Affaires jointes C-338/08 et C-339/08
P. Ferrero e C. SpA
contre
Agenzia delle Entrate – Ufficio di Alba
et
General Beverage Europe BV
contre
Agenzia delle Entrate – Ufficio di Torino 1
(demandes de décision préjudicielle, introduites par
la Commissione tributaria regionale di Torino)
«Renvoi préjudiciel — Directive 90/435/CEE — Notion de ‘retenue à la source’ — Application d’un prélèvement de 5 % lors de la distribution de dividendes et du ‘remboursement de la majoration d’impôt à titre de décompte final’ d’une filiale italienne à sa société mère établie aux Pays-Bas en application d’une convention bilatérale»
Sommaire de l'arrêt
1. Rapprochement des législations — Régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d'États membres différents — Directive 90/435 — Exemption, dans l'État membre de la filiale, de la retenue à la source des bénéfices distribués à la société mère — Retenue à la source
(Directive du Conseil 90/435, art. 5, § 1)
2. Rapprochement des législations — Régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d'États membres différents — Directive 90/435 — Exemption, dans l'État membre de la filiale, de la retenue à la source des bénéfices distribués à la société mère — Exception pour les dispositions nationales ou conventionnelles visant à supprimer ou à atténuer la double imposition économique des dividendes
(Directive du Conseil 90/435, art. 5, § 1, et 7, § 2)
1. Ne constitue pas une retenue à la source sur les bénéfices distribués, en principe prohibée par l'article 5, paragraphe 1, de la directive 90/435 concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’États membres différents, une retenue fiscale appliquée au «remboursement», effectué par une société distributrice à sa société mère au titre d'une convention tendant à éviter les doubles impositions, d'une «majoration de l'impôt à titre de décompte final», dès lors que cette majoration d'imposition est un complément d'impôt sur les bénéfices des sociétés supporté par la société distributrice, et que, partant, le remboursement du montant de cette majoration à la société mère doit être regardé comme le transfert d'une partie d'une recette fiscale qui résulte de la renonciation, de la part de l'État de résidence de la société distributrice, à la perception définitive de cette recette dans le but, agréé par les deux États parties à la convention précitée, de limiter la double imposition économique des dividendes distribués à la société mère par sa filiale.
Cette conclusion s'applique sous réserve de la vérification, par la juridiction nationale, des différents éléments pertinents et, notamment, de la circonstance selon laquelle l’administration fiscale de l'État membre de la société distributrice ne renonce pas systématiquement, en pratique, à la recette fiscale constituée par cette majoration d’imposition en cas de distribution de dividendes par une société sise sur son territoire à une société sise dans un autre État membre, notamment dans l’hypothèse où les sommes correspondant à cette majoration seraient transférées directement par la société distributrice à la société bénéficiaire. Si le constat d’un tel renoncement devait être opéré, ledit transfert pourrait être considéré comme une distribution de bénéfices. Dans cette hypothèse, il y aurait lieu dès lors de considérer que la condition relative à l'assiette de l'imposition, requise pour qualifier une imposition de retenue à la source, selon laquelle l'assiette de l'impôt doit être le rendement des titres de la société distributrice, serait remplie. Dans la mesure où les deux autres conditions nécessaires à la qualification en tant que retenue à la source d’une imposition, relatives, respectivement, au fait générateur de l’imposition et à la détermination de l’assujetti, sont également remplies à l’égard de la retenue fiscale en cause, cette retenue fiscale constituerait alors une retenue à la source sur les bénéfices en principe prohibée par l’article 5, paragraphe 1, de la directive 90/435.
(cf. points 26, 35-36, 38-39, 42, disp. 1)
2. Une retenue à la source sur les bénéfices distribués par une société distributrice résidente à sa société mère non résidente, au titre d'une convention tendant à éviter les doubles impositions, prohibée en principe par l’article 5, paragraphe 1, de la directive 90/435, concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d'États membres différents, ne pourrait être considérée comme relevant du champ d’application de l’article 7, paragraphe 2, de la même directive que si, d’une part, ladite convention tendant à éviter les doubles impositions prévoyait des dispositions visant à supprimer ou à atténuer la double imposition économique des distributions de dividendes et que, d’autre part, l’application de la retenue fiscale en cause n’en annulerait pas les effets, ce qu’il revient à la juridiction nationale d’apprécier.
