Affaire C-577/08

Rijksdienst voor Pensioenen

contre

Elisabeth Brouwer

(demande de décision préjudicielle, introduite par l'Arbeidshof te Antwerpen)

«Égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale — Directive 79/7/CEE — Travailleurs frontaliers — Calcul des pensions»

Sommaire de l'arrêt

1.        Politique sociale — Égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale — Directive 79/7

(Directive du Conseil 79/7, art. 4, § 1)

2.        Questions préjudicielles — Interprétation — Effets dans le temps des arrêts d'interprétation

(Art. 234 CE)

1.        L’article 4, paragraphe 1, de la directive 79/7, relative à la mise en oeuvre progressive du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale, s’oppose à une réglementation nationale en vertu de laquelle, pour la période allant de 1984 à 1994, le calcul des pensions de retraite et de vieillesse des travailleurs frontaliers féminins se basait, en ce qui concerne les mêmes emplois ou les emplois de même valeur, sur des salaires journaliers fictifs et/ou forfaitaires inférieurs à ceux des travailleurs frontaliers masculins.

(cf. point 31 et disp.)

2.        La Cour peut, à titre exceptionnel, en tenant compte des troubles graves que son arrêt pourrait entraîner pour le passé, être amenée à limiter la possibilité pour tout intéressé d’invoquer l’interprétation que, saisie par voie de question préjudicielle, elle donne d’une disposition du droit de l’Union. Toutefois, les conséquences financières qui pourraient découler pour un État membre d’un arrêt rendu à titre préjudiciel ne justifient pas, par elles-mêmes, la limitation des effets de cet arrêt dans le temps.

(cf. points 33-34)







ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

29 juillet 2010 (*)

«Égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale – Directive 79/7/CEE – Travailleurs frontaliers – Calcul des pensions»

Dans l’affaire C‑577/08,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par l’arbeidshof te Antwerpen (Belgique), par décision du 18 décembre 2008, parvenue à la Cour le 29 décembre 2008, dans la procédure

Rijksdienst voor Pensioenen

contre

Elisabeth Brouwer,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. J.‑C. Bonichot, président de chambre, Mme C. Toader, MM. K. Schiemann (rapporteur), P. Kūris et L. Bay Larsen, juges,

avocat général: M. N. Jääskinen,

greffier: Mme R. Şereş, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 18 mars 2010,

considérant les observations présentées:

–        pour le gouvernement belge, par Mmes L. Van den Broeck et C. Pochet, ainsi que par M. E. Pools, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par M. M. van Beek, en qualité d’agent,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 79/7/CEE du Conseil, du 19 décembre 1978, relative à la mise en œuvre progressive du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale (JO 1979, L 6, p. 24).

2        Cette question a été posée dans le cadre du recours formé par Mme Brouwer contre le Rijksdienst voor Pensioenen (Office national des pensions, ci-après le «Rijksdienst») au sujet du calcul prétendument discriminatoire du montant de la pension de retraite qui lui a été octroyé.

 Le cadre juridique

 La réglementation communautaire

3        La directive 79/7 vise à éliminer progressivement la discrimination fondée sur le sexe en matière de sécurité sociale. Selon son article 3, paragraphe 1, sous a), elle s’applique aux régimes légaux qui assurent une protection contre, notamment, la vieillesse.

4        Aux termes de l’article 4, paragraphe 1, de cette directive:

«Le principe de l’égalité de traitement implique l’absence de toute discrimination fondée sur le sexe, soit directement, soit indirectement par référence, notamment, à l’état matrimonial ou familial, en particulier en ce qui concerne:

[…]

–        le calcul des prestations, y compris les majorations dues au titre du conjoint et pour personne à charge et les conditions de durée et de maintien du droit aux prestations.»

5        L’article 7, paragraphe 1, sous a), de ladite directive prévoit que celle‑ci ne fait pas obstacle à la faculté qu’ont les États membres d’exclure de son champ d’application:

«la fixation de l’âge de la retraite pour l’octroi des pensions de vieillesse et de retraite et les conséquences pouvant en découler pour d’autres prestations».

