ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

2 février 2012 ( *1 )

«Convention portant statut des écoles européennes — Interprétation et application des articles 12, point 4, sous a), et 25, point 1 — Droit des enseignants détachés d’avoir accès au même avancement de carrière et à la même progression salariale que leurs homologues nationaux — Exclusion de certains enseignants détachés par le Royaume-Uni auprès des écoles européennes de l’accès à des échelles de salaires plus avantageuses et à d’autres paiements additionnels accordés aux homologues nationaux — Incompatibilité avec les articles 12, point 4, sous a), et 25, point 1»

Dans l’affaire C-545/09,

ayant pour objet un recours au titre de l’article 26 de la convention portant statut des écoles européennes, introduit le 22 décembre 2009,

Commission européenne, représentée par M. J. Currall et Mme B. Eggers, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, représenté par Mme H. Walker, en qualité d’agent, et Me J. Coppel, barrister,

partie défenderesse,

LA COUR (première chambre),

composée de M. A. Tizzano, président de chambre, MM. A. Borg Barthet, M. Ilešič (rapporteur), J.-J. Kasel et Mme M. Berger, juges,

avocat général: M. P. Mengozzi,

greffier: Mme K. Sztranc-Sławiczek, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 4 mai 2011,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 7 juillet 2011,

rend le présent

Arrêt

1

Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que l’article 12, point 4, sous a), de la convention portant statut des écoles européennes du 21 juin 1994 (JO L 212, p. 3, ci-après la «convention») doit être interprété et appliqué de manière à garantir que les enseignants détachés par un État membre aient accès, pendant leur détachement, au même avancement de carrière et à la même progression salariale que les enseignants affectés sur le territoire de cet État membre, et que l’exclusion de certains enseignants détachés par le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, pendant leur détachement, de l’accès à des grilles de salaires plus avantageuses (notamment celles désignées comme «threshold pay», «excellent teacher system» ou «advanced skills teachers») et à d’autres paiements additionnels (tels que les «teaching and learning responsibility payments») ainsi que de la progression dans la grille salariale existante comme en bénéficient les enseignants employés dans les écoles publiques anglaises et galloises est incompatible avec les articles 12, point 4, sous a), et 25, point 1, de la convention.

Le cadre juridique

La convention et le statut du personnel détaché

2

La création des écoles européennes reposait à l’origine sur deux instruments, à savoir, d’une part, le statut de l’école européenne, signé à Luxembourg le 12 avril 1957 (Recueil des traités des Nations unies, vol. 443, p. 129), et, d’autre part, le protocole concernant la création d’écoles européennes, établi par référence au statut de l’école européenne, signé à Luxembourg le 13 avril 1962 (Recueil des traités des Nations unies, vol. 752, p. 267).

3

Ces instruments ont été remplacés par la convention, laquelle est entrée en vigueur le 1er octobre 2002 et constitue l’instrument actuellement applicable. Contrairement aux instruments originels, auxquels seuls les États membres étaient parties, la convention a été conclue également par les Communautés européennes, lesquelles ont été habilitées à cet effet par la décision 94/557/CE, Euratom du Conseil, du 17 juin 1994, autorisant la Communauté européenne et la Communauté européenne de l’énergie atomique à signer et à conclure la convention portant statut des écoles européennes (JO L 212, p. 1).

4

Le troisième considérant de la convention énonce:

«considérant que le système des écoles européennes est un système sui generis; que ce système réalise une forme de coopération entre les États membres et entre ceux-ci et les Communautés européennes tout en respectant pleinement la responsabilité des États membres pour le contenu de l’enseignement et l’organisation de leur système éducatif ainsi que leur diversité culturelle et linguistique».

5

L’article 3, paragraphe 2, de cette convention prévoit:

«L’enseignement est assuré par les enseignants détachés ou affectés par les États membres conformément aux décisions prises par le Conseil supérieur selon la procédure prévue à l’article 12, point 4.»

6

L’article 12, point 4, sous a), de ladite convention, qui fait partie du titre deuxième, intitulé «Des organes des écoles», dispose:

«En matière administrative, le Conseil supérieur:

[...]

4.

a)

détermine, chaque année, sur proposition des conseils d’inspection les besoins en personnel enseignant par création et suppression d’emplois. Il veille à la répartition équitable des emplois entre les États membres. Il règle, avec les gouvernements, les questions relatives à l’affectation ou au détachement des professeurs, des instituteurs et des conseillers de l’éducation de l’école. Ceux-ci conservent les droits à l’avancement et à la retraite garantis par leur statut national».

7

L’article 25 de cette même convention se lit comme suit:

«Le budget des écoles est alimenté par:

1)

les contributions des États membres à travers le maintien des rémunérations payées aux professeurs détachés ou affectés et, le cas échéant, sous forme de contribution financière décidée par le Conseil supérieur statuant à l’unanimité;

2)

la contribution des Communautés européennes, qui vise à couvrir la différence entre le montant global des dépenses des écoles et le total des autres recettes;

3)

les contributions des organismes non communautaires avec lesquels le Conseil supérieur a conclu un accord;

4)

les recettes propres des écoles, et notamment les contributions scolaires mises à la charge des parents d’élèves par le Conseil supérieur;

5)

les recettes diverses.

Les modalités de mise à disposition de la contribution des Communautés européennes font l’objet d’un accord spécial entre le Conseil supérieur et la Commission.»

8

Aux termes de l’article 26 de la convention, la «Cour de justice des Communautés européennes est seule compétente pour statuer sur les litiges entre les parties contractantes relatifs à l’interprétation et à l’application de la présente convention et qui n’ont pu être résolus au sein du Conseil supérieur».

9

Sur la base de l’article 12, point 1, de ladite convention, le Conseil supérieur a adopté le statut du personnel détaché des écoles européennes (ci-après le «statut du personnel détaché»), lequel contient notamment des dispositions sur la rémunération et les conditions de travail des enseignants des écoles européennes.

10

L’article 10, paragraphe 1, du statut du personnel détaché exige que les enseignants détachés possèdent les titres et remplissent les conditions nécessaires pour occuper des fonctions équivalentes dans leur pays d’origine. Le chapitre III de ce statut, intitulé «Évaluation», comporte un article 30 qui dispose, à son premier alinéa, que «[l]a compétence, l’efficacité et le comportement dans le service font l’objet pour chaque membre du personnel d’enseignement et de surveillance ainsi que pour les adjoints des directeurs d’un rapport d’évaluation établi tant par le directeur que par l’inspecteur national selon les modalités fixées dans le règlement d’application. En cas de désaccord, le rapport de l’inspecteur national est prépondérant».

11

Conformément à l’article 49 dudit statut, les enseignants détachés perçoivent, d’une part, leurs émoluments nationaux versés par les autorités nationales compétentes et, d’autre part, la différence entre la rémunération prévue par ce statut et la contre-valeur des émoluments nationaux, diminués des retenues sociales obligatoires, qui est versée par l’école européenne (ci-après le «supplément européen»).