(cf. point 47, disp. 2)
ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)
24 juin 2010 (*)
«Renvoi préjudiciel – Directive 90/435/CEE – Notion de ‘retenue à la source’ – Application d’un prélèvement de 5 % lors de la distribution de dividendes et du ‘remboursement de la majoration d’impôt à titre de décompte final’ d’une filiale italienne à sa société mère établie aux Pays‑Bas en application d’une convention bilatérale»
Dans les affaires jointes C‑338/08 et C‑339/08,
ayant pour objet des demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduites par la Commissione tributaria regionale di Torino (Italie), par décisions, respectivement, des 17 septembre et 17 décembre 2007, parvenues à la Cour le 22 juillet 2008, dans les procédures
P. Ferrero e C. SpA
contre
Agenzia delle Entrate – Ufficio di Alba (C-338/08),
et
General Beverage Europe BV
contre
Agenzia delle Entrate – Ufficio di Torino 1 (C-339/08),
LA COUR (quatrième chambre),
composée de M. J.‑C. Bonichot (rapporteur), président de chambre, Mme C. Toader, MM. K. Schiemann, P. Kūris et L. Bay Larsen, juges,
avocat général: M. P. Cruz Villalón,
greffier: Mme L. Hewlett, administrateur principal,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 17 décembre 2009,
considérant les observations présentées:
– pour P. Ferrero e C. SpA, par Mes M. Cerrato et G. Maisto, avvocati,
– pour General Beverage Europe BV, par Me G. Maisto, avvocato,
– pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. P. Gentili, avvocato dello Stato,
– pour la Commission européenne, par MM. A. Aresu et R. Lyal, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation des articles 5, paragraphe 1, et 7, paragraphe 2, de la directive 90/435/CEE du Conseil, du 23 juillet 1990, concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’États membres différents (JO L 225, p. 6), dans sa version en vigueur à la date des faits au principal (ci‑après la «directive»).
2 Ces demandes ont été présentées dans le cadre de deux litiges qui opposent, d’une part, P. Ferrero e C. SpA (ci‑après «Ferrero») et, d’autre part, General Beverage Europe BV (ci‑après «GBE») à l’administration fiscale italienne, au sujet de retenues fiscales opérées par celle-ci à l’occasion de transferts financiers considérés comme des distributions de dividendes. Le premier litige concerne des retenues fiscales opérées lors de la distribution de dividendes et du remboursement de la «majoration d’impôt à titre de décompte final» par Ferrero à sa société mère néerlandaise Ferrero International BV (ci‑après «Ferrero International»). Le second litige se rapporte à des retenues fiscales opérées lors de la distribution de dividendes et du remboursement de la «majoration d’impôt à titre de décompte final» à GBE par sa filiale italienne Martini e Rossi SpA (ci‑après «Martini»).
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 Le troisième considérant de la directive énonce:
«considérant que les dispositions fiscales actuelles régissant les relations entre sociétés mères et filiales d’États membres différents varient sensiblement d’un État membre à l’autre et sont, en général, moins favorables que celles applicables aux relations entre sociétés mères et filiales d’un même État membre; que la coopération entre sociétés d’États membres différents est, de ce fait, pénalisée par rapport à la coopération entre sociétés d’un même État membre; qu’il convient d’éliminer cette pénalisation par l’instauration d’un régime commun et de faciliter ainsi les regroupements de sociétés à l’échelle communautaire».
4 L’article 1er, paragraphe 1, de la directive délimite le champ d’application de celle-ci en ces termes:
«Chaque État membre applique la présente directive:
– aux distributions de bénéfices reçues par des sociétés de cet État et provenant de leurs filiales d’autres États membres,
– aux distributions de bénéfices effectuées par des sociétés de cet État à des sociétés d’autres États membres dont elles sont les filiales.»
