CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. YVES Bot

présentées le 7 avril 2011 (1)

Affaire C‑281/09

Commission européenne

contre

Royaume d’Espagne

«Radiodiffusion télévisuelle – Spots publicitaires – Temps de transmission»





1.        La directive «Télévision sans frontière», dans sa version applicable dans la présente affaire (2), fixe des limites à la durée de la diffusion des messages publicitaires qui varient selon que ces messages publicitaires constituent des spots publicitaires ou d’autres formes de publicité.

2.        La directive prévoit ainsi que le temps de transmission des spots publicitaires et des spots de téléachat ne doit pas excéder douze minutes par heure d’horloge. En revanche, en ce qui concerne les autres formes de publicité, elle ne fixe qu’une limite quotidienne, en prévoyant que leur temps de transmission, ajouté à celui des spots publicitaires, ne doit pas excéder 15 % du temps de transmission quotidien.

3.        Dans le cadre du présent manquement, la Commission européenne reproche au Royaume d’Espagne d’avoir fait une mauvaise application de ces dispositions. Elle fait grief à cet État membre d’avoir permis que des nouvelles formes de publicité télévisée, dénommées publireportages, télépromotions, spots publicitaires de parrainage ainsi que microespaces publicitaires, soient diffusées au-delà de la limite de douze minutes par heure d’horloge alors que, selon cette institution, elles constituent des «spots publicitaires», au sens de la directive.

4.        Le Royaume d’Espagne conteste cette analyse et soutient que les quatre formes de publicité litigieuses relèvent non pas de la notion de spots publicitaires, mais de celle des autres formes de publicité.

5.        La directive ne contient pas de définition de ces deux notions.

6.        Dans les présentes conclusions, nous inviterons la Cour à dire que les deux notions en cause doivent avoir une définition uniforme et autonome dans la Communauté européenne et que, au regard du système et des objectifs de la directive, ces définitions doivent permettre d’assurer l’effet utile de la limitation de la publicité aux heures de grande écoute voulue au travers de la limite horaire.

7.        Nous exposerons également les motifs pour lesquels, selon nous, la notion d’autres formes de publicité doit être interprétée non comme des formes particulières de publicité qui, pour des raisons techniques, requièrent un temps de transmission plus long, comme le soutient la Commission, mais à partir des formes de publicité visées dans la directive, de sorte qu’elle ne devrait viser que les annonces de parrainage.

8.        Nous soutiendrons que, en tout état de cause, l’interprétation de ladite notion mise en œuvre par le Royaume d’Espagne en ce qui concerne les quatre formes de publicité litigieuses prive d’effet utile la limite horaire prévue par la directive.

9.        Nous proposerons donc à la Cour de déclarer le présent recours en manquement bien fondé.

I –    Le cadre juridique

A –    La directive

10.      La directive vise à coordonner les législations des États membres dans le domaine de la télévision afin d’assurer la libre circulation des émissions télévisuelles dans la Communauté (3).

11.      À cet effet, elle prévoit, en ce qui concerne la publicité télévisée, des normes minimales et des critères destinés à assurer la protection des consommateurs (4). Ces règles visent, notamment, à concilier la liberté de faire de la publicité télévisée, qui constitue une source de revenus essentielle pour les chaînes de télévision commerciales, et un niveau de protection approprié des œuvres audiovisuelles ainsi que des téléspectateurs contre une diffusion excessive de publicités (5).

12.      La directive commence par définir quelques-unes des notions qui sont visées dans ses dispositions normatives, telles que la publicité télévisée, le parrainage et le téléachat.

13.      Ainsi, la publicité télévisée est définie à l’article 1er, sous c), de la directive comme «toute forme de message télévisé, que ce soit contre rémunération ou paiement similaire, ou de diffusion à des fins d’autopromotion par une entreprise publique ou privée dans le cadre d’une activité commerciale, industrielle ou artisanale ou d’une profession libérale dans le but de promouvoir la fourniture, moyennant paiement, de biens ou de services, y compris les biens immeubles, ou de droits et d’obligations».

14.      Le «parrainage», selon l’article 1er, sous e), de la directive, désigne «toute contribution d’une entreprise publique ou privée, n’exerçant pas d’activités de radiodiffusion télévisuelle ou de productions d’œuvres audiovisuelles, au financement de programmes télévisés, dans le but de promouvoir son nom, sa marque, son image, ses activités ou ses réalisations».

