Affaire C-211/08

Commission européenne

contre

Royaume d'Espagne

«Manquement d’État — Article 49 CE — Sécurité sociale — Soins hospitaliers nécessaires au cours d’un séjour temporaire dans un autre État membre — Absence de droit à une intervention de l’institution compétente complémentaire de celle de l’institution de l’État membre de séjour»

Sommaire de l'arrêt

Libre prestation des services — Restrictions — Réglementation nationale relative au remboursement des frais médicaux engagés dans un autre État membre — Soins hospitaliers inopinés — Règlement nº 1408/71

(Art. 49 CE; règlement du Conseil nº 1408/71, art. 22, § 1, a), i))

Ne manque pas aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 49 CE l'État membre qui refuse aux bénéficiaires du système national de santé de cet État membre le remboursement complémentaire des frais médicaux qu’ils ont exposés dans un autre État membre en cas de traitement hospitalier reçu conformément à l’article 22, paragraphe 1, sous a), i), du règlement nº 1408/71, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement nº 118/97, tel que modifié par le règlement nº 1992/2006, dans la mesure où le niveau de couverture applicable dans l’État membre où ce traitement est dispensé est inférieur à celui prévu par la réglementation de l'État membre d'affiliation.

En effet, la circonstance que des affiliés au système de santé d'un État membre puissent être incités à rentrer prématurément dans cet État membre pour y recevoir les soins hospitaliers rendus nécessaires par une dégradation de leur état de santé lors d’un séjour temporaire dans un autre État membre ou à renoncer à un voyage, par exemple, touristique ou d’études dans un tel autre État membre, à défaut de pouvoir compter, en dehors de cas particuliers limités, sur une intervention complémentaire de l’institution compétente dans l’éventualité où le coût d’un traitement équivalent dans l'État membre d'affiliation excéderait le niveau de couverture applicable dans cet autre État membre, apparaît trop aléatoire et indirecte. Partant, la réglementation litigieuse ne saurait, dans sa généralité, être regardée comme étant de nature à restreindre la libre prestation des services de soins hospitaliers, des services touristiques ou des services éducatifs.

Par ailleurs, les cas dans lesquels les soins hospitaliers inopinés prodigués à un affilié lors de son séjour temporaire dans un autre État membre exposent, par l’effet de l’application de la réglementation de celui-ci, l’État membre d’affiliation à une prise en charge financière plus élevée que si ces soins avaient été dispensés dans l’un de ses établissements, sont censés être globalement contrebalancés par les cas dans lesquels, au contraire, l’application de la réglementation de l’État membre de séjour conduit à faire peser sur l’État membre d’affiliation une charge financière, pour les soins hospitaliers en cause, moins élevée que celle qui aurait découlé de l’application de sa propre réglementation.

(cf. points 72, 78? 80)







ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

15 juin 2010 (*)

«Manquement d’État – Article 49 CE – Sécurité sociale – Soins hospitaliers nécessaires au cours d’un séjour temporaire dans un autre État membre – Absence de droit à une intervention de l’institution compétente complémentaire de celle de l’institution de l’État membre de séjour»

Dans l’affaire C‑211/08,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 226 CE, introduit le 20 mai 2008,

Commission européenne, représentée par MM. E. Traversa et R. Vidal Puig, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Royaume d’Espagne, représenté par M. J. M. Rodríguez Cárcamo, en qualité d’agent, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

soutenu par:

Royaume de Belgique, représenté par Mmes M. Jacobs et L. Van den Broeck, en qualité d’agents,

Royaume de Danemark, représenté par MM. J. Bering Liisberg et R. Holdgaard, en qualité d’agents,

République de Finlande, représentée par Mme A. Guimaraes-Purokoski, en qualité d’agent,

Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, représenté par Mme H. Walker, en qualité d’agent, assistée de M. M. Hoskins, barrister,

parties intervenantes,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. A. Tizzano, président de la première chambre, faisant fonction de président, MM. J. N. Cunha Rodrigues, K. Lenaerts (rapporteur), J.-C. Bonichot et Mme P. Lindh, présidents de chambre, MM. P. Kūris, G. Arestis, A. Borg Barthet, M. Ilešič, J. Malenovský, L. Bay Larsen, T. von Danwitz et A. Arabadjiev, juges,

avocat général: M. P. Mengozzi,

greffier: M. M.-A. Gaudissart, chef d’unité,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 24 novembre 2009,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 25 février 2010,

rend le présent

Arrêt

1        Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en refusant aux bénéficiaires du système national de santé espagnol le remboursement des frais médicaux qu’ils ont exposés dans un autre État membre en cas de traitement hospitalier reçu conformément à l’article 22, paragraphe 1, sous a), i), du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) n° 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996 (JO 1997, L 28, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) n° 1992/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2006 (JO L 392, p. 1, ci-après le «règlement n° 1408/71»), dans la mesure où le niveau de couverture applicable dans l’État membre où ce traitement est dispensé est inférieur à celui prévu par la réglementation espagnole, le Royaume d’Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 49 CE.

 Le cadre juridique

 La réglementation de l’Union

2        Le règlement n° 1408/71, à son article 22, intitulé «Séjour hors de l’État compétent – Retour ou transfert de résidence dans un autre État membre au cours d’une maladie ou d’une maternité – Nécessité de se rendre dans un autre État membre pour recevoir des soins appropriés», énonce:

«1.      Le travailleur salarié ou non salarié qui satisfait aux conditions requises par la législation de l’État compétent pour avoir droit aux prestations, compte tenu, le cas échéant, des dispositions de l’article 18 et:

a)      dont l’état vient à nécessiter des prestations en nature nécessaires du point de vue médical au cours d’un séjour sur le territoire d’un autre État membre, compte tenu de la nature des prestations et de la durée prévue du séjour

ou,

[…]

c)      qui est autorisé par l’institution compétente à se rendre sur le territoire d’un autre État membre pour y recevoir des soins appropriés à son état,

a droit:

i)      aux prestations en nature servies, pour le compte de l’institution compétente, par l’institution du lieu de séjour […], selon les dispositions de la législation qu’elle applique, comme s’il y était affilié, la durée de service des prestations étant toutefois régie par la législation de l’État compétent;

[…]

2.      […]

L’autorisation requise au titre du paragraphe 1 point c) ne peut pas être refusée lorsque les soins dont il s’agit figurent parmi les prestations prévues par la législation de l’État membre sur le territoire duquel réside l’intéressé et si ces soins ne peuvent, compte tenu de son état actuel de santé et de l’évolution probable de la maladie, lui être dispensés dans le délai normalement nécessaire pour obtenir le traitement dont il s’agit dans l’État membre de résidence.»

