Affaire C-52/08

Commission européenne

contre

République portugaise

«Manquement d’État — Notaires — Directive 2005/36/CE»

Sommaire de l'arrêt

1.        Recours en manquement — Objet du litige — Détermination au cours de la procédure précontentieuse — Adaptation en raison d'un changement en droit de l'Union — Admissibilité — Conditions

(Art. 226 CE)

2.        Recours en manquement — Examen du bien-fondé par la Cour — Situation à prendre en considération — Situation à l'expiration du délai fixé par l'avis motivé — Situation d’incertitude résultant des circonstances particulières survenues lors du processus législatif — Absence de manquement

(Art. 43 CE, 45, al. 1, CE et 226 CE; directive du Parlement européen et du Conseil 2005/36)

1.        Dans le cadre d'un recours en manquement, si les conclusions contenues dans la requête ne sauraient, en principe, être étendues au-delà des manquements allégués dans le dispositif de l’avis motivé et dans la lettre de mise en demeure, il n’en demeure pas moins que la Commission est recevable à faire constater un manquement aux obligations qui trouvent leur origine dans la version initiale d’un acte de l’Union, par la suite modifié ou abrogé, et qui ont été maintenues par les dispositions d’un nouvel acte de l’Union. En revanche, l’objet du litige ne saurait être étendu à des obligations qui découlent de nouvelles dispositions n’ayant pas d’équivalent dans la version initiale de l’acte en cause, sous peine de constituer une violation des formes substantielles de la régularité de la procédure constatant le manquement.

(cf. point 42)

2.        Lorsque, au cours du processus législatif, des circonstances particulières, telle que l’absence de prise de position claire du législateur ou l’absence de précision quant à la détermination du champ d’application d’une disposition du droit de l’Union, donnent lieu à une situation d’incertitude, il n’est pas possible de constater qu’il existait, au terme du délai imparti dans l’avis motivé, une obligation suffisamment claire pour les États membres de transposer une directive.

(cf. points 54-56)







ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

24 mai 2011 (*)

«Manquement d’État – Notaires – Directive 2005/36/CE»

Dans l’affaire C‑52/08,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 226 CE, introduit le 12 février 2008,

Commission européenne, représentée par MM. H. Støvlbæk et P. Andrade, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

soutenue par:

Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, représenté par M. S. Ossowski, en qualité d’agent, assisté de M. K. Smith, barrister,

partie intervenante,

contre

République portugaise, représentée par M. L. Inez Fernandes et Mme F. S. Gaspar Rosa, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par:

République tchèque, représentée par M. M. Smolek, en qualité d’agent,

République de Lituanie, représentée par M. D. Kriaučiūnas et Mme E. Matulionytė, en qualité d’agents,

République de Slovénie, représentée par Mmes V. Klemenc et Ž. Cilenšek Bončina, en qualité d’agents,

République slovaque, représentée par M. J. Čorba, en qualité d’agent,

parties intervenantes,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. V. Skouris, président, MM. A. Tizzano, J. N. Cunha Rodrigues, K. Lenaerts, J.-C. Bonichot, A. Arabadjiev (rapporteur) et J-J. Kasel, présidents de chambre, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. E. Juhász, G. Arestis, M. Ilešič, Mme C. Toader et M. M. Safjan, juges,

avocat général: M. P. Cruz Villalón,

greffier: Mme M. Ferreira, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 28 avril 2010,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 14 septembre 2010,

rend le présent

Arrêt

1        Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en n’ayant pas pris les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive 2005/36/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 septembre 2005, relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles (JO L 255, p. 22), la République portugaise a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de cette directive.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

2        Le neuvième considérant de la directive 2005/36 énonce que, «[t]out en maintenant, pour la liberté d’établissement, les principes et les garanties sous-jacents aux différents systèmes de reconnaissance en vigueur, il convient d’en améliorer les règles à la lumière de l’expérience».

3        Conformément au quatorzième considérant de cette directive, «[l]e mécanisme de reconnaissance établi par [la directive 89/48/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, relative à un système général de reconnaissance des diplômes d’enseignement supérieur qui sanctionnent des formations professionnelles d’une durée minimale de trois ans (JO 1989, L 19, p. 16)] reste inchangé».