15.      La notion de «téléachat», aux termes de l’article 1er, sous f), de la directive, correspond à «la diffusion d’offres directes au public en vue de la fourniture, moyennant paiement, de biens ou de services, y compris les biens immeubles, ou de droits et d’obligations».

16.      En vertu de l’article 10 de la directive, la publicité et le téléachat doivent être aisément identifiables comme tels et être nettement distingués du reste des programmes par des moyens optiques et/ou acoustiques. Ils ne doivent pas utiliser de techniques subliminales. La publicité isolée et les spots de téléachat isolés doivent être exceptionnels.

17.      L’article 17, paragraphe 1, sous c), de la directive énonce que les programmes télévisés parrainés ne doivent pas inciter à l’achat ou à la location des produits ou des services du parrain ou d’un tiers, en particulier en faisant des références promotionnelles spécifiques à ces produits ou ces services.

18.      L’article 18 de la directive, qui se trouve au centre de la présente affaire, détermine les durées maximales de transmission de la publicité.

19.      La rédaction de cet article a évolué dans les différentes versions de la directive «Télévision sans frontières».

20.      Dans la version initiale de la directive 89/552, il était rédigé de la manière suivante:

«1.      Le temps de transmission consacré à la publicité ne doit pas dépasser 15 % du temps de transmission quotidien. Toutefois, ce pourcentage peut être porté à 20 % s’il comprend des formes de publicité telles que les offres faites directement au public en vue soit de vendre, d’acheter ou de louer des produits, soit de fournir des services, à condition que le volume des spots publicitaires ne dépasse pas 15 %.

2.      Le temps de transmission consacré aux spots publicitaires à l’intérieur d’une période donnée d’une heure ne doit pas dépasser 20 %.

3.      Sans préjudice des dispositions du paragraphe 1, les formes de publicité telles que les offres faites directement au public en vue soit de vendre, d’acheter ou de louer des produits, soit de fournir des services, ne doivent pas dépasser une heure par jour.»

21.      Dans sa version applicable dans la présente affaire, qui résulte, rappelons-le, des modifications apportées par la directive 97/36, l’article 18 est rédigé comme suit:

«1.      Le pourcentage de temps de transmission consacré aux spots de téléachat, aux spots publicitaires et aux autres formes de publicité, à l’exclusion des fenêtres d’exploitation consacrées au télé-achat au sens de l’article 18 bis, ne doit pas dépasser 20 % du temps de transmission quotidien. Le temps de transmission des messages publicitaires ne doit pas dépasser 15 % du temps de transmission quotidien.

2.      Le pourcentage de temps de transmission consacré aux spots publicitaires et aux spots de télé-achat à l’intérieur d’une période donnée d’une heure d’horloge ne doit pas dépasser 20 %.

3.      Aux fins du présent article, la publicité n’inclut pas:

–        les messages diffusés par l’organisme de radiodiffusion en ce qui concerne ses propres programmes et les produits connexes directement dérivés de ces programmes,

–        les messages de service public et les appels en faveur d’œuvres de bienfaisance diffusés gratuitement.»

22.      La directive 97/36 a également ajouté l’article 18 bis, rédigé ainsi:

«1.      Les fenêtres d’exploitation pour les émissions de télé-achat diffusées par une chaîne non exclusivement consacrée au télé-achat ont une durée minimale ininterrompue de quinze minutes.

2.      Le nombre maximal de fenêtres d’exploitation est de huit par jour. Leur durée totale ne doit pas dépasser trois heures par jour. Elles doivent être clairement identifiables en tant que fenêtres de télé-achat grâce à des moyens optiques et acoustiques.»

23.      Les articles 18 et 18 bis de la directive ont été modifiés par la directive 2007/65/CE du Parlement européen et du Conseil (6), qui n’est pas applicable dans la présente affaire. Dans leur nouvelle version, ces articles sont désormais rédigés ainsi:

«Article 18

1.      Le pourcentage de temps de diffusion de spots de publicité télévisée et de spots de téléachat à l’intérieur d’une heure horloge donnée ne dépasse pas 20 %.

2.      Le paragraphe 1 ne s’applique pas aux messages diffusés par l’organisme de radiodiffusion télévisuelle en ce qui concerne ses propres programmes et les produits connexes directement dérivés de ces programmes, aux annonces de parrainage et aux placements de produits.

Article 18 bis

Les fenêtres de téléachat doivent être clairement identifiées comme telles grâce à des moyens optiques et acoustiques et avoir une durée minimale ininterrompue de quinze minutes.»

