Affaires jointes C-300/09 et C-301/09

Staatssecretaris van Justitie

contre

F. Toprak et I. Oguz

(demandes de décision préjudicielle, introduites par le Raad van State)

«Accord d’association CEE-Turquie — Libre circulation des travailleurs — Règle de ‘standstill’ inscrite à l’article 13 de la décision nº 1/80 du conseil d’association — Interdiction pour les États membres d’introduire de nouvelles restrictions à l’accès au marché du travail»

Sommaire de l'arrêt

Accords internationaux — Accord d'association CEE-Turquie — Libre circulation des personnes — Travailleurs — Règle de standstill de l'article 13 de la décision nº 1/80 du conseil d'association — Portée — Nouvelle restriction — Notion

(Décision nº 1/80 du conseil d'association CEE-Turquie, art. 13)

S'agissant de travailleurs turcs ayant travaillé dans un État membre dans lequel, au 1er décembre 1980, était entrée en vigueur la décision nº 1/80, relative au développement de l’association, adoptée par le conseil d’association institué par l’accord créant une association entre la Communauté économique européenne et la Turquie, l'article 13 de cette décision doit être interprété de la manière suivante : constitue une nouvelle restriction, au sens de cet article, un durcissement d’une disposition de cet État membre relative à l'obtention d'un permis de séjour par des travailleurs turcs, introduite postérieurement au 1er décembre 1980, laquelle prévoyait un assouplissement de la disposition applicable au 1er décembre 1980, même lorsque ce durcissement n’aggrave pas les conditions d’obtention du permis de séjour par rapport à celles résultant de la disposition en vigueur au 1er décembre 1980, ce qu’il appartient au juge national de vérifier.

À cet égard, il convient de relever que le libellé de l’article 13 de la décision nº 1/80 n’indiquant aucune date particulière à compter de laquelle la règle de «standstill» s’applique, l’existence de nouvelles restrictions, au sens de cet article, peut s’apprécier par rapport à la date de l’entrée en vigueur du texte dans lequel il s’inscrit, en l’occurrence, la date d’entrée en vigueur de la décision nº 1/80.

Toutefois, il n’en résulte pas que seule cette date est pertinente. Ainsi, afin de déterminer la portée des termes «nouvelles restrictions», au sens de l’article 13 de ladite décision nº 1/80, il y a lieu de se référer à l’objectif poursuivi par cet article. Celui-ci vise à créer des conditions favorables à la mise en place progressive de la libre circulation des travailleurs par l’interdiction faite aux autorités nationales d’introduire de nouveaux obstacles à ladite liberté aux fins de ne pas rendre plus difficile la réalisation graduelle de cette liberté entre les États membres et la République de Turquie. Il y a lieu de considérer que la portée de l’obligation de «standstill» contenue à cet article 13 s’étend de manière analogue à tout nouvel obstacle à l’exercice de la libre circulation des travailleurs consistant en une aggravation des conditions existant à une date donnée.

Il importe ainsi de s’assurer que les États membres ne s’éloignent pas de l’objectif poursuivi en revenant sur des dispositions qu’ils ont adoptées en faveur de la libre circulation des travailleurs turcs postérieurement à l’entrée en vigueur de la décision nº 1/80 sur leur territoire. Il s’ensuit que la date à partir de laquelle il convient d’apprécier si l’introduction de règles nouvelles donne lieu à de nouvelles restrictions est la date à laquelle de telles dispositions ont été adoptées.

(cf. points 49-52, 54-56, 62 et disp.)









ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

9 décembre 2010 (*)

«Accord d’association CEE-Turquie – Libre circulation des travailleurs – Règle de ‘standstill’ inscrite à l’article 13 de la décision n° 1/80 du conseil d’association – Interdiction pour les États membres d’introduire de nouvelles restrictions à l’accès au marché du travail»

Dans les affaires jointes C‑300/09 et C‑301/09,

ayant pour objet des demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduites par le Raad van State (Pays-Bas), par décisions du 24 juillet 2009, parvenues à la Cour le 30 juillet 2009, dans les procédures

Staatssecretaris van Justitie

contre

F. Toprak (C-300/09),

I. Oguz (C-301/09),

LA COUR (deuxième chambre),

composée de M. J. N. Cunha Rodrigues, président de chambre, MM. A. Rosas, U. Lõhmus, A. Ó Caoimh et Mme P. Lindh (rapporteur), juges,

avocat général: Mme J. Kokott,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées:

