Affaire T-19/07
Systran SA et
Systran Luxembourg SA
contre
Commission européenne
« Responsabilité non contractuelle — Appel d’offres pour la réalisation d’un projet relatif à la maintenance et au renforcement linguistique du système de traduction automatique de la Commission — Codes sources d’un programme d’ordinateur commercialisé — Contrefaçon du droit d’auteur — Divulgation non autorisée de savoir-faire — Recours en indemnité — Litige non contractuel — Recevabilité — Préjudice réel et certain — Lien de causalité — Évaluation forfaitaire du montant du dommage »
Sommaire de l'arrêt
1. Recours en indemnité — Objet — Demande d'indemnité dirigée contre l'Union sur le fondement de l'article 288, deuxième alinéa, CE — Compétence exclusive du juge de l'Union — Appréciation du caractère contractuel ou non contractuel de la responsabilité engagée — Critères
(Art. 235 CE, 238 CE, 240 CE et 288, al. 2, CE; règlement de procédure du Tribunal, art. 113)
2. Recours en indemnité — Objet — Réparation des dommages résultant d'une prétendue violation par la Commission de son devoir de protection de la confidentialité du savoir-faire — Fondement non contractuel — Compétence du juge de l'Union
(Art. 235 CE, 287 CE, et 288, al. 2 CE; charte des droits fondamentaux, art. 41)
3. Procédure — Requête introductive d'instance — Exigences de forme
(Statut de la Cour de justice, art. 21, al. 1, et 53, al. 1; règlement de procédure du Tribunal, art. 44, § 1, c))
4. Recours en indemnité — Compétence du juge de l'Union — Compétence pour se prononcer sur une allégation de contrefaçon, par la Commission, du droit d'auteur — Conditions
(Art. 235 CE et 288, al. 2, CE)
5. Recours en indemnité — Compétence du juge de l'Union — Condamnation de l'Union à la réparation d'un préjudice conformément aux principes généraux communs aux droits des États membres en matière de responsabilité non contractuelle
(Art. 235 CE et 288, al. 2, CE)
6. Responsabilité non contractuelle — Conditions — Violation suffisamment caractérisée d'une règle de droit conférant des droits aux particuliers — Préjudice réel et certain — Lien de causalité
(Art. 288, al. 2, CE)
7. Rapprochement des législations — Droit d'auteur et droits voisins — Directive 91/250 — Protection juridique des programmes d'ordinateur — Actes soumis à restrictions — Exceptions — Portée
(Directive du Conseil 91/250, art. 4 et 5)
8. Responsabilité non contractuelle — Conditions — Violation suffisamment caractérisée d'une règle de droit conférant des droits aux particuliers
(Art. 288, al. 2, CE)
1. En matière de responsabilité contractuelle, ce n'est qu'en présence d'une clause compromissoire au sens de l'article 238 CE que le juge de l'Union est compétent. En l'absence d'une telle clause, le Tribunal ne saurait, sur le fondement de l'article 235 CE, statuer, en réalité, sur une action en dommages-intérêts d'origine contractuelle. Faute de quoi, le Tribunal étendrait sa compétence au-delà des litiges dont la connaissance lui est limitativement réservée par l'article 240 CE, dès lors que cette disposition confie aux juridictions nationales la compétence de droit commun pour connaître des litiges auxquels l'Union est partie. La compétence du juge de l'Union en matière contractuelle est dérogatoire du droit commun et doit, partant, être interprétée restrictivement, de sorte que le Tribunal ne peut connaître que des demandes qui dérivent du contrat ou qui ont un rapport direct avec les obligations qui en découlent.
En revanche, en matière de responsabilité non contractuelle, le juge de l'Union est compétent sans qu'il soit nécessaire que les parties au litige manifestent préalablement leur accord. Pour déterminer sa compétence en vertu de l'article 235 CE, le Tribunal doit examiner, au regard des différents éléments pertinents du dossier, si la demande d'indemnité présentée par la partie requérante repose de manière objective et globale sur des obligations d'origine contractuelle ou non contractuelle permettant de caractériser le fondement contractuel ou non contractuel du litige. Ces éléments peuvent être déduits, notamment, de l'examen des prétentions des parties, du fait générateur du préjudice dont la réparation est demandée et du contenu des dispositions contractuelles ou non contractuelles invoquées pour régler la question en litige. Lorsqu'il intervient en matière de responsabilité non contractuelle, le Tribunal peut donc parfaitement examiner le contenu d'un contrat, comme il le fait à propos de n'importe quel document invoqué par une partie à l'appui de son argumentation, pour savoir si celui-ci est de nature à remettre en cause la compétence d'attribution qui lui est expressément conférée par l'article 235 CE. Cet examen relève de l'appréciation des faits invoqués pour établir la compétence du Tribunal, dont l'absence est une fin de non-recevoir d'ordre public au sens de l'article 113 du règlement de procédure.
(cf. points 58-62)
2. Le principe en vertu duquel les entreprises ont droit à la protection de leurs secrets d'affaires, dont l'article 287 CE constitue l'expression, est un principe général du droit de l'Union. L'article 41 de la charte des droits fondamentaux évoque également la nécessité pour l'administration de respecter les intérêts légitimes de la confidentialité et du secret professionnel et des affaires.
Les secrets d'affaires intègrent les informations techniques relatives au savoir-faire dont non seulement la divulgation au public, mais également la simple transmission à un sujet de droit différent de celui qui a fourni l'information, peuvent gravement léser les intérêts de celui-ci. Pour que des informations techniques tombent, par leur nature, dans le champ d'application de l'article 287 CE, il est nécessaire, tout d'abord, qu'elles ne soient connues que par un nombre restreint de personnes. Ensuite, il doit s'agir d'informations dont la divulgation est susceptible de causer un préjudice sérieux à la personne qui les a fournies ou à des tiers. Enfin, il est nécessaire que les intérêts susceptibles d'être lésés par la divulgation de l'information soient objectivement dignes de protection.
Dès lors qu'il s'agit, dans un cas d'espèce, d'apprécier le caractère prétendument fautif et dommageable de la divulgation par la Commission à un tiers d'informations protégées par un droit de propriété ou le savoir-faire, sans l'autorisation expresse de leur titulaire, au regard des principes généraux communs aux droits des États membres applicables en la matière et non de dispositions contractuelles prévues par des contrats conclus dans le passé sur des questions qui ne concernent pas le droit d'auteur et le savoir-faire de la partie requérante, le litige est de nature non contractuelle.
(cf. points 79-80, 103)
3. Toute requête doit indiquer l'objet du litige et contenir un exposé sommaire des moyens invoqués. Cette indication doit être suffisamment claire et précise pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au juge de l'Union d'exercer son contrôle juridictionnel. Afin de garantir la sécurité juridique et une bonne administration de la justice, il est nécessaire que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels un recours se fonde ressortent, à tout le moins sommairement, mais d'une façon cohérente et compréhensible, du texte de la requête elle-même. Pour satisfaire ces exigences, une requête visant à la réparation de dommages causés par une institution doit notamment contenir les éléments qui lui permettent d'identifier le comportement que la requérante reproche à celle-ci.
(cf. points 107-108)
4. Lorsque, dans le cadre d'un recours en responsabilité non contractuelle, la notion de contrefaçon du droit d'auteur est invoquée conjointement à celle de protection de la confidentialité du savoir-faire à seule fin de qualifier le comportement de la Commission d'illégal, l'appréciation du caractère illégal du comportement en cause s'effectue au regard de principes généraux communs aux droits des États membres et ne nécessite pas une décision préalable d'une autorité nationale compétente.
En conséquence, compte tenu de la compétence conférée au juge de l'Union par l'article 235 CE et l'article 288, deuxième alinéa, CE en matière de responsabilité non contractuelle et en l'absence de voie de recours nationale permettant d'aboutir à la réparation par la Commission du préjudice prétendument subi par un requérant du fait de la contrefaçon du droit d'auteur d'un logiciel, rien ne s'oppose à ce que la notion de contrefaçon utilisée par le requérant puisse être prise en considération pour qualifier le comportement de la Commission d'illégal dans le cadre d'une demande d'indemnité.
La notion de contrefaçon utilisée par le requérant dans le cadre d'un tel recours s'interprète au regard des seuls principes généraux communs aux droits des États membres, lesquels sont, s'agissant des programmes d'ordinateur, repris ou posés par plusieurs directives d'harmonisation. Le Tribunal est donc compétent pour constater une contrefaçon au sens qui pourrait être donné à ce terme par une autorité nationale compétente d'un État membre en application du droit de cet État dans le cadre d'un tel recours en indemnité.
(cf. points 115-117)
5. Il découle des articles 288, deuxième alinéa, CE et 235 CE que le juge de l'Union a compétence pour imposer à l'Union toute forme de réparation qui est conforme aux principes généraux communs aux droits des États membres en matière de responsabilité non contractuelle, y compris, si elle apparaît conforme à ces principes, une réparation en nature, le cas échéant sous forme d'injonction de faire ou de ne pas faire. En conséquence, l'Union ne saurait être soustraite, par principe, à une mesure procédurale correspondante de la part du juge de l'Union, dès lors que celui-ci a la compétence exclusive pour statuer sur les recours en réparation d’un dommage qui lui soit imputable.
Une réparation intégrale du préjudice prétendument causé dans un cas où est alléguée une violation par la Commission d'un droit d'auteur requiert que le titulaire de ce droit voie son droit rétabli dans un état intact, un tel rétablissement exigeant au minimum, indépendamment d’éventuels dommages-intérêts chiffrés, la cessation immédiate de l’atteinte portée à son droit. La réparation intégrale du préjudice dans pareils cas peut également prendre la forme de la confiscation ou de la destruction du résultat d'une contrefaçon, ou de la publication aux frais de la Commission de la décision du Tribunal.
(cf. points 120-123)
6. L’engagement de la responsabilité non contractuelle de l'Union, au sens de l’article 288, deuxième alinéa, CE, est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’illégalité du comportement reproché à l’institution, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le préjudice invoqué.
Le comportement illégal reproché à une institution doit consister en une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers. Lorsque l’institution en cause ne dispose que d’une marge d’appréciation considérablement réduite, voire inexistante, la simple infraction au droit de l'Union peut suffire à établir l’existence d’une violation suffisamment caractérisée.
Le préjudice dont il est demandé réparation doit être réel et certain et il doit exister un lien suffisamment direct de cause à effet entre le comportement de l’institution et le dommage.
(cf. points 126-127, 268)
7. L'exception légale prévue par l'article 5 de la directive 91/250, concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur, aux actes relevant du droit exclusif de l'auteur du programme et définis par l'article 4 de cette même directive n'a vocation à s'appliquer qu'aux travaux réalisés par l'acquéreur légitime du programme d'ordinateur et non aux travaux confiés à un tiers par cet acquéreur. Cette exception reste également limitée aux actes nécessaires pour permettre à l’acquéreur légitime d’utiliser le programme d’ordinateur d’une manière conforme à sa destination, y compris pour corriger des erreurs.
(cf. point 225)
8. Constitue une violation suffisamment caractérisée des droits d'auteur et du savoir-faire détenus par une entreprise sur un logiciel, violation qui est de nature à engager la responsabilité non contractuelle de l'Union, le fait, pour la Commission, de s'octroyer le droit de réaliser des travaux devant entraîner une modification des éléments relatifs audit logiciel, tels que, par exemple, les codes sources, sans avoir obtenu préalablement l'accord de ladite entreprise.
(cf. points 250, 261)
ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)
16 décembre 2010 (*)
« Responsabilité non contractuelle – Appel d’offres pour la réalisation d’un projet relatif à la maintenance et au renforcement linguistique du système de traduction automatique de la Commission – Codes sources d’un programme d’ordinateur commercialisé – Contrefaçon du droit d’auteur – Divulgation non autorisée de savoir-faire – Recours en indemnité – Litige non contractuel – Recevabilité – Préjudice réel et certain – Lien de causalité – Évaluation forfaitaire du montant du dommage »
Dans l’affaire T‑19/07,
Systran SA, établie à Paris (France),
Systran Luxembourg SA, établie à Luxembourg (Luxembourg),
représentées par Mes J.-P. Spitzer et E. De Boissieu, avocats,
parties requérantes,
contre
Commission européenne, représentée initialement par Mme E. Montaguti et M. F. Benyon, puis par M. E. Traversa et Mme Montaguti, en qualité d’agents, assistés de Mes A. Berenboom et M. Isgour, avocats,
partie défenderesse,
ayant pour objet un recours en indemnisation du dommage prétendument subi par les requérantes en raison d’illégalités commises à la suite d’un appel d’offres de la Commission relatif à la maintenance et au renforcement linguistique de son système de traduction automatique,
LE TRIBUNAL (troisième chambre),
composé de M. J. Azizi, président, Mme E. Cremona et M. S. Frimodt Nielsen (rapporteur), juges,
greffier : Mme T. Weiler, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 27 octobre 2009,
rend le présent
Arrêt
Faits à l’origine du litige
I – Sur les différentes versions du logiciel Systran
1 Quatre versions du logiciel de traduction automatique Systran (également appelé « système Systran ») doivent être distinguées :
– la version initiale (ci-après « Systran Mainframe »), créée en 1968 par M. Toma et commercialisée par la société californienne World Translation Center, Inc. (WTC) et d’autres sociétés affiliées (ci-après, prises ensemble, le « groupe WTC ») ;
– la version utilisée initialement par la Commission européenne (ci-après « EC-Systran Mainframe »), qui a fait l’objet d’une série de contrats conclus de 1975 à 1987 entre le groupe WTC et la Commission, d’une série de contrats entre la Commission et des prestataires de services, et d’une série de contrats entre le groupe Systran (le repreneur du groupe WTC) et la Commission ;
– la nouvelle version (ci-après « Systran Unix »), qui a été créée par la première requérante, Systran SA (ci-après « Systran »), à la suite de l’acquisition du groupe WTC en 1986, pour fonctionner dans les environnements Unix et Windows ; cette version a été développée par le groupe Systran à partir de 1993 ;
– la nouvelle version utilisée par la Commission (ci-après « EC-Systran Unix »), laquelle a fait l’objet d’un contrat conclu en 1997 entre la seconde requérante, Systran Luxembourg SA (ci-après « Systran Luxembourg »), et la Commission.
II – Historique des relations entre les parties
2 L’historique des relations contractuelles entre les parties, le groupe WTC puis son repreneur le groupe Systran, d’une part, et la Commission, d’autre part, est nécessaire afin de pouvoir définir la portée des droits de propriété et d’utilisation relatifs aux différentes versions du logiciel Systran utilisées par la Commission, à savoir EC-Systran Mainframe puis EC-Systran Unix. La Commission se prévaut de cet historique pour alléguer que le présent recours a un fondement contractuel, alors que les requérantes font observer qu’aucun de ces contrats, qu’elles n’invoquent d’ailleurs pas, n’a incidence sur leurs droits de propriété intellectuelle et le recours.
A – Première période : de Systran Mainframe à EC-Systran Mainframe
3 Les parties s’accordent pour reconnaître que le créateur du logiciel de traduction automatique Systran est M. Toma et que les sociétés du groupe WTC étaient propriétaires exclusifs de la version Systran Mainframe de ce logiciel.
1. Contrats initiaux entre WTC (et d’autres sociétés) et la Commission
4 Le 22 décembre 1975, WTC et la Commission ont signé un contrat relatif, d’une part, à l’installation et au développement du système de traduction automatique Systran anglais-français et, d’autre part, au développement initial du système de traduction automatique Systran français-anglais (ci-après le « contrat initial »).
5 L’article 1er, premier alinéa, du contrat initial, intitulé « Objet », est rédigé comme suit :
« Le Contractant entreprend, pour le compte de la Commission, le développement ultérieur de son système de traduction automatique SYSTRAN anglais-français (ci‑après le ‘Système de Base’) et le développement initial d’un système de traduction automatique SYSTRAN français-anglais ».
6 L’article 3 du contrat initial, intitulé « Rémunération », indique :
« En contrepartie des tâches effectuées au titre du présent contrat, la Commission verse au Contractant la somme de 161 800 USD selon les modalités suivantes :
[…]
Cette somme comprend une compensation pour la concession du droit d’utiliser le Système de Base durant toute la période couverte par le contrat. Il est entendu qu’elle doit couvrir toutes les dépenses supportées par le Contractant en exécution du présent contrat, y compris les frais du personnel, le temps d’ordinateur, les frais de déplacement et les frais de fourniture. »
7 L’article 4 du contrat initial, intitulé « Utilisation du système après la fin du contrat », est rédigé comme suit :
« a) Les parties contractantes conviennent que les droits au système tel qu’il existe à la date d’expiration du contrat (ci-après le ‘Système Modifié’) et à la documentation y afférente sont accordés par le Contractant à la Commission sur une base limitée, c’est-à-dire exclusivement pour les besoins propres de la Commission et pour des besoins similaires des administrations publiques des États membres de la Communauté et uniquement aux fins de la traduction de l’anglais vers le français et du français vers l’anglais, mais sans limitation de durée. […]
b) Si, après l’exécution du présent contrat, la Commission souhaite continuer à développer, en interne ou par l’intermédiaire d’un tiers, le Système Modifié en appliquant d’autres paires de langues de la Communauté, elle verse au Contractant une somme forfaitaire n’excédant pas 100 000 USD pour la première paire de langues et 80 000 USD pour chacune des paires suivantes, ou 200 000 USD pour toute combinaison comprenant une nouvelle langue. Ces sommes couvrent le droit pour la Commission d’utiliser à titre exclusif et librement le Système Modifié développé, sans limitation de durée.
Si, par ailleurs, après l’exécution du présent contrat, la Commission souhaite demander au Contractant un développement ultérieur du Système Modifié en appliquant une autre paire de langues, elle lui verse une somme forfaitaire n’excédant pas 25 000 USD pour la première paire et 20 000 USD pour chacune des paires suivantes, ou 50 000 USD pour toute combinaison comprenant une nouvelle langue.
c) Le Contractant dispose du droit d’utiliser pour son propre compte et à ses propres fins le Système Modifié tel qu’il a été développé dans le cadre du présent contrat et des contrats de développement ultérieur par application d’autres paires de langues, comme précisé sous b), deuxième alinéa, à l’exception des vocabulaires spécialement développés pour la Commission. L’accès aux vocabulaires sera accordé au Contractant au cas par cas, pour une redevance annuelle de location n’excédant pas 20 % du coût; ils ne seront mis gratuitement à la disposition du contractant qu’à des fins de démonstration. »
8 Aux termes de l’article 5, sous f), du contrat initial, la loi applicable au contrat était la loi luxembourgeoise et les juridictions compétentes en cas de litige étaient celles du Luxembourg.
9 À la suite du contrat initial, de 1976 à 1987, la Commission a conclu de nombreux contrats avec des sociétés du groupe WTC afin, d’une part, d’améliorer le système Systran et, d’autre part, de développer de nouvelles paires de langues (soit au total neuf paires de langues).
10 Par ailleurs, la Commission a conclu avec diverses sociétés, extérieures au groupe WTC et sans que celles-ci soient parties au contrat, des contrats les autorisant à utiliser le système Systran au bénéfice des instances gouvernementales des États membres et des institutions des Communautés. Dans un de ces contrats, dénommé « Protocole d’accord de coopération technique », conclu le 18 janvier 1985 avec une société française, Gachot SA, la Commission indiquait que « le système Systran, logiciels et dictionnaires, rest[ait] la propriété de la Commission » (article 4, intitulé « Droits d’utilisation). En application de ce protocole d’accord, la Commission autorisait la société Gachot à exploiter « son système de traduction automatique Systran au bénéfice des organismes du secteur public européen » et, en contrepartie, la société Gachot fournissait à la Commission des informations sur la qualité des traductions produites, lui permettant d’améliorer la performance du système (article 1er, intitulé « Objet »). La coopération entre la Commission et la société Gachot se faisait sans apport financier (article 3, intitulé « Dépenses »).
2. Contrat de collaboration entre le groupe Systran et la Commission
11 Par une série de contrats intervenus à compter de septembre 1985, la société Gachot a acquis les sociétés du groupe WTC, qui étaient propriétaires de la technologie Systran et de la version Systran Mainframe, et est devenue Systran à la suite de cette acquisition.
