Affaire T-211/08

Putters International NV

contre

Commission européenne

« Concurrence — Ententes — Marché des services de déménagements internationaux en Belgique — Décision constatant une infraction à l’article 81 CE — Fixation des prix — Répartition du marché — Manipulation des appels d’offres — Infraction unique et continue — Amendes — Lignes directrices pour le calcul des amendes de 2006 — Gravité — Durée »

Sommaire de l'arrêt

1.      Concurrence — Ententes — Accords et pratiques concertées constitutifs d'une infraction unique

(Art. 81, § 1, CE)

2.      Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Chiffre d'affaires

(Communication de la Commission 2006/C 210/02, § 13)

3.      Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Imposition du montant maximal à une entreprise

(Règlement du Conseil nº 1/2003, art. 23, § 2; communication de la Commission 2006/C 210/02)

1.      Il serait artificiel de subdiviser un comportement continu, caractérisé par une seule finalité, en y voyant plusieurs infractions distinctes, alors qu’il s’agit au contraire d’une infraction unique qui s’est progressivement concrétisée tant par des accords que par des pratiques concertées.

Dans de telles circonstances, une entreprise ayant participé à une infraction par des comportements qui lui étaient propres, qui relevaient des notions d’accord ou de pratique concertée ayant un objet anticoncurrentiel au sens de l’article 81, paragraphe 1, CE et qui visaient à contribuer à la réalisation de l’infraction dans son ensemble est également responsable, pour toute la période de sa participation à ladite infraction, des comportements mis en œuvre par d’autres entreprises dans le cadre de la même infraction.

Afin d’établir l’existence d’une infraction unique et continue, la Commission doit prouver que l’entreprise entendait contribuer par son propre comportement aux objectifs communs poursuivis par l’ensemble des participants et qu’elle avait connaissance des comportements matériels envisagés ou mis en œuvre par d’autres entreprises dans la poursuite des mêmes objectifs, ou qu’elle pouvait raisonnablement les prévoir et qu’elle était prête à en accepter le risque.

En effet, des ententes ne peuvent être considérées comme des éléments constitutifs d’un accord anticoncurrentiel unique que s’il est établi qu’elles s’inscrivent dans un plan global poursuivant un objectif commun. En outre, ce n’est que si l’entreprise, lorsqu’elle a participé à ces ententes, a su ou aurait dû savoir que, ce faisant, elle s’intégrait dans l’accord unique, que sa participation aux ententes concernées peut constituer l’expression de son adhésion à cet accord.

Ainsi, trois conditions doivent être réunies afin d’établir la participation à une infraction unique et continue, à savoir l’existence d’un plan global poursuivant un objectif commun, la contribution intentionnelle de l’entreprise à ce plan et le fait qu’elle avait connaissance (prouvée ou présumée) des comportements infractionnels des autres participants.

Une infraction unique et continue peut très bien poursuivre le double objectif d’influencer les prix et de répartir le marché. En outre, la simple circonstance que chaque entreprise participe à l’infraction dans des formes qui lui sont propres n’affecte pas la qualification de l’infraction d’infraction unique et continue.

(cf. points 31-35, 41)

2.      Le paragraphe 13 des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement nº 1/2003, prévoit que : « En vue de déterminer le montant de base de l’amende à infliger, la Commission utilisera la valeur des ventes de biens ou services, réalisées par l’entreprise, en relation directe ou indirecte avec l’infraction […] ». Il ne ressort pas de cette disposition que seule la valeur des ventes résultant des opérations réellement affectées par les pratiques infractionnelles peut être prise en considération pour calculer la valeur des ventes pertinente. Ainsi, le libellé du paragraphe 13 desdites lignes directrices fait référence aux « ventes […] en relation directe ou indirecte avec l’infraction » et non aux « ventes affectées par l’infraction ». La formulation du paragraphe 13 vise donc les ventes réalisées sur le marché pertinent.

Cette interprétation est confortée par l’objectif des règles de concurrence de l'Union. Pour déterminer le montant de base des amendes à infliger dans les affaires portant sur des ententes, la Commission n'a pas l'obligation dans chaque cas d’établir quelles sont les ventes individuelles qui ont été affectées par l’entente. En effet, une telle obligation n’a jamais été imposée par les juridictions de l’Union et rien n’indique que la Commission avait l’intention de s’imposer une telle obligation dans lesdites lignes directrices.

En outre, la part du chiffre d’affaires provenant des marchandises faisant l’objet de l’infraction est de nature à donner une juste indication de l’ampleur d’une infraction sur le marché concerné. En particulier, le chiffre d’affaires réalisé sur les produits ayant fait l’objet d’une pratique restrictive constitue un élément objectif qui donne une juste mesure de la nocivité de cette pratique pour le jeu normal de la concurrence.

(cf. points 57-61)

3.      Le seul fait que l’amende finalement infligée s’élève à 10 % du chiffre d’affaires de l'entreprise concernée, alors que ce pourcentage est plus faible pour d’autres participants à l’entente, ne peut constituer une violation du principe d’égalité de traitement ou de proportionnalité. En effet, cette conséquence est inhérente à l’interprétation du plafond de 10 % comme simple seuil d’écrêtement qui est appliqué après une éventuelle réduction de l’amende en raison de circonstances atténuantes ou du principe de proportionnalité.

Cependant, la multiplication du montant déterminé en fonction de la valeur des ventes par le nombre d’années de participation à l’infraction peut impliquer que, dans le cadre des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement nº 1/2003, l’application du plafond de 10 % prévu audit article 23, paragraphe 3, soit désormais la règle plutôt que l’exception pour toute entreprise qui opère principalement sur un seul marché et qui a participé pendant plus d’un an à une entente. Dans ce cas, toute différenciation en fonction de la gravité ou de circonstances atténuantes ne sera normalement plus susceptible de se répercuter sur une amende qui a été écrêtée afin d’être ramenée à 10 %. L’absence de différenciation en ce qui concerne l’amende finale qui en résulte représente une problématique, au regard du principe d’individualité des peines et des sanctions, qui est inhérente à la nouvelle méthodologie. Elle peut nécessiter que le Tribunal exerce pleinement sa compétence de pleine juridiction dans les cas concrets où la seule application desdites lignes directrices ne permet pas une différenciation appropriée.

