Mots clés
Sommaire

Mots clés

1. Concurrence — Position dominante — Abus — Effet de ciseaux tarifaire — Notion

(Art. 102 TFUE)

2. Concurrence — Position dominante — Abus — Effet de ciseaux tarifaire — Notion — Critères d'appréciation

(Art. 102 TFUE)

3. Concurrence — Position dominante — Abus — Caractère abusif d'une pratique de prix

(Art. 102 TFUE)

4. Concurrence — Position dominante — Abus — Notion — Comportements ayant un effet restrictif sur la concurrence

(Art. 102 TFUE)

5. Concurrence — Position dominante — Abus — Effet de ciseaux tarifaire — Services d'accès au réseau de téléphonie fixe par le biais d'un raccordement numérique asymétrique — Comportement ayant un effet restrictif sur la concurrence

(Art. 102 TFUE)

6. Concurrence — Position dominante — Abus — Effet de ciseaux tarifaire — Pratique tarifaire économiquement justifiée — Conditions

(Art. 102 TFUE)

7. Concurrence — Position dominante — Abus — Effet de ciseaux tarifaire — Degré de dominance du marché concerné — Absence d'incidence

(Art. 102 TFUE)

8. Concurrence — Position dominante — Comportement sur un marché voisin du marché dominé

(Art. 102 TFUE)

9. Concurrence — Position dominante — Abus — Effet de ciseaux tarifaire — Appréciation au regard des clients existants et des clients potentiels

(Art. 102 TFUE)

10. Concurrence — Position dominante — Abus — Pratique de prix inférieurs à un certain niveau de coûts

(Art. 102 TFUE)

11. Concurrence — Position dominante — Abus — Effet de ciseaux tarifaire — Marchés en forte croissance et en présence d'une nouvelle technologie nécessitant de très lourds investissements

(Art. 102 TFUE)

Sommaire

1. En l'absence de toute justification objective, est susceptible de constituer un abus de position dominante au sens de l’article 102 TFUE le fait pour une entreprise verticalement intégrée, détenant une position dominante sur le marché de gros des prestations par raccordement numérique asymétrique intermédiaires, d’appliquer une pratique tarifaire telle que l’écart entre les prix pratiqués sur ce marché et ceux appliqués sur le marché de détail des prestations de connexion à haut débit aux clients finals n’est pas suffisant pour couvrir les coûts spécifiques que cette même entreprise doit supporter afin d’accéder à ce dernier marché. Dans le cadre de l’appréciation du caractère abusif d’une telle pratique, il convient de prendre en considération toutes les circonstances de chaque cas d’espèce.

(cf. points 112-113 et disp.)

2. Exploite de façon abusive sa position dominante une entreprise qui met en œuvre une politique de prix visant à écarter du marché des concurrents qui sont peut-être aussi efficaces que cette même entreprise, mais qui, en raison de leur capacité financière moindre, sont incapables de résister à la concurrence qui leur est faite. Afin d’apprécier la licéité de la politique de prix appliquée par une entreprise dominante, il convient, en principe, de se référer à des critères de prix fondés sur les coûts encourus par l’entreprise dominante elle-même et sur la stratégie de celle-ci.

En particulier, dans le cadre de l’appréciation du caractère abusif d’une pratique tarifaire aboutissant à la compression des marges, il y a lieu de prendre en considération, en principe et prioritairement, les prix et les coûts de l’entreprise concernée sur le marché des prestations de détail.

L’utilisation de tels critères d’analyse permet de vérifier si cette entreprise aurait été suffisamment efficace pour proposer ses prestations de détail aux clients finals autrement qu’à perte, si elle avait été préalablement obligée d’acquitter ses propres prix de gros pour les prestations intermédiaires. Or, si ladite entreprise en position dominante n’avait pas été en mesure de proposer ses prestations de détail autrement qu’à perte, cela signifierait que les concurrents susceptibles d’être évincés par l’application de sa pratique tarifaire ne pourraient pas être considérés comme étant moins efficaces qu'elle et que, dès lors, le risque de leur éviction serait dû à une concurrence faussée. En effet, une telle concurrence ne se fonderait pas uniquement sur les mérites respectifs des entreprises concernées. Une telle approche est d’autant plus justifiée qu’elle est également conforme au principe général de sécurité juridique, dès lors que la prise en compte des coûts et des prix de l’entreprise dominante permet à celle-ci d’apprécier la légalité de ses propres comportements, conformément à la responsabilité particulière qui lui incombe au titre de l’article 102 TFUE. En effet, si une entreprise dominante connaît ses propres coûts et tarifs, elle ne connaît pas en principe ceux de ses concurrents.

