ORDONNANCE DE LA COUR (huitième chambre)

12 mai 2010 (*)

«Pourvoi – Responsabilité extracontractuelle – Preuve de l’origine communautaire des produits pêchés par un navire appartenant à une société de droit grec – Défaut d’adoption des dispositions permettant aux autorités douanières des États membres d’accepter des documents émis par un État tiers, autres que le document T2M»

Dans l’affaire C‑451/09 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice, introduit le 16 novembre 2009,

Pigasos Alieftiki Naftiki Etaireia, établie à Moschato (Grèce), représentée par Mes N. Skandamis et E. Perakis, dikigoroi,

partie requérante,

les autres parties à la procédure étant:

Conseil de l’Union européenne, représenté par M. F. Florindo Gijón et Mme M. Balta, en qualité d’agents,

Commission européenne, représentée par Mme M. Patakia et M. B.-R. Killmann, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

parties défenderesses en première instance,

LA COUR (huitième chambre),

composée de Mme C. Toader, président de chambre, MM. C. W. A. Timmermans (rapporteur) et K. Schiemann, juges,

avocat général: Mme E. Sharpston,

greffier: M. R. Grass,

l’avocat général entendu,

rend la présente

Ordonnance

1        Par son pourvoi, Pigasos Alieftiki Naftiki Etaireia demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 16 septembre 2009, Pigasos Alieftiki Naftiki Etaireia/Conseil et Commission (T‑162/07, ci-après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci a rejeté son recours en indemnité visant à obtenir réparation du préjudice qu’elle prétend avoir subi en raison du fait que le Conseil de l’Union européenne et la Commission des Communautés européennes n’ont pas adopté les dispositions permettant aux autorités douanières d’un État membre d’accepter comme preuve du caractère communautaire de produits de la pêche maritime des documents autres que le formulaire T2M prévu par le règlement (CEE) n° 2454/93 de la Commission, du 2 juillet 1993, fixant certaines dispositions d’application du règlement (CEE) n° 2913/92 du Conseil établissant le code des douanes communautaire (JO L 253, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) n° 883/2005 de la Commission, du 10 juin 2005 (JO L 148, p. 5, ci-après le «règlement d’application»).

 Le cadre juridique

2        Aux termes de l’article 325, paragraphe 2, du règlement d’application:

«Un formulaire T2M, établi conformément aux dispositions des articles 327 à 337, doit être produit afin de justifier le caractère communautaire:

a)      des produits de la pêche maritime capturés en dehors de la mer territoriale d’un pays ou territoire qui n’appartient pas au territoire douanier de la Communauté par un navire de pêche communautaire

et

b)      des marchandises obtenues à partir desdits produits, à bord dudit navire ou d’un navire-usine communautaire, dans la fabrication desquelles, le cas échéant, sont entrés d’autres produits possédant le caractère communautaire,

qui sont pourvus, le cas échéant, d’emballages qui ont ledit caractère et qui sont destinés à être introduits dans le territoire douanier de la Communauté dans les circonstances visées à l’article 326.»

3        L’article 326 du règlement d’application dispose:

«1.      Le formulaire T2M doit être présenté pour les produits et marchandises visés à l’article 325 paragraphe 2 qui sont transportés directement à destination du territoire douanier de la Communauté:

a)      par le navire de pêche communautaire qui a effectué la capture et, le cas échéant, le traitement desdits produits

ou

b)      par un autre navire de pêche communautaire ou par le navire-usine communautaire qui a effectué le traitement desdits produits transbordés à partir du navire visé au point a)

ou

c)      par tout autre navire sur lequel ont été transbordés lesdits produits et marchandises à partir des navires visés aux points a) et b) sans procéder à aucune modification

ou

d)      par un moyen de transport couvert par un titre de transport unique, établi dans le pays ou territoire qui n’appartient pas au territoire douanier de la Communauté où lesdits produits et marchandises ont été débarqués des navires visés aux points a), b) et c).

Après la présentation du formulaire T2M, celui-ci ne peut plus être utilisé pour justifier le caractère communautaire des produits et marchandises qu’il couvre.