(cf. points 74-75)







ARRÊT DU TRIBUNAL (huitième chambre)

16 juin 2011(*)

« Concurrence – Ententes – Marché des services de déménagements internationaux en Belgique – Décision constatant une infraction à l’article 81 CE – Fixation des prix – Répartition du marché – Manipulation des appels d’offres – Infraction unique et continue – Amendes – Lignes directrices pour le calcul des amendes de 2006 –Gravité – Durée »

Dans l’affaire T‑211/08,

Putters International NV, établie à Cargovil (Belgique), représentée par MK. Platteau, avocat,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. A. Bouquet et F. Ronkes Agerbeek, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation partielle de la décision C (2008) 926 final de la Commission, du 11 mars 2008, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire COMP/38.543 – Services de déménagements internationaux), ainsi que, à titre subsidiaire, une demande d’annulation ou de réduction de l’amende infligée à la requérante,

LE TRIBUNAL (huitième chambre),

composé de MM. S. Papasavvas, faisant fonction de président, N. Wahl et A. Dittrich (rapporteur), juges,

greffier : M. J. Plingers, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 6 mai 2010,

rend le présent

Arrêt

 Faits

1.     Objet du litige

1        Aux termes de la décision C (2008) 926 final de la Commission, du 11 mars 2008, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire COMP/38.543 – Services de déménagements internationaux) (ci-après la « Décision »), dont un résumé est publié au Journal officiel de l’Union européenne du 11 août 2009 (JO C 188, p. 16), la requérante, Putters International NV, a participé à une entente sur le marché des services de déménagements internationaux en Belgique, portant sur la fixation, directe et indirecte, des prix, sur la répartition du marché et sur la manipulation de la procédure faisant appel à la soumission d’offres. La Commission des Communautés européennes expose que l’entente a fonctionné pendant près de 19 ans (d’octobre 1984 à septembre 2003). Ses membres auraient fixé les prix, présenté de faux devis (dits « devis de complaisance », ci-après les « DDC ») aux clients et se seraient dédommagés entre eux pour les offres rejetées par le biais d’un système de compensations financières (ci-après les « commissions »).

2.     Requérante

2        Putters International (ci-après « Putters » ou la « requérante ») existe sous la forme d’une société par actions depuis le 9 janvier 1997. Au cours de l’exercice clos au 31 décembre 2006, Putters a réalisé un chiffre d’affaires mondial consolidé de 3 950 907 euros.

3.     Procédure administrative

3        Selon la Décision, la Commission a ouvert la procédure de sa propre initiative, car elle disposait d’informations indiquant que certaines sociétés belges actives dans le secteur des déménagements internationaux participaient à des accords susceptibles de tomber sous le coup de l’interdiction prévue à l’article 81 CE.

4        Ainsi, sur la base de l’article 14, paragraphe 3, du règlement nº 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81 CE] et [82 CE] (JO 13, p. 204), des vérifications ont été effectuées chez Allied Arthur Pierre NV, Interdean NV, Transworld International NV et Ziegler SA en septembre 2003. À la suite de ces vérifications, Allied Arthur Pierre a introduit une demande d’immunité ou de réduction de l’amende conformément à la communication de la Commission sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 2002, C 45, p. 3, ci-après la « communication sur la coopération de 2002 »). Allied Arthur Pierre a admis sa participation aux accords sur les commissions et sur les DDC, énuméré les concurrents impliqués, notamment un concurrent inconnu précédemment des services de la Commission, et remis des documents corroborant ses déclarations orales.

5        En application de l’article 18 du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 [CE] et 82 [CE] (JO 2003, L 1, p. 1), plusieurs demandes écrites de renseignements ont été adressées aux entreprises impliquées dans les accords anticoncurrentiels, à des concurrents, ainsi qu’à une organisation professionnelle. Le 18 octobre 2006, la communication des griefs a été adoptée et notifiée à plusieurs sociétés. Tous les destinataires y ont répondu. Leurs représentants, à l’exception de ceux d’Amertranseuro International Holdings Ltd, de Stichting Administratiekantoor Portielje, de Team Relocations Ltd et de Trans Euro Ltd, ont fait valoir leur droit d’accès aux documents contenus dans le dossier de la Commission, qui étaient uniquement accessibles dans les locaux de celle-ci. L’accès leur a été donné entre le 6 et le 29 novembre 2006. L’audition s’est tenue le 22 mars 2007.

6        Le 11 mars 2008, la Commission a adopté la Décision.

4.     Décision attaquée

7        La Commission affirme que les destinataires de la Décision, dont la requérante, ont participé à une entente dans le secteur des services de déménagements internationaux en Belgique, ou en sont tenues pour responsables. Les participants à l’entente auraient fixé des prix, se seraient répartis des clients et auraient manipulé la soumission d’offres au moins de 1984 à 2003. De ce fait, ils auraient commis une infraction unique et continue à l’article 81 CE.

8        Selon la Commission, les services concernés comprennent tant le déménagement de biens de personnes physiques, qui sont des particuliers ou des employés d’une entreprise ou d’une institution publique, que le déménagement de biens d’entreprises ou d’institutions publiques. Ces déménagements se caractériseraient par le fait que la Belgique en constitue le point d’origine ou le point de destination. En tenant compte également du fait que les sociétés de déménagements internationaux en cause sont toutes situées en Belgique et que l’activité de l’entente se déroule en Belgique, la Commission a donc considéré que le centre géographique de l’entente était la Belgique.

9        Le chiffre d’affaires cumulé des participants à l’entente pour les services de déménagements internationaux en Belgique a été estimé par la Commission à 41 millions d’euros pour l’année 2002. Comme elle a estimé la taille du secteur à environ 83 millions d’euros, la part de marché cumulée des entreprises impliquées a été fixée à environ 50 %.

10      La Commission expose que l’entente visait notamment à établir et à maintenir des prix élevés et à se répartir le marché de manière concomitante ou successive sous plusieurs formes : des accords sur les prix, des accords sur la répartition du marché moyennant un système d’offre de couverture (les DDC) et des accords sur un système de compensations financières pour des offres rejetées ou des cas d’abstention d’offrir (les commissions).

11      La Commission estime que, entre 1984 et le début des années 90, l’entente a notamment fonctionné sur la base d’accords écrits de fixation des prix. Parallèlement, les commissions et les DDC auraient été introduits. Une commission serait un élément caché du prix final que le consommateur devait payer sans recevoir une prestation équivalente. En effet, elle représenterait une somme d’argent que la société de déménagements ayant obtenu le contrat pour un déménagement international devait aux concurrents qui n’avaient pas obtenu le contrat, que ces derniers aient également présenté une offre ou qu’ils se soient abstenus de le faire. Il s’agirait donc d’une sorte de compensation financière pour les sociétés de déménagements qui n’avaient pas obtenu le contrat. Les membres de l’entente se seraient facturés mutuellement les commissions sur les offres rejetées ou pour lesquelles elles s’étaient abstenues, en faisant état de services fictifs, et le montant de ces commissions aurait été facturé aux clients. La Commission affirme que cette pratique doit être considérée comme une fixation indirecte de prix pour les services de déménagements internationaux en Belgique.