4        Le quarante et unième considérant de la directive 2005/36 énonce que celle-ci «ne préjuge pas l’application de l’article 39, paragraphe 4, [CE] et de l’article 45 [CE], notamment en ce qui concerne les notaires».

5        L’article 2, paragraphe 3, de la directive 2005/36 est ainsi libellé:

«Lorsque, pour une profession réglementée déterminée, d’autres dispositions spécifiques concernant directement la reconnaissance de qualifications professionnelles sont prévues dans un instrument distinct du droit communautaire, les dispositions correspondantes de la présente directive ne s’appliquent pas.»

6        La profession de notaire n’a fait l’objet d’aucun instrument distinct du droit de l’Union du type de celui visé audit article 2, paragraphe 3.

7        La directive 2005/36 a abrogé, en vertu de son article 62, la directive 89/48 avec effet à partir du 20 octobre 2007.

 La réglementation nationale

8        Les notaires exercent leurs fonctions, dans l’ordre juridique portugais, dans le cadre d’une profession libérale. L’organisation de cette profession est régie par le décret-loi n° 26/2004, du 4 février 2004, portant adoption du statut du notariat (Diário da República I, série-A, n° 29, du 4 février 2004, ci-après le «statut du notariat»).

9        L’article 1er, paragraphes 1 et 2, du statut du notariat dispose:

«1.      Le notaire est le juriste dont les actes écrits, dressés dans l’exercice de sa fonction, font foi publique.

2.      Le notaire est simultanément un officier public qui confère leur authenticité aux documents et assure leur archivage et un membre des professions libérales qui agit de manière indépendante, impartiale et est choisi librement par les intéressés.»

10      L’article 4, paragraphe 1, dudit statut énonce qu’il «incombe d’une manière générale au notaire de rédiger un instrument public conforme à la volonté des intéressés dont il garantit l’adéquation au droit par ses recherches et son interprétation, en informant lesdits intéressés de sa valeur et de sa portée».

11      L’article 4, paragraphe 2, du même statut précise que le notaire a notamment compétence pour dresser des testaments et d’autres actes publics, procéder à l’authentification ou à la reconnaissance d’écrits ou de signatures, délivrer des certificats, certifier des traductions, délivrer des extraits ou des copies authentiques, dresser des procès-verbaux de réunions et conserver des documents.

12      En vertu de l’article 25 du statut du notariat, l’accès à la profession de notaire est subordonné aux conditions cumulatives suivantes:

–        ne pas être empêché d’exercer des fonctions publiques ni être interdit d’exercer la fonction notariale;

–        être titulaire d’une licence en droit reconnue par la législation portugaise;

–        avoir accompli le stage notarial, et

–        avoir réussi le concours organisé par le Conseil du notariat.

13      Le décret-loi n° 27/2004, du 4 février 2004 (Diário da República I, série-A, n° 29, du 4 février 2004), a créé l’ordre des notaires. L’attribution du titre de notaire est, quant à elle, régie par l’arrêté n° 398/2004 du ministre de la Justice, du 21 avril 2004.

14      Aux termes de l’article 38 du décret-loi n° 76-A/2006, du 29 mars 2006 (Diário da República I, série- A, n° 63, du 29 mars 2006), les pouvoirs d’authentification, de certification et de reconnaissance de documents ont été également attribués aux conservateurs et aux officiers des services d’enregistrement, aux chambres de commerce ou d’industrie reconnues ainsi qu’aux avocats et aux «solicitadores». Les authentifications, les certifications et les reconnaissances ainsi effectuées confèrent au document en cause la même force probante qu’il aurait s’il avait été établi devant notaire.

15      Ainsi qu’il a été expliqué par la République portugaise lors de l’audience, le législateur portugais a progressivement éliminé la nécessité d’authentification notariale en ce qui concerne la quasi-totalité des actes pour lesquels une telle authentification était antérieurement exigée.

 La procédure précontentieuse

16      La Commission a été saisie d’une plainte visant le défaut de transposition, en ce qui concerne la profession de notaire au Portugal, de la directive 89/48. Après avoir procédé à l’examen de cette plainte, la Commission a, par une lettre du 20 décembre 2001, mis la République portugaise en demeure de lui présenter, dans un délai de deux mois, ses observations au sujet du défaut de transposition de cette directive.