3        L’article 34 bis du règlement n° 1408/71 dispose:

«[…] l’article 22, paragraphe 1, points a) et c), […] l’article 22, paragraphe 2, deuxième alinéa, […] s’appliquent par analogie aux étudiants et aux membres de leur famille en tant que de besoin.»

4        L’article 36, paragraphe 1, du règlement n° 1408/71 prévoit:

«Les prestations en nature servies par l’institution d’un État membre pour le compte de l’institution d’un autre État membre, en vertu des dispositions du présent chapitre, donnent lieu à remboursement intégral.»

5        Le règlement (CEE) n° 574/72 du Conseil, du 21 mars 1972, fixant les modalités d’application du règlement n° 1408/71, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement n° 118/97, tel que modifié par le règlement (CE) n° 311/2007 de la Commission, du 19 mars 2007 (JO L 82, p. 6, ci-après le «règlement n° 574/72»), dispose à son article 21, paragraphe 1:

«Pour bénéficier des prestations en nature en vertu de l’article 22, paragraphe 1, point a) i), du règlement [n° 1408/71], le travailleur salarié ou non salarié présente au prestataire de soins un document délivré par l’institution compétente certifiant qu’il a droit aux prestations en nature. Ce document est établi conformément à l’article 2. […].

[…]»

6        L’article 34, paragraphe 1, du règlement n° 574/72 énonce:

«Si les formalités prévues à l’article […] 21 […] du règlement d’application n’ont pu être accomplies pendant le séjour sur le territoire d’un État membre autre que l’État compétent, les frais exposés sont remboursés à la demande du travailleur salarié ou non salarié par l’institution compétente aux tarifs de remboursement appliqués par l’institution du lieu de séjour.»

7        Sur la base de l’article 2, paragraphe 1, du règlement n° 574/72, la commission administrative pour la sécurité sociale des travailleurs migrants visée à l’article 80 du règlement n° 1408/71 a adopté un modèle pour le certificat relatif à l’application de l’article 22, paragraphe 1, sous a), i), de ce dernier règlement, à savoir le formulaire «E 111». Ce formulaire a été remplacé, à compter du 1er juin 2004, par la «carte européenne d’assurance maladie», en vertu des décisions de la commission administrative des Communautés européennes pour la sécurité sociale des travailleurs migrants, du 18 juin 2003, n° 189, visant à remplacer par la carte européenne d’assurance maladie les formulaires nécessaires à l’application des règlements du Conseil n° 1408/71 et n° 574/72 en ce qui concerne l’accès aux soins pendant un séjour temporaire dans un État membre autre que l’État compétent ou de résidence (JO L 276, p. 1), n° 190, concernant les caractéristiques techniques de la carte européenne d’assurance maladie (JO L 276, p. 4), et n° 191, relative au remplacement des formulaires E 111 et E 111 B par la carte européenne d’assurance maladie (JO L 276, p. 19).

8        La portée de l’article 22, paragraphe 1, sous a), i), du règlement n° 1408/71 a été précisée par la décision de la commission administrative des Communautés européennes pour la sécurité sociale des travailleurs migrants n° 194, du 17 décembre 2003, concernant l’application uniforme de l’article 22, paragraphe 1, point a) i), du règlement n° 1408/71 dans l’État membre du séjour (JO 2004, L 104, p. 127).

9        Le septième considérant de la décision n° 194 énonce:

«Les critères de l’article 22, paragraphe 1, point a) i), […] ne peuvent être interprétés d’une façon qui exclut les maladies chroniques ou préexistantes. La Cour de justice a précisé [dans son arrêt du 25 février 2003, IKA (C-326/00, Rec. p. I-1703)] que la notion de ‘soins nécessaires’ ne peut être interprétée ‘en ce sens que le bénéfice des dispositions de [cet article] serait limité aux seuls cas où les soins dispensés sont rendus nécessaires par une affection soudaine. En particulier, le fait que les soins requis par l’évolution de l’état de santé de la personne assurée durant son séjour temporaire dans un autre État membre soient éventuellement liés à une pathologie préexistante et connue de l’assuré, telle qu’une maladie chronique, ne signifie pas que les conditions d’application des dispositions susvisées ne sont pas remplies’.»

10      Les points 1 et 2 de la décision n° 194 disposent:

«1.      Sont couvertes par les dispositions de l’article 22, paragraphe 1, point a) i), […] les prestations en nature médicalement nécessaires qui sont dispensées à une personne en séjour temporaire, dans le but d’empêcher que celle-ci ne soit contrainte de rentrer prématurément dans l’État compétent pour y recevoir les soins que son état de santé nécessite.

De telles prestations visent à permettre à l’assuré de continuer son séjour dans des conditions médicalement sûres compte tenu de la durée prévue du séjour.

Cependant, ne sont pas couvertes par ces mêmes dispositions les situations dans lesquelles une personne assurée se rend dans un autre État membre dans le but d’y recevoir un traitement médical.

2.      Pour apprécier si une prestation en nature remplit les conditions fixées à l’article 22, paragraphe 1, point a) i), […] seuls les éléments d’ordre médical replacés dans le contexte du séjour temporaire de la personne concernée, compte tenu de son état médical et de ses antécédents, sont pris en considération.»