12      Les membres de cette entente auraient également coopéré pour présenter des DDC, qui auraient erronément laissé croire aux clients, c’est-à-dire aux employeurs payant le déménagement, qu’ils pouvaient choisir selon des critères basés sur la concurrence. Un DDC serait un devis factice soumis au client ou à la personne qui déménageait par une société de déménagements qui n’avait pas l’intention d’exécuter le déménagement. Par la soumission de DDC, la société de déménagements qui voulait remporter le contrat (ci-après la « société demandeur ») aurait fait en sorte que l’institution ou l’entreprise reçoive plusieurs devis soit directement, soit indirectement par le biais de la personne qui envisageait de déménager. À cette fin, la société demandeur aurait indiqué à ses concurrents le prix, le taux d’assurance et les frais d’entreposage auxquels ils devaient facturer le service. Ce prix, plus élevé que le prix proposé par la société demandeur, aurait ensuite été indiqué dans les DDC. Selon la Commission, étant donné qu’un employeur choisit normalement la société de déménagements qui offre le prix le plus bas, les sociétés impliquées dans un même déménagement international savaient en principe d’avance laquelle d’entre elles pourrait remporter le contrat pour ce déménagement.

13      En outre, la Commission relève que le prix demandé par la société demandeur pouvait être plus élevé qu’il ne l’aurait été autrement parce que les autres sociétés impliquées dans le même déménagement auraient soumis des DDC dans lesquels figurait un prix indiqué par la société demandeur. À titre d’exemple, la Commission cite, au considérant 233 de la Décision, un courrier électronique interne d’Allied Arthur Pierre en date du 11 juillet 1997 qui indique : « [L]e client a demandé deux [DDC], nous pouvons donc demander un prix élevé. » Dès lors, la Commission fait valoir que la soumission de DDC aux clients était une manipulation de la procédure faisant appel à la soumission d’offres de sorte que les prix indiqués dans toutes les offres auraient été délibérément plus élevés que le prix de la société demandeur, et de toute façon plus élevés qu’ils ne l’auraient été dans un environnement concurrentiel.

14      La Commission soutient que ces arrangements ont été établis jusqu’en 2003. Selon elle, ces activités complexes avaient un même objet de fixer les prix, de répartir le marché et de fausser ainsi la concurrence.

15      En conclusion, la Commission a arrêté le dispositif de la Décision, dont l’article 1er est libellé comme suit :

« Les entreprises suivantes ont enfreint l’article 81, paragraphe 1, [CE] en fixant de façon directe et indirecte des prix pour les services de déménagements internationaux en Belgique, en se répartissant une partie de ce marché et en manipulant la procédure faisant appel à la soumission d’offres durant les périodes indiquées :

[…]

f)      [Putters], du 14 février 1997 au 4 août 2003 ;

[…] »

16      Par conséquent, à l’article 2, sous h), de la Décision, la Commission a infligé une amende de 395 000 euros à la requérante.

17      Aux fins de calculer le montant des amendes, la Commission a fait application, dans la Décision, de la méthodologie exposée dans ses lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 1/2003 (JO 2006, C 210, p. 2, ci-après les « lignes directrices de 2006 »).

 Procédure et conclusions des parties

18      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 4 juin 2008, la requérante a introduit le présent recours.

19      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (huitième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale. Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience qui s’est tenue le 6 mai 2010.

20      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler l’article 1er de la Décision en ce que cette disposition indique qu’elle a commis une infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE ;

–        annuler l’article 2 de la Décision en ce qu’elle lui inflige une amende ;

–        le cas échéant, fixer une amende nettement inférieure au montant fixé par la Commission ;

–        condamner la Commission aux dépens.

21      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

22      La requérante soulève cinq moyens visant l’annulation de la Décision et la suppression ou la réduction de l’amende. Le premier moyen concerne l’application de l’article 81 CE tandis que les autres moyens portent sur le calcul de l’amende.

1.     Sur le premier moyen, relatif à la participation de la requérante à une entente complexe et consolidée

 Arguments des parties

23      La requérante fait grief à la Commission d’avoir commis une erreur manifeste d’appréciation en posant qu’elle a participé à une entente complexe et consolidée, alors qu’elle n’aurait fait que participer, de manière sporadique, à des pratiques portant sur des commissions et des DDC.

24      Premièrement, la requérante prétend que les objectifs des accords sur les prix, d’une part, et des accords sur les commissions et les DDC, d’autre part, sont totalement différents. Les accords sur les commissions et les DDC n’auraient pas visé à fixer les prix, même de manière indirecte. Deuxièmement, les parties à l’accord sur les prix, d’une part, et aux accords sur les commissions et les DDC, d’autre part, ne seraient pas les mêmes. Troisièmement, la requérante soutient qu’elle n’a pas fait partie d’un plan général. Bien qu’une entente complexe ait existé s’agissant d’un petit groupe d’entreprises, elle n’aurait pas appartenu à ce noyau dur et affirme ignorer les accords sur les prix. Quatrièmement, elle souligne l’importante différence qualitative entre sa participation à certaines pratiques et l’existence d’une entente complexe entre un nombre restreint d’acteurs.

25      Dans la réplique, la requérante précise que les deux objectifs distincts poursuivis par l’entente étaient, d’une part, le maintien de prix élevés pour la fourniture de services internationaux de déménagement en Belgique et, d’autre part, la répartition du marché pour ces services. Toutefois, la participation sporadique de la requérante aux pratiques concernant les DDC et les commissions n’aurait pas pu entraîner une augmentation du niveau général des prix sur le marché.

26      La Commission conteste les arguments de la requérante.

 Appréciation du Tribunal

27      Par ce moyen, la requérante conteste le caractère anticoncurrentiel de certaines pratiques et fait valoir qu’elle n’a pas pris part à l’infraction unique et continue décrite dans la Décision. Par conséquent, il convient, tout d’abord, d’examiner le caractère anticoncurrentiel des commissions et des DDC, ensuite, de rappeler la notion d’infraction unique et continue et, enfin, d’appliquer ces principes à la situation de la requérante.