17      Dans sa réponse du 17 juin 2002 à la lettre de mise en demeure, la République portugaise a informé la Commission qu’une réforme de la législation en matière d’accès à la profession de notaire était en cours.

18      La Commission a, le 18 octobre 2006, adressé à cet État membre un avis motivé dans lequel elle a conclu que ledit État membre a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 89/48. Cette institution a invité la République portugaise à prendre les mesures requises pour se conformer à l’avis motivé dans un délai de deux mois à compter de sa réception.

19      Par une lettre du 24 janvier 2007, la République portugaise a exposé les motifs pour lesquels elle estimait que la position défendue par la Commission n’était pas fondée.

20      C’est dans ces conditions que la Commission a décidé d’introduire le présent recours.

 Sur le recours

 Argumentation des parties

21      La Commission fait valoir, en premier lieu, que les notaires ne participent pas à l’exercice de l’autorité publique au sens de l’article 45, premier alinéa, CE. Elle rappelle à cet égard que, en ce qu’elle prévoit une exception à la liberté d’établissement, cette disposition devrait faire l’objet d’une interprétation stricte (arrêt du 21 juin 1974, Reyners, 2/74, Rec. p. 631, point 43).

22      Le champ d’application de ladite exception devrait, en outre, être restreint aux activités qui, par elles-mêmes, comportent une participation directe et spécifique à l’exercice de l’autorité publique (arrêt Reyners, précité, points 44 et 45). Selon la Commission, la notion d’autorité publique implique l’exercice d’un pouvoir décisionnel exorbitant du droit commun se traduisant par la capacité d’agir indépendamment de la volonté d’autres sujets ou même contre cette volonté. En particulier, l’autorité publique se manifesterait, selon la jurisprudence de la Cour, par l’exercice de pouvoirs de contrainte (arrêt du 29 octobre 1998, Commission/Espagne, C‑114/97, Rec. p. I‑6717, point 37).

23      Seraient ainsi exclues du champ d’application de l’article 45, premier alinéa, CE les activités constituant une assistance ou une collaboration au fonctionnement de l’autorité publique (voir, en ce sens, arrêt du 13 juillet 1993, Thijssen, C‑42/92, Rec. p. I‑4047, point 22).

24      De l’avis de la Commission et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, les activités participant à l’exercice de l’autorité publique devraient être distinguées de celles exercées dans l’intérêt général. En effet, diverses professions se verraient attribuer des compétences particulières dans l’intérêt général sans pour autant participer à l’exercice de l’autorité publique.

25      La législation portugaise ne conférant pas de pouvoirs décisionnels aux notaires, ceux-ci ne participeraient donc pas à l’exercice de l’autorité publique.

26      La Commission procède, en second lieu, à l’examen, au regard des exigences de la directive 2005/36, des conditions auxquelles est soumis l’accès à la profession de notaire au Portugal.

27      À l’instar du Royaume-Uni, cette institution considère que le quarante et unième considérant de cette directive n’exclut pas la profession de notaire du champ d’application de ladite directive. Ce considérant devrait être interprété en ce sens que l’article 45, premier alinéa, CE trouve à s’appliquer à la profession de notaire dans la mesure où cette profession participe à l’exercice de l’autorité publique. Or, le notaire ne participant pas, dans l’ordre juridique portugais, à l’exercice de l’autorité publique, la directive 2005/36 lui serait applicable.

28      À cet égard, la Commission fait observer que l’exercice de la profession de notaire au Portugal est soumis à cinq conditions. Premièrement, les candidats devraient être en possession d’une licence en droit délivrée par une université portugaise ou d’un titre universitaire équivalent en vertu de la législation portugaise. Deuxièmement, les candidats devraient réussir un concours permettant d’obtenir le titre de notaire. Troisièmement, ils devraient effectuer un stage, à l’issue duquel le notaire titulaire donnerait son avis sur l’aptitude du stagiaire à l’exercice de la profession. Quatrièmement, après avoir accompli ledit stage, les candidats devraient réussir un second concours leur permettant d’exercer la profession. Cinquièmement, les candidats prendraient leur fonction en prêtant serment devant le ministre de la Justice et le bâtonnier de l’ordre des notaires.

