de l’Union par les États membres, qui doivent ensuite rembourser les sommes en cause aux contribuables, majorées des intérêts, l’Union n’est pas exonérée de son obligation de rembourser ces sommes aux États membres avec les intérêts y afférents.

134.

En ce qui concerne les 25 % retenus par les États membres, il est vrai qu’un pourcentage aussi élevé doit envisager un niveau d’inefficacité surprenant s’il est effectivement destiné à ne couvrir rien de plus que les frais mêmes de perception. Il y a lieu d’espérer qu’une partie seulement en servira effectivement à cette fin. Rien dans la législation en matière de ressources propres n’indique cependant que le reste serait destiné à couvrir les intérêts sur des sommes à rembourser, car perçues indûment sur la base de règlements de l’Union qui ont été déclarés invalides — ce qui ne relève pas de la signification habituelle de «perception».

135.

À cet égard, il me semble que l’approche la plus évidente est celle adoptée par le gouvernement français dans ses observations, qui considère que le montant total de la cotisation est simplement partagé entre l’Union et l’État membre. 75 % de la cotisation sont versés au budget de l’Union et 25 % retenus par l’État membre. Par conséquent, 75 % du montant à rembourser, avec tout intérêt éventuellement afférent à cette partie, sont à mettre à la charge du budget de l’Union et le reste à la charge de l’État membre.

136.

Les deux premières parties de la quatrième question de la High Court devraient, par conséquent, recevoir la réponse que le droit de l’Union ne fait pas obstacle à ce que des opérateurs économiques perçoivent, auprès de l’autorité nationale compétente, les intérêts sur les sommes payées en trop en application d’un règlement invalide, ni à ce que cette agence récupère les intérêts correspondants sur le budget de l’Union.

137.

Il reste la troisième partie de cette question: celle de savoir si le droit de l’Union fait obstacle à ce que la juridiction nationale exerce son éventuel pouvoir d’appréciation en vertu du droit national pour décider de ne pas accorder d’intérêts du tout.

138.

En ce qui concerne la juridiction de renvoi, ce pouvoir d’appréciation lui est conféré par l’article 35 A, paragraphe 1, de la loi sur les juridictions supérieures de 1981 (Senior Courts Act 1981): «[…] Dans une procédure […] ayant pour objet le paiement d’une dette […], toute somme accordée par l’arrêt peut être assortie d’un intérêt simple, au taux considéré par la Cour comme adéquat […], sur tout ou partie de la dette […] pour la totalité ou une partie de la période entre la date où le fait générateur s’est produit et [le paiement ou le prononcé de l’arrêt]».

139.

Conformément à la jurisprudence, des règles nationales de ce type sont applicables aux fins de décider de l’octroi d’intérêts dans des cas tels que ceux se présentant en l’occurrence.

140.

Toutefois, cela est vrai «à défaut de dispositions [du droit de l’Union] en matière de restitution de redevances indûment perçues sur la base de règlements [de l’Union] déclarés invalides» ( 51 ).

141.

Dans les cas présents, s’il n’y a peut-être effectivement pas de «dispositions» du droit de l’Union, il me semble que la primauté de règles nationales particulières doit céder le pas devant un principe général commun aux ordres juridiques des États membres et qui est reconnu dans l’application du droit de l’Union. En vertu de ce principe, des intérêts sont accordés pour compenser la jouissance des montants perçus à tort dont l’intéressé était privé. S’il existe une raison valable pour réduire le montant des intérêts accordés (par exemple, en conséquence de la conduite du demandeur), la juridiction nationale peut exercer le pouvoir d’appréciation que lui confère éventuellement le droit national pour ce faire. Toutefois, le simple fait que le budget de l’Union puisse subir une perte ne saurait être considéré comme constituant, en vertu du droit de l’Union, une raison valable en ce sens.

Le taux de change approprié

142.

