Affaires jointes C-422/09, C-425/09 et C-426/09

Vassiliki Stylianou Vandorou e.a.

contre

Ypourgos Ethnikis Paideias kai Thriskevmaton

(demandes de décision préjudicielle, introduites par le Symvoulio tis Epikrateias)

«Articles 39 CE et 43 CE — Directive 89/48/CE — Reconnaissance de diplômes — Notion d’‘expérience professionnelle’»

Sommaire de l'arrêt

Libre circulation des personnes — Liberté d'établissement — Travailleurs — Reconnaissance des diplômes et des titres — Directive 89/48 — Activité professionnelle réglementée — Expérience professionnelle — Notion

(Art. 39 CE et 43 CE; directive du Conseil 89/48, art. 1er, e), et 4, § 1, b))

Une autorité nationale chargée de la reconnaissance de qualifications professionnelles acquises dans un autre État membre est tenue, en vertu des articles 39 CE et 43 CE, de prendre en compte, en fixant d’éventuelles mesures de compensation visant à combler des différences substantielles entre la formation suivie par un demandeur et la formation requise dans l’État membre d’accueil, toute expérience pratique susceptible de couvrir, en tout ou en partie, lesdites différences.

En effet, si l’expérience acquise par les demandeurs avant l’obtention du diplôme leur conférant le droit d’exercer leur profession dans un État membre ne saurait inclure l’exercice d'activités professionnelles réglementées et si aucune obligation de prendre en compte une expérience pratique, qui ne constitue pas une expérience professionnelle au sens de l’article 1er, sous e), de la directive 89/48, relative à un système général de reconnaissance des diplômes d'enseignement supérieur qui sanctionnent des formations professionnelles d'une durée minimale de trois ans, ne découle de l’article 4, paragraphe 1, sous b), second alinéa, de cette directive, toutefois, les mesures prises en application du droit de l’Union doivent se conformer aux principes généraux de ce droit, notamment au principe de proportionnalité. A cet égard, l’exercice effectif des libertés fondamentales garanties par les articles 39 CE et 43 CE peut être entravé de façon injustifiée si les autorités nationales compétentes chargées de la reconnaissance de titres professionnels acquis dans un autre État membre font abstraction de connaissances et de qualifications pertinentes déjà acquises par un demandeur cherchant à exercer, sur le territoire national, une profession dont l’accès est, selon la réglementation nationale, subordonné à la possession d’un diplôme ou d’une qualification professionnelle. La valeur précise à attacher à l'expérience pratique utile à l’exercice de la profession à laquelle l’accès est demandé sera à déterminer par l’autorité compétente à la lumière des fonctions spécifiques exercées, des connaissances acquises et appliquées dans l’exercice de ces fonctions, ainsi que des responsabilités conférées et du degré d’indépendance accordés à l’intéressé en cause.

(cf. points 61, 64-66, 69, 72 et disp.)







ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)

2 décembre 2010 (*)

«Articles 39 CE et 43 CE – Directive 89/48/CE – Reconnaissance de diplômes – Notion d’‘expérience professionnelle’»

Dans les affaires jointes C‑422/09, C‑425/09 et C‑426/09,

ayant pour objet des demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduites par le Symvoulio tis Epikrateias (Grèce), par décisions du 12 mai 2009, parvenues à la Cour le 28 octobre 2009, dans les procédures

Vassiliki Stylianou Vandorou (C-422/09),

Vassilios Alexandrou Giankoulis (C-425/09),

Ioannis Georgiou Askoxilakis (C-426/09)

contre

Ypourgos Ethnikis Paideias kai Thriskevmaton,

LA COUR (huitième chambre),

composée de M. K. Schiemann (rapporteur), président de chambre, M. L. Bay Larsen et Mme C. Toader, juges,

avocat général: M. P. Mengozzi,

greffier: M. K. Malacek, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 23 septembre 2010,

considérant les observations présentées:

–        pour le gouvernement grec, par Mme E. Skandalou, en qualité d’agent,

–        pour la Commission européenne, par MM. G. Zavvos et H. Støvlbæk, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions

rend le présent

Arrêt

1        Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation des articles 1er, sous e), et 4, paragraphe 1, sous b), de la directive 89/48/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, relative à un système général de reconnaissance des diplômes d’enseignement supérieur qui sanctionnent des formations professionnelles d’une durée minimale de trois ans (JO 1989, L 19, p. 16), telle que modifiée par la directive 2001/19/CE du Parlement européen et du Conseil, du 14 mai 2001 (JO L 206, p. 1, ci-après la «directive 89/48»).

2        Ces demandes ont été présentées dans le cadre de litiges opposant Mme Vandorou ainsi que MM. Giankoulis et Askoxilakis à l’Ypourgos Ethnikis Paideias kai Thriskevmaton (ministre de l’Éducation nationale et des Cultes) au sujet de certaines décisions du Symvoulio Anagnorisis Epangelmatikis Isotimias Titlon Tritovathmias Ekpaidefsis (conseil chargé de la reconnaissance de l’équivalence professionnelle des titres d’études supérieures, ci-après le «Saeitte»). Par ces décisions, le Saeitte a subordonné le droit des demandeurs au principal d’exercer en Grèce leurs professions, qu’ils sont habilités à exercer dans d’autres États membres, à des mesures de compensation, à savoir à une épreuve d’aptitude ou à un stage d’adaptation.

 Le cadre juridique

 La réglementation de l’Union

3        Il ressort des troisième et quatrième considérants de la directive 89/48 que celle-ci a pour objet de mettre en œuvre un système général de reconnaissance des diplômes visant à faciliter l’exercice par les citoyens européens de toutes les activités professionnelles subordonnées, dans un État membre d’accueil, à la possession d’une formation postsecondaire, pour autant qu’ils possèdent des diplômes qui les préparent à ces activités, sanctionnent un cycle d’études d’au moins trois ans et ont été délivrés dans un autre État membre.