29      La Commission estime que les trois premières conditions mentionnées au point précédent ne sont pas compatibles avec les exigences de la directive 2005/36. Ainsi, la première condition serait contraire aux articles 13, paragraphe 1, et 14, paragraphe 3, de cette directive puisqu’elle interdirait aux titulaires de licences en droit délivrées par des universités d’autres États membres ou de titres universitaires qui ne sont pas considérés comme équivalents d’exercer la profession de notaire au Portugal. La deuxième condition serait contraire, notamment, à l’article 14, paragraphe 3, de ladite directive dans la mesure où le concours permettant d’obtenir le titre de notaire porterait sur un large spectre de matières sans tenir compte des matières déjà couvertes par le diplôme ou le titre de formation du candidat. S’agissant de la troisième condition, le stage en cause constituerait non seulement un stage d’adaptation, mais également et en même temps une épreuve d’aptitude, alors que l’article 14, paragraphe 3, de la directive 2005/36 interdirait le cumul d’un stage d’adaptation, d’une part, et d’une épreuve d’aptitude, d’autre part.

30      La République portugaise, soutenue par la République de Lituanie, la République de Slovénie et la République slovaque, fait valoir, en premier lieu, que le notaire participe, conformément à la législation de l’Union et à la jurisprudence de la Cour, à l’exercice de l’autorité publique au sens de l’article 45, premier alinéa, CE.

31      En effet, la Cour aurait confirmé, dans son arrêt du 30 septembre 2003, Colegio de Oficiales de la Marina Mercante Española (C-405/01, Rec. p. I-10391, point 42), que les activités du notaire relatives à l’accomplissement de testaments constituent une participation à l’exercice de prérogatives de puissance publique.

32      Le Parlement européen aurait également conclu à l’applicabilité de l’article 45, premier alinéa, CE à la profession de notaire dans sa résolution du 18 janvier 1994 sur la situation et l’organisation du notariat dans les douze États membres de la Communauté (JO C 44, p. 36) ainsi que dans sa résolution du 23 mars 2006 sur les professions juridiques et l’intérêt général relatif au fonctionnement des systèmes juridiques (JO C 292E, p. 105).

33      De même, les directives 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur («directive sur le commerce électronique») (JO L 178, p. 1), et 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur (JO L 376, p. 36), excluraient de leur champ d’application les activités de notaire.

34      Certains aspects du statut du notaire, à savoir, notamment, son statut d’officier public, le régime de numerus clausus auquel il est soumis, la prestation de serment et les incompatibilités prévues par la loi, attesteraient également de la participation des notaires à l’exercice de l’autorité publique.

35      En ce qui concerne le prétendu défaut de transposition de la directive 2005/36, la République portugaise, la République de Lituanie et la République de Slovénie font valoir, en second lieu, que le quarante et unième considérant de cette directive énonce expressément qu’elle «ne préjuge pas l’application de l’article 39, paragraphe 4, [CE] et de l’article 45 [CE], notamment en ce qui concerne les notaires». Cette réserve confirmerait que la profession de notaire est exclue du champ d’application de la directive 2005/36. Une réserve similaire figurerait au douzième considérant de la directive 89/48.

36      En se référant aux travaux préparatoires de la directive 2005/36 et, notamment, à la résolution législative du Parlement européen sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles (JO 2004, C 97E, p. 230), arrêtée en première lecture le 11 février 2004, la République portugaise conclut que le législateur de l’Union a soustrait la profession de notaire du champ d’application de ladite directive.

37      La République tchèque estime que, dans la mesure où l’exercice de la profession de notaire exige une connaissance approfondie du droit national de l’État membre d’accueil, l’exigence d’une épreuve d’aptitude portant sur des questions relatives au droit interne de cet État membre est conforme aux conditions visées à l’article 3, paragraphe 1, sous h), de la directive 2005/36.

38      La République de Slovénie fait valoir que la Cour devrait rejeter d’office le présent recours du fait que l’objet de la procédure précontentieuse était le prétendu défaut de transposition de la directive 89/48, alors que le présent recours reproche à la République portugaise d’avoir manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 2005/36.

