ARRÊT DE LA COUR (septième chambre)

29 octobre 2009 (*)

«Manquement d’État – Directive 2005/68/CE – Activité non salariée de réassurance – Accès et exercice – Dispositions nationales antérieures à la directive – Absence de communication ou non-transposition dans le délai prescrit»

Dans l’affaire C‑551/08,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 226 CE, introduit le 11 décembre 2008,

Commission des Communautés européennes, représentée par Mme N. Yerrell et M. M. Kaduczak, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

République de Pologne, représentée par M. M. Dowgielewicz, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

LA COUR (septième chambre),

composée de M. J. N. Cunha Rodrigues, président de la deuxième chambre, faisant fonction de président de la septième chambre, Mme P. Lindh (rapporteur) et M. A. Ó Caoimh, juges,

avocat général: M. D. Ruiz-Jarabo Colomer,

greffier: M. R. Grass,

vu la procédure écrite,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en n’ayant pas adopté les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive 2005/68/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 novembre 2005, relative à la réassurance et modifiant les directives 73/239/CEE et 92/49/CEE du Conseil ainsi que les directives 98/78/CE et 2002/83/CE (JO L 323, p. 1, ci-après la «directive»), ou, en tout état de cause, en ne l’ayant pas informée de l’adoption de ces dispositions, la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de cette directive.

2        Conformément à son septième considérant et à son article 1er, paragraphe 1, la directive vise à instaurer un cadre législatif prudentiel applicable à l’accès aux activités de réassurance et à l’exercice de celles-ci dans la Communauté européenne. La directive règle, notamment, l’obligation d’obtenir un agrément administratif unique pour les activités régies par cette directive, les pouvoirs et les moyens de surveillance accordés aux autorités compétentes des États membres ainsi que les règles concernant les «véhicules de titrisation» («special purpose vehicles»).

3        En vertu de l’article 64, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive, les États membres devaient mettre en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à celle-ci au plus tard le 10 décembre 2007 et communiquer immédiatement à la Commission le texte de ces dispositions. Le second alinéa dudit paragraphe prévoit également que, lorsque les États membres adoptent ces dispositions, celles-ci contiennent une référence à la directive ou sont accompagnées d’une telle référence lors de leur publication officielle. En outre, selon le paragraphe 2 du même article, les États membres doivent communiquer à la Commission le texte des principales dispositions de droit national qu’ils adoptent dans le domaine régi par cette directive.

 La procédure précontentieuse

4        N’ayant pas été informée des mesures prises par la République de Pologne pour assurer la transposition de la directive dans son ordre juridique national dans le délai prescrit, la Commission a engagé la procédure en manquement prévue à l’article 226 CE et a, par lettre du 29 janvier 2008, mis cet État membre en demeure de présenter ses observations dans un délai de deux mois à compter de la notification de cette lettre.

5        Le 10 avril 2008, les autorités polonaises ont répondu à ladite lettre de mise en demeure que les travaux préparatoires relatifs aux mesures nécessaires à la mise en œuvre de la directive étaient en cours.

6        N’ayant reçu aucune information supplémentaire, la Commission a, par lettre du 27 juin 2008, émis un avis motivé à l’encontre de la République de Pologne, invitant cette dernière à prendre les mesures nécessaires pour se conformer à ses obligations découlant de la directive dans un délai de deux mois à compter de la réception de cet avis.

7        Le 22 août 2008, la République de Pologne a répondu audit avis motivé que les travaux relatifs aux mesures nécessaires pour se conformer à la directive étaient toujours en cours et qu’il était prévu d’adopter celles-ci au cours du troisième trimestre de l’année 2008.

8        Ne disposant d’aucune autre information de nature à établir que les mesures nécessaires à la transposition de la directive dans l’ordre juridique national avaient été adoptées, la Commission a décidé d’introduire le présent recours.

 Sur le recours

 Argumentation des parties

9        La Commission soutient que la République de Pologne n’a pas adopté les dispositions nécessaires pour se conformer à la directive ou, en tout état de cause, qu’elle ne les lui a pas communiquées. Elle constate que cet État membre n’a transmis aucune disposition lui permettant de considérer que le droit national est conforme à la directive et qu’il se borne à affirmer que la législation nécessaire pour assurer la transposition est en cours d’adoption, celle-ci devant intervenir au plus tard au cours du troisième trimestre de l’année 2008.

10      La République de Pologne, en revanche, conteste l’existence du manquement allégué.

11      Dans son mémoire en défense, la République de Pologne soutient, en premier lieu, que la législation nationale relative à l’activité d’assurance, en vigueur à la date prévue pour la mise en œuvre de la directive, était déjà en conformité avec les dispositions de cette dernière. À cet égard, ledit État membre se réfère à une liste contenant les titres des 19 règlements nationaux régissant l’activité d’assurance au sens large qui s’appliquent, selon lui, mutatis mutandis à l’activité de réassurance, y compris le domaine régi par la directive. Cet État membre affirme également qu’une «liste précise» des mesures nationales de transposition de celle-ci a été notifiée à la Commission le 23 janvier 2009.

