ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

20 novembre 2008 ( *1 )

«Taxe sur les véhicules à moteur — Directive 1999/62/CE — Taxation des poids lourds pour l’utilisation de certaines infrastructures — Article 6, paragraphe 2, sous b) — Décision de la Commission approuvant une exonération — Absence d’effet direct»

Dans l’affaire C-18/08,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le tribunal d’instance de Bordeaux (France), par décision du 4 décembre 2007, parvenue à la Cour le 21 janvier 2008, dans la procédure

Foselev Sud-Ouest SARL

contre

Administration des douanes et droits indirects,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de M. C. W. A. Timmermans, président de chambre, MM. K. Schiemann, J. Makarczyk, P. Kūris (rapporteur) et Mme C. Toader, juges,

avocat général: Mme J. Kokott,

greffier: M. R. Grass,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées:

pour Foselev Sud-Ouest SARL, par Me L. Menestrier, avocat,

pour le gouvernement français, par MM. G. de Bergues et L. Butel, en qualité d’agents,

pour le gouvernement italien, par M. R. Adam, en qualité d’agent, assisté de M. F. Arena, avvocato dello Stato,

pour la Commission des Communautés européennes, par Mme D. Maidani, en qualité d’agent,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 25 septembre 2008,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 6, paragraphe 2, sous b), de la directive 1999/62/CE du Parlement européen et du Conseil, du 17 juin 1999, relative à la taxation des poids lourds pour l’utilisation de certaines infrastructures (JO L 187, p. 42), et de la décision 2005/449/CE de la Commission, du 20 juin 2005, concernant une demande d’exonération de la taxe sur les véhicules à moteur introduite par la France en vertu de l’article 6, paragraphe 2, point b), de la directive 1999/62 (JO L 158, p. 23).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’une action introduite par Foselev Sud-Ouest SARL (ci-après «Foselev») aux fins d’obtenir la condamnation de l’administration des douanes et droits indirects à lui payer la somme de 1973,74 euros qu’elle prétend avoir indûment versée entre le 20 juin 2005 et le 9 juillet 2006 au titre de la taxe à l’essieu, taxe sur les véhicules à moteurs de plus de 12 t non spécialement conçus pour le transport de personnes, à majorer des intérêts, des frais de procédure et des dépens.

Le cadre juridique

3

L’article 6, paragraphe 2, de la directive 1999/62 dispose:

«Les États membres peuvent appliquer des taux réduits ou des exonérations pour:

[…]

b)

les véhicules qui ne circulent qu’occasionnellement sur les voies publiques de l’État membre d’immatriculation et qui sont utilisés par des personnes physiques ou morales dont l’activité principale n’est pas le transport de marchandises, à condition que les transports effectués par ces véhicules n’entraînent pas de distorsions de concurrence et sous réserve de l’accord de la Commission.»

4

Le dispositif de la décision 2005/449 se lit comme suit:

«Article premier

Conformément à l’article 6, paragraphe 2, point b), de la directive 1999/62/CE, la Commission approuve par la présente l’exonération, jusqu’au 31 décembre 2009, de la taxe sur les véhicules à moteur de 12 tonnes ou plus utilisés exclusivement pour le transport d’équipements installés à demeure dans le cadre de travaux publics et industriels en France:

[…]

Article 2

La République française est destinataire de la présente décision.»

5

Par le décret no 2006-818 du 7 juillet 2006 modifiant le décret no 70-1285 du 23 décembre 1970 relatif au transfert de l’assiette et du recouvrement de la taxe spéciale sur certains véhicules routiers à l’administration des douanes (JORF du 9 juillet 2006, p. 10311), les autorités françaises ont mis en œuvre la décision 2005/449.

Le litige au principal et la question préjudicielle

6

Il ressort de la décision de renvoi que Foselev exerce une activité dans les secteurs suivants: levage, manutention, transports, maintenance industrielle, tuyauteries industrielles, nettoyage industriel et constructions modulaires. Cette société estime que la taxe à l’essieu n’est plus plus due depuis le 20 juin 2005, date d’adoption de la décision 2005/449, en ce qui concerne les véhicules visés par celle-ci.

7

L’administration des douanes et droits indirects considère en revanche que l’exonération dont Foselev invoque le bénéfice n’est entrée en vigueur qu’à la date de la publication au Journal officiel de la République française du décret no 2006-818, soit le 9 juillet 2006.

