Affaire C-522/09

Commission européenne

contre

Roumanie

«Manquement d’État — Directive 79/409/CEE — Conservation des oiseaux sauvages — Zones de protection spéciale — Désignation insuffisante en nombre et en superficie — Irrégularité de la procédure précontentieuse — Irrecevabilité du recours»

Sommaire de l'arrêt

Recours en manquement — Procédure précontentieuse — Objet

(Art. 258 TFUE)

Dans le cadre du recours en manquement, la procédure précontentieuse a pour but de donner à l’État membre concerné l’occasion, d’une part, de se conformer à ses obligations découlant du droit de l’Union et, d’autre part, de faire utilement valoir ses moyens de défense à l’encontre des griefs formulés par la Commission. En effet, la possibilité pour l’État membre concerné de présenter ses observations constitue, même s’il estime ne pas devoir en faire usage, une garantie essentielle voulue par le traité FUE et son observation est une forme substantielle de la régularité de la procédure constatant un manquement d’un État membre.

(cf. points 15-16)







ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

14 avril 2011(*)

«Manquement d’État – Directive 79/409/CEE – Conservation des oiseaux sauvages – Zones de protection spéciale – Désignation insuffisante en nombre et en superficie – Irrégularité de la procédure précontentieuse – Irrecevabilité du recours»

Dans l’affaire C‑522/09,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit le 15 décembre 2009,

Commission européenne, représentée par Mmes D. Recchia et L. Bouyon, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Roumanie, représentée initialement par M. A. Popescu, Mmes L.-E. Batagoi, M.‑L. Colonescu et A.-R. Arşinel ainsi que par M. J. S. Smaranda, puis par ces quatre derniers, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. J.-C. Bonichot, président de chambre, MM. K. Schiemann, L. Bay Larsen (rapporteur), Mmes C. Toader et A. Prechal, juges,

avocat général: Mme J. Kokott,

greffier: Mme R. Şereş, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 13 janvier 2011,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que, en n’ayant pas classé en zones de protection spéciale (ci-après les «ZPS») des territoires suffisants en nombre et en superficie pour assurer une protection adéquate de toutes les espèces d’oiseaux énumérées à l’annexe I de la directive 79/409/CEE du Conseil, du 2 avril 1979, concernant la conservation des oiseaux sauvages (JO L 103, p. 1, ci-après la «directive ‘oiseaux’»), ainsi que des espèces migratrices qui ne figurent pas dans cette annexe, la Roumanie a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des dispositions de l’article 4, paragraphes 1 et 2, de cette directive.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

2        L’article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive «oiseaux» dispose:

«1.      Les espèces mentionnées à l’annexe I font l’objet de mesures de conservation spéciale concernant leur habitat, afin d’assurer leur survie et leur reproduction dans leur aire de distribution.

À cet égard, il est tenu compte:

a)      des espèces menacées de disparition;

b)      des espèces vulnérables à certaines modifications de leurs habitats;

c)      des espèces considérées comme rares parce que leurs populations sont faibles ou que leur répartition locale est restreinte;

d)      d’autres espèces nécessitant une attention particulière en raison de la spécificité de leur habitat.

Il sera tenu compte, pour procéder aux évaluations, des tendances et des variations des niveaux de population.

Les États membres classent notamment en [ZPS] les territoires les plus appropriés en nombre et en superficie à la conservation de ces dernières dans la zone géographique maritime et terrestre d’application de la présente directive.

2.      Les États membres prennent des mesures similaires à l’égard des espèces migratrices non visées à l’annexe I dont la venue est régulière, compte tenu des besoins de protection dans la zone géographique maritime et terrestre d’application de la présente directive en ce qui concerne leurs aires de reproduction, de mue et d’hivernage et les zones de relais dans leurs aires de migration. À cette fin, les États membres attachent une importance particulière à la protection des zones humides et tout particulièrement de celles d’importance internationale.»

3        Le traité d’adhésion de la République de Bulgarie et de la Roumanie à l’Union européenne (JO 2005, L 157, p. 11) est entré en vigueur le 1er janvier 2007. Conformément à l’article 53, paragraphe 1, de l’acte relatif aux conditions d’adhésion à l’Union européenne de la République de Bulgarie et de la Roumanie et aux adaptations des traités sur lesquels est fondée l’Union européenne (JO 2005, L 157, p. 203), la Roumanie met en vigueur les mesures qui lui sont nécessaires pour se conformer, à partir de la date d’adhésion, aux dispositions des directives au sens de l’article 249 CE, à moins qu’un autre délai ne soit prévu dans cet acte. En outre, ledit article prévoit que la Roumanie communique ces mesures à la Commission au plus tard à la date d’adhésion ou, le cas échéant, dans le délai prévu dans ledit acte.