Toutefois, lorsqu’il n’est pas possible, compte tenu des circonstances, de faire référence auxdits prix et coûts, il ne peut pas être exclu que les prix et coûts des concurrents sur le marché des prestations de détail puissent se révéler pertinents dans l’examen de la pratique tarifaire de l'entreprise dominante.

Tel pourrait notamment être le cas lorsque la structure des coûts de l’entreprise dominante n’est pas précisément identifiable pour des raisons objectives ou lorsque la prestation fournie aux concurrents consiste en la simple exploitation d’une infrastructure dont le coût de production a déjà été amorti, de sorte que l’accès à une telle infrastructure ne représente plus un coût pour l’entreprise dominante économiquement comparable au coût que ses concurrents doivent supporter pour y accéder, ou bien encore lorsque les conditions de concurrence spécifiques du marché l’exigent en raison, par exemple, de la circonstance que le niveau de coûts de l’entreprise dominante est tributaire précisément de la situation d’avantage compétitif dans laquelle la position dominante place cette entreprise.

(cf. points 40-46 et disp.)

3. L’article 102 TFUE ne vise que des comportements anticoncurrentiels qui ont été adoptés par les entreprises de leur propre initiative. Si un comportement anticoncurrentiel est imposé aux entreprises par une législation nationale ou si celle-ci crée un cadre juridique qui lui-même élimine toute possibilité de comportement concurrentiel de leur part, l’article 102 TFUE n’est pas d’application. Dans une telle situation, la restriction de concurrence ne trouve pas sa cause, ainsi que l’implique cette disposition, dans des comportements autonomes des entreprises. En revanche, l’article 102 TFUE peut s’appliquer s’il s’avère que la législation nationale laisse subsister la possibilité d’une concurrence susceptible d’être empêchée, restreinte ou faussée par des comportements autonomes des entreprises.

S'agissant d'une entreprise verticalement intégrée, détenant une position dominante sur le marché de gros des prestations par raccordement numérique asymétrique intermédiaires, l'absence, pour cette entreprise, de toute obligation réglementaire de fournir de telles prestations aux opérateurs concurrents n'a aucune incidence en ce qui concerne le caractère abusif d'une pratique tarifaire aboutissant à la compression des marges de ses concurrents au moins aussi efficaces qu'elle.

En effet, si une entreprise en position dominante verticalement intégrée dispose d’une marge de manœuvre pour modifier si ce n'est que ses prix de détail, la compression des marges peut, pour ce seul motif, lui être imputée. A plus forte raison, lorsqu’elle dispose d’une pleine autonomie dans les choix de ses comportements sur le marché, l’article 102 TFUE lui est applicable. La responsabilité particulière qui incombe à une entreprise en position dominante de ne pas porter atteinte par son comportement à une concurrence effective et non faussée dans le marché intérieur concerne précisément les comportements, actifs ou d’omission, que cette entreprise décide de sa propre initiative de mettre en œuvre.

(cf. points 49-53, 59 et disp.)

4. Une pratique tarifaire adoptée par une entreprise dominante constitue un abus au sens de l’article 102 TFUE, dès lors que, produisant des effets d’éviction pour les concurrents au moins aussi efficaces qu’elle-même par la compression de leurs marges, elle est à même de rendre plus difficile, voire impossible, l’accès au marché concerné par ces concurrents. Il s’ensuit que, afin d’établir le caractère abusif d’une telle pratique, l’effet anticoncurrentiel de celle-ci sur le marché doit exister, mais il ne doit pas être nécessairement concret, étant suffisante la démonstration d’un effet anticoncurrentiel potentiel de nature à évincer les concurrents au moins aussi efficaces que l’entreprise en position dominante.

En effet, lorsqu’une entreprise dominante met effectivement en œuvre une pratique tarifaire, laquelle, aboutissant à la compression des marges de ses concurrents au moins aussi efficaces, vise à évincer ceux-ci du marché concerné, la circonstance que le résultat escompté, à savoir l’exclusion de ces concurrents, n’est pas, en définitive, atteint ne saurait écarter la qualification d’abus au sens de l’article 102 TFUE. Toutefois, en l’absence du moindre effet sur la situation concurrentielle des concurrents, une pratique tarifaire ne saurait être qualifiée de pratique d’éviction lorsque la pénétration de ces derniers sur le marché concerné n’est en rien rendue plus difficile par cette pratique.