4        L’article 1er de la directive 89/48 dispose:

«Aux fins de la présente directive, on entend:

a)      par diplôme, tout diplôme, certificat ou autre titre ou tout ensemble de tels diplômes, certificats ou autres titres:

–        qui a été délivré par une autorité compétente dans un État membre, désignée conformément aux dispositions législatives, réglementaires ou administratives de cet État,

–        dont il résulte que le titulaire a suivi avec succès un cycle d’études postsecondaires d’une durée minimale de trois ans, ou d’une durée équivalente à temps partiel, effectué dans une université ou un établissement d’enseignement supérieur ou dans un autre établissement d’un niveau équivalent de formation et, le cas échéant, qu’il a suivi avec succès la formation professionnelle requise en plus du cycle d’études postsecondaires, et

–        dont il résulte que le titulaire possède les qualifications professionnelles requises pour accéder à une profession réglementée dans cet État membre ou l’exercer,

dès lors que la formation sanctionnée par ce diplôme, certificat ou autre titre a été acquise dans une mesure prépondérante dans la Communauté, ou dès lors que son titulaire a une expérience professionnelle de trois ans certifiée par l’État membre qui a reconnu un diplôme, certificat ou autre titre délivré dans un pays tiers.

[…]

[…]

c)      par profession réglementée, l’activité ou l’ensemble des activités professionnelles réglementées qui constituent cette profession dans un État membre;

d)      par activité professionnelle réglementée, une activité professionnelle dont l’accès ou l’exercice, ou une des modalités d’exercice dans un État membre est subordonné, directement ou indirectement par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives, à la possession d’un diplôme. Constituent notamment des modalités d’exercice d’une activité professionnelle réglementée:

–        l’exercice d’une activité sous un titre professionnel dans la mesure où le port de ce titre est autorisé aux seuls possesseurs d’un diplôme déterminé par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives,

–        l’exercice d’une activité professionnelle dans le domaine de la santé dans la mesure où la rémunération et/ou le remboursement de cette activité est subordonné par le régime national de sécurité sociale à la possession d’un diplôme.

[…]

e)      par expérience professionnelle, l’exercice effectif et licite de la profession concernée dans un État membre;

f)      par stage d’adaptation, l’exercice d’une profession réglementée qui est effectué dans l’État membre d’accueil sous la responsabilité d’un professionnel qualifié et qui est accompagné éventuellement d’une formation complémentaire. Le stage fait l’objet d’une évaluation. […]

g)      par épreuve d’aptitude, un contrôle concernant exclusivement les connaissances professionnelles du demandeur, qui est effectué par les autorités compétentes de l’État membre d’accueil et qui a pour but d’apprécier l’aptitude du demandeur à exercer dans cet État membre une profession réglementée.

Pour permettre ce contrôle, les autorités compétentes établissent une liste des matières qui, sur la base d’une comparaison entre la formation requise dans leur État et celle reçue par le demandeur, ne sont pas couvertes par le diplôme ou le ou les titres dont le demandeur fait état.

L’épreuve d’aptitude doit prendre en considération le fait que le demandeur est un professionnel qualifié dans l’État membre d’origine ou de provenance. Elle porte sur des matières à choisir parmi celles figurant sur la liste et dont la connaissance est une condition essentielle pour pouvoir exercer la profession dans l’État membre d’accueil. Cette épreuve peut également comprendre la connaissance de la déontologie applicable aux activités concernées dans l’État membre d’accueil. Les modalités de l’épreuve d’aptitude sont déterminées par les autorités compétentes dudit État dans le respect des règles du droit communautaire.

[…]»

5        Conformément à l’article 2, premier alinéa, de la directive 89/48, celle-ci s’applique à tout ressortissant d’un État membre voulant exercer à titre indépendant ou salarié une profession réglementée dans un État membre d’accueil.

6        L’article 3, premier alinéa, sous a), de la directive 89/48 prévoit:

«Lorsque, dans l’État membre d’accueil, l’accès à une profession réglementée ou son exercice est subordonné à la possession d’un diplôme, l’autorité compétente ne peut refuser à un ressortissant d’un État membre, pour défaut de qualification, d’accéder à cette profession ou de l’exercer dans les mêmes conditions que les nationaux:

a)      si le demandeur possède le diplôme qui est prescrit par un autre État membre pour accéder à cette même profession sur son territoire ou l’y exercer et qui a été obtenu dans un État membre, […]»

7        Aux termes de l’article 4 de la directive 89/48:

«1.      L’article 3 ne fait pas obstacle à ce que l’État membre d’accueil exige également du demandeur:

a)      qu’il prouve qu’il possède une expérience professionnelle, lorsque la durée de la formation dont il fait état en vertu de l’article 3 points a) et b) est inférieure d’au moins un an à celle requise dans l’État membre d’accueil. […]

[…]

b)      qu’il accomplisse un stage d’adaptation pendant trois ans au maximum ou se soumette à une épreuve d’aptitude:

–        lorsque la formation qu’il a reçue, selon l’article 3 points a) et b), porte sur des matières substantiellement différentes de celles couvertes par le diplôme requis dans l’État membre d’accueil, ou

[…]

Si l’État membre d’accueil envisage d’exiger du demandeur qu’il accomplisse un stage d’adaptation ou passe une épreuve d’aptitude, il doit d’abord vérifier si les connaissances acquises par le demandeur au cours de son expérience professionnelle sont de nature à couvrir, en tout ou en partie, la différence substantielle visée au premier alinéa.

Si l’État membre d’accueil fait usage de cette possibilité, il doit laisser au demandeur le choix entre le stage d’adaptation et l’épreuve d’aptitude. Pour les professions dont l’exercice exige une connaissance précise du droit national et dont un élément essentiel et constant de l’activité est la fourniture de conseils et/ou d’assistance concernant le droit national, l’État membre d’accueil peut, par dérogation à ce principe, prescrire soit un stage d’adaptation, soit une épreuve d’aptitude. […]

2.      Toutefois, l’État membre d’accueil ne peut appliquer cumulativement les dispositions du paragraphe 1 points a) et b).»

 La réglementation nationale

 Les mesures visant à transposer la directive 89/48 en droit national

8        Le décret présidentiel 165/2000, du 23 juin 2000 (FEK A’ 149/28.6.2000), tel que modifié par les décrets présidentiels 373/2001, du 22 octobre 2001 (FEK A’ 251) et 385/2002, du 23 décembre 2002 (FEK A’ 334, ci-après le «décret 165/2000»), vise à transposer la directive 89/48 dans l’ordre juridique grec.