 La réglementation nationale

11      L’article 43 de la Constitution espagnole consacre le droit à la protection de la santé et dispose qu’il incombe aux pouvoirs publics d’organiser et de protéger la santé publique au moyen des prestations et des services nécessaires.

12      À cette fin, la loi générale 14/1986, sur la santé (Ley 14/1986, General de Sanidad), du 25 avril 1986 (BOE n° 102, du 29 avril 1986, p. 15207, ci-après la «LGS»), établit les bases d’un système national de santé à caractère public, universel et gratuit.

13      Les services fournis par le système national de santé à ses affiliés sont totalement gratuits. En revanche, en vertu de l’article 17 de la LGS, les prestations servies en dehors de ce système sont, en règle générale, à la charge du patient et ne donnent pas lieu à un remboursement de la part des organismes relevant dudit système.

14      Le décret royal 63/1995, sur l’organisation des prestations de santé du système national de santé (Real Decreto 63/1995, sobre ordenación de prestaciones sanitarias del Sistema Nacional de Salud), du 20 janvier 1995 (BOE n° 35, du 10 février 1995, p. 4538), disposait, à son article 5:

«1.      L’utilisation des prestations s’effectue avec les moyens disponibles au sein du système national de santé […]

2.      Les prestations […] ne peuvent être exigées que du personnel, des installations et des services, propres ou conventionnés, du système national de santé, sans préjudice des dispositions établies dans les conventions internationales.

3.      En cas de soins urgents, immédiats et à caractère vital qui ont été dispensés en dehors du système national de santé, les dépenses y afférentes sont remboursées dès lors qu’il est prouvé que les services de ce système n’ont pas pu être utilisés en temps utile et que ces soins ne constituent pas une utilisation détournée ou abusive de la présente exception.»

15      La loi 16/2003, relative à la cohésion et à la qualité du système national de santé (Ley 16/2003, de cohesión y calidad del Sistema Nacional de Salud), du 28 mai 2003 (BOE n° 128, du 29 mai 2003, p. 20567), établit la nomenclature des prestations de ce système.

16      En conformité avec l’article 14 de la LGS, l’article 9 de la loi 16/2003 dispose:

«Les prestations médicales du système national de santé ne sont servies que par le personnel légalement habilité, dans des centres et des services, propres ou conventionnés, du système national de santé, sauf dans des situations de risque vital, lorsqu’il est prouvé que les moyens de ce système n’ont pas pu être utilisés, sans préjudice des dispositions des conventions internationales auxquelles l’Espagne est partie.»

17      La loi 16/2003 a fait l’objet de dispositions d’exécution figurant dans le décret royal 1030/2006, établissant la nomenclature des prestations communes du système national de santé ainsi que la procédure pour sa mise à jour (Real Decreto 1030/2006, por el que se establece la cartera de servicios comunes del Sistema Nacional de Salud y el procedimiento para su actualización), du 15 septembre 2006 (BOE n° 222, du 16 septembre 2006, p. 32650). Ce décret royal a abrogé et remplacé le décret royal 63/1995.

18      L’article 4, paragraphe 3, du décret royal 1030/2006 précise:

«L’ensemble des prestations communes n’est servi que par des centres, des établissements et des services du système national de santé, propres ou conventionnés, sauf dans des situations de risque vital, lorsqu’il est prouvé que les moyens de ce système n’ont pas pu être utilisés. Dans les cas de soins urgents, immédiats et à caractère vital qui ont été dispensés en dehors du système national de santé, les dépenses y afférentes sont remboursées dès lors qu’il est prouvé que les services de ce système n’ont pas pu être utilisés en temps utile et qu’il ne s’agit pas d’une utilisation détournée ou abusive de la présente exception. Le tout sans préjudice des dispositions de conventions internationales auxquelles l’Espagne est partie ou de dispositions de droit interne régissant la dispensation de soins en cas de prestation de services à l’étranger.»

19      Il résulte de ces dispositions que, lorsqu’un affilié au système de santé espagnol reçoit, dans un autre État membre, des soins hospitaliers rendus nécessaires par une évolution de son état de santé lors d’un séjour temporaire dans cet État membre, l’institution dont il relève n’intervient pas dans la couverture de ces soins au-delà de l’obligation qui lui incombe en vertu des dispositions combinées des articles 22, paragraphe 1, sous a), i), et 36 du règlement n° 1408/71, sauf dans le cas et aux conditions visés à l’article 4, paragraphe 3, deuxième phrase, du décret royal 1030/2006. Par conséquent, un tel affilié n’a pas droit, sous réserve de cette exception, à la prise en charge par l’institution espagnole de la partie du coût de ces soins non couverte par l’intervention de l’institution de l’État membre de séjour.

 La procédure précontentieuse

20      La Commission a été saisie d’une plainte d’un citoyen français résidant à l’époque des faits en Espagne et affilié au système espagnol de santé. Après avoir dû être hospitalisé, lors d’un séjour en France, sous le couvert d’un formulaire E 111, l’intéressé s’est heurté, à son retour en Espagne, à un refus de l’institution espagnole de lui rembourser la part des frais d’hospitalisation que l’institution française avait laissée à sa charge conformément à la réglementation française.

21      Après avoir demandé sans succès au Royaume d’Espagne des informations sur sa réglementation relative au remboursement de soins de santé reçus dans d’autres États membres, la Commission a, par lettre du 19 décembre 2005, demandé à cet État membre de lui fournir une réponse satisfaisante dans un délai de deux mois.

22      Par lettre du 13 février 2006, le Royaume d’Espagne a répondu que sa réglementation n’envisageait pas la possibilité pour l’affilié au système national de santé d’obtenir un remboursement par l’institution compétente de dépenses de santé encourues en dehors dudit système, sauf dans les circonstances exceptionnelles prévues, à l’époque, à l’article 5 du décret royal 63/1995.

