ARRÊT DU 25. 6. 2009 – AFFAIRE C-356/08

COMMISSION / AUTRICHE


ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

25 juin 2009 (*)

«Manquement d’État – Libre prestation des services – Liberté d’établissement – Libre circulation des capitaux – Réglementation nationale imposant aux médecins établis sur le territoire du Land de Haute-Autriche d’ouvrir un compte bancaire auprès d’une banque déterminée»

Dans l’affaire C‑356/08,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 226 CE, introduit le 30 juillet 2008,

Commission des Communautés européennes, représentée par M. E. Traversa, en qualité d’agent, assisté de Me A. Böhlke, Rechtsanwalt, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

République d’Autriche, représentée par Mme C. Pesendorfer, en qualité d’agent, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

LA COUR (première chambre),

composée de M. P. Jann, président de chambre, MM. M. Ilešič (rapporteur), A. Borg Barthet, E. Levits et J.-J. Kasel, juges,

avocat général: M. Y. Bot,

greffier: M. R. Grass,

vu la procédure écrite,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en obligeant tout médecin s’installant en Haute-Autriche à ouvrir auprès de l’Oberösterreichische Landesbank (banque du Land de Haute-Autriche) un compte bancaire sur lequel doivent être versés les honoraires de prestation en nature perçus des caisses d’assurance maladie dans le cadre de l’exercice de ses activités professionnelles, la République d’Autriche a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 43 CE, 49 CE et 56 CE.

 Le cadre juridique

2        Selon la législation fédérale autrichienne, un médecin qui s’établit en tant que médecin libéral en Autriche est membre de l’ordre des médecins du Land dans lequel il exerce son activité.

3        Conformément à l’article 69, paragraphe 1, de la loi relative à l’exercice de la médecine (Ärztegesetz, BGBl. I, 169/1998), telle que modifiée par la loi publiée au BGBl. I, 122/2006 (ci-après l’«Ärztegesetz»), un médecin est tenu, en tant que membre de l’ordre des médecins d’un Land, de se conformer aux décisions adoptées par cet ordre dans le cadre de ses attributions légales ainsi que de verser les contributions de répartition et les cotisations fixées, respectivement, par le règlement de répartition et par le règlement relatif aux cotisations à la caisse de prévoyance dudit ordre.

4        L’article 96a de l’Ärztegesetz dispose:

«Il y a lieu de préciser dans les statuts de la caisse de prévoyance et le règlement relatif aux cotisations à la caisse de prévoyance les données pertinentes pour le calcul des cotisations, qui doivent être transmises sans délai par les membres de l’ordre des médecins. Dans le cas où ces données ne seraient pas transmises à la caisse de prévoyance dans les délais impartis ou ne seraient pas transmises dans leur intégralité malgré un rappel, preuve à l’appui, les cotisations maximales prévues peuvent être imposées jusqu’à la réception des données pertinentes pour le calcul des cotisations.»

5        L’article 109, paragraphe 5, de l’Ärztegesetz énonce:

«Les organismes officiels de sécurité sociale et les organismes d’assurance maladie doivent retenir les cotisations à la caisse de prévoyance, exprimées dans le règlement pertinent sous la forme d’une somme en euros ou d’un pourcentage, lors du décompte des honoraires et doivent les transférer à l’ordre des médecins compétent […] Sur demande des ordres des médecins, les organismes officiels de sécurité sociale et les organismes d’assurance maladie doivent leur faire connaître à titre individuel les honoraires versés par les caisses d’assurance maladie à un médecin […], le nombre de dossiers traités par un médecin […] ainsi que la répartition du chiffre d’affaires brut d’un médecin […] en fonction des prestations accomplies, dans le but de vérifier le calcul des cotisations à la caisse de prévoyance. […]»

6        Aux termes de l’article 3, paragraphe 5, du règlement de répartition de l’ordre des médecins de Haute-Autriche (Umlageordnung der Ärztekammer für Oberösterreich, ci-après l’«Umlageordnung»):

«Les contributions de répartition exceptionnelles des médecins conventionnés sont déterminées sous la forme d’un pourcentage des recettes provenant des honoraires de prestation en nature versés par les caisses d’assurance maladie, à l’exception de la caisse agricole. À cette fin, tous les honoraires de prestation en nature doivent être versés sur le compte obligatoire du membre auprès de l’Oberösterreichische Landesbank à Linz, au sens de l’article 13, paragraphe 1, des statuts de l’ordre des médecins de Haute-Autriche et de l’article 4, paragraphe 2, du règlement relatif aux cotisations.»