 La réglementation nationale

6        L’article 5, paragraphe 7, de l’arrêté royal du 23 décembre 1996 portant exécution des articles 15 à 17 de la loi du 26 juillet 1996 portant modernisation de la sécurité sociale et assurant la viabilité des régimes légaux des pensions prévoit:

«Le travailleur de nationalité belge:

a)      qui a été occupé habituellement en qualité d’ouvrier, d’employé ou d’ouvrier mineur dans un pays limitrophe de la Belgique, à condition qu’il ait conservé sa résidence principale en Belgique et y soit revenu en principe chaque jour,

b)      ou qui a été occupé dans un pays étranger en qualité d’ouvrier ou d’employé pour des périodes d’une durée inférieure à un an chacune pour le compte d’un employeur établi dans ce pays, pour y effectuer un travail salarié ou assimilé à caractère saisonnier, à condition qu’il ait conservé sa résidence principale en Belgique et que sa famille ait continué d’y résider,

peut obtenir une pension de retraite égale à la différence entre le montant de la pension de retraite qu’il aurait obtenu si cette activité en qualité de travailleur salarié avait été exercée en Belgique et le montant de la pension obtenu pour la même activité en vertu de la législation du pays d’occupation.»

7        En application de l’article 25 de l’arrêté royal du 21 décembre 1967 portant règlement général du régime de pension de retraite et de survie des travailleurs salariés (Moniteur belge du 16 janvier 1968), la rémunération à prendre en considération pour la détermination de la pension de retraite que le travailleur visé à l’article 5, paragraphe 7, de l’arrêté royal du 23 décembre 1996 obtiendrait si cette activité en qualité de travailleur salarié avait été exercée en Belgique ou pour la détermination de la pension de survie est fixée par le Roi pour chaque année civile, compte tenu des éléments relatifs à l’année civile précédente figurant au compte individuel.

 Les faits du litige au principal et la question préjudicielle

8        Mme Brouwer, de nationalité belge et résidant en Belgique, a travaillé aux Pays-Bas, en qualité de travailleur frontalier, du 15 août 1960 au 31 décembre 1998. À partir du 1er janvier 1999, elle a cessé de travailler et a perçu des prestations en tant que préretraitée en Belgique.

9        Ayant droit à une pension de retraite complète en Belgique jusqu’à son soixante-cinquième anniversaire, cette charge incombant par la suite au Royaume des Pays-Bas en raison des périodes d’assurance accomplies dans cet État, Mme Brouwer a, en 2003, déposé une demande de pension de retraite auprès du Rijksdienst. Celle-ci, calculée au prorata des périodes d’assurance accomplies, a été fixée à 11 724,61 euros et lui a été accordée à partir du 1er mai 2004.

10      Le montant de ladite pension a été calculé, conformément à la réglementation belge applicable, notamment à l’article 5, paragraphe 7, de l’arrêté royal du 23 décembre 1996, sur la base des salaires journaliers fictifs et/ou forfaitaires fixés annuellement par arrêté royal sur la base du salaire moyen perçu par les travailleurs en Belgique au cours de l’année précédente.

11      Le 1er juin 2004, Mme Brouwer a contesté le montant de la pension qui lui a été octroyé, en soutenant que, pour la période allant du 1er janvier 1968 au 31 décembre 1994, le calcul dudit montant se fondait sur des salaires fictifs et/ou forfaitaires qui, au cours de cette période, étaient inférieurs pour les travailleurs féminins à ceux de leurs collègues masculins.

12      Le 5 juillet 2004, le Rijksdienst a fait savoir à Mme Brouwer qu’il maintenait sa décision initiale, en faisant valoir que, au cours de la période en question, le salaire réel moyen, sur la base duquel la pension de retraite était calculée, n’était pas le même pour les travailleurs féminins et les travailleurs masculins, d’où les différences dans les montants des pensions. À partir de 1995, toutefois, le salaire journalier est devenu identique pour les travailleurs masculins et féminins. Cette évolution aurait été influencée par l’égalisation avancée des rémunérations ainsi que par le fait que les femmes qui travaillent restent actives toujours plus longtemps.

13      Mme Brouwer a saisi l’arbeidsrechtbank te Hasselt (tribunal du travail de Hasselt) d’un recours contre la décision du Rijksdienst. Par un jugement du 16 juin 2006, ce tribunal a annulé ladite décision et condamné le Rijksdienst à procéder à un nouveau calcul de la pension de retraite de Mme Brouwer sur la base des rémunérations fictives et/ou forfaitaires qui étaient utilisées pour les travailleurs frontaliers masculins au cours de la période allant du 1er janvier 1968 au 31 décembre 1994.