23      Le 18 octobre 2006, la Commission a envoyé au Royaume d’Espagne une lettre de mise en demeure dans laquelle elle attirait l’attention de celui-ci sur l’incompatibilité de sa réglementation interne avec l’article 49 CE dans la mesure où cette réglementation excluait, sauf exceptions, le remboursement, par l’institution compétente à l’affilié au système national de santé, des frais encourus par celui-ci pour des soins hospitaliers reçus dans un autre État membre en vertu de l’article 22, paragraphe 1, sous a), i), du règlement n° 1408/71, dans les cas où il existait une différence positive entre les niveaux de couverture respectivement applicables en Espagne et dans cet autre État membre.

24      Par lettre du 29 décembre 2006, le Royaume d’Espagne a répondu à cette lettre de mise en demeure, en faisant valoir, en substance, que l’attitude de son administration à l’égard de l’auteur de la plainte mentionnée au point 20 du présent arrêt avait été conforme au règlement n° 1408/71, que le cas de la personne concernée était différent de celui qui avait été à l’origine de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 12 juillet 2001, Vanbraekel e.a. (C-368/98, Rec. p. I‑5363), et que l’interprétation défendue par la Commission conduirait à affecter l’équilibre financier de son système national de santé.

25      N’étant pas satisfaite de cette réponse, la Commission a adressé au Royaume d’Espagne, le 19 juillet 2007, un avis motivé dans lequel elle affirmait que la réglementation espagnole était contraire à l’article 49 CE et invitait cet État membre à adopter les mesures nécessaires pour mettre fin à cette infraction dans un délai de deux mois à compter de la réception de cet avis motivé.

26      Le Royaume d’Espagne ayant maintenu sa position dans sa réponse du 19 septembre 2007 audit avis motivé, la Commission a décidé d’introduire le présent recours.

 Sur la recevabilité

27      Le Royaume d’Espagne conteste la recevabilité du recours.

28      Il invoque le caractère confus des conclusions de la Commission, laquelle dénonce une violation de l’article 49 CE tout en admettant la conformité de la pratique de l’administration espagnole aux règlements nos 1408/71 et 574/72. En outre, la requête contiendrait un grief tiré d’une méconnaissance dudit article par la deuxième phrase de l’article 4, paragraphe 3, du décret royal 1030/2006, alors que les situations telles que celles de l’auteur de la plainte mentionnée au point 20 du présent arrêt relèveraient de l’application de la dernière phrase de cet article 4, paragraphe 3, qui renvoie au droit de l’Union.

29      Le Royaume d’Espagne soutient également que, pour autant que la Commission lui reproche une violation de l’article 34 du règlement n° 574/72 liée au refus de l’administration espagnole de verser aux affiliés au système national de santé la différence entre le coût intégral des soins hospitaliers reçus dans un autre État membre et le montant de la couverture de ces soins par l’institution de cet État membre, la formulation tardive de ce grief rend celui-ci irrecevable.

30      Le Royaume d’Espagne fait, par ailleurs, valoir que la requête comporte un grief, non formulé durant la procédure précontentieuse, tiré de l’incompatibilité de l’article 4, paragraphe 3, du décret royal 1030/2006 avec l’article 22, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 1408/71.

31      Le Royaume de Belgique soutient que l’article 49 CE n’a aucunement été mentionné dans l’avis motivé, si bien que la requête ne peut contenir une argumentation fondée sur cet article.

32      À cet égard, il convient de rappeler qu’il résulte de l’article 38, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure de la Cour et de la jurisprudence y relative que toute requête introductive d’instance doit indiquer l’objet du litige et l’exposé sommaire des moyens, et que cette indication doit être suffisamment claire et précise pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et à la Cour d’exercer son contrôle. Il en découle que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels un recours est fondé doivent ressortir d’une façon cohérente et compréhensible du texte de la requête elle-même et que les conclusions de cette dernière doivent être formulées de manière non équivoque afin d’éviter que la Cour ne statue ultra petita ou bien n’omette de statuer sur un grief (voir arrêts du 26 avril 2007, Commission/Finlande, C-195/04, Rec. p. I-3351, point 22 et jurisprudence citée, ainsi que du 14 janvier 2010, Commission/République tchèque, C-343/08, non encore publié au Recueil, point 26).

33      En outre, l’objet d’un recours introduit en vertu de l’article 226 CE est circonscrit par la procédure précontentieuse prévue à cet article. Par conséquent, le recours de la Commission doit être fondé sur des griefs identiques à ceux figurant dans l’avis motivé (voir, en ce sens, arrêt Commission/Finlande, précité, point 18).

34      En l’occurrence, la requête et les conclusions de la Commission satisfont à ces différentes exigences.

35      En effet, pas plus que l’avis motivé, la requête ne comporte l’exposé d’un grief lié à un prétendu manquement du Royaume d’Espagne aux obligations qui lui incombent en vertu des règlements nos 1408/71 et 574/72. Dans le prolongement de la position invariablement affichée par la Commission au cours de la procédure précontentieuse, la requête vise exclusivement à faire constater un manquement de cet État membre à l’article 49 CE.

36      Il ressort sans équivoque de la requête et des conclusions de la Commission que le manquement allégué par cette dernière réside dans le fait que, s’agissant d’affiliés au système espagnol de santé dont l’état de santé vient à nécessiter des soins hospitaliers lors d’un séjour temporaire dans un autre État membre, au sens de l’article 22, paragraphe 1, sous a), i), du règlement n° 1408/71, la réglementation litigieuse refuse à ces affiliés, sauf dans les cas de soins d’une urgence vitale visés à l’article 4, paragraphe 3, deuxième phrase, du décret royal 1030/2006, le droit, qui découlerait de l’article 49 CE, à un remboursement complémentaire de la part de l’institution espagnole lorsque le niveau de couverture applicable dans l’État membre de séjour est inférieur à celui qui est applicable en Espagne.

37      Dans ce contexte, la référence, notamment dans les conclusions de la Commission, à l’article 22, paragraphe 1, sous a), i), du règlement n° 1408/71 vise non pas à asseoir un grief autonome, mais à définir le cercle des affiliés au détriment desquels la réglementation litigieuse constitue, selon la Commission, une violation de l’article 49 CE.