7        L’article 3, paragraphe 6, de l’ Umlageordnung prévoit:

«[…] Tous les membres de l’ordre des médecins exerçant leur activité exclusivement en tant que médecins libéraux ainsi que tous les membres exceptionnels de l’ordre sont tenus d’entretenir un compte, toujours approvisionné, auprès de l’Oberösterreichische Landesbank à Linz, afin de garantir et de couvrir les contributions de répartition. Ce compte doit être alimenté sur demande de l’ordre des médecins et, si nécessaire, son titulaire doit transmettre à l’Oberösterreichische Landesbank un ordre de virement pour les contributions de répartition. Les membres de l’ordre qui sont des salariés et qui, en plus de leur activité salariée, exercent en tant que médecins libéraux ne doivent entretenir un compte auprès de l’Oberösterreichische Landesbank que si les contributions de répartition et les cotisations à la caisse de prévoyance ne sont pas transférées par l’employeur au sens du paragraphe 3.»

8        L’article 4, paragraphe 1, de l’Umlageordnung, intitulé «Arriérés de contributions de répartition», dispose:

«Si le paiement n’est pas effectif dans les six semaines suivant la date d’échéance, un rappel est adressé à l’intéressé. Si un rappel avec accusé de réception envoyé six semaines après le premier rappel demeure lettre morte, des arriérés de contributions de répartition peuvent être récupérés conformément à l’article 93 de la loi de 1998 sur l’exercice de la médecine, en vertu des dispositions de la loi de 1991 relative à l’exécution forcée par voie administrative.»

9        L’obligation d’ouvrir et d’entretenir un compte auprès de l’Oberösterreichische Landesbank (ci-après le «compte obligatoire») résulte également de l’article 4, paragraphe 5, du règlement relatif aux cotisations à la caisse de prévoyance de l’ordre des médecins de Haute-Autriche (Beitragsordnung zur Wohlfahrtskasse der Ärztekammer für Oberösterreich, ci-après la «Beitragsordnung»). De même, l’obligation de percevoir l’ensemble des honoraires de prestation en nature versés par les caisses d’assurance maladie sur ce compte résulte également de l’article 2, paragraphe 2, de ce règlement.

10      L’article 5, paragraphe 1, de la Beitragsordnung prévoit la même possibilité d’exécution forcée que l’article 4, paragraphe 1, de l’Umlageordnung, tout en ajoutant que, au lieu de l’exécution forcée, les droits aux prestations peuvent être diminués à concurrence du montant dû à titre de cotisations.

 La procédure précontentieuse

11      Considérant que les différentes dispositions de l’Umlageordnung et de la Beitragsordnung sont incompatibles avec le droit communautaire, la Commission a, le 18 octobre 2005, engagé une procédure en manquement en mettant la République d’Autriche en demeure de présenter ses observations à cet égard.

12      Celle-ci a répondu à cette mise en demeure le 16 décembre 2005. À la suite de cette réponse, la Commission a émis un avis motivé le 15 décembre 2006, invitant la République d’Autriche à se conformer à cet avis dans un délai de deux mois à compter de la réception de celui-ci. Dans ledit avis, la Commission réaffirmait que les dispositions en cause restreignent la liberté d’établissement des médecins d’autres États membres et des banques souhaitant s’établir en Haute-Autriche, et constituent une restriction à l’égard des médecins en tant que destinataires de services offerts par des banques établies dans d’autres États membres ainsi qu’une restriction à la libre circulation des capitaux en ce qu’elles prévoient le compte obligatoire.