La dernière question à examiner ne se pose que si les remboursements sont effectués dans une monnaie autre que l’euro. Parmi les trois procédures au principal, elle concerne donc uniquement l’affaire British Sugar, bien qu’elle puisse être pertinente également dans d’autres États membres. Étant donné que i) les sommes perçues en trop étaient initialement chiffrées en euros, puis, à des moments divers, convertis en livres sterling aux fins de leur perception, ii) tout remboursement à l’agence nationale, prélevé sur le budget de l’Union, devra être converti d’euros en livres sterling à une date postérieure et iii) les taux de change ont fluctué durant la période concernée, à quelle(s) date(s) convient-il de se placer pour procéder aux conversions nécessaires?

143.

Selon l’article 6 du règlement contesté, les articles 1er à 4 s’appliquent à compter des dates d’entrée en vigueur respectives des différents règlements dont ils remplacent les dispositions. Par ailleurs, le point 5 de la recommandation de la Commission à l’intention des États membres concernant l’application du règlement contesté ( 52 ) déclare: «En ce qui concerne la collecte des cotisations sur le sucre, les États membres qui n’ont pas adopté l’euro ont converti les montants fixés en euros dans les règlements sucre pertinents afin d’inscrire les montants au crédit du compte des ressources propres. Pour des raisons de cohérence et comme le règlement rectificatif est d’application rétroactive, les taux de change employés par les États membres au moment où les cotisations sur le sucre ont été calculées doivent également l’être pour convertir les cotisations rectifiées. Bien que le remboursement des cotisations indûment versées soit régi par le droit national, l’emploi du taux de change du moment du calcul des cotisations semble conforme à la nature et à la finalité du remboursement et avec l’objectif consistant à éviter des distorsions entre les différents États membres dans la mise en œuvre des remboursements». La recommandation rappelle ensuite aux États membres les différents règlements annuels fixant, pour chacune des campagnes de commercialisation concernées, le taux de change spécifique, notamment, des cotisations à la production pour les monnaies des États membres qui n’ont pas adopté la monnaie unique.

144.

En Angleterre et au pays de Galles, un demandeur peut, par demande motivée, réclamer une somme d’argent libellée en monnaie étrangère. S’il obtient gain de cause, il se voit allouer la somme dans cette monnaie «ou son équivalent en livres sterling, à la date du paiement» ( 53 ). Sur ce fondement, British Sugar cherche à obtenir, devant la juridiction nationale, le remboursement du trop-perçu, déterminé en euros et converti en livres sterling au taux en vigueur à la date du paiement.

145.

La juridiction de renvoi demande si le taux applicable est déterminé par le droit de l’Union; si tel est le cas, si l’article 6 du règlement contesté exige d’appliquer le taux appliqué lors du calcul de la cotisation initiale; et, si tel est le cas, si l’article 6 est valide.

146.

Je suis déjà parvenue à la conclusion que le règlement contesté est formellement invalide dans son ensemble et qu’il est matériellement invalide dans la mesure où il est fondé sur une méthode de calcul spécifique. Dans ces conditions, il ne semble pas pertinent d’examiner en outre le sens et la validité de son article 6, qui concerne uniquement les dates d’entrée en vigueur et l’application de dispositions dont j’estime qu’elles sont invalides.

147.

Comme, toutefois, la même question se posera au sujet de tout règlement futur qui sera adopté en vue de remplacer le règlement contesté, il est pertinent de se demander dans quelle mesure la question de la date à laquelle il convient de se placer pour déterminer le taux de change applicable est du ressort du droit de l’Union.

148.

Le taux de change applicable est, en principe, une «question accessoire ayant trait au remboursement» au sens de la jurisprudence ( 54 ) et, à ce titre, à déterminer en application du droit national.

149.