12 Par lettre du 2 février 1987, adressée par le directeur général de la direction générale (DG) « Télécommunications, industrie de l’information et innovation » à la société Gachot, la Commission demandait à ce qu’il soit répondu à plusieurs questions, ce qui a été fait par lettre du 5 février 1987 :
« Question 1 : M. Gachot peut-il prouver qu’il est bien (lui ou la société Gachot […]) propriétaire ou actionnaire majoritaire des sociétés WTC et Systran Institut, et qu’il accepte toutes responsabilités encourues par ses sociétés vis-à-vis de la Commission ? »
« Réponse : Notre société a bien racheté la totalité des actions [de M.] Toma dans WTC et Latsec, d’une part, et 76 % des actions de Systran Institut, d’autre part. Nous sommes donc tout à fait habilités à parler au nom de la totalité du Groupe et à le représenter vis-à-vis de la Commission. »
« Question 2 : Qu’adviendra-t-il de ces responsabilités si M. Gachot (ou [la société] Gachot) cesse d’être propriétaire (ou actionnaire majoritaire) de ces sociétés ? M. Gachot s’engage-t-il à faire respecter ces responsabilités par d’éventuels acheteurs ? »
« Réponse : Aucune cession n’est envisagée. Bien au contraire, notre Groupe suit une politique de développement permanent en ce domaine. Par ailleurs, la Commission n’a aucun souci à se faire dans ce domaine, car les contrats sont établis entre WTC et la Commission, c’est-à-dire des personnes morales, et tout changement pouvant survenir dans la possession des titres de ces sociétés ne peut en aucun cas remettre en cause les contrats établis. »
« Question 3 : M. Gachot peut-il confirmer que la Commission, à la suite de la conclusion des divers contrats avec WTC et Systran Institut, possède des droits d’exploitation non exclusifs pour le secteur public européen portant sur [neuf] versions linguistiques de Systran ? »
« Réponse : Il est clair, de par les contrats établis entre WTC et la Commission […], que la Commission a des droits d’utilisation non exclusifs pour ses propres besoins ainsi que pour les besoins des agences gouvernementales des pays membres de la Communauté, et ce pour les versions linguistiques de Systran II dans les [paires] de langues acquises par elle […] »
« Question 8 : M. Gachot est-il toujours d’accord pour autoriser des organismes intergouvernementaux dont le territoire dépasse celui de la Communauté à faire usage [du logiciel] Systran, en contrepartie de royalties à lui payer ? »
« Réponse : La société Gachot envisage bien entendu de mettre le système Systran à la disposition d’organismes internationaux dont le territoire dépasse celui de la Communauté et ceci en fonction d’accords divers qui seront conclus entre la société Gachot et de tels organismes […] »
« Question 14 : La société WTC serait-elle disposée à céder à la Commission les droits d’exploitation, aux mêmes conditions que précédemment, pour un système Systran espagnol-anglais ? Le prix à payer serait-il du même ordre que celui offert pour le système allemand-anglais ? »
« Réponse : La société WTC est tout à fait d’accord pour céder à la Commission une licence d’exploitation non exclusive pour l’espagnol-anglais, éventuellement aussi pour l’italien-anglais et le portugais-anglais. Le prix et les conditions dépendront essentiellement de l’état d’avancement des systèmes au moment où la Commission en fera l’acquisition. »
« Question 15 : La société WTC serait-elle disposée à développer de nouveaux systèmes comportant le danois et le grec comme langues cibles et à les céder à la Commission avec des droits d’exploitation (non exclusifs) pour les secteurs public et privé ? »
« Réponse : WTC est tout à fait d’accord pour développer tout système comportant des paires de langues européennes ainsi que d’autres systèmes dont la Commission pourrait avoir besoin. »
« Question 16 : M. Gachot serait-il intéressé [par] une conversion du système Systran en langage C sous Unix, qui en augmenterait la portabilité sur le plan informatique ? Serait-il prêt à financer tout ou une partie de l’investissement requis (qui est probablement de l’ordre du million d’écus) ? »
« Réponse : La conversion du système Systran en langage C sous Unix est un projet que nous avons envisagé. Mais dans un premier temps, il nous a semblé beaucoup plus important de concentrer nos efforts sur l’amélioration de la qualité de la traduction ainsi que sur l’unification des différentes versions du [système] Systran. La conversion du [système] Systran sous Unix, tout en étant très intéressante, reste liée à la concrétisation de moyens de financement […] »
13 Par télécopie du 5 mars 1987, adressée par un fonctionnaire de la DG « Télécommunications, industrie de l’information et innovation » à la société Gachot, la Commission décrivait comme suit le contenu de la « convention Systran » qui était en cours de négociation :
« Droits, objectifs et obligations
Dans le cadre de la Convention, les droits acquis par les deux parties sont parfaitement équilibrés.
Le Groupe Systran est propriétaire des logiciels de base et les droits d’utilisation de la Commission relatifs à ses neufs [paires] de langues ne s’étendent qu’aux institutions communautaires et aux organismes officiels des États membres.
Par contre, la Commission est propriétaire des lexiques qu’elle a mis au point depuis 1975.
Chacune des parties a investi environ 8 millions d’écus pour acquérir ses droits et cherche donc à faire fructifier ses investissements.
La Commission a l’obligation morale de faire bénéficier l’économie communautaire de l’investissement payé par ses contribuables, tandis que le Groupe Systran désire entamer rapidement la commercialisation du système en Europe.
Ces deux objectifs sont parfaitement convergents et conciliables dans le cadre de la Convention proposée.
De plus, la Commission et le Groupe Systran ont intérêt à faire [du logiciel] Systran un instrument efficace [au] moyen d’une harmonisation des logiciels et des lexiques […] »
14 Le 4 août 1987, le groupe Systran et la Commission ont signé un contrat relatif à l’organisation en commun du développement et de l’amélioration du système de traduction Systran pour les langues officielles, actuelles et futures, de la Communauté, ainsi que sa mise en application (ci-après le « contrat de collaboration »).
15 Le contrat de collaboration indiquait, dans le cadre d’un « [e]xposé préliminaire », ce qui suit :
« 1. Le système Systran, conçu par la société WTC, est un système de traduction automatique, qui comprend un logiciel de base, des logiciels linguistiques et périphériques et différents dictionnaires bilingues.
2. Le 22 septembre 1975, la Commission a conclu avec la société WTC un contrat portant sur l’utilisation du système Systran par la Commission et sur le développement initial de ce système par WTC.
La Commission et la société WTC ont conclu ultérieurement d’autres contrats visant, d’une part, l’amélioration du système existant et, d’autre part, le développement de systèmes pour de [nouvelles paires] de langues.
Ces contrats, conclus entre 1976 et 1985, avaient pour objet le développement, l’amélioration des logiciels de traduction et des dictionnaires de base pour les langues concernées.
3. La maintenance et le développement ultérieur des systèmes ont été assurés par une autre série de contrats entre la Commission et des sociétés de service. Ces contrats visaient les besoins et les finalités propres à la Commission.
4. Depuis 1985, la Commission a conclu avec diverses sociétés des contrats les autorisant à utiliser le système Systran au bénéfice des instances gouvernementales et des institutions des Communautés européennes, en contrepartie d’informations permettant à la Commission d’améliorer la performance du système.
5. Les parties constatent donc que la Commission dispose d’une licence d’utilisation du système de base et des améliorations […] apportées par WTC, limitée à l’utilisation au territoire des Communautés européennes dans les secteurs spécifiés dans le [paragraphe] 4 ci-dessus.
6. Les améliorations et les développements apportés au système Systran par la Commission et ses contractants [mentionnés au paragraphe 3 ci-dessus], spécialement les dictionnaires, sont la propriété exclusive de la Commission.
7. Les parties considèrent que leur intérêt et celui des utilisateurs de Systran est que ce système soit amélioré de façon permanente. Elles ont décidé de conclure le présent contrat de collaboration afin d’unir leurs efforts et de poursuivre ainsi l’amélioration.
Dans cet esprit, les parties se reconnaissent mutuellement un droit d’utilisation du système Systran, susceptible d’évoluer par la mise au point des perfectionnements qui seront réalisés grâce à l’utilisation du système tant dans le secteur privé que dans le secteur public. »
16 L’article 4 du contrat de collaboration, relatif aux « [d]roits de propriété », stipule :
« Les différentes versions linguistiques de Systran et leurs composantes restent la propriété des partenaires auxquels elles appartenaient à la date de la signature.
Les sociétés du Groupe Systran s’engagent à ne céder leurs droits de propriété qu’après information préalable et accord de services de la Commission. Le cessionnaire devra accepter de reprendre les droits et obligations résultant pour ces sociétés du présent contrat de collaboration. »
17 L’introduction de l’annexe I du contrat de collaboration énonce :
« Alors que la Commission a toujours été propriétaire des lexiques et autres composantes qu’elle a développés pour différentes versions de Systran, les droits de propriété du logiciel de base avaient été répartis entre plusieurs sociétés et la Commission avait conclu des contrats et accords relatifs à l’utilisation du système et de ses améliorations et développements, notamment avec [WTC] et Systran Institut.
La société Gachot […] étant, depuis le début de 1986, principal actionnaire de ces sociétés, le présent contrat global pour le développement et l’utilisation de Systran a été conclu entre toutes les parties intéressées […] »
18 L’article 4 bis du contrat de collaboration, relatif aux « [a]méliorations et redevances », stipule :
« Tout développement et toute amélioration du système, résultant de son exploitation par le [g]roupe Systran, ser[ont] immédiatement communiqué[s] à et mis à la disposition de la Commission.
Tout développement et toute amélioration du système, résultant de son exploitation par la Commission, ser[ont] immédiatement communiqué[s] à et mis à la disposition du [g]roupe Systran.
Toute modification du système ne provenant pas de son exploitation au sens propre fera l’objet d’une négociation entre parties.
Pendant une période initiale de deux ans, chaque partie pourra utiliser les développements et améliorations apportés par l’autre partie, sans avoir à payer de ce fait une redevance quelconque.
À l’issue de cette période, et compte tenu de l’expérience acquise, la Commission et le Groupe Systran définiront les modalités contractuelles de leur collaboration future. »
19 L’article 5 du contrat de collaboration, relatif aux « [d]roits d’utilisation », stipule :
« a) La Commission dispose du droit d’utiliser dans le secteur public sur le territoire de la Communauté le système commun dans sa version la plus évoluée et de concéder des licences d’utilisation de ce système aux organismes publics nationaux et internationaux établis sur le territoire de la Communauté comme défini dans le [paragraphe] 4 de l’exposé préliminaire.
b) […]
c) Les sociétés du [g]roupe Systran s’engagent à permettre à tout organisme privé quelconque d’utiliser le système à des conditions conformes aux usages commerciaux. »
20 Aux termes des articles 11 et 12 du contrat de collaboration, la loi applicable au contrat était la loi belge et tout différend entre les parties concernant l’interprétation, l’exécution ou l’inexécution du contrat était soumis à un arbitrage.
21 Entre 1988 et 1989, la Commission a conclu quatre contrats avec la société Gachot afin d’obtenir une licence d’utilisation du logiciel Systran pour les paires de langues allemand-anglais, allemand-français, anglais-grec, espagnol-anglais et espagnol-français.
22 Par courrier recommandé du 11 décembre 1991, la Commission a mis fin au contrat de collaboration conformément à son article 8 et moyennant un préavis de six mois. En application de cette disposition, il était prévu que, à l’expiration d’une période de trois ans, chacune des parties disposerait du système Systran dans l’état qu’il aurait atteint pour chacune d’elles. Selon la Commission, cette résiliation se justifiait par le fait que Systran n’aurait pas respecté ses obligations contractuelles et entendrait réclamer le paiement des développements portant sur deux paires de langues (français-italien et français-espagnol) qui auraient été réalisés par la Commission et mis à la disposition de Systran au titre du contrat de collaboration. À la date où le contrat de collaboration a pris fin, la version EC-Systran Mainframe comportait seize versions linguistiques.
23 Par la suite, le groupe Systran a créé et commercialisé une nouvelle version du logiciel Systran à même de fonctionner sous les systèmes d’exploitation Unix et Windows (Systran Unix), alors que la Commission a développé la version EC-Systran Mainframe, s’agissant des seize paires de langues précitées auxquelles s’est ajoutée la paire de langues grec-français développée avec l’aide d’un cocontractant extérieur, laquelle fonctionnait sur le système d’exploitation Mainframe incompatible avec les systèmes d’exploitation Unix et Windows.
B – Deuxième période : de Systran Unix à EC‑Systran Unix
24 Afin de permettre à la version EC-Systran Mainframe de fonctionner dans les environnements Unix et Windows, quatre contrats ont été conclus entre Systran Luxembourg et la Commission (ci-après les « contrats de migration »).
25 Le 19 décembre 1997, préalablement à la signature du premier contrat de migration, la Commission a demandé par courrier à Systran de lui donner son accord sur plusieurs points, dont les deux points suivants :
« 1. Utilisation du [n]om Systran
Lors des présentations ainsi que dans la documentation ou la correspondance, nous faisons souvent référence au ‘système de traduction automatique de la Commission’. Étant donné que ce dernier est basé sur le système Systran, il serait plus logique d’utiliser le nom Systran ou […] [V]ersion CE de Systran à ces occasions.
2. Principe d’une utilisation réciproque des systèmes de [la société] Systran […] et de la Commission
La Commission pourra utiliser les produits de la société Systran […] sur son serveur. Cette dernière pourra, de son côté, utiliser le système de la Commission.
La société Systran […] et ses filiales s’engagent d’ores et déjà à ne former aucune revendication pécuniaire découlant des contrats conclus dans le passé entre le ‘[g]roupe Systran’ et la Commission. »
26 Le 22 décembre 1997, jour de la signature du premier contrat de migration, Systran a répondu à cette demande de la Commission en indiquant :
« 1. Utilisation du [n]om Systran
Nous vous confirmons notre accord afin que la Commission puisse utiliser la marque SYSTRAN. Cette utilisation devra être systématique pour tout système de traduction automatique dérivant du système Systran d’origine. En conséquence, nous vous concédons un droit d’utilisation de la marque SYSTRAN aux seules fins de la diffusion ou de la mise à disposition du système de traduction automatique Systran.
2. Principe d’une utilisation réciproque des systèmes de [la société] Systran […] et de la Commission
Nous vous confirmons notre accord afin que la Commission puisse utiliser les produits Systran sous environnement Unix et/ou Windows pour ses besoins internes.
La société Systran s’engage à ne former aucune revendication pécuniaire découlant de l’exécution des contrats conclus dans le passé entre le groupe Systran et la Commission. »
27 L’article 2 du premier contrat de migration, conclu entre Systran Luxembourg et la Commission, donne la définition suivante du « [s]ystème de traduction automatique de la Commission » :
« Le système de traduction automatique de la Commission, dénommé ‘Systran EC version’ [la version CE de Systran], désigne une version particulière du système de traduction automatique Systran initialement développé par le ‘World Translation Center’, La Jolla, USA, et que la Commission européenne a ensuite développé à des fins internes depuis 1976. Le système de traduction automatique de la Commission est différent de la ‘Systran Original Version’ [la version originale du système Systran], à savoir le système de traduction automatique développé et commercialisé par Systran SA France et ses filiales. »
(The Commission’s machine translation system, or ‘Systran EC version’, designates a specific version of the Systran machine translation system originally developed by the World Translation Center, La Jolla, USA, which since 1976 has been further developed by the European Commission for internal purposes. The Commission’s machine translation system is distinct from the ‘Systran Original Version’, which refers to the machine translation system developed and commercialised by Systran S.A. of France and its subsidiaries.)
28 L’article 13 du premier contrat de migration, intitulé « Brevets, certificats d’utilité (modèles d’utilité), marques, dessins et modèles industriels, droits de propriété industrielle et intellectuelle », stipule :
« 1. La Commission est immédiatement informée de tout résultat ou de tout brevet obtenu par le Contractant [à savoir Systran Luxembourg] en exécution du présent contrat ; ce résultat ou brevet appartient aux Communautés européennes, qui peuvent en disposer librement, à l’exception des cas où des droits de propriété industrielle ou intellectuelle existent déjà.
2. Le système de traduction automatique de la Commission, y compris ses composants, même modifiés au cours de l’exécution du contrat, reste la propriété de la Commission, à l’exception des cas où des droits de propriété industrielle ou intellectuelle existent déjà.
[…]
5. En cas de procédure engagée par un tiers, particulièrement s’il s’agit de la revendication d’un droit, même après l’exécution du contrat, la partie impliquée en informe dès que possible l’autre partie; les deux parties agissent ensemble et se communiquent réciproquement toutes les informations et les éléments de preuve qu’elles possèdent ou qu’elles obtiennent. »
(1. Any results or patent obtained by the Contractor [à savoir Systran Luxembourg] in performance of this contract shall be immediately reported to the Commission and shall be the property of the European Communities, which may use them as they see fit, except where industrial or intellectual property rights already exist.
2. The Commission’s machine translation system, together with all its components shall, whether modified or not in the course of the contract, remain the property of the Commission, except where industrial or intellectual property rights already exist.
[…]
5. At the first sign of proceedings by a third party, in particular of a claim, even after completion of the contract, the party involved shall notify the other party as soon as possible and the two parties shall then act in unison and provide each other with all the information and evidence that they possess or obtain.)
29 Aux termes des articles 15 et 16 du premier contrat de migration, la loi applicable au contrat était la loi luxembourgeoise et tout différend entre la Communauté et Systran Luxembourg concernant ce contrat relevait de la compétence des juridictions luxembourgeoises.
30 Par ailleurs, le premier avenant du quatrième contrat de migration fixait la fin de ce contrat au 15 mars 2002 et précisait que, à cette date « le Contractant s’engage[ait] à accomplir pour le 15 mars 2002 toutes les tâches faisant l’objet du contrat, notamment : la preuve actualisée de tous les droits (marques, brevets, droits de propriété intellectuelle et industrielle, droit d’auteur, etc) revendiqués par le groupe Systran et liés au système de traduction automatique Systran ». Selon la Commission, Systran Luxembourg ne lui a pas communiqué ces informations.
C – Troisième période : à partir de l’appel d’offres du 4 octobre 2003
31 Le 4 octobre 2003, la Commission a lancé un appel d’offres pour la maintenance et le renforcement linguistique du système de traduction automatique de la Commission. À la suite de cet appel d’offres, deux lots sur les dix que comportait le marché ont été attribués à la société Gosselies. Il s’agit des lots qui utilisent l’anglais ou le français comme langue source.
32 Par courrier du 31 octobre 2003, Systran a indiqué à la Commission :
« Nous avons pris connaissance de l’appel d’offres émis le 4 octobre 2003 […] À la lecture de ce document, il nous semble que les travaux que vous envisagez d’entreprendre seraient susceptibles de porter atteinte aux droits de propriété intellectuelle de notre société. Soucieux de maintenir le climat de coopération constructive entre notre société et la Commission, nous souhaiterions recueillir votre sentiment sur ce point. Pour les raisons exposées ci-dessus, vous comprendrez que nous ne pouvons pas répondre à cet appel d’offres. »
33 Dans sa réponse, en date du 17 novembre 2003, la Commission indiquait :
« J’ai pris connaissance de votre courrier du 31 octobre dernier. Les travaux que nous envisageons de réaliser ne nous paraissent pas de nature à porter atteinte à des droits de propriété intellectuelle. Je partage votre souhait de maintenir de bonnes relations professionnelles, dans le respect des procédures de la Commission. »
34 À la suite de cet échange de courriers, d’autres lettres ont été échangées entre Systran et la Commission et des réunions ont été organisées par la Commission afin d’apporter des précisions quant aux demandes de cette société.
35 Dans le cadre de ces contacts, les requérantes ont invoqué les éléments suivants :
– le groupe Systran possède un logiciel de traduction automatique appelé « Systran » (ou le « système Systran ») et en développe les diverses versions ;
– au terme d’une succession de contrats passés entre le groupe Systran et la Commission, Systran a adapté son logiciel pour créer une version appelée « EC-Systran » ;
– de 1999 à 2002, le groupe Systran a assuré la migration de la version EC-Systran pour lui permettre de fonctionner sous Unix ; pour ce faire le groupe Systran a utilisé les droits préexistants de Systran sur le logiciel d’origine et sur le noyau du système Systran sous Unix, complètement réécrit par le groupe Systran en 1993 pour ses propres besoins.
36 En réponse, la Commission a indiqué que ces éléments, tout comme la documentation technique présentée par l’expert en informatique des requérantes le 6 janvier 2005, ne constituaient pas la « preuve des droits de propriété intellectuelle » invoqués par le groupe Systran sur le logiciel Systran. Faute de « documents probants » à cet égard, la Commission a considéré que le groupe Systran n’était pas en droit de s’opposer aux travaux réalisés par la société qui a remporté l’appel d’offres litigieux.
37 En résumé, le groupe Systran n’a pu se prévaloir des droits qu’il détiendrait sur le logiciel Systran, dont il commercialise la version Systran Unix, pour interdire ce qu’il estime être la contrefaçon de ce logiciel par la Commission.
Procédure et conclusions des parties
38 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 25 janvier 2007, les requérantes ont introduit le présent recours.
39 Dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure, les parties ont été invitées le 1er décembre 2008 à répondre à une série de questions relatives au fondement contractuel ou non contractuel du recours (ci-après la « première série de questions »).
40 Les parties ont répondu à la première série de questions les 30 janvier et 2 février 2009.
41 Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (troisième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure, a invité les parties à répondre à une nouvelle série de questions relatives à la version Systran Unix, aux droits de l’utilisateur, à la nature des interventions demandées au titre du marché litigieux et aux activités de la société Gosselies en ce qui concerne la conception et la commercialisation de logiciels de traduction (ci-après la « deuxième série de questions »).
42 Les parties ont répondu à la deuxième série de questions le 14 octobre 2009.
43 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal à l’audience du 27 octobre 2009.
44 Lors de cette audience, les parties ont été conviées par le Tribunal à assister à une réunion informelle de conciliation. À l’issue de cette réunion, les parties ont indiqué qu’elles communiqueraient au Tribunal le contenu de leur accord transactionnel si celui-ci intervenait avant la date de prononcé du présent arrêt. Aucune communication en ce sens n’est parvenue au Tribunal.
45 Dans le procès-verbal de l’audience, ont été rappelés les principaux éléments ressortant de l’audience en ce qui concerne la nature contractuelle ou non contractuelle du recours, le comportement illégal reproché à la Commission et l’évaluation du préjudice invoqué par les requérantes. Ce procès-verbal ainsi que le procès-verbal de la réunion informelle ont été signifiés aux parties.
46 Par ordonnance du 26 mars 2010, le Tribunal (troisième chambre) a ordonné la réouverture de la procédure orale afin d’inviter les parties à répondre, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure, à une série de questions sur les éléments à retenir pour l’évaluation du préjudice (ci-après la « troisième série de questions »).
