ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

8 novembre 2011(*)

« Responsabilité non contractuelle – Aides d’État – Décision de la Commission d’ouvrir une procédure formelle d’examen – Mentions préjudiciables à une société tierce – Violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit conférant des droits aux particuliers – Obligation de secret professionnel – Préjudices immatériels – Préjudices matériels – Lien de causalité – Intérêts moratoires et compensatoires »

Dans l’affaire T‑88/09,

Idromacchine Srl, établie à Porto Marghera (Italie),

Alessandro Capuzzo, domicilié à Mirano (Italie),

Roberto Capuzzo, domicilié à Mogliano Veneto (Italie),

représentés par Mes W. Viscardini et G. Donà, avocats,

parties requérantes,

contre

Commission européenne, représentée par M. D. Grespan et Mme E. Righini, en qualité d’agents, assistés de MF. Ruggeri Laderchi, avocat,

partie défenderesse,

ayant pour objet un recours en indemnité visant à la réparation des dommages prétendument subis en raison de la publication au Journal officiel de l’Union européenne d’informations mensongères portant notamment atteinte à l’image et à la réputation d’Idromacchine dans la décision C (2002) 5426 final de la Commission, du 30 décembre 2004, « Aides d’État – Italie – Aide d’État N 586/2003, N 587/2003, N 589/2003 et C 48/2004 (ex N 595/2003) – Prolongation du délai de livraison de trois ans pour un chimiquier – Invitation à présenter des observations en application de l’article 88, paragraphe 2, [CE] »,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre),

composé de Mmes I. Pelikánová, président, K. Jürimäe (rapporteur) et M. M. van der Woude, juges,

greffier : M. J. Palacio González, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 8 février 2011,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Idromacchine Srl est une entreprise de construction navale opérant notamment dans le secteur de la chaudronnerie. M. Alessandro Capuzzo et M. Roberto Capuzzo détiennent chacun 50 % du capital social d’Idromacchine et en sont respectivement le président du conseil d’administration et l’administrateur délégué. Idromacchine et MM. Capuzzo, pris ensemble, sont dénommés ci-après les « requérants ».

2        En 2002, Cantiere navale De Poli SpA (ci-après « De Poli ») a commandé à Idromacchine quatre grands réservoirs destinés au transport de gaz liquide sur les navires C.188 et C.189 dont De Poli assurait la construction.

3        La construction des navires C.188 et C.189 faisait l’objet d’aides au fonctionnement régies par le règlement (CE) n° 1540/98 du Conseil, du 29 juin 1998, concernant les aides à la construction navale (JO L 202, p. 1). En vertu de l’article 3, paragraphes 1 et 2, dudit règlement, les aides au fonctionnement octroyées aux chantiers navals étaient autorisées sous certaines conditions, notamment qu’elles ne soient pas octroyées pour des navires livrés plus de trois ans après la date de signature du contrat définitif de construction. Toutefois, en vertu de l’article 3, paragraphe 2, de ce règlement, la Commission des Communautés européennes était autorisée à proroger ce délai lorsque la complexité technique du projet de construction navale concerné ou les retards résultant de perturbations inattendues, importantes et justifiables du plan de charge d’un chantier dues à des circonstances exceptionnelles, imprévisibles et extérieures à l’entreprise, le justifiaient. Cette prorogation du délai ne pouvait être autorisée par la Commission que si l’État membre en cause lui notifiait, conformément à l’article 2 du règlement (CE) nº 659/1999 du Conseil, du 22 mars, 1999 portant modalités d’application de l’article 93 [CE] (JO L 83, p. 1), une demande de prorogation.

4        Le 11 décembre 2003, la République italienne a notifié à la Commission une demande de prorogation du délai initialement prévu pour la livraison de navires, y compris les navires C.188 et C.189, dont De Poli notamment assurait la construction, en vertu de l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 1540/98.

5        Entre les 5 février et 18 octobre 2004, la Commission a demandé à plusieurs reprises aux autorités italiennes des compléments d’information concernant leur demande de prorogation du délai intialement prévu pour la livraison des navires. Lesdites autorités ont répondu aux demandes de la Commission dans les délais impartis.

6        Le 30 décembre 2004, la Commission a notifié à la République italienne sa décision C (2002) 5426 final, du 30 décembre 2004, « Aides d’État – Italie – Aide d’État N 586/2003, N 587/2003, N 589/2003 et C 48/2004 (ex N 595/2003) – Prolongation du délai de livraison de trois ans pour un chimiquier – Invitation à présenter des observations en application de l’article 88, paragraphe 2, [CE] » (ci-après la « décision litigieuse »).

7        Dans la décision litigieuse, la Commission a, d’une part, accordé, à l’issue de la phase préliminaire d’examen des aides notifiées, une prorogation des délais de livraison prévus pour les navires construits par De Poli après avoir estimé que les conditions prévues à l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 1540/98 étaient remplies et, d’autre part, décidé d’ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE concernant la demande de prorogation du délai de livraison d’un chimiquier construit par un autre chantier naval.

8        S’agissant de l’examen par la Commission de la demande de prorogation des délais de livraison prévus pour les navires construits par De Poli, la Commission relève au paragraphe 10, sous iii), de la décision litigieuse ce qui suit :

« En ce qui concerne les navires C.196 et C.197, le chantier avait commandé à Idromacchine […] l’un des principaux constructeurs de réservoirs, la construction de réservoirs de charge pour les navires C.188 et C.189, navires jumeaux des bâtiments C.196 et C.197. Lors de la construction des navires C.188 et C.189, le RINA (Registro italiano navale), organisme italien de certification, a déclaré non conformes les réservoirs en cours de construction chez Idromacchine destinés aux navires précités, en raison de la présence de défauts.

[…] Les réservoirs, destinés à l’origine aux navires C.188 et C.189, qui ont fait l’objet d’une nouvelle commande auprès d’un autre constructeur, auraient donc été installés sur les navires C.197 et C.196, avec un retard de livraison de six mois au total, donc au-delà de la date butoir du 31. 12. 2003.

Les réservoirs de charge sont des composants indispensables pour que le navire soit autorisé à transporter le gaz liquide [ ; les autorités italiennes] affirment que les réservoirs utilisés sur les navires C.188 [et], C.189 – et sur les navires jumeaux C.196 et C.197 – doivent satisfaire à des normes de qualité et de sécurité rigoureuses en matière navale. En outre, selon les déclarations des autorités italiennes, eu égard à l’expérience d’Idromacchine, le chantier [naval exploité par De Poli] ne pouvait prévoir que le RINA exprimerait un avis négatif sur la conformité des réservoirs des navires C.188 et C.189. Les autorités italiennes précisent également que pour faire face à cette difficulté, le chantier s’est immédiatement employé à chercher d’autres fournisseurs sur le marché. La société [G.] a été le seul fournisseur ayant accepté de produire de nouveaux réservoirs, qui ne pouvaient être livrés, semble-t-il, avant les 31. 1. 2004 et 31. 3. 2004 ; par conséquent le chantier a été contraint de demander un report du délai de livraison.

[…] »

9        Au paragraphe 28, troisième alinéa, de la décision litigieuse, la Commission considère que « pour ce qui concerne les réservoirs, il importe de relever que l’impossibilité du constructeur de réservoirs, Idromacchine, de fabriquer les réservoirs (un composant essentiel du navire) en conformité avec les normes de certification prescrites et l’impossibilité qui s’en suit de livrer les réservoirs dans les délais convenus est à tout le moins exceptionnel ».

10      La Commission estime, au paragraphe 29, troisième alinéa, de la décision litigieuse que, « s’agissant des réservoirs, il doit être constaté que les problèmes causés par l’impossibilité d’Idromacchine de livrer les réservoirs, composants nécessaires pour l’utilisation du navire à des fins commerciales dans des conditions d’utilisation autorisées, étaient également imprévisibles ».

11      En son paragraphe 31, la décision litigieuse est libellée comme suit :

« Le constructeur n’a pas été en mesure de livrer les réservoirs conformément aux obligations contractuelles et le chantier [naval] a dû commander ces composants à un autre fournisseur, retardant par la suite la finition des navires C.196 et C.197 […] Le non-respect du délai de livraison des fournitures nécessaires est indépendant de la volonté de [De Poli qui] n’avait pas les moyens d’intervenir […] ».

12      En outre, dans le tableau 1 de la décision litigieuse, il est indiqué notamment que « l’inaptitude des réservoirs défectueux des navires jumeaux C.188 et C.189, en phase plus avancés de construction, a contraint le chantier à y installer les réservoirs destinés aux navires C.196 et C.197 ».

13      Enfin, le dernier paragraphe de la décision litigieuse telle qu’elle a été notifiée à la République italienne le 30 décembre 2004, indique ce qui suit :

« [A]u cas où la présente lettre contiendrait des informations confidentielles ne devant pas être divulguées, vous êtes invités à en informer la Commission dans un délai de [quinze] jours ouvrables à compter de la date de réception de la présente. En l’absence d’une demande motivée en ce sens dans le délai indiqué, la Commission considérera que vous êtes d’accord avec la publication du texte intégral de la lettre dans la langue faisant foi à l’adresse Internet suivante ».