12

En vertu de l’article 72, paragraphe 1, du statut du personnel détaché, le membre du personnel qui cesse définitivement ses fonctions a droit, lors de son départ et pour autant que celui-ci ne résulte pas d’une mesure disciplinaire, au versement d’une allocation de départ proportionnelle au temps de service effectivement accompli jusqu’à une durée maximale de neuf ans. Cette indemnité est calculée, selon le paragraphe 2 de ce même article, sur la base de la différence entre un mois et demi du dernier traitement de base européen affecté du coefficient correcteur fixé pour le pays d’origine et un mois et demi du dernier traitement de base national par année de service.

13

En revanche, le statut ne prévoit pas de régime de retraite pour les enseignants détachés, qui continuent de cotiser à leurs régimes nationaux pendant leur détachement.

Le régime applicable aux enseignants employés en Angleterre et au pays de Galles

14

Au Royaume-Uni, l’enseignement relève de la compétence de pouvoirs décentralisés qui se répartissent en trois zones distinctes, à savoir l’Angleterre et le pays de Galles, qui forment conjointement une seule zone, l’Irlande du Nord et l’Écosse. Les conditions de travail dans chacune de ces zones sont différentes.

15

Pour ce qui concerne la zone constituée de l’Angleterre et du pays de Galles, seule zone visée dans le présent litige, la majorité des enseignants sont employés par l’une des écoles subventionnées («maintained schools»). La rémunération et les conditions d’emploi de ces enseignants sont fixées par un arrêté du ministre compétent, à savoir le document relatif au statut et à la rémunération des enseignants des écoles («School Teachers Pay and Conditions Document», ci-après le «STPCD»), lequel est contraignant pour tout contrat de travail conclu par une école subventionnée.

16

Un certain nombre d’enseignants est employé non pas dans une école subventionnée, mais dans d’autres types d’écoles, comme par exemple les écoles publiques indépendantes et polyvalentes soutenues par des sponsors («academies»), les écoles privées, l’école européenne de Culham ou les écoles gérées par des gouvernements étrangers. Pour ces écoles, les modalités et conditions de travail prévues par le STPCD revêtent un caractère facultatif.

17

Le STPCD, dans sa version de 2009, prévoit les grilles de rémunération incluant les principaux éléments exposés ci-après.

18

Les enseignants bénéficient d’une échelle salariale de base comportant six échelons. Le principal critère pour gravir ces échelons est le niveau d’expérience mesuré en années de service accomplies. Ainsi, mis à part des cas exceptionnels de résultats insatisfaisants, l’avancement sur cette échelle est automatique.

19

En 2000, une augmentation salariale générale de 3 % a été appliquée en Angleterre et au pays de Galles. Au même moment a été introduite une augmentation salariale de 7 % sur la base d’un nouveau régime intitulé «threshold pay», les enseignants devant remplir certaines conditions pour pouvoir en bénéficier.

20

En application de ce régime, les enseignants anglais et gallois peuvent, une fois parvenus au dernier échelon de l’échelle salariale de base, poser leur candidature en vue de franchir le seuil et d’accéder à une échelle salariale supérieure («post-threshold pay scale»). Les enseignants souhaitant poser une telle candidature doivent satisfaire à certaines normes professionnelles, fournir des preuves de leurs qualifications et demander une évaluation de leurs compétences, laquelle est effectuée par les chefs d’établissements scolaires. Les normes professionnelles auxquelles il doit être satisfait sont présentées dans un document intitulé «Normes professionnelles applicables aux enseignants» («Professional Standards for Teachers»). Une fois qu’un enseignant a accédé à l’échelle supérieure («post-threshold teacher»), l’avancement sur celle-ci n’est pas automatique mais dépend des conclusions d’entretiens d’évaluation annuels.

21

Le STPCD prévoit, en outre, pour les écoles subventionnées, la possibilité de créer des postes pour des enseignants excellents («excellent teachers») et des enseignants ayant des aptitudes de pointe («advanced skills teachers»), auxquels s’appliquent des échelles salariales distinctes, ainsi que des postes ouvrant droit à des primes de responsabilité d’enseignement et de formation («teaching and learning responsibility payments»). Un enseignant ne peut pas occuper plusieurs de ces postes en même temps.

22

Les enseignants souhaitant accéder au «excellent teacher scheme» doivent être classés depuis au moins deux ans au dernier des trois échelons de la «post-threshold pay scale» et faire preuve de compétences professionnelles spécifiques, établies dans les «Professional Standards for Teachers». Ils ne peuvent toutefois demander une évaluation, laquelle est effectuée par des évaluateurs externes, à cet égard qu’en vue d’un poste d’«excellent teachers» vacant dans leur propre école. Outre leurs charges classiques d’enseignement, les «excellent teachers» sont appelés à aider d’autres professeurs à améliorer leur efficacité et la qualité de leur enseignement.

23

Pour être éligible à un poste d’«advanced skills teachers», les candidats ne doivent pas nécessairement avoir déjà accédé à la «post-threshold pay scale», mais sont toutefois tenus de satisfaire aux «post-threshold teacher standards» et plus particulièrement aux normes professionnelles spécifiques aux «advanced skills teachers», telles que définies par les «Professional Standards for Teachers». Les évaluations à cet égard sont effectuées par des évaluateurs externes. Ces postes sont liés à des responsabilités supplémentaires, lesquelles sont réalisées au bénéfice des enseignants provenant d’autres écoles.

24

Enfin, les «teaching and learning responsibility payments» sont ouverts à tout enseignant assumant une charge classique d’enseignement, sans qu’il soit requis que cet enseignant ait accédé à la «post-threshold pay scale». Ces primes sont accordées aux enseignants assumant une «responsabilité supplémentaire durable dans le cadre de la structure du personnel» de l’école. Ils visent à récompenser notamment l’aide aux élèves en dehors de la classe ou le rôle moteur dans l’élaboration des matières ou du programme.

Le régime applicable aux enseignants affectés ou détachés par l’Angleterre et le pays de Galles auprès des écoles européennes

25

Les postes du Royaume-Uni dans les écoles européennes sont ouverts à tous les enseignants suffisamment qualifiés, indépendamment du point de savoir si, au moment de leur affectation ou de leur détachement, ils sont employés par une école subventionnée, privée ou située en dehors du territoire national, voire par aucun établissement d’enseignement.

26

Les enseignants détachés par le Royaume-Uni auprès des écoles européennes ne conservent pas leur relation contractuelle avec leur employeur précédent, mais concluent, aux fins du détachement, un nouveau contrat de travail avec le «Department for Children, Schools and Families» (ministère de l’Enfance, des Établissements d’enseignement et de la Famille, ci-après le «ministère de l’Enseignement»).