12      Plus spécifiquement, dans son mémoire en défense, la République de Pologne expose que, selon les articles 3, paragraphe 3, et 6, paragraphe 2, de la loi du 22 mai 2003 relative à l’activité d’assurance (Dz. U de 2003, n° 124, position 1151), l’activité de réassurance a été dissociée de l’activité générale d’assurance dans le droit polonais et il en ressort qu’une société peut exercer soit les deux activités parallèlement, soit exclusivement une activité de réassurance. Par conséquent, ledit État membre soutient que c’est à tort que la Commission fait valoir qu’il n’a pas permis l’exercice de l’activité de réassurance ou n’a pas respecté les droits des entreprises envisageant d’exercer cette activité.

13      La République de Pologne souligne, par ailleurs, que les dispositions en vigueur dans l’ordre juridique national sont interprétées par l’administration polonaise de manière à réaliser l’objectif visé par la directive.

14      En second lieu, la République de Pologne fait valoir que, puisque les dispositions nationales antérieures à la directive étaient conformes à celle-ci, une nouvelle transposition n’était pas nécessaire. Elle affirme que le projet de loi portant modification de la loi relative à l’activité d’assurance, mentionné dans ses réponses à la lettre de mise en demeure et à l’avis motivé, vise simplement à clarifier la réglementation nationale existante. Cet État membre ajoute, dans son mémoire en défense, que la loi relative à l’organisation des dispositions juridiques en matière d’assurance et de réassurance, modifiant la loi relative à l’activité d’assurance, a été adoptée par la Diète polonaise et transmise au Sénat et qu’elle devait être soumise pour signature au président de la République au début du mois de février de l’année 2009.

 Appréciation de la Cour

15      Selon une jurisprudence constante, dans le cadre d’une procédure en manquement, il incombe à la Commission d’établir l’existence du manquement allégué et d’apporter à la Cour les éléments nécessaires à la vérification par celle-ci de cette existence. Toutefois, conformément à une jurisprudence également constante, les États membres sont tenus, en vertu de l’article 10 CE, de faciliter à la Commission l’accomplissement de sa mission, qui consiste notamment, selon l’article 211, premier tiret, CE, à veiller à l’application des dispositions du traité CE ainsi que des dispositions prises par les institutions en vertu de celui-ci (voir, notamment, arrêts du 25 octobre 2007, Commission/Irlande, C‑248/05, Rec. p. I‑9261, points 66 et 67, ainsi que du 22 janvier 2009, Commission/Pologne, C‑492/07, point 17).

16      En ce qui concerne la transposition de la directive dans l’ordre juridique national, il convient de relever que, tout au long de la procédure précontentieuse, la République de Pologne s’est bornée à faire valoir que des mesures nécessaires visant à transposer cette directive dans le droit interne étaient en cours d’adoption, sans faire valoir que la réglementation nationale en vigueur constituait d’ores et déjà une transposition correcte et complète de la directive. Contrairement à ce que cet État membre laisse entendre dans son mémoire en défense, cet argument a été invoqué pour la première fois dans ce mémoire.

17      Quant à la Commission, après avoir pris connaissance du mémoire en défense, elle a affirmé dans une lettre du 12 mars 2009, dont le contenu n’est pas sans ambiguïté, que ni l’état de fait ni l’état de droit n’avaient été substantiellement modifiés et que la République de Pologne ne lui avait toujours pas adressé les informations relatives à la transposition complète de la directive, de sorte qu’elle n’entendait pas déposer de mémoire en réplique.

18      Il convient de constater que les manières de procéder des deux parties ne sont pas de nature à faciliter l’appréciation qu’il appartient à la Cour d’effectuer dans le cadre de la procédure en manquement prévue à l’article 226 CE.

19      Force est de constater d’emblée que, même si la République de Pologne soutient désormais que la réglementation nationale existante constitue une transposition correcte et complète de la directive, de telle sorte qu’il n’était pas nécessaire qu’elle procède formellement à la transposition de celle-ci, il n’en demeure pas moins que cet État membre n’a fourni aucune indication précise et substantielle quant au contenu des normes nationales qui, selon lui, transposent la directive. Il se limite au contraire à présenter une liste de 19 mesures en mentionnant simplement leurs intitulés, leurs dates d’adoption et leurs références de publication.

20      En outre, il ressort des informations fournies par ledit État membre que la majeure partie de cette réglementation a été adoptée en 2003, soit deux ans avant l’adoption de la directive. D’après les titres des différents actes nationaux en question, cette réglementation est composée de mesures très hétérogènes. Selon la République de Pologne, cette réglementation concerne, en premier lieu, le domaine de l’assurance et n’est appliquée à la réassurance que mutatis mutandis et «dans la mesure du possible».