2.      Les autorités douanières responsables du port où les produits et/ou marchandises sont déchargés à partir du navire visé au point a) du paragraphe 1 peuvent renoncer à l’application du paragraphe 1 dès lors qu’il n’existe aucun doute sur l’origine desdits produits et/ou marchandises, ou dans le cas où la déclaration visée à l’article 8 paragraphe 1 du règlement (CEE) n° 2847/93 du Conseil […] est applicable.»

4        L’article 332, paragraphe 1, du règlement d’application prévoit:

«Lorsque les produits et marchandises auxquels se rapporte le formulaire T2M ont été transportés dans un pays ou territoire qui n’appartient pas au territoire douanier de la Communauté, ledit formulaire n’est valable que dans la mesure où l’attestation de la case n° 13 dudit formulaire est remplie et visée par les autorités douanières de ce pays ou territoire.»

 Les faits à l’origine du litige

5        S’agissant des faits à l’origine du litige, l’arrêt attaqué énonce ce qui suit:

«11      La requérante, Pigasos Alieftiki Naftiki Etaireia, est une société maritime de pêche régie par le droit grec, qui opère en dehors des eaux territoriales grecques et qui écoule ses produits sur le marché hellénique. Elle est propriétaire du bateau de pêche Kapetan Giannos III, immatriculé au registre du Pirée (Grèce).

12      Ayant eu connaissance de la décision 98/238/CE, CECA, du Conseil et de la Commission, du 26 janvier 1998, relative à la conclusion de l’accord euro-méditerranéen établissant une association entre les Communautés européennes et leurs États membres, d’une part, et la République tunisienne, d’autre part (JO L 97, p. 1, ci‑après l’«accord d’association»), la requérante a, après avoir reçu toutes les autorisations pertinentes prévues par la législation hellénique, demandé aux autorités tunisiennes compétentes l’autorisation de pratiquer la pêche au chalut de fond dans les eaux internationales de la mer Méditerranée et d’écouler ensuite les produits sur le marché communautaire. Le 30 juin 2005, les autorités tunisiennes ont accepté la demande de pêche en haute mer dans une zone où la République tunisienne exerce des droits de souveraineté et autorisé la requérante à utiliser les installations du port de Sousse (Tunisie). Après l’achèvement de toutes les mesures requises par la législation tunisienne, le navire de la requérante a entamé la pêche.

13      Du 19 novembre au 12 décembre 2005, la requérante a pêché dans les eaux internationales de la République tunisienne, et plus précisément dans la zone contiguë. Les produits de la pêche ont été transférés au port de Sousse en trois lots successifs, en vue de leur envoi en Grèce, où ils devaient être mis sur le marché. Ces produits, pêchés en dehors de la mer territoriale de la République hellénique, par un bateau battant pavillon grec, avaient un caractère communautaire, en vertu de l’article 23, paragraphe 2, sous f), du code des douanes.

14      Depuis le port de Sousse, les produits en question ont été transportés par camion vers l’aérodrome de [Carthage] (Tunisie), à partir duquel ils ont été envoyés en Grèce. Pendant leur séjour sur le sol tunisien, les produits ont été placés sous le régime de surveillance douanière par les autorités douanières tunisiennes, qui ont indiqué, dans la déclaration douanière, l’origine hellénique des produits, leur mise en régime de transit, leur lieu d’origine, la date et les moyens d’expédition, leur quantité et leur qualité ainsi que l’établissement d’une lettre de garantie pour les accompagner du bateau jusqu’à l’aérodrome de [Carthage].

15      Lors de leur introduction sur le territoire douanier de la Communauté européenne, les produits en question étaient accompagnés du formulaire T2M, relatif aux produits de la pêche d’origine communautaire, mais les autorités douanières tunisiennes avaient refusé de remplir et de viser la case n° 13 dudit formulaire, qui concerne la surveillance douanière exercée sur les produits, au motif que l’accord d’association ne prévoyait pas une telle obligation. Elles avaient néanmoins délivré à la requérante d’autres documents dont le contenu était analogue à celui de la case n° 13 du formulaire T2M.