14      Les autorités italiennes n’ont pas adressé à la Commission de demandes de ne pas divulguer certaines informations contenues dans la décision litigieuse au motif qu’elles auraient été confidentielles.

15      La décision litigieuse a été publiée au Journal officiel de l’Union européenne le 18 février 2005 (JO C 42, p. 15).

 Procédure et conclusions des parties

16      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 27 février 2009, les requérants ont introduit le présent recours en indemnité.

17      Le 11 mars 2009, le président de la deuxième chambre du Tribunal a rejeté la demande d’anonymat et de confidentialité des données formulée par les requérants. Le 2 avril 2009, à la demande de ces derniers, il a confirmé le rejet de leur demande initiale d’anonymat et de confidentialité des données.

18      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, le juge rapporteur a été affecté à la quatrième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.

19      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 8 février 2011.

20      Les requérants concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        condamner la Commission, au titre de leurs préjudices matériels, au paiement d’une indemnité d’un montant de 5 459 641, 28 euros ou de toute autre indemnité éventuellement déterminée par le Tribunal, réévaluée à compter de la date de la publication de la décision litigieuse jusqu’à la date du prononcé de l’arrêt et majorée des intérêts moratoires à partir de la date du prononcé de l’arrêt jusqu’au paiement complet de cette somme, au taux fixé par la Banque centrale européenne (BCE) pour les opérations principales de refinancement, majoré de deux points ;

–        condamner la Commission, au titre de leurs préjudices immatériels, au paiement d’une indemnité à Idromacchine et d’une indemnité à MM. Capuzzo, dont les montants sont à déterminer ex aequo et bono, correspondant par exemple, à un pourcentage significatif, de l’ordre de 30 à 50 %, du montant de l’indemnité allouée au titre du préjudice matériel, réévaluée à compter de la date de la publication de la décision litigieuse jusqu’à la date du prononcé de l’arrêt et majorée des intérêts moratoires à partir de la date du prononcé de l’arrêt jusqu’au paiement complet de cette somme, au taux fixé par la BCE pour les opérations principales de refinancement, majoré de deux points ;

–        condamner la Commission à réhabiliter l’image d’Idromacchine et celle de MM. Capuzzo selon les modalités qu’il juge les plus adéquates, telles qu’une publication ad hoc au Journal officiel ou une lettre adressée aux principaux opérateurs du secteur ordonnant la rectification des informations relatives à Idromacchine dans la décision litigieuse ;

–        condamner la Commission aux dépens.

21      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner les requérants aux dépens.

 En droit

22      En vertu de l’article 288, deuxième alinéa, CE, en matière de responsabilité non contractuelle, la Communauté européenne doit réparer, conformément aux principes généraux communs aux droits des États membres, les dommages causés par ses institutions ou par ses agents dans l’exercice de leurs fonctions.

23      Selon une jurisprudence constante, l’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté, au sens de l’article 288, deuxième alinéa, CE, pour comportement illicite de ses organes est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’illégalité du comportement reproché à l’institution, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le préjudice invoqué (arrêts de la Cour du 29 septembre 1982, Oleifici Mediterranei/CEE, 26/81, Rec. p. 3057, point 16, et du Tribunal du 14 décembre 2005, Beamglow/Parlement e.a., T‑383/00, Rec. p. II‑5459, point 95).

24      Tout d’abord, s’agissant de la condition relative au comportement illégal reproché à l’institution ou à l’organe concerné, la jurisprudence exige que soit établie une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers (arrêt de la Cour du 4 juillet 2000, Bergaderm et Goupil/Commission, C‑352/98 P, Rec. p. I‑5291, point 42). Pour ce qui est de l’exigence selon laquelle la violation doit être suffisamment caractérisée, le critère décisif permettant de considérer qu’elle est remplie est celui de la méconnaissance manifeste et grave, par l’institution ou l’organe communautaire concerné, des limites qui s’imposent à son pouvoir d’appréciation. Lorsque cette institution ou cet organe ne dispose que d’une marge d’appréciation considérablement réduite, voire inexistante, la simple infraction au droit communautaire peut suffire pour établir l’existence d’une violation suffisamment caractérisée (arrêts de la Cour du 10 décembre 2002, Commission/Camar et Tico, C‑312/00 P, Rec. p. I‑11355, point 54, et du Tribunal du 12 juillet 2001, Comafrica et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, T‑198/95, T‑171/96, T‑230/97, T‑174/98 et T‑225/99, Rec. p. II‑1975, point 134).

25      Ensuite, s’agissant de la condition relative à la réalité du dommage, la responsabilité de la Communauté ne saurait être engagée que si le requérant a effectivement subi un préjudice « réel et certain » (arrêts de la Cour du 27 janvier 1982, Birra Wührer e.a./Conseil et Commission, 256/80, 257/80, 265/80, 267/80 et 5/81, Rec. p. 85, point 9, et De Franceschi/Conseil et Commission, 51/81, Rec. p. 117, point 9 ; arrêt du Tribunal du 16 janvier 1996, Candiotte/Conseil, T‑108/94, Rec. p. II‑87, point 54). Il incombe au requérant d’apporter des éléments de preuve au juge communautaire afin d’établir l’existence et l’ampleur d’un tel préjudice (arrêt de la Cour du 21 mai 1976, Roquette frères/Commission, 26/74, Rec. p. 677, points 22 à 24, et du Tribunal du 9 janvier 1996, Koelman/Commission, T‑575/93, Rec. p. II‑1, point 97).

26      Enfin, s’agissant de la condition relative à l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le préjudice invoqué, ledit préjudice doit découler de façon suffisamment directe du comportement reproché, ce dernier devant constituer la cause déterminante du préjudice, alors qu’il n’y a pas d’obligation de réparer toute conséquence préjudiciable, même éloignée, d’une situation illégale (voir arrêts de la Cour du 4 octobre 1979, Dumortier e.a./Conseil, 64/76, 113/76, 167/78, 239/78, 27/79, 28/79 et 45/79, Rec. p. 3091, point 21, et du Tribunal du 10 mai 2006, Galileo International Technology e.a./Commission, T‑279/03, Rec. p. II‑1291, point 130, et la jurisprudence citée). Il appartient au requérant d’apporter la preuve de l’existence d’un lien de causalité entre le comportement reproché et le préjudice invoqué (voir arrêt du Tribunal du 30 septembre 1998, Coldiretti e.a./Conseil et Commission, T‑149/96, Rec. p. II‑3841, point 101, et la jurisprudence citée).

27      Dès lors que l’une des trois conditions d’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté n’est pas remplie, les prétentions indemnitaires doivent être rejetées, sans qu’il soit nécessaire d’examiner si les deux autres conditions sont réunies (arrêt du Tribunal du 20 février 2002, Förde-Reederei/Conseil et Commission, T‑170/00, Rec. p. II‑515, point 37 ; voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 15 septembre 1994, KYDEP/Conseil et Commission, C‑146/91, Rec. p. I‑4199, point 81). Par ailleurs, le juge communautaire n’est pas tenu d’examiner ces conditions dans un ordre déterminé (arrêt de la Cour du 9 septembre 1999, Lucaccioni/Commission, C‑257/98 P, Rec. p. I‑5251, point 13).

28      En l’espèce, les requérants soutiennent qu’ils ont subi des préjudices immatériels et matériels pour lesquels ils demandent à être indemnisés. Le Tribunal estime opportun d’examiner, dans un premier temps, la demande en réparation de leurs préjudices immatériels et, dans un second temps, la demande en réparation de leurs préjudices matériels.

1.     Sur la demande en réparation des préjudices immatériels

29      Selon les requérants, tant Idromacchine que MM. Capuzzo ont subi des dommages immatériels devant être indemnisés.

 Sur le préjudice immatériel subi par Idromacchine

30      S’agissant du prétendu préjudice immatériel subi par Idromacchine, il convient d’examiner les conditions d’engagement de la responsabilité de la Communauté en traitant, d’abord, la condition relative au comportement illégal reproché à la Commission, ensuite, celle liée à la réalité d’un dommage et, enfin, celle liée à l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le préjudice invoqué. C’est uniquement dans l’hypothèse où lesdites conditions seraient remplies qu’il conviendrait ensuite d’examiner l’étendue de la réparation à octroyer à Idromacchine à ce titre.

 Sur le comportement illégal reproché à la Commission

31      Dans leurs écritures, les requérants reprochent, en substance, à la Commission deux comportements illégaux.

32      S’agissant du premier type de comportement illégal reproché à la Commission, les requérants invoquent une violation des principes de bonne administration, de diligence et de respect des droits de la défense en vertu desquels la Commission aurait dû donner à Idromacchine l’opportunité de lui fournir des observations avant l’adoption de la décision litigieuse afin que cette dernière puisse établir l’absence de responsabilité lui incombant dans le retard de livraison des réservoirs en cause.