13      Par lettre du 21 février 2007, la République d’Autriche, maintenant son avis contraire, a contesté cette appréciation. Ultérieurement, la Commission a décidé de saisir la Cour et a fait part de cette décision à cet État membre par lettre du 26 novembre 2007, dans le cadre d’une procédure parallèle concernant la réglementation en vigueur dans le Land de Basse-Autriche. Dans cette lettre, la Commission a par ailleurs invité ledit État membre à lui communiquer les informations utiles concernant la situation en la matière dans les autres Länder autrichiens.

14      Dans sa réponse du 28 janvier 2008, la République d’Autriche a indiqué que les divers statuts et règlements relatifs aux cotisations et à la répartition des ordres des médecins des Länder du Burgenland, de Carinthie, de Salzbourg, de Styrie, du Tyrol, du Vorarlberg et de Vienne ne contiennent pas d’obligation pour un médecin souhaitant s’installer dans ces Länder d’ouvrir un compte auprès d’une banque régionale.

 Sur le recours

 Argumentation des parties

15      La Commission estime que le compte obligatoire constitue une restriction, premièrement, à la liberté d’établissement en Haute-Autriche des médecins et des banques d’autres États membres, deuxièmement, à la libre prestation des services des banques établies dans d’autres États membres ainsi qu’à l’égard des médecins en tant que destinataires de services offerts par des banques établies dans d’autres États membres et, troisièmement, à la libre circulation des capitaux, dans la mesure où un médecin établi en Haute-Autriche ne peut pas librement choisir d’ouvrir ou d’utiliser pour son activité professionnelle un compte auprès de la banque de son choix.

16      S’agissant de la liberté d’établissement garantie par l’article 43 CE, l’obligation en cause entraînerait des coûts et des charges supplémentaires pour un médecin d’un autre État membre s’établissant en Haute-Autriche. Parallèlement, l’implantation en Autriche d’une banque d’un autre État membre serait rendue moins attrayante, car les médecins de Haute-Autriche auraient, à l’égard de l’obligation de recevoir l’ensemble de leurs honoraires versés par les caisses d’assurance maladie sur le compte obligatoire, tendance à n’ouvrir qu’un seul compte bancaire, à savoir ce compte obligatoire.

17      La Commission soutient que les dispositions visées par le présent recours privent les prestataires des autres États membres de la possibilité de livrer une concurrence efficace aux opérateurs traditionnellement implantés sur le marché concerné et rendent ainsi l’accès à ce marché plus difficile, et sont dès lors interdites en vertu de l’article 43 CE, ainsi que la Cour l’aurait décidé dans l’arrêt du 5 octobre 2004, CaixaBank France (C‑442/02, Rec. p. I‑8961, points 13 et 14). Il résulterait encore de la jurisprudence que même une restriction à la liberté d’établissement de faible portée ou d’importance mineure est interdite, la Commission se référant à cet égard aux arrêts du 13 décembre 1989, Corsica Ferries (France) (C‑49/89, Rec. p. 4441, point 8), et du 11 mars 2004, de Lasteyrie du Saillant (C‑9/02, Rec. p. I‑2409, point 43). Dans ce contexte, la liberté d’établissement garantie par l’article 43 CE comporterait l’accès aux activités non salariées et leur exercice sans accorder de marge d’appréciation aux États membres.

18      De plus, la Commission relève que l’ouverture du compte obligatoire est une conséquence inévitable de l’établissement d’un médecin en Haute-Autriche. Par conséquent, il y aurait une relation certaine de cause à effet entre ce compte et ses effets sur l’accès au marché de ce Land des médecins ou des banques étrangers qui désirent s’y établir.

19      S’agissant de la libre prestation des services garantie par l’article 49 CE, la Commission estime que les dispositions relatives au compte obligatoire constituent également une restriction à cette liberté à l’égard des banques établies dans d’autres États membres, puisque leur possibilité de proposer aux médecins installés en Haute-Autriche l’ouverture de comptes, notamment pour le transfert des honoraires versés par les caisses d’assurance maladie, est entravée, ce qui procurerait par ailleurs un avantage concurrentiel à l’Oberösterreichische Landesbank. En outre, même si lesdites dispositions ne déterminent pas le type du compte obligatoire, de nombreux clients des banques préfèrent, selon la Commission, que leurs opérations financières soient effectuées par une seule et même banque, de sorte que lesdits médecins utiliseraient généralement le compte obligatoire comme un compte courant classique, ce qui avantagerait encore l’Oberösterreichische Landesbank.