24.      Enfin, il convient de citer l’article 3, paragraphe 2, de la directive, aux termes duquel «les États membres veillent, par les moyens appropriés, dans le cadre de leur législation, au respect effectif, par les organismes de radiodiffusion télévisuelle relevant de leur compétence, des dispositions de la présente directive».

II – Les faits, la procédure et les conclusions des parties

25.      La Commission a commandé à la société de conseil indépendante Audimetrie, spécialisée dans la recherche et l’analyse de données relatives au marché de la publicité télévisée, une étude de la programmation de plusieurs grandes chaînes espagnoles sur une période de référence allant du 1er mai au 30 juin 2005.

26.      Au vu des résultats de cette étude et après un échange de courriers avec les autorités espagnoles, la Commission a adressé à ces autorités une mise en demeure datée du 11 juillet 2007, puis un avis motivé le 8 mai 2008.

27.      Elle a formé le présent recours par acte du 17 juillet 2009, dans lequel elle conclut à ce qu’il plaise à la Cour:

–        constater que, en tolérant des violations flagrantes, répétées et graves des règles énoncées à l’article 18, paragraphe 2, de la directive, le Royaume d’Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 3, paragraphe 2, de la directive, en liaison avec l’article 10 CE, et

–        condamner le Royaume d’Espagne aux dépens.

28.      Le Royaume d’Espagne ainsi que le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, qui est intervenu au soutien de l’État membre défendeur, concluent au rejet de ce recours.

29.      Le Royaume d’Espagne demande également la condamnation de la Commission à supporter les dépens.

III – Les arguments des parties

A –    Les arguments de la Commission

30.      La Commission vise, dans son recours en manquement, quatre formes de publicité diffusées sur les chaînes de télévision espagnoles, à savoir les publireportages, les télépromotions, les spots publicitaires de parrainage et les microespaces publicitaires.

31.      Elle soutient que chacune d’entre elles constitue un spot publicitaire, au vu des définitions des notions de «spots publicitaires» et des «autres formes de publicité», données par la Cour dans l’arrêt du 12 décembre 1996, RTI e.a. (7), qui porte sur l’article 18 de la directive 89/552.

32.      La Commission rappelle que la notion de «spots publicitaires» a été définie comme des «formes de promotions d’une durée habituellement très courte, ayant un impact suggestif très important, qui apparaissent généralement par groupes selon une périodicité variable pendant ou entre les programmes et qui sont produits par ceux qui fournissent les produits ou les services ou par leurs agents plutôt que par les radiodiffuseurs eux-mêmes» (8).

33.      Elle rappelle également que la Cour a dit que «la possibilité ouverte à l’article 18, paragraphe 1, deuxième phrase, de porter le pourcentage de temps de transmission consacré à la publicité à 20 % du temps de transmission quotidien peut également être utilisée pour des formes de publicités qui, tout en ne constituant pas des ‘offres faites au public’, requièrent, à l’instar de celles-ci et en raison de leurs modalités de présentation, une durée plus longue que les spots publicitaires» (9).

34.      La Commission fait valoir que, au regard de ces définitions, toute forme de publicité diffusée entre les programmes ou pendant les intermèdes et dont les modalités de présentation ne requièrent pas une durée de diffusion nettement plus importante doit être considérée comme un spot publicitaire et se trouve ainsi soumise à la limite horaire prévue à l’article 18, paragraphe 2, de la directive. Selon cette institution, une forme particulière de publicité ne saurait donc être considérée comme une «autre forme de publicité», au sens de l’article 18, paragraphe 1, de la directive, que si ses modalités de présentation nécessitent une durée plus longue en raison d’impératifs techniques inévitables.

35.      La Commission expose que, au regard de ces considérations, les quatre formes de publicité litigieuses doivent être analysées comme des spots publicitaires, et cela pour les motifs suivants.

36.      En ce qui concerne les publireportages, ils sont définis comme des messages publicitaires de durée plus longue que le spot, généralement argumentaires, informatifs ou descriptifs. Ils constituent également une production de stock susceptible de rediffusion bien que, en raison de ses caractéristiques singulières de durée et d’argumentation, elle n’est généralement pas rediffusée (10).

37.      La Commission relève que, au vu des exemples mentionnés dans l’étude de la société Audimetrie, ces publireportages, à l’instar des spots publicitaires, sont diffusés entre les programmes ou pendant les intermèdes et ont une fréquence de diffusion identique à celle des spots.