 Appréciation de la Cour

 Sur la recevabilité du recours

39      Il ressort de la requête de la Commission que le présent recours vise un prétendu défaut de transposition de la directive 2005/36. Il y a toutefois lieu de noter que tant les lettres de mise en demeure que l’avis motivé émis par la Commission portent sur la directive 89/48. Il convient, par conséquent, de traiter d’office la question de la recevabilité du présent recours.

40      En effet, en vertu de sa jurisprudence, la Cour peut examiner d’office si les conditions prévues à l’article 226 CE pour l’introduction d’un recours en manquement sont remplies (arrêts du 31 mars 1992, Commission/Italie, C-362/90, Rec. p. I-2353, point 8, et du 9 septembre 2004, Commission/Grèce, C-417/02, Rec. p. I-7973, point 16).

41      Il est de jurisprudence constante que l’existence d’un manquement dans le cadre d’un recours fondé sur l’article 226 CE doit être appréciée au regard de la législation de l’Union en vigueur au terme du délai que la Commission a imparti à l’État membre en cause pour se conformer à son avis motivé (voir, notamment, arrêts du 10 septembre 1996, Commission/Allemagne, C-61/94, Rec. p. I-3989, point 42; du 5 octobre 2006, Commission/Belgique, C-377/03, Rec. p. I-9733, point 33, et du 10 septembre 2009, Commission/Grèce, C-416/07, Rec. p. I‑7883, p. 27). Or, force est de constater que la directive 2005/36 a abrogé la directive 89/48 à compter du 20 octobre 2007, soit après l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé.

42      Toutefois, ainsi que la Cour l’a déjà jugé, si les conclusions contenues dans la requête ne sauraient, en principe, être étendues au-delà des manquements allégués dans le dispositif de l’avis motivé et dans la lettre de mise en demeure, il n’en demeure pas moins que la Commission est recevable à faire constater un manquement aux obligations qui trouvent leur origine dans la version initiale d’un acte de l’Union, par la suite modifié ou abrogé, et qui ont été maintenues par les dispositions d’un nouvel acte de l’Union. En revanche, l’objet du litige ne saurait être étendu à des obligations qui découlent de nouvelles dispositions n’ayant pas d’équivalent dans la version initiale de l’acte en cause, sous peine de constituer une violation des formes substantielles de la régularité de la procédure constatant le manquement (voir, à cet égard, arrêts du 9 novembre 1999, Commission/Italie, C-365/97, Rec. p. I-7773, point 36; du 12 juin 2003, Commission/Italie, C-363/00, Rec. p. I-5767, point 22, et du 10 septembre 2009, Commission/Grèce, précité, point 28).

43      Par conséquent, les conclusions contenues dans la requête de la Commission visant à faire constater que la République portugaise a manqué à ses obligations découlant de la directive 2005/36 sont, en principe, recevables à condition que les obligations découlant de cette directive soient analogues à celles qui découlent de la directive 89/48 (voir, par analogie, arrêt du 10 septembre 2009, Commission/Grèce, précité, point 29).

44      Or, ainsi qu’il découle du neuvième considérant de la directive 2005/36, tout en visant à améliorer, à réorganiser et à rationaliser les dispositions existantes par une uniformisation des principes applicables, cette directive maintient, pour la liberté d’établissement, les principes et les garanties sous-jacents aux différents systèmes de reconnaissance en vigueur, tels que celui instauré par la directive 89/48.

45      De même, le quatorzième considérant de la directive 2005/36 énonce que le mécanisme de reconnaissance établi, notamment, par la directive 89/48 reste inchangé.

46      En l’occurrence, le reproche que fait la Commission à la République portugaise vise, en ce qui concerne la profession de notaire, le défaut de transposition non pas d’une disposition déterminée de la directive 2005/36, mais de cette directive dans sa globalité.

47      Dans ces conditions, il convient de constater que la prétendue obligation de transposition à la profession de notaire de la directive 2005/36 est analogue à celle découlant de la directive 89/48 dans la mesure où, d’une part, les principes et les garanties sous-jacents au mécanisme de reconnaissance instauré par cette dernière directive sont maintenus dans la première et, d’autre part, ce mécanisme est resté inchangé après l’adoption de la directive 2005/36.

