ORDONNANCE DE LA COUR (sixième chambre)

11 juillet 2008 (*)

«Article 104, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement de procédure – Agriculture – Libre circulation des marchandises – Législation nationale interdisant la culture de tout type de chanvre»

Dans l’affaire C‑207/08,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Panevėžio apygardos teismas (Lituanie), par décision du 28 avril 2008, parvenue à la Cour le 20 mai 2008, dans la procédure pénale contre

Edgar Babanov,

LA COUR (sixième chambre),

composée de M. L. Bay Larsen, président de chambre, MM. J. Makarczyk (rapporteur) et P. Kūris, juges,

avocat général: M. M. Poiares Maduro,

greffier: M. R. Grass,

la Cour se proposant de statuer par voie d’ordonnance motivée conformément à l’article 104, paragraphe 3, premier alinéa, de son règlement de procédure,

l’avocat général entendu,

rend la présente

Ordonnance

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la réglementation communautaire applicable à la culture du chanvre alors que la législation nationale interdit de cultiver tout type de chanvre.

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure pénale engagée à l’encontre de M. Babanov pour infraction à la législation sur les stupéfiants.

 Le cadre juridique

 La réglementation communautaire

3        Le vingt-septième considérant du règlement (CE) n° 1782/2003 du Conseil, du 29 septembre 2003, établissant des règles communes pour les régimes de soutien direct dans le cadre de la politique agricole commune et établissant certains régimes de soutien en faveur des agriculteurs et modifiant les règlements (CEE) n° 2019/93, (CE) n° 1452/2001, (CE) n° 1453/2001, (CE) n° 1454/2001, (CE) n° 1868/94, (CE) n° 1251/1999, (CE) n° 1254/1999, (CE) n° 1673/2000, (CEE) n° 2358/71 et (CE) n° 2529/2001 (JO L 270, p. 1), énonce:

«En ce qui concerne le chanvre, il convient de prévoir des mesures spécifiques afin d’éviter que des cultures illicites ne se cachent parmi celles qui peuvent bénéficier du paiement unique et ne portent ainsi atteinte à l’organisation commune des marchés de ce produit. Par conséquent, il convient de veiller à ce que les paiements à la surface ne soient octroyés que pour les superficies où des variétés de chanvre offrant certaines garanties quant à la teneur en substances psychotropes ont été utilisées. Il y a lieu d’adapter en conséquence les références aux mesures spécifiques prévues par le règlement (CE) n° 1673/2000 du Conseil, du 27 juillet 2000, portant organisation commune des marchés dans le secteur du lin et du chanvre destinés à la production de fibres [JO L 193, p. 16].»

4        Sous l’intitulé «Production de chanvre», l’article 52 du règlement n° 1782/2003 dispose:

«1.      Dans le cas de la production de chanvre relevant du code NC 5302 10 00, les variétés utilisées ont une teneur en tétrahydrocannabinol inférieure ou égale à 0,2 % et la production est couverte par un contrat ou une promesse d’achat-vente, conformément à l’article 2, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 1673/2000. Les États membres établissent un système permettant de vérifier la teneur en tétrahydrocannabinol des produits cultivés sur 30 % au moins des superficies de chanvre destiné à la production de fibres pour lesquels le contrat ou la promesse d’achat-vente a été signé. Toutefois, si un État membre introduit un système d’autorisation préalable pour ladite culture, le minimum est de 20 %.

2.      Conformément à la procédure visée à l’article 144, paragraphe 2, l’octroi du paiement est subordonné à l’utilisation de semences certifiées de certaines variétés et à une déclaration des superficies de chanvre destiné à la production de fibres.»

 La réglementation nationale

5        L’article 265 du code pénal lituanien est rédigé comme suit:

«1.      Celui qui, en infraction à la réglementation en vigueur, a cultivé une quantité importante de pavot, de chanvre ou d’autres plantes figurant sur la liste des stupéfiants et substances psychotropes, est puni de travaux d’intérêt public ou d’une amende ou d’une peine restrictive de liberté ou d’une peine d’emprisonnement jusqu’à cinq ans.

2.      Les personnes morales peuvent également être déclarées pénalement responsables du fait incriminé par le présent article.»

6        Jusqu’au 14 juillet 2006, la rédaction dudit article 265 était la suivante:

«Celui qui, en infraction à la réglementation en vigueur, a cultivé une quantité importante de pavot, de chanvre ou d’autres plantes figurant sur la liste des stupéfiants et substances psychotropes, est puni de travaux d’intérêt public ou d’une amende ou d’une peine restrictive de liberté ou d’une peine d’emprisonnement jusqu’à deux ans.»

7        L’article 7 de la loi n° VIII-602, sur le contrôle des stupéfiants et substances psychotropes (Narkotinių ir psichotropinių medžiagų kontrolės įstatymas Nr. VIII-602), du 8 janvier 1998 (Žin., 1998, n° 8-161), tel que modifié par la loi n° IX-1249, du 10 décembre 2002 (Žin., 2002, n° 123-5536), dispose:

«Sur le territoire de la République de Lituanie, la culture du pavot à opium, du chanvre et du coca est interdite.»