9        Ainsi, les articles 2, paragraphes 5 et 7, 3, 4, paragraphe 1, sous a), et 5 du décret 165/2000 reprennent respectivement les articles 1er, sous e) et g), 2, premier alinéa, 3, premier alinéa, sous a), et 4 de la directive 89/48, susmentionnés.

10      En outre, l’article 10 du décret 165/2000 prévoit la création du Saeitte en tant qu’organe collégial au sein du ministère de l’Éducation et des Cultes qui, en vertu de l’article 11 de ce même décret, a reçu pour mission de statuer sur les demandes de reconnaissance des diplômes d’enseignement supérieur entrant dans le champ d’application de la directive 89/48.

 Les professions d’ingénieur mécanicien et d’ingénieur en télécommunications

11      En Grèce, les professions d’ingénieur mécanicien et d’ingénieur en télécommunications sont des professions réglementées dont l’exercice est réservé aux membres inscrits au Techniko Epimelitirio tis Elladas (Chambre technique de Grèce, ci-après le «TEE»).

12      Le décret présidentiel des 27 novembre et 14 décembre 1926 portant codification des dispositions et textes relatifs à la composition du TEE (FEK A’ 430), tel que modifié par la loi 1486/1984 (FEK A’ 161) et par le décret présidentiel 512/1991, des 30 novembre et 12 décembre 1991 (FEK A’ 190, ci-après le «décret TEE»), prévoit à son article 2, paragraphe 1, que sont obligatoirement enregistrés comme membres du TEE les ressortissants des États membres «dès lors qu’ils sont diplômés de l’école nationale polytechnique metsovienne, des écoles polytechniques du pays ou des écoles étrangères équivalentes après obtention de l’autorisation d’exercer la profession».

13      Les professionnels sont répartis dans neuf spécialités énumérées à l’article 2, paragraphe 5, de ce décret, parmi lesquelles figure la spécialité d’ingénieur mécanicien, mais pas celle d’ingénieur en télécommunications.

14      En vertu de l’article 2, paragraphe 6, du décret TEE, les spécialités qui ne figurent pas parmi celles définies à l’article 2, paragraphe 5, de ce décret sont classées dans la spécialité la plus proche. Indépendamment de cela, le membre du TEE qui est ainsi intégré bénéficie des droits professionnels liés à la spécialité ou seulement à la spécialisation mentionnée dans son autorisation d’exercer la profession, tels qu’ils sont déterminés par la législation en vigueur.

15      L’article 4, paragraphe 3, du décret TEE dispose, notamment, que le TEE organise les examens, délivre les autorisations d’exercer la profession d’ingénieur conformément aux dispositions en vigueur et tient les registres des ingénieurs.

16      Dans ce contexte, les articles 1er et 4 de la loi 1225/1981, des 30 et 31 décembre 1981 (FEK B’ 713), accordent au TEE la compétence pour délivrer l’autorisation d’exercer leur profession en Grèce aux ingénieurs diplômés des établissements grecs d’enseignement supérieur ainsi que des établissements supérieurs équivalents situés à l’étranger. Conformément à l’article 1er, paragraphe 3, de cette loi, cela vaut également dans le cas des ingénieurs diplômés d’établissements supérieurs situés à l’étranger offrant des spécialisations qui ne correspondent pas à celles des ingénieurs diplômés des établissements supérieurs nationaux.

17      Sur le fondement de la loi 1225/1981, un arrêté interministériel ED 5/4/339, des 14 septembre et 5 octobre 1984, adopté par le ministre des Travaux publics et le ministre de l’Éducation nationale et des Cultes, a défini la procédure de délivrance, par le TEE, de l’autorisation d’exercer la profession d’ingénieur.

 Les litiges au principal et les questions préjudicielles

 Affaire C-422/09 (Vandorou)

18      Après avoir suivi des cours et passé des examens de troisième cycle à la London Guildhall University (université de Londres-Guildhall) (Royaume-Uni) au cours de la période allant du mois de septembre 1994 au mois de février 1997, Mme Vandorou a obtenu le titre de «Master of Business Administration». Pendant ses études, elle avait travaillé au Royaume-Uni, notamment au sein de la société Elf Oil Ltd (ci-après «Elf Oil»).

19      Le 15 août 1997, Mme Vandorou s’est inscrite auprès de l’Association of Chartered Certified Accountants (chambre des experts-comptables assermentés du Royaume-Uni, ci-après l’«ACCA»). Après avoir réussi un cycle d’examens et avoir effectué le stage professionnel requis et approuvé dans le secteur de la comptabilité/contrôle, elle est devenue officiellement membre de cette organisation professionnelle le 17 avril 2000 et a obtenu le titre de «Chartered Certified Accountant» (auditeur/comptable assermenté). Entre ces deux dates, Mme Vandorou a travaillé en Grèce, au sein de la société anonyme d’audit Pricewaterhouse Coopers (ci-après «Pricewaterhouse Coopers»).

20      Le 10 avril 2002, Mme Vandorou a introduit une demande auprès du Saeitte pour que lui soit reconnu le droit d’exercer en Grèce la profession de comptable-fiscaliste.

21      Elle a produit des certificats attestant qu’elle avait le droit d’exercer au Royaume-Uni la profession de «Chartered Certified Accountant» et décrivant les activités que cette profession englobe. Elle a, par ailleurs, invoqué son expérience professionnelle acquise au sein d’Elf Oil et de Pricewaterhouse Coopers et produit des attestations correspondantes délivrées par ces sociétés.