38.      En ce qui concerne les spots de télépromotion, la Commission indique que, certes, selon l’arrêt RTI e.a., précité, la télépromotion, c’est-à-dire «une forme de publicité télévisuelle basée sur l’interruption scénique pendant des programmes de plateau (notamment des jeux) par des espaces consacrés à la présentation d’un ou plusieurs produits ou services, dans lesquels les présentateurs de programme quittent momentanément leur fonction liée aux jeux en cours pour se transformer en ‘promoteurs’ de biens ou services faisant l’objet de la présentation publicitaire» (11), a été analysée comme ne constituant pas un spot publicitaire.

39.      La Commission précise, cependant, que son recours vise des spots de télépromotion, c’est-à-dire des messages diffusés entre les programmes, qui sont autonomes par rapport à ces derniers, de courte durée et qui peuvent être rediffusés.

40.      En ce qui concerne les spots publicitaires de parrainage, la Commission fonde son recours sur leur définition dans les critères interprétatifs de la loi espagnole, selon laquelle il s’agit d’un type particulier de spot, l’«euroclaquette», dans lequel l’annonce du parrainage d’un programme et la publicité du parrain sont faites simultanément.

41.      La Commission rappelle que, selon l’article 17 de la directive, la qualification de parrainage est soumise à la condition que le message ne contienne aucune incitation à l’achat des produits ou des services du parrain.

42.      Enfin, en ce qui concerne les microespaces publicitaires, la Commission se fonde également sur leur définition dans les critères interprétatifs de la loi espagnole, selon laquelle «les microespaces contenant des messages publicitaires sont considérés comme ‘une autre forme de publicité’ lorsque leur durée est supérieure à 60 secondes et lorsqu’ils ne consistent pas en un simple regroupement de spots possédant une légère trame commune».

43.      La Commission fait valoir que les modalités de présentation de ces microespaces, à la différence de celles des véritables télépromotions, ne requièrent pas une durée plus longue que celle des spots conventionnels.

44.      Par conséquent, selon cette institution, le manquement du Royaume d’Espagne est constitué, puisqu’il ressort du rapport de la société Audimetrie et de la législation de cet État membre que ces quatre formes de publicité sont diffusées sur les chaînes de télévision espagnoles jusqu’à 17 minutes par heure, soit 50 % de plus que la limite maximale de 12 minutes par heure d’horloge prévue par la directive.

B –    Les arguments du Royaume d’Espagne

45.      Le Royaume d’Espagne souligne que la directive ne donne pas de définition des notions de spots publicitaires et d’autres formes de publicité. Selon cet État membre, ces deux notions doivent être distinguées en prenant en considération les critères suivants:

–        la forme ou la présentation du message publicitaire: son apparence esthétique ou visuelle, la combinaison d’éléments audiovisuels avec d’autres exclusivement graphiques (crawls, surimpressions) ou sonores (voix off), l’utilisation d’acteurs et d’une scénographie appartenant à des programmes particuliers;

–        la durée: supérieure dans le cas des publireportages ou microannonces;

–        leur place dans la grille des programmes: collée à d’autres programmes ou non, et

–        le contenu du message: en fonction de l’importance de l’incitation à l’achat ou à la vente, qui peut être très élevée (comme pour les spots), ou moindre, en raison de la prédominance de l’aspect descriptif (publireportages), ou parce qu’il sont circonscrits dans la présentation visuelle du produit ou du service faisant l’objet de la publicité (le simple masque du parrainage institutionnel).

46.      Le Royaume d’Espagne indique, en outre, que la détermination de la notion de spots publicitaires doit être effectuée conformément au principe dégagé dans l’arrêt du 28 octobre 1999, ARD (12), en vertu duquel, «lorsqu’une disposition de la directive 89/552 impose une restriction à la diffusion et à la distribution de services de télévision, sans que le législateur communautaire ait rédigé celle-ci en des termes clairs et non équivoques, celle-ci doit être interprétée de façon restrictive» (13).

47.      Selon cet État membre, il conviendrait également de prendre en considération l’objectif de la directive consistant à rechercher un équilibre entre, d’une part, les besoins de financement des opérateurs de télévision, leur droit à la liberté d’entreprise et le respect de leur indépendance éditoriale et, d’autre part, la protection des intérêts des consommateurs, en tant que téléspectateurs, contre une publicité excessive.

48.      Ce serait la raison pour laquelle il a prévu, dans sa législation, une limite horaire de 12 minutes pour les spots publicitaires ainsi que les spots de téléachat et une limite de 17 minutes pour les autres formes de publicité.