5 L’article 3, paragraphe 1, de la directive définit les notions de société mère et de filiale comme suit:
«Aux fins de l’application de la présente directive:
a) la qualité de société mère est reconnue au moins à toute société d’un État membre qui remplit les conditions énoncées à l’article 2 et qui détient, dans le capital d’une société d’un autre État membre remplissant les mêmes conditions, une participation minimale de 25 %;
b) on entend par ‘société filiale’ la société dans le capital de laquelle la participation visée au point a) est détenue.»
6 L’article 5, paragraphe 1, de la directive pose le principe de l’interdiction des retenues à la source dans les termes suivants:
«Les bénéfices distribués par une société filiale à sa société mère sont, au moins lorsque celle-ci détient une participation minimale de 25 % dans le capital de la filiale, exemptés de retenue à la source.»
7 L’article 7, paragraphe 2, de la directive précise toutefois:
«La présente directive n’affecte pas l’application de dispositions nationales ou conventionnelles visant à supprimer ou à atténuer la double imposition économique des dividendes, en particulier les dispositions relatives au paiement de crédits d’impôt aux bénéficiaires de dividendes.»
Le droit national
8 Le droit italien en vigueur à la date des faits au principal prévoyait qu’une société italienne qui percevait des dividendes bénéficiait d’un crédit d’impôt égal aux 9/16e des dividendes distribués. Le taux de l’impôt sur les sociétés italiennes étant de 36 %, l’entreprise bénéficiaire obtenait dès lors un crédit d’impôt équivalant au montant de l’imposition subi par la société distributrice.
9 Le législateur italien avait également prévu, dans certaines circonstances, l’application d’une «majoration d’impôt à titre de décompte final» (ci‑après la «majoration d’imposition») de l’impôt sur le revenu des entreprises distributrices de dividendes. L’article 105, paragraphe 1, du texte unique relatif à l’impôt sur le revenu, approuvé par le décret du président de la République n° 917, du 22 décembre 1986 (GURI n° 302, du 31 décembre 1986), dans sa version en vigueur à l’époque des faits au principal, prévoyait que cette majoration d’imposition s’appliquait lorsque le montant des dividendes distribués était supérieur à 64 % du revenu déclaré de la filiale et son montant était égal aux 9/16e de la différence.
La convention bilatérale entre la République italienne et le Royaume des Pays‑Bas
10 La convention entre la République italienne et le Royaume des Pays‑Bas en vue d’éviter les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et la fortune et de prévenir l’évasion fiscale, avec protocole additionnel, conclue à La Haye le 8 mai 1990 (ci‑après la «convention bilatérale»), prévoit, à son article 10, paragraphe 1, le principe selon lequel les dividendes sont imposables dans l’État de la société qui les perçoit.
11 Par dérogation à ce principe, l’article 10, paragraphe 2, sous a), i), de la convention bilatérale permet l’imposition des dividendes dans l’État de la société distributrice dans les conditions suivantes:
«Toutefois, ces dividendes sont aussi imposables dans l’État dont la société qui paie les dividendes est un résident, et selon la législation dudit État, mais si la personne qui perçoit les dividendes en est le bénéficiaire effectif, l’impôt ainsi établi ne peut excéder:
a) i) 5 % du montant brut des dividendes si le bénéficiaire effectif est une société qui a possédé plus de 50 pour cent des actions avec droit de vote de la société qui paie les dividendes pendant une période de 12 mois précédant la date de la délibération de distribution des dividendes.»
12 L’article 10, paragraphe 3, de la convention bilatérale prévoit la possibilité pour une société néerlandaise d’obtenir le remboursement de la majoration d’imposition exposée au point 9 du présent arrêt en ces termes:
«Une personne qui est un résident des Pays‑Bas et qui reçoit des dividendes distribués par une société résidente d’Italie a droit au remboursement du montant correspondant à la [majoration d’imposition] afférente à ces dividendes, due, le cas échéant, par ladite société, sous réserve de la déduction de l’impôt prévu au paragraphe 2. Ce remboursement doit être demandé dans les délais prévus par la législation italienne, par l’entremise de la même société laquelle dans ce cas agit en son nom et pour le compte dudit résident des Pays-Bas.
