CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
Mme ELEANOR Sharpston
présentées le 29 juillet 2010 (1)
Affaire C‑156/09
Finanzamt Leverkusen
contre
Verigen Transplantation Service International AG
[demande de décision préjudicielle formée par le Bundesfinanzhof (Allemagne)]
«TVA – Lieu des prestations de services – Exonérations – Extraction, culture et réimplantation de cellules de cartilage»
1. En l’espèce, la procédure au principal concerne le traitement en matière de TVA d’une technique d’ingénierie portant sur des tissus humains dans le cadre de laquelle des cellules sont extraites de matériel cartilagineux articulaire prélevé sur un patient, sont cultivées dans un laboratoire et sont préparées (avec ou sans intégration dans une membrane en collagène) en vue de leur réimplantation dans le corps du patient.
2. Le Bundesfinanzhof (Cour fédérale des finances, Allemagne) souhaite savoir si les services de laboratoire constituent des «travaux portant sur des biens meubles corporels» aux fins de la législation de l’Union européenne en matière de TVA (si tel était le cas, cela aurait une incidence sur le lieu où ces services sont réputés être fournis lorsque le preneur et le prestataire sont établis dans des États membres différents) ou s’ils doivent être classés parmi les «prestations de soins à la personne» (auquel cas ils seraient exonérés de TVA).
Législation de l’Union en matière de TVA pertinente en l’espèce
3. La procédure au principal concerne des services fournis en 2002, si bien que la législation de l’Union qui est pertinente en l’espèce est la sixième directive (2).
4. En vertu de l’article 9, paragraphe 1, de cette directive, le lieu d’une prestation de services est réputé se situer, essentiellement, à l’endroit où le prestataire a établi le siège de son activité économique, un établissement stable, son domicile ou sa résidence habituelle (3).
5. L’article 9, paragraphe 2, sous c), précise, néanmoins, que le lieu des prestations de services ayant pour objet, entre autres, des «travaux portant sur des biens meubles corporels» est l’«endroit où ces prestations sont matériellement exécutées» (4).
6. Cependant, l’article 28 ter, F, de la sixième directive dispose:
«Par dérogation à l’article 9 paragraphe 2 point c), le lieu des prestations de services ayant pour objet des expertises ou des travaux portant sur des biens meubles corporels, rendues à des preneurs identifiés à la taxe sur la valeur ajoutée dans un État membre autre que celui à l’intérieur duquel ces prestations sont matériellement exécutées, est réputé se situer sur le territoire de l’État membre qui a attribué au preneur le numéro d’identification à la taxe sur la valeur ajoutée sous lequel le service lui a été rendu.
Cette dérogation ne s’applique pas lorsque les biens ne font pas l’objet d’une expédition ou d’un transport en dehors de l’État membre où les services ont été matériellement exécutés» (5).
7. L’article 13, A, paragraphe 1, de la sixième directive énumère les exonérations de TVA «en faveur de certaines activités d’intérêt général». Il dispose, en particulier, ce qui suit:
«Sans préjudice d’autres dispositions communautaires, les États membres exonèrent, dans les conditions qu’ils fixent en vue d’assurer l’application correcte et simple des exonérations prévues ci-dessous et de prévenir toute fraude, évasion et abus éventuels:
[…]
b) l’hospitalisation et les soins médicaux ainsi que les opérations qui leur sont étroitement liées, assurés par des organismes de droit public ou, dans des conditions sociales comparables à celles qui valent pour ces derniers, par des établissements hospitaliers, des centres de soins médicaux et de diagnostic et d’autres établissements de même nature dûment reconnus;
c) les prestations de soins à la personne effectuées dans le cadre de l’exercice des professions médicales et paramédicales telles qu’elles sont définies par l’État membre concerné;
[…]» (6).
Faits, procédure et questions déférées
8. Le Bundesfinanzhof explique que Verigen Transplantation Service International AG (ci‑après «Verigen») est une entreprise de biotechnologie établie en Allemagne, opérant dans le domaine de l’ingénierie tissulaire. Elle a pour objet la recherche, le développement, la production et la commercialisation de technologies de diagnostic et de thérapie des maladies des tissus, en particulier des maladies des cartilages, chez l’homme. Le litige porte sur les transactions de Verigen impliquant la culture de chondrocytes autologues (les propres cellules de cartilage articulaire du patient) dans des cas où les preneurs auxquels le service est fourni (médecins ou cliniques) sont établis dans d’autres États membres et où Verigen a indiqué leur numéro d’identification à la TVA dans ses factures.