8        L’article 2, paragraphe 1, de ladite loi précise:

«On entend par ‘stupéfiants et substances psychotropes’ les substances naturelles ou synthétiques figurant sur les listes des substances placées sous contrôle arrêtées par le ministère de la Santé publique, qui, du fait d’un effet nocif ou en cas d’abus, causent un trouble grave à la santé humaine, se manifestant par la dépendance psychique et physique de la personne à ces substances, ou un risque pour la santé humaine.»

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

9        Au début de l’année 2006, M. Babanov a licitement acquis en France, auprès de la Coopérative centrale des producteurs de semences de chanvre, 300 kg de semences de chanvre de la variété «Felina 32», qu’il a transportées de France vers la Lituanie, puis semées sur un terrain loué.

10      M. Babanov a déclaré que les graines de chanvre étaient destinées à un nouvel ensemencement ainsi qu’à la fabrication de papier.

11      Une enquête a été ouverte le 29 novembre 2006, après que M. Babanov eut commencé à moissonner le chanvre et fauché la plus grande partie de la récolte.

12      Le 1er décembre 2006, M. Babanov a lui-même demandé à l’Institut de chimie de déterminer de quel type de plante relevait le chanvre en cause dans l’affaire au principal et ce dernier a conclu qu’il s’agissait de chanvre à fibres.

13      Le rapport de l’expertise effectuée le 17 avril 2007 à la demande de la juridiction de première instance indique que le chanvre analysé contenait 0,04 % de substance active, à savoir le delta-9-tétrahydrocannabinol.

14      Par jugement du 18 décembre 2007, le Rokiškio rajono apylinkės teismas a relaxé M. Babanov des fins de la poursuite au titre de l’article 265 du code pénal lituanien, au motif que l’infraction reprochée n’était pas constituée. Le procureur en chef du district de Rokiškis a interjeté appel de ce jugement et demandé que M. Babanov soit déclaré coupable de l’infraction prévue audit article 265 et condamné à une amende d’un montant de 80 fois le minimum vital mensuel.

15      L’expert interrogé par la juridiction d’appel a déclaré que le chanvre analysé était une variété à fibres, ne présentant aucun risque pour la santé, qu’il était impossible d’en obtenir un stupéfiant par des opérations chimiques et que le chanvre présentait un risque pour la santé lorsque sa teneur en substance active était de 0,5 à 5 %.

16      Le Panevėžio apygardos teismas, ayant notamment indiqué que l’article 52 du règlement n° 1782/2003 autorisait la production de chanvre relevant du code NC 5302 10 00 lorsque les variétés utilisées avaient une teneur en tétrahydrocannabinol inférieure ou égale à 0,2 %, a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes en demandant que cette dernière statue selon la procédure accélérée:

«1)      L’article 265 du code pénal lituanien est-il contraire à des actes normatifs de l’Union européenne, et à quels actes précisément, dans la mesure où il sanctionne pénalement de façon inconditionnelle la culture de toute sorte de chanvre, sans exception, quelle qu’en soit la teneur en substance active?

2)      En cas de réponse affirmative, une juridiction lituanienne peut-elle rendre une décision appliquant la loi nationale, à savoir l’article 265 du code pénal lituanien, si la teneur en substance active du chanvre cultivé n’excède pas 0,2 %?»

 Sur les questions préjudicielles

 Observations liminaires

17      Conformément à l’article 104, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement de procédure, lorsque la réponse à une question posée à titre préjudiciel peut être clairement déduite de la jurisprudence, la Cour peut, après avoir entendu l’avocat général, à tout moment, statuer par voie d’ordonnance motivée comportant référence à la jurisprudence en cause.

18      La Cour estime que tel est le cas en l’espèce et que, compte tenu de l’adoption de la présente ordonnance, il n’y a pas lieu de statuer sur la demande de procédure accélérée.

 Sur la première question

19      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le droit communautaire doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation nationale qui a pour effet d’interdire la culture et la détention du chanvre.

20      En vue de répondre à la question ainsi reformulée, il convient au préalable de déterminer les dispositions de droit communautaire applicables à l’affaire au principal.

21      Il ressort de la décision de renvoi que le litige au principal porte sur une variété de chanvre qui présente une teneur maximale en tétrahydrocannabinol de 0,04 %. Il apparaît également que ce produit relève du code NC 5302 10 00.

22      À la lumière des constatations de la juridiction de renvoi concernant les caractéristiques du chanvre en cause au principal et la date à laquelle celui-ci a été cultivé, soit au cours de l’année 2006, il y a lieu de considérer que le règlement n° 1782/2003, notamment son article 52, est pertinent dans l’affaire au principal.

23      Dès lors, il y a lieu d’examiner prioritairement au regard dudit règlement, qui régit notamment l’organisation commune de marché dans le secteur du chanvre, la question de savoir si le droit communautaire s’oppose à une législation nationale qui a pour effet d’interdire notamment la culture et la détention de ce produit.