Cette disposition s’applique aux dividendes dont la distribution a été délibérée à partir de la date de l’entrée en vigueur de la présente Convention.
La société distributrice peut payer le montant susdit à un résident des Pays-Bas en même temps que le paiement des dividendes lui revenant et décompter, dans la première déclaration des revenus suivant ledit paiement, le même montant de l’impôt dû par elle. […]»
13 L’article 10, paragraphe 5, sous a) et b), de la convention bilatérale précise:
«a) Le terme ‘dividendes’ employé dans le présent article désigne les revenus provenant d’actions […]
b) Sont également considérés comme des dividendes payés par une société qui est un résident d’Italie les sommes brutes remboursées au titre de la [majoration d’imposition] visées au paragraphe 3, qui sont afférentes aux dividendes payés par cette société.»
14 L’article 24, paragraphe 3, de la convention bilatérale, prévoit par ailleurs:
«En outre, les Pays-Bas accorderont une déduction de l’impôt néerlandais ainsi calculé pour les éléments du revenu imposable en Italie en vertu des articles 10, paragraphe 2, […] de la présente Convention, pour autant que ces éléments soient compris dans la base visée au paragraphe 1. Le montant de cette déduction est égal à l’impôt payé en Italie pour ces éléments du revenu, mais n’excède pas le montant de la réduction qui serait accordée si les éléments du revenu ainsi compris dans la base imposable étaient les seuls éléments du revenu exonérés de l’impôt néerlandais en vertu des dispositions de la législation néerlandaise tendant à éviter les doubles impositions.»
Les litiges au principal et les questions préjudicielles
15 Ferrero et Martini, dont le capital est détenu à 100 % par leur société mère respective, à savoir Ferrero International et GBE, leur ont, la première au cours de l’année 1997, la seconde au cours de l’année 1998, distribué des dividendes et «remboursé» la majoration d’imposition au titre de l’article 10, paragraphe 3, de la convention bilatérale.
16 L’administration fiscale italienne a appliqué à ces quatre transferts une retenue de 5 % au titre de l’article 10, paragraphe 2, sous a), i), de la convention bilatérale. Ferrero International et GBE ont alors, chacune, demandé le remboursement des retenues ainsi opérées. À la suite des décisions de refus opposées par ladite administration fiscale, les requérantes au principal ont saisi, respectivement, la Commissione tributaria regionale di Cuneo et la Commissione tributaria regionale di Torino. Finalement saisie des deux litiges au principal, la Corte suprema di cassazione a considéré, d’une part, qu’une telle retenue sur les dividendes était compatible avec la directive et, d’autre part, à l’inverse, qu’il n’en allait pas de même de l’application d’une telle retenue au remboursement de la majoration d’imposition. Cette juridiction a ensuite renvoyé ces deux affaires devant la Commissione tributaria regionale di Torino.
17 Dans ce contexte, la Commissione tributaria regionale di Torino a décidé, dans l’affaire C-338/08, de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1) La retenue applicable à la [majoration d’imposition] constitue-t-elle une retenue à la source sur les bénéfices interdite par l’article 5, paragraphe 1, de la directive […] (en l’espèce, la filiale avait opté pour le régime conventionnel)?
2) À titre subsidiaire, dans l’hypothèse où la première question appelle une réponse affirmative, la clause de sauvegarde visée à l’article 7, paragraphe 2, de la directive est-elle applicable?»
18 La Commissione tributaria regionale di Torino a également décidé, dans l’affaire C-339/08, de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1) La retenue applicable à la [majoration d’imposition] constitue‑t‑elle une retenue à la source sur les bénéfices interdite par l’article 5 de la directive [...]?
2) La clause de sauvegarde visée à l’article 7, paragraphe 2, de la directive […] est-elle applicable; en particulier, l’article 7, paragraphe 2, de la directive […] doit-il être interprété en ce sens qu’un État membre peut s’abstenir d’appliquer l’exemption visée à l’article 5, paragraphe 1, de la directive dans l’hypothèse où l’État de résidence de la société mère accorde à cette dernière un crédit d’impôt en vertu d’une convention bilatérale?»