 Sur le caractère anticoncurrentiel des commissions et des DDC

28      La requérante prétend que les accords sur les commissions et les DDC ne visaient pas – même de manière indirecte – à fixer les prix. Cette allégation ne saurait être retenue. Pour ce qui est des commissions, leurs nombres et leurs niveaux étaient déterminés à l’avance, avant que les sociétés de déménagements ne présentent leurs devis aux clients. Les commissions ont donc inévitablement relevé le niveau des prix, puisque les frais générés par celles-ci étaient répercutés sur les clients. En ce qui concerne les devis, le prix indiqué dans une « fausse » offre était déterminé par la société qui en avait fait la demande et accepté par la société établissant le DDC, ce qui permettait à la première de fixer son prix à un niveau plus élevé que celui résultant du libre jeu de la concurrence, proche du « faux » prix convenu d’un commun accord. Au considérant 233 de la Décision, la Commission a démontré cet effet sur les prix de la pratique des DDC (voir point 13 ci-dessus).

29      S’agissant des arguments selon lesquels les DDC étaient soumis seulement après que le client avait fait son choix, il y a lieu de souligner que la personne qui est en contact avec le fournisseur, par exemple l’agent de la Commission, n’est pas le véritable client des sociétés de déménagement. En fait, il appartient à l’entreprise ou à l’institution qui paie le déménagement de sélectionner une société de déménagements. C’est précisément dans le but de se ménager un choix que nombre d’entreprises et d’institutions publiques exigent la soumission de plusieurs offres.

30      Enfin, s’agissant de l’argument selon lequel la participation de la requérante aux pratiques concernant les DDC et les commissions n’a pas pu entraîner une augmentation du niveau général des prix sur le marché, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, aux fins de l’application de l’article 81, paragraphe 1, CE, la prise en considération des effets concrets d’un accord est superflue dès lors qu’il apparaît, comme en l’espèce, qu’il a pour objet de restreindre, d’empêcher ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun (arrêt de la Cour du 13 juillet 1966, Consten et Grundig/Commission, 56/64 et 58/64, Rec. p. 429, 496, et arrêt du Tribunal du 6 avril 1995, Ferriere Nord/Commission, T‑143/89, Rec. p. II‑917, point 30).

 Sur la notion d’infraction unique et continue

31      Dans son arrêt du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni (C‑49/92 P, Rec. p. I‑4125, point 82), la Cour a affirmé qu’il serait artificiel de subdiviser un comportement continu, caractérisé par une seule finalité, en y voyant plusieurs infractions distinctes, alors qu’il s’agit au contraire d’une infraction unique qui s’est progressivement concrétisée tant par des accords que par des pratiques concertées.

32      Dans de telles circonstances, une entreprise ayant participé à une infraction par des comportements qui lui étaient propres, qui relevaient des notions d’accord ou de pratique concertée ayant un objet anticoncurrentiel au sens de l’article 81, paragraphe 1, CE et qui visaient à contribuer à la réalisation de l’infraction dans son ensemble est également responsable, pour toute la période de sa participation à ladite infraction, des comportements mis en oeuvre par d’autres entreprises dans le cadre de la même infraction (arrêt Commission/Anic Partecipazioni, point 31 supra, point 83).

33      Il ressort de cet arrêt que, afin d’établir l’existence d’une infraction unique et continue, la Commission doit prouver que l’entreprise entendait contribuer par son propre comportement aux objectifs communs poursuivis par l’ensemble des participants et qu’elle avait connaissance des comportements matériels envisagés ou mis en oeuvre par d’autres entreprises dans la poursuite des mêmes objectifs, ou qu’elle pouvait raisonnablement les prévoir et qu’elle était prête à en accepter le risque (arrêt Commission/Anic Partecipazioni, point 31 supra, point 87).

34      En effet, des ententes ne peuvent être considérées comme des éléments constitutifs d’un accord anticoncurrentiel unique que s’il est établi qu’elles s’inscrivent dans un plan global poursuivant un objectif commun. En outre, ce n’est que si l’entreprise, lorsqu’elle a participé à ces ententes, a su ou aurait dû savoir que, ce faisant, elle s’intégrait dans l’accord unique, que sa participation aux ententes concernées peut constituer l’expression de son adhésion à cet accord (arrêt du Tribunal du 15 mars 2000, Cimenteries CBR e.a./Commission, T‑25/95, T‑26/95, T‑30/95 à T‑32/95, T‑34/95 à T‑39/95, T‑42/95 à T‑46/95, T‑48/95, T‑50/95 à T‑65/95, T‑68/95 à T‑71/95, T‑87/95, T‑88/95, T‑103/95 et T‑104/95, Rec. p. II‑491, points 4027 et 4112).

35      Ainsi, il ressort de cette jurisprudence que trois conditions doivent être réunies afin d’établir la participation à une infraction unique et continue, à savoir l’existence d’un plan global poursuivant un objectif commun, la contribution intentionnelle de l’entreprise à ce plan et le fait qu’elle avait connaissance (prouvée ou présumée) des comportements infractionnels des autres participants.

36      C’est donc à la lumière de ces conditions qu’il convient d’examiner la Décision.

 Sur la qualification du comportement infractionnel en question

–       Sur l’existence d’un plan global poursuivant un objectif commun

37      Concernant, premièrement, l’existence d’un plan global poursuivant un objectif commun, la Commission fait valoir que les entreprises en cause poursuivaient le but économique de fausser l’évolution des prix.

38      Toutefois, la notion d’objectif commun ne saurait être déterminée par une référence générale à la distorsion de la concurrence sur le marché concerné par l’infraction, dès lors que l’affectation de la concurrence constitue, en tant qu’objet ou effet, un élément constitutif de tout comportement relevant du champ d’application de l’article 81, paragraphe 1, CE. Une telle définition de la notion d’objectif commun risquerait de priver la notion d’infraction unique et continue d’une partie de son sens, dans la mesure où elle aurait pour conséquence que plusieurs comportements concernant un secteur économique, interdits par l’article 81, paragraphe 1, CE, devraient systématiquement être qualifiés d’éléments constitutifs d’une infraction unique.

39      En l’espèce, il ressort de la Décision que l’objectif commun, poursuivi de différentes manières qui s’inscrivaient dans un plan global, était d’établir et de maintenir un niveau de prix élevé pour la prestation de services de déménagements internationaux en Belgique et de répartir ce marché. Cet objectif commun est décrit en détail aux considérants 314 et 322 à 344 de la Décision.