33      Tout d’abord, il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence, la procédure de contrôle des aides d’État est, compte tenu de son économie générale, une procédure ouverte à l’égard de l’État membre responsable, au regard de ses obligations communautaires, de l’octroi de l’aide (voir arrêt de la Cour du 24 septembre 2002, Falck et Acciaierie di Bolzano/Commission, C‑74/00 P et C‑75/00 P, Rec. p. I‑7869, point 81, et la jurisprudence citée).

34      De plus, dans la procédure de contrôle des aides d’État, les intéressés autres que l’État membre ne sauraient prétendre eux-mêmes à un débat contradictoire avec la Commission, tel que celui ouvert au profit dudit État membre (voir arrêt Falck et Acciaierie di Bolzano/Commission, point 33 supra, point 82, et la jurisprudence citée).

35      Enfin, dans le cadre de la procédure de contrôle des aides d’État prévue à l’article 88 CE, doivent être distinguées, d’une part, la phase préliminaire d’examen des aides instituée par le paragraphe 3 de cet article, qui a seulement pour objet de permettre à la Commission de se former une première opinion sur la compatibilité partielle ou totale de l’aide en cause et, d’autre part, la phase d’examen visée au paragraphe 2 du même article. Ce n’est que dans le cadre de celle-ci, qui est destinée à permettre à la Commission d’avoir une information complète sur l’ensemble des données de l’affaire, que le traité CE prévoit l’obligation, pour la Commission, de mettre en demeure les intéressés de présenter leurs observations (voir arrêt de la Cour du 13 décembre 2005, Commission/Aktionsgemeinschaft Recht und Eigentum, C‑78/03 P, Rec. p. I‑10737, point 34, et la jurisprudence citée).

36      Il résulte donc de la jurisprudence exposée aux points 33 à 35 ci-dessus que la Commission qui, dans la décision litigieuse, a autorisé la prorogation des délais de construction des navires construits par De Poli, n’était nullement tenue, lors de la phase préliminaire d’examen des aides en cause, d’entendre Idromacchine. De surcroît, cette dernière ne constituait pas un tiers intéressé à la procédure, dès lors qu’elle n’était ni le bénéficiaire ni un concurrent du bénéficiaire desdites aides.

37      Les arguments soulevés par les requérants à cet égard n’infirment pas ces constatations.

38      D’une part, l’argument selon lequel, en substance, la Commission serait parvenue à d’autres conclusions que celles adoptées dans la décision litigieuse si elle avait entendu Idromacchine avant l’adoption de la décision litigieuse, doit être rejeté comme étant inopérant. En effet, un tel argument ne remet, en toute hypothèse, pas en question la conclusion au point 36 ci-dessus selon laquelle, au stade de la phase préliminaire d’examen des aides en cause, la Commission n’était tenue par aucune obligation d’entendre Idromacchine.

39      D’autre part, l’argument selon lequel les faits de l’espèce doivent conduire le Tribunal à conclure à une violation des droits de la défense, comme il l’a fait dans des circonstances analogues dans l’affaire ayant conduit à l’arrêt du 24 septembre 2008, M/Médiateur (T‑412/05, non publié au Recueil, points 133 et 136), doit être rejeté comme non fondé. En effet, dans cet arrêt, le Tribunal a constaté que le Médiateur européen avait enfreint le principe du contradictoire en désignant nominativement un fonctionnaire dans une de ses décisions traitant d’un cas de mauvaise administration sans toutefois l’avoir préalablement entendu, comme il y était cependant tenu en vertu des dispositions juridiques qui le liaient. Or, à la différence des faits de cette affaire, la Commission n’était tenue en l’espèce par aucune obligation lui imposant d’entendre Idromacchine avant l’adoption de la décision litigieuse.

40      Partant, dans la mesure où les requérants font valoir que la Commission a violé le principe de bonne administration ainsi que les principes de diligence et de respect des droits de la défense qui en découlent en manquant d’entendre Idromacchine avant d’adopter la décision litigieuse, il y a lieu de rejeter ces griefs comme étant non fondés.

41      S’agissant du second comportement illégal reproché à la Commission, les requérants invoquent, d’une part, une violation du secret professionnel dès lors que la Commission aurait dû s’abstenir d’imputer nommément à Idromacchine un comportement fautif dans la décision litigieuse et, d’autre part, une violation du principe de proportionnalité dans la mesure où, selon eux, il n’existait aucune nécessité de mentionner le nom d’Idromacchine dans ladite décision. Ils soutiennent que, même s’il devait être considéré qu’Idromacchine était responsable des retards de livraison des navires construits par De Poli ou qu’elle n’avait pas livré des réservoirs conformes aux normes en vigueur, il n’en demeure pas moins que la Commission a divulgué à tort le nom d’Idromacchine dans la décision litigieuse publiée au Journal officiel alors même qu’une telle divulgation ne s’imposait pas en l’espèce.

42      À cet égard, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 287 CE, les membres des institutions de la Communauté, les membres des comités ainsi que les fonctionnaires et agents de la Communauté sont tenus, même après la cessation de leurs fonctions, de ne pas divulguer les informations qui, par leur nature, sont couvertes par le secret professionnel, et notamment les renseignements relatifs aux entreprises et concernant leurs relations commerciales ou les éléments de leur prix de revient.

43      Le règlement n° 659/1999 réitère l’obligation de respect du secret professionnel de la Commission dans le cadre de son examen d’aides d’État. Le considérant 21, in fine, dudit règlement prévoit que « la Commission, quand elle publie ses décisions, doit respecter les règles du secret professionnel, conformément à l’article [287] CE ». L’article 24 du même règlement dispose que « la Commission et les États membres, ainsi que leurs fonctionnaires et autres agents, y compris les experts indépendants mandatés par la Commission, sont tenus de ne pas divulguer les informations couvertes par le secret professionnel qu’ils ont recueillies en application du présent règlement ».

44      Ni l’article 287 CE ni le règlement n° 659/1999 n’indiquent explicitement quelles informations, en dehors des secrets d’affaires, sont couvertes par le secret professionnel.

45      Selon la jurisprudence, les informations couvertes par le secret professionnel peuvent être tant des informations confidentielles que des secrets d’affaires (arrêt du Tribunal du 18 septembre 1996, Postbank/Commission, T‑353/94, Rec. p. II‑921, point 86). S’agissant, d’une manière générale, de la nature des secrets d’affaires ou des autres informations couvertes par le secret professionnel, il est nécessaire, d’abord, que ces secrets d’affaires ou ces informations confidentielles ne soient connus que par un nombre restreint de personnes. Ensuite, il doit s’agir d’informations dont la divulgation est susceptible de causer un préjudice sérieux à la personne qui les a fournies ou à des tiers. Enfin, il faut que les intérêts susceptibles d’être lésés par la divulgation de l’information soient objectivement dignes de protection. L’appréciation du caractère confidentiel d’une information nécessite, à cet égard, une mise en balance des intérêts individuels légitimes qui s’opposent à sa divulgation et de l’intérêt général qui veut que les activités des institutions communautaires se déroulent dans le plus grand respect possible du principe d’ouverture (voir arrêts du Tribunal du 30 mai 2006, Bank Austria Creditanstalt/Commission, T‑198/03, Rec. p. II‑1429, point 71, et du 12 octobre 2007, Pergan Hilfsstoffe für industrielle Prozesse/Commission, T‑474/04, Rec. p. II‑4225, point 65, et la jurisprudence citée).

46      Il convient donc de rechercher, à la lumière des dispositions et de la jurisprudence exposés aux points 42 à 45 ci-dessus, si, comme le soutiennent les requérants, la Commission a violé son obligation de secret professionnel ainsi que le principe de proportionnalité en indiquant nommément dans la décision litigieuse qu’Idromacchine n’avait pas livré des réservoirs conformes aux normes en vigueur et que cette dernière n’avait pas respecté ses obligations contractuelles.

47      En l’espèce, premièrement, il y a lieu de constater que l’information selon laquelle, en substance, Idromacchine n’a pas été en mesure de livrer des réservoirs conformes aux normes en vigueur et aux conditions contractuelles à De Poli a été communiquée par la République italienne à la Commission pour les seuls besoins de la procédure administrative d’examen des aides en question. En outre, cette information a trait, comme le relèvent en substance et à juste titre les requérants, à l’exécution des relations commerciales entre ces deux sociétés. La teneur de ces informations est donc, en l’espèce, d’ordre confidentiel.

48      Deuxièmement, la divulgation de l’information mentionnée au point 46 ci-dessus était de nature à causer un préjudice sérieux à Idromacchine. En effet, indépendamment de la question de savoir si la Commission a commis, ou non, une erreur d’appréciation des faits en considérant qu’Idromacchine avait eu un comportement fautif dans l’exécution de ses obligations contractuelles avec De Poli, il y a lieu de constater, en toute hypothèse, que la divulgation par la Commission de faits et d’appréciations présentant nommément Idromacchine de manière défavorable dans la décision litigieuse était de nature à causer un préjudice sérieux à cette dernière.