49.      Le Royaume d’Espagne soutient que les quatre formes de publicité litigieuses ne relèvent pas de la notion de spots publicitaires en raison de leur durée standard, de leur agressivité commerciale moindre, au sens de leur degré de suggestion vis-à-vis du consommateur, et enfin du degré de perturbation à la jouissance des programmes qu’ils entraînent.

50.      Il indique qu’aucune de ces formes de publicité n’est aussi fréquemment diffusée que les spots publicitaires classiques, et cela en raison des particularités de chacune d’entre elles, soit en raison de leur longue durée (à l’exception des annonces de parrainage, il ne serait pas imaginable de diffuser les autres formes de publicité plus d’une fois dans le même bloc publicitaire), de leur lien particulier avec un programme donné (c’est le cas des annonces de parrainage et de quelques annonces de télépromotion), ou de leur nature de programme informatif (microannonce).

51.      Le Royaume d’Espagne fait valoir que les quatre formes de publicité litigieuses se caractérisent par leur diffusion particulière ou exceptionnelle, circonstance qui, prise avec une autre, comme celle du format de l’émission en fonction de l’opérateur de télévision dont il s’agit, ou même de la production par chaque chaîne de télévision dans certains espaces, fait qu’elles peuvent être différenciées des spots publicitaires.

C –    Les arguments du Royaume-Uni

52.      Le Royaume-Uni soutient que l’interprétation proposée par la Commission n’est pas conforme à la directive parce que cette interprétation ne respecte pas les différences fondamentales établies par la directive entre les spots publicitaires et d’autres formes de publicité, notamment le parrainage et les messages diffusés par l’organisme de radiodiffusion en ce qui concerne ses propres programmes, visés à l’article 18, paragraphe 3, de la directive.

53.      Selon cet État membre, la circonstance qu’un spot publicitaire de parrainage promeuve certains produits ou services de parrain ne signifierait pas qu’il constitue un spot publicitaire.

54.      De même, l’approche de la Commission, selon laquelle les messages du radiodiffuseur devraient relever de la notion de spots publicitaires du seul fait qu’ils constitueraient une promotion de ses services priverait de tout effet utile l’exclusion figurant à l’article 18, paragraphe 3, de la directive.

IV – Notre appréciation

55.      Nous partageons la position de la Commission selon laquelle les quatre formes de publicité litigieuses doivent être qualifiées de spots publicitaires au sens de la directive. Cependant, si nous aboutissons à la même conclusion que l’institution demanderesse, nous n’adhérons pas à sa définition de la notion d’autres formes de publicité. Nous fondons notre appréciation sur les motifs suivants.

56.      Le présent litige consiste à déterminer si les quatre formes de publicité litigieuses doivent être qualifiées de spots publicitaires, comme le soutient la Commission, ou bien si elles relèvent de la catégorie des autres formes de publicité, comme le prétend le Royaume d’Espagne. De la solution de ce litige dépend le point de savoir si la diffusion des quatre formes de publicité en cause est soumise à la limite horaire de douze minutes par heure d’horloge ou seulement à la limite de 15 % du temps de transmission quotidien.

57.      L’enjeu dudit litige apparaît donc très clairement. Il s’agit du droit, pour les organismes de radiodiffusion télévisuelle, de diffuser ces formes nouvelles de publicité aux heures auxquelles l’audience est la plus importante, en plus des douze minutes prévues à l’article 18, paragraphe 2, de la directive pour la diffusion des spots publicitaires et des spots de téléachat.

58.      Sa solution implique de s’interroger sur le contenu des notions de «spots publicitaires» et d’«autres formes de publicité», visées à l’article 18, paragraphes 1 et 2, de la directive.

59.      La définition de ces deux notions n’est pas aisée. Ainsi que les parties l’ont souligné, elles ne sont pas définies dans la directive, qui ne renvoie pas non plus, en ce qui les concerne, au droit des États membres.

60.      Certes, comme la Commission l’a fait valoir, il est indiqué, dans l’exposé des motifs qui accompagnait sa proposition de directive (14), que la «disposition relative aux ‘autres formes de publicité’ par rapport aux spots publicitaires vise à assurer la souplesse nécessaire afin de tenir compte du développement de nouvelles formes de publicité telles que les télépromotions et les ‘Dauerwerbesendungen’ qui se distinguent par leur durée plus longue, et par le fait qu’ils s’intègrent généralement dans le déroulement du programme lui-même» (15).

61.      Toutefois, cette première proposition a été modifiée par la Commission à la suite des amendements apportés par le Parlement européen qui entendait supprimer la possibilité de prévoir un temps de transmission supplémentaire pour les autres formes de publicité (16).

