ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)
25 mars 2010 ( *1 )
«Manquement d’État — Directive 96/82/CE — Maîtrise des dangers liés aux accidents majeurs impliquant des substances dangereuses — Article 11, paragraphe 1, sous c) — Obligation d’élaborer des plans d’urgence externes — Délai»
Dans l’affaire C-392/08,
ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 226 CE, introduit le 9 septembre 2008,
Commission européenne, représentée par Mme S. Pardo Quintillán et M. A. Sipos, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie requérante,
contre
Royaume d’Espagne, représenté par Mme B. Plaza Cruz, en qualité d’agent, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie défenderesse,
LA COUR (troisième chambre),
composée de M. K. Lenaerts, président de chambre, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. E. Juhász, T. von Danwitz et D. Šváby (rapporteur), juges,
avocat général: Mme J. Kokott,
greffier: M. R. Grass,
vu la procédure écrite,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 10 décembre 2009,
rend le présent
Arrêt
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Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en n’ayant pas élaboré des plans d’urgence externes pour tous les établissements visés à l’article 9 de la directive 96/82/CE du Conseil, du 9 décembre 1996, concernant la maîtrise des dangers liés aux accidents majeurs impliquant des substances dangereuses (JO 1997, L 10, p. 13), le Royaume d’Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 11, paragraphe 1, sous c), de cette directive. |
Le cadre juridique
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Aux termes de l’article 1er de la directive 96/82, celle-ci a pour objet la prévention des accidents majeurs impliquant des substances dangereuses et la limitation de leurs conséquences pour l’homme et l’environnement, afin d’assurer de façon cohérente et efficace dans toute la Communauté européenne des niveaux de protection élevés. |
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L’article 11 de la directive 96/82 dispose: «1. Les États membres veillent à ce que, pour tous les établissements soumis aux dispositions de l’article 9:
2. Les plans d’urgence doivent être établis en vue des objectifs suivants:
Les plans d’urgence contiennent les informations visées à l’annexe IV. […] 4. Les États membres instaurent un système garantissant que les plans d’urgence internes et externes sont réexaminés, testés et, si nécessaire, révisés et mis à jour par les exploitants et les autorités désignées, à des intervalles appropriés qui ne doivent pas excéder trois ans. Ce réexamen tient compte des modifications intervenues dans les établissements concernés, à l’intérieur des services d’urgence considérés, des nouvelles connaissances techniques et des connaissances concernant les mesures à prendre en cas d’accidents majeurs. […]» |
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En application des articles 24 et 25 de la directive 96/82, les États membres étaient tenus de mettre en vigueur les dispositions nécessaires pour se conformer à celle-ci au plus tard le 3 février 1999. |
La procédure précontentieuse
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Considérant que l’article 11, paragraphe 1, sous c), de la directive 96/82 n’avait pas été respecté par le Royaume d’Espagne, la Commission a, le 23 mars 2007, engagé la procédure en manquement prévue à l’article 226 CE en mettant cet État membre en demeure de présenter ses observations à cet égard. |
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Par lettres des 12 et 25 juin 2007, les autorités espagnoles ont répondu à la lettre de mise en demeure de la Commission, informant celle-ci du nombre d’établissements concernés par les dispositions de la directive 96/82 et du nombre de ces établissements disposant d’un plan d’urgence externe. |
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Constatant, au vu de ces informations, qu’il subsistait des établissements ne disposant pas d’un tel plan, la Commission a émis, le 23 octobre 2007, un avis motivé invitant le Royaume d’Espagne à prendre les mesures requises pour se conformer à cet avis dans un délai de deux mois à compter de la réception de celui-ci. |
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Par lettre du 10 janvier 2008, les autorités espagnoles ont répondu audit avis en précisant que, sur le nombre d’établissements concernés, qui était de 238 en 2005 et de 280 en décembre 2007, 186 disposaient d’un plan d’urgence externe approuvé. Elles ont, en outre, fait observer que, si l’article 11, paragraphe 1, sous b), de la directive 96/82 fixe des délais quant à l’obligation, pour l’exploitant d’un établissement concerné, de fournir les informations nécessaires aux autorités compétentes, il ne prévoit en revanche aucun délai pour l’élaboration, par ces dernières, des plans d’urgence externes. |