49      Troisièmement, dans la mesure où la divulgation de l’information mentionnée au point 46 ci-dessus était susceptible de porter atteinte à l’image et à la réputation d’Idromacchine, l’intérêt de cette dernière à ce qu’une telle information ne soit pas divulguée était objectivement digne de protection.

50      Quatrièmement, il ressort de la mise en balance, d’une part, de l’intérêt légitime d’Idromacchine à ce que son nom ne soit pas divulgué dans la décision attaquée et, d’autre part, de l’intérêt général, qu’une telle divulgation était disproportionnée au regard de l’objet de la décision litigieuse.

51      En effet, il convient d’abord de relever à cet égard que le principe d’ouverture et l’impératif de transparence dans l’action des institutions tels qu’ils sont consacrés par l’article 1er UE et les articles 254 CE et 255 CE commandaient en l’espèce que, dans le cadre de l’examen des aides d’État octroyées à De Poli, la Commission prenne explicitement position dans la décision litigieuse sur la question de savoir si le retard dans la construction des navires en cause résultait du comportement de tiers autres que De Poli. Toutefois, il aurait été suffisant pour la Commission de faire état des manquements contractuels soit, en termes très généraux, d’un fournisseur d’une pièce importante des navires en question, soit, le cas échéant, en termes plus spécifiques, du fournisseur des réservoirs en question, sans qu’il soit nécessaire ni dans l’une ni dans l’autre de ces deux hypothèses, de mentionner le nom dudit fournisseur, de sorte que les intérêts légitimes de ce dernier pouvaient être préservés.

52      Ensuite, les arguments avancés par la Commission afin d’établir qu’elle n’a commis aucune erreur en divulguant le nom d’Idromacchine dans la décision litigieuse ne sauraient prospérer.

53      D’une part, dans la mesure où la Commission a soutenu, en réponse aux questions du Tribunal à l’audience, qu’il était « opportun, d’un point de vue de la motivation de la décision [litigieuse] » d’indiquer le nom du constructeur de réservoirs en question qui était « particulièrement fiable [, mais] qui[,] pour une fois, était à l’origine d’un retard », un tel argument doit être rejeté comme étant non fondé. En effet, dans le cadre de l’examen des aides en cause ayant conduit à l’adoption de la décision litigieuse, seule la question de savoir si la République italienne avait justifié à suffisance de droit les retards pris par De Poli dans la livraison des navires était pertinente, sans que la divulgation de l’identité d’un ou des fournisseurs ayant commis d’éventuelles fautes justifiant lesdits retards ait une quelconque influence sur le constat opéré par la Commission dans la décision litigieuse.

54      D’autre part, dans la mesure où la Commission soutient que l’absence de mention du nom du fournisseur des réservoirs en cause dans la décision litigieuse n’aurait pas empêché le public d’en connaître l’identité en raison du fait que le secteur économique en question était très restreint, qu’il était composé de spécialistes et qu’il existait un contentieux, dont la presse s’était fait l’écho, entre De Poli et Idromacchine, lequel était pendant devant le tribunal de Venise (Italie), ces arguments doivent également être rejetés comme étant non fondés. En effet, ces circonstances ne remettent pas en cause la considération selon laquellle, en identifiant Idromacchine comme étant responsable des retards de livraison, la Commission a divulgué, dans la décision litigieuse, des faits et des appréciations présentant nommément celle-ci comme n’ayant pas été en mesure de fournir à De Poli des produits conformes aux normes en vigueur et de respecter ses obligations contractuelles alors même qu’une telle divulgation ne s’imposait pas au regard de l’objet de la décision litigieuse.

55      Enfin, les arguments de la Commission selon lesquels, d’une part, elle s’est contentée de faire reposer la décision litigieuse sur les informations qui lui ont été fournies par la République italienne et, d’autre part, il ressort des articles 24 et 25 du règlement nº 659/1999 et des points 25 et suivants de la communication C (2003) 4582 de la Commission, du 1er décembre 2003, sur le secret professionnel dans les décisions en matière d’aides d’État (JO C 297, p. 6) qu’il appartenait à la République italienne d’indiquer les informations qu’elle considérait comme couvertes par le secret professionnel, doivent être rejetés comme étant non fondés. En effet, si lesdites dispositions prévoient, en substance, que la Commission notifie sa décision à l’État membre concerné qui dispose alors en principe de quinze jours pour soulever la confidentialité des informations qu’il considère comme couvertes par le secret professionnel, celles-ci n’exonèrent pas la Commission de son obligation, en vertu de l’article 287 CE, de ne pas divulguer des secrets professionnels et ne s’opposent pas à ce que la Commission décide, de sa propre initiative, de ne pas divulguer des informations qu’elle estime couvertes par le secret professionnel quand bien même elle n’aurait pas reçu de demande en ce sens de l’État membre concerné. De surcroît, à supposer même qu’il puisse être considéré que la République italienne ait commis des fautes en transmettant à la Commission des informations qui étaient erronées et en ne l’informant pas de la nature confidentielle des informations touchant à l’exécution des relations commerciales entre Idromacchine et De Poli, de telles fautes ne seraient pas susceptibles d’infirmer le constat selon lequel la Commission pouvait, en toute hypothèse, décider de sa propre initiative, de ne pas divulguer des informations couvertes par le secret professionnel.

56      Partant, la divulgation dans la décision litigieuse de faits et d’appréciations présentant nommément Idromacchine comme n’ayant pas été en mesure de fournir à De Poli des produits conformes aux normes en vigueur et de respecter ses obligations contractuelles constitue une violation de l’obligation de secret professionnel prévue par l’article 287 CE. Dans la mesure où cette obligation vise à protéger des droits conférés aux particuliers et que la Commission ne dispose pas d’une large marge d’appréciation quant à la question de savoir s’il y a lieu de se départir, dans un cas concret, de la règle de confidentialité, il y a lieu de constater que cette infraction au droit communautaire suffit pour établir l’existence d’une violation suffisamment caractérisée au sens de la jurisprudence exposée au point 24 ci-dessus.

57      À la lumière de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de constater que, en violant son obligation de secret professionnel, la Commission a eu un comportement fautif de nature à engager la responsabilité non contractuelle de la Communauté, au sens de l’article 288, deuxième alinéa, CE.

58      Dans ces conditions, l’examen du dernier grief des requérants selon lequel la Commission a également violé le principe de proportionnalité en divulguant dans la décision litigieuse des faits et des appréciations présentant nommément Idromacchine comme n’ayant pas été en mesure de fournir à De Poli des produits conformes aux normes en vigueur et de respecter ses obligations contractuelles, est sans objet. En effet, même s’il devait être considéré que le principe de proportionnalité a été violé, cela ne permettrait pas, en toute hypothèse, aux requérants d’obtenir en l’espèce, pour les préjudices qu’ils invoquent, une réparation plus étendue dans sa nature ou dans son montant que celle qu’ils pourraient obtenir en raison de la violation par la Commission de son obligation de secret professionnel. Dès lors, il n’y a pas lieu de statuer sur ce grief.

 Sur la réalité du dommage

59      Les requérants font valoir, en substance, qu’Idromacchine a subi un préjudice immatériel lié à une atteinte portée à son image et à sa réputation dans la mesure où celle-ci a été nommément présentée dans la décision litigieuse comme n’ayant pas été en mesure de fournir à De Poli des produits conformes aux normes en vigueur et de respecter ses obligations contractuelles.

60      À cet égard, il y a lieu de constater que, comme il ressort des mentions de la décision litigieuse reproduites aux points 8 à 12 ci-dessus, la Commission a présenté nommément Idromacchine notamment comme ayant été incapable de construire des réservoirs conformes aux normes de certification [voir paragraphe 10, sous iii), paragraphe 28, troisième alinéa, et paragraphe 29, troisième alinéa, de la décision litigieuse] et comme n’ayant pas été en mesure de livrer les réservoirs en question conformément à ses obligations contractuelles (voir paragraphe 31 de la décision litigieuse), de sorte que De Poli a dû faire appel à une autre entreprise pour obtenir satisfaction. Dès lors, de telles mentions qui présentent défavorablement Idromacchine comme étant une entreprise incapable d’offrir des services conformes aux normes en vigueur et, partant, de respecter ses obligations contractuelles, sont de nature à déprécier son image et sa réputation qui ont en soi une valeur commerciale, ce que la Commission ne conteste d’ailleurs pas dans ses écritures.

61      En outre, il importe de préciser que, de la même manière que le Tribunal a jugé au point 150 de l’arrêt M/Médiateur, point 39 supra, qu’il résultait de la publication même sur le site Internet du Médiateur de sa décision associant nominativement le requérant dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt à un cas de mauvaise administration que ce dernier a été affecté de manière réelle et certaine, la seule publication au Journal officiel des mentions concernant nommément Idromacchine dans la décision litigieuse suffit pour établir le caractère réel et certain du dommage subi par celle-ci.