47 Les parties ont répondu à la troisième série de questions les 4 et 5 mai 2010.
48 Au vu de ces réponses et dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure, les requérantes et la Commission ont été priées de présenter leurs observations sur les réponses de l’autre partie à la troisième série de questions. Le Tribunal a également souhaité obtenir quelques précisions sur certains éléments invoqués par les parties dans leurs réponses (ci-après la « quatrième série de questions »).
49 Les parties ont présenté leurs observations et répondu à la quatrième série de questions le 11 juin 2010. La procédure orale a ensuite été clôturée.
50 Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :
– ordonner la cessation immédiate des faits de contrefaçon et de divulgation commis par la Commission ;
– ordonner la confiscation de tous les supports détenus par la Commission et par la société Gosselies, sur lesquels sont reproduits les développements informatiques réalisés par cette dernière à partir des versions EC‑Systran Unix et Systran Unix en violation de leurs droits, ainsi que leur remise à Systran ou, à tout le moins, leur destruction sous contrôle ;
– condamner la Commission au versement de la somme minimale de 1 170 328 euros pour Systran Luxembourg et de 48 804 000 euros, à parfaire, pour Systran ;
– ordonner la publication de la décision du Tribunal à intervenir, aux frais de la Commission, dans des journaux spécialisés, dans des revues spécialisées et sur des sites Internet spécialisés au choix de Systran ;
– en tout état de cause, condamner la Commission aux dépens.
51 La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– déclarer le recours irrecevable ;
– à défaut, rejeter le recours comme non fondé ;
– condamner les requérantes aux dépens.
En droit
I – Sur la recevabilité
A – Sur le chef de conclusions visant à ce que le Tribunal condamne la Commission à l’indemnisation du préjudice allégué
52 La Commission fait valoir trois motifs d’irrecevabilité en ce qui concerne le troisième chef de conclusions, lequel vise à obtenir sa condamnation à l’indemnisation du préjudice allégué par les requérantes. Premièrement, cette demande d’indemnité serait irrecevable du fait de son fondement contractuel, dans la mesure où le Tribunal ne pourrait évaluer les allégations de contrefaçon et de divulgation de savoir-faire qu’en se basant sur les différents contrats conclus entre le groupe Systran et la Commission, lesquels ne comportent pas de clause compromissoire désignant le Tribunal. Deuxièmement, la demande d’indemnité serait également irrecevable en raison de l’absence de clarté de la requête, dès lors que celle-ci ne donnerait pas de précisions quant aux dispositions légales qui auraient été violées par la Commission et fournirait peu de précisions sur les faits de contrefaçon et de divulgation de savoir-faire allégués par les requérantes. Troisièmement, le Tribunal serait incompétent pour statuer en matière de contrefaçon dans le cadre d’un recours en indemnité comme cela ressort de l’ordonnance du 5 septembre 2007, Document Security Systems/BCE (T‑295/05, Rec. p. II‑2835, ci-après l’« ordonnance Document Security Systems »).
1. Sur le fondement du recours
a) Arguments des parties
53 La Commission soutient que le Tribunal ne peut pas évaluer l’existence de la contrefaçon et le caractère fautif de la divulgation sans se baser sur les différents contrats qui régissaient les relations entre le groupe Systran et la Commission de 1975 à 2002. L’éventuelle responsabilité que la Communauté pourrait encourir du fait de l’exploitation des versions EC-Systran Unix et Systran Unix du logiciel Systran serait de nature contractuelle. De ce fait, il conviendrait de se référer à l’article 288, premier alinéa, CE, aux termes duquel « la responsabilité contractuelle de la Communauté est régie par la loi applicable au contrat en cause ». En l’absence de clause compromissoire au sens de l’article 238 CE, le Tribunal serait donc manifestement incompétent.
54 En réponse à une question du Tribunal demandant à la Commission d’indiquer sur la base de quelles dispositions contractuelles elle s’estime en droit de procéder comme elle l’a fait dans le cadre du marché litigieux sans obtenir l’autorisation des requérantes, la Commission fait valoir, d’une part, qu’elle émet des doutes sur le fait que les requérantes seraient titulaires de droits de propriété intellectuelle sur la version Systran Unix du logiciel Systran et, d’autre part, qu’elle « conteste formellement que les requérantes soient titulaires de droits sur le logiciel EC-Systran Unix ». En particulier, la Commission soutient qu’elle détient des « droits de propriété exclusifs » en ce qui concerne les « codes sources des parties linguistiques du logiciel » en vertu des différents contrats conclus entre 1975 et 2002 et du travail de ses services dans le développement de ces parties. En vertu de ces contrats, la Commission disposerait du droit, tant avant qu’après la migration, de faire évoluer la version EC-Systran Unix en coopération avec des contractants tiers. Sur ce point, la Commission cite l’article 4 du protocole d’accord de coopération technique, le paragraphe 6 de l’exposé préliminaire du contrat de collaboration et l’article 13, paragraphes 1 et 2, des contrats de migration conclus avec Systran Luxembourg, aux termes desquels le système de traduction automatique de la Commission resterait sa propriété.
55 Les requérantes relèvent, en substance, que le Tribunal est compétent au titre de l’article 288, deuxième alinéa, CE. En l’espèce, le présent recours trouverait son fondement dans le fait que la Commission aurait réalisé ou fait réaliser des modifications non autorisées, et donc non contractuelles, du logiciel Systran Unix ou de sa version EC-Systran Unix, alors qu’elle ne disposait pas de droits lui permettant de le modifier et encore moins de le faire modifier sans l’autorisation des requérantes.
56 Dans leur réponse aux questions posées par le Tribunal, les requérantes soulignent que la Commission n’a jamais été autorisée à fournir les éléments litigieux à quelque tiers que ce soit. En l’absence de stipulation contractuelle l’autorisant à procéder aux utilisations et aux divulgations qui ont été faites, la Commission, agissant en dehors du cadre fixé par les contrats, aurait engagé sa responsabilité non contractuelle, laquelle relève de la compétence exclusive du Tribunal.
b) Appréciation du Tribunal
Observations sur les compétences en matière contractuelle et non contractuelle
57 La compétence du Tribunal pour connaître d’une action en indemnité diffère selon la nature contractuelle ou non contractuelle de la responsabilité mise en cause. En matière de responsabilité contractuelle, l’article 238 CE indique que la Cour est compétente pour statuer en vertu d’une clause compromissoire contenue dans un contrat de droit public ou de droit privé passé par la Communauté ou pour son compte. En matière de responsabilité non contractuelle, l’article 235 CE précise que la Cour est compétente pour connaître des litiges relatifs à la réparation des dommages visés à l’article 288, deuxième alinéa, CE, qui envisage les dommages causés par les institutions ou par leurs agents dans l’exercice de leurs fonctions.
58 Ainsi, en matière de responsabilité contractuelle, ce n’est qu’en présence d’une clause compromissoire au sens de l’article 238 CE que le Tribunal est compétent. En l’absence d’une telle clause, le Tribunal ne saurait, sur le fondement de l’article 235 CE, statuer, en réalité, sur une action en dommages-intérêts d’origine contractuelle. Faute de quoi, le Tribunal étendrait sa compétence au-delà des litiges dont la connaissance lui est limitativement réservée par l’article 240 CE, dès lors que cette disposition confie aux juridictions nationales la compétence de droit commun pour connaître des litiges auxquels la Communauté est partie (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 20 mai 2009, Guigard/Commission, C‑214/08 P, non publié au Recueil, points 35 à 41 ; ordonnance du Tribunal du 18 juillet 1997, Oleifici Italiani/Commission, T‑44/96, Rec. p. II‑1331, points 35 et 38, et arrêt du Tribunal du 25 mai 2004, Distilleria Palma/Commission, T‑154/01, Rec. p. II‑1493, point 50).
59 En revanche, en matière de responsabilité non contractuelle, la Cour est compétente sans qu’il soit nécessaire que les parties au litige manifestent préalablement leur accord. La compétence de la Cour ressort, en effet, directement de l’article 235 CE et de l’article 288, deuxième alinéa, CE pour les actions visant à obtenir de la Communauté qu’elle répare les dommages de nature non contractuelle causés par la Commission.
60 Pour déterminer sa compétence en vertu de l’article 235 CE, le Tribunal doit examiner au regard des différents éléments pertinents du dossier, si la demande d’indemnité présentée par les requérantes repose de manière objective et globale sur des obligations d’origine contractuelle ou non contractuelle permettant de caractériser le fondement contractuel ou non contractuel du litige. Ces éléments peuvent être déduits, notamment, de l’examen des prétentions des parties, du fait générateur du préjudice dont la réparation est demandée et du contenu des dispositions contractuelles ou non contractuelles invoquées pour régler la question en litige (voir, en ce sens, arrêt Guigard/Commission, point 58 supra, points 35 à 38).
61 À cet égard, il importe de relever que la compétence du Tribunal en matière contractuelle est dérogatoire du droit commun et doit, partant, être interprétée restrictivement, de sorte que le Tribunal ne peut connaître que des demandes qui dérivent du contrat ou qui ont un rapport direct avec les obligations qui en découlent (voir arrêt de la Cour du 20 février 1997, IDE/Commission, C‑114/94, Rec. p. I‑803, point 82, et la jurisprudence citée). Il en serait notamment ainsi s’il ressortait du cadre factuel que la Commission était autorisée par contrat à confier à un tiers les travaux prévus par l’appel d’offres et si l’objet du litige consistait, en réalité, étant donné que ces travaux étaient prévus dans une ou plusieurs dispositions contractuelles, en une demande d’indemnité d’origine contractuelle (voir, en ce sens, arrêt Guigard/Commission, point 58 supra, points 35 et 36, s’agissant de la prise en compte du cadre factuel, et point 38, s’agissant de l’objet réel de la demande d’indemnité).
62 Il convient également de souligner que, si, pour apprécier le bien-fondé de cette argumentation, le Tribunal doit examiner le contenu des différents contrats conclus entre le groupe WTC/Systran et la Commission de 1975 à 2002, lesquels sont invoqués par la Commission à l’appui de son argumentation, un tel exercice relève de l’examen de la compétence et ne saurait avoir pour conséquence – en tant que tel – de modifier la nature du litige en lui donnant un fondement contractuel. S’il en était autrement, la nature du litige et, par conséquent, la juridiction compétente seraient susceptibles de changer du simple fait que la partie défenderesse évoque l’existence d’une relation contractuelle quelconque avec la partie requérante, alors même que l’examen des contrats invoqués permettrait de constater qu’ils sont sans incidence à cet égard. Lorsqu’il intervient en matière de responsabilité non contractuelle, le Tribunal peut donc parfaitement examiner le contenu d’un contrat, comme il le fait à propos de n’importe quel document invoqué par une partie à l’appui de son argumentation, pour savoir si celui-ci est de nature à remettre en cause la compétence d’attribution qui lui est expressément conférée par l’article 235 CE. Cet examen relève de l’appréciation des faits invoqués pour établir la compétence du Tribunal, dont l’absence est une fin de non-recevoir d’ordre public au sens de l’article 113 du règlement de procédure.
63 À titre de comparaison, dans une affaire relative à une demande de renouvellement d’un contrat où le requérant invoquait la violation d’obligations d’origine contractuelle et non contractuelle, la Cour a jugé que la simple invocation de règles juridiques qui ne découlaient pas de ce contrat, mais qui s’imposaient aux parties, ne saurait avoir pour conséquence de modifier la nature contractuelle du litige et de le soustraire à la juridiction compétente (arrêt Guigard/Commission, point 58 supra, point 43). Ainsi, dans une affaire relative aux conséquences d’un appel d’offres où les requérantes se fondent seulement sur la violation d’obligations d’origine non contractuelle, la simple invocation par leur cocontractant d’obligations d’origine contractuelle qui n’envisageraient pas le comportement litigieux ne saurait avoir pour conséquence de modifier la nature non contractuelle du litige et de le soustraire à la juridiction compétente.
64 En outre, de manière générale, c’est à la partie qui allègue la violation d’une obligation d’en établir le contenu et son application aux données de l’affaire. Pour cette raison, il y a lieu d’examiner les arguments relatifs à la demande d’indemnité présentés par les requérantes avant ceux avancés par la Commission relatifs à l’existence d’une autorisation contractuelle de divulguer à un tiers des informations susceptibles d’être protégées au titre du droit d’auteur et du savoir-faire.
Examen de la demande d’indemnité présentée par les requérantes
65 En l’espèce, la demande d’indemnité des requérantes est présentée sur le seul fondement de l’article 235 CE et de l’article 288, deuxième alinéa, CE. Les requérantes n’invoquent ni ne se fondent sur des dispositions contractuelles conclues avec la Commission. Ces dispositions contractuelles ne sont invoquées que par la Commission au soutien de la thèse selon laquelle elle serait en droit de réaliser ce qui lui est reproché dans la présente affaire.
66 Pour étayer leur demande d’indemnité, les requérantes invoquent deux comportements illégaux et dommageables de nature non contractuelle. En premier lieu, la Commission aurait divulgué illégalement le savoir-faire de Systran à un tiers dans la mesure où la réalisation des prestations décrites dans l’appel d’offres aurait nécessairement entraîné la divulgation non autorisée et la modification du code source du logiciel Systran, dont les requérantes seraient seules propriétaires. En second lieu, la Commission aurait réalisé un acte de contrefaçon à l’occasion de la réalisation par la société Gosselies de développements non autorisés de la version EC-Systran Unix, une version du logiciel Systran qui serait quasi identique à la version Systran Unix et donc dépendante, développée et commercialisée par le groupe Systran, seul propriétaire des droits de propriété intellectuelle correspondants.
67 En l’espèce, le fait générateur des préjudices allégués dont la réparation est demandée, c’est-à-dire le comportement prétendument fautif qui fait grief aux requérantes, serait donc notamment constitué par la divulgation non autorisée par la Commission à un tiers, la société Gosselies, de codes sources dont le groupe Systran revendique la propriété et la protection au titre des principes généraux communs aux droits des États membres relatifs au droit d’auteur et au savoir-faire.
68 Plus particulièrement, les requérantes soutiennent que, en tant qu’auteur du logiciel Systran et de la version Systran Unix, elles peuvent s’opposer à toute exploitation, modification, adaptation ou amélioration de l’œuvre dérivée que représente EC-Systran Unix qui ne serait pas autorisée par le titulaire des droits sur le logiciel d’origine. Les requérantes bénéficieraient ainsi légalement d’un « droit d’opposition », destiné à garantir la protection de certaines données dont elles sont propriétaires contre un usage par la Commission ou une transmission à un tiers qu’elles n’auraient pas autorisé.
69 À l’appui de ce droit, les requérantes invoquent au titre des principes généraux communs aux droits des États membres la convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques du 9 septembre 1886, telle que modifiée (ci-après la « convention de Berne »), la directive 91/250/CEE du Conseil, du 14 mai 1991, concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur (JO L 122, p. 42), et la directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au respect des droits de propriété intellectuelle (version rectifiée JO L 195, p. 16). Ces dispositions, qui seraient à même de constituer le cas échéant des obligations de nature non contractuelle, comme cela a été reconnu par la Commission en réponse à une question du Tribunal sur ce point lors de l’audience, seraient reprises dans les droits des États membres. En substance, ces dispositions consacreraient les principes généraux suivants : du seul fait de sa création, l’auteur d’un programme d’ordinateur dispose sur celui-ci d’un droit de propriété intellectuelle exclusif et opposable à tous ; la qualité d’auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui le programme d’ordinateur est divulgué ; l’auteur d’un programme d’ordinateur dispose, sous réserve de certaines exceptions, du droit exclusif d’en faire et d’en autoriser la reproduction, l’adaptation ou la diffusion.
70 Il y a lieu de considérer que, ce faisant, les requérantes ont avancé suffisamment d’éléments pour permettre de conclure, à ce stade de l’analyse, que le groupe Systran peut se prévaloir de droits d’auteur sur la version Systran Unix du logiciel Systran qu’il a développée et qu’il commercialise sous son nom.
71 En revanche, faute de preuve du fait que les requérantes ne seraient pas titulaires des droits en cause, la Commission n’est manifestement pas parvenue à remettre en cause la compétence du Tribunal en contestant les droits d’auteur invoqués par le groupe Systran en ce qui concerne cette version du logiciel Systran.
72 En premier lieu, sont insuffisants à cet égard les simples doutes émis par la Commission en ce qui concerne la qualité des requérantes de titulaires de droits de propriété intellectuelle sur la version Systran Unix du logiciel Systran (voir point 54 ci-dessus). Une telle argumentation ne satisfait pas au degré de preuve requis pour remettre en cause la possibilité pour le groupe Systran de se prévaloir de droits d’auteur sur la version Systran Unix du logiciel Systran au regard des principes généraux communs aux droits des États membres précités, dès lors qu’elle repose sur des allégations générales et insuffisamment précises eu égard aux caractéristiques du logiciel concerné et aux rapports d’expertise juridique et technique produits par les requérantes.
73 En deuxième lieu, sans préjuger du résultat de la discussion qui relève du fond du litige, il convient d’indiquer que le Tribunal a demandé à la Commission d’expliquer le contenu de ses doutes quant aux droits de propriété revendiqués par les requérantes et à ces dernières de se prononcer à cet égard. Les experts présentés par les requérantes ont ainsi exposé une série d’arguments juridiques et techniques à l’appui de l’existence de droits d’auteur du groupe Systran tant sur un logiciel réécrit que sur les versions de ce logiciel qui en utilisent le code source (avis de M. P. Sirinelli, professeur à l’université Panthéon-Sorbonne Paris-I, sur la protection par le droit d’auteur d’un logiciel réécrit, ci-après le « second avis Sirinelli » ; note technique de M. H. Bitan sur le caractère nouveau et distinct, sur les plans de l’écriture, de la composition et de la structure, du logiciel Systran Unix par rapport au logiciel Systran Mainframe et au logiciel EC-Systran Mainframe, ci-après la « deuxième note technique Bitan »). En particulier, il en ressort que la version Systran Unix n’est pas un simple portage de la version Systran Mainframe préexistante, comme tente de le faire valoir la Commission, mais bien la réécriture en langage C de l’intégralité des programmes écrits initialement en assembleur, et que ces versions sont foncièrement différentes. Il n’est pas non plus contesté que la version Systran Unix est venue remplacer la version Systran Mainframe devenue obsolète au fil du temps.
74 En dépit d’une demande expresse du Tribunal en ce sens, la Commission n’a pas pu apporter de preuves techniques à même de remettre en cause l’existence de droits d’auteur du groupe Systran sur la version Systran Unix du logiciel Systran ou sur les éléments informatiques qui en composent le programme ou en constituent le code source opérationnel, notamment en ce qui concerne les parties relatives au noyau de base et aux programmes linguistiques du logiciel, les requérantes ne contestant pas à la Commission ses droits de propriété sur les dictionnaires constitués par les services de cette dernière pour tenir compte de la spécificité du langage utilisé par cette institution.
75 En troisième lieu, au fur et à mesure du déroulement de la procédure contentieuse, la Commission a été amenée à concéder que le groupe Systran disposait effectivement de droits de propriété intellectuelle dans ce contexte. Ainsi, la Commission a reconnu au stade de la duplique qu’elle ne contestait pas le fait que Systran était titulaire de droits sur le logiciel Systran Unix commercialisé par cette dernière, tout en indiquant qu’il serait probable que le groupe Systran a utilisé les développements effectués pour la Commission dans le cadre des versions EC-Systran Mainframe et EC-Systran Unix pour les intégrer dans la version Systran Unix. Plus précisément, la Commission a relevé lors de l’audience qu’elle ne contestait effectivement pas que Systran était titulaire de droits sur ces logiciels, que ce soit la version Mainframe ou évidemment la version Unix, tout en faisant néanmoins une petite réserve quant aux éléments qui auraient été intégrés de manière illégale dans la version initiale de Systran Unix, à la suite des contrats précédemment conclus avec elle.
76 Cependant, comme cela a été indiqué par le Tribunal dans le cadre de la deuxième série de questions et une nouvelle fois lors de l’audience, il y a lieu de constater que la version Systran Unix précède de plusieurs années la version EC-Systran Unix. Il est, dès lors, peu vraisemblable que le groupe Systran ait pu intégrer, dans la version Systran Unix qu’il a développée et commercialise, les développements effectués par la suite, dans le cadre de la version EC-Systran Unix, pour répondre aux besoins propres de la Commission sur le plan linguistique et terminologique. La Commission n’a pas été en mesure d’étayer son affirmation à cet égard.
77 De même, aucun élément matériel ne permet d’étayer l’argument de la Commission selon lequel il serait probable que des éléments de la version EC-Systran Mainframe, développée à partir de la version Systran Mainframe des requérantes, aient été intégrés de manière illégale dans la version initiale de Systran Unix. Cet argument est d’ailleurs contredit, en ce qui concerne le code source du logiciel, tout particulièrement pour ce qui concerne le noyau et les programmes linguistiques qui lui sont liés, par les explications de l’expert technique de la requérante selon lesquelles un programme écrit en assembleur diffère significativement d’un programme écrit en langage C (voir deuxième note technique Bitan, notamment l’exemple du traitement en assembleur et en langage C de la chaîne de caractères « Hello world ! »). Cette explication technique n’est pas remise en cause par la Commission.
78 En ce qui concerne la protection invoquée au titre du savoir-faire, les requérantes font valoir que le savoir-faire se définit de manière générale comme un « ensemble d’informations techniques qui sont secrètes, substantielles et identifiées de toute manière appropriée ». Elles considèrent sur ce point que la divulgation par la Commission à un tiers de telles informations, en l’absence de toute autorisation de leur part, constitue un comportement illégal susceptible d’engager la responsabilité non contractuelle de la Communauté en application de l’article 288, deuxième alinéa, CE.