16      S’agissant des premier et deuxième lots des produits en question qui sont arrivés sur le territoire douanier de la Communauté respectivement le 25 novembre et le 10 décembre 2005, les autorités grecques ont formulé des objections contre leur importation en Grèce dans la mesure où la case n° 13 du formulaire T2M n’avait pas été remplie, ni visée par les autorités douanières tunisiennes, mais ont finalement décidé d’autoriser leur écoulement sur le marché grec après versement d’une caution. Quant au troisième lot des produits en question qui est arrivé sur le territoire douanier de la Communauté le 13 décembre 2005, les autorités grecques ont effectué des contrôles supplémentaires en ce qui les concerne avant de les détruire le 22 décembre 2005 sans que ceux-ci aient pu être écoulés sur le marché grec.

17      Nonobstant les démarches entreprises par la requérante à la suite du refus, d’une part, des autorités douanières tunisiennes de remplir et de viser la case n° 13 du formulaire T2M et, d’autre part, des autorités douanières grecques de considérer les certificats établis par les autorités douanières tunisiennes comme équivalant à un visa apposé sur la case n° 13 du formulaire T2M, aucune solution n’a pu être trouvée au problème auquel elle était confrontée dans le cadre de l’importation des produits en question en Grèce, à savoir l’impossibilité de prouver le caractère communautaire des produits en question.

18      La requérante a encore pêché du 26 avril au 4 mai 2006 et essayé d’importer ses produits sous le couvert du document communautaire dénommé ‘Attestation de l’annexe 110 bis du règlement nº 2454/93’, concernant les produits capturés par les navires de pêche communautaires dans les eaux territoriales d’un pays tiers. Toutefois, cette tentative, n’étant pas une réponse adéquate au problème mentionné au point précédent, a également échoué. Du 12 décembre 2005 au 31 décembre 2006, le navire est resté immobilisé au port de Sousse.

19      La Commission […], informée du problème par les autorités grecques par courrier électronique du 22 mars 2006, s’est adressée aux autorités tunisiennes par lettre du 8 mai 2006, les priant de coopérer et de résoudre ledit problème, après avoir souligné que l’accord d’association n’interdisait pas de remplir et de viser la case n° 13 du formulaire T2M.

20      Par courrier du 24 novembre 2006, la requérante a informé la Commission qu’aucune solution n’avait pu être trouvée au problème rencontré dans le cadre de l’importation des produits en question en Grèce et a demandé l’intervention de celle-ci auprès des autorités douanières grecques. Le 25 janvier 2007, le secrétariat général de la Commission a fait savoir à la requérante que la Commission avait introduit une plainte à l’encontre des autorités grecques et menait une enquête par l’intermédiaire de ses services afin de constater l’existence éventuelle d’une violation du droit communautaire. L’examen de la plainte était encore pendant à la date du dépôt par la Commission de son mémoire en défense dans [le recours introduit devant le Tribunal].»

 Le recours devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

6        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 8 mai 2007, la requérante a introduit un recours en indemnité. À l’appui de celui-ci, elle invoquait l’illégalité de différents actes ou comportements, sous la forme d’omissions, du Conseil et de la Commission, aboutissant à une violation du droit de l’Union. Elle alléguait également l’existence d’un préjudice et la réalité du dommage qui lui a été causé par celles-ci, ainsi que l’existence d’un lien de causalité entre le prétendu comportement illégal et le préjudice invoqué. À titre subsidiaire, la requérante invoquait également la responsabilité sans faute de la Communauté.

7        Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté le recours introduit par la requérante. Au point 71 du même arrêt, il a jugé que celle-ci n’avait pas établi l’existence d’une violation suffisamment caractérisée par le Conseil et la Commission d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers, de sorte que l’argument tiré de l’existence d’un acte illégal ou d’un comportement illégal sous forme de carence ou d’omission ne pouvait prospérer. Le Tribunal a également jugé, au point 77 dudit arrêt, que ne pouvait être retenu l’argument de la requérante tiré de l’existence d’une responsabilité de la Communauté en l’absence de faute de ses institutions dans une situation où les actes et omissions d’ordre normatif de ces dernières étaient licites.