Toutefois, comme l’observe la Commission, ces règles ne jouent pas hors de tout contexte et la juridiction nationale ne peut faire abstraction de certains aspects qui sont régis par le droit de l’Union — en particulier du fait que des taux de change spécifiques, fixés pour chaque campagne de commercialisation, étaient appliqués lors de la perception initiale des cotisations à la production. Je suis d’accord avec la Commission qu’il semblerait logique de tenir compte de ces mêmes taux de change si la demande d’un producteur est à juger sur le fondement du mécanisme de la restitutio in integrum. Si, conformément au droit national, un taux de change plus récent était néanmoins appliqué, il semblerait par ailleurs approprié que la juridiction nationale ait égard à tous profit ou perte liés à un effet d’aubaine lorsqu’elle accorde des intérêts.

Conclusion

150.

À la lumière des considérations qui précèdent, je suis d’avis que la Cour devrait répondre comme suit aux questions posées par le Finanzgericht Düsseldorf, par la High Court of Justice (England & Wales) et par le tribunal de grande instance de Nanterre:

«–

Le règlement (CE) no 1193/2009 de la Commission, du 3 novembre 2009, rectifiant les règlements (CE) no 1762/2003, (CE) no 1775/2004, (CE) no 1686/2005, (CE) no 164/2007 et fixant, pour les campagnes de commercialisation 2002/2003, 2003/2004, 2004/2005 et 2005/2006, les montants des cotisations à la production pour le secteur du sucre, est invalide sur le plan formel dans la mesure où il se donne pour base juridique le règlement (CE) no 1260/2001 du Conseil, du 19 juin 2001, portant organisation commune des marchés dans le secteur du sucre, et notamment ses articles 15, paragraphe 8, premier tiret, et 16, paragraphe 5.

Le règlement no 1193/2009 est invalide sur le fond dans la mesure où la méthode de calcul des cotisations fixées pour les campagnes de commercialisation concernées inclut dans le ‘montant total des restitutions’, visé à l’article 15, paragraphe 1, sous d), du règlement no 1260/2001, des restitutions qui auraient pu être demandées pour des engagements à l’exportation, mais qui, dans les faits, n’ont pas été demandées, ni payées.

L’expression ‘montant total des restitutions’ à l’article 15, paragraphe 1, sous d), du règlement no 1260/2001 couvre uniquement des restitutions effectivement payées.

Le droit de l’Union ne fait pas obstacle à ce que des opérateurs économiques perçoivent, auprès de l’autorité nationale compétente, les intérêts sur les sommes payées en trop en application d’un règlement invalide, ni à ce que cette agence récupère les intérêts correspondants sur le budget de l’Union; lorsqu’elle exerce le pouvoir d’appréciation dont elle peut être titulaire en vertu du droit national pour décider de ne pas accorder d’intérêts dans de telles circonstances, la juridiction nationale doit avoir égard au fait que l’illégalité de la cotisation initiale est imputable à l’Union et que le droit de l’Union interdit l’‘appauvrissement sans cause’ d’une partie privée de la jouissance d’une somme d’argent en conséquence d’une mesure violant ce droit.

Lorsqu’une juridiction nationale ordonne le remboursement, par une agence nationale, de sommes perçues en trop, en application d’un règlement invalide, par cette agence dans une monnaie autre que l’euro, puis converties en euros lors de leur versement au budget de l’Union, des questions accessoires, telles que la monnaie dans laquelle le remboursement est ordonné et la date pertinente aux fins de déterminer le taux de change applicable, sont à résoudre en application du droit national, en tenant compte des règles du droit de l’Union applicables dans des domaines connexes, tels que l’octroi d’intérêts.»


( 1 ) Langue originale: l’anglais.

( 2 ) Arrêt du 8 mai 2008 (C-5/06 et C-23/06 à C-36/06, Rec. p. I-3231).

( 3 ) Décision 2000/597/CE, Euratom, du 29 septembre 2000, relative au système des ressources propres des Communautés européennes (JO L 253, p. 42), remplacée, depuis lors, par la décision 2007/436/CE, Euratom du Conseil, du 7 juin 2007, relative au système des ressources propres des Communautés européennes (JO L 163, p. 17).