9. Le médecin ou la clinique envoie à Verigen du matériel cartilagineux biopsié prélevé sur le patient. Verigen traite le tissu de manière à ce que les chondrocytes puissent en être extraits. Après préparation dans leur propre sérum sanguin dans un incubateur, ils sont multipliés par culture, en règle générale durant trois à quatre semaines. Les cellules obtenues peuvent ou non être introduites dans une membrane en collagène pour produire un «pansement cartilagineux». Dans les deux cas, elles sont envoyées au médecin traitant du patient ou à la clinique pour être réimplantées.
10. Verigen a traité ces services comme non imposables à la TVA lorsqu’ils étaient fournis à des preneurs établis dans d’autres États membres. L’autorité fiscale les a, cependant, considérés comme taxables et a déterminé la taxe pour l’année litigieuse.
11. Au cours de la procédure ultérieure, Verigen a fait valoir que la culture de cellules de cartilage ne constituait pas des soins médicaux ni une prestation de soins à la personne. Il s’agissait plutôt de «services courants de laboratoire» réalisés par des assistants biotechniques ou médico‑techniques. Les contrôles de qualité nécessaires étaient effectués par un diplômé en pharmacie et par un pharmacien externe.
12. En première instance, le Finanzgericht (tribunal des finances) a fait droit au recours introduit par Verigen. Il a jugé que la culture de cellules était un service qui devait être considéré comme constituant des «travaux portant sur des biens meubles corporels». Lorsqu’ils sont séparés du corps, les organes prélevés en vue d’une transplantation constitueraient aussi des biens meubles. La question de savoir si la partie du corps prélevée est ensuite utilisée pour une autogreffe ou une transplantation sur un tiers ne pourrait avoir aucune incidence en ce qui concerne le rattachement à la notion de «biens meubles corporels». Il ressortait des factures émises par Verigen que les preneurs établis dans d’autres États membres avaient utilisé les numéros d’identification à la TVA attribués par leurs États membres respectifs. Les transactions ne seraient donc pas taxables en Allemagne.
13. Dans son pourvoi, l’autorité fiscale soutient que les cellules ne deviennent pas des biens meubles du fait de leur brève séparation du corps et que la culture de cellules ne constitue pas des «travaux». Il n’existerait pas non plus d’«utilisation» du numéro d’identification à la TVA attribué dans l’autre État membre – cela aurait exigé un accord exprès préalable à la prestation du service.
14. La juridiction de renvoi considère que la remise des cellules cartilagineuses cultivées au médecin traitant du patient ou à la clinique ne constitue pas une livraison de biens, mais que la culture de cellules est une prestation de services, puisque Verigen ne peut pas disposer librement du matériel cartilagineux comme un propriétaire, mais est tenue de renvoyer les cellules qui ont été cultivées. La culture de cellules n’est pas imposable en Allemagne lorsque ce service est fourni dans un autre État membre. Tel n’est, cependant, le cas que si, interprété correctement, l’article 28 ter, F, de la sixième directive couvre le service fourni par Verigen. Si cette interprétation de l’article 28 ter, F, n’est pas correcte, la transaction doit être imposable en Allemagne, à moins qu’elle puisse être considérée comme constituant une «prestation de soins à la personne» au sens de l’article 13, A, paragraphe 1, sous c).
15. Le Bundesfinanzhof demande, par conséquent, à la Cour de statuer sur les questions suivantes:
«1) L’article 28 ter, F, premier alinéa, de la sixième directive […] doit-il être interprété en ce sens que:
a) le matériel cartilagineux prélevé sur un être humain […] qui est remis à une entreprise en vue d’une culture cellulaire et qui est ensuite rendu en tant qu’implant pour le patient en cause constitue un ‘bien meuble corporel’ au sens de cette disposition,
b) l’extraction des cellules de cartilage articulaire dudit matériel cartilagineux et la culture cellulaire ultérieure constituent des ‘travaux’ portant sur des biens meubles corporels au sens de cette disposition,
c) le service a été fourni au bénéficiaire sous son ‘numéro d’identification à la taxe sur la valeur ajoutée’ dès lors que ce numéro est indiqué dans la facture du prestataire du service, sans qu’une convention écrite expresse ait été conclue sur son utilisation?