20      En ce qui concerne l’article 56 CE, la Commission soutient que le compte obligatoire ainsi que l’obligation de l’utiliser exclusivement pour percevoir les honoraires versés par les caisses d’assurance maladie dissuadent les médecins installés en Haute-Autriche d’ouvrir un compte auprès d’une banque établie dans la Communauté européenne autre que l’Oberösterreichische Landesbank. Or, l’établissement d’un décompte correct et fiable des contributions de répartition ainsi que des cotisations à la caisse de prévoyance, qui est le but du régime en cause, pourrait être assuré par des mesures moins restrictives, par exemple en imposant aux membres de l’ordre des médecins de Haute-Autriche de communiquer et, le cas échéant, de justifier les données à partir desquelles sont déterminées ces cotisations, une telle possibilité étant prévue aux articles 96a et 109, paragraphe 5, de l’Ärztegesetz.

21      Un tel raisonnement ne serait pas affecté par le fait que le compte obligatoire aurait comme origine une délégation de tâches à l’Oberösterreichische Landesbank par l’ordre des médecins de Haute-Autriche. En effet, ce compte serait un compte bancaire, et non pas un compte interne de cet ordre. Ledit compte ne saurait non plus être considéré comme une simple modalité d’utilisation et, comme telle, soustrait du champ d’application des libertés fondamentales en cause.

22      Au sujet de la justification éventuelle des restrictions ainsi identifiées par la Commission, celle-ci estime que l’établissement d’un médecin en Haute-Autriche ne saurait faire naître une présomption générale de mensonge ou de malhonnêteté susceptible de justifier les dispositions litigieuses par référence aux arrêts de Lasteyrie du Saillant, précité (point 51), ainsi que du 12 septembre 2006, Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas (C‑196/04, Rec. p. I‑7995, point 50). Par ailleurs, l’ordre des médecins de Haute-Autriche aurait toujours la possibilité de vérifier au cas par cas le décompte des cotisations à la caisse de prévoyance en se renseignant auprès des caisses d’assurance maladie, tandis que les banques établies dans d’autres États membres seraient tout autant en mesure d’exécuter des ordres de virement. En outre, les articles 4 de l’Umlageordnung et 5 de la Beitragsordnung prévoiraient des possibilités d’exécution forcée qui garantissent audit ordre le paiement régulier des cotisations.

23      À cet égard, la Commission souligne également que des considérations d’ordre administratif, telles qu’un objectif de simplification administrative et d’économie, ne sauraient justifier une dérogation aux règles communautaires, d’autant plus lorsque cette dérogation revient à exclure ou à restreindre l’exercice d’une des libertés fondamentales du droit communautaire.

24      La République d’Autriche fait valoir que le compte obligatoire doit être mis en relation avec les tâches de l’ordre des médecins de Haute-Autriche. Parmi celles-ci figureraient le calcul et la perception des cotisations dues à cet ordre, tâches qui ont été déléguées à l’Oberösterreichische Landesbank et qui se font sur un simple compte de compensation domicilié auprès de cette banque. Ledit compte ne servirait qu’à la compensation des cotisations. Ainsi, lesdites tâches constitueraient une prestation que ladite banque effectue non pas au bénéfice des médecins établis en Haute-Autriche, mais au bénéfice de l’ordre des médecins de Haute-Autriche, cette délégation n’impliquant aucune entrave aux libertés fondamentales.

25      En outre, la République d’Autriche souligne, premièrement, notamment en se référant à l’arrêt du 20 juin 1996, Semeraro Casa Uno e.a. (C‑418/93 à C‑421/93, C‑460/93 à C‑462/93, C‑464/93, C‑9/94 à C‑11/94, C‑14/94, C‑15/94, C‑23/94, C‑24/94 et C‑332/94, Rec. p. I‑2975), que le caractère d’entrave d’une mesure nationale doit être suffisamment étayé, ce qui exclurait du domaine de l’article 43 CE les mesures nationales dont l’effet d’entrave sur une décision d’établissement ou le maintien de celui-ci est trop incertain ou indirect. Il devrait en aller de même pour la libre prestation des services et la libre circulation des capitaux.