38      Il s’ensuit que le recours est recevable.

 Sur le fond

 Argumentation des parties

39      La Commission soutient que l’article 49 CE est applicable aux services de soins de santé concernés par la réglementation espagnole, y compris lorsque la nécessité de tels soins survient durant un séjour temporaire de l’affilié dans un autre État membre.

40      Après avoir souligné le rapport de complémentarité existant entre l’article 22 du règlement n° 1408/71 et l’article 49 CE, la Commission allègue que, en l’occurrence, la réglementation espagnole est de nature à restreindre tant la prestation de services de soins hospitaliers que la prestation de services touristiques ou éducatifs, dont l’obtention peut motiver un séjour temporaire dans un autre État membre.

41      Soulignant que l’hypothèse visée à l’article 22, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 1408/71 couvre toute situation dans laquelle des soins deviennent nécessaires au cours d’un séjour temporaire dans un autre État membre en raison d’une dégradation de l’état de santé de l’affilié, la Commission soutient que la réglementation litigieuse est susceptible d’inciter l’affilié au système espagnol de santé, qui se trouve dans une telle situation et qui dispose du choix entre une hospitalisation dans l’État membre de séjour et un retour prématuré en Espagne pour y être soigné, à opter pour la seconde solution chaque fois que le niveau de couverture applicable dans l’État membre de séjour est moins favorable que celui qui est applicable en Espagne.

42      La Commission ajoute que la réglementation litigieuse est de nature à dissuader les affiliés âgés ou souffrant d’une maladie chronique comportant un risque d’hospitalisation de se rendre, en tant que touristes ou étudiants, dans un État membre dans lequel les conditions de prise en charge des soins hospitaliers seraient moins avantageuses qu’en Espagne.

43      La Commission soutient que la restriction découlant de cette réglementation n’est pas justifiée. En particulier, la nécessité de celle-ci au regard de l’objectif consistant à garantir l’équilibre financier du système national de santé ne serait pas démontrée, eu égard au fait que le coût, pour ledit système, d’un traitement hospitalier dispensé dans un autre État membre à un affilié à ce système ne pourrait, en aucun cas, excéder le coût qu’aurait représenté un traitement équivalent dispensé en Espagne.

44      Le gouvernement espagnol, soutenu par les gouvernements belge, finlandais et du Royaume-Uni, conteste le fait que la réglementation litigieuse soit constitutive d’une restriction à la libre prestation des services médicaux, touristiques ou éducatifs, et soutient que, en tout état de cause, cette prétendue restriction est justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général, tenant à la préservation de l’équilibre financier du système national de santé en cause.

 Appréciation de la Cour

45      À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que l’applicabilité de l’article 22 du règlement n° 1408/71, en l’occurrence de son paragraphe 1, sous a), i), n’exclut pas l’applicabilité, parallèlement, de l’article 49 CE. En effet, le fait qu’une réglementation nationale puisse être conforme au règlement n° 1408/71 n’a pas pour effet de la faire échapper aux dispositions du traité CE (voir, en ce sens, arrêt du 16 mai 2006, Watts, C-372/04, Rec. p. I-4325, points 46 et 47).

46      Ce rappel liminaire étant effectué, il convient, en premier lieu, de vérifier si les services identifiés par la Commission dans son recours ont, dans le cas d’un affilié au système national de santé dont l’état de santé vient à nécessiter des soins hospitaliers lors de son séjour temporaire dans un autre État membre, un caractère transfrontalier susceptible de les faire relever de l’application de l’article 49 CE (voir, en ce sens, arrêt du 26 avril 1988, Bond van Adverteerders e.a., 352/85, Rec. p. 2085, point 13).

47      S’agissant, d’une part, des services de soins de santé, il y a lieu de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante de la Cour, les prestations médicales fournies contre rémunération relèvent du champ d’application des dispositions relatives à la libre prestation des services, y compris lorsque les soins sont dispensés dans un cadre hospitalier (voir, en ce sens, arrêts Watts, précité, point 86 et jurisprudence citée, ainsi que du 19 avril 2007, Stamatelaki, C‑444/05, Rec. p. I-3185, point 19). Du reste, une prestation médicale ne perd pas sa qualification de prestation de services au sens de l’article 49 CE au motif que le patient, après avoir rétribué le prestataire étranger pour les soins reçus, sollicite ultérieurement la prise en charge de ces soins par un service national de santé (voir arrêt Watts, précité, point 89 et jurisprudence citée).

48      La Cour a par ailleurs jugé que l’article 49 CE s’applique lorsque le prestataire et le destinataire du service sont établis dans des États membres différents (voir arrêt du 28 octobre 1999, Vestergaard, C‑55/98, Rec. p. I-7641, point 19). Les services qu’un prestataire établi dans un État membre fournit, sans se déplacer, à un destinataire établi dans un autre État membre constituent une prestation de services transfrontalière, au sens de l’article 49 CE (voir, notamment, arrêts du 10 mai 1995, Alpine Investments, C-384/93, Rec. p. I-1141, points 21 et 22, ainsi que du 6 novembre 2003, Gambelli e.a., C-243/01, Rec. p. I‑13031, point 53).

49      En outre, selon une jurisprudence également constante de la Cour, la libre prestation des services comporte non seulement la liberté du prestataire de fournir des services à des destinataires établis dans un État membre autre que celui sur le territoire duquel il est établi, mais aussi la liberté de recevoir ou de bénéficier, en tant que destinataire, des services offerts par un prestataire établi dans un autre État membre, sans être gêné par des restrictions (voir, notamment, arrêt Gambelli e.a., précité, point 55 et jurisprudence citée).

50      Il s’ensuit que des services de soins hospitaliers qu’un prestataire établi dans un État membre fournit dans ce dernier à un destinataire établi dans un autre État membre relèvent de la notion de prestation de services, au sens de l’article 49 CE, y compris dans le cas, qui sous-tend la présente affaire, où le séjour temporaire du destinataire de ces services de soins dans l’État membre d’établissement du prestataire tient à des motifs autres que médicaux.