62      Par ailleurs, à supposer même que, comme l’a fait valoir la Commission à l’audience, il y ait lieu de considérer que celle-ci n’a commis aucune erreur d’appréciation en constatant dans la décision litigieuse qu’Idromacchine avait eu un comportement fautif dans ses relations contractuelles avec De Poli, il n’en demeure pas moins que des faits et des appréciations présentant nommément Idromacchine comme n’ayant pas été en mesure de fournir à De Poli des produits conformes aux normes en vigueur et de respecter ses obligations contractuelles nuisent à l’image et à la réputation d’Idromacchine. De plus, ce préjudice est propre à Idromacchine et est distinct de celui résultant d’éventuelles erreurs d’appréciation qu’auraient commises la Commission ou la République italienne en considérant que celle-ci était responsable des retards de livraison des réservoirs en question.

63      Dès lors, il y a lieu de considérer qu’Idromacchine a subi une atteinte à son image et à sa réputation.

 Sur l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le préjudice invoqué

64      Les requérants soutiennent, en substance, qu’il existe un lien de causalité direct entre, d’une part, les violations de l’obligation de secret professionnel et le principe de proportionnalité et, d’autre part, l’atteinte à l’image et à la réputation d’Idromacchine.

65      À cet égard, il y a lieu de considérer qu’Idromacchine n’aurait subi aucune atteinte à son image et à sa réputation si la Commission n’avait pas divulgué dans la décision litigieuse des faits et des appréciations la présentant nommément comme n’ayant pas été en mesure de fournir à De Poli des produits conformes aux normes en vigueur et de respecter ses obligations contractuelles. Les arguments de la Commission selon lesquels il n’existe pas de lien de causalité suffisamment direct entre ses prétendues fautes et les préjudices invoqués par les requérants ne sauraient prospérer.

66      Premièrement, dans la mesure où la Commission fait valoir que les préjudices subis par les requérants sont imputables soit à De Poli qui a soutenu dans le cadre de la procédure d’aides d’État que les retards dans la construction des navires trouvaient notamment leur cause dans le comportement d’Idromacchine, soit à la République italienne qui a communiqué à la Commission des informations erronées, ces arguments doivent être rejetés comme étant non fondés.

67      En effet, même s’il devait être considéré que De Poli a fourni des informations erronées concernant Idromacchine à la République italienne qui, d’une part, les aurait transmises à tort à la Commission et, d’autre part, aurait manqué d’indiquer à cette dernière que lesdites informations devaient être protégées par le secret professionnel, il n’en demeurerait pas moins que la cause directe du préjudice d’Idromacchine à cet égard résulterait non pas des prétendues informations erronées fournies par De Poli ou par la République italienne, mais du fait que la Commission a divulgué, dans la décision litigieuse, des faits et des appréciations présentant nommément celle-ci comme n’ayant pas été en mesure de fournir à De Poli des produits conformes aux normes en vigueur et de respecter ses obligations contractuelles alors même que cela ne s’imposait pas au regard de l’objet de la décision litigieuse.

68      Deuxièmement, contrairement à ce qu’a soutenu la Commission à l’audience après que les requérants aient indiqué, en réponse aux questions orales du Tribunal, que le Tribunal de Venise aurait rendu en décembre 2009 un jugement disant pour droit que De Poli n’avait pas commis de fautes dans le cadre de l’exécution de ses obligations contractuelles envers Idromacchine, un tel jugement resterait, en toute hypothèse, sans influence sur le constat selon lequel Idromacchine n’aurait subi aucune atteinte à son image et à sa réputation si la Commission n’avait pas divulgué son nom dans la décision litigieuse.

69      À la lumière de l’ensemble des considérations exposées aux points 31 à 68 ci-dessus, il y a lieu de conclure que les trois conditions d’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté, au sens de l’article 288, deuxième alinéa, CE sont remplies et, partant, de déterminer le montant de l’indemnité devant être accordée à Idromacchine en réparation du dommage immatériel que celle-ci a subi.

 Sur la réparation du dommage immatériel subi par Idromacchine

70      Eu égard à la réparation de l’atteinte à l’image et à la réputation qu’Idromacchine a subie, les requérants demandent, en substance, d’abord, une indemnité à déterminer ex aequo et bono, ensuite, l’octroi d’intérêts compensatoires couvrant la période allant de la publication de la décision litigieuse jusqu’au prononcé de l’arrêt et d’intérêts moratoires couvrant la période du prononcé de l’arrêt jusqu’au paiement effectif des indemnités dues et, enfin, des mesures visant à réhabiliter l’image et la réputation d’Idromacchine.

71      En premier lieu, s’agissant de leur demande visant au versement par la Commission d’une indemnité à déterminer ex aequo et bono, il convient de relever que, en réponse aux questions orales posées par le Tribunal lors de l’audience, les requérants ont précisé que, compte tenu du fait qu’un dommage immatériel n’était pas quantifiable, ce n’était qu’à titre purement indicatif qu’ils suggéraient que le Tribunal leur accorde à ce titre une indemnité d’un montant allant de 30 à 50 % du montant qu’ils réclament au titre de leurs préjudices matériels, soit un montant allant d’environ 1 637 892 euros à 2 729 820 euros.

72      Premièrement, s’agissant des facteurs dont les requérants estiment qu’ils aggravent leurs préjudices dans la mesure où la Commission « aurait réitéré la publicité négative concernant Idromacchine », ils font état des renvois à la décision litigieuse figurant, d’abord, dans la décision 2006/948/CE de la Commission, du 4 juillet 2006, concernant l’aide d’État que l’Italie entend mettre à exécution en faveur de Cantieri Navali Termoli SpA (JO L 383, p. 53), puis, dans la décision 2008/C 208/07, du 16 avril 2008, « Aides d’État – Italie – Aide d'État C 15/08 (ex N 318/07, N 319/07, N 544/07 et N 70/08) – Prorogation du délai de livraison de trois ans pour quatre transporteurs de produits chimiques construits par Cantiere Navale de Poli » (JO C 208, p. 14), et, enfin, dans l’arrêt du Tribunal du 12 novembre 2008, Cantieri Navali Termoli/Commission (T‑70/07, non publié au Recueil) (JO C 6, p. 25).

73      S’il est vrai que dans les deux décisions et l’arrêt mentionnés au point 72 ci-dessus qui ont été publiés au Journal officiel, il est fait référence à la décision litigieuse, il y a lieu toutefois de constater qu’aucune nouvelle mention n’y est faite des faits et d’appréciations présentant nommément Idromacchine comme n’ayant pas été en mesure de fournir à De Poli des produits conformes aux normes en vigueur et de respecter ses obligations contractuelles. Dans ces conditions, ces deux décisions et cet arrêt ne sont pas de nature à avoir aggravé le préjudice immatériel d’Idromacchine.

74      Deuxièmement, il convient de relever, d’une part, que les requérants n’apportent aucune explication étayant leur demande d’octroi d’une indemnité d’un montant, correspondant à un pourcentage allant de 30 à 50 % du montant de 5 459 641, 28 euros qu’ils demandent en réparation de leurs préjudices matériels. Quand bien même la divulgation, par une autorité publique telle que la Commission, d’informations présentant Idromacchine de manière défavorable aurait été de nature à porter une atteinte réelle à l’image et à la réputation de cette société, les requérants n’avancent toutefois aucun argument ou preuve permettant de comprendre les raisons pour lesquelles de tels montants constitueraient une juste compensation pour l’atteinte portée à l’image et à la réputation d’Idromacchine. À cet égard, il peut être constaté notamment, d’une part, qu’il n’est pas soutenu que ces montants ont un quelconque rapport avec le coût des investissements réalisés par Idromacchine pour créer et maintenir son image et sa réputation. D’autre part, les requérants n’avancent aucun argument ou preuve que lesdits montants qui sont de 12 à 20 fois supérieurs au montant de 133 500 euros correspondant aux bénéfices annuels moyens qu’Idromacchine prétend, par ailleurs, avoir réalisés durant les années précédant la publication de la décision litigieuse correspondraient à une juste compensation du préjudice subi par Idromacchine.

75      Troisièmement, il y a lieu de constater que les requérants étaient, en toute hypothèse, en mesure de limiter très largement l’importance du préjudice immatériel subi par Idromacchine. En effet, dans la mesure où les requérants font valoir que l’organisme italien de certification avait délivré à Idromacchine, dès le 5 octobre 2004, un certificat de conformité des réservoirs en question de nature à établir que ces derniers étaient conformes aux normes en vigueur, il doit en être déduit qu’Idromacchine pouvait se prévaloir dudit certificat, notamment auprès de ses clients existants et potentiels, pour contester, avant même que la décision litigieuse soit publiée, la véracité des appréciations négatives la concernant dans ladite décision et limiter ainsi l’atteinte à son image et sa réputation en découlant. Pour ce motif, il y a également lieu de rejeter comme étant non fondés les arguments avancés par les requérants en réponse aux questions du Tribunal lors de l’audience selon lesquels l’atteinte à l’image et à la réputation d’Idromacchine était d’autant plus importante que, depuis sa publication, la décision litigieuse était la première information la concernant qu’un moteur de recherche sur Internet fait apparaître et que ladite décision était disponible tant sur le site Internet de la direction générale en charge de la concurrence au sein de la Commission que du Journal officiel dont la lecture était très répandue.