79 À l’appui de cet argument, les requérantes se réfèrent à juste titre à l’arrêt de la Cour du 7 décembre 1985, Adams/Commission (145/83, Rec. p. 3539, point 34), qui a reconnu que l’obligation de confidentialité mise à la charge de la Commission et de son personnel par l’article 287 CE constituait un principe général du droit. Le principe général en vertu duquel les entreprises ont droit à la protection de leurs secrets d’affaires, dont l’article 287 CE constitue l’expression, a encore été réaffirmé dans l’arrêt de la Cour du 19 mai 1994, SEP/Commission (C‑36/92 P, Rec. p. I‑1911, point 36). L’article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, proclamée le 7 décembre 2000 à Nice (JO C 364, p. 1), évoque également la nécessité pour l’administration de respecter les « intérêts légitimes de la confidentialité et du secret professionnel et des affaires ».
80 Les secrets d’affaires intègrent les informations techniques relatives au savoir-faire dont non seulement la divulgation au public, mais également la simple transmission à un sujet de droit différent de celui qui a fourni l’information peuvent gravement léser les intérêts de celui-ci (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 18 septembre 1996, Postbank/Commission, T‑353/94, Rec. p. II‑921, point 87). Pour que des informations techniques tombent, par leur nature, dans le champ d’application de l’article 287 CE, il est nécessaire, tout d’abord, qu’elles ne soient connues que par un nombre restreint de personnes. Ensuite, il doit s’agir d’informations dont la divulgation est susceptible de causer un préjudice sérieux à la personne qui les a fournies ou à des tiers. Enfin, il est nécessaire que les intérêts susceptibles d’être lésés par la divulgation de l’information soient objectivement dignes de protection (arrêts du Tribunal du 30 mai 2006, Bank Austria Creditanstalt/Commission, T‑198/03, Rec. p. II‑1429, point 71, et du 12 octobre 2007, Pergan Hilfsstoffe für industrielle Prozesse/Commission, T‑474/04, Rec. p. II‑4225, point 65).
81 En l’espèce, il y a donc lieu de considérer qu’une information technique, qui relève du secret des affaires d’une entreprise et qui a été communiquée à la Commission à des fins précises, ne peut être divulguée à un tiers à d’autres fins sans l’autorisation de l’entreprise concernée.
82 Il convient de conclure que les requérantes allèguent, à suffisance de droit pour fonder la compétence conférée au Tribunal au titre de l’article 235 CE, la violation par la Commission d’obligations d’origine non contractuelle relatives au droit d’auteur et au savoir-faire portant sur la version Systran Unix du logiciel Systran.
83 La Commission n’a pas été en mesure de remettre en cause cette conclusion et il y a lieu d’examiner la seconde partie de son argumentation, aux termes de laquelle elle disposerait d’une autorisation de nature contractuelle lui permettant de faire ce qui lui est reproché dans la présente affaire.
Examen des éléments invoqués par la Commission au soutien de l’existence d’une autorisation contractuelle de divulguer à un tiers des informations susceptibles d’être protégées au titre du droit d’auteur et du savoir-faire
84 Dans la présente affaire, les comportements illégaux et dommageables qui auraient été commis par la Commission consistent notamment dans la prétendue divulgation à un tiers, la société Gosselies, sans l’accord des requérantes, d’informations susceptibles d’être protégées au titre des droits d’auteur et du savoir-faire du groupe Systran.
85 Aucun élément du dossier ne permet de constater que la Commission a été contractuellement autorisée à communiquer à la société Gosselies les informations relatives et le savoir-faire afférent à la version Systran Unix.
86 En premier lieu, aucun contrat signé entre les parties ne porte expressément sur la question de l’éventuelle attribution de certains travaux relatifs à la version EC-Systran Unix à un tiers. Lorsque Systran a contacté la Commission pour envisager cette question, la Commission s’est en effet limitée à nier les droits de Systran sur la version Systran Unix du logiciel Systran et à considérer que le groupe Systran n’était pas en droit de s’opposer aux travaux confiés à la société Gosselies (voir points 31 à 37 ci-dessus).
87 En deuxième lieu, en réponse à une question du Tribunal sur ce point, la Commission invoque trois dispositions contractuelles pour soutenir qu’elle pouvait faire appel à la société Gosselies pour faire évoluer la version EC-Systran Unix du logiciel Systran sans que le groupe Systran puisse s’y opposer en invoquant les droits d’auteur et le savoir-faire relatifs à la version Systran Unix de ce logiciel (voir point 53 ci-dessus).
88 Premièrement, la Commission invoque l’article 4, intitulé « Droits d’utilisation », du protocole d’accord de coopération technique, conclu le 18 janvier 1985 par la Commission avec la société Gachot, avant que cette société ne reprenne le groupe WTC et ne devienne Systran, qui énonce notamment que « le système Systran, logiciels et dictionnaires, reste la propriété de la Commission ».
89 Force est de constater que cette disposition n’est pas de nature à fonder la nature contractuelle du présent litige. Tout d’abord, la disposition précitée n’est pas opposable aux requérantes, dont les droits de propriété sur le logiciel Systran, et notamment la version Systran Mainframe, ne reposent pas sur le protocole signé le 18 janvier 1985 par la Commission avec la société Gachot (voir point 10 ci-dessus). En effet, les droits de propriété du groupe Systran sur le logiciel Systran et sa version Systran Mainframe sont nés de la reprise du groupe WTC par la société Gachot à une date postérieure (voir point 11 ci-dessus et les documents présentés en annexe 5 à 7 à la réplique). Ensuite, si personne ne conteste que, au 18 janvier 1985, la société Gachot ne disposait pas du moindre droit de propriété sur le système Systran, il n’est pas davantage possible de déduire de la disposition précitée que la Commission peut, à compter de cette date et du fait de ce protocole, revendiquer la pleine et entière propriété du système Systran et de ses logiciels, en ce compris son noyau de base et ses codes sources. Une telle conclusion porte atteinte aux droits de propriété alors détenus par le groupe WTC sur le système Systran, et notamment la version Systran Mainframe, lesquels ne sont pas contestés par la Commission (voir point 3 ci-dessus), droits qui seront par la suite cédés à la société Gachot qui deviendra Systran. Enfin, il importe de relever, en toute hypothèse, que la présente affaire ne porte pas sur des droits détenus par le groupe Systran sur la version Systran Mainframe, une version devenue obsolète, mais sur des droits détenus par le groupe Systran sur la version Systran Unix qui a succédé à cette version et qui est écrite dans un langage différent pour fonctionner dans un nouvel environnement informatique.
90 Deuxièmement, la Commission invoque le paragraphe 6 de l’exposé préliminaire du contrat de collaboration signé entre la Commission et le groupe Systran (soit à l’époque la société WTC, la société Latsec, la société Systran Institut et la société Gachot), lequel indique que « [l]es améliorations et les développements apportés au système Systran par la Commission et ses contractants [mentionnés au paragraphe 3], spécialement les dictionnaires, sont la propriété exclusive de la Commission ». Cette disposition doit donc être lue en relation avec le paragraphe 3 dudit exposé, aux termes duquel :
« La maintenance et le développement ultérieur des systèmes ont été assurés par une autre série de contrats entre la Commission et des sociétés de service. Ces contrats visaient les besoins et les finalités propres à la Commission. »
91 Ces dispositions ne permettent pas non plus de fonder la nature contractuelle du présent litige. En effet, en vertu de ces deux paragraphes de l’exposé préliminaire, les améliorations et les développements apportés au système Systran par la Commission et ses contractants extérieurs avant la signature du contrat de collaboration le 4 août 1987, notamment en ce qui concerne les dictionnaires, sont la propriété exclusive de la Commission. Cette propriété exclusive n’est pas contestée par les requérantes, dont les écritures n’invoquent pas de droit de propriété sur les dictionnaires, sur les améliorations et sur les développements spécifiquement réalisés par ou pour le compte de la Commission afin de répondre à ses besoins terminologiques. Les droits invoqués par les requérantes reposent, quant à eux, sur le système de base, à savoir l’essentiel du noyau et des routines linguistiques, dont le groupe Systran est l’auteur et pour lequel il dispose du savoir-faire.
92 Par ailleurs, d’autres paragraphes du même exposé préliminaire permettent de préciser la relation entre la Commission et les sociétés du groupe Systran et d’apprécier les droits susceptibles d’être revendiqués par ce groupe sur le système Systran, à un moment où il n’existait encore que des versions compatibles avec l’environnement Mainframe. Ainsi, selon les termes de l’exposé préliminaire :
« 1. Le système Systran, conçu par la société WTC, est un système de traduction automatique, qui comprend un logiciel de base, des logiciels linguistiques et périphériques et différents dictionnaires bilingues.
2. Le 22 septembre 1975, la Commission a conclu avec la société WTC un contrat portant sur l’utilisation du système Systran par la Commission et sur le développement initial de ce système par WTC.
La Commission et la société WTC ont conclu ultérieurement d’autres contrats, visant, d’une part, l’amélioration du système existant et, d’autre part, le développement de systèmes pour de [nouvelles paires] de langues.
Ces contrats, conclus entre 1976 et 1985, avaient pour objet le développement, l’amélioration des logiciels de traduction et des dictionnaires de base pour les langues concernées.
[…]
5. Les parties constatent donc que la Commission dispose d’une licence d’utilisation du système de base et des améliorations […] apportées par WTC, limitée à l’utilisation au territoire des Communautés européennes dans les secteurs spécifiés dans le [paragraphe] 4 ci-dessus.
[…]
7. Les parties considèrent que leur intérêt et celui des utilisateurs de Systran est que ce système soit amélioré de façon permanente. Elles ont décidé de conclure le présent contrat de collaboration afin d’unir leurs efforts et de poursuivre ainsi l’amélioration.
Dans cet esprit, les parties se reconnaissent mutuellement un droit d’utilisation du système Systran, susceptible d’évoluer par la mise au point des perfectionnements qui seront réalisés grâce à l’utilisation du système tant dans le secteur privé que dans le secteur public. »
93 Il ressort de ces dispositions, qui envisagent la relation contractuelle existant à cette époque entre la Commission et le groupe Systran, d’une part, que le rôle du groupe Systran dans la création du système Systran et dans son développement initial et ultérieur pour la Commission est expressément reconnu et, d’autre part, que seuls des droits d’utilisation conférés par le groupe Systran à la Commission sont évoqués et non des droits de propriété, a fortiori exclusifs, sur l’intégralité de ce système. En toute hypothèse, aucune référence n’est faite dans ces dispositions à l’intervention d’un tiers pour procéder à des modifications sur ce système sans que celles-ci soient autorisées au préalable par le groupe Systran.
94 Enfin, tout comme pour l’article 4 du protocole d’accord de coopération technique, il importe de relever que la présente affaire ne porte pas sur des droits détenus par le groupe Systran sur la version Systran Mainframe, une version devenue obsolète, mais sur des droits détenus par ce groupe sur la version Systran Unix qui lui a succédé et qui est écrite dans un langage différent pour fonctionner dans un nouvel environnement informatique.
95 Troisièmement, la Commission invoque les paragraphes 1 et 2 de l’article 13 des contrats de migration, intitulé « Brevets, certificats d’utilité (modèles d’utilité), marques, dessins et modèles industriels, droits de propriété industrielle et intellectuelle », aux termes desquels le système de traduction automatique de la Commission resterait sa propriété. En l’espèce, il importe de relever que ces deux paragraphes se lisent comme suit dans le premier contrat de migration :
« 1. La Commission est immédiatement informée de tout résultat ou de tout brevet obtenu par le Contractant [à savoir Systran Luxembourg] en exécution du présent contrat ; ce résultat ou brevet appartient aux Communautés européennes qui peuvent en disposer librement, à l’exception des cas où des droits de propriété industrielle ou intellectuelle existent déjà.
2. Le système de traduction automatique de la Commission, y compris ses composants, même modifiés au cours de l’exécution du contrat, reste la propriété de la Commission, à l’exception des cas où des droits de propriété industrielle ou intellectuelle existent déjà. »
96 L’article 13, paragraphes 1 et 2, du premier contrat de migration réserve ainsi expressément la question des droits préexistants de propriété intellectuelle ou industrielle. La Commission ne peut donc invoquer cette disposition pour alléguer qu’il est manifeste que les requérantes ont renoncé à revendiquer leurs droits d’auteur et leur savoir-faire relatifs au système Systran. Ces droits, et tout spécialement ceux qui concernent la version Systran Unix du logiciel Systran, préexistent à la date de signature des contrats de migration, lesquels sont intervenus à un moment où la version EC-Systran Mainframe utilisée par la Commission devenait obsolète.
97 De plus, il ressort clairement de l’article 13 du premier contrat de migration – comme cela a été indiqué lors de l’audience par les requérantes – que le paragraphe 1 n’envisage que la partie dite « EC » de la mise au point de la version EC-Systran Unix du logiciel Systran, à savoir tous les résultats et brevets susceptibles d’être obtenus par Systran Luxembourg, le contractant en cause, dans le cadre de la mise en œuvre des contrats de migration. La propriété de tout ce qui préexiste à ces résultats et brevets éventuels, à savoir la version Systran Unix, dont la version EC-Systran Unix est dérivée, est écartée du champ contractuel. Ainsi, ces contrats ne remettent pas en cause les droits sur la partie du noyau de base de la version Systran Unix non modifiée dans la version EC-Systran Unix. Quant au paragraphe 2 de cette disposition, il envisage expressément le « système de traduction automatique de la Commission », à savoir la version EC-Systran Mainframe du logiciel Systran (voir la définition donnée à l’article 2 du premier contrat de migration, repris au point 27 ci-dessus), en réservant donc la question des droits détenus sur la version Systran Mainframe, l’une et l’autre de ces versions étant obsolètes du fait de la version Systran Unix.
98 Par ailleurs, il y a lieu de constater que Systran n’est pas signataire des contrats de migration et qu’elle ne saurait donc avoir concédé quoi que ce soit à la Commission en ce qui concerne les droits relatifs à la version Systran Unix du logiciel Systran, qu’elle a développé et qu’elle commercialise. En application du principe de l’effet relatif des contrats, qui peut être considéré comme un principe général commun aux droits des États membres en matière contractuelle, les contrats de migration ne sont donc pas opposables en tant que tels à Systran. À cet égard, à supposer même que Systran Luxembourg n’ait pas communiqué à la Commission pour le 15 mars 2002 la « preuve actualisée de tous les droits […] revendiqués pour le groupe Systran et lié au système de traduction automatique Systran » (voir ci-dessus point 30), cela ne peut avoir pour conséquence de priver Systran de la possibilité d’invoquer à l’encontre de la Commission les droits qu’elle détient du fait de l’acquisition des sociétés du groupe WTC ou, surtout, de la création et de la commercialisation de la version Systran Unix, connues de la Commission. Il importe également de relever que, ainsi que les requérantes ont pu le faire valoir lors de l’audience sans être contredites sur ce point par la Commission, Systran Luxembourg n’était pas à l’époque de la signature des contrats de migration une société pleinement intégrée au groupe Systran mais une entreprise commune réunissant à la fois les intérêts des entreprises qui travaillaient auparavant avec la Commission pour assurer la maintenance de la version EC-Systran Mainframe et les intérêts du groupe Systran au Luxembourg.
99 En dernier lieu, et en toute hypothèse, il est de principe en matière de propriété intellectuelle qu’une clause de cession de droits de propriété ne peut être présumée. Par principe, une telle clause ne peut être implicite, mais doit être expresse. En l’espèce, aucune disposition contractuelle relative à une cession des droits de propriété intellectuelle de Systran, voire même d’une entreprise du groupe Systran, susceptibles d’être invoqués à l’égard de la version Systran Unix du logiciel Systran ne ressort des documents communiqués par les parties au Tribunal.
100 Il ressort de ce qui précède qu’aucune des dispositions contractuelles citées par la Commission ne permet d’étayer la thèse selon laquelle le présent litige serait nécessairement de nature contractuelle. Ces dispositions contractuelles, qui renvoient à une période passée, voire dépassée pour ce qui est des contrats relatifs à la version Systran Mainframe, devenue obsolète dans les années 90 du fait de l’évolution de l’environnement informatique, ne permettent pas d’établir que la Commission a été ou est autorisée par le groupe Systran à divulguer à un tiers des informations susceptibles d’être protégées au titre des droits d’auteur et du savoir-faire invoqués en ce qui concerne la version Systran Unix du logiciel Systran, développée et commercialisée par ce groupe.
101 Eu égard à tout ce qui précède, il y a lieu de conclure qu’il ressort du contenu de la demande d’indemnité des requérantes et des principes généraux communs aux droits des États membres invoqués pour établir leurs droits sur la version Systran Unix du logiciel Systran et la nécessité d’obtenir l’accord préalable de son auteur avant d’en divulguer à un tiers le contenu qui serait repris dans la version dérivée EC-Systran Unix que celles-ci établissent à suffisance de droit et de fait les éléments nécessaires pour permettre au Tribunal d’exercer la compétence non contractuelle qui lui est conférée par le traité.
102 En outre, l’examen des différentes dispositions contractuelles invoquées par la Commission pour établir le fondement contractuel de la demande d’indemnité permet de constater l’absence d’une cession de droit d’auteur ou d’une autorisation de divulgation à un tiers des informations relatives à la version Systran Unix par le groupe Systran.
103 De cette appréciation d’ensemble, il ressort que le litige en cause est de nature non contractuelle. Il s’agit, en effet, d’apprécier le caractère prétendument fautif et dommageable de la divulgation par la Commission à un tiers d’informations protégées par un droit de propriété ou le savoir-faire sans l’autorisation expresse de leur titulaire au regard des principes généraux communs aux droits des États membres applicables en la matière et non de dispositions contractuelles prévues par des contrats conclus par le passé sur des questions qui ne concernaient pas le droit d’auteur et le savoir-faire détenus par Systran sur la version Systran Unix.
104 Les allégations de la Commission relatives à l’irrecevabilité du recours du fait de son prétendu fondement contractuel doivent donc être rejetées.
2. Sur l’absence de clarté de la requête
a) Arguments des parties
105 La Commission soutient que le recours est irrecevable en ce qu’il ne répond pas à la condition énoncée à l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure, aux termes duquel la requête doit comporter « l’objet du litige et l’exposé sommaire des moyens invoqués ». La requête ne donnerait pas de précisions quant aux dispositions légales qui auraient été violées par la Commission et fournirait peu de précisions sur les faits de contrefaçon et de divulgation de savoir-faire allégués par les requérantes.
106 Les requérantes relèvent, en substance, que la requête est suffisamment précise pour permettre à la Commission de préparer sa défense et au Tribunal de juger l’affaire.
b) Appréciation du Tribunal
107 En vertu de l’article 21, premier alinéa, du statut de la Cour de justice, applicable à la procédure devant le Tribunal en vertu de l’article 53, premier alinéa, du même statut, et de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure du Tribunal, toute requête doit indiquer l’objet du litige et contenir un exposé sommaire des moyens invoqués. Cette indication doit être suffisamment claire et précise pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal d’exercer son contrôle juridictionnel. Afin de garantir la sécurité juridique et une bonne administration de la justice, il est nécessaire que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels un recours se fonde ressortent, à tout le moins sommairement, mais d’une façon cohérente et compréhensible, du texte de la requête elle-même (ordonnances du Tribunal du 28 avril 1993, De Hoe/Commission, T‑85/92, Rec. p. II‑523, point 20, et du 11 juillet 2005, Internationaler Hilfsfonds/Commission, T‑294/04, Rec. p. II‑2719, point 23).
108 Pour satisfaire à ces exigences, une requête visant à la réparation de dommages causés par une institution doit notamment contenir les éléments qui permettent d’identifier le comportement que la requérante reproche à celle-ci (ordonnance Internationaler Hilfsfonds/Commission, point 107 supra, point 24).
109 En l’espèce, les requérantes indiquent, dans leur requête, que la Commission aurait divulgué illégalement le savoir-faire de Systran à un tiers, à la suite de l’attribution d’un appel d’offres, et qu’elle aurait à cette occasion réalisé un acte de contrefaçon en violation de ses droits d’auteur. Il s’agit des deux comportements illégaux et dommageables qui auraient été commis par la Commission (voir point 66 ci-dessus). Au vu de ces indications, la Commission a été en mesure de préparer sa défense.
110 Les allégations de la Commission relatives à l’irrecevabilité du recours du fait de l’absence de clarté de la requête doivent donc être rejetées.
3. Sur l’incompétence du Tribunal pour constater une contrefaçon dans le cadre d’un recours en responsabilité non contractuelle
a) Arguments des parties
111 La Commission soutient que le recours est irrecevable en ce que le Tribunal est incompétent pour statuer en matière de contrefaçon dans le cadre d’un recours en responsabilité non contractuelle, comme cela aurait été reconnu par l’ordonnance Document Security Systems, point 52 supra. À cet égard, la Commission relève que, à la différence de l’harmonisation communautaire globale intervenue en matière de droit des marques, le droit d’auteur n’a fait l’objet que d’une harmonisation partielle, laquelle concerne toutefois la protection des logiciels (directive 91/250). Il n’en demeurerait pas moins que, pour le droit d’auteur, tout comme pour le droit des brevets, l’action en contrefaçon ne figure pas parmi les voies de recours dont la compétence est attribuée aux juridictions communautaires. Il en serait de même en ce qui concerne le savoir-faire, qui ne ferait pas l’objet de la moindre harmonisation communautaire. La Commission rejette ici toute analogie avec la solution dégagée dans l’arrêt Adams/Commission, point 79 supra, au motif que les requérantes n’invoquent pas la violation de l’article 287 CE, mais ne font qu’invoquer une divulgation fautive de savoir-faire sans autre précision ni preuve. De plus, à la différence de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Adams/Commission, précité, les informations recueillies dans la présente affaire l’auraient été dans le cadre de relations contractuelles et non dans le cadre de la transmission de documents remis sous le sceau du secret.