51      S’agissant, d’autre part, des services autres que médicaux, tels que les services touristiques et éducatifs spécifiquement visés par la Commission dans son recours, il convient de rappeler, outre la jurisprudence mentionnée au point 48 du présent arrêt, que les personnes établies dans un État membre, qui se rendent dans un autre État membre en qualité de touristes ou dans le cadre d’un voyage d’études, sont à considérer comme des destinataires de services, au sens de l’article 49 CE (voir arrêts du 31 janvier 1984, Luisi et Carbone, 286/82 et 26/83, Rec. p. 377, point 16; du 2 février 1989, Cowan, 186/87, Rec. p. 195, point 15, ainsi que du 19 janvier 1999, Calfa, C-348/96, Rec. p. I-11, point 16).

52      Il résulte des considérations qui précèdent que la libre prestation des services englobe la liberté d’un affilié établi dans un État membre de se rendre, par exemple, en qualité de touriste ou d’étudiant, dans un autre État membre pour un séjour temporaire et d’y recevoir des soins hospitaliers de la part d’un prestataire établi dans cet autre État membre lorsque son état de santé vient à nécessiter de tels soins durant ce séjour.

53      Certes, il est constant que le droit de l’Union ne porte pas atteinte à la compétence des États membres pour aménager leurs systèmes de sécurité sociale et que, en l’absence d’une harmonisation au niveau de l’Union européenne, il appartient à la législation de chaque État membre de déterminer les conditions d’octroi des prestations en matière de sécurité sociale. Il demeure toutefois que, dans l’exercice de cette compétence, les États membres doivent respecter le droit de l’Union, notamment les dispositions relatives à la libre prestation des services (voir, notamment, arrêt Watts, précité, point 92 et jurisprudence citée).

54      Dans ces conditions, il convient, en second lieu, d’examiner si la réglementation litigieuse constitue un manquement auxdites dispositions.

55      Selon une jurisprudence bien établie, l’article 49 CE s’oppose à l’application de toute réglementation nationale qui a pour effet de rendre la prestation de services entre États membres plus difficile que la prestation de services purement interne à un État membre (voir, notamment, arrêt Stamatelaki, précité, point 25 et jurisprudence citée).

56      Dans ce contexte, la Cour a jugé que le fait, pour une réglementation nationale, de ne pas garantir à l’affilié qui a été autorisé à subir une hospitalisation dans un autre État membre, conformément à l’article 22, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 1408/71, un niveau de couverture aussi avantageux que celui dont cet affilié aurait bénéficié s’il avait été hospitalisé dans l’État membre d’affiliation constitue une restriction à la libre prestation des services, au sens de l’article 49 CE, en ce qu’il est susceptible de décourager, voire d’empêcher, ledit affilié de s’adresser à des prestataires de services établis dans d’autres États membres (voir, en ce sens, arrêt Vanbraekel e.a., précité, point 45). La Cour a précisé, à propos d’une réglementation nationale prévoyant la gratuité des soins hospitaliers fournis dans le cadre du système national de santé, qu’un tel niveau de couverture correspond au coût, dans le système de l’État membre d’affiliation, d’un traitement équivalent à celui reçu par l’affilié dans l’État membre de séjour (voir, en ce sens, arrêt Watts, précité, points 131 et 133).

57      La Cour a considéré que, dans la mesure où un complément de remboursement, qui est fonction du régime de couverture de l’État membre d’affiliation, n’implique par hypothèse aucune charge financière supplémentaire pour le système d’assurance maladie de cet État membre par rapport au remboursement ou au coût qui aurait été supporté en cas d’hospitalisation dans ce dernier, il ne saurait être soutenu que le fait de mettre un tel complément de remboursement à charge de ce système d’assurance maladie serait de nature à avoir une incidence significative sur le financement du système de sécurité sociale dudit État membre (arrêt Vanbraekel e.a., précité, point 52).

58      Toutefois, s’agissant à tout le moins des soins de santé de nature hospitalière, seuls concernés par la présente affaire, le cas, dit «des soins inopinés», visé à l’article 22, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 1408/71, en cause en l’espèce, se distingue, au regard de l’article 49 CE, du cas, dit «des soins programmés», visé à l’article 22, paragraphe 1, sous c), dudit règlement, en cause dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts précités Vanbraekel e.a. ainsi que Watts.

59      Il convient, tout d’abord, de relever que les cas de recours à des soins hospitaliers programmés dans un autre État membre, au titre de l’article 22, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 1408/71, résultent, ainsi qu’il ressort du paragraphe 2, second alinéa, de cet article 22, d’un constat objectif de l’absence de disponibilité, dans l’État membre d’affiliation, des soins en cause, ou de soins présentant un même degré d’efficacité, dans un délai médicalement acceptable (voir, en ce sens, arrêt Watts, précité, points 57 et 79). En pareille situation, ce dernier État membre doit, par-delà ses obligations découlant de l’application combinée des articles 22, paragraphe 1, sous c), et 36 du règlement n° 1408/71, garantir, le cas échéant, à l’affilié un niveau de couverture aussi avantageux que celui que la disponibilité desdits soins dans un tel délai, dans son propre système de santé, l’aurait conduit à accorder à l’intéressé, et ce sous peine de méconnaître les règles relatives à la libre prestation des services, ainsi que la Cour l’a jugé dans l’arrêt Vanbraekel e.a., précité.

60      La situation est, en revanche, différente en ce qui concerne les soins inopinés visés à l’article 22, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 1408/71.