( 4 ) Règlement (CE, Euratom) no 1150/2000, du 22 mai 2000, portant application de la décision 94/728/CE, Euratom relative au système des ressources propres des Communautés (JO L 130, p. 1).

( 5 ) Tel que modifié par le règlement (CE, Euratom) no 2028/2004 du Conseil, du 16 novembre 2004 (JO L 352, p. 1). La version initiale de l’article 11 n’était pas subdivisée en paragraphes, mais contenait la même disposition, suivie de règles détaillées sur le taux d’intérêt à appliquer.

( 6 ) Règlement (CE) no 1260/2001, du 19 juin 2001, portant organisation commune des marchés dans le secteur du sucre (JO L 178, p. 1). La production dans le secteur du sucre inclut le sucre, l’isoglucose et le sirop d’inuline. Comme, dans le présent contexte, il n’est pas utile de distinguer entre les différents produits, j’omettrai, ci-après, toute référence aux produits autres que le sucre.

( 7 ) Par le règlement (CE) no 318/2006 du Conseil, du 20 février 2006, portant organisation commune des marchés dans le secteur du sucre (JO L 58, p. 1), lui-même abrogé et remplacé par le règlement (CE) no 1234/2007 du Conseil, du 22 octobre 2007, portant organisation commune des marchés dans le secteur agricole et dispositions spécifiques en ce qui concerne certains produits de ce secteur (règlement OCM unique) (JO L 299, p. 1).

( 8 ) Au cours de la période en cause, la production dans le secteur du sucre était divisée en trois classes. La production A et B relevait de quotas correspondant en principe, respectivement, à la demande sur le marché intérieur et aux exportations de sucre excédentaire bénéficiant de restitutions à l’exportation. Le sucre C était produit au-delà de ces quotas et ne pouvait pas être commercialisé librement à l’intérieur de l’Union européenne; il fallait l’exporter, aux frais de l’industrie du sucre et sans bénéficier de restitutions.

( 9 ) Je désignerai ci-après la cotisation à la production de base, la cotisation B et la cotisation complémentaire collectivement par «cotisations à la production».

( 10 ) Ce libellé était resté en substance identique depuis l’article 28 du règlement (CEE) no 1785/81 du Conseil, du 30 juin 1981, portant organisation commune des marchés dans le secteur du sucre (JO L 177, p. 4).

( 11 ) Pour la définition de cette quantité, voir points 21 et 32 ci-après.

( 12 ) Pour la définition de ces engagements, voir points 22 et 32 ci-après. L’emploi du terme «engagements» reflète le fait que, en vertu de l’article 22, paragraphe 1, du règlement de base, les certificats d’exportation étaient subordonnés à la constitution d’une garantie assurant que l’exportation aurait lieu dans un délai déterminé.

( 13 ) Comme aucun prélèvement à l’exportation n’a jamais été perçu, la «différence entre le montant total des restitutions et le montant total des prélèvements» était tout simplement égale au montant total des restitutions.

( 14 ) Règlement (CE) no 314/2002, du 20 février 2002, établissant des modalités d’application du régime des quotas dans le secteur du sucre (JO L 50, p. 40), tel que modifié, notamment, par le règlement (CE) no 1140/2003 de la Commission, du 27 juin 2003 (JO L 160, p. 33). Il a été abrogé et remplacé, avec effet au 1er juillet 2006, par le règlement (CE) no 952/2006 de la Commission, du 29 juin 2006, portant modalités d’application du règlement no 318/2006 en ce qui concerne la gestion du marché intérieur du sucre et le régime des quotas (JO L 178, p. 39).