–        pour le gouvernement néerlandais, par Mmes C. M. Wissels et B. Koopman, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement danois, par Mme V. Pasternak Jørgensen et M. R. Holdgaard, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement allemand, par MM. M. Lumma et N. Graf Vitzthum, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par MM. G. Rozet et M. van Beek, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger les affaires sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation de l’article 13 de la décision n° 1/80 du conseil d’association, du 19 septembre 1980, relative au développement de l’association (ci-après la «décision n° 1/80»). Le conseil d’association a été institué par l’accord créant une association entre la Communauté économique européenne et la Turquie, qui a été signé, le 12 septembre 1963, à Ankara par la République de Turquie, d’une part, ainsi que par les États membres de la CEE et la Communauté, d’autre part, et qui a été conclu, approuvé et confirmé au nom de cette dernière par la décision 64/732/CEE du Conseil, du 23 décembre 1963 (JO 1964, 217, p. 3685, ci-après l’«accord d’association»).

2        Ces demandes ont été présentées dans le cadre de litiges opposant M. Toprak dans l’affaire C-300/09 et M. Oguz dans l’affaire C‑301/09 au Staatssecretaris van Justitie (secrétaire d’État à la Justice) au sujet du refus de ce dernier de modifier leur permis de séjour à durée déterminée.

 Le cadre juridique

 La réglementation de l’Union

 L’accord d’association

3        Conformément à son article 2, paragraphe 1, l’accord d’association a pour objet de promouvoir le renforcement continu et équilibré des relations commerciales et économiques entre les parties contractantes, y compris dans le domaine de la main-d’œuvre, par la réalisation graduelle de la libre circulation des travailleurs ainsi que par l’élimination des restrictions à la liberté d’établissement et à la libre prestation des services, en vue d’améliorer le niveau de vie du peuple turc et de faciliter ultérieurement l’adhésion de la République de Turquie à la Communauté.

 La décision n° 1/80

4        L’article 6, paragraphe 1, de la décision n° 1/80 est rédigé comme suit:

«Sous réserve des dispositions de l’article 7 relatif au libre accès à l’emploi des membres de sa famille, le travailleur turc, appartenant au marché régulier de l’emploi d’un État membre:

–        a droit, dans cet État membre, après un an d’emploi régulier, au renouvellement de son permis de travail auprès du même employeur, s’il dispose d’un emploi;

–        a le droit, dans cet État membre, après trois ans d’emploi régulier et sous réserve de la priorité à accorder aux travailleurs des États membres de la Communauté, de répondre dans la même profession auprès d’un employeur de son choix à une autre offre, faite à des conditions normales, enregistrée auprès des services de l’emploi de cet État membre;

–        bénéficie, dans cet État membre, après quatre ans d’emploi régulier, du libre accès à toute activité salariée de son choix.»

5        L’article 13 de ladite décision dispose:

«Les États membres de la Communauté et la Turquie ne peuvent introduire de nouvelles restrictions concernant les conditions d’accès à l’emploi des travailleurs et des membres de leur famille qui se trouvent sur leur territoire respectif en situation régulière en ce qui concerne le séjour et l’emploi.»

 Le protocole additionnel

6        Le protocole additionnel, signé le 23 novembre 1970 à Bruxelles et conclu, approuvé et confirmé au nom de la Communauté par le règlement (CEE) n° 2760/72 du Conseil, du 19 décembre 1972 (JO L 293, p. 1, ci-après le «protocole additionnel»), fait partie intégrante de l’accord d’association, ainsi qu’il ressort de son article 62.

7        L’article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel énonce:

«Les parties contractantes s’abstiennent d’introduire entre elles de nouvelles restrictions à la liberté d’établissement et à la libre prestation des services.»

 La réglementation nationale

8        Au 1er décembre 1980, l’accès et le séjour des étrangers aux Pays-Bas étaient régis par la loi relative aux étrangers (Vreemdelingenwet) (Stb. 1965, n° 40), entrée en vigueur le 1er janvier 1967, ainsi que par un arrêté d’exécution relatif aux étrangers (Vreemdelingenbesluit) et une circulaire relative aux étrangers de 1966 (Vreemdelingencirculaire 1966).