14      L’arbeidsrechtbank te Hasselt a considéré que les règles constitutionnelles d’égalité et de non-discrimination n’excluaient pas qu’il y ait une différence de traitement entre différentes catégories de personnes, pour autant que cette différence repose sur un critère objectif, répond à un but légitime et est proportionnelle au but recherché. En l’espèce, ces conditions ne seraient pas remplies.

15      Selon l’arbeidsrechtbank te Hasselt, même si, antérieurement, la différence de traitement fondée sur le sexe découlait de la situation de fait qui prévalait alors et qui se caractérisait par une différence dans le niveau des rémunérations des hommes et des femmes, une telle situation n’est pas compatible avec l’article 141 CE et l’obligation qui en résulte d’assurer l’application du principe de l’égalité des rémunérations entre travailleurs masculins et travailleurs féminins pour un même travail ou pour un travail de même valeur. Par conséquent, le législateur belge ne pourrait plus s’appuyer sur un système au titre duquel, pour les femmes, c’est une rémunération inférieure qui est prise en compte pour le calcul de leur pension en tant que travailleurs frontaliers, en affirmant que cela reflète une situation dans laquelle, en moyenne, les travailleurs féminins perçoivent des rémunérations inférieures à celles que perçoivent les travailleurs masculins.

16      Le Rijksdienst a interjeté appel du jugement du 16 juin 2006 devant l’arbeidshof te Antwerpen.

17      Dans ces conditions, l’arbeidshof te Antwerpen a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«Les arrêtés royaux des 01.12.1969, 18.06.1970, 08.06.1971, 14.09.1972, 31.07.1973, 12.07.1974, 13.02.1975, 28.11.1975, 26.11.1976, 26.09.1977, 31.07.1978, 31.08.1979, 02.12.1980, 13.01.1982, 14.03.1983, 11.01.1984, 30.11.1984, 24.01.1986, 30.12.1986, 06.01.1988, 02.12.1988, 30.11.1989, 10.12.1990, 01.06.1993, 08.12.1993, 19.12.1994 et 10.10.1995, pris en exécution de l’article 25 de l’arrêté royal du 21 décembre 1967 portant règlement général du régime de pension de retraite et de survie des travailleurs salariés, qui prévoient que, pour le calcul de la pension de retraite des travailleurs frontaliers féminins, on établit des salaires fictifs et/ou forfaitaires qui sont inférieurs à ceux établis pour les travailleurs frontaliers masculins, sont‑ils conformes à l’article 4, paragraphe 1, de la directive 79/7/CEE relative à la mise en œuvre progressive du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale?»

 Sur la question préjudicielle

18      La Commission européenne part de la prémisse selon laquelle les salaires réels moyens des travailleurs en Belgique pour les années allant de 1968 à 1994, sur la base desquels étaient calculées les pensions de retraite, concernaient un même travail ou un travail de même valeur. La Commission estime que, étant donné que les autorités belges n’ont pas corrigé les différences de salaires existant dans la pratique, ces différences ont également influencé les salaires fictifs et/ou forfaitaires utilisés pour le calcul de la pension de retraite.

19      Elle fait valoir qu’un tel calcul constitue une discrimination directe au sens du droit communautaire, incompatible avec l’article 4 de la directive 79/7.

20      Quant au gouvernement belge, celui-ci a soutenu dans ses observations écrites qu’une telle discrimination n’existait pas. Pendant la période allant de 1968 à 1994, il aurait existé une différence notable de rémunération entre les travailleurs masculins et féminins, employés dans des secteurs différents, avec souvent un plan de travail réduit pour les femmes. Il en aurait résulté que la rémunération à prendre en considération pour le calcul des salaires moyens serait différente. Il serait donc normal qu’il existe des différences dans les rémunérations journalières fictives et forfaitaires, ce qui entraîne des différences dans le montant des pensions. Dès 1995, la rémunération journalière est, selon le gouvernement belge, devenue la même pour les travailleurs féminins et masculins car les salaires se sont égalisés et les femmes sont devenues plus actives dans les activités professionnelles traditionnellement réservées aux hommes.

21      Il doit toutefois être relevé que, lors de l’audience, le gouvernement belge a radicalement changé sa position.

22      En premier lieu, celui-ci a reconnu l’existence d’une inégalité de traitement et a fait état des démarches entreprises afin de corriger cette situation et de se conformer aux exigences de la directive 79/7. Une proposition d’arrêté royal visant la mise en équivalence des salaires journaliers forfaitaires des femmes avec ceux des hommes pour la période comprise entre 1984 et 1994 aurait notamment était établie. Le gouvernement belge a soutenu que l’article 2 de cette proposition prévoyait que les personnes qui souhaitent bénéficier de ladite mise en équivalence doivent en faire la demande conformément au règlement général sur les pensions de retraite et de survie pour les travailleurs.