26      En l’espèce, en ce qui concerne la libre prestation des services, le compte obligatoire étant conçu comme un simple point de passage pour les honoraires d’un médecin établi en Haute-Autriche, à partir duquel le solde est immédiatement transféré sur son compte courant personnel, il ne ferait aucune différence pour ce médecin que la compensation soit effectuée par l’ordre des médecins de Haute-Autriche ou qu’elle soit confiée à une entreprise qui gère un compte de compensation pour chaque médecin installé dans ce Land. Par ailleurs, indépendamment du compte obligatoire, les médecins pourraient organiser leurs relations bancaires en toute indépendance, ce qui signifierait que ce compte ne limite aucunement la liberté dont jouissent les médecins en tant que bénéficiaires de prestations bancaires classiques.

27      Ainsi, la République d’Autriche estime que les implications du compte obligatoire sur l’exercice de la liberté d’établissement, de la libre prestation des services et de la libre circulation des capitaux dans le chef des médecins et des banques étrangers sont trop incertaines et trop indirectes pour pouvoir considérer qu’elles constituent des entraves à ces libertés fondamentales.

28      Deuxièmement, la République d’Autriche estime que le compte obligatoire ne contrevient pas auxdites libertés, car il constitue plutôt une modalité d’utilisation, par analogie avec l’arrêt du 24 novembre 1993, Keck et Mithouard (C‑267/91 et C‑268/91, Rec. p. I‑6097). De manière analogue aux modalités d’utilisation d’un produit déterminées par le droit national, le compte obligatoire n’affecterait en soi ni l’exercice de l’activité médicale ni l’activité des banques nationales autres que l’Oberösterreichische Landesbank et des banques étrangères, car il aurait la même incidence sur l’ensemble des médecins membres de l’ordre des médecins de Haute-Autriche, qu’ils soient autrichiens ou étrangers, ainsi que sur l’ensemble des banques, que leur siège soit établi en Autriche ou dans un autre État membre.

29      Enfin, dans l’hypothèse où la Cour considérerait que les dispositions litigieuses constituent une entrave aux libertés visées par le recours de la Commission, la République d’Autriche souligne que le compte obligatoire n’a pas un caractère discriminatoire intrinsèque et qu’il répond à des exigences impératives d’intérêt général, notamment la prévention de la fraude et la garantie du paiement des contributions de répartition et des cotisations à la caisse de prévoyance. Cette obligation permettrait également une simplification administrative.

30      Par ailleurs, la République d’Autriche estime que ladite obligation est proportionnée aux objectifs ainsi poursuivis, car les mesures alternatives, comme par exemple la production d’extraits de compte, ne pourraient pas garantir la réalisation de ces objectifs.

 Appréciation de la Cour

31      La Commission estime que le manquement qu’elle dénonce doit être examiné au regard de l’article 43 CE, relatif à la liberté d’établissement, de l’article 49 CE, relatif à la libre prestation des services, et de l’article 56 CE, relatif à la libre circulation des capitaux.

32      À cet égard, il résulte d’une jurisprudence établie que, pour déterminer si une législation nationale relève de l’une ou de l’autre des libertés de circulation, il y a lieu de prendre en considération l’objet de cette législation (voir, en ce sens, arrêts du 24 mai 2007, Holböck, C‑157/05, Rec. p. I‑4051, point 22, et du 26 mars 2009, Commission/Italie, C‑326/07, non encore publié au Recueil, point 33).

33      Les dispositions litigieuses peuvent relever du champ d’application matériel des dispositions du traité CE relatives à la liberté d’établissement et à la libre prestation des services, dans la mesure où ces dispositions sont susceptibles d’exercer une influence sur l’établissement en Haute-Autriche des médecins et des banques d’autres États membres ainsi que la prestation de services par ces banques et la réception de services par des médecins dans ce Land.