 Les conclusions des parties

8        Par son pourvoi, la requérante demande à la Cour, à titre principal, d’annuler l’arrêt attaqué et de statuer définitivement sur le litige ou, à titre subsidiaire, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue de nouveau sur son recours et de condamner le Conseil ainsi que la Commission aux dépens.

9        Le Conseil et la Commission demandent à la Cour de rejeter le pourvoi et de condamner la requérante aux dépens.

 Sur le pourvoi

10      En vertu de l’article 119 de son règlement de procédure, lorsque le pourvoi est, en tout ou en partie, manifestement irrecevable ou manifestement non fondé, la Cour peut, à tout moment, sur rapport du juge rapporteur, l’avocat général entendu, rejeter le pourvoi, par voie d’ordonnance motivée, sans ouvrir la procédure orale.

11      La requérante invoque cinq moyens à l’appui de son pourvoi qu’il convient d’examiner successivement.

 Sur le premier moyen

12      Par son premier moyen, la requérante invoque un défaut et une insuffisance de motivation de l’arrêt attaqué ainsi qu’une erreur de droit en ce qui concerne la nécessité et la proportionnalité de l’absence d’alternative au formulaire T2M en tant que moyen de preuve de l’origine des produits capturés par les navires communautaires en dehors des eaux territoriales d’un État membre et transitant par un État tiers.

13      Par ce moyen, la requérante met en cause, en premier lieu, le point 63 de l’arrêt attaqué, dans lequel le Tribunal a jugé que «[s]’agissant de l’argument de la requérante selon lequel la Commission aurait dû prévoir un moyen de preuve du caractère communautaire des produits de la pêche autre que le formulaire T2M, il convient de préciser […] que l’article 326 du règlement d’application prévoit à cet effet le transport direct des captures vers leur destination dans le territoire douanier communautaire sans transit par un pays tiers, ce qui aurait évité le problème auquel la requérante était confrontée en l’espèce».

14      Selon la requérante, c’est notamment sur cette constatation, qui est erronée selon elle, que le Tribunal a fondé sa conclusion, au point 67 de l’arrêt attaqué, selon laquelle l’absence de moyen de preuve du caractère communautaire des marchandises autre que le formulaire T2M représente une règle proportionnée au but poursuivi.

15      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, audit point 67, le Tribunal a jugé que, «en vertu des avantages liés au statut de marchandises communautaires et notamment du fait que celles-ci se trouvent en libre circulation dans le territoire douanier de la Communauté, l’absence de moyen de preuve du caractère communautaire des marchandises autre que le formulaire T2M ne viole nullement le traité CE ou les principes de l’ordre juridique communautaire. L’obligation de produire ledit formulaire dûment rempli et visé représente une règle proportionnée au but poursuivi, qui est celui de permettre la libre circulation des marchandises en ce qui concerne les produits de la pêche au sein de la Communauté. Par l’adoption de cette règle, le Conseil et la Commission n’ont donc pas dépassé les limites qui s’imposent à leur pouvoir d’appréciation».

16      Il en résulte que le Tribunal a motivé sa conclusion relative à l’absence d’un comportement illégal de la part du Conseil et de la Commission en se fondant sur le caractère proportionné, par rapport au but poursuivi, de la règle imposant la production dudit formulaire T2M.

17      Or, le simple fait que, ainsi que le soutient la requérante, une solution alternative, mentionnée à l’article 326, paragraphe 1, du règlement d’application, à savoir le transport direct des captures vers leur destination dans le territoire douanier communautaire sans transit par un État tiers, était inappropriée ou difficile à appliquer dans le cas d’espèce ne saurait par lui-même suffire pour mettre en cause la conclusion du Tribunal, telle que formulée au point 67 de l’arrêt attaqué, et ainsi étayer le bien-fondé du grief de la requérante.

18      Il s’ensuit que le grief formulé par la requérante à l’encontre du point 63 de l’arrêt attaqué est manifestement non fondé.