62.      Dans sa proposition modifiée de directive (17), la Commission expose simplement que sa nouvelle version de l’article 18 incorpore des modifications qui découlent en partie des amendements du Parlement, mais qu’elle a estimé non souhaitable ni possible d’exclure les types de publicité autres que la publicité sous forme de spots (18).

63.      Au vu de ces considérations, il nous semble donc difficile d’admettre que les travaux préparatoires de la directive permettent de donner avec certitude une signification précise à la notion d’«autres formes de publicité» qui a été voulue par la législateur communautaire à l’article 18, paragraphe 1, de celle-ci.

64.      Conformément à la jurisprudence, le sens et la portée des notions de spots publicitaires et d’autres formes de publicité doivent donc être déterminés au regard du contexte des dispositions dans lesquelles ces notions sont visées et des objectifs poursuivis au travers de ces dispositions, afin que lesdites notions fassent l’objet d’une interprétation autonome et uniforme dans la Communauté (19).

65.      Selon le Royaume d’Espagne, en l’absence de définition précise dans la directive, lesdites notions devraient être comprises dans un sens favorable à la diffusion de la publicité.

66.      Certes, comme cet État membre le rappelle, il a été jugé, dans l’arrêt ARD, précité, que les dispositions de la directive qui imposent une restriction à la diffusion de la publicité à la télévision doivent, lorsqu’elles ne sont pas rédigées en termes clairs et non équivoques, être interprétées de façon restrictive (20).

67.      De même, la thèse de la Commission, selon laquelle la notion d’«autres formes de publicité» visée par la directive aurait été définie dans l’arrêt RTI e.a., précité, peut paraître contestable.

68.      En effet, dans cet arrêt, la Cour s’est prononcée sur l’expression de «formes de publicité telles que les offres faites directement au public», visée à l’article 18, paragraphe 1, de la directive 89/552. Le libellé de cette expression, en particulier l’emploi du mot «telles», démontre que le législateur communautaire se référait explicitement aux formes de publicité qui présentaient les mêmes caractéristiques que les offres de téléachat. Or, dans la directive, la notion d’autres formes de publicité n’est plus rattachée aux offres de téléachat, pour lesquelles la directive 97/36 a prévu des règles plus précises, destinées à prendre en considération le développement et l’importance de cette activité (21).

69.      En outre, au vu de l’objectif, qui sous-tend l’article 18, paragraphe 2, de la directive, de protéger les consommateurs contre une diffusion excessive de publicité aux heures où l’audience est la plus importante, sur lequel nous reviendrons, il paraît difficile d’admettre que le critère justifiant de déroger à cette limite horaire consiste en la durée des messages publicitaires. Une telle interprétation reviendrait à encourager les opérateurs économiques à inventer des nouvelles formes de publicité qui requièrent techniquement des délais de transmission plus longs et à réduire ainsi l’effet utile de ladite limite horaire.

70.      Dans la mesure où la directive a pour objet de fixer, dans l’ensemble des États membres, des limites au temps de diffusion de toutes les formes de publicité qui répondent à la définition citée à l’article 1er, sous c), de celle-ci, nous serions enclin à penser que le contenu de la notion d’«autres formes de publicité», visée à l’article 18, paragraphe 1, de la directive, doit être recherché dans ses dispositions.

71.      Lorsque nous examinons celles-ci, nous constatons que les autres formes de publicité qui pourraient être distinguées des spots publicitaires et qui sont citées dans la directive sont les annonces de parrainage. De telles annonces constituent bien une forme de publicité, puisque, aux termes de l’article 1er, sous e), de la directive, elles ont pour objet de promouvoir le nom, la marque, l’image, les activités ou les réalisations du parrain.

72.      La directive 2007/65, à notre avis, corrobore cette analyse, puisque l’article 18, paragraphe 2, de la directive 89/552, tel que modifié par la directive 2007/65, exclut de la limite horaire, outre les messages diffusés par l’organisme de radiodiffusion télévisuelle en ce qui concerne ses propres programmes et les produits connexes directement dérivés de ces programmes, les annonces de parrainage et les placements de produits.

73.      Nous serions donc enclin à penser que la notion d’«autres formes de publicité», visée à l’article 18, paragraphe 1, de la directive, désigne les annonces de parrainage plutôt que des formes de publicité qui, en raison d’impératifs techniques inévitables, nécessitent des délais de transmission plus longs, comme la Commission le soutient.