21      Or, une telle réglementation ne remplit pas l’exigence selon laquelle l’existence de règles nationales ne peut rendre superflue la transposition par des mesures législatives ou réglementaires spécifiques qu’à la condition que ces règles garantissent effectivement la pleine application de la directive par l’administration nationale et que la situation juridique découlant desdites règles nationales soit suffisamment précise et claire et que les bénéficiaires soient en mesure de connaître la plénitude de leurs droits et obligations (voir en ce sens, notamment, arrêts du 23 mai 1985, Commission/Allemagne, 29/84, Rec. p. 1661, point 23, et du 29 avril 2004, Commission/Autriche, C‑194/01, Rec. p. I‑4579, point 39).

22      Par ailleurs, il convient de relever que la République de Pologne précise elle-même, dans son mémoire en défense, d’une part, que les organes administratifs et juridictionnels nationaux interprètent ladite réglementation nationale «de manière à réaliser l’objectif de la directive» et, d’autre part, que le projet de loi mentionné au point 14 du présent arrêt vise à améliorer, en les précisant et en les clarifiant, la qualité des dispositions régissant, notamment, l’activité de réassurance, afin de garantir une plus grande transparence du régime juridique applicable. Dans ces conditions, il y a lieu d’inférer de cette argumentation que ledit État membre admet ainsi implicitement que la réglementation régissant l’activité d’assurance invoquée au stade du mémoire en défense n’est pas, à elle seule, apte à transposer correctement et complètement la directive.

23      Ceci est d’autant plus le cas que l’essentiel de la réglementation nationale, dont l’adoption est intervenue avant celle de la directive, ne pouvait pas, par hypothèse, contenir une référence à cette directive, conformément à l’article 64, paragraphe 1, second alinéa, de celle-ci. À cet égard, il ressort de la jurisprudence que, lorsqu’une directive prévoit expressément que les dispositions de transposition de cette directive contiennent une référence à celle-ci ou sont accompagnées d’une telle référence lors de leur publication officielle, il est en tout état de cause nécessaire d’adopter un acte positif de transposition (voir arrêts du 27 novembre 1997, Commission/Allemagne, C‑137/96, Rec. p. I‑6749, point 8; du 18 décembre 1997, Commission/Espagne, C‑360/95, Rec. p. I‑7337, point 13, et Commission/Espagne, C‑361/95, Rec. p. I‑7351, point 15; du 15 novembre 2007, Commission/Espagne, C‑59/07, point 19, ainsi que du 1er octobre 2009, Commission/Espagne, C‑502/08, point 21).

24      Il en résulte que la République de Pologne n’a pas démontré que la réglementation nationale préexistante rendait superflue la transposition de la directive.

25      Pour le reste, il est constant que le projet de modification législative mentionné au point 14 du présent arrêt n’avait pas été adopté au terme du délai fixé dans l’avis motivé. Or, les éventuels changements intervenus postérieurement à l’expiration dudit délai ne sauraient être pris en compte par la Cour (voir arrêts du 2 juin 2005, Commission/Irlande, C‑282/02, Rec. p. I‑4653, point 40; du 22 décembre 2008, Commission/Espagne, C‑189/07, point 27, et du 11 juin 2009, Commission/Autriche, C‑564/07, point 23).

26      Il s’ensuit que le premier grief est fondé.

27      En ce qui concerne la notification des dispositions en vigueur à la Commission, la République de Pologne admet, dans son mémoire en défense, que la loi et les règlements nationaux qui, selon elle, mettent en œuvre la directive n’ont été communiqués à la Commission que le 23 janvier 2009, à savoir postérieurement à l’expiration du délai imparti à cet État membre dans l’avis motivé. Il est donc constant que, au terme dudit délai, à savoir à la date prise en compte pour déterminer l’existence d’un manquement (voir, notamment, arrêts du 14 septembre 2004, Commission/Espagne, C‑168/03, Rec. p. I‑8227, point 24, et du 17 janvier 2008, Commission/Allemagne, C‑152/05, Rec. p. I‑39, point 15), lesdites dispositions n’avaient pas été notifiées à la Commission.

28      Par ailleurs, le projet de loi portant modification de la loi relative à l’activité d’assurance et destiné à clarifier la réglementation nationale existante n’ayant pas encore été adopté, il ne saurait, par hypothèse, avoir été communiqué à la Commission.

29      Il s’ensuit que le second grief de la Commission est également fondé.

30      Par conséquent, il convient de constater que, en n’ayant pas adopté, dans le délai prescrit, les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive et en n’ayant pas communiqué à la Commission le texte des dispositions nationales adoptées dans le domaine régi par cette directive, la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de cette directive et, notamment, de l’article 64 de celle-ci.

 Sur les dépens

31      En vertu de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République de Pologne et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (septième chambre) déclare et arrête:

1)      En n’ayant pas adopté, dans le délai prescrit, les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive 2005/68/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 novembre 2005, relative à la réassurance et modifiant les directives 73/239/CEE et 92/49/CEE du Conseil ainsi que les directives 98/78/CE et 2002/83/CE, et en n’ayant pas communiqué à la Commission des Communautés européennes le texte des dispositions nationales adoptées dans le domaine régi par cette directive, la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de cette directive et, notamment, de l’article 64 de celle-ci.

2)      La République de Pologne est condamnée aux dépens.

Signatures


* Langue de procédure: le polonais.