19      En second lieu, la requérante met également en cause le point 67 de l’arrêt attaqué, dans la mesure où, selon elle, il n’était ni nécessaire ni proportionné pour le législateur de l’Union d’imposer un seul moyen de preuve du caractère communautaire des marchandises, à savoir le formulaire T2M, à l’exclusion de tout autre document ayant un contenu équivalent.

20      À cet égard, s’agissant de la responsabilité du fait de l’activité normative, la Cour a déjà relevé que les actes normatifs dans lesquels se traduisent des options de politique économique n’engagent qu’exceptionnellement et dans des circonstances singulières la responsabilité des pouvoirs publics (arrêts du 25 mai 1978, Bayerische HNL Vermehrungsbetriebe e.a./Conseil et Commission, 83/76, 94/76, 4/77, 15/77 et 40/77, Rec. p. 1209, point 5, ainsi que du 9 septembre 2008, FIAMM e.a./Conseil et Commission, C‑120/06 P et C‑121/06 P, Rec. p. I‑6513, point 171).

21      Aussi la Cour a-t-elle notamment jugé que la responsabilité de l’Union européenne du fait d’un acte normatif qui implique des choix de politique économique ne saurait être engagée, compte tenu des dispositions de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, qu’en présence d’une violation suffisamment caractérisée d’une règle supérieure de droit protégeant les particuliers (voir, en ce sens, arrêt FIAMM e.a./Conseil et Commission, précité, point 172 et jurisprudence citée).

22      Elle a encore précisé, à cet égard, que la règle de droit dont la violation doit ainsi être constatée devait avoir pour objet de conférer des droits aux particuliers (arrêt FIAMM e.a./Conseil et Commission, précité, point 173 et jurisprudence citée).

23      La Cour a, par ailleurs, indiqué que la conception restrictive de la responsabilité de l’Union du fait de l’exercice de ses activités normatives s’explique par la considération selon laquelle, d’une part, l’exercice de la fonction législative, même là où il existe un contrôle juridictionnel de la légalité des actes, ne doit pas être entravé par la perspective d’actions en dommages-intérêts chaque fois que l’intérêt général de l’Union commande de prendre des mesures normatives susceptibles de porter atteinte aux intérêts des particuliers et que, d’autre part, dans un contexte normatif caractérisé par l’existence d’un large pouvoir d’appréciation, indispensable à la mise en œuvre d’une politique communautaire, la responsabilité de l’Union ne peut être engagée que si l’institution concernée a méconnu de manière manifeste et grave les limites qui s’imposent à l’exercice de ses pouvoirs (voir, en ce sens, arrêts du 5 mars 1996, Brasserie du pêcheur et Factortame, C‑46/93 et C‑48/93, Rec. p. I‑1029, point 45, ainsi que FIAMM e.a./Conseil et Commission, précité, point 174).

24      Pour ce qui concerne le présent litige, il ne saurait être contesté que le législateur de l’Union et, s’agissant plus particulièrement du cas d’espèce, la Commission, en mettant en œuvre la réglementation douanière, disposent d’un large pouvoir d’appréciation afin de déterminer la manière dont le caractère communautaire de certaines marchandises doit être prouvé, dès lors que, ainsi que l’a rappelé le Tribunal au point 49 de l’arrêt attaqué, le droit primaire de l'Union ne contient pas de règles relatives à une telle preuve.

25      À supposer même que, comme le prétend la requérante, des moyens de preuve appropriés, autres que celui imposé par le législateur de l’Union, existent afin de justifier le caractère communautaire de certaines marchandises, cette circonstance, en tant que telle, n’est pas de nature à établir que celui-ci a méconnu de manière manifeste et grave les limites qui s’imposent à l’exercice de ses pouvoirs.

26      Il ressort de ce qui précède que le grief de la requérante, selon lequel le Tribunal aurait commis une erreur de droit en jugeant, au point 67 de l’arrêt attaqué, que le Conseil et la Commission n’ont pas excédé les limites qui s’imposent à leur pouvoir d’appréciation, doit être rejeté comme manifestement non fondé.