40      Les deux pratiques auxquelles la requérante a participé, à l’instar de l’accord écrit sur les prix, poursuivaient un objectif commun, à savoir restreindre le jeu de la concurrence entre les participants à l’entente en établissant un niveau de prix plus élevé que celui qui aurait existé en l’absence des accords. Les commissions versées aux concurrents qui ne remportaient pas le contrat les dissuadaient fortement de proposer un prix compétitif et, en s’échangeant des informations sur leurs offres dans le cadre des DDC, les participants à l’entente ont restreint la concurrence par les prix. En outre, l’accord sur les DDC permettait aux participants de maintenir les prix à un niveau supérieur à celui qui aurait été le leur en son absence.

41      Enfin, une infraction unique et continue peut très bien poursuivre le double objectif d’influencer les prix et de répartir le marché. Cet argument n’est donc pas susceptible de remettre en question l’existence d’une telle infraction, tout comme l’argument selon lequel toutes les parties à l’accord sur les prix, d’une part, et aux accords sur les commissions et les DDC, d’autre part, ne sont pas les mêmes. En effet, la simple circonstance que chaque entreprise participe à l’infraction dans des formes qui lui sont propres n’affecte pas la qualification de l’infraction d’infraction unique et continue (arrêt du Tribunal du 8 juillet 2008, BPB/Commission, T‑53/03, Rec. p. II‑1333, point 260).

–       Sur la contribution intentionnelle de la requérante au plan global

42      En ce qui concerne, deuxièmement, la contribution de la requérante à l’infraction, il n’est pas contesté qu’elle a participé à deux des trois pratiques décrites dans la Décision, à savoir l’accord sur les commissions et l’accord sur les DDC.

43      En revanche, la requérante n’a jamais participé à l’accord écrit sur les prix. Or, si une entreprise ayant participé à une infraction par des comportements qui lui étaient propres peut également être tenue pour responsable pour des comportements mis en œuvre par d’autres entreprises dans le cadre de la même infraction, cela ne vaut que pour la période de sa participation à ladite infraction (arrêt Commission/Anic Partecipazioni, point 31 supra, point 83). Par conséquent, la requérante ne saurait être tenue pour responsable pour des comportements qui avaient cessé plus de cinq ans avant son adhésion à l’entente.

44      Toutefois, dans la Décision, la Commission n’a constaté une infraction de la requérante à l’article 81, paragraphe 1, CE que pour la période allant du 14 février 1997 au 4 août 2003, période pendant laquelle la requérante a participé à toutes les manifestations de l’entente. Dès lors, la Commission a dûment tenu compte du fait que celle-ci n’a participé à l’entente qu’à partir de 1997.

45      En outre, les allégations de la requérante selon lesquelles les accords sur les commissions et les DDC n’étaient pas appliqués simultanément et selon lesquelles les dispositifs sur les commissions ont été ponctuels sont dénuées de pertinence dans la mesure où, contrairement à ce qu’elle prétend, ces deux pratiques partageaient un même objectif.

–       Sur la connaissance par la requérante des comportements infractionnels

46      S’agissant, troisièmement, de la question de savoir si la requérante avait connaissance des comportements infractionnels des autres participants à l’entente, il y a lieu de relever que, pendant la participation de celle-ci, il n’y a pas eu de réunions anticoncurrentielles. Toutefois, le fait que la requérante n’a jamais assisté à une telle réunion n’est pas déterminant, puisque le fonctionnement de l’entente montre que ses membres n’avaient pas à participer aux réunions pour être informés des accords sur les commissions ou les DDC ou pour y prendre part. Les accords étaient généralement conclus par téléphone, par courrier électronique et/ou par télécopie.

47      En outre, la requérante devait nécessairement avoir connaissance des comportements infractionnels des autres participants, étant donné que la pratique des commissions et des DDC reposait sur une coopération réciproque avec des partenaires alternants à chaque occasion. En effet, ce système reposait sur le principe « do ut des » dans la mesure où chaque entreprise qui payait une commission ou délivrait un DDC s’attendait à pouvoir, dans le futur, bénéficier de ce système elle-même et obtenir des commissions ou des DDC. Partant, contrairement à ce que prétend la requérante, ces dispositifs n’étaient pas ponctuels, mais présentaient un lien de complémentarité.

48      L’allégation de la requérante selon laquelle elle n’avait pas connaissance des accords écrits et selon laquelle elle n’a pas eu connaissance de la pratique des commissions avant 1997 est dénuée de pertinence, dans la mesure où la Décision ne tient la requérante pour responsable de l’infraction qu’à compter de cette date. Au plus tard en 1997, lorsqu’elle a accepté sa première commission, la requérante a pris conscience du fait que toutes les entreprises n’exerçaient pas leurs activités dans des conditions normales de concurrence. Elle avait donc connaissance de comportements infractionnels ainsi que de l’objectif anticoncurrentiel poursuivi par les autres entreprises.

49      Par conséquent, la Commission était fondée à conclure que la requérante avait connaissance ou aurait dû avoir connaissance des comportements infractionnels des autres participants à l’entente.

50      Il résulte de tout ce qui précède que c’est à bon droit que la Commission a constaté que la requérante avait pris part à l’infraction unique et continue décrite dans la Décision. Partant, le premier moyen doit être rejeté.

2.     Sur le deuxième moyen, relatif au calcul du montant de base

 Arguments des parties

51      Par son deuxième moyen, la requérante fait valoir que la Commission a méconnu les principes de proportionnalité et d’égalité de traitement dans le calcul du montant de base de l’amende.

52      Selon la requérante, le montant de base est calculé trop largement, car son chiffre d’affaires en relation directe ou indirecte avec l’infraction serait nettement inférieur au montant de 1 441 149 euros retenu par la Commission. En effet, 1 % seulement des dossiers de déménagements internationaux traités par la requérante en 2002 aurait été influencé par l’infraction. Selon la requérante, ce n’est pas le chiffre d’affaires total des services de déménagements internationaux qui doit être pris en compte, mais un chiffre d’affaires qui a trait aux services qui peuvent raisonnablement être reliés, directement ou indirectement, aux infractions qu’elle a commises.