19 Par ordonnance du président de la Cour du 16 septembre 2008, les affaires C‑338/08 et C-339/08 ont été jointes aux fins des procédures écrite et orale ainsi que de l’arrêt.
Sur les questions préjudicielles
20 À titre liminaire, il convient de constater qu’il résulte explicitement de la formulation des questions préjudicielles que celles-ci concernent uniquement la compatibilité avec le droit de l’Union de la retenue de 5 % appliquée par l’administration fiscale italienne, en vertu de la convention bilatérale, au remboursement de la majoration d’imposition effectué par des sociétés italiennes à leurs sociétés mères néerlandaises.
21 Les questions ne portent donc pas sur la compatibilité avec le droit de l’Union de la retenue fiscale appliquée aux dividendes versés par des sociétés italiennes à leurs sociétés mères néerlandaises, ni, a fortiori, sur la compatibilité avec ce droit du régime fiscal appliqué à ces dividendes prévu par le droit national en cause au principal.
Sur la première question
22 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, à la Cour de préciser si la retenue de 5 % appliquée par l’administration fiscale italienne, au titre de l’article 10, paragraphe 2, sous a), i), de la convention bilatérale, au remboursement de la majoration d’imposition effectué par des sociétés italiennes au profit de leurs sociétés mères néerlandaises, en vertu de l’article 10, paragraphe 3, de cette convention, constitue une retenue à la source prohibée par l’article 5, paragraphe 1, de la directive.
23 Il convient, au préalable, de rappeler qu’il ressort notamment du troisième considérant de la directive que celle-ci vise à éliminer, par l’instauration d’un régime fiscal commun, toute pénalisation de la coopération entre sociétés d’États membres différents par rapport à la coopération entre sociétés d’un même État membre et à faciliter ainsi le regroupement de sociétés à l’échelle communautaire. Ainsi, l’article 5, paragraphe 1, de la directive prévoit-il, afin d’éviter la double imposition, l’exemption de la retenue à la source dans l’État de la filiale lors de la distribution de bénéfices à sa société mère, lorsque celle-ci détient une participation minimale de 25 % dans le capital de la filiale (voir, en ce sens, arrêt du 25 septembre 2003, Océ van der Grinten, C‑58/01, Rec. p. I‑9809, point 45 et jurisprudence citée).
24 Dans les affaires au principal, il n’est pas contesté que les sociétés néerlandaises en cause, à savoir Ferrero International et GBE, ont la qualité de sociétés mères au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive, respectivement, de Ferrero et de Martini.
25 Par ailleurs, les termes «retenue à la source» figurant à l’article 5, paragraphe 1, de la directive ne sont pas limités à certains types d’impositions nationales précises (voir arrêt Océ van der Grinten, précité, point 46). En outre, la qualification d’une imposition, d’une taxe, d’un droit ou d’un prélèvement au regard du droit communautaire incombe à la Cour en fonction des caractéristiques objectives de l’imposition, indépendamment de la qualification qui lui est donnée en droit national (voir arrêt Océ van der Grinten, précité, point 46).
26 À cet égard, il résulte d’une jurisprudence constante que constitue une retenue à la source sur les bénéfices distribués, au sens de l’article 5, paragraphe 1, de la directive, toute imposition sur les revenus perçus dans l’État dans lequel les dividendes sont distribués et dont le fait générateur est le versement de dividendes ou de tout autre rendement des titres, lorsque l’assiette de cet impôt est le rendement desdits titres et que l’assujetti est le détenteur des mêmes titres (voir, notamment, arrêts Océ van der Grinten, précité, point 47, et du 26 juin 2008, Burda, C‑284/06, Rec. p. I‑4571, point 52).