112 Les requérantes font valoir que, compte tenu de l’harmonisation communautaire qui existe en ce qui concerne la protection d’un logiciel au titre du droit d’auteur (directive 91/250), le Tribunal est compétent pour apprécier la violation d’un droit d’auteur de logiciel par la Commission. Le présent recours ne saurait donc être subordonné à l’exercice d’une voie de recours nationale qui ne pourrait permettre, contrairement à l’affaire ayant donné lieu à l’ordonnance Document Security Systems, point 52 supra, relative à la protection des brevets, d’aboutir à la réparation du dommage. Il s’agirait d’assurer une protection juridictionnelle effective des requérantes. Pour ce qui est de la divulgation fautive de savoir-faire, les requérantes soulignent l’intérêt de l’arrêt Adams/Commission, point 79 supra, qui fait de l’obligation de confidentialité mise à la charge de la Commission et de son personnel par l’article 287 CE un principe général du droit.
b) Appréciation du Tribunal
113 La Commission se prévaut de l’ordonnance Document Security Systems, point 52 supra, pour soutenir que le Tribunal serait incompétent pour statuer en matière de contrefaçon dans le cadre d’un recours en indemnité.
114 Il convient toutefois de relever que, dans l’affaire ayant donné lieu à cette ordonnance, le Tribunal a distingué l’action en contrefaçon des brevets introduite par la requérante du recours en indemnité proprement dit. Dans ses conclusions, la requérante demandait en effet à ce qu’il plaise au Tribunal de juger que la Banque centrale européenne (BCE) avait violé les droits conférés par ledit brevet et de la condamner au paiement de dommages-intérêts pour la violation des droits conférés par le brevet litigieux (ordonnance Document Security Systems, point 52 supra, point 25). En réponse, le Tribunal a tout d’abord relevé qu’il ne disposait pas de la compétence pour connaître d’une action en contrefaçon de brevets (ordonnance Document Security Systems, point 52 supra, points 50 à 75). S’agissant du recours en indemnité proprement dit, le Tribunal a expressément indiqué qu’il était compétent pour statuer sur celui-ci en vertu des dispositions combinées de l’article 235 CE et de l’article 288, deuxième alinéa, CE (ordonnance Document Security Systems, point 52 supra, point 76). Ce recours en indemnité a toutefois été déclaré manifestement dépourvu de tout fondement en droit, dans la mesure où la requérante n’avait produit dans cette affaire aucun élément à même d’établir l’illégalité du comportement reproché à la défenderesse (ordonnance Document Security Systems, point 52 supra, points 80 à 82).
115 En l’espèce, il y a lieu de relever que la notion de contrefaçon du droit d’auteur est invoquée conjointement à celle de protection de la confidentialité du savoir-faire à seule fin de qualifier le comportement de la Commission d’illégal dans le cadre d’un recours en responsabilité non contractuelle. Cette appréciation du caractère illégal du comportement en cause s’effectue au regard de principes généraux communs aux droits des États membres et ne nécessite pas une décision préalable d’une autorité nationale compétente comme cela était le cas pour les différents brevets litigieux dans l’affaire ayant donné lieu à l’ordonnance Document Security Systems, point 52 supra. Ainsi, la BCE avait introduit des actions en nullité dans plusieurs États membres et certaines juridictions saisies s’étaient d’ailleurs prononcées sur ces actions en première instance et ces décisions – contradictoires d’une juridiction à l’autre – faisaient l’objet d’appels (ordonnance Document Security Systems, point 52 supra, points 21 à 24), ce qui n’est nullement le cas dans la présente affaire.
116 En conséquence, compte tenu de la compétence conférée au Tribunal par l’article 235 CE et l’article 288, deuxième alinéa, CE en matière de responsabilité non contractuelle et en l’absence de voie de recours nationale permettant d’aboutir à la réparation par la Commission du préjudice prétendument subi par les requérantes du fait de la contrefaçon alléguée, rien ne s’oppose à ce que la notion de contrefaçon utilisée par les requérantes puisse être prise en considération pour qualifier le comportement de la Commission d’illégal dans le cadre d’une demande d’indemnité.
117 La notion de contrefaçon utilisée par les requérantes dans le cadre du présent recours en indemnité s’interprète au regard des seuls principes généraux communs aux droits des États membres, lesquels sont, s’agissant des programmes d’ordinateur, repris ou posés par plusieurs directives d’harmonisation. Il y a donc lieu de rejeter les allégations de la Commission relatives à l’irrecevabilité du recours du fait de l’incompétence du Tribunal pour constater une contrefaçon au sens qui pourrait être donné à ce terme par une autorité nationale compétente d’un État membre en application du droit de cet État.
B – Sur les autres chefs de conclusions
118 La Commission fait valoir que plusieurs chefs de conclusions présentés par les requérantes sont irrecevables. Il s’agit des demandes visant à ce que le Tribunal ordonne la cessation immédiate par la Commission des faits de contrefaçon et de divulgation, la confiscation ou la destruction auprès de la Commission et de la société Gosselies de certaines données informatiques, et la publication aux frais de la Commission de la décision du Tribunal dans des journaux et revues spécialisés ainsi que sur des sites Internet spécialisés.
119 Sur ce point, la Commission se réfère à une jurisprudence bien établie selon laquelle, même dans le cadre du contentieux indemnitaire, le juge ne saurait, sans empiéter sur les prérogatives de l’autorité administrative, adresser des injonctions à une institution (voir arrêt du Tribunal du 10 mai 2006, Galileo International Technology e.a./Commission, T‑279/03, Rec. p. II‑1291, ci-après l’« arrêt Galileo », point 60, et la jurisprudence citée).
120 Il convient de rappeler que, aux termes de l’article 288, deuxième alinéa, CE, « [e]n matière de responsabilité non contractuelle, la Communauté doit réparer, conformément aux principes généraux communs aux droits des États membres, les dommages causés par ses institutions ou par ses agents dans l’exercice de leurs fonctions ». Cette disposition vise tant les conditions de la responsabilité non contractuelle que les modalités et l’étendue du droit à réparation. Par ailleurs, l’article 235 CE confère à la Cour la compétence pour connaître des litiges relatifs à la réparation des dommages visés à l’article 288, deuxième alinéa, CE.
121 Il découle de ces deux dispositions – qui, contrairement à l’article 40, premier alinéa, CA, lequel ne prévoyait qu’une réparation pécuniaire, n’excluent pas l’octroi d’une réparation en nature – que la Cour a compétence pour imposer à la Communauté toute forme de réparation qui est conforme aux principes généraux communs aux droits des États membres en matière de responsabilité non contractuelle, y compris, si elle apparaît conforme à ces principes, une réparation en nature, le cas échéant sous forme d’injonction de faire ou de ne pas faire (arrêt Galileo, point 119 supra, point 63).
122 En conséquence, la Communauté ne saurait être soustraite, par principe, à une mesure procédurale correspondante de la part de la Cour, dès lors que celle-ci a la compétence exclusive pour statuer sur les recours en réparation d’un dommage imputable à la Communauté (voir, à propos d’une mesure d’injonction en matière de marque, arrêt Galileo, point 119 supra, point 67).
123 Une réparation intégrale du préjudice prétendument causé en l’espèce requiert que le titulaire d’un droit d’auteur voie son droit rétabli dans un état intact, un tel rétablissement exigeant au minimum, indépendamment d’éventuels dommages-intérêts chiffrés, la cessation immédiate de l’atteinte portée à son droit. C’est précisément par l’injonction demandée en l’espèce que les requérantes tendent à obtenir la cessation de l’atteinte que la Commission a prétendument portée à leurs droits d’auteur (voir, en ce sens, arrêt Galileo, point 119 supra, point 71). La réparation intégrale du préjudice peut également prendre la forme de la confiscation ou de la destruction du résultat de la contrefaçon, ou de la publication aux frais de la Commission de la décision du Tribunal.
124 Par conséquent, les allégations de la Commission relatives à l’irrecevabilité des chefs de conclusions ne portant pas sur une demande d’indemnisation du préjudice allégué doivent être rejetées.
125 Il résulte de ce qui précède que l’ensemble des fins de non-recevoir opposées au présent recours doivent être rejetées.
II – Sur le fond
126 L’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté, au sens de l’article 288, deuxième alinéa, CE, est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’illégalité du comportement reproché à l’institution, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le préjudice invoqué (arrêts de la Cour du 29 septembre 1982, Oleifici Mediterranei/CEE, 26/81, Rec. p. 3057, point 16, et du 9 novembre 2006, Agraz e.a./Commission, C‑243/05 P, Rec. p. I‑10833, point 26).
A – Sur les droits invoqués par les requérantes et l’illégalité du comportement de la Commission
127 Le comportement illégal reproché à une institution doit consister en une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers (arrêt de la Cour du 4 juillet 2000, Bergaderm et Goupil/Commission C‑352/98 P, Rec. p. I‑5291, point 42). Lorsque l’institution en cause ne dispose que d’une marge d’appréciation considérablement réduite, voire inexistante, la simple infraction au droit communautaire peut suffire à établir l’existence d’une violation suffisamment caractérisée (arrêt Bergaderm et Goupil/Commission, précité, point 44).
128 En substance, les requérantes font valoir qu’il existe une similitude substantielle entre la version Systran Unix, développée par le groupe Systran depuis 1993, et la version EC-Systran Unix, développée par Systran Luxembourg pour répondre aux besoins de la Commission à compter du 22 décembre 1997. Cette grande similitude permettrait aux requérantes de s’opposer à la divulgation à un tiers sans leur accord du contenu de la version EC-Systran Unix du fait des droits d’auteur et du savoir-faire relatifs à la version Systran Unix. La mise en œuvre de l’appel d’offres litigieux entraînerait ainsi une violation des droits d’auteur et une divulgation fautive du savoir-faire du groupe Systran susceptibles d’engager la responsabilité non contractuelle de la Communauté.
129 La Commission conteste l’existence des droits revendiqués par le groupe Systran sur le logiciel Systran. Elle soutient qu’elle est titulaire des droits de propriété intellectuelle nécessaires aux actes qu’elle a accomplis et qu’il ne peut lui être reproché d’avoir réalisé un acte de contrefaçon ou de divulgation de savoir-faire constitutif d’une faute au sens de l’article 288, deuxième alinéa, CE.
1. Sur la comparaison des différentes versions du logiciel Systran
a) Arguments des parties
130 Les requérantes distinguent trois parties du logiciel Systran, qui interagissent les unes avec les autres, à savoir le noyau, les programmes linguistiques – également appelés « routines linguistiques » – et les dictionnaires. Dans ce contexte, les requérantes font valoir que la version Systran Unix est une œuvre primaire et que la version EC-Systran Unix est une œuvre dérivée de cette œuvre primaire. En effet, la comparaison de ces deux versions permettrait de constater leur quasi-identité, ou à tout le moins leur similitude substantielle. Il ne pourrait d’ailleurs en être autrement, puisque, pour réaliser la version EC-Systran Unix, à compter du 22 décembre 1997, Systran Luxembourg a repris la version Systran Unix, développée par Systran depuis 1993, pour y intégrer les dictionnaires de la version EC-Systran Mainframe.
131 La Commission reprend la présentation par les requérantes de la structure du logiciel Systran en rajoutant les utilitaires, lesquels rassemblent notamment les interfaces et les outils de gestion des dictionnaires. Elle précise que le noyau, les programmes linguistiques et les dictionnaires ont un code source qui doit être compilé en langage machine. Ainsi, après une intervention sur les programmes linguistiques, ces derniers ainsi que le noyau devraient être recompilés, mais le noyau ne serait toutefois pas modifié par cette opération. Selon la Commission, l’enrichissement des programmes linguistiques ne nécessite aucune modification du noyau, de la structure des données ou du matériel de conception préparatoire. Il impliquerait exclusivement une modification de la partie linguistique du code source. De même, l’encodage des dictionnaires ne demanderait aucune modification du noyau ou de la structure des données du système, de sorte que le code source et le matériel de conception préparatoire ne devraient pas être modifiés. Par ailleurs, les utilitaires seraient en général des scripts utilisables tels quels sans modification.
132 En réponse à l’argument pris de la quasi-identité des versions Systran Unix et EC-Systran Unix, la Commission fait valoir que la version EC-Systran Unix n’a pas été élaborée à partir de la version Systran Unix comme l’allèguent les requérantes, mais à partir de la version antérieure EC-Systran Mainframe. Le terme « migration » utilisé dans les contrats de migration conclus avec Systran Luxembourg signifierait ainsi que seul l’environnement informatique du logiciel change, tandis que ses structures logiques sont conservées. Le groupe Systran n’aurait donc pas fourni une « toute nouvelle version du système Systran pour Unix » comme le prétendent les requérantes. Dans ce contexte, la Commission souligne qu’elle dispose toujours des droits acquis en vertu des contrats relatifs à EC-Systran Mainframe.
133 À cet égard, la Commission fait valoir que les modifications apportées à la version Systran Mainframe créée par WTC dans la version EC-Systran Mainframe qu’elle utilise n’ont pas uniquement porté sur les dictionnaires, régulièrement enrichis par le personnel de la Commission, mais également sur le noyau et surtout sur les routines linguistiques. Selon la Commission, les routines linguistiques de la version Systran Mainframe, élaborée par WTC dans les années 70, auraient été embryonnaires et elle aurait investi de très nombreuses heures et des sommes importantes pour améliorer ces routines afin qu’elles répondent à ses exigences spécifiques dans la version EC-Systran Mainframe. La version EC-Systran Mainframe comprendrait également des routines linguistiques développées spécifiquement par et pour la Commission [voir note technique du 16 janvier 2008 de la direction générale de la traduction de la Commission (ci-après la « DGT »), relative aux « [l]iens de filiation entre EC-Systran Unix et EC-Systran Mainframe », ci-après la « première note de la DGT »].
134 La Commission relève également que, si la migration avait été effectuée par l’utilisation des programmes linguistiques de la version Systran Unix dans la version EC-Systran Unix, aucun résultat n’aurait pu être obtenu pour les paires de langue grec-français, anglais-grec, espagnol-français, français-allemand, espagnol-italien-néerlandais, puisque ces paires de langues n’existaient pas dans la version Systran Unix (voir rapport Atos du 4 mai 1998, « Faisabilité de la migration d’EC-Systran et de la fusion d’EC-Systran avec le système de Systran », ci-après le « rapport du 4 mai 1998 », p. 32). Par ailleurs, comme les codes des dictionnaires de la version EC-Systran Mainframe étaient largement incompatibles avec les programmes linguistiques de la version Systran Unix, les programmes linguistiques des autres paires de langues auraient aussi dû faire l’objet d’une migration pour répondre aux spécifications de la Commission. En conséquence, tous les programmes linguistiques de la version EC-Systran Mainframe auraient été convertis par Systran Luxembourg au moyen du programme de conversion Eurot et non remplacés par des éléments correspondants de la version Systran Unix. Dans tous les cas, les dictionnaires utilisés par la Commission nécessiteraient les programmes linguistiques associés et ils ne pourraient donc pas être réutilisés par une simple intégration dans la version Systran Unix.
135 Dans ce contexte, la Commission soutient que la version EC-Systran Unix a été développée par Systran Luxembourg sur la base de la migration du système EC-Systran Mainframe dont le noyau a été créé par WTC, mais dont de nombreux éléments avaient été modifiés à la demande de la Commission dans le cadre de différents contrats précisant que les développements effectués pour elle étaient sa propriété. La migration de la version EC-Systran Mainframe vers la version EC-Systran Unix impliquerait que cette dernière version ne serait pas qu’une simple version du logiciel Systran Unix.
136 Par ailleurs, s’agissant des différentes similitudes entre les versions Systran Unix et EC-Systran Unix qui ressortiraient de la comparaison effectuée dans le rapport de l’expert en informatique des requérantes, M. Bitan (ci-après le « rapport Bitan »), la Commission fait valoir que celles-ci ne prouveraient pas l’existence d’une faute ou d’une contrefaçon de sa part. De l’avis de la Commission, cette quasi-identité entre les deux versions en cause du logiciel Systran permet seulement de déduire, d’une part, que le groupe Systran a utilisé des éléments de son système préexistant et qu’il convient alors de se demander pourquoi il a fallu quatre ans de travail et plusieurs centaines de milliers d’euros pour arriver à une telle ressemblance et, d’autre part, qu’il est probable que le groupe Systran a utilisé les développements effectués pour le compte de la Commission en les intégrant dans son propre système commercialisé, alors que selon les différents contrats de migration conclus elle ne disposait pas de droits sur ces éléments. De ce fait, la comparaison effectuée serait viciée dès le départ, les versions à comparer n’étant pas celles que le groupe Systran possédait, mais celles que Systran a développées pour le compte de la Commission dans le cadre des contrats de migration. La Commission se réserve la possibilité de défendre ses droits à cet égard.
b) Appréciation du Tribunal
137 Pour établir l’illégalité du comportement de la Commission, les requérantes font valoir que la version Systran Unix est une œuvre primaire et que la version EC-Systran Unix, à propos de laquelle les actes de contrefaçon du droit d’auteur et de divulgation de savoir-faire seraient intervenus, est une œuvre dérivée de cette version du logiciel Systran. Cette démonstration repose principalement sur la comparaison du contenu des versions Systran Unix et EC-Systran Unix effectuée par M. Bitan, l’expert en informatique des requérantes, lequel est docteur en droit, ingénieur en télécommunications et en informatique, expert en informatique agréé par la Cour de cassation (France), expert près le tribunal administratif et la cour d’appel de Paris (France) et chargé d’enseignement à l’université Panthéon-Assas Paris-II.
138 L’examen des données présentées par les requérantes sur ce point, à propos desquelles la Commission a été mise en mesure de présenter ses observations, permet de procéder à trois séries de constatations factuelles.
139 En premier lieu, il convient de relever que les parties s’accordent pour relever que la structure du logiciel Systran, qu’il s’agisse de la version Systran Unix ou de la version EC-Systran Unix, peut être décomposée en plusieurs parties (voir rapport Bitan, note technique préparée par M. Bitan, ci-après la « première note technique Bitan », et deuxième note technique Bitan) :
– le noyau, la partie principale du logiciel, qui pilote l’ensemble du processus de traduction à l’aide des autres composantes du logiciel dont il contrôle l’action ; le noyau comprend le mécanisme de gestion du processus de traduction, des structures de données compatibles avec les routines linguistiques et les dictionnaires, ainsi que des modules mis en œuvre pendant le processus de traduction ; il intègre les algorithmes de gestion des dictionnaires, les algorithmes d’interprétation des « macros » utilisées dans les dictionnaires, les filtres pour les différents formats des documents et la segmentation en phrases ;
– les programmes linguistiques (également appelés « routines linguistiques ») qui consistent en une analyse, en plusieurs phases successives, des routines homographiques et lexicales, en un transfert de la langue source vers la langue cible et en une synthèse ; ces routines sont constituées d’un ensemble de règles linguistiques utilisées dans un ordre prédéfini pendant le processus de traduction ; elles ont pour rôle de modifier les informations contenues dans la zone d’analyse créée par le noyau lors du processus de traduction ;
– les dictionnaires, qui sont des bases de données utilisées par le noyau et les programmes linguistiques, et les utilitaires, qui rassemblent notamment les interfaces et les outils de gestion des dictionnaires ; les structures des données utilisées dans les dictionnaires ont été définies dans les règles de traduction ainsi que dans les manuels de codage.
140 Il importe également de relever que le processus de traduction piloté par le noyau se déroule en trois grandes étapes, à savoir le prétraitement, qui inclut le filtrage du document source à traduire, le découpage en phrases, les consultations des dictionnaires, les divers prétraitements linguistiques et la construction de la « zone d’analyse initiale » ; l’application des routines linguistiques sur la zone d’analyse organisée en phases (analyse, transfert et synthèse), et le post-traitement permettant la reconstruction des phrases et la restitution du document traduit en respectant son format d’origine.
141 Ces explications relatives à l’architecture et au fonctionnement du logiciel Systran concernent tant la version Systran Unix que la version EC-Systran Unix. Il en ressort que les différentes parties du logiciel, même si elles font partie d’un ensemble, n’en présentent pas moins un rôle particulier au sein de cet ensemble. Doivent notamment être soulignées la particularité et l’importance du noyau, qui prépare le texte source en le filtrant, en le segmentant en phrases, puis construit pour chaque phrase la zone d’analyse à partir d’informations du dictionnaire. C’est sur cette zone que vont opérer les routines linguistiques.
142 C’est au regard de cette structure du logiciel Systran, établie de manière probante par les requérantes et non contestée en tant que telle par la Commission, qu’il convient d’examiner les droits invoqués par les parties sur les différentes versions du logiciel Systran en cause en l’espèce.
143 En deuxième lieu, les données produites par les requérantes en ce qui concerne les résultats de la comparaison de la version Systran Unix avec la version EC-Systran Unix, lesquelles constituent les seules versions invoquées pour alléguer l’illégalité du comportement reproché à la Commission, permettent d’établir une similitude substantielle entre les deux versions du logiciel Systran.