9        Il ressort des décisions de renvoi que le régime applicable au 1er décembre 1980 était le suivant.

10      Un étranger dont le mariage avec une personne disposant d’un droit de séjour non temporaire a duré au moins trois ans et qui a résidé aux Pays‑Bas pendant une période de trois ans également, en étant titulaire d’un permis de séjour lié à une condition de «séjour auprès du conjoint», pouvait, en principe, malgré la rupture du mariage, prétendre à un permis de séjour autonome. L’octroi d’un tel permis pouvait toutefois être refusé si l’étranger ne disposait pas de moyens de subsistance suffisants. Par ailleurs, un tel permis pouvait exceptionnellement être accordé pour des motifs humanitaires impérieux ou lorsque l’activité exercée par l’étranger servait un intérêt substantiel du Royaume des Pays‑Bas.

11      Ce régime a été modifié à compter du 1er février 1983 sur deux aspects par une circulaire sur les étrangers adoptée en 1982 (ci-après la «circulaire de 1982»). Premièrement, la durée de résidence aux Pays-Bas, préalablement à la rupture ou à la dissolution du mariage, qui était de trois ans a été réduite à un an. Deuxièmement, le manque de moyens de subsistance n’était opposable au ressortissant étranger que si les autorités compétentes pouvaient exiger de lui qu’il se mette à la disposition du marché du travail.

12      Le 1er avril 2001, la loi du 23 novembre 2000 relative à une refonte globale de la loi sur les étrangers (Wet van 23 november 2000 tot algehele herziening van de Vreemdelingenwet) (Stb. 2000, n° 495) est entrée en vigueur. Cette loi a été accompagnée d’un arrêté adopté au cours de l’année 2000 relatif aux étrangers (Vreemdelingenbesluit 2000) (Stb. 2000, n° 497, ci-après le «Vb 2000») et d’une circulaire également adoptée durant cette année relative aux étrangers (Vreemdelingencirculaire 2000, ci-après la «circulaire de 2000»).

13      Avec l’entrée en vigueur du Vb 2000 et de la circulaire de 2000 au 1er avril 2001, les modifications introduites au cours de l’année 1982 sont devenues caduques et les conditions d’obtention des permis de séjour autonomes prévues au 1er décembre 1980 ont été réinstaurées.

14      Toutefois, des règles transitoires, fondées sur l’article 9.6 du Vb 2000, ont été prévues pour les étrangers ayant bénéficié, avant le 11 décembre 2000, d’un permis de séjour en raison de leur mariage. En vertu de ces règles, dans l’hypothèse où un ressortissant étranger a été titulaire, durant au moins un an, d’un permis de séjour fondé sur un mariage qui a duré trois ans avant que celui-ci ne soit rompu ou dissous, un permis de séjour lié à une condition de «recherche et de prestation d’une activité salariée ou non» peut être accordé à cet étranger.

 Les litiges au principal et la question préjudicielle

 Affaire Toprak (C-300/09)

15      M. Toprak, ressortissant turc, s’est marié à une ressortissante néerlandaise, le 14 juin 2001. Le 21 mai 2002, il est entré aux Pays-Bas muni d’un permis de séjour provisoire, lequel a été remplacé par un permis de séjour temporaire portant la mention «pour séjour auprès du conjoint», dont la durée de validité a été prolongée jusqu’au 24 septembre 2006.

16      Le mariage entre M. Toprak et son épouse a été rompu de fait le 12 avril 2004, soit moins de trois ans après sa célébration, et le divorce a été prononcé le 30 décembre 2004, soit plus de trois ans après celle-ci. Il en résulte que, entre la date de son entrée aux Pays-Bas et celle à laquelle son mariage a été rompu de fait, M. Toprak a séjourné moins de trois ans auprès de sa conjointe aux Pays-Bas.

17      Postérieurement à son divorce, M. Toprak a introduit plusieurs demandes afin d’obtenir le remplacement de la mention de «séjour auprès du conjoint» par celle d’«exercice d’une activité salariée» et la prolongation du permis de séjour à durée déterminée.