76      À la lumière de l’ensemble des considérations exposées aux points 71 à 75 ci-dessus et en l’absence d’éléments plus précis fournis par les requérants sur l’étendue de l’atteinte à l’image et à la réputation subie par Idromacchine, le Tribunal estime qu’une indemnité d’un montant de 20 000 euros représente un dédommagement équitable.

77      En deuxième lieu, s’agissant des demandes des requérants relatives, à l’octroi, d’une part, d’intérêts compensatoires couvrant la période allant de la publication de la décision litigieuse jusqu’au prononcé de l’arrêt et, d’autre part, d’intérêts moratoires couvrant la période du prononcé de l’arrêt jusqu’au paiement effectif des indemnités dues, il convient de rappeler, premièrement que, dès lors que sont remplies les conditions de la responsabilité non contractuelle de la Communauté, les conséquences défavorables résultant du laps de temps qui s’est écoulé entre la survenance du fait dommageable et la date du paiement de l’indemnité ne sauraient être ignorées, dans la mesure où il y a lieu de tenir compte de l’érosion monétaire (arrêt du Tribunal du 13 juillet 2005, Camar/Conseil et Commission, T‑260/97, Rec. p. II‑2741, point 138 ; voir également, en ce sens, arrêt de la Cour du 3 février 1994, Grifoni/CEEA, C‑308/87, Rec. p. I‑341, point 40). Il convient de considérer que cette érosion monétaire est reflétée par le taux d’inflation annuel constaté, pour la période concernée, par Eurostat (office statistique de l’Union européenne) dans l’État membre où sont établies ces sociétés (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 27 janvier 2000, Mulder e.a./Conseil et Commission, C‑104/89 et C‑37/90, Rec. p. I‑203, points 220 et 221 ; du Tribunal Camar/Conseil et Commission, précité, point 139, et du 26 novembre 2008, Agraz e.a./Commission, T‑285/03, non publié au Recueil, point 50). À cet égard, il y a lieu de constater, en l’espèce, que le fait dommageable est survenu le jour de la publication de la décision litigieuse au Journal officiel, soit le 18 février 2005.

78      Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que la Commission doit s’acquitter d’intérêts compensatoires, à compter de la publication de la décision litigieuse le 18 février 2005 jusqu’au prononcé du présent arrêt, au taux fixé par la BCE pour les opérations principales de refinancement, applicable pendant la période concernée, majoré de deux points.

79      Deuxièmement, selon la jurisprudence de la Cour, le montant de l’indemnité due peut être assorti d’intérêts moratoires à compter de la date du prononcé de l’arrêt constatant l’obligation de réparer le préjudice (voir, en ce sens, arrêts Dumortier e.a./Conseil, point 26 supra, point 25, et Mulder e.a./Conseil et Commission, point 77 supra, point 35 ; arrêt Agraz e.a./Commission, point 77 supra, point 55). Conformément à la jurisprudence, le taux d’intérêt à appliquer est calculé sur la base du taux fixé par la BCE pour les opérations principales de refinancement, applicable pendant la période concernée, majoré de deux points (arrêts Camar/Conseil et Commission, point 77 supra, point 146, et Agraz e.a./Commission, point 77 supra, point 55).

80      Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que la Commission doit s’acquitter d’intérêts moratoires, à compter du prononcé du présent arrêt jusqu’au complet paiement de ladite indemnité, au taux fixé par la BCE pour les opérations principales de refinancement, applicable pendant la période concernée, majoré de deux points.

81      En troisième lieu, s’agissant des demandes des requérants de réhabiliter l’image d’Idromacchine, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, il découle de l’article 288, deuxième alinéa, CE et de l’article 235 CE, qui n’excluent pas l’octroi d’une réparation en nature, que le juge de l’Union européenne a compétence pour imposer à la Communauté toute forme de réparation qui est conforme aux principes généraux communs aux droits des États membres en matière de responsabilité non contractuelle, y compris, si elle apparaît conforme à ces principes, une réparation en nature, le cas échéant sous forme d’injonction de faire ou de ne pas faire (arrêt Galileo International Technology e.a./Commission, point 26 supra, point 63).

82      En l’espèce, les demandes des requérants visant à ce que le Tribunal réhabilite l’image d’Idromacchine soit en publiant au Journal officiel un rectificatif des mentions prétendument erronées qui figureraient dans la décision litigieuse, soit en adressant aux opérateurs dans le secteur des chantiers navals une lettre rectifiant les informations prétendument erronées figurant dans la décision litigieuse, doivent être rejetées comme étant non fondées. Les requérants affirment certes, à plusieurs reprises, dans leurs écritures, en substance, qu’Idromacchine n’a commis aucune faute dans le cadre de l’exécution de ses obligations contractuelles avec De Poli. Toutefois, il convient de rappeler que la faute qui a été constatée à l’encontre de la Commission au point 56 ci-dessus, conformément à la demande des requérants, consiste dans la divulgation du nom d’Idromacchine et non d’une erreur d’appréciation des faits en estimant dans la décision litigieuse, en substance, qu’Idromacchine était responsable de la mauvaise exécution de ses obligations contractuelles qui la liaient à De Poli. Dès lors que, en l’absence d’une demande des requérants en ce sens, la constatation d’une telle erreur d’appréciation de la part de la Commission ne fait pas partie de l’objet du présent recours, il n’y a lieu ni d’examiner si la Commission a commis ladite erreur d’appréciation ni, a fortiori, d’ordonner à la Commission de prendre des mesures de nature à réhabiliter l’image et la réputation d’Idromacchine.

83      Dès lors, la demande de réhabilitation de l’image et de la réputation d’Idromacchine formulée par les requérants doit être rejetée comme non fondée.

84      À titre de conclusion sur la demande en indemnité des requérants au titre du préjudice immatériel d’Idromacchine, il y a donc lieu, premièrement, de considérer que les conditions d’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté sont remplies, deuxièmement, d’octroyer à Idromacchine un montant de 20 000 euros à titre d’indemnité pour son préjudice immatériel, troisièmement, de condamner la Commission à payer des intérêts compensatoires sur ce montant à compter de la publication de la décision litigieuse au Journal officiel le 18 février 2005, jusqu’au prononcé du présent arrêt, au taux fixé par la BCE pour les opérations principales de refinancement, applicable pendant la période concernée, majoré de deux points et, quatrièmement, de condamner la Commission à payer des intérêts moratoires sur ce montant à compter de la date du prononcé du présent arrêt jusqu’au complet paiement de ladite indemnité, au taux fixé par la BCE pour les opérations principales de refinancement, applicable pendant la période concernée, majoré de deux points.

 Sur le préjudice moral subi par MM. Capuzzo

85      Il ressort des écritures des requérants qu’ils font valoir, en substance, que MM. Capuzzo ont subi deux types de préjudice moral. D’une part, les requérants soutiennent que l’atteinte à l’image et à la réputation d’Idromacchine a affecté MM. Capuzzo « par voie de conséquence » en leur qualité de détenteurs de la totalité du capital social d’Idromacchine et de dirigeants de cette société. D’autre part, les requérants estiment qu’ils ont souffert d’un « état d’anxiété découlant pour [MM. Capuzzo] de la nécessité impérieuse de réparer le dommage causé par la Commission du fait de la publication d’informations qu’[ils] qualifiaient et continuent de qualifier de mensongères » ainsi que « d’un état d’incertitude » et d’un « état de frustration » résultant des démarches infructueuses qu’ils auraient entreprises après la publication de la décision litigieuse pour obtenir réparation du dommage subi par Idromacchine.

86      Dans la mesure où il a déjà été constaté au point 57 ci-dessus que la Commission a eu un comportement fautif, résultant de la violation de son obligation de secret professionnel, il convient d’examiner si les requérants ont établi en l’espèce que MM. Capuzzo ont subi un préjudice moral réel et certain et qu’il existe un lien de causalité entre ce comportement fautif et leur prétendu préjudice moral. Or, conformément à la jurisprudence citée au point 27 ci-dessus, si l’une ou l’autre de ces conditions faisait défaut, la responsabilité de la Communauté ne saurait être engagée.

87      En premier lieu, s’agissant de l’atteinte à l’image et à la réputation dont MM. Capuzzo auraient prétendument souffert « par voie de conséquence » à l’atteinte à l’image et à la réputation subie par Idromacchine, il convient de constater, à l’instar de la Commission, que leurs noms ne figurent nulle part dans la décision litigieuse et qu’aucun comportement fautif ne leur y est imputé à titre personnel.