27

Ce contrat de travail stipule, pour les enseignants anglais et gallois, que le STPCD ne s’applique pas aux enseignants des écoles européennes. Il est toutefois précisé que les salaires nationaux versés mensuellement aux enseignants détachés sont fixés conformément aux échelles salariales prévues dans le STPCD et que ces derniers auront droit aux augmentations salariales annuelles négociées au niveau national, applicables en vertu du STPCD. Il est également indiqué qu’aucun autre supplément au salaire national ne sera versé et qu’un enseignant détaché ne peut, pendant la durée de son affectation au sein d’une école européenne, demander à bénéficier d’une échelle salariale supérieure, d’une prime additionnelle ou d’un statut additionnel visés dans le STPCD. Enfin, ce contrat de travail spécifie que le service dans une école européenne ouvre le droit à une pension en vertu du régime de retraite des enseignants anglais et gallois et que les cotisations à ce régime seront fondées sur le salaire national uniquement.

Les consultations précontentieuses

28

En raison du grand nombre de plaintes d’enseignants concernés et à la suite de questions parlementaires, la Commission a saisi à plusieurs reprises, à partir de l’année 2000, les ministres de l’Enseignement successifs du Royaume-Uni, en invoquant l’incompatibilité avec la convention de la décision de refuser aux enseignants britanniques détachés auprès des écoles européennes l’accès à la nouvelle échelle salariale. Un premier échange de lettres pendant les années 2000 et 2001 ainsi qu’un second échange en 2007 n’ont pas permis de résoudre le différend. La Commission a alors demandé que la question soit examinée lors de la réunion du Conseil supérieur des 20 à 22 octobre 2008. Le 20 novembre 2008, une visioconférence s’est déroulée entre des représentants de la Commission et du ministère de l’Enseignement, laquelle n’a toutefois pas abouti à un règlement du désaccord. Le 13 janvier 2009, la Commission a soumis au Conseil supérieur une dernière demande en vue de résoudre la situation, tout en annonçant que si aucun résultat n’était obtenu, elle se verrait contrainte de saisir la Cour.

29

La question de l’interprétation des articles 12, point 4, sous a), et 25, point 1 de la convention a été examinée lors de la réunion du Conseil supérieur des 20 et 21 janvier 2009. À la suite de cette réunion, ledit Conseil a conclu qu’il «n’a pu résoudre ce litige et a pris acte de l’intention de la Commission de saisir la Cour de justice d’un recours en interprétation et en application à l’encontre du Royaume-Uni sur base de l’article 26 de la convention en liaison avec les articles 10 et 39 du traité».

30

C’est dans ce contexte que la Commission a introduit le présent recours.

Sur le recours

31

Par son recours, la Commission demande à la Cour de statuer, en vertu de l’article 26 de la convention, d’une part, sur l’interprétation à donner de l’article 12, point 4, sous a), dernière phrase, de cette convention et, d’autre part, sur le point de savoir si le Royaume-Uni fait, en ce qui concerne spécifiquement les enseignants détachés par l’Angleterre et le pays de Galles auprès des écoles européennes, une application correcte de cette disposition et se conforme ainsi aux obligations découlant de celle-ci ainsi que de l’article 25, point 1, de la même convention.

Sur l’interprétation de l’article 12, point 4, sous a), dernière phrase, de la convention

Argumentation des parties

32

La Commission considère que la dernière phrase de l’article 12, point 4, sous a), de la convention impose aux États membres l’obligation d’assurer que les enseignants détachés conservent les droits à l’avancement et à la retraite garantis par leur statut national. Cette convention conférerait, de ce fait et à cet égard, un droit aux enseignants détachés.

33

Cette interprétation serait confirmée par le libellé clair et inconditionnel de cette disposition ainsi que par le contexte et l’objectif de celle-ci qui serait d’assurer que les enseignants ne soient pas pénalisés du fait de leur détachement.

34

La Commission fait en outre valoir que le terme «avancement» appelle une interprétation autonome et vise à couvrir les différents systèmes nationaux de rémunération applicables aux enseignants en cas de détachement. Ainsi, la portée large de ce terme serait confirmée par l’analyse de différentes versions linguistiques.

35

En revanche, le Royaume-Uni considère que l’article 12, point 4, sous a), de la convention s’adresse exclusivement au Conseil supérieur et n’impose donc aucune obligation aux États membres.

36

Cette interprétation serait confirmée, d’une part, par le libellé de cette disposition, cette dernière faisant partie du titre deuxième de la convention, intitulé «Des organes des écoles», dont aucune disposition n’impose d’obligations aux États membres, et, d’autre part, par la référence effectuée à l’article 3, paragraphe 2, de la convention à l’article 12 de celle-ci.

37

Selon le Royaume-Uni, l’article 12, point 4, sous a), de la convention a pour effet d’imposer au Conseil supérieur, lorsqu’il exerce ses fonctions administratives, le respect de la réglementation nationale en matière d’avancement et de retraite. En effet, il n’y aurait guère de sens de considérer que la convention impose aux États membres l’obligation de respecter leur propre législation.

38

Par ailleurs, il serait contraire à l’article 165, paragraphe 1, TFUE, qui préserve l’autonomie des États membres pour l’organisation de leurs systèmes éducatifs, que la convention impose aux États membres l’obligation de conférer aux enseignants détachés ou affectés auprès des écoles européennes des droits auxquels ils ne peuvent pas prétendre au titre de la législation nationale.

39

En outre, cet État membre fait valoir que, dans son acception communément admise au Royaume-Uni, le terme «avancement» désigne uniquement la progression d’un enseignant vers une position administrative plus élevée et pourvue de davantage de responsabilités au sein de la structure des écoles, telle que la position de chef d’établissement ou celle d’adjoint au chef d’établissement («head teacher» ou «deputy head teacher»). S’agissant des termes «droits à l’avancement garantis» par le statut national, le Royaume-Uni défend, en substance, la thèse selon laquelle ces termes doivent être interprétés de manière littérale et stricte. Ainsi, un avancement qui n’est pas automatiquement conféré au titre de l’ancienneté, mais qui doit être demandé par l’enseignant et qui ne lui sera octroyé que s’il satisfait à un certain nombre de critères, ne constituerait pas un droit garanti par le statut national.

Appréciation de la Cour

40

Le différend entre la Commission et le Royaume-Uni sur l’interprétation à donner à la dernière phrase de l’article 12, point 4, sous a), de la convention porte, en substance, sur deux questions, à savoir, premièrement, si cette disposition comporte une obligation pour les États membres parties à cette convention et, deuxièmement, quelle portée il convient d’attribuer aux termes «droits à l’avancement garantis» par le statut national.

41

S’agissant de la première de ces deux questions, il convient, tout d’abord, de rappeler que l’article 12, point 4, sous a), de la convention dispose que, en matière administrative, le Conseil supérieur détermine, chaque année, sur proposition des Conseils d’inspection, les besoins en personnel enseignant par création et suppression d’emplois. Il veille à la répartition équitable des emplois entre les États membres. Il règle, avec les gouvernements, les questions relatives à l’affectation ou au détachement des professeurs, des instituteurs et des conseillers de l’éducation de l’école. Ceux-ci conservent les droits à l’avancement et à la retraite garantis par leur statut national.