24      À cet égard, il convient de rappeler qu’il est de jurisprudence constante que, en présence d’un règlement portant organisation commune des marchés dans un secteur déterminé, les États membres sont tenus de s’abstenir de toute mesure qui serait de nature à y déroger ou à y porter atteinte (voir, notamment, arrêt du 16 janvier 2003, Hammarsten, C‑462/01, Rec. p. I‑781, point 28 et jurisprudence citée).

25      Il résulte également d’une jurisprudence constante que l’établissement d’une organisation commune de marché n’empêche pas les États membres d’appliquer des règles nationales qui poursuivent un objectif d’intérêt général autre que ceux couverts par l’organisation commune, même si ces règles sont susceptibles d’avoir une incidence sur le fonctionnement du marché commun dans le secteur concerné (voir arrêt Hammarsten, précité, point 29 et jurisprudence citée).

26      Il y a lieu de constater, d’une part, que l’interdiction qui découle de la législation lituanienne relative aux stupéfiants de cultiver et de détenir du chanvre destiné à la production de fibres couvert par l’organisation commune de marché dans le secteur du chanvre porte directement atteinte à cette organisation commune.

27      En effet, cette interdiction prive les agriculteurs établis en Lituanie de toute possibilité d’importer et de cultiver le chanvre en cause au principal ainsi que, par conséquent, de réclamer le bénéfice de l’aide visée à l’article 52 du règlement n° 1782/2003.

28      Il convient de constater, d’autre part, que la législation lituanienne relative aux stupéfiants ne poursuit pas un objectif d’intérêt général qui ne serait pas couvert par l’organisation commune de marché dans le secteur du chanvre.

29      En effet, il ressort du vingt-septième considérant du règlement n° 1782/2003 que les risques que des cultures illicites se cachent parmi celles cultivées licitement ont précisément été pris en compte dans le cadre de l’organisation commune de marché dans le secteur du chanvre.

30      À cet effet, l’article 52 du règlement n° 1782/2003, lu en combinaison avec le vingt-septième considérant de celui-ci, limite l’aide accordée à des variétés de chanvre offrant certaines garanties quant à la teneur en substances psychotropes. Ainsi, la teneur maximale en tétrahydrocannabinol admissible pour le chanvre éligible à l’aide communautaire doit être inférieure ou égale à 0,2 %.

31      Il s’ensuit que le règlement n° 1782/2003 s’oppose à une législation nationale telle que celle en cause au principal.

32      Au vu des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question que le règlement n° 1782/2003 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation nationale qui a pour effet d’interdire la culture et la détention du chanvre destiné à la production de fibres visé par ledit règlement.

 Sur la seconde question

33      Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le droit communautaire doit être interprété en ce sens qu’il permet à une juridiction d’un État membre d’appliquer une législation nationale qui, en méconnaissance du règlement n° 1782/2003, a pour effet d’interdire la culture et la détention du chanvre destiné à la production de fibres visé par ledit règlement.

34      Il y a lieu, à cet égard, de rappeler qu’il appartient à la juridiction nationale de donner à la loi interne qu’elle doit appliquer, dans toute la mesure du possible, une interprétation conforme aux exigences du droit communautaire (voir arrêt du 5 octobre 1994, van Munster, C‑165/91, Rec. p. I‑4661, point 34 et jurisprudence citée).

35      Il ressort, en outre, d’une jurisprudence constante que la juridiction nationale chargée d’appliquer, dans le cadre de sa compétence, les normes du droit communautaire a l’obligation d’assurer le plein effet de ces normes en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire de la législation nationale (arrêt du 18 juillet 2007, Lucchini, C‑119/05, Rec. p. I‑6199, point 61 et jurisprudence citée).

36      Partant, il convient de répondre à la seconde question que le droit communautaire s’oppose à ce qu’une juridiction d’un État membre applique une législation nationale qui, en méconnaissance du règlement n° 1782/2003, a pour effet d’interdire la culture et la détention du chanvre destiné à la production de fibres visé par ledit règlement.

 Sur les dépens

37      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) dit pour droit:

1)      Le règlement (CE) n° 1782/2003 du Conseil, du 29 septembre 2003, établissant des règles communes pour les régimes de soutien direct dans le cadre de la politique agricole commune et établissant certains régimes de soutien en faveur des agriculteurs et modifiant les règlements (CEE) n° 2019/93, (CE) n° 1452/2001, (CE) n° 1453/2001, (CE) n° 1454/2001, (CE) n° 1868/94, (CE) n° 1251/1999, (CE) n° 1254/1999, (CE) n° 1673/2000, (CEE) n° 2358/71 et (CE) n° 2529/2001, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation nationale qui a pour effet d’interdire la culture et la détention du chanvre destiné à la production de fibres visé par ledit règlement.

2)      Le droit communautaire s’oppose à ce qu’une juridiction d’un État membre applique une législation nationale qui, en méconnaissance du règlement n° 1782/2003, a pour effet d’interdire la culture et la détention du chanvre destiné à la production de fibres visé par ledit règlement.

Signatures


* Langue de procédure: le lituanien.