27 Pour vérifier si la deuxième condition posée par la jurisprudence, relative à l’assiette de l’imposition en cause, est remplie, il y a lieu de s’interroger sur le point de savoir si la base d’imposition dans les affaires au principal, c’est-à-dire le remboursement de la majoration d’imposition qui a donné lieu à l’application d’un taux de 5 %, peut être regardée comme une distribution de bénéfices. À cet égard, le fait que la convention bilatérale qualifie expressément, à son article 10, paragraphe 5, le remboursement de la majoration d’imposition de «dividendes» ne saurait avoir une incidence concluante sur la qualification qu’il convient de lui donner en droit de l’Union.
28 En revanche, cette question conduit à s’interroger au préalable sur la qualification de la majoration d’imposition elle-même.
29 À cet égard, il y a lieu de constater qu’il semble ressortir des pièces du dossier, et notamment des éléments de réponse transmis à la Cour par la République italienne aux questions qui lui ont été posées, que la majoration d’imposition a été instituée par le législateur italien afin d’éviter que la société bénéficiaire d’une distribution de dividendes n’obtienne, au moment de la distribution des dividendes, un crédit d’impôt pour un impôt qui, quelle qu’en soit la raison, n’aurait pas été payé par la société distributrice.
30 Ce mécanisme se traduirait ainsi par l’imposition de bénéfices de la société distributrice qui n’ont pas été préalablement imposés ou qui ne l’auraient été que de manière réduite, dans le chef de la société distributrice.
31 Sous réserve de la vérification par le juge national de ces différents éléments, la majoration d’imposition constituerait dès lors un impôt complémentaire mis à la charge de la société distributrice, destiné à éviter que, lors de la distribution de dividendes à une société italienne, celle-ci ne puisse bénéficier d’un crédit d’impôt pour des impôts que la société distributrice n’aurait pas payés.
32 Il convient de constater que cet impôt est appliqué indifféremment, que les bénéfices distribués le soient à des sociétés résidentes ou à des sociétés non‑résidentes, comme une société néerlandaise, qui ne bénéficient pas du crédit d’impôt institué par la législation italienne.
33 À cet égard, il peut être relevé que la Cour a estimé qu’un système en vertu duquel l’imposition des bénéfices distribués par une filiale résidente d’un État membre à sa société mère est soumise à un même mécanisme fiscal correcteur, destiné à éviter qu’un crédit d’impôt ne soit octroyé pour un impôt non payé, que la société mère réside dans le même État membre ou dans un autre État membre, alors que, contrairement à une société mère résidente, une société mère non‑résidente ne se voit pas octroyer de crédit d’impôt par l’État membre de résidence de sa filiale, n’est pas contraire à la liberté d’établissement (voir, en ce sens, arrêt Burda, précité, point 96).
34 En outre, la majoration d’imposition ne saurait être considérée elle‑même comme une retenue à la source interdite par l’article 5, paragraphe 1, de la directive, dès lors que l’assujetti est non pas le détenteur des titres, mais la société distributrice (voir, en ce sens, arrêt Burda, précité, points 55 et 56).
35 Il y a lieu dès lors, sous réserve des vérifications à opérer sur ce sujet par la juridiction de renvoi, de partir de la prémisse selon laquelle la majoration d’imposition est un complément d’impôt sur les bénéfices des sociétés supporté par la société distributrice, auquel la directive ne s’oppose pas.
36 Il en résulte que le «remboursement» du «montant» de cette majoration auquel ont droit les sociétés néerlandaises en vertu de l’article 10, paragraphe 3, de la convention bilatérale doit être regardé comme le transfert d’une partie d’une recette fiscale qui résulte de la renonciation, de la part de l’État italien, à la perception définitive de celle-ci dans le but, agréé par les deux États parties à la convention, de limiter la double imposition économique des dividendes distribués à une société néerlandaise par sa filiale italienne.
37 L’article 10, paragraphe 3, de la convention bilatérale, qui prévoit que, lorsque ce transfert financier est réalisé directement par la société distributrice, celle-ci peut ensuite déduire ledit montant de l’impôt dû à l’administration fiscale italienne, conforte également cette qualification. En effet, l’imputation par la société distributrice de la somme transférée à sa société mère, sur l’impôt dû au fisc italien, ne peut, compte tenu du régime même de la majoration d’imposition s’expliquer que par le caractère fiscal de celle-ci et donc du droit au remboursement qui lui est attaché par la convention bilatérale.