42

Il découle ainsi du libellé de ladite disposition que, tandis que les trois premières phrases de celle-ci mettent des responsabilités à charge du Conseil supérieur, lesquelles doivent, le cas échéant, être exécutées en collaboration avec les gouvernements, sa dernière phrase est formulée de manière neutre, en constatant le droit des enseignants à conserver les droits à l’avancement et à la retraite garantis par leur statut national, sans spécifier par qui la conservation de ces droits doit être assurée.

43

Or, il est évident que lesdits droits ne pourraient être conservés si les États membres parties à cette convention étaient libres d’aménager leurs statuts nationaux et les dispositions régissant l’affectation ou le détachement de leurs enseignants auprès d’une école européenne d’une façon qui priverait ceux-ci, pendant la période d’affectation ou de détachement, de ces droits.

44

À cet égard, il convient de souligner que les droits à l’avancement et à la retraite des enseignants affectés ou détachés auprès des écoles européennes sont entièrement régis par les réglementations nationales respectives et qu’il est, par conséquent, impossible au Conseil supérieur d’assurer le maintien de ces droits lorsque lesdites réglementations ne permettent pas un tel maintien. En outre, si le Conseil supérieur est certes tenu de respecter ces réglementations, il n’en reste pas moins que, d’une part, l’application de celles-ci auxdits enseignants ne nécessite aucune intervention de la part de ce Conseil et, d’autre part, il est difficilement envisageable que ce dernier puisse, au vu de ses pouvoirs limités et strictement encadrés par la convention, porter préjudice aux droits à l’avancement et à la retraite accordés à ces enseignants par leur réglementation nationale.

45

Dans ces conditions, il y a lieu de constater que l’interprétation proposée par le Royaume-Uni, selon laquelle la dernière phrase de l’article 12, point 4, sous a), de la convention s’adresse exclusivement au Conseil supérieur afin de l’obliger à respecter la réglementation nationale en matière d’avancement et de retraite, priverait cette disposition de tout effet utile.

46

Il en résulte que, contrairement à ce que soutient le Royaume-Uni, cette disposition doit être interprétée en ce sens qu’elle comporte également pour les États membres parties à la convention l’obligation d’assurer que les enseignants conservent, pendant la période de leur affectation ou de leur détachement aux écoles européennes, les droits à l’avancement et à la retraite garantis par leur statut national.

47

Cette constatation n’est infirmée ni par le fait que l’article 12 de la convention fait partie du titre deuxième, intitulé «Des organes des écoles» et qu’il énumère les responsabilités du Conseil supérieur en matière administrative, ni par la référence effectuée à l’article 3, paragraphe 2, de la convention audit article 12.

48

En effet, s’il est constant que cet article 12 énonce, à titre principal, les responsabilités mises à charge du Conseil supérieur, il convient toutefois de relever que cet article vise, à l’avant-dernière phrase de son point 4, sous a), également «les gouvernements» et que la dernière phrase de cette disposition n’est, ainsi qu’il a été constaté au point 42 du présent arrêt, pas formulée en tant que responsabilité du Conseil supérieur mais en tant que droit inconditionnel des enseignants affectés ou détachés auprès des écoles européennes.

49

En outre, l’emplacement de cette dernière phrase s’explique par des raisons historiques et par le lien intrinsèque qui existe entre l’objet de cette phrase et celui de la phrase précédente. Ainsi, dans le statut de l’école européenne, visé au point 2 du présent arrêt, en sa version du 12 avril 1957, ces phrases étaient unies et l’article 12, paragraphe 3, de ce statut disposait alors que le Conseil supérieur réglait «avec les gouvernements, les questions relatives à l’affectation ou au détachement des professeurs, des maîtres et des surveillants de l’école de façon telle que ceux-ci conservent les droits à l’avancement et à la retraite garantis par leur statut national et bénéficient des avantages accordés aux fonctionnaires de leur catégorie à l’étranger». Il résulte clairement de cette version antérieure du statut que le Conseil supérieur et les gouvernements devaient veiller conjointement à régler les questions liées au détachement et à l’affectation, de sorte à assurer que les enseignants ne soient pas désavantagés en raison de leur détachement ou de leur affectation auprès d’une école européenne. Si la convention, dans sa version actuelle, renforce davantage la protection des enseignants en leur conférant un droit explicite et inconditionnel, elle n’entend nullement libérer les gouvernements de leur obligation à cet égard.

50

Contrairement à ce que semble suggérer le Royaume-Uni, cette obligation n’est, par ailleurs, pas dépourvue d’objet du fait que les États membres se doivent de respecter leur propre législation. Il découle, en effet, des points précédents que la responsabilité des États membres parties à la convention pour la réalisation de l’objectif visé à la dernière phrase de l’article 12, point 4, sous a), de celle-ci comporte non seulement l’obligation de respecter la réglementation nationale en matière de droits à l’avancement et à la retraite, mais également celle d’assurer que cette réglementation soit aménagée de manière à ne pas exclure les enseignants affectés ou détachés auprès des écoles européennes.

51

Une telle obligation n’est, en outre, pas incompatible avec l’article 165 TFUE. D’une part, la limitation des compétences de l’Union européenne en matière d’éducation prévue à cet article ne concerne pas la convention étant donné que celle-ci est non pas un acte dérivé adopté par les organes de l’Union, mais un instrument de droit international conclu entre les États membres et les Communautés européennes. D’autre part, et dans la mesure où le troisième considérant de la convention énonce également que ce système de coopération sui generis entre les États membres et les Communautés européennes respecte la responsabilité des États membres pour l’organisation de leurs systèmes éducatifs, il convient de constater que cette responsabilité n’est nullement altérée par l’obligation des États membres de ne pas pénaliser, en ce qui concerne les droits à l’avancement et à la retraite, les enseignants affectés ou détachés auprès des écoles européennes.

52

En ce qui concerne la deuxième question d’interprétation, sur laquelle les parties s’opposent et qui a trait à la portée des termes «droits à l’avancement garantis» par le statut national, figurant à la dernière phrase de l’article 12, point 4, sous a), de la convention, il convient de relever que cette portée, et donc la protection accordée par cette disposition aux enseignants affectés ou détachés auprès des écoles européennes, ne saurait différer en fonction de leur lieu d’origine et que lesdits termes appellent, par conséquent, une interprétation autonome.

53

Une telle interprétation doit notamment permettre d’atteindre effectivement l’objectif visé par cette disposition et doit donc assurer que les enseignants ne subissent pas, en raison de leur affectation ou de leur détachement auprès d’une école européenne, de désavantages en matière d’avancement et de retraite.

54

S’agissant plus particulièrement du terme «avancement», il y a lieu de constater que, au vu dudit objectif, ce terme ne saurait recevoir l’interprétation restrictive proposée par le Royaume-Uni. En effet, ainsi que M. l’avocat général l’a souligné aux points 45 et 46 de ses conclusions, ce terme vise non seulement l’accession d’un enseignant à des postes d’un rang supérieur dans la hiérarchie d’une école et dotés de responsabilités accrues, tels que celui de chef d’établissement, mais aussi toute progression dans la carrière. Il comporte ainsi également l’accès à des grades au sein d’une même carrière, entraînant l’application d’une rémunération plus avantageuse, sans impliquer la reconnaissance d’un titre différent ni de responsabilités supplémentaires.