61      En effet, s’agissant d’un affilié dont le déplacement vers un autre État membre résulte de motifs, par exemple, touristiques ou éducatifs, et non d’une quelconque insuffisance de l’offre du système de santé dont il relève, les règles du traité en matière de libre circulation ne lui garantissent pas la neutralité pour tous les services de soins hospitaliers qui pourraient devoir lui être fournis inopinément dans l’État membre de séjour. Eu égard, d’une part, aux disparités nationales existant en matière de couverture sociale et, d’autre part, à l’objectif du règlement n° 1408/71, consistant à coordonner les législations nationales, mais non pas à les harmoniser, les conditions afférentes à un séjour hospitalier dans un autre État membre peuvent, selon les cas, être plus ou moins avantageuses ou désavantageuses pour l’affilié (voir, par analogie, arrêts du 19 mars 2002, Hervein e.a., C-393/99 et C-394/99, Rec. p. I-2829, points 50 à 52; du 29 avril 2004, Weigel, C-387/01, Rec. p. I-4981, point 55, ainsi que du 26 avril 2007, Alevizos, C-392/05, Rec. p. I-3505, point 76).

62      Il convient, ensuite, de souligner que, dans le cas de soins hospitaliers programmés dans un autre État membre, l’affilié est, en règle générale, en mesure d’obtenir une estimation globale du coût du traitement hospitalier en cause, prenant la forme d’un devis, lui permettant de comparer les niveaux de couverture applicables, respectivement, dans l’État membre dans lequel le séjour hospitalier est envisagé et dans l’État membre d’affiliation.

63      Dans un tel contexte, le fait que la réglementation de ce dernier État membre ne garantisse pas à l’affilié le droit au remboursement, par l’institution compétente, de l’éventuelle différence positive entre le niveau de couverture applicable dans cet État membre et celui applicable dans l’État membre dans lequel les soins hospitaliers en cause sont programmés est de nature à inciter cet affilié à renoncer au traitement envisagé dans cet autre État membre, ce qui traduit une restriction à la libre prestation des services, ainsi que la Cour l’a jugé dans les arrêts précités Vanbraekel e.a. et Watts.

64      En revanche, ainsi que l’a souligné le gouvernement espagnol, la situation des soins inopinés visée à l’article 22, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 1408/71 recouvre, notamment, un nombre indéfini de cas dans lesquels l’état de santé de l’affilié vient à nécessiter, lors du séjour temporaire de ce dernier dans un autre État membre, des soins hospitaliers dans des circonstances liées, notamment, à l’urgence de la situation, à la gravité de l’affection ou de l’accident, ou encore à l’impossibilité médicale d’un rapatriement vers l’État membre d’affiliation, qui ne laissent, objectivement, d’autre alternative que la fourniture à l’intéressé d’un traitement hospitalier dans un établissement situé dans l’État membre de séjour.

65      Dans tous ces cas, il est exclu que la réglementation litigieuse puisse se voir imputer un quelconque effet restrictif sur la fourniture de services de soins hospitaliers par des prestataires établis dans un autre État membre.

66      Certes, ainsi que la Commission l’a fait observer, la situation envisagée à l’article 22, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 1408/71 concerne également les cas dans lesquels la dégradation de l’état de santé de l’affilié lors d’un séjour temporaire dans un autre État membre, tout en revêtant un caractère inopiné, n’est pas de nature à priver celui-ci du choix entre une hospitalisation dans ce dernier État membre et un retour prématuré en Espagne aux fins d’y recevoir les soins hospitaliers requis.

67      Toutefois, ainsi que le souligne le point 1 des motifs de la décision n° 194, le système institué à l’article 22, paragraphe 1, sous a), i), du règlement n° 1408/71 a, dans de tels cas, précisément pour but d’éviter que l’affilié soit contraint de rentrer prématurément dans l’État membre d’affiliation pour y recevoir les soins nécessaires, en conférant à l’intéressé un droit, qu’il ne posséderait pas autrement, d’accès aux soins hospitaliers dans l’État membre de séjour dans des conditions de prise en charge aussi favorables que celles dont bénéficient les affiliés qui relèvent de la réglementation de ce dernier (voir, par analogie, arrêt du 23 octobre 2003, Inizan, C-56/01, Rec. p. I-12403, points 21 et 22).

68      En outre, il convient de relever que l’incidence potentielle de la réglementation litigieuse sur la situation d’un tel affilié dépend d’une circonstance qui, au moment où cet affilié est confronté à un tel choix, revêt un caractère aléatoire, à savoir l’éventualité que le niveau de couverture applicable dans l’État membre de séjour pour le traitement hospitalier qui y serait envisagé et dont le coût global n’est, à ce moment-là, pas connu, s’avère inférieur au coût d’un hypothétique traitement équivalent prodigué en Espagne.

69      S’agissant des services autres que médicaux, tels que les services touristiques ou éducatifs, il importe de souligner que le cas des soins inopinés, au sens de l’article 22, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 1408/71, présuppose, par définition, une absence de certitude, au moment où l’affilié envisage de se rendre dans un autre État membre, par exemple, comme touriste ou comme étudiant, quant à la nécessité de soins hospitaliers lors de son séjour temporaire dans cet autre État membre.

70      La situation des affiliés âgés ainsi que celle des affiliés souffrant d’une maladie chronique ou préexistante, que la décision n° 194 inclut, aux termes de son point 1 et de son septième considérant, dans le champ d’application de l’article 22, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 1408/71, revêtent, à cet égard, le même caractère aléatoire.

71      En effet, bien qu’ils puissent encourir un risque accru de dégradation de leur état de santé, ces affiliés ne sont, à l’instar des autres affiliés, susceptibles d’être affectés par la réglementation litigieuse que dans l’éventualité où leur état de santé viendrait à nécessiter effectivement des soins hospitaliers, autres que ceux mentionnés à l’article 4, paragraphe 3, deuxième phrase, du décret royal 1030/2006, lors de leur séjour temporaire dans un autre État membre, et où il s’avérerait que le niveau de couverture applicable dans cet État membre est inférieur au coût d’un traitement équivalent prodigué en Espagne.