4        Le même acte ne prévoyant ni une période de transition pour la désignation des ZPS conformément à l’article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive «oiseaux» ni un délai spécifique pour la communication des mesures de transposition de cette directive, la Roumanie devait avoir adopté et communiqué, au plus tard à la date d’adhésion, les mesures de mise en œuvre de ladite directive et, en particulier, celles relatives à cette disposition.

 La procédure précontentieuse

5        La Roumanie n’ayant pas communiqué la liste nationale des ZPS requise en vertu de l’article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive «oiseaux», la Commission a considéré que cet État membre avait manqué à l’obligation prévue par ces dispositions en ne désignant pas les ZPS appropriées et lui a donc envoyé, le 23 octobre 2007, une lettre de mise en demeure.

6        À cet égard, la lettre de mise en demeure précisait ce qui suit:

«Cependant, jusqu’à présent, le gouvernement roumain n’a pas communiqué à la Commission la liste nationale des [ZPS]. Sur la base de cela, il peut être conclu que la Roumanie n’a pas rempli son obligation d’entreprendre les mesures prévues à l’article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive ‘oiseaux’, étant donné qu’elle n’a pas effectué une classification des ZPS pertinentes.

Par conséquent, la Commission [...] considère que, puisqu’elle n’a pas réalisé une classification des territoires les plus adéquats, en nombre et en superficie comme ZPS pour la protection des espèces énumérées à l’annexe I de la directive [‘oiseaux’] ainsi que d’autres espèces migratrices qui reviennent régulièrement sur son territoire, la Roumanie n’a pas rempli les obligations prévues à l’article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive mentionnée.»

7        Dans sa réponse du 21 décembre 2007, la Roumanie a indiqué qu’une décision gouvernementale relative à la désignation des ZPS avait été adoptée et publiée avec ses annexes comportant la liste des ZPS au Monitorul Oficial al României du 31 octobre 2007.

8        Estimant que les territoires classés en ZPS n’étaient pas suffisants en nombre et en superficie compte tenu des objectifs de protection des espèces d’oiseaux énumérées à l’annexe I de la directive «oiseaux» ainsi que des espèces migratrices, la Commission a, le 23 septembre 2008, émis un avis motivé par lequel elle invitait la Roumanie à prendre les mesures nécessaires pour se conformer à celui-ci.

9        Par lettre du 25 novembre 2008, les autorités roumaines ont répondu à l’avis motivé de la Commission en faisant valoir, notamment, que la Commission avait changé l’objet de la procédure puisque la lettre de mise en demeure était fondée sur la non-transmission de la liste des ZPS alors que l’avis motivé concernait la désignation insuffisante en nombre et en superficie des ZPS. Elles ont également exposé, pièces à l’appui, les motifs justifiant la non-désignation totale ou partielle, suivant le cas, de certains sites.

10      Estimant que le manquement de la Roumanie subsistait, la Commission a, le 15 décembre 2009, introduit le présent recours.

 Sur le recours

 Argumentation des parties

11      La Roumanie avance une exception d’irrecevabilité du recours au motif que la Commission aurait changé l’objet de celui-ci. En effet, dans sa lettre de mise en demeure, elle aurait reproché à l’État membre de ne pas avoir communiqué la liste des ZPS, alors que, dans l’avis motivé, elle aurait invoqué la désignation insuffisante en nombre et en superficie des ZPS. Or, selon une jurisprudence bien établie de la Cour, l’avis motivé devrait reposer sur les mêmes griefs que ceux invoqués dans la lettre de mise en demeure.

12      Selon la Roumanie, la Commission a invoqué, pour la première fois, dans l’avis motivé, l’insuffisance en nombre et en superficie des ZPS désignées, de sorte que les autorités roumaines n’auraient eu aucune raison ni aucun moyen de démontrer le caractère suffisant de la désignation desdites zones dans leur réponse à la lettre de mise en demeure. De surcroît, l’État membre défendeur fait valoir que, dans l’intervalle de temps entre la réponse à la lettre de mise en demeure et l’avis motivé, la Roumanie a été tenue dans l’incertitude en ce qui concerne le caractère insuffisant de la désignation effectuée, de sorte qu’elle n’a pas pu préparer une défense appropriée dès le début de la phase précontentieuse.

13      La Commission rétorque que, dans sa lettre de mise en demeure, elle a fait grief à la Roumanie de ne pas lui avoir communiqué la liste nationale des ZPS requise en vertu de l’article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive «oiseaux», et d’avoir manqué à l’obligation prévue par ces dispositions en ne désignant pas les ZPS appropriées. Dans l’avis motivé, la Commission, après avoir évalué les mesures nationales de transposition, aurait précisé que les territoires classés en ZPS n’étaient pas suffisants en nombre et en superficie au regard des dispositions en cause. À cet égard, elle rappelle que, selon la jurisprudence de la Cour, et notamment l’arrêt du 30 novembre 2006, Commission/Luxembourg (C‑32/05, Rec. p. I‑11323, point 56), le grief concernant la transposition incomplète est nécessairement inclus dans celui tiré de l’absence de toute transposition et revêt un caractère subsidiaire par rapport à ce dernier.