55

De même, contrairement à ce que semble suggérer le Royaume-Uni, il ne saurait être inféré des termes «droits à l’avancement garantis» par le statut national que seraient, par principe, uniquement visées des situations dans lesquelles la réglementation nationale prévoit une promotion automatique liée à l’ancienneté. Comme M. l’avocat général l’a indiqué aux points 53 à 55 de ses conclusions, il découle du libellé et de la finalité de la dernière phrase de l’article 12, point 4, sous a), de la convention que cette disposition entend préserver, au profit des enseignants affectés ou détachés auprès des écoles européennes, l’ensemble des droits relatifs à la progression dans la carrière, tels qu’ils sont prévus par les réglementations nationales respectives, indépendamment de la forme que prennent ces droits. Ainsi, en fonction du contenu des droits reconnus par ces réglementations, ceux-ci peuvent revêtir la forme d’un droit automatique à la promotion ou seulement d’un droit de participer aux procédures permettant de progresser dans la carrière. Cependant, ces droits ne sauraient avoir une portée moins étendue que ceux dont auraient bénéficié lesdits enseignants s’ils étaient restés en poste dans l’établissement scolaire de leur État membre d’origine.

56

Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’article 12, point 4, sous a), dernière phrase, de la convention doit être interprété en ce sens qu’il oblige les États membres parties à cette convention de veiller à ce que les enseignants détachés ou affectés auprès des écoles européennes jouissent, pendant la durée de leur détachement ou de leur affectation, des mêmes droits à la progression dans la carrière et à la retraite que ceux applicables à leurs homologues nationaux en vertu de la réglementation de leur État membre d’origine.

Sur l’application faite par le Royaume-Uni des articles 12, point 4, sous a), dernière phrase, et 25, point 1, de la convention

Argumentation des parties

57

La Commission estime que le fait que le contrat de travail obligatoirement conclu par les enseignants anglais et gallois avec le ministère de l’Enseignement aux fins de leur détachement auprès des écoles européennes gèle le salaire de ces enseignants à l’échelon existant pour toute la période du détachement, en les empêchant de postuler pour l’une des échelles salariales supérieures ou de bénéficier des «teaching and learning responsibility payments» prévus par le STPCD, est incompatible avec les articles 12, point 4, sous a), et 25, point 1, de la convention.

58

Premièrement, les candidats potentiels seraient défavorisés par l’impossibilité, pendant la durée de leur détachement, de participer à l’évaluation qui leur permettrait d’accéder à la «post-threshold pay scale». De ce fait, lorsqu’ils rentrent au Royaume-Uni après leur détachement, ils ne pourraient postuler que pour un poste correspondant à l’échelle salariale de base, ce qui limiterait l’éventail des postes accessibles.

59

Deuxièmement, le fait de ne pouvoir prétendre à aucune prime ou promotion pendant un détachement de neuf ans réduirait considérablement le salaire pris en compte pour le calcul des droits de retraite et donc le montant de la future pension de retraite.

60

La Commission soutient, en outre, que ladite exclusion entraîne une perte financière considérable pour le budget de l’Union, celui-ci ayant à supporter un plus grand différentiel entre le salaire national plus faible et le salaire harmonisé en vertu du statut du personnel détaché.

61

Elle estime, sur la base d’un calcul approximatif, que le budget de l’Union a dû supporter en 2008 un coût additionnel d’environ 720000 euros pour les seuls 194 enseignants anglais et gallois détachés. Ce coût résulterait de la différence plus élevée qui a dû être versée en vertu de l’article 49, paragraphe 2, sous b), du statut du personnel détaché et, par conséquent, en vertu de l’article 25, point 2, de la convention. Sur la base de ce calcul, il pourrait raisonnablement être considéré que l’impossibilité pour les enseignants anglais et gallois détachés d’accéder à la «post-threshold pay scale» entraîne à elle seule un coût additionnel annuel pour le budget de l’Union compris entre 500000 euros et 1000000 d’euros.

62

La Commission souligne qu’elle ne prétend pas que les enseignants anglais et gallois détachés devraient automatiquement accéder aux échelles salariales supérieures prévues pour les «post-threshold teacher», «advanced teacher» et «excellent teacher» et progresser de la même manière sur celles-ci, ou encore bénéficier des «teaching and learning responsibility payments». Elle limite sa demande à ce que ces enseignants bénéficient d’une progression salariale dans les mêmes conditions que tout autre enseignant employé au Royaume-Uni et donc, notamment, qu’ils puissent participer aux procédures d’évaluation prévues pour l’accès à ces échelles.

63

Selon la Commission, une analyse détaillée des différentes normes professionnelles et tâches qui s’appliquent à ces échelles et à ces primes laisse apparaître que les enseignants détachés auprès des écoles européennes accomplissent fréquemment des tâches qui seraient, en principe, susceptibles de leur permettre d’accéder auxdites échelles ou de bénéficier desdites primes.

64

La Commission estime que le Royaume-Uni ne peut pas invoquer de prétendues difficultés techniques pour justifier le non-respect des obligations découlant de la convention. De plus, elle conteste le fait que de telles difficultés existent effectivement ou que celles-ci ne pourraient être résolues moyennant un effort proportionné aux intérêts en cause.

65

S’agissant, premièrement, de l’organisation des évaluations des enseignants détachés, elle observe, tout d’abord, que l’évaluation en vue d’accéder à la «post-threshold pay scale» est effectuée par les chefs d’établissement des écoles locales et qu’il n’existe à première vue aucune raison qui empêcherait de confier cette mission au directeur de l’école européenne. Ensuite, d’autres options seraient également envisageables. Ainsi, le Royaume-Uni pourrait envoyer des inspecteurs, qui contrôleraient l’évaluation effectuée par les directeurs des écoles européennes, ou bien des évaluateurs externes, qui effectueraient eux-mêmes l’évaluation, ou encore choisir une combinaison de ces formules. Enfin, rien n’empêcherait les évaluateurs de l’agence nationale effectuant les évaluations des candidats nationaux aux postes d’«advanced skills teachers» et d’«excellent teachers» de se rendre dans les écoles européennes, étant donné qu’ils procéderaient déjà à des évaluations dans les écoles du ministère de la Défense en Allemagne et dans d’autres pays en dehors du Royaume-Uni.

66

En ce qui concerne, deuxièmement, l’argument du Royaume-Uni tiré de ce que l’accès aux échelles salariales supérieures est subordonné à la création de postes, la Commission affirme que tel n’est pas le cas pour l’accès à la «post-threshold pay scale», l’introduction de laquelle constituerait, en substance, une hausse de salaire générale déguisée. Quant à l’accès aux autres échelles salariales supérieures, il s’agirait de créer un poste au sens budgétaire. Or, rien n’empêcherait le Royaume-Uni d’octroyer au ministère de l’Enseignement un nombre adéquat de postes d’«advanced skills teachers» et d’«excellent teachers» pour les enseignants détachés.