72      Il s’ensuit que la circonstance que des affiliés au système de santé espagnol puissent être incités à rentrer prématurément en Espagne pour y recevoir les soins hospitaliers rendus nécessaires par une dégradation de leur état de santé lors d’un séjour temporaire dans un autre État membre ou à renoncer à un voyage, par exemple, touristique ou d’études dans un tel autre État membre, à défaut de pouvoir compter, en dehors du cas visé à l’article 4, paragraphe 3, deuxième phrase, du décret royal 1030/2006, sur une intervention complémentaire de l’institution compétente dans l’éventualité où le coût d’un traitement équivalent en Espagne excéderait le niveau de couverture applicable dans cet autre État membre, apparaît trop aléatoire et indirecte. Partant, la réglementation litigieuse ne saurait, dans sa généralité, être regardée comme étant de nature à restreindre la libre prestation des services de soins hospitaliers, des services touristiques ou des services éducatifs (voir, par analogie, respectivement en matière de libre circulation des marchandises et de libre circulation des travailleurs, arrêts du 7 mars 1990, Krantz, C-69/88, Rec. p. I-583, point 11, ainsi que du 27 janvier 2000, Graf, C-190/98, Rec. p. I-493, points 24 et 25).

73      Le cas de l’auteur de la plainte mentionnée au point 20 du présent arrêt confirme cette conclusion. En effet, il atteste du caractère hypothétique de l’incidence de la réglementation litigieuse, la demande de remboursement complémentaire introduite par l’intéressé s’étant, en effet, avérée infondée, ainsi qu’il ressort du dossier, et ce en raison du niveau inférieur du coût d’un traitement équivalent en Espagne par rapport au niveau de couverture appliqué dans l’État membre de séjour.

74      Il convient, enfin, de souligner que, à la différence des cas relevant de l’article 22, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 1408/71, ceux visés à cet article 22, paragraphe 1, sous a), présentent pour les États membres et leurs institutions en charge de la protection sociale un caractère imprévisible.

75      En effet, chaque État membre dispose, en tant qu’État membre d’affiliation, de la possibilité, dans le cadre de la compétence qui lui est reconnue aux articles 153 TFUE et 168 TFUE pour aménager son système de santé publique et de sécurité sociale (voir, en ce sens, arrêts Watts, précité, points 92 et 146, ainsi que du 1er juin 2010, Blanco Pérez et Chao Gómez, C-570/07 et C-571/07, non encore publié au Recueil, point 43), d’adopter des mesures touchant à l’étendue et aux conditions, de délai notamment, de l’offre de soins hospitaliers sur son propre territoire afin de juguler le nombre d’autorisations à délivrer, au titre de l’article 22, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 1408/71, pour des soins programmés dans un autre État membre par des affiliés relevant de son système.

76      En revanche, ainsi que l’ont souligné les gouvernements danois et finlandais, la mobilité sans cesse croissante des citoyens à l’intérieur de l’Union, notamment pour des motifs touristiques ou éducatifs, est susceptible de se traduire par un nombre toujours plus important de cas de soins hospitaliers inopinés, au sens de l’article 22, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 1408/71, que les États membres ne peuvent nullement maîtriser.

77      Dans ce contexte, où chaque État membre s’en remet, en tant qu’État membre d’affiliation, à l’application de la réglementation de l’État membre de séjour en ce qui concerne le niveau de la couverture, à la charge finale de l’institution compétente, des soins hospitaliers qui viendraient à être nécessités par l’état de santé de l’affilié durant son séjour temporaire dans ce dernier État membre, l’application combinée de l’article 22, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 1408/71 et de l’article 36 dudit règlement, relatif au mécanisme de remboursement entre les institutions concernées, repose sur une compensation globale des risques.

78      En effet, les cas dans lesquels les soins hospitaliers inopinés prodigués à un affilié lors de son séjour temporaire dans un autre État membre exposent, par l’effet de l’application de la réglementation de celui-ci, l’État membre d’affiliation à une prise en charge financière plus élevée que si ces soins avaient été dispensés dans l’un de ses établissements, sont censés être globalement contrebalancés par les cas dans lesquels, au contraire, l’application de la réglementation de l’État membre de séjour conduit à faire peser sur l’État membre d’affiliation une charge financière, pour les soins hospitaliers en cause, moins élevée que celle qui aurait découlé de l’application de sa propre réglementation.

79      Par conséquent, le fait d’imposer à un État membre l’obligation de garantir à ses propres affiliés un remboursement complémentaire par l’institution compétente chaque fois que le niveau de couverture applicable dans l’État membre de séjour pour les soins hospitaliers inopinés en cause s’avère inférieur à celui applicable en vertu de sa propre réglementation reviendrait à mettre à mal l’économie même du système voulu par le règlement n° 1408/71. En effet, dans tout cas relatif à de tels soins, l’institution compétente de l’État membre d’affiliation se verrait systématiquement exposée à la charge financière la plus élevée, que ce soit par l’application, conformément à l’article 22, paragraphe 1, sous a), dudit règlement, de la réglementation de l’État membre de séjour qui prévoit un niveau de couverture supérieur à celui prévu par la réglementation de l’État membre d’affiliation ou par l’application de cette dernière réglementation dans l’hypothèse contraire.

80      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, la Commission n’a pas démontré que, dans sa généralité, la réglementation litigieuse est constitutive d’un manquement du Royaume d’Espagne aux obligations qui incombent à cet État membre en vertu de l’article 49 CE.

81      Partant, il y a lieu de rejeter le recours.

 Sur les dépens

82      Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Royaume d’Espagne ayant conclu à la condamnation de la Commission et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens. En application du paragraphe 4, premier alinéa, du même article, le Royaume de Belgique, le Royaume de Danemark, la République de Finlande et le Royaume-Uni, qui sont intervenus au présent litige, supporteront leurs propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête:

1)      Le recours est rejeté.

2)      La Commission européenne est condamnée aux dépens.

3)      Le Royaume de Belgique, le Royaume de Danemark, la République de Finlande ainsi que le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord supportent leurs propres dépens.

Signatures


* Langue de procédure: l’espagnol.