38 Il revient néanmoins au juge de renvoi d’apprécier ces différents éléments et de vérifier, en particulier, si l’administration fiscale italienne ne renonce pas systématiquement, en pratique, à la recette fiscale constituée par la majoration d’imposition en cas de distribution de dividendes par une société italienne à une société néerlandaise, notamment dans l’hypothèse où la majoration d’imposition ne serait pas perçue par ladite administration, mais que les sommes correspondant à cette majoration seraient transférées directement par la société italienne à la société néerlandaise. Si le constat d’un tel renoncement devait être opéré, ledit transfert, lorsqu’il est réalisé, pourrait en effet être considéré comme une distribution de bénéfices.
39 Dans cette hypothèse, il y aurait lieu dès lors de considérer que la condition relative à l’assiette de l’imposition, mentionnée au point 26 du présent arrêt et examinée à propos de la qualification d’une retenue à la source sur les bénéfices distribués au sens de l’article 5, paragraphe 1, de la directive, serait remplie. Dans la mesure où les deux autres conditions nécessaires à la qualification en tant que retenue à la source d’une imposition, rappelées également audit point, relatives, respectivement, au fait générateur de l’imposition examinée et à la détermination de l’assujetti, sont également remplies à l’égard d’une retenue fiscale telle que celle en cause dans les affaires au principal, il y aurait lieu de conclure qu’une telle retenue fiscale constitue une retenue à la source sur les bénéfices au sens de l’article 5, paragraphe 1, de la directive.
40 Sous ces différentes réserves, il y a lieu de considérer que le remboursement de la majoration d’imposition en cause dans les affaires au principal correspond à un transfert d’une recette fiscale de l’administration italienne à une société néerlandaise et qu’il ne saurait, par conséquent, être considéré comme constituant un rendement de titres (voir, par analogie, arrêt Océ van der Grinten, précité, point 56).
41 En ce cas, l’assiette d’une retenue fiscale, telle que celle en cause dans les affaires au principal, n’est pas constituée du rendement des titres et ce constat suffit à considérer que, en tant qu’elle s’applique au remboursement de la majoration d’imposition, ladite retenue ne constitue donc pas une retenue à la source sur les bénéfices distribués prohibée, en principe, par l’article 5, paragraphe 1, de la directive.
42 Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre à la première question posée que, sous réserve, notamment, de la vérification par la juridiction de renvoi, dans les termes explicités au point 38 du présent arrêt, de la nature du «remboursement» de la «majoration d’impôt à titre de décompte final» en cause dans les affaires au principal effectué par une société italienne à l’égard d’une société néerlandaise, au titre de l’article 10, paragraphe 3, de la convention bilatérale, il y a lieu de considérer que, en tant qu’elle s’applique audit remboursement, une retenue fiscale, telle que celle en cause dans les affaires au principal, ne constitue pas une retenue à la source sur les bénéfices distribués en principe prohibée par l’article 5, paragraphe 1, de la directive. Toutefois, dans l’hypothèse où la juridiction de renvoi estimerait que ledit «remboursement» de cette majoration d’imposition n’a pas une nature fiscale, une retenue fiscale, telle que celle en cause dans les affaires au principal, constituerait une retenue à la source sur les bénéfices distribués, en principe prohibée par l’article 5, paragraphe 1, de la directive.
Sur la seconde question
43 Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande à la Cour de préciser si, dans l’hypothèse où une retenue fiscale telle que celle en cause dans les affaires au principal constitue une retenue à la source sur les bénéfices distribués au sens de l’article 5, paragraphe 1, de la directive, celle-ci pourrait néanmoins relever du champ d’application de l’article 7, paragraphe 2, de cette directive.
44 Dans l’hypothèse où la vérification par la juridiction de renvoi, notamment dans les termes explicités au point 38 du présent arrêt, de la nature du remboursement de la majoration d’imposition la conduirait à estimer que la retenue fiscale en cause dans les affaires au principal constitue une retenue à la source sur les bénéfices distribués au sens de l’article 5, paragraphe 1, de la directive, il y a lieu de déterminer si celle-ci relèverait du champ d’application de l’article 7, paragraphe 2, de cette directive.