67

Le Royaume-Uni réfute l’argument que sa politique à l’égard des enseignants détachés serait contraire aux articles 12, point 4, sous a), et 25 de la convention.

68

Le Royaume-Uni estime que le recours de la Commission est fondé sur une mauvaise compréhension du statut professionnel des enseignants détachés et de la nature des éléments de rémunération supplémentaires prévus par le STPCD. À cet égard, cet État membre souligne notamment que les enseignants anglais et gallois détachés n’ont pas nécessairement été préalablement occupés au sein d’une école nationale subventionnée et sont, par conséquent, susceptibles de ne pas avoir relevé du STPCD avant leur détachement. Le STPCD ne constituerait donc pas le «statut national», au sens de l’article 12 de la convention.

69

En outre, les enseignants anglais et gallois détachés auraient délibérément quitté leur emploi précédent pour prendre un nouveau poste dans une école européenne sur la base d’un nouveau contrat de travail conclu avec le ministère de l’Enseignement. Ledit contrat préciserait justement qu’un enseignant détaché ne peut demander à pouvoir bénéficier des échelles salariales supérieures et des primes additionnelles visées dans le STPCD. Lesdits enseignants auraient ainsi volontairement choisi d’accepter un emploi auquel le STPCD ne s’applique pas.

70

Au demeurant, le Royaume-Uni fait valoir que les éléments de rémunération supplémentaires prévus par le STPCD ne sont pas «garantis» par la réglementation nationale et ne constituent pas des «droits» à une promotion, au sens de l’article 12, point 4, sous a), de la convention. En effet, ces éléments ne seraient pas automatiquement conférés au titre de l’ancienneté, mais devraient être demandés et seraient octroyés selon certains critères. De plus, les «teaching and learning responsibility payments» et les régimes des «advanced skills teachers» et des «excellent teachers» ne seraient accessibles que dans la mesure où une école décide de créer des postes à cet égard. Par ailleurs, les éléments de rémunération supplémentaires ne constitueraient pas un «avancement» au sens dudit article, étant donné que les enseignants auxquels est accordée une telle rémunération conserveraient la position d’«enseignant» et n’accéderaient pas à une position d’un rang plus élevé.

71

Le Royaume-Uni estime que si les enseignants détachés devaient avoir droit à des éléments de rémunération supplémentaires sans être tenus d’assurer les responsabilités qui les accompagnent, cela créerait une discrimination envers les enseignants nationaux. Le Royaume-Uni conteste notamment que les enseignants détachés satisfont aux critères permettant l’obtention des éléments de rémunération supplémentaires. Ainsi, il n’existerait pas d’équivalence réelle entre la situation des enseignants européens et celle des enseignants des écoles subventionnées du Royaume-Uni.

72

Une telle discrimination résulterait également du fait que le contrôle de la compétence professionnelle des enseignants des écoles européennes ne serait pas aussi précis et rigoureux que le mécanisme de contrôle prévu au niveau national. La solution suggérée par la Commission, à savoir que ledit contrôle soit effectué par des inspecteurs envoyés par le Royaume-Uni dans les écoles européennes, ne suffirait pas à assurer une équivalence à cet égard.

73

Enfin, s’agissant de l’article 25 de la convention, le Royaume-Uni soutient que même à supposer que son interprétation de l’article 12, point 4, sous a), dernière phrase, de cette convention devait se révéler incorrecte, il n’en résulterait pas pour autant une perte pour le budget de l’Union. Certes, il serait possible que certains des enseignants anglais et gallois détachés ou affectés auprès des écoles européennes acquièrent le droit de bénéficier d’une rémunération supplémentaire dans l’avenir, s’ils présentent une demande appropriée et si celle-ci est acceptée. Toutefois, dans la mesure où l’attribution de ce droit dépendrait d’une évaluation individuelle de chaque enseignant, aucun desdits enseignants ne pourrait y prétendre actuellement. Par conséquent, le Royaume-Uni aurait, jusqu’à présent, rempli son obligation de verser le montant intégral de la rémunération à laquelle ces enseignants ont droit.

Appréciation de la Cour

74

La Commission reproche, en substance, au Royaume-Uni de ne pas avoir veillé à ce que les enseignants affectés ou détachés par l’Angleterre et le pays de Galles auprès des écoles européennes conservent les droits à l’avancement et à la retraite garantis par leur statut national, conformément à l’article 12, point 4, sous a), dernière phrase, de la convention et, par conséquent, de ne pas non plus avoir maintenu les rémunérations versées auxdits enseignants, en méconnaissance de l’article 25, point 1, de la même convention.

75

Afin d’apprécier le bien-fondé de ce grief, il convient, tout d’abord, d’établir si le STPCD constitue, pour ces enseignants, le statut national au sens de l’article 12, point 4, sous a), dernière phrase, de cette convention.

76

À cet égard, il importe de constater que si les États membres parties à la convention restent, ainsi que le rappelle le troisième considérant de la convention, pleinement responsables pour l’organisation de leur système éducatif, ils ne sauraient toutefois exciper des particularités de ce système pour se soustraire aux obligations découlant de cette convention et pour priver les enseignants qu’ils affectent ou détachent auprès des écoles européennes de la protection prévue à l’article 12, point 4, sous a), dernière phrase, de ladite convention.

77

Or, telle serait justement la conséquence de l’argumentation défendue par le Royaume-Uni selon laquelle le STPCD ne constitue pas le statut national, au sens de ladite disposition, pour les enseignants anglais et gallois. En effet, selon cette argumentation, il n’existerait, au vu des particularités du système éducatif de cet État membre, tout simplement pas de statut national pour celui-ci.

78

De plus, il y a lieu de souligner que le STPCD est obligatoire pour toutes les écoles subventionnées en Angleterre et au pays de Galles et que la majorité des enseignants embauchés dans cette zone est effectivement employée par une telle école, mais également la circonstance que, même parmi les écoles non subventionnées, une bonne partie de ces dernières applique entièrement ou partiellement le STPCD. La Commission a déclaré à cet égard, sans être contredite sur ce point par le Royaume-Uni, que les écoles non subventionnées qui n’appliquent le STPCD que partiellement utilisent en fait les conditions prévues par celui-ci en tant que minimum en ajoutant des avantages supplémentaires et qu’en réalité le STPCD s’applique à 90 % de l’ensemble des enseignants employés dans cet État membre.

