1. Référé — Sursis à exécution — Mesures provisoires — Conditions d'octroi — Caractère provisoire de la mesure
(Art. 242 CE et 243 CE; règlement de procédure du Tribunal, art. 104, § 2)
2. Référé — Sursis à exécution — Conditions d'octroi — Intérêt du requérant à obtenir le sursis sollicité
(Art. 242 CE; règlement de procédure du Tribunal, art. 104, § 2)
3. Référé — Mesures provisoires — Mesures incompatibles avec la répartition des compétences entre institutions
(Art. 233 CE et 243 CE; règlement du Conseil nº 139/2004, art. 8, § 4 et 5)
4. Référé — Conditions de recevabilité — Requête — Exigences de forme
(Art. 243 CE; règlement de procédure du Tribunal, art. 104, § 2)
5. Référé — Compétence du juge des référés — Prononcé d'injonctions adressées à des tiers — Limites
(Art. 243 CE)
6. Concurrence — Concentrations — Compétence de la Commission — Adoption de mesures à l'encontre des parties à une concentration interdite — Conditions — Réalisation de la concentration
(Art. 81 CE et 82 CE; règlements du Conseil nº 1/2003, art. 7, § 1, et nº 139/2004, art. 3, 7 et 8, § 4 et 5)
7. Référé — Sursis à exécution — Mesures provisoires — Conditions d'octroi — Urgence — Préjudice grave et irréparable
(Art. 242 CE et 243 CE; règlement de procédure du Tribunal, art. 104, § 2)
1. En vertu de l'article 107, paragraphe 4, du règlement de procédure du Tribunal, une ordonnance en référé prescrivant des mesures provisoires n'a qu'un caractère provisoire et ne préjuge en rien la décision du Tribunal statuant sur le principal. Il en découle que, en principe, la durée des effets d'une telle ordonnance ne saurait aller au-delà de la durée de l'affaire au principal.
(cf. point 45)
2. Une demande de sursis à l'exécution d'une décision administrative négative ne se conçoit pas, l'octroi d'un tel sursis ne pouvant avoir pour effet de modifier la situation du requérant. Une telle demande, ne présentant aucun intérêt pour celui-ci, doit donc être rejetée sauf dans la mesure où le sursis pourrait être nécessaire pour adopter d'autres mesures provisoires sollicitées par le requérant au cas où le juge des référés les jugerait recevables et fondées.
(cf. points 46-48)
3. En principe, le juge des référés ne saurait adopter une mesure provisoire qui, si elle devait être ordonnée, constituerait une ingérence dans l'exercice des compétences d'une autre institution, incompatible avec la répartition des compétences entre les différentes institutions voulue par les auteurs du traité.
Tel est le cas, et elle doit par conséquent être rejetée comme irrecevable, d'une demande de mesures provisoires visant à ce qu'il soit enjoint à la Commission d'appliquer d'une manière particulière l'article 8, paragraphes 4 et 5, du règlement nº 139/2004, relatif au contrôle des concentrations entre entreprises, en adoptant certaines mesures à l'encontre de l'autre partie à une concentration interdite. En effet, si l'arrêt rendu dans l'affaire au principal indiquait que la Commission est compétente pour ordonner les mesures prévues à l'article 8, paragraphes 4 et 5, du règlement, il appartiendrait à la Commission, si elle le jugeait nécessaire dans le contexte des pouvoirs de contrôle dont elle dispose dans le domaine des concentrations, d'adopter les mesures nécessaires pour se conformer à l'arrêt conformément à l'article 233 CE. Par conséquent, si le juge des référés devait accueillir cette demande, cela reviendrait de sa part à enjoindre à la Commission de tirer certaines conséquences précises de l'arrêt d'annulation et, par conséquent, à ordonner une mesure qui excéderait les compétences du juge du fond. Toutefois, en vertu du système de répartition des compétences prévu par le traité et par le règlement, il appartient à la Commission, si elle le considère nécessaire dans le contexte des compétences de contrôle dont elle dispose dans le domaine des concentrations, et en particulier en vertu de l'article 8, paragraphes 4 et 5, du règlement, d'adopter les mesures de remise en état qu'elle estime appropriées.