53      La requérante relève que le caractère disproportionné et inégal de la méthode suivie par la Commission ressort également de la proportion entre le chiffre d’affaires pris en compte et le nombre d’infractions constatées (18 476 euros pour la requérante contre environ 7 000 d’euros pour Allied Arthur Pierre, Interdean et Ziegler). Ce montant de 18 476 euros serait de surcroît hors de proportion avec la valeur moyenne d’un service de déménagement international réalisé par la requérante (4 650 euros).

54      La Commission considère que les arguments de la requérante sont infondés, voire inopérants. Une fois que la Commission aurait établi quels sont les biens ou services en relation directe ou indirecte avec l’infraction, la valeur des ventes de tous ces biens ou services pourrait être prise en considération pour déterminer le montant de base de l’amende.

 Appréciation du Tribunal

55      La requérante conteste le chiffre d’affaires, en relation directe ou indirecte avec l’infraction, retenu par la Commission.

56      Contrairement aux affirmations de la Commission, le présent moyen n’est pas inopérant. En effet, si, au lieu du montant de 1 441 149 euros, la Commission avait retenu, pour le calcul du montant de base de l’amende, la seule valeur des ventes prétendument affectées par l’infraction, à savoir, selon la requérante, 1 % de ce montant, soit 14 411,49 euros, le montant de base s’élèverait à 18 374,65 euros et resterait donc bien au-dessous du plafond de 10 % appliqué à la requérante en l’espèce.

57      Toutefois, l’argument selon lequel seule la valeur des ventes effectivement affectées par l’infraction devrait être prise en compte repose sur une interprétation erronée du paragraphe 13 des lignes directrices de 2006. Ce paragraphe prévoit ce qui suit :

« En vue de déterminer le montant de base de l’amende à infliger, la Commission utilisera la valeur des ventes de biens ou services, réalisées par l’entreprise, en relation directe ou indirecte avec l’infraction […] »

58      Contrairement aux affirmations de la requérante, il ne ressort pas de cette disposition que seule la valeur des ventes résultant des déménagements réellement affectés par les pratiques infractionnelles peut être prise en considération pour calculer la valeur des ventes pertinente.

59      Ainsi, le libellé du paragraphe 13 des lignes directrices de 2006 fait référence aux « ventes […] en relation directe ou indirecte avec l’infraction » et non aux « ventes affectées par l’infraction ». La formulation du paragraphe 13 vise donc les ventes réalisées sur le marché pertinent. Cela ressort par ailleurs très clairement de la version allemande du paragraphe 6 des lignes directrices de 2006, dans lequel il est question de l’« Umsatz auf den vom Verstoß betroffenen Märkten » (ventes réalisées sur les marchés concernés par l’infraction). A fortiori, le paragraphe 13 des lignes directrices de 2006 ne vise pas uniquement les cas pour lesquels la Commission dispose de preuves documentaires de l’infraction.

60      Cette interprétation est confortée par l’objectif des règles communautaires de concurrence. En effet, l’interprétation proposée par la requérante signifierait que, pour déterminer le montant de base des amendes à infliger dans les affaires portant sur des ententes, la Commission serait obligée dans chaque cas d’établir quelles sont les ventes individuelles qui ont été affectées par l’entente. Une telle obligation n’a jamais été imposée par les juridictions de l’Union et rien n’indique que la Commission avait l’intention de s’imposer une telle obligation dans les lignes directrices de 2006.

61      En outre, il résulte d’une jurisprudence constante que la part du chiffre d’affaires provenant des marchandises faisant l’objet de l’infraction est de nature à donner une juste indication de l’ampleur d’une infraction sur le marché concerné (arrêt de la Cour du 7 juin 1983, Musique Diffusion française e.a./Commission, 100/80 à 103/80, Rec. p. 1825, point 121). En particulier, le chiffre d’affaires réalisé sur les produits ayant fait l’objet d’une pratique restrictive constitue un élément objectif qui donne une juste mesure de la nocivité de cette pratique pour le jeu normal de la concurrence (arrêts du Tribunal du 11 mars 1999, British Steel/Commission, T‑151/94, Rec. p. II‑629, point 643, et du 8 juillet 2008, Saint-Gobain Gyproc Belgium/Commission, T‑50/03, non publié au Recueil, point 84). Ce principe a été repris dans les lignes directrices de 2006.

62      Il s’ensuit que les chiffres présentés par la requérante, à savoir la proportion entre le chiffre d’affaires pris en compte et le nombre d’infractions constatées, sont dénués de pertinence. Tel est d’autant plus le cas que, dans les affaires portant sur des ententes, qui sont secrètes par nature, il est inévitable que certaines pièces attestant des manifestations des pratiques anticoncurrentielles ne soient pas découvertes. Dans le cas d’espèce, il aurait été effectivement impossible de trouver des éléments relatifs à chacun des déménagements affectés.

63      Par conséquent, le deuxième moyen doit être rejeté.

3.     Sur le troisième moyen, relatif à l’absence de différenciation

 Arguments des parties

64      Dans le cadre de son troisième moyen, la requérante invoque une méconnaissance des principes de proportionnalité et d’égalité de traitement en ce qui concerne l’application uniforme du taux de 17 %, qui reflète la gravité de l’infraction en vertu du paragraphe 19 des lignes directrices de 2006.

65      La requérante fait grief à la Commission d’avoir calculé l’amende en appliquant à toutes les entreprises concernées le même taux de 17 % pour la gravité de l’infraction et pour le montant supplémentaire de dissuasion, sans considérer le rôle qu’elles ont joué dans l’entente et la nature des pratiques auxquelles elles ont participé. Le fait que toutes les entreprises soient ainsi traitées de manière identique alors qu’elles se trouveraient dans des situations sensiblement différentes aurait pour effet que la requérante serait sanctionnée relativement plus lourdement qu’une entreprise dont il est établi qu’elle a joué un rôle important dans l’entente. Ainsi, le ratio entre le montant de base de l’amende et le nombre d’infractions constatées s’élèverait à 23 462 euros pour la requérante et à seulement 6 736 euros pour Allied Arthur Pierre. Lorsqu’une infraction est le fait de plusieurs parties, la Commission serait toutefois tenue de prendre en compte la gravité relative de chaque participation. Selon elle, la différence dans les rôles joués par les parties dans l’entente voudrait que la Commission opère une différenciation.

66      La Commission prétend que l’amende finalement infligée à la requérante est déjà « extrêmement peu élevée », du fait de l’application du plafond de l’amende. Ainsi, même si le calcul de l’amende était ajusté pour les raisons invoquées par la requérante, l’amende n’en serait pas réduite pour autant. En outre, elle conteste les affirmations de la requérante.