2) En cas de réponse négative à l’une des questions précédentes: l’article 13, A, paragraphe 1, sous c), de la sixième directive […] doit-il être interprété en ce sens que l’extraction des cellules de cartilage articulaire du matériel cartilagineux prélevé sur un être humain et la culture cellulaire ultérieure constituent une ‘prestation de soins à la personne’ lorsque les cellules issues de la culture cellulaire sont réimplantées au donneur?»
16. Des observations écrites ont été présentées par les gouvernements allemand et espagnol, ainsi que par la Commission européenne. Aucune audience n’a été demandée et il n’en a pas été organisé. La Cour a décidé que les présentes conclusions seraient différées pour tenir compte des arrêts rendus dans les affaires CopyGene (7) et Future Health Technologies (8), qui concernent des problèmes liés à la seconde question. Ces arrêts ont été rendus le 10 juin 2010.
Appréciation
17. Bien que la juridiction de renvoi pose sa seconde question uniquement pour le cas où il serait répondu négativement à la première, l’ordre des questions pourrait aisément être inversé. Si, comme la Commission le suggère, le service en cause constitue en fait une prestation de soins à la personne, au sens de l’article 13, A, paragraphe 1, sous c), de la sixième directive, les transactions seront exonérées indépendamment du lieu où elles sont (réputées être) effectuées. J’aborderai donc d’abord la seconde question.
La seconde question
18. La jurisprudence relative à la notion de «prestation de soins à la personne» a été très récemment exposée dans les arrêts CopyGene et Future Health Technologies (9) et peut être résumée comme suit.
19. Les exonérations visées à l’article 13 de la sixième directive constituent des notions autonomes du droit de l’Union européenne ayant pour objet d’éviter des divergences dans l’application du régime de la TVA entre les États membres. Elles ne visent pas à exonérer de la TVA toutes activités d’intérêt général, mais uniquement celles qui y sont énumérées et décrites de manière détaillée. Les termes employés sont d’interprétation stricte, en tant que dérogations au principe général selon lequel la TVA est perçue sur tous les biens et services fournis à titre onéreux par un assujetti. Toutefois, leur interprétation doit être conforme aux objectifs poursuivis par les exonérations et respecter le principe de neutralité fiscale inhérent au système de TVA. Ainsi, cette règle d’interprétation stricte ne doit pas conduire à priver les exonérations de leurs effets.
20. S’agissant des prestations de nature médicale, l’article 13, A, paragraphe 1, sous b), vise des prestations accomplies dans le milieu hospitalier alors que le point c) de ce paragraphe vise des prestations médicales fournies en dehors d’un tel cadre – au domicile privé du prestataire, au domicile du patient ou en tout autre lieu. Les points b) et c) de l’article 13, A, paragraphe 1, dont les champs d’application sont distincts, ont, par conséquent, pour objet de réglementer la totalité des exonérations des prestations médicales au sens strict.
21. En conséquence, la notion de «soins médicaux» figurant à l’article 13, A, paragraphe 1, sous b), et celle de «prestations de soins à la personne» figurant au même paragraphe, sous c), visent toutes deux des prestations ayant pour but de diagnostiquer, de soigner et, dans la mesure du possible, de guérir des maladies ou des anomalies de santé. Si les deux types de prestation de services doivent avoir un but thérapeutique, il ne s’ensuit pas nécessairement que la finalité thérapeutique d’une prestation doive être comprise dans une acception particulièrement étroite. De plus, les deux exonérations ont pour objectif de réduire le coût des soins de santé.
22. En l’espèce, la Commission et le gouvernement allemand considèrent tous deux que le service en cause poursuit un objectif thérapeutique. Le gouvernement espagnol ne se rallie pas à cette opinion et fait valoir, de manière très laconique, qu’il s’agit seulement de traitements de laboratoire courants dans le domaine de l’ingénierie tissulaire. Je partage l’avis de la Commission et du gouvernement allemand.