74.      Toutefois, le choix entre l’une ou l’autre de ces définitions n’est pas déterminant dans le cadre de l’examen du présent recours. L’argumentation de la Commission, quel que soit le choix retenu entre ces deux définitions, est, à notre avis, bien fondée lorsqu’elle soutient que l’interprétation donnée à la notion d’«autres formes de publicité», visée à l’article 18, paragraphe 1, de la directive, ne doit pas aboutir à priver d’effet utile la limite horaire énoncée à l’article 18, paragraphe 2, de celle-ci.

75.      En effet, même si les notions qui restreignent la liberté de diffuser des messages publicitaires doivent faire l’objet d’une interprétation restrictive, comme la Cour l’a dit dans l’arrêt ARD, précité, il convient également de tenir compte de l’objectif de la directive, visant à concilier l’exercice de cette liberté avec l’impératif de protection des téléspectateurs contre une diffusion excessive de publicités.

76.      Comme la Commission le rappelle très justement, la protection des consommateurs que sont les téléspectateurs contre la publicité excessive constitue un aspect essentiel des objectifs de la directive (22).

77.      La limite horaire de douze minutes par heure d’horloge énoncée à l’article 18 de la directive représente l’équilibre voulu par le législateur communautaire entre les besoins de financement des organismes de radiodiffusion télévisuelle par la publicité et la protection des téléspectateurs contre une publicité excessive. En d’autres termes, le législateur communautaire a estimé que la possibilité de diffuser des messages publicitaires pendant une durée maximale de douze minutes par heure d’horloge était suffisante pour permettre aux organismes de radiodiffusion télévisuelle de couvrir leurs besoins de financement.

78.      L’effet utile de cette disposition suppose, par conséquent, que les formes de publicité qui peuvent être diffusées en plus de cette durée de douze minutes correspondent exactement à celles qui ont été voulues par le législateur communautaire. Cette exigence s’impose également afin d’assurer l’égalité de traitement de tous les organismes de radiodiffusion télévisuelle, quel que soit l’État membre sur le territoire duquel ils sont établis.

79.      Cette interprétation nous paraît confirmée, si besoin est, par les dispositions de la directive 2007/65, dans laquelle le législateur communautaire a décidé de supprimer la limite quotidienne et de ne conserver que la limite horaire, parce que seule cette dernière est susceptible de limiter la diffusion de la publicité aux heures auxquelles l’audience est la plus importante et, partant, de faire respecter l’équilibre susmentionné (23).

80.      Or, comme la Commission l’a parfaitement démontré dans le présent recours, la thèse du Royaume d’Espagne va manifestement à l’encontre de cet objectif. Selon cet État membre, en effet, la notion de spots publicitaires devrait être définie au vu d’un ensemble de critères et être écartée chaque fois que la forme de publicité en cause diffère un peu, au regard de l’un ou l’autre de ces critères, de la définition de la notion de «spots publicitaires» énoncée dans l’arrêt RTI e.a., précité.

81.      Cette thèse revient à laisser aux autorités compétentes de chaque État membre le pouvoir de définir au cas par cas la notion de spots publicitaires et, partant, à priver la limite horaire prévue à l’article 18, paragraphe 2, de la directive d’une grande partie de son effet utile.

82.      C’est pourquoi nous sommes d’avis que le présent recours en manquement est bien fondé, et cela y compris en ce qui concerne les spots publicitaires de parrainage, appelés euroclaquettes.

83.      En effet, selon la définition de cette forme de publicité dans les critères interprétatifs de la loi espagnole, il s’agit d’un type particulier de spot dans lequel l’annonce du parrainage d’un programme et la publicité du parrain sont faites simultanément.

84.      Admettre, comme le Royaume d’Espagne, qu’une telle forme de publicité relève de la notion d’autres formes de publicité et puisse être ainsi diffusée en dehors de la limite horaire de douze minutes revient à permettre aux organismes de radiodiffusion télévisuelle et aux opérateurs économiques cherchant à promouvoir leurs produits ou services de contourner cette limite.

85.      Il leur suffit, en effet, d’accompagner le message publicitaire incitant à l’achat de leurs produits ou services d’une annonce de parrainage pour échapper à ladite limite. La Commission est donc bien fondée, selon nous, à soutenir que, en vertu de l’article 17 de la directive, les annonces de parrainage pouvant être diffusées en dehors de la limite horaire sont uniquement celles qui n’incitent pas à l’achat de produits ou de services particuliers du parrain.

86.      Le Royaume d’Espagne, si la Cour partage notre position, devra supporter les dépens de la présente procédure en vertu de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour. Le Royaume-Uni devra conserver la charge de ses dépens en vertu de l’article 69, paragraphe 4, premier alinéa, de ce même règlement.