 Appréciation du Tribunal

67      Tout d’abord, il y a lieu de relever que l’idée selon laquelle il devrait exister un rapport linéaire entre le nombre de preuves écrites de l’infraction commise par la requérante et le pourcentage qui reflète la gravité de cette infraction est erronée. En effet, dans les affaires portant sur des ententes, qui sont secrètes par nature, il est inévitable que certaines pièces attestant des manifestations des pratiques anticoncurrentielles ne soient pas découvertes, notamment si la Commission n’a pas mené des inspections chez la requérante.

68      Quant à l’absence de différenciation, il convient de renvoyer aux observations du Tribunal dans le cadre du troisième moyen soulevé dans l’affaire Team Relocations/Commission (T-204/08, points 80 et suivants de l’arrêt) et du deuxième moyen de Gosselin dans l’affaire Gosselin/Commission (T‑208/08, points 124 et suivants de l’arrêt). Toutefois, force est de constater que, en l’espèce, l’application du plafond de 10 % a déjà entraîné une très importante réduction de l’amende. En effet, tandis que le montant de base de l’amende a été fixé à 1,83 million d’euros, l’amende infligée s’élève à 395 000 euros. Dans ces conditions, il n’est pas envisageable qu’une appréciation différente de la gravité, qui devrait être effectuée avant l’application du plafond, puisse entraîner une réduction de l’amende finale. En effet, compte tenu de la nature de l’infraction commise par la requérante, la proportion de la valeur des ventes, déterminée en fonction du degré de gravité de l’infraction, devrait, en application du paragraphe 23 des lignes directrices de 2006, se situer à un niveau « en haut de l’échelle ». Or, à supposer même que le Tribunal, dans l’exercice de son pouvoir de pleine juridiction, considère qu’il convient d’appliquer un taux de 15,1 % dans le cadre de la détermination de la gravité et pour le montant additionnel, le montant de base de l’amende s’élèverait à 1,63 million d’euros et donc toujours largement au-dessus du plafond.

69      Dans la mesure où la requérante soutient que la gravité relative de sa participation est moins importante que celle d’autres entreprises impliquées, l’argumentation développée à l’appui de cette allégation ne peut donc pas, en l’espèce, influer sur le montant final de l’amende infligée.

70      Partant, il y a lieu de rejeter le troisième moyen.

4.     Sur le quatrième moyen, relatif à l’imposition de l’amende maximale

 Arguments des parties

71      Par ce moyen, la requérante invoque une méconnaissance des principes de proportionnalité et d’égalité de traitement dans la mesure où la Commission lui a infligé l’amende maximale prévue par le règlement n °1/2003, à savoir 10 % du chiffre d’affaires de l’exercice précédent.

72      Selon la requérante, le fait que l’application du plafond a entraîné une réduction si substantielle, à savoir de 1 830 000 euros à 395 000 euros, montre déjà à lui seul le caractère déraisonnable et disproportionné de l’amende et du mode de calcul de la Commission. De surcroît, la Commission aurait enfreint les principes de proportionnalité et d’égalité de traitement en infligeant l’amende maximale admise à un acteur qui aurait eu un rôle limité dans l’entente et une influence modeste sur le marché.

73      La Commission estime que ce moyen est dénué de portée autonome.

 Appréciation du Tribunal

74      Force est de constater que le présent moyen, tiré de l’imposition de l’amende maximale, est dénué de portée autonome par rapport aux autres moyens visant le montant de l’amende. Le seul fait que l’amende finalement infligée s’élève à 10 % du chiffre d’affaires de la requérante, alors que ce pourcentage est plus faible pour d’autres participants à l’entente, ne peut constituer une violation du principe d’égalité de traitement ou de proportionnalité. En effet, cette conséquence est inhérente à l’interprétation du plafond de 10 % comme simple seuil d’écrêtement qui est appliqué après une éventuelle réduction de l’amende en raison de circonstances atténuantes ou du principe de proportionnalité.

75      Cependant, la multiplication du montant déterminé en fonction de la valeur des ventes par le nombre d’années de participation à l’infraction peut impliquer que, dans le cadre des lignes directrices de 2006, l’application du plafond de 10 % prévu à l’article 23, paragraphe 3, du règlement n° 1/2003 soit désormais la règle plutôt que l’exception pour toute entreprise qui opère principalement sur un seul marché et qui a participé pendant plus d’un an à une entente. Dans ce cas, toute différenciation en fonction de la gravité ou de circonstances atténuantes ne sera normalement plus susceptible de se répercuter sur une amende qui a été écrêtée afin d’être ramenée à 10 %. L’absence de différenciation en ce qui concerne l’amende finale qui en résulte représente une problématique, au regard du principe d’individualité des peines et des sanctions, qui est inhérente à la nouvelle méthodologie. Elle peut nécessiter que le Tribunal exerce pleinement sa compétence de pleine juridiction dans les cas concrets où la seule application des lignes directrices de 2006 ne permet pas une différenciation appropriée. En l’espèce, le Tribunal considère cependant que tel n’est pas le cas (à cet égard, voir également points 81 et suivants ci-après).

76      Par conséquent, le quatrième moyen doit être rejeté.

5.     Sur le cinquième moyen, relatif aux circonstances atténuantes

 Arguments des parties

77      Par son dernier moyen, la requérante invoque une méconnaissance des principes de protection de la confiance légitime et de l’égalité de traitement et une erreur d’appréciation de la Commission en ce qu’elle n’a retenu aucune circonstance atténuante.

78      La requérante estime qu’elle remplit les conditions pour bénéficier d’un certain nombre de circonstances atténuantes définies au paragraphe 29 des lignes directrices de 2006. En particulier, elle aurait cessé toute implication dans la commission des infractions dès les premières interventions de la Commission ; sa participation à l’infraction aurait été très limitée ; elle aurait effectivement coopéré et elle aurait toujours transmis toutes les données nécessaires et utiles à la Commission. En outre, elle n’aurait pas contesté les faits et aurait fait preuve d’une grande discrétion dans la procédure, en réagissant de manière limitée à la communication des griefs et en ne participant pas à l’audition. Son attitude serait donc conforme à ce qui est attendu des entreprises qui souhaitent bénéficier d’une transaction au titre de la communication de la Commission relative aux procédures de transaction engagées en vue de l’adoption de décisions en vertu des articles 7 et 23 du règlement n° 1/2003 dans les affaires d’entente (JO 2008, C 167, p.1) et du règlement (CE) n° 622/2008 de la Commission, du 30 juin 2008, modifiant le règlement (CE) n° 773/2004 en ce qui concerne les procédures de transaction engagées dans les affaires d’entente (JO L 171, p. 3).