22      Par acte n° 80, du 23 mars 2004 (ci-après le «premier acte attaqué»), le Saeitte a d’abord constaté que la profession de comptable était une profession réglementée tant en Grèce qu’au Royaume-Uni et que Mme Vandorou, en sa qualité de titulaire du titre professionnel de «Chartered Certified Accountant», délivré par l’ACCA, organisation professionnelle du Royaume-Uni, devrait être considérée comme étant titulaire d’un diplôme de comptable conformément à la directive 89/48 et au décret 165/2000. Puis, le Saeitte a estimé qu’il fallait soumettre Mme Vandorou à des mesures de compensation «en raison des différences substantielles dans son programme d’études par rapport à la formation des comptables en Grèce». Il a donc décidé de réunir une commission à trois membres afin de préciser le contenu des mesures susmentionnées devant être imposées à la requérante.

23      Sur la base de la décision de cette commission à trois membres, le Saeitte a ensuite, par acte n° 89, du 25 octobre 2004 (ci-après le «deuxième acte attaqué»), imposé à Mme Vandorou, à titre de mesure de compensation, pour que lui soit reconnu le droit d’exercer en Grèce la profession de comptable-fiscaliste, de se soumettre à une épreuve d’aptitude en droit national et, en particulier, en droit des sociétés, en droit commercial, en droit du travail et en droit fiscal, dès lors que l’exercice de la profession de comptable-fiscaliste exigerait une connaissance précise des règles du droit interne. Se fondant sur l’article 5 du décret 165/2000, visant à transposer l’article 4, paragraphe 1, sous b), troisième alinéa, de la directive 89/48, le Saeitte a en outre précisé que Mme Vandorou ne pouvait pas choisir entre une épreuve d’aptitude et un stage d’adaptation étant donné que la profession de comptable-fiscaliste était une profession «dont l’exercice exige une connaissance précise du droit national et dont un élément essentiel et constant de l’activité est la fourniture de conseils et/ou d’assistance concernant le droit national».

24      Enfin, le Saeitte a estimé que l’expérience professionnelle que Mme Vandorou avait acquise en Grèce dans le cadre de son travail auprès de Pricewaterhouse Coopers ne pouvait pas être prise en considération. En effet, les conditions visées à l’article 2, paragraphe 5, du décret 165/2000, qui, à l’image de l’article 1er, sous e), de la directive 89/48, définit les termes «expérience professionnelle» comme l’«exercice effectif et licite de la profession concernée dans un État membre», ne seraient pas remplies puisque Mme Vandorou n’était pas titulaire d’une autorisation d’exercer la profession de comptable en Grèce durant la période au cours de laquelle elle a acquis l’expérience en question.

25      Mme Vandorou a alors introduit devant le Symvoulio tis Epikrateias deux recours contre respectivement les premier et deuxième actes attaqués.

26      Concernant le recours contre le premier acte attaqué, le Symvoulio tis Epikrateias estime que cet acte doit être annulé puisqu’il est insuffisamment motivé en ce qu’il impose à Mme Vandorou de se soumettre à des mesures de compensation. En effet, le Saeitte se serait contenté de se référer, d’une manière générale et vague, à des «différences substantielles dans son programme d’études», alors qu’il aurait eu l’obligation de se référer, de manière spécifique et précise, aux matières concernées par la formation suivie par Mme Vandorou et aux matières couvertes par le diplôme grec correspondant, d’identifier les différences existant entre ces matières et de formuler une appréciation entièrement et spécialement motivée sur le caractère substantiel des différences en question.

27      Quant au recours contre le deuxième acte attaqué, la juridiction de renvoi constate que la validité de celui-ci est subordonnée à la validité du premier acte attaqué et que, dès lors, l’annulation du premier devrait entraîner l’annulation du deuxième.

28      Toutefois, le Symvoulio tis Epikrateias estime que, dans ce contexte, il convient également d’examiner le moyen d’annulation selon lequel la motivation du deuxième acte attaqué est entachée d’erreurs de droit en ce que, par cet acte, le Saeitte a estimé que, lors de l’examen de la question de savoir si Mme Vandorou devait être soumise à des mesures de compensation, il ne fallait pas tenir compte de l’expérience professionnelle qu’elle avait acquise en Grèce. De l’avis de la juridiction de renvoi, l’examen de ce moyen se révèle nécessaire afin que, en identifiant les questions que l’autorité nationale compétente devra approfondir après l’annulation des actes attaqués, les obligations de cette dernière soient déterminées de manière précise au moment où celle-ci devra se mettre en conformité avec l’arrêt d’annulation et accorder ainsi à Mme Vandorou – compte tenu également du principe de l’économie de la procédure – une protection judiciaire totale et effective.

29      Dans ces conditions, le Symvoulio tis Epikrateias a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«Au sens de l’article 4, paragraphe 1, sous b), de la directive 89/48 […], par ‘expérience professionnelle’, prise en considération par l’autorité nationale compétente pour apprécier si les connaissances acquises par l’intéressée du fait de cette expérience sont de nature à couvrir, en tout ou en partie, la différence substantielle qui existerait entre les matières couvertes par la formation reçue par l’intéressée dans l’État membre d’origine et les matières couvertes par le diplôme exigé dans l’État membre d’accueil, faut-il également entendre l’expérience qui présente cumulativement les caractéristiques suivantes:

a)      cette expérience a été acquise par l’intéressée après l’obtention du diplôme qui lui garantit l’accès à une profession réglementée donnée dans l’État membre d’origine;

b)      cette expérience a été acquise dans le cadre d’une activité professionnelle exercée dans l’État membre d’accueil, qui certes ne s’identifie pas à la profession réglementée, pour l’exercice de laquelle l’intéressée a déposé une demande en vertu de la directive 89/48 […] (et qui ne peut, du reste, être exercée légalement dans l’État membre d’accueil avant l’admission de ladite demande), mais qui est, selon l’appréciation au fond de l’autorité nationale compétente pour apprécier la demande, une activité professionnelle apparaissant comme connexe à la profession réglementée susvisée, et

c)      cette expérience est considérée, selon l’appréciation au fond de l’autorité nationale précitée, comme étant, en raison de la connexité susmentionnée, de nature à couvrir, du moins en partie, les différences substantielles entre les matières concernées par la formation reçue par l’intéressée dans l’État membre d’origine et les matières couvertes par le diplôme correspondant dans l’État membre d’accueil?»