48      Par conséquent, le recours doit être considéré comme recevable.

 Sur le fond

49      La Commission reproche à la République portugaise de ne pas avoir transposé la directive 2005/36 en ce qui concerne la profession de notaire. Il convient, par conséquent, d’examiner si ladite directive a vocation à s’appliquer à cette profession.

50      À cet égard, il y a lieu de tenir compte du contexte législatif dans lequel celle-ci s’inscrit.

51      Il convient ainsi de relever que le législateur a expressément prévu, au douzième considérant de la directive 89/48, laquelle a précédé la directive 2005/36, que le système général de reconnaissance des diplômes d’enseignement supérieur, instauré par la première de ces directives, «ne préjuge en rien l’application [...] de l’article [45 CE]». La réserve ainsi émise traduit la volonté du législateur de laisser les activités relevant de l’article 45, premier alinéa, CE en dehors du champ d’application de la directive 89/48.

52      Or, au moment de l’adoption de la directive 89/48, la Cour n’avait pas encore eu l’occasion de se prononcer sur la question de savoir si les activités notariales relèvent ou non de l’article 45, premier alinéa, CE.

53      Au cours des années qui ont suivi l’adoption de la directive 89/48, le Parlement, dans ses résolutions de 1994 et de 2006, mentionnées au point 32 du présent arrêt, a affirmé, d’une part, que l’article 45, premier alinéa, CE devait s’appliquer intégralement à la profession de notaire en tant que telle, alors que, d’autre part, il a fait état de son souhait que soit supprimée la condition de nationalité pour l’accès à cette profession.

54      En outre, lors de l’adoption de la directive 2005/36, laquelle s’est substituée à la directive 89/48, le législateur de l’Union a pris le soin de préciser, au quarante et unième considérant de la première de ces directives, que celle-ci ne préjuge pas l’application de l’article 45 CE, «notamment en ce qui concerne les notaires». Or, en émettant cette réserve, le législateur de l’Union n’a pas pris position sur l’applicabilité de l’article 45, premier alinéa, CE, et, partant, de la directive 2005/36, aux activités notariales.

55      En attestent, notamment, les travaux préparatoires de cette dernière directive. En effet, le Parlement avait proposé, dans sa résolution législative mentionnée au point 36 du présent arrêt, qu’il soit explicitement indiqué dans le texte de la directive 2005/36 que celle-ci ne s’applique pas aux notaires. Si cette proposition n’a pas été retenue dans la proposition modifiée de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles [COM(2004) 317 final], ni dans la position commune (CE) n° 10/2005, du 21 décembre 2004, arrêtée par le Conseil, statuant conformément à la procédure visée à l’article 251 du traité instituant la Communauté européenne, en vue de l’adoption d’une directive du Parlement européen et du Conseil relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles (JO 2005, C 58E, p. 1), c’est non pas au motif que la directive envisagée devait s’appliquer à la profession de notaire, mais au motif notamment qu’«une dérogation aux principes de la liberté d’établissement et de la libre prestation de services pour les activités qui impliquent une participation directe et spécifique à l’autorité publique [était] prévue par l’article 45 [, premier alinéa,] CE».

56      À cet égard, compte tenu des circonstances particulières qui ont accompagné le processus législatif ainsi que de la situation d’incertitude qui en a résulté, comme il ressort du contexte législatif rappelé ci-dessus, il n’apparaît pas possible de constater qu’il existait, au terme du délai imparti dans l’avis motivé, une obligation suffisamment claire pour les États membres de transposer la directive 2005/36 en ce qui concerne la profession de notaire.

57      Il y a lieu, par conséquent, de rejeter le recours.

 Sur les dépens

58      En vertu de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La République portugaise ayant conclu à la condamnation de la Commission et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

59      Aux termes de l’article 69, paragraphe 4, premier alinéa, de ce même règlement, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. La République tchèque, la République de Lituanie, la République de Slovénie, la République slovaque et le Royaume-Uni supporteront par conséquent leurs propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête:

1)      Le recours est rejeté.

2)      La Commission européenne est condamnée aux dépens.

3)      La République tchèque, la République de Lituanie, la République de Slovénie, la République slovaque et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord supportent leurs propres dépens.

Signatures


* Langue de procédure: le portugais.