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Estimant que la situation demeurait insatisfaisante, la Commission a introduit le présent recours. |
Sur le recours
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Le Royaume d’Espagne admet que, à l’expiration du délai imparti dans l’avis motivé, soit le 23 décembre 2007, 94 établissements situés sur son territoire et soumis à l’article 9 de la directive 96/82 n’étaient pas dotés d’un plan d’urgence externe. |
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Cependant, il fait valoir que l’article 11, paragraphe 1, sous c), de la directive 96/82 ne fixe pas de délai pour l’élaboration des plans d’urgence externes par les autorités compétentes et que celles-ci ne sauraient disposer du même délai que celui prévu à l’article 11, paragraphe 1, sous a), de cette directive pour l’élaboration, par les exploitants des établissements concernés, des plans d’urgence internes. Il ajoute, à titre subsidiaire, que le défaut de transmission des informations nécessaires par lesdits exploitants, laquelle est prévue à l’article 11, paragraphe 1, sous b), de la directive 96/82, est en tout cas de nature à justifier l’absence de plan d’urgence externe pour un certain nombre des établissements concernés. Enfin, il indique que sept plans d’urgence externes ont été élaborés au cours de l’année 2008. |
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À titre liminaire, il convient de relever que les dispositions de l’article 11 de la directive 96/82, relatif aux établissements dans lesquels se trouvent des quantités importantes de substances dangereuses, forment un ensemble de normes visant à assurer un système cohérent et efficace de limitation des conséquences des accidents majeurs. |
13 |
L’élaboration des plans d’urgence externes s’insère, ainsi, dans un processus en plusieurs étapes comportant, dans un premier temps, l’élaboration des plans d’urgence internes par les exploitants des établissements concernés et la transmission des informations nécessaires aux autorités compétentes, dans un deuxième temps, l’élaboration, par celles-ci, desdits plans d’urgence externes et, dans un troisième temps, le réexamen et, si nécessaire, la révision et la mise à jour des plans d’urgence internes et externes, respectivement, par lesdits exploitants et par lesdites autorités. |
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Certes, l’article 11, paragraphes 1 et 4, de la directive 96/82 ne prescrit de délai qu’en ce qui concerne la première et la troisième de ces étapes. Toutefois, l’absence, dans cette disposition, d’un délai exprès en ce qui concerne l’élaboration des plans d’urgence externes n’implique pas en soi qu’aucun délai ne s’impose aux États membres pour se conformer à l’obligation d’élaborer ceux-ci. |
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En effet, cette obligation serait vidée de son contenu et le système de protection instauré par l’article 11 de la directive 96/82 serait privé de tout effet utile si l’élaboration desdits plans par les autorités compétentes pouvait rester indéfiniment en suspens. |
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À cet égard, il importe de rappeler que, ainsi qu’il ressort de l’article 11, paragraphe 2, de la directive 96/82, les plans d’urgence internes et externes sont établis en vue, notamment, de contenir et de maîtriser les incidents de façon à en minimiser les effets et à limiter les dommages causés à l’homme, à l’environnement et aux biens, et de mettre en œuvre les mesures nécessaires pour protéger l’homme et l’environnement contre les effets d’accidents majeurs. |
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En outre, il résulte notamment de l’annexe IV de la directive 96/82, relative aux informations devant figurer dans les plans d’urgence, qu’il existe une interdépendance entre les plans d’urgence interne et externe dont la coordination assure l’efficacité du mécanisme prévu à l’article 11 de la directive 96/82. |
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Il s’ensuit que les autorités nationales compétentes doivent valoriser sans retard les informations fournies par les exploitants des établissements concernés aux fins de l’élaboration des plans d’urgence externes. |