(cf. points 49-51)
4. Une demande de mesures provisoires en vertu de l'article 243 CE ne peut être vague et imprécise. Toutefois, dans les cas dans lesquels le contenu des mesures sollicitées par le requérant est suffisamment clair au vu du reste de la demande, le juge des référés peut considérer que la demande n'est pas vague et imprécise par nature et il peut donc estimer qu'elle est recevable.
(cf. points 52-53)
5. En matière de référé, l'article 243 CE indique clairement que « dans les affaires dont elle est saisie, la Cour de justice peut prescrire les mesures provisoires nécessaires ». Un libellé aussi large est manifestement destiné à garantir au juge des référés des compétences suffisantes pour ordonner toute mesure qu'il estime nécessaire pour garantir la pleine efficacité de la future décision définitive, afin d'éviter une lacune dans la protection juridique assurée par la Cour.
Afin de garantir le plein effet de l'article 243 CE, il ne saurait donc être exclu que le juge des référés puisse adresser des injonctions directement à des tiers si nécessaire, les larges compétences dont il dispose n'étant limitées, dans la mesure où une incidence sur les droits et les intérêts des tiers est en cause, que dans les cas dans lesquels ces droits et ces intérêts peuvent être sérieusement affectés. À cet égard, un pouvoir d'appréciation aussi large doit être exercé en tenant dûment compte des droits procéduraux, et notamment des droits de la défense, du destinataire des mesures provisoires et des parties directement affectées par ces mesures. Lorsqu'il décidera s'il accorde les mesures provisoires sollicitées dans ce genre d'affaires, le juge des référés tiendra en outre dûment compte de la force du fumus boni juris et de l'imminence d'un dommage grave et irréparable dans le cas particulier. Même lorsqu'un tiers n'a pas eu la possibilité d'être entendu dans le cadre d'une procédure en référé, on ne saurait exclure qu'il soit destinataire de mesures provisoires, dans des circonstances exceptionnelles et en tenant compte de la nature temporaire des mesures provisoires, s'il apparaît que, sans ces mesures, la requérante serait exposée à une situation mettant en péril son existence même. Le juge des référés procède à ces appréciations lorsqu'il met en balance les différents intérêts en cause.
(cf. points 56, 59)
6. La Commission n'applique pas à tort les dispositions de l'article 8, paragraphes 4 et 5, du règlement nº 139/2004, relatif au contrôle des concentrations entre entreprises, qui l'habilitent à adopter des mesures à l'encontre des parties à une concentration interdite déjà réalisée, lorsque, après avoir déclaré incompatible avec le marché commun un projet de concentration prévoyant l'acquisition de la totalité du capital d'une entreprise, elle s'estime incompétente pour empêcher l'entreprise acquéreuse d'exercer les droits de vote attachés à la participation minoritaire finalement acquise dans la mesure où elle n'est pas en position d'exercer en fait ou en droit, à travers cette participation, un contrôle sur l'entreprise objet de la participation.
En effet, s'il est vrai que le terme « implemented » figurant dans la version anglaise peut, en principe, prêter à confusion quant à la portée exacte de ces dispositions, car la définition du terme « implementation » peut recouvrir à la fois « le fait d'avoir atteint un objectif » et la « mise en œuvre », la manière dont cette expression est rendue dans les versions française, allemande et italienne, la comparaison avec la version française d'autres textes communautaires dans lesquels le terme « implementation » signifie clairement « mise en oeuvre » plutôt que « réalisation d'un objectif » et le fait que la Commission peut, en vertu de l'article 8, paragraphe 4, du règlement, ordonner aux entreprises concernées de « dissoudre la concentration », indiquent cependant que, à première vue, la définition de « implementation » envisagée par ces dispositions implique la pleine réalisation de la concentration, telle que définie à l'article 3 du règlement, et donc l'acquisition d'un contrôle.