 Affaire C-425/09 (Giankoulis)

30      M. Giankoulis possède un diplôme de la section mécanique de l’École des applications techniques du Technologiko Ekpaideftiko Idryma de Kavala (Grèce) ainsi qu’un titre d’études de troisième cycle «Master of Science» de l’Institut de technologie de Cranfield (Royaume-Uni) dans le domaine de la mécanique des systèmes de production.

31      Le 17 avril 1996, M. Giankoulis a été engagé par la société Elliniki Viomichania Alouminiou AE (ci-après «Elliniki Viomichania Alouminiou». Il y a travaillé dans le département des fonderies en tant que sous-ingénieur de maintenance jusqu’au 31 décembre 1997 et en tant que chef de la maintenance mécanique des fonderies jusqu’au 31 décembre 2000.

32      Depuis le 12 juillet 2000, M. Giankoulis est membre de l’Institution of mechanical engineers (Institut des ingénieurs mécaniques du Royaume-Uni). Conformément à un certificat du 8 novembre 2000, émanant de cette institution, il est en droit d’utiliser le titre de «Chartered Engineer». Son inscription au registre des «Chartered Engineers» a eu lieu à la lumière de ses qualifications académiques ainsi que de l’expérience professionnelle qu’il avait acquise en Grèce.

33      Depuis le 1er janvier 2002, M. Giankoulis travaille au sein du département intégré des fonderies et de coulée continue d’Elliniki Viomichania Alouminiou en tant que sous-ingénieur de maintenance.

34      Le 9 mars 2001, M. Giankoulis a introduit une demande auprès du Saeitte pour que lui soit reconnu le droit d’exercer en Grèce la profession d’ingénieur mécanicien. Outre les justificatifs attestant de sa formation académique susvisée, il a produit une attestation relative à son expérience professionnelle au sein d’Elliniki Viomichania Alouminiou.

35      Après plusieurs réunions n’ayant donné lieu qu’à des décisions de sursis à examen de la demande, le Saeitte a, par acte n° 42, du 8 avril 2002 (ci-après le «troisième acte attaqué»), estimé que la formation reçue par M. Giankoulis au Technologiko Ekpaideftiko Idryma de Kavala était substantiellement différente de l’expérience correspondante offerte par les sections polytechniques des établissements d’enseignement supérieur en Grèce et que son expérience professionnelle, limitée à la Grèce, ne portait pas sur la profession d’ingénieur mécanicien. Le Saeitte a encore estimé que, pour compenser ces différences substantielles dans la formation, il fallait soumettre M. Giankoulis à des mesures de compensation et réunir une commission à trois membres afin de préciser le contenu de ces mesures.

36      La commission ainsi constituée a recommandé, dans son procès-verbal du 12 novembre 2002, de soumettre M. Giankoulis à un examen ou à un stage d’une durée de trois ans dans quatre matières, afin qu’il se mette en conformité dans les domaines qui constituent les connaissances de base d’un ingénieur mécanicien, et dans sept autres matières afin de couvrir les domaines de connaissance qui ont trait à la profession d’ingénieur électricien.

37      Après deux autres sursis à statuer, le Saeitte a adopté l’acte n° 87, du 21 septembre 2004 (ci-après le «quatrième acte attaqué»), et décidé de n’accepter le rapport de la commission susvisée qu’en ce qui concerne les mesures de compensation ayant trait à la profession d’ingénieur mécanicien. Ainsi, le Saeitte a imposé à M. Giankoulis, à titre de mesures de compensation, de se soumettre à un examen ou de pratiquer pendant trois ans sous supervision, dans les matières suivantes, relevant du domaine de l’ingénierie mécanique: «Thermotechnique – Moteurs Thermiques – Installations Thermiques – Installations frigorifiques – Climatisation – Installations de levage – Installations hydrauliques et stations de pompage».

38      M. Giankoulis a alors introduit un recours devant le Symvoulio tis Epikrateias et demandé l’annulation, notamment, des troisième et quatrième actes attaqués.

39      Concernant le troisième acte attaqué, le Symvoulio tis Epikrateias estime que cet acte devrait être annulé puisqu’il est insuffisamment motivé en ce qu’il impose à M. Giankoulis de se soumettre à des mesures de compensation. En effet, le Saeitte se serait contenté de se référer, d’une manière générale et vague, à des différences substantielles dans la formation de M. Giankoulis, tandis qu’il aurait eu l’obligation de se référer, de manière spécifique et précise, aux matières couvertes par la formation suivie par M. Giankoulis et aux matières qui constituent le contenu des études conduisant, en Grèce, à l’obtention du diplôme permettant d’exercer, conformément à la loi, les activités professionnelles d’ingénieur mécanicien qui sont réglementées, d’identifier les différences existant entre ces matières et de formuler une appréciation entièrement et spécialement motivée sur le caractère substantiel des différences en question.

40      Quant au quatrième acte attaqué, la juridiction de renvoi constate que la validité de celui-ci est subordonnée à la validité du troisième acte attaqué et que, dès lors, l’annulation du troisième devrait entraîner l’annulation du quatrième.

41      Toutefois, le Symvoulio tis Epikrateias est d’avis que, dans ce contexte, il convient également d’examiner le moyen d’annulation selon lequel la motivation du quatrième acte attaqué est entachée d’erreurs de droit en ce que, en adoptant le rapport de la commission à trois membres, le Saeitte a estimé lors de l’imposition des mesures de compensation que l’expérience professionnelle acquise par le requérant en Grèce ne devait pas être prise en considération. De l’avis de la juridiction de renvoi, l’examen de ce moyen se révèle nécessaire afin que, en identifiant les questions que l’autorité nationale compétente devra approfondir après l’annulation des actes attaqués, les obligations de cette dernière soient déterminées de manière précise au moment où celle-ci devra se mettre en conformité avec l’arrêt d’annulation et accorder ainsi à M. Giankoulis – compte tenu également du principe de l’économie de la procédure – une protection judiciaire totale et effective.

42      Dans le cadre de l’examen de ce moyen, la juridiction de renvoi éprouve des doutes quant à la question de savoir si l’expérience professionnelle acquise par M. Giankoulis après l’obtention du titre «Chartered Engineer» constitue une «expérience professionnelle» qui doit être prise en compte lors de l’application de l’article 4, paragraphe 1, sous b), de la directive 89/48.