18      Les demandes de M. Toprak ont été rejetées par le ministre responsable au motif que, à compter de la date de la rupture de fait de son mariage, il ne satisfaisait plus à la condition de séjour auprès du conjoint. De plus, bien qu’il ait travaillé aux Pays-Bas, M. Toprak n’aurait pas non plus suffisamment démontré que, à cette date, il remplissait les conditions lui permettant d’obtenir un permis de séjour pour l’exercice d’une activité salariée sur le fondement de l’article 6, paragraphe 1, de la décision n° 1/80. En particulier, il n’aurait pas démontré avoir travaillé pendant un an auprès du même employeur ni que ce dernier était disposé à maintenir cette relation de travail. En outre, son activité salariée ne servirait aucun intérêt substantiel du Royaume des Pays-Bas.

19      M. Toprak a introduit un recours en révision devant le Staatssecretaris van Justitie. Ce dernier a toutefois rejeté ce recours comme non fondé.

20      M. Toprak a alors saisi le Rechtbank ‘s-Gravenhage. Cette juridiction a considéré que le durcissement de la politique poursuivie à l’égard de personnes telles que M. Toprak, qui faisait suite à une période d’assouplissement de cette politique, constituait une «nouvelle restriction», au sens de l’article 13 de la décision n° 1/80. En conséquence, elle a accueilli le recours, annulé la décision de rejet du Staatssecretaris van Justitie et enjoint à ce dernier d’adopter une nouvelle décision. Celui-ci a fait appel du jugement devant le Raad van State.

 Affaire Oguz (C-301/09)

21      M. Oguz est un ressortissant turc qui a été marié à une ressortissante turque titulaire d’un permis de séjour à durée indéterminée aux Pays-Bas. Leur mariage a été célébré le 12 août 2002. Entré aux Pays-Bas un an plus tard, il a obtenu un permis de séjour temporaire, lié à une condition de «séjour auprès du conjoint», dont la durée de validité a été prolongée jusqu’au mois d’août de l’année 2009.

22      Le mariage entre M. Oguz et son épouse a été rompu de fait le 16 octobre 2005 et le divorce a été prononcé le 21 juillet 2006, soit, dans chacune de ces situations, plus de trois ans après leur mariage. Toutefois, entre la date de son entrée aux Pays-Bas en 2003 et celle à laquelle son mariage a été rompu de fait, M. Oguz a séjourné moins de trois ans auprès de sa conjointe aux Pays-Bas.

23      Le 12 avril 2006, M. Oguz a demandé que la condition de délivrance de son titre de séjour, qui portait la mention «séjour auprès du conjoint», soit modifiée et porte désormais la mention «pour exercice d’une activité salariée». Il ressort de la décision de renvoi que M. Oguz a conclu un contrat de travail avec un employeur, du 1er avril au 1er octobre 2004, qu’il a travaillé pour un autre employeur à partir du 16 octobre 2005 et qu’il a été engagé par un troisième employeur à partir du 1er février 2006.

24      La demande de modification du permis de séjour à durée déterminée de M. Oguz a été rejetée par plusieurs décisions du ministre responsable au motif que, à compter de la rupture de son mariage, il ne remplissait plus la condition de «séjour auprès du conjoint» à laquelle l’octroi de son permis de séjour avait été soumis. De plus, M. Oguz aurait insuffisamment démontré qu’il pouvait prétendre à un permis de séjour pour l’exercice d’une activité salariée sur le fondement de l’article 6, paragraphe 1, de la décision n° 1/80. En particulier, il n’aurait pas démontré avoir travaillé pendant un an auprès du même employeur ni que celui-ci était disposé à maintenir cette relation de travail. Par ailleurs, son activité salariée ne servirait aucun intérêt substantiel du Royaume des Pays-Bas.

25      M. Oguz a introduit un recours en révision devant le Staatssecretaris van Justitie qui a estimé sa contestation infondée.

26      Le Staatssecretaris van Justitie a soutenu, en particulier, que M. Oguz ne pouvait prétendre à un permis de séjour au titre des dispositions transitoires fondées sur l’article 9.6 du Vb 2000 parce que son permis de séjour ne lui aurait pas été accordé avant le 11 décembre 2000.

27      M. Oguz a saisi le Rechtbank ‘s-Gravenhage. Cette juridiction a considéré que le Staatssecretaris van Justitie s’est fondé, à tort, sur ledit article 9.6 du Vb 2000, alors qu’il aurait dû appliquer la politique suivie à compter de l’année 1983. Elle a fait droit au recours de M. Oguz estimant que le régime plus strict qui lui a été appliqué par le Staatssecretaris van Justitie, lequel faisait suite à un régime plus souple en faveur des ressortissants turcs, constituait une «nouvelle restriction», contraire à l’article 13 de la décision n° 1/80. En conséquence, elle a annulé les décisions du Staatssecretaris van Justitie et a enjoint à celui-ci d’adopter une nouvelle décision. Ce dernier a fait appel du jugement devant le Raad van State.