144 En effet, les principales constatations effectuées dans le rapport Bitan pour étayer l’existence d’une certaine identité, ou à tout le moins une similitude substantielle, entre les versions Systran Unix et EC-Systran Unix du logiciel Systran sont les suivantes :
– en ce qui concerne les structures de données, au moins 72 % des structures de données de la version Systran Unix et de la version EC-Systran Unix sont identiques ou peu différentes (voir point 5 « Synthèse » et point 3.1 « Analyse comparative des descriptions des structures de données ») ;
– en ce qui concerne les manuels de codage, la majorité des codes présentés dans le manuel de codage de la version Systran Unix est reprise dans la version EC-Systran Unix (voir point 5 « Synthèse » et point 3.2 « Analyse comparative des manuels de codage ») ;
– en ce qui concerne les codes sources, la similitude entre les noyaux des deux versions du logiciel Systran, lesquels constituent la partie principale du logiciel, atteint 80 à 95 % ; d’autres similitudes existent au niveau des routines linguistiques, une grande partie des routines de la version Systran Unix se retrouvant dans la version EC-Systran Unix (voir point 5 « Synthèse » et point 4 « Analyse comparative des codes sources »).
145 Ces constatations factuelles ne sont pas contestées en tant que telles par la Commission, laquelle fait valoir, d’une part, que la version EC-Systran Unix est une œuvre dérivée de la version EC-Systran Mainframe et, d’autre part, que la version Systran Unix est une œuvre qui intégrerait des développements qui lui appartiendraient au titre de la version EC-Systran Mainframe, elle-même dérivée de Systran Mainframe, ou de la version EC-Systran Unix (voir points 132 à 136 ci-dessus et 150 à 157 ci-après).
146 Ainsi, lors de l’audience, la Commission a indiqué ne pas être en mesure de contredire M. Bitan, qui avait fait état des similitudes entre la version Systran Unix et la version EC-Systran Unix dans des documents annexés à la requête.
147 En conséquence, au vu des éléments produits par les requérantes et des observations présentées à ce propos lors de la procédure (voir points 137 à 146 ci-dessus), il y a lieu de considérer que les requérantes établissent de manière suffisamment probante qu’il existe en l’espèce une similitude substantielle entre les versions Systran Unix et EC-Systran Unix, et qu’elles peuvent ainsi se prévaloir des droits détenus par le groupe Systran sur la version Systran Unix, développée depuis 1993 par Systran, pour s’opposer à la divulgation à un tiers sans leur accord de la version dérivée EC-Systran Unix, adaptée par Systran Luxembourg à compter du 22 décembre 1997 pour répondre aux besoins de la Commission.
148 Cette conclusion ne remet pas en cause les droits que la Commission pourrait avoir sur la version dérivée EC-Systran Unix au titre des contrats de migration ou du fait d’avoir créé et développé des dictionnaires qui répondent à ses besoins linguistiques. Elle vise seulement à reconnaître le fait que les requérantes rapportent la preuve que certains éléments du logiciel Systran, notamment 80 à 95 % du noyau et une grande partie des routines linguistiques, ont été créés par Systran et se retrouvent dans la version Systran Unix commercialisée par cette entreprise sans que la moindre cession de propriété de ces éléments à la Commission résulte du dossier.
149 Il peut ainsi être considéré, comme l’indique d’ailleurs le rapport Bitan, que, pour réaliser la version EC-Systran Unix, Systran Luxembourg a repris une très grande partie de la version Systran Unix commercialisée par Systran et y a intégré les dictionnaires de la version EC-Systran Mainframe.
150 Pour contester cette conclusion, la Commission fait valoir que la version EC-Systran Unix ne serait en réalité que le résultat de la migration de la version antérieure EC-Systran Mainframe d’un environnement informatique vers un autre. Cet argument est développé par la Commission dans la première note de la DGT dont les conclusions sont en substance les suivantes :
– « [l]es rapports d’activités prouvent que EC-Systran Unix a été élaboré[e] à partir [d’]EC-Systran Mainframe [de sorte] que ce logiciel a été développé dès son tout début sur les fonds de la Commission » ;
– « [l]e système original [la version Systran Mainframe] conçu par WTC était relativement rudimentaire compte tenu du nombre extrêmement élevé de modules [et de] programmes que la Commission a dû faire développer par ses propres soins pour qu’il réponde à ses attentes de qualité » ;
– « [i]l était d’autant plus facile pour Systran […] de proposer à la Commission son système de base migré[, à savoir la version Systran Unix,] que ce système migré contenait déjà certains éléments spécifiques [d’]EC-Systran Mainframe issus de la collaboration et du développement antérieurs à 1993/1994, date à partir de laquelle Systran SI a entamé la migration [d’]EC-Systran Mainframe pour le compte de la Commission ».
151 Selon la Commission, compte tenu de la filiation alléguée entre les versions EC-Systran Mainframe et EC-Systran Unix, les droits acquis en vertu des contrats relatifs à EC-Systran Mainframe lui resteraient donc acquis. De plus, en ce qui concerne les similitudes observées par M. Bitan à propos des versions Systran Unix et EC-Systran Unix, la Commission soutient que celles-ci ne feraient qu’établir, en substance, qu’il serait probable que le groupe Systran a utilisé les développements effectués pour la Commission dans le cadre des versions EC-Systran Mainframe et EC-Systran Unix pour les intégrer dans la version Systran Unix.
152 Cette argumentation de la Commission revient à nier au groupe Systran le moindre droit sur le logiciel Systran, qu’il s’agisse de la version Systran Mainframe acquise auprès du groupe WTC et de son créateur ou de la version Systran Unix, développée et commercialisée par le groupe Systran plusieurs années avant que la version EC-Systran Unix ne soit établie par le groupe Systran pour répondre aux besoins de la Commission confrontée à l’obsolescence de la version EC-Systran Mainframe.
153 Ainsi qu’il a déjà été exposé lors de l’examen de la compétence du Tribunal pour connaître du présent recours (voir points 70 à 77 ci-dessus), l’argumentation de la Commission repose sur des allégations générales et insuffisamment précises au regard des caractéristiques du logiciel et des rapports d’expertises juridique et technique produits par les requérantes.
154 En effet, dans son argumentation, la Commission évoque, à titre principal, le rôle joué par ses services dans la mise au point des dictionnaires utilisés par la version EC-Systran Mainframe et la version EC-Systran Unix, lequel n’est pas contesté par les requérantes, et, dans une moindre mesure, l’incidence que ses services ont pu avoir sur la mise au point de certaines routines linguistiques de la version EC-Systran Unix. L’importance des travaux effectués par Systran en ce qui concerne le noyau et la majeure partie des routines linguistiques est occultée par la Commission, qui n’évoque jamais les droits susceptibles d’en être tirés par le groupe Systran. Or, comme il a été relevé au point 147 ci-dessus, les requérantes exposent de manière suffisamment probante à quel titre elles peuvent invoquer des droits sur la version EC-Systran Unix du fait du développement et de la commercialisation de la version antérieure Systran Unix.
155 En outre, la Commission n’a jamais été en mesure d’apporter, en dépit d’une demande expresse du Tribunal en ce sens, des preuves techniques à même d’établir en quoi le groupe Systran ne pourrait pas invoquer des droits d’auteur sur la version Systran Unix du logiciel Systran ou sur tel ou tel élément informatique qui en compose le programme ou en constitue le code source opérationnel (tout particulièrement sur les parties relatives au noyau de base et aux programmes linguistiques du logiciel). Lors de l’audience, la Commission a également reconnu ne pas être en mesure de fournir des éléments de preuve permettant d’identifier sur quels éléments de Systran Unix elle pourrait invoquer un droit de propriété du fait des contrats conclus avec le groupe Systran en ce qui concerne la version Systran Mainframe. L’argumentation de la Commission à cet égard (voir point 136 ci-dessus) ne peut donc être retenue par le Tribunal.
156 Par ailleurs, toujours lors de l’audience et à la suite du second avis Sirinelli et de la deuxième note technique Bitan, M. Bitan a relevé que, en toute hypothèse, les versions Systran Unix et Systran Mainframe sont totalement différentes du simple fait que le langage utilisé est différent. Outre le fait que la filiation revendiquée par la première note de la DGT ne permet pas d’établir en quoi les requérantes ne pourraient pas revendiquer des droits sur la version EC-Systran Mainframe au titre des droits détenus sur la version Systran Mainframe, question qui ne fait pas l’objet du présent recours, cette prétendue filiation est contredite par les différences significatives qui existent sur le plan informatique entre les versions du logiciel Systran qui fonctionnent dans l’environnement Mainframe, devenu obsolète au fil du temps, et les versions dudit logiciel adapté aux nouveaux environnements informatiques Unix et Windows, pour lesquels il ne peut être contesté que le groupe Systran est le créateur de la version originale, Systran Unix. Cette version est d’ailleurs bien antérieure à la version EC-Systran Unix mise au point par Systran Luxembourg pour les besoins de la Commission à compter du 22 décembre 1997, contrairement à ce qui pourrait être déduit de la première note de la DGT, laquelle fait erronément référence aux années « 1993/1994, date à partir de laquelle Systran [Software, Inc.] a entamé la migration [d’]EC-Systran Mainframe pour le compte de la Commission » (voir point 150 ci-dessus).
157 En conséquence, la conclusion exposée au point 147 ci-dessus n’est en rien remise en cause par l’argumentation de la Commission fondée sur la filiation de la version EC-Systran Unix par rapport à la version EC-Systran Mainframe ou les prétendus apports réalisés dans la version Systran Unix à la suite de la mise au point de la version EC-Systran Mainframe.
2. Sur l’illégalité du comportement de la Commission
158 Le comportement illégal reproché à la Commission consiste dans le fait de s’octroyer le droit de faire réaliser les travaux, mentionnés dans l’appel d’offres, qui seraient à même de modifier ou d’entraîner la divulgation des éléments de la version Systran Unix repris dans la version EC-Systran Unix du logiciel Systran, lesquels sont protégés par le droit d’auteur ou le savoir-faire du groupe Systran, sans que celui-ci ait cédé à la Commission la propriété de ces éléments par contrat ou lui ait accordé son autorisation pour procéder à de tels travaux.
a) Arguments des parties
Sur la contrefaçon du droit d’auteur
159 En ce qui concerne la contrefaçon du droit d’auteur, les requérantes font valoir que les identités ou similitudes répertoriées par le rapport Bitan portent sur des éléments protégés à ce titre, à savoir l’architecture et les codes sources du logiciel Systran. La version EC-Systran Unix serait ainsi une œuvre dérivée de la version Systran Unix, c’est-à-dire une œuvre dépendante du système Systran. Cela aurait pour conséquence que l’auteur de la première œuvre, le groupe Systran, pourrait s’opposer à toute modification de l’œuvre dérivée qu’il n’aurait pas autorisée. En confiant à un tiers des travaux destinés à modifier la version EC-Systran Unix réalisée par Systran Luxembourg, la Commission aurait donc commis un acte de contrefaçon, puisqu’elle n’avait pas le droit de modifier ce logiciel sans l’autorisation préalable du groupe Systran. Pour établir les principes généraux communs aux droits des États membres applicables en la matière, les requérantes soulignent que la contrefaçon est sanctionnée par tous les droits des États membres et reconnue comme un délit, un quasi-délit ou à tout le moins une faute susceptible d’entraîner la réparation des dommages causés par les institutions.
160 En effet, selon l’article 4 de la directive 91/250, que les États membres avaient l’obligation de transposer avant le 1er janvier 1993, l’auteur d’un logiciel se voit reconnaître « le droit de faire et d’autoriser : a) la reproduction permanente ou provisoire d’un programme d’ordinateur, en tout ou en partie, par quelque moyen que ce soit et sous quelque forme que ce soit […] b) la traduction, l’adaptation, l’arrangement et toute autre transformation d’un programme d’ordinateur et la reproduction du programme en résultant ». La réalisation de l’un de ces actes sans l’autorisation de l’auteur serait constitutive d’une contrefaçon du logiciel. Cette directive souligne également que les programmes d’ordinateur sont protégés par le droit d’auteur en tant qu’œuvre au sens de la convention de Berne. Le renvoi à la convention de Berne à laquelle était partie l’ensemble des quinze États membres à l’époque de l’adoption de la directive 91/250 permettrait ainsi de définir le droit d’auteur en faisant référence aux principes communs d’ores et déjà existants.
161 En droit français, droit applicable à Systran qui a développé et qui commercialise la version Systran Unix, la directive 91/250 a été transposée par la loi n° 94-361, du 10 mai 1994, portant mise en œuvre de la directive 91/250 et modifiant le code de la propriété intellectuelle (JORF du 11 mai 1994, p. 6863), codifiée dans le code de la propriété intellectuelle français. L’auteur d’un logiciel bénéficierait de droits d’auteur afférents à ce logiciel sous réserve de son originalité et pourrait protéger son logiciel dans le cadre de l’action en contrefaçon. L’article L 122-6 de ce code prévoit ainsi que « le droit d’exploitation appartenant à l’auteur d’un logiciel comprend le droit d’effectuer et d’autoriser[, premièrement,] la reproduction permanente ou provisoire d’un logiciel en tout ou partie par tout moyen et sous toute forme[,deuxièmement,] la traduction, l’adaptation, l’arrangement ou toute autre modification d’un logiciel et la reproduction du logiciel en résultant ». Dès lors, les actes soumis à l’autorisation de l’auteur du logiciel et effectués sans l’autorisation de ce dernier constituent une contrefaçon du logiciel. La directive 91/250 a également été transposée dans les autres États membres, comme le Luxembourg (loi du 18 avril 2001 sur les droits d’auteur, les droits voisins et les bases de données, Mémorial A 2001, p. 1042, ci-après la « loi luxembourgeoise sur les droits d’auteur », notamment article 3) et la Belgique (loi du 30 juin 1994 transposant en droit belge la directive européenne du 14 mai 1991 concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur, Moniteur belge du 27 juillet 1994, p. 19315, ci-après la « loi belge sur les programmes d’ordinateur »).
162 En réponse à l’argument pris de la nécessité de démontrer que le groupe Systran est titulaire des droits invoqués, les requérantes relèvent que la Commission exige une telle preuve, en dépit des nombreux contrats qu’elle a pu conclure dans lesquels il est rappelé que les sociétés du groupe Systran sont les seules titulaires de ces droits, et malgré les principes généraux communs aux droits des États membres applicables en la matière – lesquels sont rappelés dans les avis du professeur Sirinelli, intitulés « Analyse des conditions relatives à la recevabilité d’une action en contrefaçon d’une personne morale » (ci-après le « premier avis Sirinelli ») et « Accès à la protection par le droit d’auteur d’un logiciel réécrit » (second avis Sirinelli) –, notamment quant à la théorie de l’apparence qui permet au titulaire apparent d’ester en justice sans que le contrefacteur puisse imposer que soit produite la chaîne des contrats de cession, ou invoquer une irrecevabilité fondée sur un quelconque doute quant au titulaire des droits. Ce serait donc de mauvaise foi que la Commission exigerait la preuve de la propriété des logiciels pour échapper à une condamnation pour contrefaçon.
163 Ce serait par ailleurs un argument couramment avancé par les contrefacteurs, repris en l’occurrence par la Commission, laquelle tenterait de s’exonérer de sa responsabilité, en prétendant que le groupe Systran ne rapporterait pas la preuve de sa qualité de titulaire de droits sur la version Systran Unix du logiciel Systran et la version EC-Systran Unix qui en serait dérivée. Or, en droit français, applicable à Systran, et en droit belge, invoqué par la Commission, la défense des droits d’auteur reposerait sur une présomption de qualité de titulaire qui suppose que la personne qui exploite une œuvre est présumée être titulaire de l’œuvre. En la matière, la jurisprudence française déduit de cette présomption que la personne morale qui agit en contrefaçon est, en pratique, dispensée de fournir la chaîne complète des contrats de cession depuis l’auteur, personne physique, titulaire initial du droit, jusqu’au dernier titulaire, tandis que le contrefacteur ne peut en rien se prévaloir en défense d’une éventuelle absence de production de la chaîne des contrats de cession. Une solution très voisine serait retenue par le droit belge qui considère que le bénéfice de la présomption posée par l’article 6, deuxième alinéa, de la loi du 30 juin 1994 relative au droit d’auteur et aux droits voisins (Moniteur belge du 27 juillet 1994, p. 19297, ci-après la « loi belge relative au droit d’auteur »), selon lequel « est présumé auteur, sauf preuve contraire, quiconque apparaît comme tel sur l’œuvre, du fait de la mention de son nom ou d’un sigle permettant de l’identifier », peut être revendiqué par une personne morale dont le nom a été apposé sur l’œuvre. Le droit communautaire pose la même présomption. En effet, l’article 5 de la directive 2004/48, intitulé « Présomption de la qualité d’auteur ou de titulaire du droit », indique :
« Aux fins de l’application des mesures, procédures et réparations prévues dans la présente directive,
a) pour que l’auteur d’une œuvre littéraire ou artistique soit, jusqu’à preuve du contraire, considéré comme tel et admis en conséquence à exercer des poursuites contre les contrefacteurs, il suffit que son nom soit indiqué sur l’œuvre de la manière usuelle ;
b) [la disposition sous] a) s’applique mutatis mutandis aux titulaires de droits voisins du droit d’auteur en ce qui concerne leur objet protégé. »
164 L’action de Systran pourrait donc bien être intentée, sauf à ce que la Commission rapporte la preuve de l’absence de sa qualité de titulaire. Or, la Commission se serait jusqu’à présent limitée à tenter de renverser la charge de la preuve sur les requérantes, et il serait d’ores et déjà possible d’affirmer que la Commission ne rapportera pas cette preuve, puisque Systran est exploitant non contesté de l’œuvre en cause et que la Commission l’a toujours reconnu comme tel. La personne morale qui exploite une œuvre est ainsi présumée être titulaire des droits, ce qui lui permet d’agir au fond contre les tiers contrefacteurs. Cette présomption s’applique quels que soient la nature de l’œuvre en cause ou le nombre de créateurs concernés. Seuls importent les actes d’exploitation accomplis par le demandeur dès lors qu’ils n’ont pas été contestés par le ou les auteurs. Le professeur Sirinelli précise qu’il existe une « véritable règle de fond selon laquelle celui qui exploite une œuvre mérite protection du seul fait de cette exploitation ». Or, la possession de la version Systran Unix du logiciel Systran par Systran ne fait pas de doute : Systran a octroyé des licences de cette version du logiciel Systran Unix aux principaux portails Internet et la commercialise auprès de nombreuses entreprises multinationales, de grands magasins et dans des catalogues de vente par correspondance. Systran est également titulaire des marques SYSTRAN et des noms de domaine « systran » qu’elle exploite partout dans le monde. De nombreux articles ou publicités attesteraient également de la possession publiquement affirmée et démontrée par le groupe Systran. Les requérantes invoquent en particulier la remise à Systran du « European IST Prize » à La Haye (Pays-Bas) en 2005 par le membre de la Commission chargé de la société de l’information. Le groupe Systran, qui se comporte comme possesseur à la fois de l’œuvre et de son nom, serait donc fondé à poursuivre le contrefacteur devant le Tribunal. De plus, le logiciel utilisé par la Commission est identifié sous la dénomination « EC-Systran Unix », ce qui permet d’établir le rôle joué par Systran à son égard.
165 Nonobstant les arguments précédents et afin de dissiper tout doute éventuel, les requérantes entendent démontrer, à titre superfétatoire, que le groupe Systran est le titulaire incontestable des droits de propriété intellectuelle sur les versions Systran Mainframe et Systran Unix du logiciel Systran, et est reconnu historiquement comme tel par la Commission.
166 S’agissant de la version Systran Mainframe, les requérantes soutiennent que le groupe Systran est titulaire des droits sur cette version parce qu’elle les a acquis de la société Gachot, laquelle venait aux droits de M. Toma, l’inventeur et l’auteur du logiciel initial, et des sociétés qui exploitaient ledit logiciel. De plus, Systran serait de façon incontestable titulaire de droits de propriété intellectuelle sur toutes les versions du logiciel Systran Mainframe, en ce compris EC-Systran Mainframe. En effet, la cession et la transmission des droits de propriété intellectuelle ne pourraient se faire que par écrit et, en cas de doute, s’interpréteraient toujours en faveur de l’auteur par application du principe de l’interprétation restrictive. Or, s’il était démontré que Systran avait acquis les droits de l’auteur même du logiciel, M. Toma, elle ne les aurait jamais cédés à la Commission, nonobstant les contrats dont cette dernière se prévaut dans le seul but d’essayer de ne pas apparaître comme contrefacteur. Les requérantes ne comprennent pas à quelles fins la Commission se prévaut de contrats portant sur l’utilisation du logiciel, conclus avec des sociétés tierces, lesquels ne sont pas opposables à Systran et ne peuvent par conséquent emporter une quelconque cession de droits de propriété intellectuelle au profit de la Commission. Pour ce qui est des contrats conclus avec Systran, ou avec les sociétés aux droits desquels elle vient, il s’agirait uniquement de contrats de licence d’utilisation ou de prestation de services. Aucun n’implique la cession, le transfert ou la transmission des droits de propriété intellectuelle au profit de la Commission.
167 Par exemple, le contrat initial ne conférerait à la Commission qu’un droit d’usage (article 4) tant pour le système existant que pour les éventuels nouveaux développements. En effet, selon le droit luxembourgeois applicable à ce contrat, conforme en cela aux droits français et belge, la cession et la transmission des droits patrimoniaux se prouvent, à l’égard de l’auteur, par écrit et s’interprètent restrictivement en sa faveur. Or, ce contrat ne contiendrait aucune clause qui puisse, de près ou de loin, être interprétée comme une cession de droits. Par conséquent, il ne conférerait à la Commission aucun droit de propriété intellectuelle sur le logiciel Systran, y compris dans sa version EC-Systran Mainframe à l’exception des dictionnaires développés par la Commission.