(cf. points 63-66)

5. Afin d’examiner si une pratique tarifaire d'une entreprise dominante aboutissant à la compression des marges de ses concurrents au moins aussi efficaces qu'elle-même est susceptible d’entraver l’exercice des activités desdits concurrents sur le marché de détail des prestations de connexion à haut débit aux clients finals, il faut prendre en considération toutes les circonstances spécifiques de l’affaire.

En particulier, il convient, premièrement, d’analyser les relations fonctionnelles entre les produits de gros et les produits de détail. C’est, dès lors, dans le cadre de l’appréciation des effets de la compression des marges que le caractère indispensable du produit de gros peut être pertinent. En effet, lorsque l’accès à la fourniture du produit de gros est indispensable pour la vente du produit de détail, les concurrents au moins aussi efficaces que l’entreprise qui domine le marché de gros ne pouvant opérer sur le marché de détail qu’à perte ou, en tout état de cause, à des conditions de rentabilité réduites subissent un désavantage concurrentiel sur ce marché de nature à empêcher ou à restreindre leur accès à celui-ci ou le développement de leurs activités sur ce dernier. Dans un tel cas, l’effet anticoncurrentiel, au moins potentiel, d’une compression des marges est probable. Cependant, compte tenu de la position dominante de l’entreprise concernée sur le marché, il ne saurait être exclu que, en raison de la seule circonstance que le produit de gros n’est pas indispensable pour la fourniture du produit de détail, une pratique tarifaire aboutissant à la compression des marges ne soit en mesure de produire aucun effet anticoncurrentiel, même potentiel. Dès lors, il faut s’assurer que, même en l’absence du caractère indispensable du produit de gros, la pratique soit à même de créer des effets anticoncurrentiels sur les marchés concernés.

Deuxièmement, il y a lieu de vérifier le niveau de la compression des marges des concurrents au moins aussi efficaces que l’entreprise dominante. En effet, si la marge est négative, c'est-à-dire que le prix de gros pour les prestations par raccordement numérique asymétrique intermédiaires est supérieur au prix de détail pour les prestations aux clients finals, l’effet d’éviction au moins potentiel est probable, compte tenu du fait que, dans une telle situation, les concurrents de l’entreprise dominante, même s’ils sont aussi efficaces, voire plus efficaces, qu’elle-même, seraient obligés de vendre à perte. Si, en revanche, une telle marge reste positive, il conviendra de démontrer que l’application de cette pratique tarifaire était, en raison, par exemple, d’une réduction de rentabilité, susceptible de rendre au moins plus difficile pour les opérateurs concernés l’exercice de leurs activités sur le marché concerné.

(cf. points 67-74 et disp.)

6. Afin d’établir le caractère abusif d’une pratique tarifaire d'une entreprise en position dominante aboutissant à la compression des marges de ses concurrents au moins aussi efficaces qu'elle-même, il est nécessaire de démontrer que, compte tenu, en particulier, du caractère indispensable du produit de gros, cette pratique produit un effet anticoncurrentiel au moins potentiel sur le marché de détail, sans que cela soit aucunement justifié économiquement.

En effet, il reste loisible à une entreprise de démontrer que sa pratique tarifaire, bien qu’elle produise un effet d’éviction, reste économiquement justifiée. L’appréciation de la justification économique d’une pratique tarifaire susceptible de produire un effet d’éviction mise en œuvre par une entreprise en position dominante s’effectue sur la base de l’ensemble des circonstances du cas d’espèce. À cet égard, il importe de déterminer si l’effet d’éviction qui résulte d’une telle pratique, désavantageux pour la concurrence, peut être contrebalancé, voire surpassé, par des avantages en termes d’efficacité qui profitent également au consommateur. Si l’effet d’éviction de cette pratique est sans rapport avec les avantages pour le marché et les consommateurs ou s’il va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre ces avantages, ladite pratique doit être considérée comme abusive.

(cf. points 75-77 et disp.)

7. L’application d’une pratique tarifaire aboutissant à la compression des marges de la part d’une entreprise est susceptible de constituer un abus de position dominante dès lors que cette entreprise détient une telle position, sans que soit, en principe, pertinent, à cet égard, le degré de dominance du marché concerné. En effet, l'article 102 TFUE n'introduit aucune distinction ni aucun degré dans la notion de position dominante. Dès lors qu'une entreprise dispose d'une puissance économique telle que celle exigée par ledit article 102 TFUE pour établir qu'elle détient une position dominante sur un marché déterminé, sa conduite doit être appréciée au regard de cette disposition. Le degré de pouvoir de marché a, en principe, des conséquences sur la portée des effets de la conduite de l’entreprise en question plutôt que sur l’existence de l’abus en tant que tel.