79

En outre, le contrat de travail type que les enseignants affectés ou détachés par l’Angleterre et le pays de Galles auprès des écoles européennes signent avec le ministère de l’Enseignement en vue de cette affectation ou de ce détachement prévoit que les salaires nationaux versés mensuellement à ces enseignants sont fixés conformément aux échelles salariales prévues par le STPCD et que les augmentations salariales annuelles négociées au niveau national, applicables en vertu du STPCD, seront versées. Il est ainsi constant que même pour lesdits enseignants les conditions de travail sont partiellement régies par le STPCD et que c’est donc seulement de manière sélective, et notamment en ce qui concerne le bénéfice d’une échelle salariale supérieure et d’une prime additionnelle, que ledit contrat exclut l’application de celui-ci.

80

Force est de constater que, dans ces conditions, le STPCD constitue pour les enseignants anglais et gallois le statut national au sens de l’article 12, point 4, sous a), dernière phrase, de la convention.

81

En ce qui concerne l’argument du Royaume-Uni selon lequel il ne saurait être obligé d’accorder les droits à l’avancement prévus par le STPCD à tous les enseignants qu’il affecte ou détache auprès des écoles européennes, étant donné que seulement une partie d’entre eux a été occupée, avant leur affectation ou leur détachement, au sein d’une école subventionnée en Angleterre ou au pays de Galles, il convient de relever que la Commission prétend, dans le cadre du présent recours, que lesdits droits prévus par le STPCD soient appliqués non pas à l’ensemble des enseignants affectés ou détachés par cet État membre, mais uniquement à ceux provenant d’Angleterre et du pays de Galles. Par conséquent, la circonstance que le STPCD ne s’applique notamment pas aux enseignants employés en Écosse est sans incidence pour ce recours.

82

Au demeurant, dans la mesure où non seulement les écoles subventionnées en Angleterre ou au pays de Galles, mais également une grande partie des écoles non subventionnées appliquent, en tout ou en partie, le STPCD, il peut être présumé que, parmi les enseignants anglais et gallois affectés ou détachés auprès des écoles européennes, une majorité de ceux-ci a bénéficié des conditions prévues par le STPCD avant son affectation ou son détachement. Or, même s’il devait apparaître qu’une partie de ces enseignants n’a pas été soumise au STPCD en raison du fait que ces enseignants ont été auparavant embauchés soit par une école non subventionnée n’appliquant pas de façon facultative le STPCD, soit par aucune autre école, cette circonstance ne saurait, en tout état de cause, justifier que le Royaume-Uni exclue, en vertu du contrat type que les enseignants doivent signer en vue de leur affectation ou de leur détachement auprès des écoles européennes, l’application de certains bénéfices prévus par le STPCD pour l’ensemble des enseignants anglais et gallois.

83

Par ailleurs, contrairement à ce que soutient le Royaume-Uni, cette exclusion n’est pas justifiée par le simple fait que ces enseignants souscrivent à ce contrat de plein gré et en toute connaissance de cause. En effet, s’il est certes vrai que lesdits enseignants ne sont nullement contraints de demander à être affectés ou détachés auprès d’une école européenne et sont en mesure de connaître les conditions du nouveau contrat de travail, il n’en reste pas moins que ces enseignants n’ont pas d’autre choix que d’accepter de signer ledit contrat dont les conditions leur sont imposées par le ministère de l’Enseignement. À moins de priver l’article 12, point 4, sous a), dernière phrase, de la convention d’effet utile, il ne saurait être valablement soutenu que, dans de telles circonstances, les enseignants ont délibérément renoncé auxdits bénéfices prévus par le STPCD et au droit qui leur est accordé par cette disposition de la convention.

84

S’agissant, ensuite, du point de savoir si l’accès à des grilles de salaires plus avantageuses, telles que la «post-threshold pay scale» ainsi que les échelles s’appliquant aux «excellent teachers» et aux «advanced skills teachers», ainsi que l’accès à d’autres paiements additionnels, tels que les «teaching and learning responsibility payments», prévus par le STPCD, constituent des droits à l’avancement au sens de ladite disposition, il convient de rappeler qu’il a déjà été constaté aux points 54 et 55 du présent arrêt que constituent également de tels droits ceux qui entraînent l’application d’une rémunération plus avantageuse, sans que cet avantage soit lié à l’octroi d’un titre différent à l’enseignant, ainsi que ceux qui ne sont pas conférés automatiquement en fonction de l’ancienneté, mais qui nécessitent la participation à des procédures et la satisfaction à certains critères.

85

Il en résulte que doivent être écartés les arguments du Royaume-Uni tirés du fait que les enseignants auxquels s’appliquent ces grilles et ces paiements conservent leur position et ont dû se soumettre à de telles procédures. En outre, la Commission soutient non pas que les enseignants affectés ou détachés par l’Angleterre et le pays de Galles devraient automatiquement bénéficier desdites grilles et desdits paiements, mais qu’ils doivent y avoir accès aux mêmes conditions que celles s’appliquant aux enseignants anglais et gallois soumis au STPCD.

86

Pour autant que le Royaume-Uni fait valoir que les enseignants affectés ou détachés ne peuvent, par principe, remplir les normes professionnelles sur la base desquelles l’accès à ces grilles de salaires est accordé ainsi que les responsabilités supplémentaires liées à l’application de certaines de ces grilles et de certains de ces paiements, il y a lieu de relever que la Commission s’est livrée à une analyse détaillée de ces critères et de ces responsabilités en expliquant de manière plausible qu’un grand nombre desdits enseignants satisfait à ces normes et exerce des responsabilités équivalentes au sein des écoles européennes.

87

Cette analyse et ces explications ne sont pas remises en cause par les arguments ponctuels avancés par le Royaume-Uni, selon lesquels, en substance, il n’existerait pas d’équivalence réelle entre la situation des enseignants des écoles européennes et celle de leurs homologues nationaux. En effet, une telle affirmation se heurte à l’article 10 du statut du personnel détaché, lequel exige que les enseignants affectés ou détachés possèdent les titres et qu’ils remplissent les conditions nécessaires pour occuper des fonctions équivalentes dans leur pays d’origine. En outre, dans la mesure où lesdits arguments du Royaume-Uni sont fondés sur la conception selon laquelle ces normes et ces responsabilités ne pourraient, par définition, être remplies par lesdits enseignants compte tenu de ce que les écoles européennes ne fonctionnent pas de façon identique aux écoles subventionnées en Angleterre et au pays de Galles, ils méconnaissent le statut particulier et le caractère sui generis des écoles européennes.

88

À l’inverse de ce que soutient le Royaume-Uni, l’accès des enseignants affectés ou détachés par l’Angleterre et le pays de Galles auprès des écoles européennes auxdites grilles de salaires et auxdits paiements additionnels n’entraînerait pas non plus une discrimination au détriment de leurs homologues nationaux au motif qu’il serait impossible d’assurer des contrôles de la compétence professionnelle de ces enseignants aussi précis et rigoureux que ceux effectués au niveau national. En effet, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé aux points 87 à 90 de ses conclusions, cet argument manque de fondement dans la mesure où il existe des solutions tout à fait viables pour assurer de tels contrôles. Le Royaume-Uni n’a d’ailleurs pas développé les raisons pour lesquelles il estime que les différentes options proposées à cet égard par la Commission ne permettraient pas d’obtenir un résultat satisfaisant, mais s’est borné à affirmer qu’il ne serait pas suffisant d’envoyer des inspecteurs nationaux dans les écoles européennes.

