Affaires jointes T-428/07 et T-455/07

Centre d’étude et de valorisation des algues SA (CEVA)

contre

Commission européenne

«Clause compromissoire — Contrats conclus dans le cadre du programme spécifique de recherche, de développement technologique et de démonstration dans le domaine ‘Qualité de la vie et gestion des ressources du vivant (1998-2002)’ — Projets Seahealth et Biopal — Notes de débit — Demandes en annulation — Requalification des recours — Recevabilité — Principe du contradictoire et droits de la défense — Récupération de l’intégralité des contributions financières versées par l’Union européenne — Irrégularités financières graves»

Arrêt du Tribunal (sixième chambre) du 17 juin 2010   II - 2435

Sommaire de l’arrêt

  1. Recours en annulation – Recours concernant en réalité un litige de nature contractuelle – Requalification du recours – Conditions

    [Art. 230 CE et 238 CE; règlement de procédure du Tribunal, art. 44, § 1, c)]

  2. Procédure – Saisine du Tribunal sur la base d’une clause compromissoire – Contrats conclus dans le cadre d’un programme spécifique de recherche, de développement technologique et de démonstration – Soumission de la Commission aux principes régissant les contrats – Règlement des notes de débit – Effets

    (Art. 238 CE)

  3. Procédure – Saisine du Tribunal sur la base d’une clause compromissoire – Contrats conclus dans le cadre d’un programme spécifique de recherche, de développement technologique et de démonstration – Droit d’être entendu lors de la procédure d’audit – Saisie par l’Office européen de lutte antifraude des pièces justificatives – Absence d’incidence sur ce droit – Méconnaissance de ce droit – Conséquences

    (Art. 238 CE)

  4. Procédure – Saisine du Tribunal sur la base d’une clause compromissoire – Contrats conclus dans le cadre d’un programme spécifique de recherche, de développement technologique et de démonstration – Demandes tendant à la désignation d’un expert – Examen par le juge communautaire en vertu des règles de procédure relatives aux mesures d’instruction

    (Art. 238 CE; règlement du procédure du Tribunal, art. 65 à 67)

  5. Procédure – Saisine du Tribunal sur la base d’une clause compromissoire – Contrats conclus dans le cadre d’un programme spécifique de recherche, de développement technologique et de démonstration – Irrégularités financières graves

    (Art. 238 CE)

  1.  Lorsqu’il est saisi d’un recours en annulation ou d’un recours en indemnité, alors que le litige est, en réalité, de nature contractuelle, le Tribunal requalifie le recours, si les conditions d’une telle requalification sont réunies. En présence d’un litige de nature contractuelle, le Tribunal s’estime dans l’impossibilité de requalifier un recours en annulation soit lorsque la volonté expresse de la requérante de ne pas fonder sa demande sur l’article 238 CE s’oppose à une telle requalification, soit lorsque le recours ne s’appuie sur aucun moyen tiré de la violation des règles régissant la relation contractuelle en cause, qu’il s’agisse des clauses contractuelles ou des dispositions de la loi nationale désignée dans le contrat.

    Il suffit que l’un des moyens caractéristiques d’un recours fondé sur l’article 238 CE soit invoqué dans la requête conformément aux dispositions de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure du Tribunal pour que ledit recours puisse être requalifié, sans qu’il soit porté atteinte aux droits de la défense de l’institution défenderesse.

    (cf. points 57, 59, 61)

  2.  En matière contractuelle, la Commission est soumise aux principes régissant les contrats. En principe, elle ne dispose pas, dans ce cadre, du droit d’adopter des actes unilatéraux. En conséquence, il ne lui appartient pas d’adresser d’acte de nature décisionnelle au contractant concerné, aux fins de l’exécution par ce dernier de ses obligations contractuelles de nature financière, mais il lui incombe, le cas échéant, de saisir le juge compétent d’une demande en paiement.

    Par ailleurs, le règlement des notes de débit par l’autre partie du contrat, malgré leur absence de caractère décisionnel, ne saurait être considéré comme une renonciation à son droit éventuel au paiement des sommes considérées. Seule une renonciation de ladite partie à ce droit ou la prescription de ce droit pourraient faire échec à ses demandes en paiement, si celles-ci sont justifiées par les clauses des contrats.

    (cf. points 68, 70)

  3.  La circonstance que les pièces justificatives détenues par un contractant aient été saisies par l’Office européen de lutte antifraude et qu’elles relèvent des exceptions au droit d’accès aux documents prévues par le règlement no 1049/2001 ne saurait justifier de vider de sa substance le droit de ce contractant d’être entendu, en vertu de l’article 26, paragraphe 3, de l’annexe II des contrats en cause, lors de la procédure d’audit.

    Cependant, en ce qui concerne les conséquences juridiques de la méconnaissance du droit dudit contractatant d’être entendu, dans le cadre d’un recours en responsabilité contractuelle, une telle irrégularité n’est pas à elle seule de nature à fonder une éventuelle condamnation de la Commission à verser au requérant les sommes qu’il réclame. En effet, dans le cadre des recours fondés sur l’article 238 CE, la responsabilité contractuelle de la Commission doit être appréciée au regard de l’ensemble des clauses pertinentes des contrats en cause, invoquées par les parties, et sur la base de l’ensemble des éléments disponibles devant le Tribunal, dans le respect du principe du contradictoire et des droits de la défense.

    (cf. points 89-90)

  4.  Conformément au droit selon lequel toute juridiction fait application de ses propres règles de procédure, les demandes subsidiaires tendant à la désignation d’un expert doivent être examinées par le Tribunal au regard des dispositions des articles 65 à 67 du règlement de procédure, consacrés aux mesures d’instruction.

    (cf. point 108)

  5.  En cas de fraudes ou d’irrégularités financières graves constatées dans le cadre d’un audit, l’article 3, paragraphe 5, de l’annexe II des contrats en cause prévoit la possibilité pour la Commission de récupérer l’intégralité de la contribution financière versée par l’Union européenne et poursuit ainsi une finalité dissuasive.

    Toutefois, l’objectif poursuivi par l’article 3, paragraphe 5, de l’annexe II, qui tend à dissuader contre la fraude et les irrégularités financières graves, ne permet pas à la Commission de se soustraire au principe de l’exécution de bonne foi des contrats et à l’interdiction de l’application abusive des clauses contractuelles, en s’arrogeant un pouvoir discrétionnaire dans l’interprétation et la mise en œuvre de ces clauses.

    Eu égard à l’ampleur et à la gravité des irrégularités financières manifestes constatées dans le cadre de l’audit et confirmées par des pièces de l’enquête pénale discutées en l’espèce entre les parties, la récupération par la Commission de l’intégralité de la contribution financière versée, au titre des contrats en cause, ne saurait être considérée comme une application abusive des clauses dudit article 3, paragraphe 5. Elle ne présente dès lors pas un caractère disproportionné au regard des objectifs poursuivis par les clauses pertinentes des contrats en cause.

    (cf. points 128-129, 140)