(cf. points 80-82 et disp.)

8. Le caractère abusif d’une pratique tarifaire mise en place par une entreprise verticalement intégrée en position dominante sur le marché de gros des prestations par raccordement numérique asymétrique intermédiaires et aboutissant à la compression des marges des concurrents de cette entreprise sur le marché de détail des prestations de connexion à haut débit aux clients finals ne dépend pas de l’existence d’une position dominante de cette entreprise sur ce dernier marché.

À cet égard, l’article 102 TFUE ne comporte aucune indication explicite en ce qui concerne les exigences afférentes à la localisation de l’abus sur les marchés de produits. Ainsi, le champ d’application matériel de la responsabilité particulière pesant sur une entreprise dominante doit être apprécié au regard des circonstances spécifiques de chaque espèce, démontrant un affaiblissement de la concurrence.

Il s’ensuit que peuvent être qualifiés d’abusifs certains comportements sur des marchés autres que les marchés dominés et qui ont des effets soit sur ces derniers, soit sur les marchés non dominés eux-mêmes. En effet, si l’application de l’article 102 TFUE présuppose l’existence d’un lien entre la position dominante et le comportement prétendument abusif, qui n’est normalement pas présent lorsqu’un comportement sur un marché distinct du marché dominé produit des effets sur ce même marché, il n’en demeure pas moins que, s’agissant de marchés distincts, mais connexes, des circonstances particulières peuvent justifier une application de l’article 102 TFUE à un comportement constaté sur le marché connexe, non dominé, et produisant des effets sur ce même marché.

De telles circonstances peuvent exister lorsque les comportements d’une entreprise verticalement intégrée en position dominante sur un marché en amont consistent à essayer d’évincer les concurrents au moins aussi efficaces sur le marché en aval, notamment par la compression des marges de ceux-ci. De tels comportements sont en effet susceptibles, en raison notamment des liens étroits entre les marchés concernés, d’avoir pour effet d’affaiblir la concurrence sur le marché en aval. Au demeurant, dans une telle situation, en l’absence de toute autre justification économique objective, de tels comportements ne peuvent s’expliquer que par l’intention de l’entreprise dominante d’empêcher le développement de la concurrence sur le marché en aval et de renforcer sa position, ou même de conquérir une position dominante, sur celui-ci par le recours à des moyens différents de ses mérites propres.

(cf. points 84-89 et disp.)

9. Le caractère abusif d’une pratique tarifaire d'une entreprise en position dominante aboutissant à la compression des marges des concurrents au moins aussi efficaces qu'elle-même réside dans le fait qu'une telle pratique est susceptible d’entraver le jeu normal de la concurrence sur un marché voisin du marché dominé par celle-ci, en ce qu’elle est susceptible d’avoir pour effet d’évincer les concurrents de cette entreprise de ce dernier marché.

À cet égard, la circonstance que les opérateurs concernés soient clients existants ou nouveaux de l’entreprise dominante ne saurait être pertinente. En outre, ne saurait non plus être pertinente la circonstance qu’il s’agit de clients nouveaux qui ne sont pas encore actifs sur le marché concerné. En effet, le caractère abusif d’une pratique tarifaire doit s’apprécier non seulement au regard de la possibilité que cette pratique aboutisse à écarter du marché pertinent des opérateurs aussi efficaces déjà actifs sur celui-ci, mais également en tenant compte des entraves éventuelles qu’elle est en mesure de créer à des opérateurs potentiels aussi efficaces qui ne sont pas encore présents sur le marché.

(cf. points 91-94 et disp.)

10. Afin d’établir si une pratique tarifaire d'une entreprise en position dominante aboutissant à la compression des marges des concurrents au moins aussi efficaces qu'elle-même est abusive, la question de savoir si l'entreprise dominante a la possibilité de récupérer les pertes éventuellement subies en raison de l’application de cette même pratique n'est pas pertinente.

En effet, c'est la compression des marges qui est, en l’absence de toute justification objective, susceptible, en elle-même, de constituer un abus au sens de l’article 102 TFUE. Or, cette compression résulte de l’écart entre les prix pour les prestations de gros et ceux pour les prestations de détail et non pas du niveau de ces prix en tant que tels. En particulier, cette compression peut résulter non seulement d’un prix anormalement bas sur le marché de détail, mais également d’un prix anormalement élevé sur le marché de gros. Par conséquent, une entreprise qui se livre à une pratique tarifaire aboutissant à la compression des marges de ses concurrents ne subit pas nécessairement des pertes.