88      Ensuite, il y a lieu de relever que le seul fait que MM. Capuzzo détiennent la totalité du capital social d’Idromacchine et qu’ils en soient les principaux dirigeants n’est pas de nature à modifier la constatation selon laquelle seul le comportement d’Idromacchine, et non celui de ses actionnaires ou de ses dirigeants, a été mis en cause par la Commission dans la décision litigieuse. À cet égard, il peut être souligné que, comme il ressort des mentions de la décision litigieuse reproduites aux points 8 à 12 ci-dessus, c’est la capacité même de la société à remplir ses obligations contractuelles et à fournir des produits conformes aux normes en vigueur, et non les qualités de MM. Capuzzo en tant que dirigeants ou actionnaires, qui a été mise en cause dans ladite décision.

89      Enfin, dans la mesure où les requérants renvoient à l’arrêt du Tribunal du 9 juillet 1999, New Europe Consulting et Brown/Commission (T‑231/97, Rec. p. II‑2403, points 54 et 55), il y a lieu de relever que les faits dans cette affaire se distinguent de ceux de la présente affaire et ne sauraient conduire à une conclusion identique. En effet, s’il ressort des points 54 et 55 dudit arrêt que le Tribunal a considéré dans cette affaire que l’atteinte à la réputation de l’entreprise en question avait affecté celle de son gérant qui en détenait 99 %, c’est en raison des circonstances de l’espèce selon lesquelles, d’une part, ledit gérant avait exercé seul, dans un premier temps, l’activité de cette entreprise sous forme d’« entreprise individuelle » et, d’autre part, qu’il avait été placé personnellement dans une situation d’incertitude par la Commission qui l’avait elle-même contraint à des efforts inutiles en vue de modifier la situation créée par cette dernière. Or, en l’espèce, les requérants n’apportent aucune preuve de ce que l’une et l’autre de ces circonstances étaient réunies.

90      Dès lors, il y a lieu de constater que les requérants n’ont pas établi la réalité de l’atteinte portée à l’image et à la réputation de MM. Capuzzo en tant qu’actionnaires et dirigeants d’Idromacchine.

91      En second lieu, s’agissant du préjudice moral subi par MM. Capuzzo consécutif à leur état d’« anxiété » résultant de la nécessité de rétablir l’image d’Idromacchine et à leur état d’« incertitude » et de « frustration » en raison des démarches infructueuses qu’ils auraient entreprises après la publication de la décision litigieuse pour obtenir la réparation du dommage subi par Idromacchine, il y a lieu de constater, d’une part, que les requérants se contentent d’invoquer qu’ils ont subi des préjudices d’ordre psychologique sans toutefois en apporter la preuve.

92      D’autre part, et en toute hypothèse, il ne ressort pas en l’espèce des pièces fournies par les requérants au Tribunal que les démarches administratives que MM. Capuzzo ont personnellement entreprises en leurs qualités de dirigeants d’Idromacchine ont dépassé celles de l’envoi de deux courriers signés au Ministère des affaires étrangères italien et à la Commission. Or, ces seules démarches ne sauraient être considérées comme étant de nature à provoquer des désagréments qui outrepasseraient les conséquences normales de la vie des affaires pour des dirigeants tels que MM. Capuzzo, de nature à constituer un préjudice moral.

93      Dès lors, les requérants n’ont pas établi que MM. Capuzzo ont souffert d’un état d’« anxiété », d’« incertitude » et de « frustration » constituant un préjudice réel et certain.

94      À la lumière de l’ensemble des considérations exposées aux points 84 à 93 ci-dessus, il y a lieu de rejeter la demande en indemnité des requérants au titre du préjudice moral que MM. Capuzzo auraient subi. Dans ces conditions, il y a lieu d’écarter comme non fondées les demandes des requérants, au titre de leur deuxième et de leur troisième chef de conclusions, de leur accorder des intérêts compensatoires et moratoires à cet égard ou d’enjoindre à la Commission de « réhabiliter » leur image et leur réputation.

2.     Sur la demande en réparation des préjudices matériels

95      Les requérants soutiennent qu’ils ont subi quatre types de préjudices matériels.

96      En premier lieu, les requérants demandent une réparation du dommage qu’ils auraient subi résultant de la nécessité pour Idromacchine de présenter aussi bien à la République italienne qu’à la Commission des demandes formelles d’accès aux documents que ces derniers auraient échangés dans le cadre de la procédure d’aides d’État ayant abouti à l’adoption de la décision litigieuse. À cet égard, ils réclament des indemnités, d’une part, pour un montant de 3 569, 28 euros correspondant aux frais d’avocat et aux frais de déplacement d’une employée d’Idromacchine pour avoir accès aux documents détenus par les autorités italiennes et, d’autre part, pour un montant de 9 072 euros correspondant au coût du rapport d’expertise technique et comptable des dommages qu’Idromacchine aurait subis et qu’ils ont commandé à une société d’audit aux fins de la présente procédure (ci-après le « rapport d’expertise »).

97      À cet égard, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 91, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, constituent des dépens récupérables les frais indispensables exposés par les parties aux fins de la procédure.

98      Dès lors, premièrement, s’agissant des frais liés au rapport d’expertise que les requérants auraient engagés aux fins d’établir le montant de leurs prétendus dommages dans le cadre de la présente procédure devant le Tribunal, il y a lieu de constater que, conformément à une jurisprudence constante, de tels frais exposés par les parties aux fins de la procédure juridictionnelle ne peuvent pas être considérés comme constituant un préjudice distinct de la charge des dépens de l’instance (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 10 juin 1999, Commission/Montorio, C‑334/97, Rec. p. I‑3387, point 54, et ordonnance du Tribunal du 14 septembre 2005, Ehcon/Commission, T‑140/04, Rec. p. II‑3287, point 79).

99      Partant, il y a lieu de constater que les requérants ne sont pas fondés à obtenir, sur la base de l’article 288, paragraphe 2, CE, une indemnisation pour les frais liés au rapport d’expertise qu’ils ont commandé aux fins de la présente procédure.

100    Deuxièmement, s’agissant des frais d’avocat et de déplacement d’une employée d’Idromacchine liés aux demandes d’accès aux courriers échangés entre la République italienne et la Commission que les requérants auraient engagés au cours de la phase précédant la présente procédure, il convient de rappeler que le Tribunal a jugé que, même si un travail juridique substantiel était généralement accompli au cours de la procédure précédant la phase juridictionnelle, l’article 91 du règlement de procédure ne visait que la procédure devant le Tribunal, à l’exclusion de la phase la précédant. Cela résulte notamment de l’article 90 du même règlement qui évoque la « procédure devant le Tribunal » (voir, en ce sens, ordonnance du Tribunal du 24 janvier 2002, Groupe Origny/Commission, T‑38/95 DEP, Rec. p. II‑217, point 29, et la jurisprudence citée). Dès lors, reconnaître à de tels frais la qualité de préjudice indemnisable dans le cadre d’un recours en indemnité serait en contradiction avec le caractère non récupérable des dépens encourus au cours de la phase précédant la procédure juridictionnelle (ordonnance Ehcon/Commission, point 98 supra, point 79).

101    Partant, il y a également lieu de constater que les requérants ne sont pas fondés à obtenir, sur la base de l’article 288, paragraphe 2, CE, une indemnisation pour les frais d’avocats et de déplacement d’une employée d’Idromacchine qu’ils ont exposés en relation avec la phase précédant la présente procédure devant le Tribunal.

102    À la lumière des constatations exposées aux points 95 à 101 ci-dessus, il y a donc lieu de rejeter les demandes en indemnité pour les frais encourus par les requérants, d’une part, préalablement à la présente procédure et, d’autre part, aux fins de la présente procédure.

103    En second lieu, le Tribunal ayant déjà constaté au point 57 ci-dessus que la Commission avait commis une faute de nature à engager la responsabilité non contractuelle de la Communauté, il convient d’examiner si les requérants ont établi la réalité de chacun des trois autres préjudices matériels qu’ils invoquent et s’il existe un lien de causalité entre chacun desdits préjudices qu’ils invoquent et cette faute. En effet, conformément à la jurisprudence citée au point 27 ci-dessus, si l’une ou l’autre de ces conditions faisait défaut, la responsabilité non contractuelle de la Communauté ne saurait être engagée.

104    Premièrement, les requérants demandent une indemnité de 3 900 000 euros correspondant à la valeur de construction des réservoirs en question. Selon les requérants, Idromacchine n’aurait pas réussi à revendre lesdits réservoirs en raison des mentions concernant leur défectuosité présumée figurant dans la décision litigieuse, comme l’indiquerait, en substance, le courrier d’un courtier du 30 mars 2007 qu’ils ont annexé à la requête (ci-après le « courrier du courtier »).

105    À cet égard, d’une part, il convient de constater que, dans leurs écritures, les requérants soutiennent que, compte tenu du fait que les réservoirs en question sont restés invendus après la publication de la décision litigieuse, « Idromacchine est allée jusqu’à commencer, en collaboration avec d’autres sociétés du secteur et quelques armateurs, la construction d’un navire ad hoc (dont les caractéristiques physiques et mécaniques [étaient] comparables à celles du navire [de De Poli] sur lesquels les réservoirs qui avaient été commandés auraient dû être installés) en vain ». Dès lors, et sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur la crédibilité, en tant que preuve, du courrier du courtier que la Commission conteste, il y a lieu de relever que, de l’aveu même des requérants, les réservoirs en question n’ont pas été revendus en raison du fait qu’ils avaient été construits afin de répondre aux spécificités propres des navires sur lesquels De Poli devait les installer et non en raison du comportement fautif de la Commission lors de la publication de la décision litigieuse.