27      Le premier moyen doit, dès lors, être rejeté comme manifestement non fondé dans son ensemble.

 Sur le deuxième moyen

28      Par son deuxième moyen, la requérante soutient que le Tribunal a commis une erreur en ce qui concerne l'appréciation de la valeur probante des éléments de preuve fournis par celle-ci par rapport à la valeur probante de la case n° 13 du formulaire T2M.

29      Par ce moyen, la requérante critique le point 66 de l’arrêt attaqué, dans lequel le Tribunal a constaté que les documents présentés par celle-ci n’avaient pas un contenu et une valeur équivalents à ceux du formulaire T2M.

30      À cet égard, il y a lieu de rappeler, comme le font à bon droit le Conseil et la Commission, que le caractère probant ou non des pièces de la procédure relève de l’appréciation souveraine des faits par le Tribunal, laquelle échappe au contrôle de la Cour dans le cadre du pourvoi, sauf en cas de dénaturation des éléments de preuve présentés au Tribunal ou lorsque l’inexactitude matérielle des constatations effectuées par ce dernier ressort des documents versés au dossier [voir, en ce sens, arrêt du 16 décembre 2008, Masdar (UK)/Commission, C‑47/07 P, Rec. p. I‑9761, point 99 et jurisprudence citée].

31      Or, la requérante n’invoque pas une dénaturation des faits par le Tribunal et elle n’apporte pas d’éléments de nature à démontrer que ce dernier a procédé à une constatation dont l’inexactitude matérielle ressort des documents versés au dossier.

32      Le deuxième moyen est donc manifestement irrecevable.

33      Au demeurant, ainsi qu’il ressort des points 25 et 26 de la présente ordonnance, il ne suffit pas pour la requérante de démontrer que d’autres moyens de preuve sont aussi appropriés que celui constitué par le formulaire T2M pour qu’il puisse être conclu à une erreur de droit commise par le Tribunal. Il s’ensuit que le deuxième moyen est, en tout état de cause, inopérant.

34      Il convient donc de rejeter le deuxième moyen.

 Sur le troisième moyen

35      Par son troisième moyen, la requérante invoque un défaut et une insuffisance de motivation, une erreur de droit ainsi qu’une appréciation erronée des preuves en ce qui concerne la notion de diligence requise de l’opérateur.

36      Plus particulièrement, elle critique la deuxième phrase du point 58 de l’arrêt attaqué et la première phrase du point 59 de celui-ci, lesquelles s’inscrivent dans le cadre du raisonnement suivi par le Tribunal dans les points suivants du même arrêt:

«56      Il ressort ainsi de ce qui précède que le Conseil et la Commission n’ont violé aucune règle de droit, en concluant avec la République tunisienne un accord d’association qui ne contient pas d’obligation spécifique en ce qui concerne le visa à apposer sur la case n° 13 du formulaire T2M.

57      Il convient également de préciser que la requérante, au moment où elle effectuait les démarches administratives en vue d’exercer son activité de pêche dans les eaux extraterritoriales de la République tunisienne, était en mesure de connaître le régime douanier communautaire ainsi que les règles spécifiques à satisfaire pour écouler les produits de la pêche dans le territoire douanier de la Communauté en provenance des eaux extraterritoriales d’un pays tiers. Ainsi que le Conseil l’a fait observer, la requérante aurait pu, d’une part, s’informer au préalable des différentes possibilités existantes pour envoyer le produit de la pêche vers la Grèce et, d’autre part, vérifier que les autorités douanières du pays tiers de transit étaient disposées à coopérer et à viser la case n° 13 du formulaire T2M.

58      En effet, d’une part, le Conseil et la Commission ne sont pas tenus d’exiger la collaboration des autorités douanières d’un pays tiers, en ce qui concerne le visa à apposer sur la case n° 13 du formulaire T2M. D’autre part, l’article 326 du règlement d’application prévoit, ainsi que la Commission l’a rappelé, la possibilité pour les pêcheurs communautaires d’acheminer leurs captures vers la Communauté en les transbordant vers des navires battant pavillon d’un État membre.