43      Dans ces conditions, le Symvoulio tis Epikrateias a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«Les termes ‘expérience professionnelle’ figurant à l’article 4, paragraphe 1, sous b), de la directive 89/48 […] correspondent-ils aux termes ‘expérience professionnelle’ dont la définition figure à l’article 1er, sous e), de la même directive et peuvent-ils être entendus comme une expérience qui présente cumulativement les caractéristiques suivantes:

a)      cette expérience a été acquise par l’intéressé après l’obtention du diplôme qui lui garantit un accès à une profession réglementée déterminée dans l’État membre d’origine,

b)      cette expérience a été acquise dans le cadre de l’exercice de cette même profession pour laquelle l’intéressé a déposé une demande en vertu de la directive 89/48 […] (voir les termes ‘the profession concerned’, ‘la profession concernée’, ‘des betreffenden Berufs’ utilisés dans les versions anglaise, française et allemande de [ladite] directive, respectivement) et

c)      ladite activité professionnelle a été légalement exercée, à savoir dans le respect des termes et des conditions de la législation pertinente de l’État membre dans lequel elle a eu lieu, de sorte qu’il est exclu de prendre en considération l’expérience acquise dans cette profession précise dans l’État membre d’accueil avant l’acceptation de la demande puisque, dans l’État membre d’accueil, la profession en question ne peut pas être légalement exercée avant l’acceptation de la demande [sous réserve bien sûr de l’application de l’article 5 de la même directive qui permet, sous certaines conditions – en vue d’accomplir une formation professionnelle qui n’a pas eu lieu dans l’État membre d’origine – d’exercer la profession dans l’État membre d’accueil avec l’assistance d’un professionnel qualifié]?»

 Affaire C-426/09 (Askoxilakis)

44      M. Askoxilakis possède un diplôme de sciences physiques de la faculté de sciences physiques de l’université de Crète (Grèce) ainsi qu’un diplôme de troisième cycle spécialisé en ingénierie des communications de la faculté en ingénierie électrique et informatique de l’université de Munich (Allemagne). En vertu de ce dernier, il est autorisé à exercer en Allemagne des activités professionnelles réglementées dans le domaine de l’ingénierie en communications.

45      Le 21 octobre 2003, M. Askoxilakis a introduit une demande auprès du Saeitte pour que lui soit reconnu le droit d’exercer en Grèce la profession d’ingénieur en communications. Outre les justificatifs attestant de sa formation académique, il a produit une attestation de l’institut de l’informatique de l’établissement pour la technologie et la recherche (ci-après l’«ETR») indiquant qu’il y a travaillé, pendant la période allant du 1er août 2002 au 28 février 2003, dans le cadre des programmes de recherche de cet institut et, à compter du 1er mars 2003, en tant que scientifique technique spécial, notamment au sein du laboratoire «télécommunications et réseaux». Sur demande du Saeitte, M. Askoxilakis a encore produit une seconde attestation de l’ETR décrivant de façon plus détaillée l’objet de son travail au sein de cet institut.

46      Par acte n° 87, du 21 septembre 2004 (ci-après le «cinquième acte attaqué»), le Saeitte a décidé d’imposer à M. Askoxilakis des mesures de compensation afin de couvrir les différences substantielles existant entre la formation qu’il a suivie et les matières couvertes par la formation dispensée par les écoles polytechniques grecques pour la profession d’ingénieur en informatique, télécommunications et réseaux en Grèce. Le Saeitte a, par ailleurs, décidé de réunir une commission à trois membres afin de préciser le contenu de ces mesures de compensation.

47      La commission ainsi constituée a, dans son rapport du 10 février 2005, recommandé une épreuve d’aptitude ou un stage d’adaptation pendant trois ans dans les matières suivantes: «A. Conception de circuits numériques, électriques et analogiques. Analyse de réseaux. B. Secteur des ordinateurs. Systèmes des Micro-ordinateurs. Systèmes fonctionnels d’ordinateurs. Conception et mise en œuvre de langages de programmation. Algorithmes et Complexité. Structures et Bases de données. Technologie des logiciels. C. Télécommunications et Réseaux. Formatage. Détection. Évaluation et Propagation de Signaux. Liaisons sans fil et Propagation. Internet et son application».

48      Par acte n° 96, du 8 mars 2005 (ci-après le «sixième acte attaqué»), le Saeitte a décidé de suivre ce rapport et a imposé les mesures de compensation susvisées à M. Askoxilakis, sans tenir compte de l’expérience professionnelle acquise par celui-ci au sein de l’ETR.

49      M. Askoxilakis a alors introduit un recours, notamment contre les cinquième et sixième actes attaqués.

50      En premier lieu, en ce qui concerne le cinquième acte attaqué, le Symvoulio tis Epikrateias estime que cet acte devrait être annulé puisqu’il est insuffisamment motivé en ce qu’il impose à M. Askoxilakis de se soumettre à des mesures de compensation. En effet, le Saeitte se serait contenté de se référer, d’une manière générale et vague, à des «différences substantielles», tandis qu’il aurait eu l’obligation de se référer, de manière spécifique et précise, aux matières couvertes par la formation suivie par M. Askoxilakis et aux matières qui constituent le contenu des études conduisant, en Grèce, à l’obtention du diplôme permettant d’exercer les activités professionnelles d’ingénieur en télécommunications, d’identifier les différences existant entre ces matières et de formuler une appréciation entièrement et spécialement motivée sur le caractère substantiel des différences en question.

51      Concernant, en second lieu, le sixième acte attaqué, le Symvoulio tis Epikrateias constate que la validité de celui-ci est subordonnée à la validité du cinquième acte attaqué et que, dès lors, l’annulation du cinquième acte attaqué devrait entraîner l’annulation du sixième.