106    D’autre part, et en toute hypothèse, il y a lieu de relever que le préjudice matériel d’Idromacchine à cet égard résulte directement non pas du fait que la Commission a eu un comportement fautif, mais du fait que De Poli ne s’est pas acquitté du paiement desdits réservoirs. Dès lors, c’est dans le cadre d’une action en responsabilité contractuelle devant les juridictions nationales, et non dans le cadre de la présente procédure, qu’Idromacchine serait, le cas échéant, en droit d’obtenir un dédommagement pour ce préjudice matériel.

107    Il s’ensuit que les requérants n’ont pas établi qu’il existait un lien de causalité entre le comportement fautif de la Commission et le préjudice matériel qu’Idromacchine aurait subi résultant du fait que cette dernière a dû supporter le coût de construction des réservoirs en question qui sont restés invendus. Il y a donc lieu de rejeter la demande en indemnité des requérants à cet égard.

108    Deuxièmement, les requérants demandent une indemnité d’un montant de 1 013 000 euros correspondant à la prétendue « non-productivité des biens et des équipements d’Idromacchine consacrés au seul secteur de la chaudronnerie de 2005 à 2008 ». Ils font valoir que, « à partir de 2005, Idromacchine a été contrainte d’assumer une série de coûts incompressibles pour maintenir en vie un secteur devenu improductif du fait précisément des informations publiées » dans la décision litigieuse. À cet égard, ils reproduisent dans leurs écritures un tableau, réalisé par un employé d’Idromacchine, selon lequel quatorze équipements qu’Idromacchine avait acquis entre 1995 et 2002 et dont la valeur actuelle globale était de 1 013 000 euros étaient utiles à la fabrication de réservoirs.

109    Il convient de relever que, si le montant demandé par les requérants reflète, selon leurs estimations, la valeur en 2008 des équipements utilisés pour la construction de réservoirs, un tel montant est toutefois sans rapport avec l’objet même de leur demande en indemnité en raison du fait que lesdits équipements n’auraient pas été utilisés pendant trois ans après l’adoption de la décision litigieuse. Dans ces conditions, il y a lieu de constater que le préjudice pour lequel ils demandent une indemnité d’un montant de 1 013 000 euros n’est pas réel et certain.

110    Par ailleurs, il y a lieu de constater, en toute hypothèse, que les requérants n’établissent pas, en l’espèce, un lien de causalité entre le comportement fautif de la Commission et le fait qu’Idromacchine n’ait pas pu utiliser ces équipements pendant trois ans après l’adoption de la décision litigieuse.

111    En effet, tout d’abord, les arguments des requérants selon lesquels, d’une part, le secteur de la chaudronnerie connaissait une croissance de 2005 à 2008 et, d’autre part, Idromacchine n’avait jamais fait l’objet de plaintes d’autres clients que De Poli n’impliquent nullement que le chiffre d’affaires d’Idromacchine, et partant, sa capacité à amortir ces équipements, n’aurait pas diminué durant cette période si la décision litigieuse n’avait pas été publiée. En effet, il ne saurait être déduit du fait qu’un marché est en croissance que le chiffre d’affaires d’une entreprise déterminée sur ce marché augmenterait nécessairement.

112    Ensuite, le courrier du courtier, que les requérants ont fourni et selon lequel les clients contactés pour la vente des réservoirs en question « ont constamment soulevé des réserves insurmontables [compte tenu] de la défectuosité présumée [des] réservoirs [en question], comme cela a été déclaré par la Commission européenne au [Journal officiel] le 18 février 2005 » ne permet pas d’établir l’existence d’un lien de causalité suffisamment direct entre la publication de la décision litigieuse et le fait qu’Idromacchine aurait connu une très forte baisse de son chiffre d’affaires de 2005 à 2008, de sorte qu’elle n’aurait pas été en mesure d’utiliser ses équipements pendant trois ans après l’adoption de la décision litigieuse en raison des fautes commises par la Commission. En effet, il convient de souligner à cet égard que les requérants n’apportent aucune preuve que, en raison de la publication de la décision litigieuse, les clients existants ou potentiels d’Idromacchine ont renoncé à lui commander des réservoirs autres que ceux visés par la décision litigieuse ou encore, par exemple, que, à la suite de la publication de la décision litigieuse, Idromacchine a été écartée de la liste des vendeurs dont elle faisait partie et dont les requérants indiquent dans leurs écritures que seule « l’insertion dans de telles listes permet[tait] d’obtenir des commandes ».

113    Enfin, les requérants ne fournissent aucune justification permettant de comprendre les raisons pour lesquelles la publication de la décision litigieuse aurait entraîné une baisse du chiffre d’affaires d’Idromacchine alors même que celle-ci pouvait se prévaloir, auprès de tout client existant ou potentiel, du fait que, selon ses propres écritures, la conformité avec les normes en vigueur des réservoirs en question aurait en définitive été reconnue par l’organisme italien de certification le 5 octobre 2004 avant même la publication de la décision litigieuse.

114    Il ressort donc des constatations exposées aux points 108 à 113 ci-dessus que les requérants n’ont ni établi l’existence d’un préjudice réel et certain ni celle d’un lien de causalité entre le comportement fautif de la Commission et leurs prétendus préjudices matériels correspondant à la prétendue « non-productivité des biens et des équipements d’Idromacchine consacrés au seul secteur de la chaudronnerie de 2005 à 2008 ».

115    Troisièmement, les requérants demandent une indemnité d’un montant de 534 000 euros au titre du prétendu manque à gagner qu’aurait subi Idromacchine en raison de la baisse des commandes de réservoirs et correspondant au montant total des bénéfices qu’elle aurait réalisés de 2005 à 2008 si la décision litigieuse n’avait pas été publiée. À cet égard, il suffit de relever que, comme il a été exposé au point 111 ci-dessus, les requérants n’ont fourni aucune preuve de l’existence d’un lien de causalité entre le comportement fautif de la Commission et la baisse du chiffre d’affaires d’Idromacchine, et partant, de ses bénéfices.

116    Dès lors, il y a lieu de rejeter comme non fondée la demande en indemnité des requérants dans la mesure où elle concerne l’ensemble de leurs prétendus préjudices matériels dont ils ont évalué le montant total à 5 459 641, 28 euros. Il découle de ce qui précède que les demandes des requérants, dans le cadre de leur premier chef de conclusions, visant à ce que leur soient octroyés des intérêts compensatoires et moratoires sur ledit montant, doivent être rejetés comme non fondés.

117    À la lumière de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a donc lieu de conclure que le présent recours doit être accueilli dans la mesure où les requérants demandent réparation du préjudice immatériel subi par Idromacchine et rejeté pour le surplus.

 Sur les dépens

118    Aux termes de l’article 87, paragraphe 3, du règlement de procédure, le Tribunal peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs.

119    Le recours ayant été partiellement accueilli, il sera fait une juste appréciation des circonstances de la cause en décidant que la Commission supportera ses propres dépens et deux tiers des dépens des requérants et, partant, que ces derniers supporteront un tiers de leurs propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête :

1)      La Commission européenne est condamnée à verser à Idromacchine Srl une indemnité de 20 000 euros au titre du préjudice immatériel que cette dernière a subie.

2)      L’indemnité à verser à Idromacchine sera majorée d’intérêts compensatoires, à compter du 18 février 2005 jusqu’au prononcé du présent arrêt, au taux fixé par la Banque centrale européenne (BCE) pour les opérations principales de refinancement, majoré de deux points.

3)      L’indemnité à verser à Idromacchine sera majorée d’intérêts moratoires, à compter du prononcé du présent arrêt jusqu’à complet paiement de ladite indemnité, au taux fixé par la BCE pour les opérations principales de refinancement, majoré de deux points.

4)      Le recours est rejeté pour le surplus.

5)      La Commission supportera ses propres dépens et deux tiers des dépens d’Idromacchine, de M. Alessandro Capuzzo et de M. Roberto Capuzzo qui supporteront un tiers de leurs propres dépens.

Pelikánová

Jürimäe

Van der Woude

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 8 novembre 2011.

Signatures

Table des matières


Antécédents du litige

Procédure et conclusions des parties

En droit

1.  Sur la demande en réparation des préjudices immatériels

Sur le préjudice immatériel subi par Idromacchine

Sur le comportement illégal reproché à la Commission

Sur la réalité du dommage

Sur l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le préjudice invoqué

Sur la réparation du dommage immatériel subi par Idromacchine

Sur le préjudice moral subi par MM. Capuzzo

2.  Sur la demande en réparation des préjudices matériels

Sur les dépens


* Langue de procédure : l’italien.