34      En revanche, s’agissant d’une éventuelle restriction à la libre circulation des capitaux, il y a lieu de souligner que les prestations de services bancaires constituent des services au sens de l’article 50 CE et que l’article 49 CE s’oppose à l’application de toute réglementation nationale qui, sans justification objective, entrave la possibilité pour un prestataire de services d’exercer effectivement cette liberté (voir, en ce sens, arrêts du 3 octobre 2002, Danner, C‑136/00, Rec. p. I‑8147, points 25 à 27; du 26 juin 2003, Skandia et Ramstedt, C‑422/01, Rec. p. I‑6817, points 22 à 24, ainsi que du 30 janvier 2007, Commission/Danemark, C‑150/04, Rec. p. I‑1163, point 37).

35      Dans l’optique d’un marché unique, et pour permettre de réaliser les objectifs de celui-ci, l’article 49 CE s’oppose également à l’application de toute réglementation nationale ayant pour effet de rendre la prestation de services entre États membres plus difficile que la prestation de services purement interne à un État membre (arrêt Commission/Danemark, précité, point 38).

36      En l’espèce, il est constant que, en vertu des dispositions en cause, l’ensemble des médecins membres de l’ordre des médecins de Haute-Autriche exerçant leur activité exclusivement en tant que médecins libéraux ainsi que tous les membres exceptionnels dudit ordre pratiquant en Haute-Autriche sont soumis à l’obligation d’ouvrir et d’entretenir un compte sur lequel doivent être versés les honoraires qu’ils perçoivent des caisses d’assurance maladie et que l’Oberösterreichische Landesbank est la seule banque qui effectue les services de gestion de ces comptes.

37      D’abord, il convient de rappeler qu’il est de jurisprudence constante que les articles 43 CE et 49 CE ne régissent pas seulement l’action des autorités publiques, mais s’étendent également aux réglementations d’une autre nature qui visent à régler, de façon collective, le travail salarié, le travail indépendant et les prestations de services (voir arrêt du 11 décembre 2007, International Transport Workers’ Federation et Finnish Seamen’s Union, C‑438/05, Rec. p. I‑10779, point 33 et jurisprudence citée). L’accès au marché du travail salarié ou indépendant ainsi que les prestations de services étant régis dans les différents États membres tantôt par la voie de dispositions d’ordre législatif ou réglementaire, tantôt par d’autres actes conclus ou adoptés par des personnes privées, une limitation des interdictions prévues en cette matière par le traité aux actes de l’autorité publique risquerait de créer des inégalités quant à leur application (voir, en ce sens, arrêt International Transport Workers’ Federation et Finnish Seamen’s Union, précité, point 34).

38      Ensuite, la notion de «restriction» au sens des articles 43 CE et 49 CE porte sur les mesures qui interdisent, gênent ou rendent moins attrayant l’exercice de la liberté d’établissement ou de la libre prestation des services (arrêts du 13 décembre 2007, Commission/Italie, C‑465/05, Rec. p. I‑11091, point 17, et du 28 avril 2009, Commission/Italie, C‑518/06, non encore publié au Recueil, point 62).

39      En outre, la notion de restriction couvre les mesures prises par un État membre qui, quoique indistinctement applicables, affectent l’accès au marché pour les entreprises d’autres États membres et entravent ainsi le commerce intracommunautaire (voir, notamment, arrêt du 28 avril 2009, Commission/Italie, précité, point 64).

40      En ce qui concerne l’article 49 CE, ainsi que la Commission l’a observé à juste titre, le compte obligatoire entrave la libre prestation des services à l’égard des médecins en tant que destinataires de services offerts par des banques établies dans d’autres États membres ainsi qu’à l’égard desdites banques qui voudraient proposer aux médecins installés en Haute-Autriche l’ouverture de comptes pour la perception des honoraires versés par les caisses d’assurance maladie.

41      En effet, le compte obligatoire, imposé à l’ensemble des médecins pratiquant en Haute-Autriche, a pour effet d’exclure les banques d’autres États membres de ce service bancaire et de conférer à l’Oberösterreichische Landesbank le droit exclusif de fournir le service de gestion dudit compte obligatoire.