23. Il n’est pas contesté, et ne peut être mis en doute, que le processus décrit – extraction, culture et réimplantation de chondrocytes autologues – a globalement un objectif thérapeutique. Il est vrai que les services spécifiques fournis par Verigen constituent seulement une partie de ce processus global. Cependant, ils représentent une partie essentielle, intrinsèque et indissociable du processus, dont aucune phase ne peut être utilement mise en œuvre indépendamment des autres.
24. Les services en cause relèvent donc d’un type couvert par la notion de «prestation de soins à la personne» figurant à l’article 13, A, paragraphe 1, sous c), de la sixième directive. Il n’y a pas non plus de raison de les exclure de l’exonération au motif qu’ils sont fournis par du personnel de laboratoire dont les membres ne sont pas des médecins qualifiés. Comme la Commission l’indique, il n’est pas nécessaire qu’une prestation de soins à caractère thérapeutique soit, sous tous les aspects, effectuée par du personnel médical (10). Il a, en effet, été jugé spécifiquement que des analyses médicales prescrites par des médecins généralistes et effectuées par un laboratoire extérieur de droit privé sont susceptibles de relever de la notion de soins médicaux ou de prestation de soins à la personne, même si la nécessité d’un traitement spécifique n’est, éventuellement, pas préalablement prouvée (11).
25. En outre, comme le gouvernement allemand le fait observer, il n’est pas nécessaire de subordonner (comme la formulation de la question de la juridiction nationale pourrait le donner à penser) la qualification en tant que soins médicaux ou que prestations de soins à la personne à la condition que les cellules cultivées soient réimplantées chez le patient chez lequel elles ont été initialement prélevées. Des transfusions sanguines ou des greffes d’organes du corps d’une personne à une autre constituent manifestement des soins médicaux ou des prestations de soins à la personne (12).
26. Cependant, le gouvernement allemand laisse aussi entendre – bien que ce soit sans proposer de conclusion définitive – que la qualification des services en cause comme prestations de soins à la personne pourrait aller à l’encontre du principe de neutralité fiscale (dans la mesure où il vise à éviter les distorsions de concurrence (13)) en ce que le «pansement cartilagineux» produit est fonctionnellement comparable à un produit pharmaceutique, qui ne serait pas exonéré de la TVA, mais pourrait seulement être soumis à un taux réduit (14).
27. Je ne suis pas convaincue.
28. La qualification d’un service comme soin médical ou comme prestation de soins à la personne ne peut dépendre du point de savoir si un produit pharmaceutique de substitution est disponible. Certains types de soins peuvent déjà être remplacés par des produits pharmaceutiques de substitution, tandis que cette possibilité n’existe pas pour d’autres, mais est susceptible d’exister dans le futur, si bien que ces deux catégories sont en évolution constante. De fait, dans diverses catégories de TVA, beaucoup de types de biens et de services sont susceptibles d’être substitués à d’autres, dans certaines circonstances. Cependant (sans préjudice du droit pour chaque État membre, dans les limites du pouvoir discrétionnaire que lui laisse la sixième directive, de soumettre certaines exonérations à des conditions visant à éviter des distorsions de concurrence – distorsions dont rien ne fait présumer l’existence en l’espèce), la question de savoir si un service constitue un soin médical ou une prestation de soins à la personne ne peut dépendre que de sa nature propre et non de celle de ses substituts.
29. Je voudrais, en outre, faire observer qu’il est loin d’être évident de déterminer si un service exonéré (qui ne supporte aucune TVA en aval, mais sur les éléments constitutifs du prix duquel aucune TVA ne peut être déduite en amont) est susceptible d’être avantagé ou désavantagé sur le plan de la concurrence par comparaison avec un produit qui supporte en aval une TVA à taux réduit, s’accompagnant du droit de déduire la TVA acquittée en amont.
30. Je considère donc que des services du type décrit relèvent de la notion de soins médicaux ou de prestations de soins à la personne figurant à l’article 13, A, paragraphe 1, de la sixième directive et sont donc exonérés de TVA conformément, selon le cas, aux points b) ou c) de cette disposition. Il n’est pas nécessaire de déterminer le lieu de prestation de ces services, puisqu’ils relèvent de l’exonération où qu’ils soient fournis.