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Il en va spécialement ainsi s’agissant de certaines informations requises dont la péremption à brève échéance est de nature à priver d’efficacité un plan d’urgence fondé sur celles-ci. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les États membres sont tenus d’instaurer, conformément à l’article 11, paragraphe 4, de la directive 96/82, un système garantissant que les plans d’urgence internes et externes sont réexaminés et, si nécessaire, révisés et mis à jour à des intervalles appropriés qui ne doivent pas excéder trois ans. |
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Par conséquent, le délai relatif à l’exécution de l’obligation prévue à l’article 11, paragraphe 1, sous c), de cette directive ne peut, en principe, commencer à courir qu’à compter de la transmission desdites informations. |
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À la lumière de ces considérations, il y a lieu de conclure que les autorités compétentes sont tenues d’élaborer les plans d’urgence externes prévus à l’article 11 de la directive 96/82 dans un délai qui, d’une part, ne risque pas de porter atteinte à l’effet utile des dispositions de cet article, mais qui, d’autre part, tienne compte du temps nécessaire à la finalisation desdits plans, donc dans un délai raisonnable à compter de la transmission des informations nécessaires par les exploitants. |
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En l’espèce, il n’est pas contesté que des plans d’urgence externes n’existent pas pour tous les établissements concernés depuis de nombreuses années. |
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À cet égard, il importe de rappeler que l’article 11, paragraphe 1, sous b), de la directive 96/82 fixe plusieurs délais en fonction de différentes catégories d’établissements. Force est néanmoins de constater que la date limite à laquelle les exploitants des établissements visés par cette disposition devaient avoir transmis aux autorités compétentes les informations nécessaires à l’élaboration des plans d’urgence externes était fixée soit avant le début de la mise en exploitation de ces établissements, soit au plus tard au 3 février 2002, à savoir trois ans après la date d’expiration du délai de transposition de la directive. |
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Or, le laps de temps écoulé entre cette date et la date d’expiration du délai fixé dans l’avis motivé, soit le 23 décembre 2007, est manifestement déraisonnable, de sorte que ne saurait être justifié, en l’espèce, le défaut d’élaboration de plans d’urgence externes pour l’ensemble des établissements concernés. |
25 |
Par ailleurs, s’il est vrai que, conformément à l’article 11, paragraphe 1, de la directive 96/82, l’obligation d’élaborer des plans d’urgence externes est liée à celle mise à la charge des exploitants des établissements concernés de communiquer aux autorités compétentes les informations nécessaires pour leur permettre d’établir ces plans, il n’en demeure pas moins que cette même disposition impose aux États membres l’obligation de veiller à ce que lesdits exploitants fournissent les informations nécessaires dans les délais prescrits. Dans ces conditions, le fait que, dans certains cas, les autorités compétentes ne disposent pas, dans lesdits délais, des informations nécessaires ne saurait justifier l’absence de plans d’urgence externes, ainsi que l’a relevé Mme l’avocat général au point 20 de ses conclusions. |
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Quant à l’élaboration de plusieurs plans d’urgence externes lors de l’année 2008, il suffit de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’existence d’un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l’État membre telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé dans l’avis motivé et que les changements intervenus par la suite ne sauraient être pris en compte par la Cour (voir, notamment, arrêt du 6 décembre 2007, Commission/Allemagne, C-456/05, Rec. p. I-10517, point 15). |
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Dans ces conditions, il y a lieu de considérer comme fondé le recours introduit par la Commission. |
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Par conséquent, il convient de constater que, en n’ayant pas élaboré des plans d’urgence externes pour tous les établissements visés à l’article 9 de la directive 96/82, le Royaume d’Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 11, paragraphe 1, sous c), de celle-ci. |
Sur les dépens
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En vertu de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation du Royaume d’Espagne et celui-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens. |
Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) déclare et arrête: |
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Signatures |
( *1 ) Langue de procédure: l’espagnol.