42      Une telle restriction peut toutefois être admise s’il s’avère qu’elle répond à des raisons impérieuses d’intérêt général, qu’elle est propre à garantir la réalisation de l’objectif qu’elle poursuit et qu’elle ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre (voir, en ce sens, arrêts du 14 décembre 2006, Commission/Autriche, C‑257/05, point 23, et du 28 avril 2009, Commission/Italie, précité, point 72).

43      Afin de justifier l’obligation de disposer du compte obligatoire, la République d’Autriche invoque une simplification administrative, la prévention de la fraude, ainsi que la garantie d’un solde suffisant.

44      Ainsi, un tel régime serait nécessaire pour assurer le calcul correct des contributions de répartition dues à l’ordre des médecins de Haute-Autriche ainsi que des cotisations à la caisse de prévoyance dudit ordre, notamment pour garantir que les cotisations et contributions prélevées correspondent effectivement aux prestations effectuées par les médecins établis en Haute-Autriche. De même, ce régime garantirait que les règles imposées à ceux-ci par l’ordre des médecins de ce Land soient respectées et que le compte soit suffisamment approvisionné, ce qui, à son tour, garantirait le paiement des cotisations et des contributions de répartition grâce à un solde positif suffisant.

45      Cette argumentation ne saurait être accueillie.

46      Il ressort tout d’abord de la jurisprudence de la Cour que des considérations d’ordre administratif ne sauraient justifier une dérogation aux règles communautaires, ce d’autant plus lorsque ladite dérogation revient à exclure ou à restreindre l’exercice d’une des libertés fondamentales du droit communautaire (arrêts du 23 novembre 1999, Arblade e.a., C‑369/96 et C‑376/96, Rec. p. I‑8453, point 37, ainsi que du 3 octobre 2000, Corsten, C‑58/98, Rec. p. I‑7919, point 42).

47      Ensuite, force est de constater qu’une mesure générale et automatique telle que celle relative au compte obligatoire ne saurait être considérée comme proportionnée à l’objectif poursuivi, celui-ci étant de prévenir la fraude en ce qui concerne les honoraires perçus par les médecins concernés, d’assurer la gestion du compte où ces honoraires sont versés ainsi que de garantir l’existence d’un solde suffisant pour la perception des contributions de répartition et des cotisations à la caisse de prévoyance sociale.

48      En effet, il existe des mesures moins contraignantes à cet égard, ainsi que cela ressort de la réglementation nationale elle-même, comme par exemple la transmission d’informations pertinentes à l’ordre des médecins de Haute-Autriche par les organismes officiels de sécurité sociale et les organismes d’assurance maladie dans le but de vérifier le calcul des cotisations à la caisse de prévoyance, l’obligation du médecin titulaire du compte auprès de l’Oberösterreichische Landesbank de donner à celle-ci un ordre de virement pour le paiement des contributions de répartition ainsi que certaines formes d’exécution forcée par voie administrative.

49      Il s’ensuit que l’obligation d’ouvrir le compte obligatoire ne peut pas être justifiée par une simplification administrative, la prévention de la fraude ou la garantie d’un solde suffisant.

50      Les dispositions du traité relatives à la libre prestation des services s’opposant à la réglementation en cause, il n’est pas nécessaire d’examiner séparément cette réglementation à la lumière des articles du traité concernant la liberté d’établissement et la libre circulation des capitaux (voir, en ce sens, arrêt Commission/Danemark, précité, point 76).

51      Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de constater que, en obligeant tout médecin s’installant en Haute-Autriche à ouvrir auprès de l’Oberösterreichische Landesbank à Linz un compte bancaire sur lequel doivent être versés les honoraires de prestation en nature perçus des caisses d’assurance maladie dans le cadre de l’exercice de son activité professionnelle, la République d’Autriche a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 49 CE.

 Sur les dépens

52      En vertu de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République d’Autriche et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) déclare et arrête:

1)      En obligeant tout médecin s’installant en Haute-Autriche à ouvrir auprès de l’Oberösterreichische Landesbank à Linz un compte bancaire sur lequel doivent être versés les honoraires de prestation en nature perçus des caisses d’assurance maladie dans le cadre de l’exercice de son activité professionnelle, la République d’Autriche a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 49 CE.

2)      La République d’Autriche est condamnée aux dépens.

Signatures


* Langue de procédure: l’allemand.