V –    Conclusion

87.      Au vu des considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de:

–        déclarer le présent recours en manquement bien fondé en ce qu’il est fait grief au Royaume d’Espagne d’avoir, en tolérant des violations flagrantes, répétées et graves des règles énoncées à l’article 18, paragraphe 2, de la directive 89/552/CEE du Conseil, du 3 octobre 1989, visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à l’exercice d’activités de radiodiffusion télévisuelle, telle que modifiée par la directive 97/36/CE du Parlement européen et du Conseil, du 30 juin 1997, manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 3, paragraphe 2, de la directive 89/552, telle que modifiée, en liaison avec l’article 10 CE;

–        condamner le Royaume d’Espagne à supporter les dépens ainsi que le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord à supporter ses propres dépens.


1 – Langue originale: le français.


2 – Directive 89/552/CEE du Conseil, du 3 octobre 1989, visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à l’exercice d’activités de radiodiffusion télévisuelle (JO L 298, p. 23), telle que modifiée par la directive 97/36/CE du Parlement européen et du Conseil, du 30 juin 1997 (JO L 202, p. 60, ci-après la «directive»).


3 – Cinquième à onzième considérants de la directive.


4 – Vingt-septième considérant de la directive.


5 – Idem. Voir, également, point 3 de la communication interprétative de la Commission relative à certains aspects des dispositions de la directive «Télévision sans frontières» concernant la publicité télévisée (JO 2004, C 102, p. 2).


6 – Directive du 11 décembre 2007 modifiant la directive 89/552/CEE du Conseil visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à l’exercice d’activités de radiodiffusion télévisuelle (JO L 332, p. 27).


7 – C‑320/94, C‑328/94, C‑329/94 et C‑337/94 à C‑339/94, Rec. p. I‑6471.


8 – Point 31.


9 – Points 32 et 34.


10 – Voir p. 6 des critères interprétatifs des émissions publicitaires appliqués par la sous-direction générale des contenus de la société d’information dans le cadre de ses services d’inspection et de contrôle (criterios interpretativos de emisiones publicitarias aplicados por la subdirección general de contenidos de la S.I. en sus servicios de inspección y control), du 17 décembre 2001 (ci-après les «critères interprétatifs de la loi espagnole»).


11 – Point 25 de la communication interprétative de la Commission mentionnée à la note en bas de page 5.


12 – C‑6/98, Rec. p. I‑7599.


13 – Point 30.


14 – Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 89/552 [COM(95) 86 final].


15 – Point 2.4.4.


16 – Résolution législative portant avis du Parlement européen sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil concernant la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à l’exercice d’activités de radiodiffusion télévisuelle (JO 1996, C 65, p. 96). Le Parlement proposait de rédiger l’article 18 de la manière suivante:


«1. Le temps de transmission consacré à la publicité ne doit pas dépasser 15 % du temps de transmission quotidien.


Le pourcentage total de publicité et de téléachat (à l’exclusion des créneaux de téléachat d’une durée minimum de quinze minutes) ne doit pas dépasser 20 % du temps de transmission quotidien; cela ne s’applique pas aux services exclusivement consacrés au téléachat.


2. Le temps de transmission total consacré à toute forme de publicité, y compris les spots de téléachat, à l’intérieur d’une période donnée d’une heure horloge ne doit pas dépasser 20 %. La proportion d’annonces publicitaires diffusées au cours d’un long métrage ne doit pas dépasser 15 % de la durée prévue du film.»


17 – Proposition modifiée de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 89/552 [COM(96) 200 final].


18 – Voir exposé des motifs, point 2.2, p. 7.


19 – Voir, à propos des notions de «publicité télévisée» et de «téléachat» visées à l’article 1er de la directive, arrêt du 18 octobre 2007, Österreichischer Rundfunk (C‑195/06, Rec. p. I‑8817, point 24 et jurisprudence citée).


20 – Points 29 et 30. Il s’agissait du point de savoir si, pour calculer la période de 45 minutes prévue à l’article 11, paragraphe 3, de la directive afin de déterminer le nombre d’interruptions publicitaires autorisées dans la diffusion de longs métrages, la durée des publicités devait ou non être incluse dans cette période.


21 – Voir trente-sixième et trente-septième considérants de la directive 97/36.


22 – Arrêt Österreichischer Rundfunk, précité (point 27 et jurisprudence citée).


23 – Cinquante-neuvième considérant de la directive 2007/65.