La première question
31. Eu égard à la réponse que je propose de donner à la seconde question de la juridiction nationale, il n’est pas nécessaire de répondre à sa première question. Néanmoins, je formulerai les brefs commentaires suivants pour le cas où la Cour déciderait de répondre à la question.
32. La première partie de la question vise à savoir si le matériel cartilagineux biopsié en question constitue un «bien meuble corporel» aux fins de l’article 28 ter, F, de la sixième directive. Tous ceux qui ont présenté des observations considèrent que tel est le cas et je partage cet avis.
33. Les cellules de cartilage sont indéniablement à la fois meubles (comme le gouvernement allemand le relève, la question ne se pose que parce qu’elles sont envoyées d’un État membre dans un autre) et corporelles et, bien que des cellules humaines puissent ne pas constituer le type de «bien» le plus caractéristique (15), il est, néanmoins, évident qu’elles peuvent aisément rentrer dans cette catégorie (16).
34. La seconde partie de la question porte sur le point de savoir si les procédures mises en œuvre par Verigen constituent des «travaux» sur ces cellules aux fins de la même disposition. De nouveau, ceux qui ont présenté des observations considèrent que tel est le cas et, cette fois encore (s’il fallait répondre négativement à la seconde question), je partage leur avis.
35. Dans l’arrêt Linthorst, Pouwels en Scheres (17), la Cour a noté que la phrase «travaux portant sur des biens meubles corporels» évoque, dans son sens commun, une intervention simplement physique qui, de nature, est en principe non scientifique ni intellectuelle et ne vise pas les fonctions principales d’un vétérinaire, qui consistent fondamentalement dans le traitement des animaux conformément aux règles scientifiques – même s’il peut nécessiter une intervention physique sur l’animal, cela n’est pas suffisant pour qu’il soit qualifié de travail.
36. Il appartiendra à la juridiction nationale de déterminer si les procédures mises en œuvre par Verigen sont «scientifiques» ou «intellectuelles» dans ce sens. Il me semble que la limite que la Cour a tenté de tracer en la matière se situe entre la simple application courante de connaissances ou de compétences scientifiques reconnues et l’innovation, fondée sur ces connaissances ou compétences, consistant, par exemple, à interpréter des données ou à adapter des procédures. L’ordonnance de renvoi donne à penser que les services en cause relèvent de la première catégorie.
37. La troisième partie de la question porte essentiellement sur le point de savoir si la phrase «preneurs identifiés à la taxe sur la valeur ajoutée», figurant à l’article 28 ter, F, de la sixième directive, concerne tous ceux dont le numéro d’identification à la TVA est indiqué dans la facture ou uniquement ceux qui ont accepté par écrit que ce numéro soit utilisé dans la facture. Sur ce point, le gouvernement allemand et la Commission (le gouvernement espagnol n’a pas exprimé d’opinion sur ce point) sont d’avis divergents.
38. Le gouvernement allemand estime, essentiellement, que la référence au numéro d’identification à la TVA «sous lequel» le service a été rendu au preneur exige une convention bilatérale tacite ou expresse prévoyant que la taxation doit être soumise aux modalités visées à l’article 28 ter, F. Cela, selon lui, assurerait la sécurité juridique, ce qui ne serait pas le cas dans une situation où le prestataire indique (ou non) unilatéralement le numéro d’identification à la TVA du preneur, en laissant ce dernier dans l’incertitude, jusqu’à l’émission de la facture, quant au point de savoir qui sera redevable de la taxe.
39. La Commission fait observer que le système prévu à l’article 28 ter, F, exonère la prestation de la TVA dans l’État membre où elle est effectuée tandis que le preneur devient redevable de la taxe (déductible) en amont dans son propre État membre – une simplification de la procédure qui, sinon, aurait pu avoir lieu sur la base de la huitième directive (18). Il devrait s’appliquer chaque fois que le preneur informe le prestataire (par exemple, dans le document par lequel il passe la commande) qu’il a un numéro d’identification à la TVA dans son propre État membre. Aucune autre condition ne serait requise. Si l’application de ce système était subordonnée à un accord entre les parties, le lieu de la prestation ne serait plus uniforme, comme le prévoit la directive 95/7 (19).