59      En outre, il ne ressort pas du dossier que la requérante a entrepris des démarches visant à obtenir des renseignements circonstanciés à ce sujet auprès des autorités douanières tunisiennes avant d’exercer son activité économique. Interrogée à ce sujet par le Tribunal lors de l’audience, la requérante a admis ne pas avoir vérifié si les autorités douanières de la Tunisie coopéreraient à l’établissement du formulaire T2M ou si, en revanche, elles ne rempliraient pas la case n° 13 dudit formulaire. En l’absence de toute preuve en ce sens, la requérante ne peut pas se prévaloir d’une quelconque confiance légitime et ne peut pas invoquer l’absence de sécurité juridique, vu la clarté des dispositions du code des douanes et du règlement d’application en vigueur à l’époque des faits.

60      Force est donc de constater que, en n’imposant aux autorités douanières tunisiennes aucune obligation de remplir et de viser la case n° 13 du formulaire T2M, le Conseil et la Commission n’ont commis aucune omission illégale et n’ont pas dépassé les limites de leur marge d’appréciation lors des négociations et de la signature de l’accord d’association.»

37      Ainsi qu’il ressort des points 56 à 60 de l’arrêt attaqué, les considérations figurant aux points 57 à 59 de celui-ci, qui contiennent les phrases critiquées par la requérante, constituent des motifs surabondants par rapport à ceux sur lesquels est fondée la conclusion à laquelle le Tribunal est déjà parvenu audit point 56 et qu’il réitère, en substance, au point 60 dudit arrêt, selon laquelle le Conseil et la Commission n’ont violé aucune règle de droit lors de la négociation et de la conclusion de l’accord d’association.

38      Or, il est de jurisprudence constante que les griefs dirigés contre un motif surabondant d’une décision du Tribunal ne sauraient entraîner l’annulation de cette décision et sont donc inopérants (arrêt du 2 avril 2009, Bouygues et Bouygues Télécom/Commission, C‑431/07 P, non encore publié au Recueil, point 148 et jurisprudence citée).

39      Au demeurant, il y a lieu de rappeler que, selon un principe général commun aux systèmes juridiques des États membres, la personne lésée, au risque de devoir supporter elle-même le dommage, doit faire preuve d’une diligence raisonnable pour limiter la portée du préjudice (arrêt du 24 mars 2009, Danske Slagterier, C‑445/06, Rec. p. I-2119, point 61 et jurisprudence citée).

40      Toutefois, si la question de la diligence de la personne lésée peut ainsi jouer un rôle lors de la détermination du préjudice indemnisable (voir, en ce sens, arrêt Brasserie du pêcheur et Factortame, précité, point 84), la présence de cette même diligence ne suffit pas, à elle seule, à démontrer l’existence d’un comportement illégal des institutions de l’Union.

41      Il s’ensuit que le troisième moyen de la requérante, à le supposer fondé, ne permettrait pas, en tout état de cause, de conclure que le Tribunal, en jugeant, au point 71 de l’arrêt attaqué, que celle-ci n’a pas établi l’existence d’une violation suffisamment caractérisée par le Conseil et la Commission d’une règle ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers, a commis une erreur de droit ou n’a pas motivé l'arrêt attaqué à suffisance de droit.

42      Le troisième moyen doit donc être rejeté comme inopérant.

 Sur le quatrième moyen

43      Par son quatrième moyen, la requérante soutient que le Tribunal a fait une mauvaise appréciation de l’argument développé dans le recours au sujet de la carence illégale des institutions de l’Union.

44      Par ce moyen, la requérante critique le point 55 de l’arrêt attaqué, selon lequel «[…] l’accord d’association, dans un esprit de réciprocité, de solidarité et de codéveloppement, a pour objectif d’établir notamment une coopération politique, économique et sociale, la libéralisation progressive des échanges de biens, de services et de capitaux, une coopération pour la lutte antifraude. Vu la nature de l’accord d’association, il n’y a pas lieu de supposer que le Conseil et la Commission étaient tenus de prévoir l’obligation pour les autorités douanières tunisiennes de remplir et de viser la case n° 13 du formulaire T2M».