45 À cet égard, il convient tout d’abord de rappeler que, en tant qu’il constitue une dérogation au principe général d’interdiction des retenues à la source sur les bénéfices distribués énoncé à l’article 5, paragraphe 1, de la directive 90/435, l’article 7, paragraphe 2, de cette directive est d’interprétation stricte (voir arrêt Océ van der Grinten, précité, point 86).
46 Il y a lieu, ensuite, de constater que, bien que la convention bilatérale poursuive l’objectif, ainsi qu’il résulte de son intitulé, d’éviter les doubles impositions en matière d’impôt sur le revenu et sur la fortune, la retenue fiscale en cause dans les affaires au principal ne pourrait être considérée comme relevant du champ d’application de l’article 7, paragraphe 2, de la directive que si, d’une part, la convention bilatérale prévoyait des dispositions visant à supprimer ou à atténuer la double imposition économique des dividendes et que, d’autre part, l’application de ladite retenue ne pourrait en annuler les effets (voir notamment, sur cette dernière condition, arrêt Océ van der Grinten, précité, point 87), ce qu’il reviendrait à la juridiction de renvoi d’apprécier.
47 Dans ces conditions, il y a lieu de répondre à la seconde question posée que, si la juridiction de renvoi était amenée à regarder la retenue fiscale en cause dans les affaires au principal comme une retenue à la source sur les bénéfices distribués au sens de l’article 5, paragraphe 1, de la directive, cette retenue fiscale ne pourrait être considérée comme relevant du champ d’application de l’article 7, paragraphe 2, de la directive que si, d’une part, ladite convention prévoyait des dispositions visant à supprimer ou à atténuer la double imposition économique des distributions de dividendes et que, d’autre part, l’application de ladite retenue n’en annulerait pas les effets, ce qu’il reviendrait à la juridiction de renvoi d’apprécier.
Sur les dépens
48 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit:
1) Sous réserve, notamment, de la vérification par la juridiction de renvoi, dans les termes explicités au point 38 du présent arrêt, de la nature du «remboursement» de la «majoration d’impôt à titre de décompte final» en cause dans les affaires au principal effectué par une société italienne à l’égard d’une société néerlandaise, au titre de l’article 10, paragraphe 3, de la convention entre la République italienne et le Royaume des Pays‑Bas en vue d’éviter les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et la fortune et de prévenir l’évasion fiscale, avec protocole additionnel, conclue à La Haye le 8 mai 1990, il y a lieu de considérer que, en tant qu’elle s’applique audit remboursement, une retenue fiscale, telle que celle en cause dans les affaires au principal, ne constitue pas une retenue à la source sur les bénéfices distribués en principe prohibée par l’article 5, paragraphe 1, de la directive 90/435/CEE du Conseil, du 23 juillet 1990, concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’États membres différents, dans sa version en vigueur à la date des faits au principal. Toutefois, dans l’hypothèse où la juridiction de renvoi estimerait que ledit «remboursement» de cette «majoration d’impôt à titre de décompte final» n’a pas une nature fiscale, une retenue fiscale, telle que celle en cause dans les affaires au principal, constituerait une retenue à la source sur les bénéfices distribués, en principe prohibée par l’article 5, paragraphe 1, de ladite directive 90/435.
2) Si la juridiction de renvoi était amenée à regarder la retenue fiscale en cause dans les affaires au principal comme une retenue à la source sur les bénéfices distribués au sens de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 90/435, dans sa version en vigueur à la date des faits au principal, cette retenue fiscale ne pourrait être considérée comme relevant du champ d’application de l’article 7, paragraphe 2, de la même directive 90/435 que si, d’une part, ladite convention prévoyait des dispositions visant à supprimer ou à atténuer la double imposition économique des distributions de dividendes et que, d’autre part, l’application de ladite retenue n’en annulerait pas les effets, ce qu’il reviendrait à la juridiction de renvoi d’apprécier.
Signatures
* Langue de procédure: l’italien.