40. Je souscris aux arguments développés sur ce point par la Commission.
Conclusion
41. À la lumière des considérations qui précèdent, j’estime que la Cour doit répondre dans les termes suivants au Bundesfinanzhof:
«Si l’on interprète correctement l’article 13, A, paragraphe 1, sous c), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, l’extraction de cellules de cartilage articulaire de matériel cartilagineux biopsié prélevé sur un être humain et leur culture ultérieure, visant à leur réimplantation à des fins thérapeutiques, constituent une ‘prestation de soins à la personne’, indépendamment du point de savoir si les cellules obtenues à la suite de la culture sont destinées à être réimplantées au donneur ou à une autre personne.»
1 – Langue originale: l’anglais.
2 – Sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1), remplacée, avec effet au 1er janvier 2007, par la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO L 347, p. 1), qui comporte les mêmes dispositions, avec une structure et une formulation remaniées.
3 – Voir article 45 de la directive 2006/112.
4 – Voir article 52, sous c), de la directive 2006/112.
5 – Voir article 55 de la directive 2006/112. L’article 28 ter, F, a été introduit par la directive 95/7/CE du Conseil, du 10 avril 1995, modifiant la directive 77/388 et portant nouvelles mesures de simplification en matière de taxe sur la valeur ajoutée – champ d’application de certaines exonérations et modalités pratiques de leur mise en œuvre (JO L 102, p. 18), dont le dixième considérant précise que le but était de faciliter les échanges intracommunautaires dans le domaine des travaux sur biens meubles corporels.
6 – Voir articles 131 et 132, paragraphe 1, sous b) et c), de la directive 2006/112.
7 – C‑262/08, non encore publié au Recueil.
8 – C‑86/09, non encore publié au Recueil.
9 – Arrêts cités respectivement aux notes 7 et 8 ci‑dessus. Voir, en particulier, points 24 à 30 de l’arrêt CopyGene et points 28 à 30, 36, 37 et 40 de l’arrêt Future Health Technologies, ainsi que la jurisprudence qui y est citée. Voir aussi mes conclusions dans l’affaire CopyGene, points 30 et suiv.
10 – Voir arrêt du 10 septembre 2002, Kügler (C‑141/00, Rec. p. I‑6833, en particulier point 41).
11 – Voir arrêt du 8 juin 2006, L.u.P. (C‑106/05, Rec. p. I‑5123, en particulier point 39).
12 – Voir, par analogie, arrêt CopyGene, point 51, et points 46 et suiv. de mes conclusions dans la même affaire.
13 – On peut noter que (bien qu’il ne soit pas strictement pertinent pour la présente analyse), l’article 13, A, paragraphe 2, sous a), de la sixième directive permet aux États membres de subordonner l’octroi, à des organismes autres que ceux de droit public, de chacune des exonérations prévues, entre autres à l’article 13, A, paragraphe 1, sous b), au respect de certaines conditions, en particulier (quatrième tiret) de la condition qu’elles ne soit pas susceptibles de provoquer des distorsions de concurrence au détriment des entreprises commerciales assujetties à la TVA.
14 – Article 12, paragraphe 3, sous a), troisième tiret, de la sixième directive, en combinaison avec l’annexe H de celle‑ci (article 98, paragraphes 1 et 2, de la directive 2006/112 et point 3 de l’annexe III de celle‑ci).
15 – Note sans objet dans la version française des présentes conclusions.
16 – Un exemple macabre, tragique et controversé est celui des cellules HeLa, initialement prélevées sur le corps d’une femme décédée aux États-Unis en 1951 et multipliées depuis en une «lignée immortelle de cellules» pesant au total plusieurs fois le poids de son corps vivant et utilisée pour la recherche médicale à travers le monde (voir Skloot, R., The Immortal Life of Henrietta Lacks, Crown, New York, 2010).
17 – Arrêt du 6 mars 1997 (C‑167/95, Rec. p. I‑1195, points 15 et suiv.).
18 – Huitième directive 79/1072/CEE du Conseil, du 6 décembre 1979, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Modalités de remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée aux assujettis non établis à l’intérieur du pays (JO L 331, p. 11).
19 – Voir note 5 ci‑dessus.