89

Le Royaume-Uni avance encore que de nombreux enseignants des écoles subventionnées d’Angleterre et du pays de Galles ne bénéficient pas des échelles de salaires prévues pour les «excellent teachers» et les «advanced skills teachers» ou des «teaching and learning responsibility payments» en raison du fait qu’aucun ou très peu de postes ouvrant droit à ces échelles et à ces paiements ont été créés dans leurs écoles. Cependant, cette circonstance ne justifie pas d’exclure l’ensemble des enseignants anglais et gallois affectés ou détachés auprès des écoles européennes du bénéfice de ces échelles et de ces paiements.

90

En outre, en réponse à la demande de la Commission d’affecter aux écoles européennes un nombre de tels postes proportionnel à celui existant en Angleterre et au pays de Galles, le Royaume-Uni n’a pas contesté qu’une telle affectation était effectivement possible, mais a déclaré que le nombre de postes affectés aux écoles européennes serait alors très faible, voire inexistant, et qu’il serait dans ces conditions difficile de déterminer les écoles européennes qui devraient effectivement bénéficier de ces postes. Or, de telles difficultés pratiques dans la distribution des postes ouvrant droit auxdites échelles et auxdits paiements ne sauraient justifier le refus total d’affectation de tels postes aux écoles européennes. Il est par ailleurs constant que, en vertu de l’article 12, point 4, sous a), avant-dernière phrase, de la convention, le Royaume-Uni pourrait se faire assister par le Conseil supérieur pour résoudre ces difficultés en vue, notamment, d’identifier au sein des écoles européennes les postes à pourvoir d’«excellent teachers» et d’«advanced skills teachers».

91

Il résulte de ce qui précède que l’accès à des grilles de salaires plus avantageuses, telles que la «post-threshold pay scale» ainsi que les échelles s’appliquant aux «excellent teachers» et aux «advanced skills teachers», ainsi que l’accès à d’autres paiements additionnels, tels que les «teaching and learning responsibility payments», prévus par le STPCD, constituent un droit à l’avancement au sens de l’article 12, point 4, sous a), dernière phrase, de la convention, au respect duquel le Royaume-Uni doit veiller au profit des enseignants affectés ou détachés par l’Angleterre et le pays de Galles auprès des écoles européennes. Par ailleurs, étant donné que l’accès à ces grilles et l’accès à ces paiements ont une influence directe sur le montant de la pension de retraite à laquelle ces enseignants pourront prétendre, ils représentent également un droit à la retraite garanti par leur statut national, au sens de cette disposition.

92

Enfin, quant à la question de savoir si le Royaume-Uni applique correctement l’article 25, point 1, de la convention, il y a lieu de rappeler que cette disposition oblige les États membres à contribuer au budget des écoles européennes à travers le maintien des rémunérations payées aux professeurs qu’ils détachent ou affectent auprès de ces écoles. Selon le point 2 de ce même article, lu en combinaison avec l’article 49 du statut du personnel détaché, l’Union contribue audit budget en versant le supplément européen. À cet égard, la Commission, sans être contredite sur ce point par le Royaume-Uni, a avancé des données chiffrées démontrant, d’une manière plausible, que le gel des rémunérations des enseignants anglais et gallois affectés ou détachés auprès des écoles européennes a eu pour corollaire que l’Union a dû verser un supplément européen plus élevé à ces enseignants, ce qui a entraîné l’augmentation de la contribution annuelle de l’Union au budget desdites écoles.

93

Cette constatation n’est notamment pas mise en cause par l’argument du Royaume-Uni soutenant que l’accès aux échelles de salaires supérieures et aux paiements additionnels dépend d’une évaluation individuelle de chaque enseignant, laquelle n’a pas encore été effectuée pour les enseignants anglais et gallois affectés ou détachés auprès des écoles européennes. En effet, cet argument méconnaît de toute évidence le fait que, d’une part, de telles évaluations n’ont pas encore eu lieu en raison, précisément, de l’exclusion systématique de ces enseignants desdites échelles et desdits paiements et, d’autre part, il peut être raisonnablement présumé que, en l’absence d’une telle exclusion, certains de ces enseignants auraient effectivement déjà accédé à ces échelles et à ces paiements.

94

Il s’ensuit que, dans la mesure où la correcte interprétation et la correcte application de l’article 12, point 4, sous a), dernière phrase, de la convention par le Royaume-Uni auraient abouti à une contribution plus élevée de cet État membre au budget des écoles européennes, il existe un lien, du moins indirect, entre la violation de cet article 12, point 4, sous a), de la convention et l’obligation à la charge des États membres en vertu de l’article 25, point 1, de ladite convention, lien qui n’a d’ailleurs pas été contesté par le Royaume-Uni. En conséquence, en empêchant lesdits enseignants de postuler pour l’une des échelles salariales supérieures ou de bénéficier des «teaching and learning responsibility payments», le Royaume-Uni a également méconnu l’article 25, point 1, de la convention.

95

Au vu de l’ensemble de ces considérations, il convient de constater que, en excluant les enseignants anglais et gallois affectés ou détachés auprès des écoles européennes, pendant leur période d’affectation ou de détachement, de l’accès à des échelles de salaires plus avantageuses, notamment celles désignées comme «threshold pay», «excellent teacher system» ou «advanced skills teachers», et de l’accès à d’autres paiements additionnels, tels que les «teaching and learning responsibility payments», prévus par le STPCD, le Royaume-Uni a fait une application incorrecte des articles 12, point 4, sous a), et 25, point 1, de la convention.

Sur les dépens

96

En vertu de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation du Royaume-Uni et celui-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens.

 

Par ces motifs, la Cour (première chambre) déclare et arrête:

 

1)

L’article 12, point 4, sous a), dernière phrase, de la convention portant statut des écoles européennes du 21 juin 1994 doit être interprété en ce sens qu’il oblige les États membres parties à cette convention de veiller à ce que les enseignants détachés ou affectés auprès des écoles européennes jouissent, pendant la durée de leur détachement ou de leur affectation, des mêmes droits à la progression dans la carrière et à la retraite que ceux applicables à leurs homologues nationaux en vertu de la réglementation de leur État membre d’origine.

 

2)

En excluant les enseignants anglais et gallois affectés ou détachés auprès des écoles européennes, pendant leur période d’affectation ou de détachement, de l’accès à des échelles de salaires plus avantageuses, notamment celles désignées comme «threshold pay», «excellent teacher system» ou «advanced skills teachers», et de l’accès à d’autres paiements additionnels, tels que les «teaching and learning responsibility payments», prévus par le «School Teachers Pay and Conditions Document», le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord a fait une application incorrecte des articles 12, point 4, sous a), et 25, point 1, de cette convention.

 

3)

Le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord est condamné aux dépens.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure: l’anglais.