Cette conclusion ne peut pas être remise en cause par une prétendue pratique de la Commission selon laquelle celle-ci considérerait une mise en œuvre partielle, même en ce qui concerne les étapes n'impliquant aucun changement du contrôle, comme interdite par l'article 7, paragraphe 1, du règlement, en vertu duquel une concentration de dimension communautaire ne peut pas être réalisée avant d'avoir été déclarée compatible avec le marché commun, et indiquerait aux parties qu'elles doivent s'abstenir de prendre de telles mesures. En effet, en premier lieu, la pratique de la Commission, bien qu'influente et importante pour déterminer la justification d'attentes légitimes, n'est pas décisive à cet égard, l'interprétation du droit communautaire étant une prérogative de la Cour de justice et non de la Commission. En deuxième lieu, même s'il convenait d'interpréter l'article 7, paragraphe 1, du règlement en ce sens qu'il interdit uniquement un changement du contrôle dans l'attente de l'examen de la Commission, et non les mesures non assimilables à un changement du contrôle telles que l'exercice de droits de vote attachés à une participation minoritaire, compte tenu du délai dans lequel la Commission doit examiner une concentration notifiée et la combinaison de facteurs susceptibles de donner le contrôle dans un cas donné, il demeurerait légitime pour la Commission de demander aux parties de ne prendre aucune mesure susceptible d'amener un changement du contrôle.
Enfin, cette interprétation de l' article 8, paragraphes 4 et 5, du règlement nº 139/2004, en combinaison avec l'interdiction faite aux États membres d'appliquer leur législation nationale sur la concurrence aux concentrations de dimension communautaire en vertu de son article 21, paragraphe 3, n'entraîne à première vue pas de lacune incompatible avec la finalité du règlement. En effet, dans la mesure où la participation minoritaire restante n'est plus liée à l'acquisition d'un contrôle, cesse de faire partie d'une « concentration » et ne relève pas du champ d'application du règlement nº 139/2004, son article 21 ne fait à première vue pas obstacle en principe, dans ces circonstances, à l'application par les autorités nationales chargées de la concurrence et les juridictions nationales de leur législation nationale sur la concurrence. En outre, alors qu'une participation minoritaire de ce type ne peut pas, à première vue, être régie par le règlement, on peut envisager que les dispositions du traité en matière de concurrence, et en particulier les articles 81 CE et 82 CE, puissent être appliquées par la Commission au comportement des entreprises impliquées.
(cf. points 89-92, 94, 98, 100-101, 103)
7. Le caractère urgent d'une demande en référé doit s'apprécier par rapport à la nécessité qu'il y a de statuer provisoirement, afin d'éviter qu'un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite la mesure provisoire. C'est à cette dernière qu'il appartient d'apporter la preuve qu'elle ne saurait attendre l'issue de la procédure au principal, sans avoir à subir un préjudice de cette nature.
Lorsque le préjudice dépend de la survenance de plusieurs facteurs, il suffit qu'il apparaisse comme prévisible avec un degré de probabilité suffisant. Toutefois, la partie qui sollicite la mesure provisoire demeure tenue de prouver les faits qui sont censés fonder la perspective d'un tel dommage grave et irréparable. Pour être en mesure de déterminer si le préjudice redouté est grave et irréparable et s'il justifie des mesures provisoires, le juge des référés doit disposer de preuves concrètes lui permettant de déterminer les conséquences précises que l'absence des mesures sollicitées aurait selon toute probabilité pour chacun des sujets concernés.
L'allégation de la partie qui sollicite la mesure provisoire selon laquelle le juge des référés doit appliquer le « principe de précaution » et est habilité à appliquer des « mesures de protection » sans avoir à attendre la preuve de la réalité du risque allégué ne saurait donc prospérer.
(cf. points 116-119)