 La question préjudicielle

28      C’est dans ces conditions que le Raad van State a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour, dans chaque affaire, la question préjudicielle suivante:

«L’article 13 de la décision n° 1/80 doit-il être interprété en ce sens qu’il y a lieu de considérer comme une nouvelle restriction au sens de cet article un durcissement d’une disposition introduite postérieurement au 1er décembre 1980, laquelle prévoyait un assouplissement de la disposition applicable au 1er décembre 1980, lorsque ce durcissement ne constitue pas une détérioration par rapport à la disposition en vigueur au 1er décembre 1980?»

29      Par ordonnance du président de la Cour du 2 octobre 2009, les affaires C-300/09 et C-301/09 ont été jointes aux fins des procédures écrite et orale ainsi que de l’arrêt.

 Sur la question préjudicielle

 Observation liminaire

30      Il convient de relever, à titre liminaire, que l’article 13 de la décision n° 1/80 est susceptible de s’appliquer à des dispositions figurant non seulement dans un texte législatif ou réglementaire, mais aussi dans une circulaire qui précise la manière dont le gouvernement concerné entend faire appliquer la loi.

31      Cet article 13 vise, en effet, les restrictions introduites par les États membres, sans que la nature de l’acte introduisant de telles restrictions soit précisée.

32      Dans l’arrêt du 10 avril 2008, Commission/Pays‑Bas (C‑398/06), la Cour a examiné la licéité d’une circulaire relative aux étrangers, similaire à celles en cause au principal, au regard du droit dérivé de l’Union relatif à la libre circulation des personnes. Elle a jugé que ladite circulaire était contraire à ce droit.

33      Il est constant que la circulaire de 1982 et la circulaire de 2000, à l’instar de la circulaire en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Commission/Pays‑Bas, précité, produisent des effets à l’égard des étrangers concernés, y compris des ressortissants turcs.

34      Il s’ensuit que l’article 13 de la décision n° 1/80 est susceptible de s’appliquer aux dispositions de telles circulaires.

 La réponse de la Cour

35      Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, s’agissant d’une disposition nationale relative à l’obtention d’un permis de séjour par des travailleurs turcs, tels que MM. Toprak et Oguz, si l’article 13 de la décision n° 1/80 doit être interprété en ce sens que constitue une «nouvelle restriction», au sens de cet article, un durcissement d’une disposition introduite postérieurement au 1er décembre 1980, laquelle prévoyait un assouplissement de la disposition applicable au 1er décembre 1980, même lorsque ce durcissement n’aggrave pas les conditions d’obtention de ce permis par rapport à celles résultant de la disposition en vigueur au 1er décembre 1980.

36      La question posée par le Raad van State porte ainsi essentiellement sur la détermination de la date pertinente aux fins de l’analyse de l’existence d’une nouvelle restriction au sens de l’article 13 de la décision n° 1/80.

37      Même si le gouvernement néerlandais ne conteste pas que MM. Toprak et Oguz ont travaillé aux Pays-Bas, il soutient toutefois qu’il n’y a pas lieu de répondre à cette question, car l’article 13 de la décision n° 1/80 ne serait pas applicable en l’espèce au motif que le régime en cause au principal concerne non pas les conditions d’accès à l’emploi des travailleurs turcs visées à cet article, mais le droit des conjoints étrangers en matière de regroupement familial.

38      Il convient d’examiner cette objection avant, le cas échéant, de répondre à la question posée par le juge de renvoi.

39      Le gouvernement néerlandais expose, en effet, que, après trois ans de mariage et un séjour de même durée aux Pays‑Bas accordé en considération de ce mariage, le ressortissant étranger a en principe droit à un titre de séjour autonome, sans condition de séjour auprès de son conjoint. Cependant, lorsque la nécessité d’un regroupement familial disparaît avant l’expiration de ces trois ans, en raison d’une rupture de la relation conjugale, cela mettrait fin, en principe, au droit de séjour. Ce régime ne viserait pas les travailleurs et l’article 13 de la décision n° 1/80 ne serait donc pas applicable. S’agissant de ressortissants étrangers de nationalité turque, dès lors que la relation conjugale a été rompue dans l’intervalle de ces trois ans, ils ne bénéficieraient pas d’un droit de séjour au titre du régime en cause et ne pourraient tirer un tel droit que de l’article 6 de la décision n° 1/80, s’ils satisfont à la condition de la régularité de l’emploi auprès d’un même employeur posée à cet article.