168 De même, le contrat de collaboration ne prévoirait aucune cession de droits de propriété intellectuelle au profit de la Commission. Ce contrat paraîtrait revêtir une importance particulière pour celle-ci bien qu’elle l’ait elle-même résilié en 1991. Contrairement à ce que soutient la Commission qui y voit l’origine de ses prétendus droits de propriété intellectuelle sur le logiciel Systran Mainframe, ce contrat stipulerait que la Commission bénéficie d’une licence d’utilisation et, loin de transférer quelque droit que ce soit, il préciserait que les droits de chacun à la date de signature des contrats sont préservés et sauvegardés. L’exposé préliminaire de ce contrat de collaboration indique en effet :
« 2. Le 22 septembre 1975, la Commission a conclu avec la société WTC un contrat portant sur l’utilisation du système Systran par la Commission et sur le développement initial de ce système par WTC.
[…]
5. Les parties constatent donc que la Commission dispose d’une licence d’utilisation du système de base […] »
169 L’article 4 du contrat de collaboration rappellerait également que les droits de chaque partie à la date de la signature sont sauvegardés. Or, la Commission n’en aurait pas sur le logiciel Systran Mainframe. La Commission ne peut ainsi se prévaloir d’une quelconque cession de droits de propriété intellectuelle sur le logiciel Systran Mainframe à son profit, même si lui sont reconnus des droits sur les dictionnaires qu’elle a développés (paragraphe 6 de l’exposé préliminaire du contrat de collaboration). Ces droits ne porteraient en rien atteinte à la qualité d’auteur de Systran, ni aux droits qu’elle a sur le logiciel Systran Mainframe (ou la version EC-Systran Mainframe) et en particulier sur le noyau de celui-ci. L’annexe I du contrat de collaboration reconnaîtrait expressément la qualité d’auteur de WTC, Gachot et Systran. Au terme de ce contrat, comme d’ailleurs de la plupart des contrats, la Commission se verrait concéder le droit d’utiliser et de sous-licencier, uniquement sur le territoire communautaire, le logiciel dans sa version la plus évoluée (voir article 5 du contrat de collaboration qui mentionne expressément que la Commission dispose du « droit d’utiliser »). C’est en vain que la Commission invoquerait la clause de résiliation du contrat de collaboration. Là encore, même par application des principes généraux du droit des obligations applicables dans toute la Communauté, les clauses contractuelles ne pourraient être interprétées au-delà de ce qu’elles stipulent. L’économie de la clause en cause serait claire : pendant trois ans, le droit d’utilisation serait garanti tel que visé à l’article 5. Durant ces trois ans, des développements et/ou des améliorations pourraient ainsi être apportés par la Commission (article 4 du contrat de collaboration). À l’issue de ces trois ans, la Commission pourrait utiliser le logiciel EC-Systran Mainframe dans l’état qu’il aurait atteint à cette date. La Commission ne saurait dès lors à l’issue de ce délai disposer que d’un droit d’utilisation. Au surplus, l’interprétation restrictive des transferts de droits patrimoniaux, également de droit en Belgique, permettrait d’affirmer que la Commission n’a acquis aucun droit de propriété intellectuelle sur le logiciel Systran Mainframe au terme du contrat de collaboration.
170 Ainsi, aucune cession de droits de propriété intellectuelle, ni sur le logiciel Systran Mainframe, ni sur l’idée et l’écriture originales sur lesquelles il repose, ni sur le matériel de conception préparatoire, ni sur la structure des données, et encore moins sur le noyau, n’aurait été réalisée au profit de la Commission. Les requérantes précisent que les arguments ci-dessus exposés, tendant à établir que Systran est titulaire des droits de propriété intellectuelle sur la version Systran Mainframe du logiciel Systran, n’ont d’autre but que de répondre à l’argumentation de la Commission qui est dénuée de toute pertinence quant à l’issue du litige, puisque la contrefaçon porte sur la version Systran Unix et non sur la version Systran Mainframe.
171 En ce qui concerne la version Systran Unix, les requérantes soutiennent que la Commission ne pourrait pas revendiquer le moindre droit de propriété intellectuelle sur cette version du logiciel Systran. En effet, la version Systran Unix a été créée, à la demande de Systran, par sa filiale à 100 %, Systran Software (réponse de Systran à l’appel d’offres). La version Systran Unix serait une nouvelle version du logiciel Systran, différente de la version Systran Mainframe qui était devenue obsolète. Le groupe Systran serait seul titulaire des droits sur la version Systran Mainframe et sur le noyau de celui-ci et il disposerait, en qualité de promoteur de la version Systran Unix, de la pleine et entière possession de ce nouveau logiciel et de son noyau ainsi que cela a été démontré par le professeur Sirinelli.
172 Ce n’est qu’après la création et la commercialisation du nouveau logiciel Systran Unix que les contrats de migration auraient été conclus par Systran Luxembourg avec la Commission. Ces contrats prévoiraient le remplacement de la version EC-Systran Mainframe par la version Systran Unix, dont l’originalité et la nouveauté auraient été démontrées, et la migration des dictionnaires de la Commission pour leur permettre de fonctionner avec cette nouvelle version. Cela résulterait d’ailleurs du rapport Bitan, puisque la version EC-Systran Unix aurait le même noyau que le logiciel Systran Unix, les deux noyaux étant similaires à 85 %. Contrairement à ce qu’affirme la Commission, la version EC-Systran Unix ne serait donc qu’une simple version du logiciel Systran Unix incluant les dictionnaires développés par la Commission, ayant fait l’objet d’une migration dans le cadre des contrats de migration, et non le résultat d’une migration du logiciel EC-Systran Mainframe devenu obsolète. Ainsi et quand bien même la Commission aurait des droits sur les dictionnaires qu’elle a développés, elle ne disposerait d’aucun droit sur le logiciel Systran Unix, préexistant aux contrats de migration.
173 De surcroît, ces contrats, pas plus que les précédents, n’entraîneraient une quelconque transmission des droits de propriété intellectuelle du logiciel Systran Unix au profit de la Commission. Ils auraient d’ailleurs été conclus avec Systran Luxembourg, qui ne disposerait d’aucun droit sur le logiciel Systran Unix, et non avec Systran, seule titulaire de ces droits. Au surplus, ils prévoiraient expressément la sauvegarde des droits de propriété intellectuelle préexistants, en ce compris à l’évidence les droits d’auteur de Systran sur le logiciel Systran Unix. Quand bien même la thèse de la Commission relative à la migration de la version EC-Systran Mainframe devrait être suivie, celle-ci bénéficierait d’un droit dérivé qui, en aucun cas, ne lui permettrait de modifier le logiciel EC-Systran Unix sans l’autorisation de Systran. Ainsi, même dans cette hypothèse, la Commission aurait commis une contrefaçon en réalisant ou en faisant réaliser les travaux prévus par l’appel d’offres.
174 Les requérantes s’estiment surprises et choquées par la position de la Commission, tout d’abord, parce que les institutions ont fait de la lutte contre la contrefaçon leur cheval de bataille et une priorité, mettant en œuvre toutes sortes d’initiatives, de mesures et de réglementations permettant de lutter efficacement contre ce fléau, et, ensuite, dans le cas d’espèce, parce que la Commission a toujours parfaitement su que le groupe Systran était indiscutablement titulaire des droits sur les logiciels Systran, et en particulier sur le logiciel Systran Unix. Elle a ainsi conclu de nombreux contrats de licences qui démontrent qu’elle était convaincue de la qualité de titulaire des droits de Systran. Elle a en outre toujours été informée de la qualité de Systran de titulaire des droits de propriété intellectuelle tant sur le logiciel Systran Mainframe que sur le logiciel Systran Unix, et de la préexistence de ce dernier ainsi que cela ressortirait :
– de l’échange de lettres des 27 janvier et 5 février 1987 entre le directeur de la DG « Télécommunications, industrie de l’information et innovation » et M. Gachot ;
– du rapport du 4 mai 1998 qui souligne le caractère innovant du logiciel Systran Unix développé par Systran ; en ce qui concerne plus particulièrement le noyau, le rapport du 4 mai 1998 precise que « [l]es programmes du système ont tous été recréés ou réécrits en langage C » ;
– de la réponse à l’appel d’offres lancé par la Commission en 1997 en vue de la conclusion des contrats de migration qui démontre que celle-ci était parfaitement informée de l’origine des droits de Systran, qu’elle n’a pas contestés à l’époque, et de l’antériorité de Systran Unix.
175 Par ailleurs, la Commission aurait reconnu à plusieurs reprises la propriété de Systran tant sur la version Systran Mainframe que sur la version Systran Unix, ainsi que la préexistence de celle-ci sur la version EC-Systran Unix, comme cela ressortirait :
– de la télécopie adressée à la société Gachot le 5 mars 1987 dans laquelle la Commission écrit :
« Le [g]roupe Systran est propriétaire des logiciels de base, et des droits d’utilisation de la Commission relatifs à ses neuf [paires] de langues ne s’étendent qu’aux institutions communautaires et aux organismes officiels des États membres. Par contre, la Commission est propriétaire des lexiques qu’elle a mis au point depuis 1975 » ;
– du rapport de M. Carpentier à la commission consultative des achats et marchés ;
– du rapport de M. J. Beaven, qui prouve que le logiciel Systran Unix est préexistant à la version EC-Systran Unix et que c’est pour bénéficier des innovations apportées par le logiciel Systran Unix, et pour sortir de la situation d’obsolescence dans laquelle elle se trouvait, que la Commission a souhaité renouer les relations commerciales avec Systran ;
– de l’annexe technique de l’annexe II des deuxième, troisième et quatrième contrats de migration qui établit l’approche générale de la migration, et qui atteste que la Commission savait que le logiciel Systran Unix était préexistant et que c’était ce logiciel qui avait permis d’élaborer la version EC-Systran Unix ;
– de la transaction avec Systran conclue par la Commission sur laquelle il convient d’insister : premièrement, la Commission, en violation du contrat initial, puisqu’elle n’avait versé aucune redevance à Systran comme elle en avait pourtant l’obligation, avait estimé nécessaire de se rapprocher de Systran et avait conclu avec celle-ci une transaction matérialisée par un échange de lettres en date des 19 et 22 décembre 1997 dans lesquelles le directeur général de la DGT précise qu’il s’agit de « valoriser au maximum le travail investi depuis 20 ans par la Commission dans l’élaboration de dictionnaires spécialement adaptés à la langue administrative et technique des documents de la Commission » ; ce travail accompli au cours des 20 années précédentes serait le seul pouvant être revendiqué, ses droits sur le logiciel Systran Mainframe lui-même étant inexistants ; deuxièmement, le directeur général de la DGT sollicite de Systran qu’elle s’engage « à ne former aucune revendication pécuniaire découlant de l’exécution des contrats conclus entre le groupe Systran et la Commission » ; or, précisément, les revendications pécuniaires de Systran consistaient à l’époque en des redevances dues au titre de son droit d’auteur sur les versions Systran Mainframe ; troisièmement, le directeur général de la DGT a même demandé l’autorisation d’utiliser le nom Systran, reconnaissant ainsi la qualité d’auteur de Systran ; Systran a donné son accord à la Commission pour l’utilisation du nom Systran pour le « système de traduction automatique dérivant du système Systran d’origine », a confirmé son accord pour que la Commission utilise son logiciel, a renoncé aux demandes pécuniaires relatives aux violations des anciens contrats et a précisé :
« [N]ous ne sommes pas opposés au principe de la publication de certaines parties des dictionnaires de la version Systran utilisée par la Commission. Néanmoins, il faudrait veiller à ce que des éléments propriétaires du système Systran ne soient pas diffusés dans le public. »
176 Les requérantes font donc valoir que la Commission ne peut pas feindre aujourd’hui de ne pas connaître l’étendue de leurs droits et qu’elle sait pertinemment qu’elle n’a jamais été autorisée à modifier le logiciel Systran Unix, et en particulier son noyau. Or, toute modification effectuée sans autorisation est une contrefaçon, puisque la règle en la matière est l’interdit et non l’inverse.
177 La Commission souligne que la protection des logiciels est assurée dans l’ensemble des États membres par les législations sur le droit d’auteur. Elle évoque la situation en Belgique, où il s’agit de la loi belge sur les programmes d’ordinateur et de la loi belge sur le droit d’auteur, ainsi qu’au Luxembourg, où il s’agit de la loi du 24 avril 1995 modifiant la loi du 29 mars 1972 sur le droit d’auteur en ce qui concerne la protection juridique des programmes d’ordinateur (Mémorial A 1995, p. 944, ci-après la « loi luxembourgeoise sur les programmes d’ordinateur »), de la loi du 8 septembre 1997 portant modification de la loi modifiée du 29 mars 1972 sur le droit d’auteur (Mémorial A 1997, p. 2662) et de la loi luxembourgeoise sur les droits d’auteur.
178 En premier lieu, la Commission fait valoir qu’il n’existe aucune preuve des droits invoqués par Systran sur le logiciel Systran. En l’espèce, les requérantes resteraient en défaut d’expliquer de quelle façon elles auraient acquis les droits dont elles se prétendent titulaires.
179 S’agissant des versions Systran Mainframe et EC-Systran Mainframe, la Commission relève que les requérantes soutiennent que l’auteur du logiciel Systran est clairement identifié dans le contrat initial comme étant WTC ; qu’elles allèguent que, à la fin des années 80, dans le cadre d’un apport partiel d’actif, Systran s’est vu apporter les actifs relatifs à la branche complète d’activité « Traduction automatique » de la société Gachot, laquelle venait elle-même aux droits des sociétés WTC, Latsec, Systran USA et Systran Institut (Allemagne), qui ont conçu le système de traduction automatique Systran encore désigné « logiciel Systran » ou « système Systran », et qu’elles soutiennent que l’ensemble des contrats conclus avec la Commission entre 1975 et 1987 ont de jure été repris et poursuivis par Systran. Or, en dépit de ces affirmations et des demandes précises de la Commission (voir lettres adressées à Systran les 15 février et 28 avril 2005 pour lui demander d’identifier les bases juridiques et contractuelles de ses revendications, les requérantes et surtout Systran Luxembourg resteraient en défaut d’apporter la moindre preuve (convention de cession de droits, etc.) qu’elles seraient bien devenues titulaires des droits dont elles invoqueraient la violation et ne préciseraient pas davantage pour quels territoires et quelle durée ces droits seraient détenus. L’article 5, sous c), du contrat initial conclu avec WTC prévoirait qu’aucun transfert de droits ou d’obligations découlant du contrat ne pourrait avoir lieu sans le consentement préalable de la Commission. La Commission se prévaut de cette disposition pour faire valoir qu’elle n’a jamais reçu la notification préalable de l’apport ou de la cession invoquée par les requérantes et qu’elle n’a donc jamais consenti à la cession de WTC aux requérantes.
180 En ce qui concerne la présomption selon laquelle la qualité d’auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom duquel l’œuvre est divulguée, la Commission conteste l’application du droit français à cet égard. Cette présomption, consacrée par la loi n° 94-361 en France, ne serait pas applicable en l’espèce et serait critiquée par les doctrines belge et française. La Commission souligne également que cette présomption ne vaut que jusqu’à preuve du contraire et qu’il serait évident qu’elle renverse cette présomption en ce qui concerne la version EC-Systran Unix du fait que cette version n’est pas commercialisée dans un emballage reprenant le nom de l’auteur et que ladite version est parfois dénommée « Commission’s MT system » ou « ECMT ».
181 En deuxième lieu, la Commission soutient que les relations contractuelles intervenues entre les parties devraient être analysées comme une succession de « contrats de commande » destinés à lui conférer la propriété des versions EC-Systran Mainframe et EC-Systran Unix sans que le groupe Systran puisse faire valoir de droits à cet égard. Dans les différents contrats conclus entre les parties depuis 1975, les sociétés du groupe Systran se seraient généralement engagées à créer pour la Commission tout ou partie des éléments du programme EC-Systran répondant aux besoins spécifiques générés par l’activité de la Commission, qu’il s’agisse de la version EC-Systran Mainframe ou de la version EC-Systran Unix. À cet égard, Systran resterait en défaut de démontrer qu’elle a acquis les droits sur les programmes ainsi développés pour la Commission. Ces programmes auraient par la nature des choses été créés et développés par des personnes physiques. Pour que Systran puisse prétendre en détenir les droits, elle devrait établir qu’elle les a acquis de ces créateurs. La Commission indique sur ce point qu’il ressort de la législation belge, qu’invoquerait Systran, qu’un programme d’ordinateur n’est acquis de son auteur, même s’il est le donneur d’ordre, que si cette cession a fait l’objet d’un écrit. Il en serait de même d’ailleurs dans la loi luxembourgeoise sur les droits d’auteur. La loi belge sur les programmes d’ordinateur ne contiendrait en effet qu’une seule disposition qui permettrait de déroger au régime général établi par l’article 3 de la loi belge sur le droit d’auteur (qui exige un écrit du créateur comme la loi luxembourgeoise). Cette exception viserait le cas où le programme a été créé par un employé ou un agent statutaire. Une présomption de cession des droits patrimoniaux en faveur de l’employeur sauf convention contractuelle ou statutaire contraire serait alors prévue. Hormis ce cas, qui ne serait pas établi par les requérantes, le « contrat de commande » par lequel une personne chargerait une autre personne, qui ne lui serait pas subordonnée, de la création de tout ou partie d’un programme d’ordinateur resterait dès lors soumis aux règles précitées de la loi belge sur le droit d’auteur. En outre, la Commission relève que, en droit belge, les requérantes, personnes morales, ne peuvent être considérées comme auteurs. En effet, le titulaire initial du droit d’auteur est la personne physique qui a créé l’œuvre et le droit d’auteur ne pourrait naître en Belgique qu’au bénéfice d’une personne physique. S’appuyant sur la jurisprudence belge, la Commission souligne que les personnes morales doivent établir de quelles personnes et de quelle manière elles ont obtenu les droits (arrêt de la cour d’appel de Gand du 27 octobre 1993, Ing. Cons., 1993, p. 366). La Commission allègue que les requérantes n’exposent pas en quoi elles peuvent, en tant que personnes morales, revendiquer des droits sur la version Systran Unix ou sur la version EC-Systran Unix qui en serait dérivée.
182 À titre subsidiaire, même s’il devait être admis que les requérantes sont titulaires de certains droits sur le logiciel Systran, la Commission affirme en tout état de cause qu’elle est également titulaire des droits de propriété intellectuelle nécessaires aux actes qu’elle a accomplis en confiant certains travaux relatifs à la version EC-Systran Mainframe à un tiers. Elle se réfère sur ce point au contenu du contrat initial, au protocole d’accord de coopération technique, au contrat de collaboration, qui concernent la version EC-Systran Mainframe, et aux contrats de migration conclus avec Systran Luxembourg de 1998 à 2002 à propos de la version EC-Systran Unix. Ces contrats permettraient à la Commission de contester l’affirmation des requérantes selon laquelle aucun droit de propriété intellectuelle relatif à la version Systran Unix ne lui aurait été cédé.
183 Pour contester l’affirmation des requérantes selon laquelle la prétendue quasi-identité entre la version Systran Unix et la version EC-Systran Unix du logiciel Systran permettrait de considérer que l’utilisation non autorisée par la Commission des logiciels Systran constituerait un acte de contrefaçon et par conséquent un comportement illégal, la Commission fait valoir l’existence de plusieurs droits.
184 Premièrement, la Commission prétend être titulaire de droits de propriété sur les développements et les améliorations du logiciel Systran financés par ses services quelle que soit la partie du système en cause (noyau, programmes linguistiques et dictionnaires). En outre, elle disposerait d’un droit de propriété exclusif sur les lexiques et dictionnaires qu’elle a développés et améliorés pour ses propres besoins [voir article 4, sous a), du contrat initial, article 4 du protocole d’accord de coopération technique, paragraphe 6 de l’exposé préliminaire du contrat de collaboration et article 4 dudit contrat ainsi que son annexe I qui précise que, « [a]lors que la Commission a toujours été propriétaire des lexiques et autres composantes qu’elle a développés pour différentes versions de Systran, les droits de propriété du logiciel de base avaient été répartis entre plusieurs sociétés »]. La Commission souligne que les nombreux développements spécifiques réalisés pour migrer du système Mainframe vers les systèmes Unix sont la propriété de la Commission (voir article 13, paragraphe 2, des contrats de migration et appendice 2 de l’annexe de l’avenant n° 4 au premier contrat de migration).
185 Deuxièmement, la Commission prétend être titulaire de droits d’utilisation. À cet égard, l’affirmation des requérantes selon laquelle la Commission, qui n’a pas créé le logiciel Systran initial, ne peut être titulaire d’aucun droit afférent à ce logiciel ou à tout développement qui aurait été fait, qui plus est sans autorisation, à partir du logiciel Systran contredirait l’article 13 des contrats de migration. À cet égard, l’interprétation que les requérantes feraient de la restriction contenue dans cette disposition, à savoir « à l’exception des cas où des droits de propriété industrielle ou intellectuelle existent déjà », serait en contradiction avec le principe d’interprétation de bonne foi des conventions. En effet, selon la Commission, les contrats de migration d’une part, souligneraient la différence entre le système Systran commercialisé par le groupe Systran et les versions EC-Systran utilisées par la Commission et, d’autre part, prévoiraient expressément que le système dénommé « système de traduction automatique de la Commission » restera bien la propriété de la Commission avec toutes ses composantes, qu’elles aient été modifiées ou non au cours de l’exécution du contrat. La restriction selon laquelle ces droits sont « sans préjudice des droits de propriété industrielle ou intellectuelle déjà existants » ne pourrait donc être comprise que comme une protection du statu quo ante prévalant avant la fin de la migration du système et exclurait toute acquisition par les requérantes de droits à l’égard de la version EC-Systran Unix par le biais de la migration. Cet engagement conclu avec Systran Luxembourg, signataire des contrats de migration, pourrait être étendu à Systran, dès lors que, dans une lettre d’engagement du 12 mars 2001 (annexe V du quatrième contrat de migration), cette société s’est portée garante de la bonne exécution de la totalité du quatrième contrat de migration par sa filiale Systran Luxembourg.