8

Estimant que le litige dont il est saisi soulève la question de savoir si la décision 2005/449, qui autorise la République française à exonérer certains véhicules déterminés de la taxe à l’essieu, comporte une obligation pour ledit État membre de réaliser l’exonération approuvée et est donc de nature à produire un effet direct dans les relations entre les autorités fiscales françaises et Foselev, le tribunal d’instance de Bordeaux a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«L’article 6, [paragraphe] 2, [sous] b), de la directive 1999/62[…] prévoit la possibilité pour un État membre d’exonérer [des taxes visées par celle-ci] certaines catégories de véhicules. Dans ce cadre, l’autorisation donnée à la [République française] par la Commission, par [la] décision [2005/449], d’exonérer [de la taxe à l’essieu] certaines catégories de véhicules est-elle applicable directement au particulier ou, s’agissant d’une décision d’autorisation adressée à la [République française], nécessite-t-elle une mesure de transposition nationale?»

Sur la question préjudicielle

9

Par sa question, la juridiction de renvoi demande en substance si la décision 2005/449, approuvant, en application de l’article 6, paragraphe 2, sous b), de la directive 1999/62, l’exonération de la taxe à l’essieu projetée par la République française, peut être invoquée par un particulier à l’encontre de cet État membre afin d’obtenir le bénéfice de cette exonération dès la notification ou la publication de cette décision.

10

À cet égard, l’article 249, quatrième alinéa, CE prévoit qu’une décision est obligatoire dans tous ses éléments pour les destinataires qu’elle désigne. En l’espèce, il s’impose de constater que le destinataire de la décision 2005/449 est la République française.

11

Par ailleurs, il convient de rappeler que la Cour a jugé, en premier lieu, qu’il serait incompatible avec l’effet contraignant que l’article 189 du traité CEE (devenu article 189 du traité CE, lui-même devenu article 249 CE) reconnaît à une décision d’exclure en principe que l’obligation qu’elle prévoit puisse être invoquée par des personnes concernées et, en second lieu, qu’une disposition d’une décision adressée à un État membre peut être invoquée à l’encontre de cet État membre lorsque la disposition en cause impose à son destinataire une obligation inconditionnelle et suffisamment nette et précise (arrêt du 10 novembre 1992, Hansa Fleisch Ernst Mundt, C-156/91, Rec. p. I-5567, points 12 et 13 ainsi que jurisprudence citée).

12

Il importe dès lors de vérifier si la décision 2005/449 impose à la République française une obligation inconditionnelle et suffisamment nette et précise.

13

À cet égard, il y a lieu de relever que cette décision a pour base juridique l’article 6, paragraphe 2, sous b), de la directive 1999/62, qui prévoit la possibilité, pour un État membre, d’exonérer des taxes sur les véhicules à moteur certains véhicules ou de les soumettre à un taux réduit de taxation.

14

De plus, conformément à la même disposition, l’utilisation de cette possibilité par un État membre est subordonnée à l’approbation, par la Commission, d’un projet de mise en œuvre.

15

Dès lors, il suffit de constater que les États membres disposent, malgré l’intervention de la Commission, d’un large pouvoir d’appréciation en ce qui concerne tant leur décision de recourir à cette possibilité que le contenu de la mesure envisagée, sans qu’une quelconque obligation de recourir à ladite possibilité puisse découler de l’approbation de cette mesure par la Commission.

16

Ainsi, la décision 2005/449 a pour objet et pour effet non pas de contraindre la République française à accorder l’exonération envisagée dans le cadre de sa demande d’autorisation, mais de l’autoriser à mettre en œuvre cette exonération si telle est sa volonté.

17

Par ailleurs, le fait que la décision 2005/449 ne fixe pas la date de son entrée en application et se limite à fixer l’échéance de l’exonération approuvée au 31 décembre 2009 n’est pas susceptible d’avoir une incidence sur la portée et les effets de cette décision.

18

En effet, la décision 2005/449, selon les termes de l’article 254, paragraphe 3, CE, a pris effet à compter de sa notification à son destinataire, en l’espèce la République française. Il n’en demeure pas moins qu’un tel effet est celui de rendre possible une exonération, en l’occurrence non encore existante et nécessitant, pour sa mise en œuvre, un acte national, et nullement d’imposer une telle exonération.

19

Eu égard à tout ce qui précède, il convient de répondre à la question posée que la décision 2005/449 ne peut être invoquée par un particulier à l’encontre de la République française, destinataire de cette décision, afin d’obtenir le bénéfice de l’exonération autorisée par cette dernière dès la notification ou la publication de celle-ci.

Sur les dépens

20

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit:

 

La décision 2005/449/CE de la Commission, du 20 juin 2005, concernant une demande d’exonération de la taxe sur les véhicules à moteur introduite par la France en vertu de l’article 6, paragraphe 2, point b), de la directive 1999/62/CE du Parlement européen et du Conseil relative à la taxation des poids lourds pour l’utilisation de certaines infrastructures, ne peut être invoquée par un particulier à l’encontre de la République française, destinataire de cette décision, afin d’obtenir le bénéfice de l’exonération autorisée par cette dernière dès la notification ou la publication de celle-ci.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure: le français.