40      À cet égard, ledit régime ne vise certes pas directement les travailleurs étrangers, mais concerne les ressortissants étrangers mariés à des personnes bénéficiant d’un droit de séjour à durée indéterminée aux Pays-Bas.

41      Toutefois, un tel régime peut avoir un impact sur les travailleurs étrangers, notamment sur les travailleurs turcs, en précisant les conditions d’octroi du permis de séjour autonome, sans lien avec la résidence auprès du conjoint.

42      Il ressort en effet du dossier que la situation des travailleurs turcs mariés à des personnes bénéficiant d’un droit de séjour non temporaire aux Pays-Bas, notamment des ressortissants néerlandais, a changé à compter du 1er avril 2001 en ce qui concerne l’octroi d’un tel permis. Depuis cette date, et contrairement à la situation existant à partir du 1er février 1983, ces travailleurs sont à nouveau soumis à la condition de résidence auprès de leur conjoint, dans cet État membre, pendant une durée de trois ans.

43      La Cour s’est déjà prononcée sur des changements relatifs aux conditions d’octroi de permis de séjour aux ressortissants turcs au regard des règles de «standstill» contenues à l’article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel et à l’article 13 de la décision n° 1/80. Elle a jugé que l’introduction d’une obligation, qui n’existait pas lors de l’entrée en vigueur du protocole additionnel, de détenir un visa pour exercer certaines activités de prestations de services en Allemagne constitue une «nouvelle restriction», au sens de l’article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel (arrêt du 19 février 2009, Soysal et Savatli, C‑228/06, Rec. p. I‑1031, point 57). La Cour a également jugé que l’introduction de droits fiscaux d’un montant disproportionné par rapport à ceux appliqués aux ressortissants des États membres pour l’octroi d’un permis de séjour constitue une restriction prohibée par l’article 13 de la décision n° 1/80 (arrêt du 17 septembre 2009, Sahin, C‑242/06, Rec. p. I‑8465, point 74).

44      Dans les présentes affaires, le régime néerlandais en cause au principal implique aussi des changements dans les conditions d’octroi de certains permis de séjour. Dans la mesure où ces changements affectent la situation de travailleurs turcs, tels que MM. Toprak et Oguz, il y a lieu de considérer qu’un tel régime entre dans le champ d’application de l’article 13 de la décision n° 1/80.

45      La circonstance que les travailleurs concernés ne sont pas déjà intégrés au marché du travail des Pays-Bas, en ce sens qu’ils ne remplissent pas les conditions prévues à l’article 6, paragraphe 1, de la décision n° 1/80, ne constitue aucunement un obstacle à l’application dudit article 13. La Cour a précédemment jugé que la règle de «standstill» figurant à l’article 13 de la décision n° 1/80 n’est pas destinée à protéger les ressortissants turcs déjà intégrés au marché du travail d’un État membre, mais a vocation à s’appliquer précisément aux ressortissants turcs qui ne bénéficient pas encore des droits en matière d’emploi et, corrélativement, de séjour au titre de l’article 6, paragraphe 1, de cette décision (voir arrêts du 21 octobre 2003, Abatay e.a., C‑317/01 et C‑369/01, Rec. p. I‑12301, point 83, ainsi que du 29 avril 2010, Commission/Pays-Bas, C‑92/07, non encore publié au Recueil, point 45).

46      Il y a lieu, par conséquent, d’écarter l’argumentation du gouvernement néerlandais selon laquelle l’article 13 de la décision n° 1/80 ne serait pas applicable au régime en cause au principal, car celui-ci traiterait non pas des conditions d’accès à l’emploi des travailleurs turcs visées audit article, mais du droit des conjoints étrangers en matière de regroupement familial.

47      Il convient, dès lors, d’examiner la date à prendre en compte aux fins de l’analyse de l’existence d’une «nouvelle restriction», au sens de l’article 13 de la décision n° 1/80.