52      Toutefois, le Symvoulio tis Epikrateias estime que, dans ce contexte, il convient également d’examiner le moyen d’annulation selon lequel la motivation du sixième acte attaqué est entachée d’erreurs de droit en ce que le Saeitte n’a pas tenu compte de l’expérience professionnelle dont M. Askoxilakis a fait état. De l’avis de la juridiction de renvoi, l’examen de ce moyen se révèle nécessaire afin que, en identifiant les questions que l’autorité nationale compétente devra approfondir après l’annulation des actes attaqués, les obligations de cette dernière soient déterminées de manière précise au moment où celle-ci devra se mettre en conformité avec l’arrêt d’annulation et accorder ainsi à M. Askoxilakis – compte tenu également du principe de l’économie de la procédure – une protection judiciaire totale et effective.

53      Dans le cadre de l’examen de ce moyen, la juridiction de renvoi éprouve des doutes quant à la question de savoir si le travail de M. Askoxilakis au sein de l’ETR constitue une «expérience professionnelle» qui doit être prise en compte lors de l’application de l’article 4, paragraphe 1, sous b), de la directive 89/48.

54      Dans ces conditions, le Symvoulio tis Epikrateias a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«Les termes ‘expérience professionnelle’ figurant à l’article 4, paragraphe 1, sous b), de la directive 89/48 […] correspondent-ils aux termes ‘expérience professionnelle’ dont la définition figure à l’article 1er, sous e), de la même directive et peuvent-ils être entendus comme une expérience qui présente cumulativement les caractéristiques suivantes:

a)      cette expérience a été acquise par l’intéressé après l’obtention du diplôme qui lui garantit un accès à une profession réglementée déterminée dans l’État membre d’origine,

b)      cette expérience a été acquise dans le cadre de l’exercice de cette même profession pour laquelle l’intéressé a déposé une demande en vertu de la directive 89/48[…] (voir les termes ‘the profession concerned’, ‘la profession concernée’, ‘des betreffenden Berufs’ utilisés dans les versions anglaise, française et allemande de [ladite] directive, respectivement), et

c)      ladite activité professionnelle a été légalement exercée, à savoir dans le respect des termes et conditions de la législation pertinente de l’État membre dans lequel elle a eu lieu, de sorte qu’il est exclu de prendre en considération l’expérience acquise dans cette profession précise dans l’État membre d’accueil avant l’acceptation de la demande puisque, dans l’État membre d’accueil, la profession en question ne peut pas être légalement exercée avant l’acceptation de la demande [sous réserve bien sûr de l’application de l’article 5 de la même directive qui permet, sous certaines conditions – en vue d’accomplir une formation professionnelle qui n’a pas eu lieu dans l’État membre d’origine – d’exercer la profession dans l’État membre d’accueil avec l’assistance d’un professionnel qualifié]?»

55      Par ordonnance du président de la Cour du 3 février 2009, les affaires C-422/09, C-425/09 et C-426/09 ont été jointes aux fins de la procédure écrite et orale ainsi que de l’arrêt.

 Sur les questions préjudicielles

56      Il ressort des dossiers transmis à la Cour que chacun des trois demandeurs au principal cherche à exercer une profession réglementée en Grèce sur le fondement de son habilitation à exercer une profession réglementée correspondante dans un autre État membre. Dans le cas de chacun de ces demandeurs, le Saeitte a constaté des différences substantielles entre les formations acquises par les demandeurs au principal et celles normalement dispensées en vue de l’exercice de professions correspondantes en Grèce, et cette autorité a, par conséquent, jugé nécessaire l’imposition de mesures de compensation, ainsi que le prévoit l’article 4 de la directive 89/48.

57      En déterminant l’étendue de ces mesures de compensation, le Saeitte a considéré que l’expérience pratique acquise par les demandeurs au principal ne pouvait pas être prise en compte, et cela sans examiner si cette expérience était susceptible de couvrir, en tout ou en partie, lesdites différences substantielles entre les formations.

58      Par ses questions préjudicielles, qu’il y a lieu d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi cherche, en substance, à savoir dans quelle mesure une autorité nationale chargée de la reconnaissance de qualifications professionnelles acquises dans d’autres États membres est tenue de prendre en compte, en fixant d’éventuelles mesures de compensation visant à combler des différences substantielles entre la formation suivie par un demandeur et la formation requise dans l’État membre d’accueil, une expérience pratique susceptible de couvrir, en tout ou en partie, lesdites différences.

59      À cet égard, il convient d’emblée de constater que l’expérience pratique acquise par les demandeurs au principal dans le cadre de leur travail n’est, selon les informations fournies à la Cour, pas susceptible de constituer une «expérience professionnelle» au sens de l’article 1er, sous e), de la directive 89/48.

60      En effet, cette expression vise, ainsi qu’il ressort de la définition de cette disposition, lue en combinaison avec l’article 1er, sous a), c) et d), de cette même directive, l’exercice d’activités professionnelles réglementées dont l’accès ou l’exercice est normalement subordonné par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives à la possession d’un «diplôme» au sens dudit article 1er, sous a).

61      Or, l’expérience acquise par les demandeurs au principal avant l’obtention du diplôme leur conférant le droit d’exercer la profession en cause dans un État membre ne saurait inclure l’exercice de telles activités professionnelles réglementées. Tel est notamment le cas de l’expérience acquise par Mme Vandorou au sein d’Elf Oil et de Pricewaterhouse Coopers avant de devenir membre de l’ACCA ainsi que de celle acquise par M. Giankoulis au sein d’Elliniki Viomichania Alouminiou avant de devenir membre de l’Institut des ingénieurs mécaniques du Royaume-Uni.

62      Par ailleurs, ne saurait non plus, en principe, être considéré comme exercice d’activités professionnelles réglementées, même après l’obtention du diplôme conférant le droit d’exercer la profession en cause dans un État membre, un travail fourni dans un autre État membre dans lequel l’habilitation à exercer cette profession n’a pas encore été acquise.

63      Ainsi, l’expérience acquise par Mme Vandorou au sein de Pricewaterhouse Coopers, après avoir obtenu la qualité de membre de l’ACCA, en travaillant en Grèce, ne saurait être qualifiée d’«expérience professionnelle» au sens de l’article 1er, sous e), de la directive 89/48. Il en est de même en ce qui concerne l’expérience acquise par M. Giankoulis au sein d’Elliniki Viomichania Alouminiou, après être devenu membre de l’Institut des ingénieurs mécaniques du Royaume‑Uni, et de l’expérience acquise par M. Askoxilakis auprès de l’ETR.