45      Selon la requérante, qui se réfère aux points 37 à 40 de sa requête en première instance, elle n’a à aucun moment affirmé que les institutions de l’Union auraient dû évoquer une telle obligation lors des négociations ayant abouti à la conclusion de l’accord d’association. La carence reprochée auxdites institutions résiderait, en revanche, dans leur inertie lorsqu’il s’est agi d’obtenir la coopération des autorités douanières tunisiennes pour remplir toutes les cases du document T2M et dans leur incapacité à adopter, en coopération avec la République tunisienne, un moyen de preuve alternatif du caractère communautaire des produits qui transitent par le territoire tunisien.

46      À cet égard, il suffit de relever que le Tribunal a répondu, au point 58 de l’arrêt attaqué, à l’argument que la requérante soutient avoir invoqué, en constatant que «le Conseil et la Commission ne sont pas tenus d’exiger la collaboration des autorités douanières d’un pays tiers, en ce qui concerne le visa à apposer sur la case n° 13 du formulaire T2M».

47      Au demeurant, au point 39 de sa requête en première instance, la requérante avait effectivement fait valoir que «[l]a Commission, lors des négociations, et le Conseil, qui a ratifié l’accord d’association et qui participe au Conseil d’association, lequel peut modifier l’accord, ont fait preuve de carence, dans la mesure où ils n’ont pas veillé au droit de libre circulation de ces pêcheurs en introduisant dans l’accord une obligation de coopération des autorités douanières tunisiennes en ce qui concerne les captures communautaires destinées au territoire douanier de la Communauté (sous couvert du document T2M)».

48      Il s’ensuit que, contrairement à ce que soutient la requérante, le Tribunal n’a pas commis d’erreur dans l’interprétation de l’argument que cette dernière avait soulevé en première instance en ce qui concerne la carence illégale des institutions de l’Union.

49      Le quatrième moyen doit donc être rejeté comme manifestement non fondé.

 Sur le cinquième moyen

50      Par son cinquième moyen, la requérante prétend que le Tribunal a fait une appréciation erronée de l’argumentation développée dans son recours en ce qui concerne la violation du principe de protection de la confiance légitime et que l’arrêt attaqué est entaché d’insuffisance de motivation à cet égard.

51      Plus particulièrement, la requérante critique le point 69 de l’arrêt attaqué, selon lequel, «[q]uant à la prétendue violation du principe de protection de la confiance légitime, la requérante n’a apporté aucun indice de nature à établir que le Conseil ou la Commission, par leurs actions ou leurs informations, l’auraient poussée à croire que les dispositions relatives au formulaire T2M ne lui seraient pas applicables».

52      Selon la requérante, la confiance légitime, à laquelle elle soutient qu'il a été porté atteinte, n’avait pas pour objet l’application à son cas des dispositions relatives au formulaire T2M, mais reposait sur la certitude que les institutions de l’Union s’étaient assurées de la coopération des autorités tunisiennes en ce qui concerne l’établissement des documents douaniers indispensables.

53      À cet égard, il suffit de constater que, au point 59 de l’arrêt attaqué, reproduit au point 36 de la présente ordonnance, le Tribunal a répondu à l’argument que la requérante soutient avoir soulevé dans son recours en relation avec le principe de protection de la confiance légitime, cette réponse figurant notamment dans la dernière phrase dudit point 59.

54      Il en résulte que l’arrêt attaqué n’est entaché ni d’une erreur de droit dans l’appréciation de l’argument relatif audit principe ni d’une insuffisance de motivation à cet égard.

55      Le cinquième moyen doit, dès lors, être rejeté comme manifestement non fondé.

56      Aucun des cinq moyens invoqués par la requérante au soutien de son pourvoi n’étant susceptible de prospérer, il y a lieu de rejeter celui-ci dans son ensemble.

 Sur les dépens

57      Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 118 du même règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Conseil et la Commission ayant conclu à la condamnation de la requérante et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) ordonne:

1)      Le pourvoi est rejeté.

2)      Pigasos Alieftiki Naftiki Etaireia est condamnée aux dépens.

Signatures


* Langue de procédure: le grec.