48      Les gouvernements néerlandais, danois et allemand estiment que seule la date du 1er décembre 1980 est pertinente pour vérifier si une législation ou une politique particulière aggrave la situation des travailleurs turcs. Toute modification ultérieure, qui serait davantage favorable à ces travailleurs, ne devrait pas être prise en compte.

49      Il convient de relever que le libellé de l’article 13 de la décision n° 1/80 n’indiquant aucune date particulière à compter de laquelle la règle de «standstill» s’applique, l’existence de «nouvelles restrictions», au sens de cet article, peut s’apprécier par rapport à la date de l’entrée en vigueur du texte dans lequel il s’inscrit, en l’occurrence, la date d’entrée en vigueur de la décision n° 1/80. La Cour a d’ailleurs eu l’occasion, à plusieurs reprises, de se référer à ce point de départ. Ainsi, au point 49 de l’arrêt du 29 avril 2010, Commission/Pays‑Bas, précité, la Cour a jugé que l’article 13 de la décision n° 1/80 s’oppose à l’introduction dans la réglementation néerlandaise, à compter de la date d’entrée en vigueur aux Pays‑Bas de ladite décision, de toutes nouvelles restrictions à l’exercice de la libre circulation des travailleurs (voir également, notamment, arrêts précités Abatay e.a., point 74, ainsi que Sahin, point 63; par analogie, s’agissant de la règle de «standstill» inscrite à l’article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel, arrêts précités Abatay e.a., point 66, ainsi que Soysal et Savatli, point 47).

50      Il n’en résulte pas cependant que seule cette date est pertinente.

51      Afin de déterminer la portée des termes «nouvelles restrictions», il y a lieu de se référer à l’objectif poursuivi par l’article 13 de la décision n° 1/80.

52      Au point 72 de l’arrêt Abatay e.a., précité, la Cour a jugé que les règles de «standstill», figurant à l’article 13 de la décision n° 1/80 et à l’article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel, poursuivent un objectif identique consistant à créer des conditions favorables à la mise en place progressive, respectivement, de la libre circulation des travailleurs, du droit d’établissement et de la libre prestation des services, par l’interdiction faite aux autorités nationales d’introduire de nouveaux obstacles auxdites libertés aux fins de ne pas rendre plus difficile la réalisation graduelle de ces dernières entre les États membres et la République de Turquie.

53      Dans l’arrêt du 20 septembre 2007, Tum et Dari (C‑16/05, Rec. p. I‑7415, point 61), la Cour a ajouté, s’agissant de l’article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel, que cette disposition vise à créer des conditions favorables à la mise en place progressive de la liberté d’établissement par l’interdiction absolue faite aux autorités nationales d’introduire tout nouvel obstacle à l’exercice de cette liberté en aggravant les conditions existant à une date donnée.

54      Eu égard à la convergence d’interprétation de l’article 41 du protocole additionnel et de l’article 13 de la décision n° 1/80 en ce qui concerne l’objectif poursuivi, il y a lieu de considérer que la portée de l’obligation de «standstill» contenue à cet article 13 s’étend de manière analogue à tout nouvel obstacle à l’exercice de la libre circulation des travailleurs consistant en une aggravation des conditions existant à une date donnée.

55      Il importe ainsi de s’assurer que les États membres ne s’éloignent pas de l’objectif poursuivi en revenant sur des dispositions qu’ils ont adoptées en faveur de la libre circulation des travailleurs turcs postérieurement à l’entrée en vigueur de la décision n° 1/80 sur leur territoire.

56      Il s’ensuit que, dans des cas tels que ceux en cause au principal, la date à partir de laquelle il convient d’apprécier si l’introduction de règles nouvelles donne lieu à de «nouvelles restrictions» est la date à laquelle de telles dispositions ont été adoptées.

57      Cette interprétation suit l’orientation que la Cour a prise pour interpréter des règles de «standstill» dans d’autres domaines du droit de l’Union, notamment celui du droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée tel qu’énoncé à la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffres d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1, ci-après la «sixième directive»), et celui de la libre circulation des capitaux.