64      Par conséquent, aucune obligation de prendre en compte une expérience pratique, telle que celle des demandeurs au principal, qui ne constitue pas une «expérience professionnelle» au sens de l’article 1er, sous e), de la directive 89/48, ne découle de l’article 4, paragraphe 1, sous b), second alinéa, de cette directive.

65      Il convient, toutefois, de souligner que les mesures prises en application du droit de l’Union doivent se conformer aux principes généraux de ce droit, notamment au principe de proportionnalité. Il ressort, à cet égard, de la jurisprudence de la Cour que la portée de l’article 4 de la directive 89/48, autorisant expressément des mesures de compensation, doit être limitée aux cas dans lesquels celles-ci s’avéreraient proportionnées au but recherché (voir arrêts du 19 janvier 2006, Colegio, C-330/03, Rec. p. I-801, point 24, et du 17 avril 2008, Van Leuken, C‑197/06, Rec. p. I‑2627, point 39).

66      Comme la Cour l’a par ailleurs déjà précisé, l’exercice effectif des libertés fondamentales garanties par les articles 39 CE et 43 CE peut être entravé de façon injustifiée si les autorités nationales compétentes chargées de la reconnaissance de titres professionnels acquis dans un autre État membre font abstraction de connaissances et de qualifications pertinentes déjà acquises par un demandeur cherchant à exercer, sur le territoire national, une profession dont l’accès est, selon la réglementation nationale, subordonné à la possession d’un diplôme ou d’une qualification professionnelle (voir, en ce sens, arrêts du 7 mai 1991, Vlassopoulou, C‑340/89, Rec. p. I‑2357, point 15, et du 8 juillet 1999, Fernández de Bobadilla, C‑234/97, Rec. p. I‑4773, point 33).

67      Avant d’imposer des mesures de compensation visant à couvrir des différences existant entre les formations dispensées dans l’État membre d’origine et celles dispensées dans l’État membre d’accueil d’un demandeur, il incombe, par conséquent, aux autorités nationales compétentes d’apprécier si les connaissances acquises par un demandeur, y compris les connaissances acquises dans l’État membre d’accueil, dans le cadre d’une expérience pratique, peuvent valoir afin d’établir la possession des connaissances exigées par ce dernier (voir, en ce sens, arrêt Vlassopoulou, précité, point 20; Fernández de Bobadilla, précité, point 33; du 13 novembre 2003, Morgenbesser, C‑313/01, Rec. p. I‑13467, point 62, et du 10 décembre 2009, Peśla, C‑345/08, non encore publié au Recueil, point 41).

68      Certes, l’expérience acquise au cours de l’exercice de la profession réglementée en cause dans l’État membre d’origine sera le plus souvent la plus pertinente dans le cadre de cette appréciation, ce qui justifie pleinement l’imposition expresse de l’obligation, figurant à l’article 4, paragraphe 1, sous b), second alinéa, de la directive 89/48, pour l’autorité compétente d’un État membre d’accueil, de prendre en considération une telle expérience.

69      Néanmoins, dans la mesure où toute expérience pratique dans l’exercice d’activités connexes est susceptible d’augmenter les connaissances d’un demandeur, il incombe à l’autorité compétente de prendre en considération toute expérience pratique utile à l’exercice de la profession à laquelle l’accès est demandé. La valeur précise à attacher à cette expérience sera à déterminer par l’autorité compétente à la lumière des fonctions spécifiques exercées, des connaissances acquises et appliquées dans l’exercice de ces fonctions, ainsi que des responsabilités conférées et du degré d’indépendance accordés à l’intéressé en cause.

70      Dans ce contexte, il convient de relever que, le plus souvent, l’exercice d’activités se rattachant à une profession réglementée sous le contrôle et la responsabilité d’un professionnel dûment qualifié dans l’État membre d’accueil, tout en ne constituant pas en soi l’exercice de la profession réglementée en cause dans ledit État membre, confère à l’intéressé des connaissances pertinentes d’une valeur certaine. Si, comme l’a soutenu également la Commission européenne, on ne peut pas mettre sur un pied d’égalité l’expérience licite et celle non licite, il n’en reste pas moins que, contrairement aux craintes exprimées par le gouvernement grec lors de l’audience, l’exercice d’une activité professionnelle encadrée de telle manière ne serait par ailleurs pas à considérer comme illicite dès lors que l’intéressé n’exerce pas lui-même dans de telles conditions la profession réglementée.

71      Il convient d’ajouter que l’obligation de prendre en compte l’ensemble de l’expérience pertinente du demandeur ne cesse d’exister du fait de l’adoption de directives relatives à la reconnaissance mutuelle des diplômes (voir, en ce sens, arrêts du 14 septembre 2000, Hocsman, C‑238/98, Rec. p. I-6623, points 23 et 31; du 16 mai 2002, Commission/Espagne, C-232/99, Rec. p. I-4235, point 22, ainsi que Morgenbesser, précité, point 58).

72      À la lumière de l’ensemble de ces considérations, il convient de répondre aux questions posées qu’une autorité nationale chargée de la reconnaissance de qualifications professionnelles acquises dans un autre État membre est tenue, en vertu des articles 39 CE et 43 CE, de prendre en compte, en fixant d’éventuelles mesures de compensation visant à combler des différences substantielles entre la formation suivie par un demandeur et la formation requise dans l’État membre d’accueil, toute expérience pratique susceptible de couvrir, en tout ou en partie, lesdites différences.

 Sur les dépens

73      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) dit pour droit:

Une autorité nationale chargée de la reconnaissance de qualifications professionnelles acquises dans un autre État membre est tenue, en vertu des articles 39 CE et 43 CE, de prendre en compte, en fixant d’éventuelles mesures de compensation visant à combler des différences substantielles entre la formation suivie par un demandeur et la formation requise dans l’État membre d’accueil, toute expérience pratique susceptible de couvrir, en tout ou en partie, lesdites différences.

Signatures


* Langue de procédure: le grec.