( 15 ) Règlement (CE) no 1837/2002 de la Commission, du 15 octobre 2002, fixant, pour la campagne de commercialisation 2001/2002, les montants des cotisations à la production ainsi que le coefficient de la cotisation complémentaire dans le secteur du sucre (JO L 278, p. 13); règlement (CE) no 1762/2003 de la Commission, du 7 octobre 2003, fixant, pour la campagne de commercialisation 2002/2003, les montants des cotisations à la production pour le secteur du sucre (JO L 254, p. 4); règlement (CE) no 1775/2004 de la Commission, du 14 octobre 2004, fixant, pour la campagne de commercialisation 2003/2004, les montants des cotisations à la production pour le secteur du sucre (JO L 316, p. 64), et règlement (CE) no 1686/2005 de la Commission, du 14 octobre 2005, fixant, pour la campagne de commercialisation 2004/2005, les montants des cotisations à la production ainsi que le coefficient de la cotisation complémentaire dans le secteur du sucre (JO L 271, p. 12).

( 16 ) Voir, en particulier, points 37 et 44 de l’arrêt Jülich I.

( 17 ) Voir note 12 ci-dessus.

( 18 ) Voir, en particulier, points 48 à 60 de l’arrêt Jülich I.

( 19 ) Ordonnance du 6 octobre 2008 (C‑175/07 à C‑184/07).

( 20 ) Le vote au sein du comité de gestion s’est conclu par 37 voix (6 États membres) «pour» la proposition de la Commission et 281 voix (17 États membres) «contre», ainsi que 27 abstentions (4 États membres). De tels votes semblent être rares.

( 21 ) Suivant la procédure de gestion applicable — voir article 42 du règlement de base et article 4 de la décision 1999/468/CE du Conseil, du 28 juin 1999, fixant les modalités de l’exercice des compétences d’exécution conférées à la Commission (JO L 184, p. 23, dite «décision comitologie») —, pour prendre une mesure différente du projet soumis par la Commission, le Conseil aurait dû se mettre d’accord sur cette mesure à la majorité qualifiée telle que définie à l’article 205, paragraphe 2, CE (majorité des votes et majorité des États membres) dans un délai d’un mois. Cela s’est avéré impossible, alors même qu’une majorité répondant à ces exigences s’était opposée au projet de la Commission.

( 22 ) Règlement (CE) no 1193/2009 de la Commission, du 3 novembre 2009, rectifiant les règlements no 1762/2003, no 1775/2004, no 1686/2005, no 164/2007 et fixant, pour les campagnes de commercialisation 2002/2003, 2003/2004, 2004/2005 et 2005/2006, les montants des cotisations à la production pour le secteur du sucre (JO L 321, p. 1).

( 23 ) Règlement (CE) no 164/2007 de la Commission, du 19 février 2007, fixant, pour la campagne de commercialisation 2005/2006, les montants des cotisations à la production pour le secteur du sucre (JO L 51, p. 17).

( 24 ) Affaires Zuckerfabrik Jülich/Commission (T‑66/10), British Sugar/Commission (T‑86/10), Nordzucker/Commission (T‑100/10), Pologne/Commission (T‑101/10), et Südzucker e.a./Commission (T‑102/10).

( 25 ) Citée au point 21 ci-dessus.

( 26 ) Cité à la note 7 ci-dessus.

( 27 ) Voir, par exemple, arrêt du 1er octobre 2009, Commission/Conseil (C-370/07, Rec. p. I-8917, point 39).

( 28 ) Arrêt du 29 mars 2011, ArcelorMittal Luxembourg/Commission et Commission/ArcelorMittal Luxembourg e.a. (C-201/09 P et C-216/09 P, Rec. p. I-2239, point 75). Si, dans cette affaire, la Cour a jugé que la décision de la Commission était valide sur le plan formel, les circonstances différaient de celles en cause dans la présente affaire dans la mesure où il existait alors une nouvelle règle de procédure conférant le pouvoir à la Commission de prendre des décisions du type de celle en cause.

( 29 ) Voir, par analogie, arrêt du 5 mars 1980, Könecke/Commission (76/79, Rec. p. 665, points 14 et 15).