23      En second lieu, le gouvernement belge a demandé à la Cour de limiter les effets de son arrêt dans le temps, cette demande de limitation concernant non pas le paiement des arriérés mais les seuls intérêts dus sur ces arriérés. Le gouvernement belge a tout particulièrement demandé de limiter le bénéfice de ces intérêts aux ayants droit qui ont introduit une procédure judiciaire avant le 18 décembre 2008, date de l’introduction de la présente demande de décision préjudicielle par l’arbeidshof te Antwerpen.

24      Le gouvernement belge a soutenu que les deux conditions reconnues par la jurisprudence de la Cour permettant la limitation dans le temps des effets d’un arrêt de la Cour étaient remplies.

25      S’agissant de la première condition, à savoir l’existence de la bonne foi dans le cas d’une mauvaise interprétation d’une disposition de droit communautaire, en l’occurrence l’article 4, paragraphe 1, de la directive 79/7, le gouvernement belge a soutenu avoir considéré les différences de rémunérations entre les femmes et les hommes comme justifiées par des facteurs objectifs. Le gouvernement belge s’est, à cet égard, appuyé sur le fait qu’aucune affaire similaire n’avait été portée devant les juridictions belges et qu’aucun recours en manquement sur ce sujet n’avait été introduit par la Commission contre l’État belge.

26      S’agissant de la seconde condition, à savoir un risque de répercussions économiques graves d’un tel arrêt pour l’État membre concerné, le gouvernement belge a soutenu que le seul paiement des arriérés hors intérêts représentait une charge très importante pour les finances publiques belges.

 Appréciation de la Cour

27      Il convient de relever, à titre liminaire, que, dans le cadre de la procédure au titre de l’article 234 CE, la Cour ne peut pas se prononcer sur la compatibilité d’une disposition nationale avec le droit communautaire et qu’il convient, par conséquent, de reformuler la question préjudicielle et de l’interpréter comme visant à déterminer si l’article 4, paragraphe 1, de la directive 79/7 s’oppose à une réglementation nationale en vertu de laquelle, pour la période allant de 1968 à 1994, le calcul des pensions de retraite et de vieillesse des travailleurs frontaliers féminins se basait sur des salaires journaliers fictifs et/ou forfaitaires inférieurs à ceux des travailleurs frontaliers masculins.

28      Pour répondre à cette question, il y a lieu, ainsi que l’a soutenu à bon droit la Commission, de diviser la période allant de 1968 à 1994 sur laquelle porte le litige au principal. Notamment, il convient de distinguer la période allant du 23 décembre 1984, date d’expiration du délai de transposition de la directive 79/7, au 31 décembre 1994 de celle allant du 1er janvier 1968 au 22 décembre 1984.

29      S’agissant de la période allant du 1er janvier 1968 au 22 décembre 1984, étant donné que la directive 79/7 n’a été adoptée qu’en 1978 et que son délai de transposition était fixé au 23 décembre 1984, la compatibilité de la réglementation nationale en cause ne pouvait être examinée que par rapport à l’article 119 du traité CE (les articles 117 à 120 du traité CE ont été remplacés par les articles 136 CE à 143 CE). Cependant, des dispositions telles que celles en cause au principal, relatives à des régimes légaux de pensions se trouvaient en dehors du champ d’application dudit article et ne pouvaient dès lors être considérées comme contraires à celui-ci (voir, en ce sens, arrêt du 25 mai 1971, Defrenne, 80/70, Rec. p. 445, point 7).

30      Quant à la période allant du 23 décembre 1984 au 31 décembre 1994, il convient de constater que le Royaume de Belgique, ainsi qu’il l’a lui‑même admis à l’audience, n’a pas respecté les obligations qui lui incombent en vertu de la directive 79/7 en ce qui concerne le calcul des pensions de retraite en appliquant, jusqu’au 1er janvier 1995, une méthode de calcul discriminatoire qui reposait sur des salaires journaliers fictifs et/ou forfaitaires supérieurs pour les travailleurs frontaliers masculins à ceux retenus pour les travailleurs frontaliers féminins, pour les mêmes emplois ou pour des emplois de même valeur.