58      En matière de taxe sur la valeur ajoutée, la Cour a jugé qu’une réglementation nationale enfreint la règle de «standstill» contenue à l’article 17, paragraphe 6, de la sixième directive, si elle a pour effet d’étendre, postérieurement à l’entrée en vigueur de cette directive, le champ des exclusions existantes en s’éloignant ainsi de l’objectif de ladite directive. La Cour a précisé qu’il en va ainsi pour toute modification postérieure à l’entrée en vigueur de la sixième directive qui étend le champ des exclusions existantes immédiatement avant ladite modification. Il importe peu, à cet égard, que la modification n’étende pas le champ des exclusions applicables lors de l’entrée en vigueur de cette directive (voir arrêt du 14 juin 2001, Commission/France, C‑40/00, Rec. p. I‑4539, points 17 à 19).

59      La Cour s’est prononcée dans un sens analogue s’agissant de l’exception prévue à l’article 57, paragraphe 1, CE, en matière de libre circulation des capitaux, laquelle permet le maintien des restrictions aux mouvements de capitaux à destination ou en provenance de pays tiers qui existaient dans l’ordre juridique national le 31 décembre 1993. Elle a considéré que la notion de restriction existant à la date indiquée dans ledit article, à savoir le 31 décembre 1993, suppose que le cadre juridique dans lequel s’insère la restriction en cause ait fait partie de l’ordre juridique de l’État membre concerné de manière ininterrompue depuis cette date. Elle a ajouté que, s’il en était autrement, un État membre pourrait, à tout moment, réintroduire des restrictions aux mouvements de capitaux à destination ou en provenance de pays tiers qui existaient dans l’ordre juridique national le 31 décembre 1993, mais qui n’ont pas été maintenues. La Cour a ainsi conclu que l’exception ne vise pas une disposition qui réintroduit un obstacle, lequel, à la suite de l’abrogation de la législation antérieure, n’existait plus (arrêt du 18 décembre 2007, A, C‑101/05, Rec. p. I‑11531, points 48 et 49).

60      Dès lors, il convient de considérer que, en adoptant des dispositions qui aggravent les conditions applicables aux travailleurs turcs pour l’obtention d’un permis de séjour, par rapport aux conditions qui leur étaient applicables précédemment, sous l’empire de dispositions adoptées depuis l’entrée en vigueur de la décision n° 1/80 sur le territoire concerné, un État membre introduit de «nouvelles restrictions», au sens de l’article 13 de cette décision.

61      Dans des situations telles que celles des affaires au principal, il appartient au juge national de vérifier si, au regard de la circulaire de 1982, la circulaire de 2000 rend plus difficile l’obtention par les travailleurs turcs d’un permis de séjour autonome et si MM. Toprak et Oguz remplissaient les conditions prévues dans la circulaire de 1982. Dans l’hypothèse où un tel permis serait plus difficile à obtenir en application de la circulaire de 2000, celle-ci constituerait une «nouvelle restriction», au sens de l’article 13 de la décision n° 1/80, même si cette circulaire ne faisait que réintroduire des dispositions qui existaient dans la législation néerlandaise au 1er décembre 1980.

62      Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que, dans des circonstances telles que celles des affaires au principal, concernant une disposition nationale relative à l’obtention d’un permis de séjour par des travailleurs turcs, l’article 13 de la décision n° 1/80 doit être interprété en ce sens que constitue une «nouvelle restriction», au sens de cet article, un durcissement d’une disposition introduite postérieurement au 1er décembre 1980, laquelle prévoyait un assouplissement de la disposition applicable au 1er décembre 1980, même lorsque ce durcissement n’aggrave pas les conditions d’obtention de ce permis par rapport à celles résultant de la disposition en vigueur au 1er décembre 1980, ce qu’il appartient au juge national de vérifier.

 Sur les dépens

63      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit:

Dans des circonstances telles que celles des affaires au principal, concernant une disposition nationale relative à l’obtention d’un permis de séjour par des travailleurs turcs, l’article 13 de la décision n° 1/80, du 19 septembre 1980, relative au développement de l’association, adoptée par le conseil d’association institué par l’accord créant une association entre la Communauté économique européenne et la Turquie, doit être interprété en ce sens que constitue une «nouvelle restriction», au sens de cet article, un durcissement d’une disposition introduite postérieurement au 1er décembre 1980, laquelle prévoyait un assouplissement de la disposition applicable au 1er décembre 1980, même lorsque ce durcissement n’aggrave pas les conditions d’obtention de ce permis par rapport à celles résultant de la disposition en vigueur au 1er décembre 1980, ce qu’il appartient au juge national de vérifier.

Signatures


* Langue de procédure: le néerlandais.