79      La Commission conteste les arguments de la requérante. Elle estime en outre que ce moyen ne peut de toute façon être d’aucune utilité à la requérante, car, du fait de l’application du plafond, l’amende infligée à Putters serait déjà « extrêmement faible ».

 Appréciation du Tribunal

80      Comme dans le cadre du troisième moyen, la Commission remet en cause l’utilité du moyen soulevé par la requérante. À cet égard, force est de constater que, en l’espèce, une réduction de l’amende en raison de la prise en compte de circonstances atténuantes ne pourrait effectivement pas entraîner une réduction de l’amende finale. En effet, étant donné que l’application du plafond de 10 % a déjà entraîné une très importante réduction de l’amende, et eu égard à la nature des circonstances atténuantes invoquées par la requérante, le Tribunal considère dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction que la prise en compte de ces circonstances, qui devrait être effectuée avant l’application du plafond, ne peut aboutir à une réduction de l’amende finale. Ainsi, comme la Commission l’a relevé à juste titre, même si le calcul de l’amende était ajusté pour les raisons invoquées par la requérante, l’amende n’en serait pas réduite pour autant. Encore une fois, cette conséquence est inhérente à l’interprétation du plafond de 10 % comme simple seuil d’écrêtement qui est appliqué après une éventuelle réduction de l’amende en raison de circonstances atténuantes.

81      À titre surabondant, le Tribunal examinera cependant les arguments invoqués par la requérante.

82      Premièrement, elle relève qu’elle a cessé toute implication dans la commission des infractions dès les premières interventions de la Commission. Il est vrai que le premier tiret du paragraphe 29 des lignes directrices de 2006 prévoit que le montant de base de l’amende peut être réduit lorsque l’entreprise concernée apporte la preuve qu’elle a mis fin à l’infraction dès les premières interventions de la Commission. Toutefois, la phrase suivante précise que cela « ne s’appliquera pas aux accords ou pratiques de nature secrète (en particulier les cartels) ». Dès lors, c’est à bon droit que la Commission a conclu qu’il ne s’agissait pas d’un motif de nature à justifier la réduction de l’amende.

83      En ce qui concerne, deuxièmement, l’affirmation de la requérante selon laquelle sa participation à l’infraction a été très limitée, il y a lieu de relever que la Commission dispose, en ce qui concerne cette entreprise, de preuves écrites relatives à 78 cas concrets de commissions et de DDC. Il est vrai que l’infraction en cause a évolué dans le temps et que les accords écrits qui ont été appliqués pendant la première phase de l’infraction ont été abandonnés par la suite. Par conséquent, la proportion de la valeur des ventes à retenir en vertu du paragraphe 19 des lignes directrices de 2006 pourrait, en principe, être modulée dans le temps. Cette circonstance pourrait également justifier une réduction de l’amende en raison de circonstances atténuantes.

84      Or, il y a lieu de considérer que les comportements auxquels la requérante a participé ne représentent pas des infractions moins graves que les accords écrits de fixation des prix ou la fixation ad hoc de prix pour des déménagements déterminés. En effet, contrairement aux affirmations de la requérante, les DDC et les commissions ont également eu des effets sur les prix (voir point 28 ci-dessus). De même, dans les circonstances de l’espèce, le fait qu’elle n’ait pas participé aux réunions à objet anticoncurrentiel n’est pas pertinent aux fins de l’appréciation de la gravité de l’infraction, puisque l’entente a fonctionné au moyen de mécanismes qui rendaient inutile de telles réunions.

85      S’agissant, troisièmement de la prétendue coopération de la requérante avec la Commission et de la non-contestation des faits, il convient de relever que, selon les constatations figurant aux considérants 592 et 594 de la Décision, la coopération de la requérante s’est limitée à répondre aux demandes de renseignements sur la structure de l’entreprise et ses données économiques. La requérante n’a pas fourni volontairement d’éléments de preuve concernant l’infraction. En outre, contrairement à la communication de la Commission du 18 juillet 1996 concernant la non-imposition d’amendes ou la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO C 207, p. 4), la communication sur la coopération de 2002 ne prévoit pas de réduction pour la seule non-contestation de la matérialité des faits. Par conséquent, la Commission était fondée à conclure qu’aucune de ces circonstances n’était susceptible de justifier l’octroi d’une réduction du montant de l’amende.

86      Enfin, la requérante soutient, quatrièmement, que son attitude était conforme à ce qui est attendu des entreprises qui souhaitent bénéficier d’une transaction. Or, force est de constater que le règlement n° 622/2008, relatif aux procédures de transaction dans les affaires d’entente, n’est entré en vigueur qu’en juillet 2008, tandis que la Décision date de mars 2008 et que la communication des griefs a été portée à la connaissance de la requérante en octobre 2006. Dès lors, ce règlement n’était pas applicable en l’espèce. En tout état de cause, la procédure prévue à ce règlement n’a pas été suivie.

87      Il s’ensuit que le dernier moyen de la requérante doit être rejeté.

88      Tous les moyens de la requérante ayant été rejetés, il convient, dès lors, de rejeter le recours dans son ensemble.

 Sur les dépens

89      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (huitième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Putters International NV est condamnée aux dépens.

Papasavvas

Wahl

Dittrich

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 16 juin 2011.

Signatures

Table des matières


Faits

1.  Objet du litige

2.  Requérante

3.  Procédure administrative

4.  Décision attaquée

Procédure et conclusions des parties

En droit

1.  Sur le premier moyen, relatif à la participation de la requérante à une entente complexe et consolidée

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

Sur le caractère anticoncurrentiel des commissions et des DDC

Sur la notion d’infraction unique et continue

Sur la qualification du comportement infractionnel en question

–  Sur l’existence d’un plan global poursuivant un objectif commun

–  Sur la contribution intentionnelle de la requérante au plan global

–  Sur la connaissance par la requérante des comportements infractionnels

2.  Sur le deuxième moyen, relatif au calcul du montant de base

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

3.  Sur le troisième moyen, relatif à l’absence de différenciation

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

4.  Sur le quatrième moyen, relatif à l’imposition de l’amende maximale

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

5.  Sur le cinquième moyen, relatif aux circonstances atténuantes

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

Sur les dépens


* Langue de procédure : le néerlandais.