( 30 ) Voir, par exemple, arrêt du 27 septembre 2007, Ikea Wholesale (C-351/04, Rec. p. I-7723, points 67 et 68). Voir également article 8, paragraphe 1, de la décision sur les ressources propres, cité au point 10 ci-dessus.

( 31 ) Guide pratique commun du Parlement européen, du Conseil et de la Commission à l’intention des personnes qui contribuent à la rédaction des textes législatifs au sein des institutions communautaires, 2003, mise à jour 2009, points 9.4 et 9.5.

( 32 ) Cette affirmation n’a pas été formellement contestée, mais il a été déclaré lors de l’audience que ni les producteurs de sucre ni les États membres n’étaient en mesure de la vérifier.

( 33 ) Il n’a pas été suggéré que «moyenne» puisse dans le présent contexte signifier quoi que ce soit d’autre que «moyenne arithmétique».

( 34 ) Si la version en langue anglaise ainsi que plusieurs autres versions linguistiques utilisent plusieurs termes différents (en anglais, «forecast», «estimate» et «foreseeable»), d’autres versions utilisent toujours le même terme (par exemple, «prévisible» en français et «voraussichtlich» en allemand) et il ne semble pas que le législateur ait entendu opérer une distinction sur ce point.

( 35 ) Point 43 de l’arrêt.

( 36 ) L’intitulé précis de cette colonne varie dans les différentes versions produites dans le cadre des différentes affaires. Dans l’une, il est indiqué que les restitutions sont des restitutions à l’exportation, dans une autre qu’il s’agit de restitutions «payées» aux producteurs. Les chiffres sont cependant toujours identiques.

( 37 ) J’observe que si (et seulement si) des restitutions de ce type ont été incluses dans la somme totale des «restitutions octroyées», il s’ensuit que des cotisations à la production plus élevées sont nécessaires pour les couvrir; et qu’une façon de parvenir à des cotisations à la production plus élevées est d’inclure la même restitution qui n’a pas été effectivement payée dans le numérateur de la fraction qui nous intéresse.

( 38 ) Voir points 7 et 8 ci-dessus.

( 39 ) Onzième considérant du règlement de base.

( 40 ) Neuvième considérant du règlement de base.

( 41 ) Voir, également, arrêt Jülich I, précité, points 42 et 43.

( 42 ) Voir, en dernier lieu, arrêt du 19 mars 2009, Mitsui & Co. Deutschland (C-256/07, Rec. p. I-1951, point 32).

( 43 ) Au point 66 ci-dessus.

( 44 ) Document officieux produit devant la Cour.

( 45 ) Voir arrêt du 15 septembre 1998, Ansaldo Energia e.a. (C-279/96 à C-281/96, Rec. p. I-5025, point 28 et jurisprudence citée); voir également arrêts du 8 mars 2001, Metallgesellschaft e.a. (C-397/98 et C-410/98, Rec. p. I-1727, point 86), ainsi que du 7 septembre 2006, N (C-470/04, Rec. p. I-7409, point 60).

( 46 ) Pour une étude comparative récente, voir Williams, R., Unjust enrichment and public law, a comparative study of England, France and the EU, Hart, 2010.

( 47 ) Arrêt du 16 décembre 2008 (C-47/07 P, Rec. p. I-9761, points 44 à 47).

( 48 ) Précité à la note 45 ci-dessus.

( 49 ) Article 11, paragraphe 1, du règlement sur les ressources propres (voir point 12 ci-dessus).

( 50 ) Voir arrêt du 15 novembre 2005, Commission/Danemark (C-392/02, Rec. p. I-9811, point 63).

( 51 ) Arrêt Ansaldo Energia e.a., précité à la note 45, point 28.

( 52 ) Voir note 44 ci-dessus.

( 53 ) British Sugar renvoie à cet égard aux instructions pratiques (Practice Directions) 16, point 9.1, et 40 B, point 10, des règles de procédure civile (Civil Procedure Rules).

( 54 ) Voir point 124 ci-dessus.