En tout état de cause, même à supposer que, pour comprimer les marges de ses concurrents, une entreprise dominante subisse des pertes, il ne saurait être exigé d’apporter la preuve de la possibilité de récupérer de telles pertes éventuelles afin de pouvoir établir l’existence d’un abus. En effet, la possibilité que les concurrents soient évincés du marché ne dépend ni de la circonstance que l’entreprise dominante subisse des pertes, ni de celle que cette entreprise soit en mesure de récupérer ses pertes, mais dépend uniquement de l’écart entre les prix appliqués sur les marchés concernés par l’entreprise dominante, susceptible de faire éventuellement subir des pertes non pas à l’entreprise dominante elle-même mais à ses concurrents.

Enfin, dans l’hypothèse où l’entreprise en position dominante appliquerait néanmoins un prix sur le marché de détail si bas que les ventes lui occasionneraient des pertes, au-delà du fait qu’un tel comportement serait susceptible de constituer une forme autonome d’abus consistant en l’application de prix prédateurs, la Cour a en tout état de cause déjà exclu que, même dans un tel cas, la preuve de la possibilité de récupération des pertes subies du fait de l’application, par une entreprise en position dominante, de prix inférieurs à un certain niveau de coûts constitue une condition nécessaire afin d’établir le caractère abusif d’une telle politique de prix.

(cf. points 97-103 et disp.)

11. Afin d'établir si une pratique tarifaire d'une entreprise en position dominante aboutissant à la compression des marges des concurrents au moins aussi efficaces qu'elle-même constitue un abus au sens de l’article 102 TFUE, la circonstance que les marchés concernés par l’exploitation de la position dominante de ladite entreprise sont en forte croissance et confrontés à une nouvelle technologie nécessitant de très lourds investissements, n’est, en principe, pas pertinente.

Premièrement, l’article 102 TFUE n’opère aucune distinction entre le degré de développement des marchés concernés par l’exploitation de la position dominante d’une entreprise.

Deuxièmement, dans un marché en forte croissance, l’avantage compétitif découlant de la détention d’une position dominante sur un second marché voisin est susceptible de fausser le jeu de la concurrence sur le premier marché, compte tenu de la circonstance que, dans ce premier marché, les opérateurs peuvent être amenés à opérer, pour un certain temps, à perte ou bien en escomptant des taux de rentabilité réduits. Or, c’est précisément dans de telles circonstances que la réduction ultérieure de la rentabilité de l’activité d’un opérateur résultant de la compression de ses marges imposée par une telle pratique tarifaire est susceptible d’empêcher l’établissement ou le développement de conditions normales de concurrence sur le marché concerné.

Troisièmement, compte tenu de l’objectif des règles de concurrence, leur application ne peut dépendre de la circonstance que le marché en question ait déjà atteint un certain degré de maturité. En effet, particulièrement dans un marché en forte croissance, l’article 102 TFUE exige d’intervenir le plus tôt possible, afin d’éviter que ne s’établisse et ne se consolide sur ce marché une structure concurrentielle faussée par la stratégie abusive d’une entreprise en position dominante sur ledit marché ou sur un marché voisin étroitement lié, c’est-à-dire intervenir avant que les effets anticoncurrentiels de cette stratégie ne se produisent.

Il en va d’autant plus ainsi dans le cadre d’un marché, tel que celui de la fourniture de prestations pour l’accès à Internet à haut débit, qui est étroitement lié à un autre marché, tel que celui de l’accès à la boucle locale dans le secteur des télécommunications. En effet, ce dernier marché non seulement n’est aucunement nouveau et émergent, mais sa structure concurrentielle est également encore fortement tributaire de l’ancienne structure monopolistique. Ainsi, la possibilité pour les entreprises d’exploiter leur position dominante sur ce dernier marché de façon à porter atteinte au développement de la concurrence sur un marché voisin en forte croissance exige qu’aucune dérogation à l’application de l’article 102 TFUE ne soit consentie.

Si une entreprise en position dominante sur un marché ne saurait invoquer les investissements qu’elle a effectués pour pénétrer sur un marché voisin en essayant d’en évincer ses concurrents aussi efficaces, actuels ou potentiels, il n’en reste pas moins que les conditions de concurrence du marché dominé et, en particulier, les coûts d’établissement et d’investissement de l’entreprise en position dominante sur celui-ci doivent être pris en considération lors de l’analyse des coûts de cette entreprise qui doit être effectuée afin d’établir si une compression de marges existe.

(cf. points 105-111 et disp.)