31      Eu égard à ce qui précède, il convient de conclure que l’article 4, paragraphe 1, de la directive 79/7 s’oppose à une réglementation nationale en vertu de laquelle, pour la période allant de 1984 à 1994, le calcul des pensions de retraite et de vieillesse des travailleurs frontaliers féminins se basait, en ce qui concerne les mêmes emplois ou les emplois de même valeur, sur des salaires journaliers fictifs et/ou forfaitaires inférieurs à ceux des travailleurs frontaliers masculins.

32      S’agissant de la demande du gouvernement belge de limiter les effets de l’arrêt dans le temps au cas où la Cour constaterait l’existence d’une discrimination, il convient de relever ce qui suit.

33      La Cour peut, à titre exceptionnel, en tenant compte des troubles graves que son arrêt pourrait entraîner pour le passé, être amenée à limiter la possibilité pour tout intéressé d’invoquer l’interprétation que, saisie par voie de question préjudicielle, elle donne d’une disposition du droit de l’Union (voir arrêt du 17 mai 1990, Barber, C‑262/88, Rec. p. I‑1889, point 41).

34      Il est toutefois de jurisprudence constante que les conséquences financières qui pourraient découler pour un État membre d’un arrêt rendu à titre préjudiciel ne justifient pas, par elles-mêmes, la limitation des effets de cet arrêt dans le temps (arrêts du 20 septembre 2001, Grzelczyk, C‑184/99, Rec. p. I‑6193, point 52; du 15 mars 2005, Bidar, C‑209/03, Rec. p. I‑2119, point 68, et du 27 avril 2006, Richards, C‑423/04, Rec. p. I‑3585, point 41).

35      Limiter les effets d’un arrêt en s’appuyant uniquement sur ce type de considérations aboutirait à réduire de façon substantielle la protection juridictionnelle des droits que les particuliers tirent du droit communautaire (voir, en ce sens, arrêt du 24 septembre 1998, Commission/France, C‑35/97, Rec. p. I‑5325, point 52).

36      Outre l’existence d’un risque de répercussions économiques graves dues en particulier au nombre élevé de rapports juridiques constitués de bonne foi sur la base de la réglementation considérée comme étant légalement en vigueur, un autre facteur à prendre en considération afin de justifier la limitation des effets de l’arrêt dans le temps est l’existence d’une incertitude objective et importante quant à la portée des dispositions communautaires (voir, en ce sens, arrêts précités Bidar, point 69, et Richards, point 42).

37      Or, en l’occurrence, les autorités nationales belges ne sauraient se prévaloir de l’existence d’une incertitude objective quant à la portée de l’obligation d’assurer l’égalité de traitement qui découle clairement de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 79/7 aux termes duquel le principe de l’égalité de traitement implique l’absence de toute discrimination fondée sur le sexe, soit directement, soit indirectement, en ce qui concerne, notamment, le calcul des prestations.

38      S’il s’avère que ce sont bel et bien les salaires fictifs et/ou forfaitaires pour les mêmes emplois ou les emplois de même valeur qui ont été pris en compte comme base pour le calcul des pensions de retraite, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, les autorités belges ne pouvaient légitimement croire que le fait que les salaires des travailleurs féminins étaient inférieurs à ceux des travailleurs masculins résultait de l’existence de facteurs objectifs et non d’une simple discrimination salariale.

39      En outre, le fait que la Commission n’avait introduit aucun recours en manquement contre le Royaume de Belgique à cet égard ne saurait être interprété comme l’approbation tacite par la Commission de la discrimination salariale que les autorités belges ont tolérée pour la période allant de 1984 à 1994 dans le calcul des pensions de retraite des travailleurs frontaliers féminins.

40      L’existence d’une incertitude objective quant à la portée de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 79/7 ne pouvant pas être établie en l’espèce, ce constat suffit à justifier que les effets du présent arrêt ne soient pas limités dans le temps.

 Sur les dépens

41      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit:

L’article 4, paragraphe 1, de la directive 79/7/CEE du Conseil, du 19 décembre 1978, relative à la mise en œuvre progressive du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale, s’oppose à une réglementation nationale en vertu de laquelle, pour la période allant de 1984 à 1994, le calcul des pensions de retraite et de vieillesse des travailleurs frontaliers féminins se basait, en ce qui concerne les mêmes emplois ou les emplois de même valeur, sur des salaires journaliers fictifs et/ou forfaitaires inférieurs à ceux des travailleurs frontaliers masculins.

Signatures


* Langue de procédure: le néerlandais.