14      La Commission indique en outre que, si la lettre de mise en demeure et l’avis motivé doivent reposer sur les mêmes griefs, cette exigence de procédure ne saurait aller jusqu’à imposer en toute hypothèse une coïncidence parfaite, dès lors que l’objet du litige a été non pas étendu ou modifié, mais, au contraire, restreint. Ainsi, les droits de la défense de la Roumanie n’auraient pas été violés.

 Appréciation de la Cour

15      Il résulte d’une jurisprudence constante que la procédure précontentieuse a pour but de donner à l’État membre concerné l’occasion, d’une part, de se conformer à ses obligations découlant du droit de l’Union et, d’autre part, de faire utilement valoir ses moyens de défense à l’encontre des griefs formulés par la Commission (voir, notamment, arrêt du 7 juillet 2005, Commission/Autriche, C‑147/03, Rec. p. I-5969, point 22 et jurisprudence citée).

16      En effet, la possibilité pour l’État membre concerné de présenter ses observations constitue, même s’il estime ne pas devoir en faire usage, une garantie essentielle voulue par le traité FUE et son observation est une forme substantielle de la régularité de la procédure constatant un manquement d’un État membre (voir, notamment, arrêt du 15 décembre 1982, Commission/Danemark, 211/81, Rec. p. 4547, point 9).

17      En l’espèce, force est de constater que, par sa lettre de mise en demeure, la Commission a, en substance, fait grief à la Roumanie de ne pas lui avoir communiqué la liste nationale des ZPS, et qu’elle se fonde sur ce grief pour en déduire, en termes très généraux, que cet État membre a manqué à son obligation de classification des ZPS appropriées au sens de l’article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive «oiseaux».

18      Par ailleurs, la Roumanie a, moins de deux mois après avoir reçu la lettre de mise en demeure, transmis, le 21 décembre 2007, à la Commission la liste nationale des ZPS qu’elle avait entre‑temps classées, de laquelle il résulte qu’un nombre important de ZPS ont été classées par cet État membre en application de l’article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive «oiseaux». Cependant, dans le cadre d’un avis motivé émis le 23 septembre 2008, la Commission a reproché à cet État membre, en se fondant sur des arguments détaillés, d’avoir classé des ZPS insuffisantes en nombre et en superficie au regard de l’article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive «oiseaux», sans avoir au préalable donné à l’État membre la possibilité de faire valoir ses observations à cet égard.

19      Un tel cas de figure se distingue par conséquent clairement de celui mis en avant par la Commission, qui a donné lieu à l’arrêt Commission/Luxembourg, précité. En effet, dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, le Grand-Duché de Luxembourg s’était abstenu de faire état d’une quelconque mesure de transposition de la directive en cause au cours de la procédure précontentieuse et s’était borné à laisser entendre que les mesures nécessaires à la transposition étaient sur le point d’être prises. Ce n’est qu’après que la Cour a été saisie par la Commission que cet État membre a fait valoir, dans son mémoire en défense, qu’une loi avait été adoptée qui assurait une correcte transposition de la directive en cause. Dans de telles circonstances, la Cour a estimé que, si la procédure précontentieuse a atteint son objectif visant à protéger les droits de l’État membre concerné, ce dernier ne saurait faire grief à la Commission d’avoir étendu ou modifié l’objet du recours tel que défini par ladite procédure précontentieuse, au motif que la Commission, après avoir reproché à l’État membre un défaut de transposition d’une directive, a précisé, dans son mémoire en réplique, que la transposition alléguée par l’État membre concerné pour la première fois dans son mémoire en défense est incorrecte ou incomplète en ce qui concerne certaines dispositions de cette même directive (arrêt Commission/Luxembourg, précité, points 54 à 56).

20      Dès lors, eu égard aux éléments qui précèdent, il y a lieu de constater que la mise en demeure n’a pas identifié suffisamment le manquement reproché par la suite à la Roumanie dans l’avis motivé et que la procédure précontentieuse n’a pas atteint son objectif visant à assurer le droit de l’État membre concerné de présenter ses observations à l’encontre des griefs formulés par la Commission, de sorte que le recours doit être déclaré irrecevable.

 Sur les dépens

21      Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Roumanie ayant demandé la condamnation de la Commission et celle‑ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) déclare et arrête:

1)      Le recours est rejeté comme irrecevable.

2)      La Commission européenne est condamnée aux dépens.

Signatures


* Langue de procédure: le roumain.