186 En conséquence, la Commission soutient qu’il résulte des contrats évoqués ci-dessus, et déjà du contrat initial du 22 septembre 1975, qu’il entrait bien dans l’intention des parties de mettre à la disposition de la Communauté le système de traduction Systran et qu’elle disposait de droits de propriété ou en tout cas d’utilisation sur les versions EC-Systran. En effet, ces versions du logiciel Systran auraient été développées aux frais de la Commission (pour un budget d’environ 45 millions d’euros, dont environ 14 millions au profit des sociétés du groupe Systran) et auraient d’ailleurs pu l’être de manière autonome par celle-ci. Aucun doute n’existerait sur les possibilités d’utilisation du logiciel Systran par la Communauté pour le secteur public au sens large du terme, sur le territoire de la Communauté. En outre, le contrat initial prévoyait déjà que la Communauté serait libre d’utiliser le système à toutes fins, et donc également en dehors du territoire de la Communauté, y compris dans le secteur privé, moyennant le paiement d’une redevance complémentaire à WTC. Selon la Commission, la « philosophie » de cette solution consistait à considérer que le partenaire WTC, ayant développé le système, et étant habilité à l’utiliser lui-même également, aurait obtenu, à l’issue de plusieurs contrats, une rémunération suffisante pour considérer que la Communauté en avait acquis le droit d’entière et libre disposition, donc de propriété.
187 Certes, la Commission relève que cette solution n’est pas expressément prévue comme telle dans le contrat de collaboration de 1987, mais ce contrat ne pourrait être interprété que de cette manière. En effet, toute autre interprétation que celle visant à conférer à la Commission des droits de propriété sur la version EC-Systran Mainframe du logiciel Systran, sans que les requérantes puissent faire valoir de droit d’opposition, ne permettrait pas d’expliquer la cohérence entre les articles 4, 4 bis, 5 et 8 de ce contrat. Selon la Commission, ce contrat apparaît ainsi comme une « solution transactionnelle » permettant d’éliminer toute discussion entre les parties sur les questions de propriété relatives aux différentes composantes du système Systran, en ce compris les dictionnaires.
188 En troisième lieu, à supposer même que la Commission utilise la version EC-Systran Unix du logiciel Systran sous une forme modifiée par rapport à la version Systran Unix, comme cela ressortirait du rapport Bitan, les requérantes ne rapporteraient pas la preuve que la Commission a violé le droit belge ou le droit luxembourgeois. La Commission se prévaut de différentes dispositions des droits belge et luxembourgeois en application desquelles il serait possible de reproduire ou d’adapter un programme d’ordinateur sans l’accord de son auteur quand cela est nécessaire pour permettre à l’utilisateur d’utiliser le programme de manière conforme à sa destination, y compris pour corriger des erreurs (voir article 6 de la loi belge sur les programmes d’ordinateur, article 28, paragraphe 4, de la loi luxembourgeoise sur les programmes d’ordinateur et article 34 de la loi luxembourgeoise sur les droits d’auteur).
189 En dernier lieu, la Commission conteste formellement avoir communiqué les codes sources de la version EC-Systran Unix à la société Gosselies dans le cadre des travaux à effectuer au titre du marché litigieux. Contrairement aux affirmations contenues dans le rapport Bitan, les travaux confiés à cette société ne nécessitaient pas d’intervention au niveau du noyau du logiciel. À la suite de l’attribution du marché litigieux, Gosselies n’aurait eu accès qu’aux codes sources des seules parties linguistiques de la version EC-Systran Unix, sur lesquelles la Commission détiendrait des droits de propriété exclusifs du fait des contrats conclus entre les parties et de la contribution de ses services au développement de ces parties.
190 En conséquence, s’il existe des similitudes entre la version Systran Unix et la version EC-Systran Unix du logiciel Systran, cela ne prouverait pas que la Commission a commis une contrefaçon. Les conclusions juridiques que les requérantes tirent de cette similitude ne seraient pas exactes. La Commission serait parfaitement en droit de modifier ou d’adapter le logiciel et de confier à une société tierce l’adaptation ou la modification sans autorisation préalable des requérantes.
Sur les droits invoqués au titre du savoir-faire
191 Les requérantes font valoir que le savoir-faire se définit comme « un ensemble d’informations techniques qui sont secrètes, substantielles et identifiées de toute manière appropriée ». Elles invoquent sur ce point la définition consacrée par l’article 10 du règlement (CE) n° 240/96 de la Commission, du 31 janvier 1996, concernant l’application de l’article [81], paragraphe 3, [CE] à des catégories d’accords de transfert de technologie (JO L 31, p. 2). Elles précisent également qu’il ressort de ce texte et des principes généraux communs aux droits des États membres que le savoir-faire est un actif protégé soit dans le cadre de contrats de transfert de savoir-faire ou d’accords de confidentialité, soit dans le cadre d’actions en responsabilité en cas de divulgation de ce savoir-faire sans l’autorisation de son titulaire. En l’espèce, les requérantes se prévalent du savoir-faire qu’elles détiennent sur le logiciel Systran, qu’il s’agisse de la version Systran Unix, développée et commercialisée par le groupe Systran, ou de sa version dérivée et quasi identique EC-Systran Unix, développée par Systran Luxembourg pour être utilisée par la Commission. Ce savoir-faire, que les requérantes protégeraient et tiendraient secret, résulterait d’un ensemble de connaissances techniques, informatiques et linguistiques qui serait matérialisé par le noyau, les routines linguistiques et les dictionnaires ainsi que la documentation associée (voir rapport Bitan et première note technique Bitan). Or, la réalisation des prestations décrites dans l’appel d’offres publié par la Commission nécessiterait de modifier le code source du logiciel Systran et donc de divulguer ce code source au bénéficiaire du marché. En confiant la réalisation d’un tel marché à un tiers, la Commission aurait divulgué le savoir-faire de Systran sans son autorisation. Cette divulgation constituerait une faute à même d’engager la responsabilité de la Communauté.
192 En réponse à l’argument selon lequel la notion de savoir-faire ne serait pas définie et le savoir-faire ne serait pas susceptible d’être protégé en tant que tel, les requérantes font observer que c’est la Commission elle-même qui a défini la notion de savoir-faire dans ses règlements et qu’il ressort de ces textes que la valeur du savoir-faire réside dans l’avance considérable que sa communication peut procurer, ce qui implique qu’il reste secret, qu’il ne soit pas connu et soit impossible à obtenir. Or, il ne pourrait être contesté que la version Systran Unix du logiciel Systran est une innovation majeure réalisée par le groupe Systran, qui démontre une réelle maîtrise technique et l’existence d’un savoir-faire qui est le fruit de la recherche et de l’expérience, comme l’illustre la réécriture en langage C++ du système Systran écrit antérieurement en assembleur. L’accès à ces éléments permettrait la révélation, en particulier, des secrets de fabrication du logiciel et permettrait à toute société qui y aurait accès de fabriquer un logiciel concurrent.
193 En réponse aux arguments selon lesquels, d’une part, la Commission ne saurait être tenue de réparer le préjudice invoqué au titre de la divulgation fautive de savoir-faire, puisque seule l’action en concurrence déloyale permettrait de réparer l’atteinte au savoir-faire, et, d’autre part, la Commission ne serait pas un commerçant et un concurrent des requérantes, mais une institution communautaire, les requérantes font valoir que cette action en concurrence déloyale reste avant tout une action en responsabilité non contractuelle qui repose sur le triptyque faute, préjudice et lien de causalité, ce qui serait bien le cas en l’espèce. En tout état de cause, les requérantes soulignent que la jurisprudence française, conforme en cela à la jurisprudence de bon nombre de pays européens, a précisé que « la seule divulgation du savoir-faire en dehors de l’entreprise était dommageable indépendamment de l’utilisation qui avait pu en être faite » et qu’un « donneur d’ordre qui transmet à un sous-traitant les plans élaborés par un autre commettait une faute engageant sa responsabilité civile » (arrêt de la cour d’appel de Paris du 31 mai 1995 ; arrêts de la Cour de cassation, chambre commerciale, des 28 janvier 1982 et 8 novembre 1994).
194 En réponse à l’argument selon lequel ce serait la Commission qui détiendrait un savoir-faire et ce serait Systran qui en aurait profité, les requérantes font observer qu’il est révélateur de l’attitude de la Commission consistant à s’approprier de manière illégale les versions du logiciel Systran destinées à fonctionner dans l’environnement Unix. À plusieurs reprises, la Commission aurait reconnu expressément le savoir-faire de Systran en la matière.
195 En ce qui concerne l’argument pris de la clause de confidentialité prévue pour l’attribution du marché à la société Gosselies, les requérantes font valoir que la Commission ne saurait soutenir qu’elle pourrait dérober le savoir-faire du groupe Systran si cette violation reste confidentielle. Ce raisonnement de la Commission, qui reviendrait à dire qu’un licencié à qui il ne serait pas expressément interdit de commettre des actes de contrefaçon pourrait librement y procéder sans être inquiété et pourrait librement transmettre à des tiers, sans autorisation du titulaire des droits, des œuvres protégées en présence d’une clause de confidentialité, serait absurde.
196 La Commission relève que, même si les requérantes se réfèrent à la définition du savoir-faire reprise dans le règlement n° 240/96, elles n’indiquent pas la base légale de la faute qu’elles lui imputent. Elle soutient, à cet égard, que le savoir-faire n’est pas protégé, à tout le moins en tant que tel. En effet, aucune disposition législative ne consacrerait une définition ou une protection dudit savoir-faire. Selon la Commission, la protection du savoir-faire est traditionnellement uniquement accordée sur la base de la législation relative à la concurrence déloyale. Elle invoque sur ce point, en ce qui concerne la Belgique, la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce et sur l’information et la protection des consommateurs (Moniteur belge du 29 août 1991, p. 18712) et, en ce qui concerne le Luxembourg, la loi du 27 novembre 1986 réglementant certaines pratiques commerciales et sanctionnant la concurrence déloyale (Mémorial A 1986, p. 2214) et la loi du 30 juillet 2002 réglementant certaines pratiques commerciales, sanctionnant la concurrence déloyale et transposant la directive 97/55/CE du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 84/450/CE sur la publicité trompeuse afin d’y inclure la publicité comparative (Mémorial A 2002, p. 1630). Or, en application de ces dispositions législatives, les conditions nécessaires à la protection du prétendu savoir-faire des requérantes au titre de la concurrence déloyale ne pourraient être remplies dans la mesure où la Commission et les requérantes ne sont pas concurrentes, où la Commission n’est ni un commerçant, ni un industriel ou un artisan et où le siège de la Commission se trouve en Belgique et non en France, ce qui rendrait inapplicable la loi française.
197 La Commission fait valoir qu’elle n’a jamais été en possession des codes sources de la version Systran Unix, mais seulement de ceux afférents à la version EC-Systran Unix, sur laquelle elle fait valoir certains droits de propriété et des droits d’utilisation en invoquant les différents contrats conclus avec le groupe Systran en ce qui concerne la version EC-Systran Mainframe et la migration de cette version vers l’environnement Unix. La Commission soutient également que les contrats qu’elle avait conclus avec le groupe Systran ne contenaient pas de clause de confidentialité à son égard. De plus, aucun de ces contrats ne ferait référence à un apport de savoir-faire de la part du groupe Systran ni à une protection de celui-ci. En outre, la Commission souligne que tant ses services que des sociétés étrangères au groupe Systran mais travaillant à ses côtés ont largement développé le logiciel Systran et ses applications. Les requérantes auraient ainsi profité du savoir-faire de la Commission ou de tiers et auraient pu commercialiser les produits de la Commission et de ces tiers à leur profit. La Commission indique que certaines des personnes qui travaillaient sur la version EC-Systran Unix pour la société Gosselies travaillaient préalablement pour le compte de la société Telindus puis pour le compte de Systran Luxembourg. La société Telindus, avec laquelle Systran se serait associée pour créer Systran Luxembourg, aurait dès 1990 conclu avec la Commission des contrats en matière de traduction, ce qui prouverait que Systran ne pourrait revendiquer des droits ainsi qu’un savoir-faire relatifs à la version EC-Systran Unix.
198 Par ailleurs, au vu de l’article 4, sous a), du contrat initial, du paragraphe 6 de l’exposé liminaire du contrat de collaboration et de son article 4 ainsi que de l’article 1 de l’appendice 1 de l’annexe II du deuxième contrat de migration, l’attribution du marché à la société Gosselies n’aurait pu donner lieu à aucune faute de la part de la Commission.
199 La Commission précise aussi que l’appel d’offres contient une clause de confidentialité, aux termes de laquelle l’attributaire du marché ne pourrait pas utiliser ou divulguer à un tiers les informations transmises par la Commission (voir article II.9 de l’annexe 1 de l’appel d’offres du 4 octobre 2003). En application de cette clause de confidentialité et en toute hypothèse, la société Gosselies ne pourrait donc pas divulguer les informations confidentielles que la Commission lui aurait, le cas échéant, communiquées. La divulgation de telles informations à cette entreprise ne pourrait donc pas occasionner de dommage pour les requérantes. La Commission relève, enfin, que les programmes et les dictionnaires de la version EC-Systran Unix sont exclusivement hébergés sur ses ordinateurs.
b) Appréciation du Tribunal
200 Le comportement illégal allégué dans la présente affaire consiste dans le fait pour la Commission de s’octroyer, sans l’accord des requérantes, le droit de faire réaliser les travaux mentionnés dans l’appel d’offres qui seraient à même de modifier ou d’entraîner la divulgation à un tiers des éléments de la version Systran Unix repris dans la version EC-Systran Unix du logiciel Systran, lesquels sont protégés par le droit d’auteur ou relèvent du savoir-faire du groupe Systran.
201 Afin d’établir si un tel comportement est illégal, il convient tout d’abord de déterminer si les requérantes peuvent se prévaloir, au regard des principes généraux communs aux droits des États membres, du droit de s’opposer à ce que la Commission confie sans leur accord des travaux relatifs à certains aspects de la version EC-Systran Unix à un tiers. Ce droit que les requérantes fondent sur le droit d’auteur et sur le savoir-faire relatifs à la version originale et antérieure Systran Unix est contesté par la Commission, qui fait valoir que les requérantes n’ont pas rapporté la preuve des droits qu’elles invoquent sur cette version du logiciel (voir points 178 à 179 ci-dessus).
202 S’il s’avère que de tels droits peuvent être invoqués par les requérantes, il conviendra ensuite d’examiner l’allégation de la Commission selon laquelle le groupe Systran l’aurait autorisée à confier à un tiers les travaux définis dans le marché litigieux. En substance, la Commission considère en effet que les différents contrats passés avec le groupe Systran depuis 1975 et le financement octroyé à cet effet lui confèrent suffisamment de droits d’utilisation et de droits de propriété concernant les différents éléments de la version EC-Systran Unix pour ne pas avoir à tenir compte du droit d’opposition invoqué par les requérantes au titre des droits détenus sur la version Systran Unix (voir points 181 à 187 ci-dessus).
203 S’il s’avère que la Commission ne pouvait ignorer le droit d’opposition invoqué par les requérantes, il y aura lieu enfin d’analyser le contenu des travaux à effectuer sur la version EC-Systran Unix mentionnés dans l’appel d’offres afin de savoir s’ils sont à même d’entraîner la modification ou la divulgation d’éléments ou d’informations protégés au titre du droit d’auteur et du savoir-faire revendiqués par les requérantes, ce que conteste en dernier lieu la Commission (voir point 189 ci-dessus).
Sur les droits invoqués par les requérantes en ce qui concerne la version Systran Unix du logiciel Systran
204 Pour définir les principes généraux communs aux droits des États membres en matière de droit d’auteur, les requérantes invoquent la convention de Berne, la directive 91/250 et la directive 2004/48. Elles mentionnent également les droits des États membres et produisent deux avis du professeur Sirinelli, qui envisagent la question de la recevabilité d’une action en contrefaçon introduite par une personne morale et l’accès à la protection par le droit d’auteur d’un logiciel réécrit, ainsi que la deuxième note technique Bitan.
205 Ainsi qu’il a été exposé au stade de l’examen de la compétence du Tribunal (voir points 68 à 73 ci-dessus), le groupe Systran est en droit de se prévaloir de droits d’auteur sur la version Systran Unix du logiciel Systran qu’il a développée et qu’il commercialise sous son nom sans avoir à apporter d’autres éléments de preuve.
206 Certes, en règle générale, comme le fait valoir la Commission, lorsqu’il y a conflit sur l’existence d’un droit, c’est à celui qui invoque l’existence ou l’absence d’un droit de le prouver (actori incumbit probatio). En matière de droit d’auteur, toutefois, il existe une présomption légale qui permet de renverser la charge de la preuve. Le droit communautaire consacre une telle présomption dans l’article 5 de la directive 2004/48, intitulé « Présomption de la qualité d’auteur ou de titulaire du droit », aux termes duquel « [a]ux fins de l’application des mesures, procédures et réparations prévues dans la présente directive, […] pour que l’auteur d’une œuvre littéraire ou artistique soit, jusqu’à preuve du contraire, considéré comme tel et admis en conséquence à exercer des poursuites contre les contrefacteurs, il suffit que son nom soit indiqué sur l’œuvre de la manière usuelle ». Les requérantes ont également invoqué deux illustrations d’une telle présomption dans les droits des États membres, sans que la Commission ait présenté des contre-exemples issus des droits d’autres États membres. En droit français, droit du lieu d’établissement de Systran, laquelle invoque en l’espèce les droits d’auteur sur la version Systran Unix du logiciel Systran qu’elle commercialise, l’article L 113-1 du code de la propriété intellectuelle français dispose que « [l]a qualité d’auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l’œuvre est divulguée ». En droit belge, droit du pays où siège la Commission, une telle présomption est consacrée par l’article 6, deuxième alinéa, de la loi belge relative au droit d’auteur, selon lequel « est présumé auteur, sauf preuve contraire, quiconque apparaît comme tel sur l’œuvre, du fait de la mention de son nom ou d’un sigle permettant de l’identifier ». Ces différentes dispositions ont été invoquées comme autant d’illustrations d’un principe général commun aux droits des États membres.
207 À titre d’exemple de dispositions reprises en substance dans tous les États membres, les requérants font valoir que l’œuvre est protégée en droit français du seul fait de sa création. L’article L 111-1 du code de la propriété intellectuelle français dispose que « [l]’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous ». Pour ce qui est de la définition de la notion d’« œuvre de l’esprit », il ressort de l’article L 112-2 du code de la propriété intellectuelle français que « [s]ont considérés comme œuvres de l’esprit au sens du présent code : [l]es logiciels, y compris le matériel de conception préparatoire ». Aucun élément présenté par la Commission ne vient contredire cet exemple présenté par les requérantes.
208 Dès lors que l’œuvre est créée, son originalité est présumée. Le problème qui se pose en matière de preuve porte le plus souvent sur l’antériorité d’une œuvre par rapport à une autre. En l’espèce, la preuve de l’antériorité de la version Systran Unix par rapport à la version EC-Systran Unix est rapportée du simple fait que la seconde version a été développée à la suite de la première et que, pour la développer, la Commission a fait appel au groupe Systran et à sa version Systran Unix. Il importe de relever sur ce point que la Commission, comme elle l’affirme dans la duplique, ne conteste pas que Systran soit titulaire de droits sur le logiciel Systran Unix qu’elle commercialise.
209 Par ailleurs, il convient de relever que, selon les données présentées par les requérantes en ce qui concerne le droit français et le droit belge, la qualité d’auteur d’une entreprise est consacrée par la jurisprudence de ces États membres. Pour la France, il s’agit de l’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 24 mars 1993, aux termes duquel une personne morale doit simplement établir qu’elle exploite l’œuvre pour être recevable dans son action en contrefaçon sans avoir à établir l’origine de ses droits et, pour la Belgique, il s’agit de l’arrêt de la Cour de cassation du 12 juin 1998 (voir premier avis Sirinelli, p. 18 et 26). Pour réfuter cet avis juridique détaillé, la Commission se limite à des allégations vagues et succinctes fondées sur une critique de la solution exposée ci-dessus par une partie de la doctrine et un arrêt de 1993 de la cour d’appel de Gand qui est antérieur à l’arrêt de la Cour de cassation belge précité. La question du contenu des droits des autres États membres que ceux qui ont été cités à titre d’illustration par le professeur Sirinelli n’a pas été évoquée ni discutée par les parties.
210 La solution jurisprudentielle précitée présente l’intérêt de limiter les possibilités pour le contrefacteur de plaider l’irrecevabilité de l’action et elle évite que la personne morale ne doive fournir la chaîne complète des contrats de cession depuis l’auteur personne physique, titulaire initial du droit. Ainsi, en matière de preuve, c’est la réalité de la possession au jour où l’action est intentée qui prime sur l’historique de l’acquisition.
211 En réponse à l’argument de la Commission, selon lequel la présomption relative au droit d’auteur serait renversée en ce qui concerne la version EC-Systran Unix du fait que cette version n’est pas commercialisée dans un emballage reprenant le nom de l’auteur et qu’elle est parfois dénommée « Commission’s MT system » ou « ECMT », il y a lieu de relever que, pour fonder leur recours en responsabilité non contractuelle, les requérantes invoquent la version Systran Unix et qu’elles procèdent ensuite à une comparaison de cette version avec la version EC-Systran Unix pour établir qu’une partie de cette version dérivée provient de la version antérieure et originale. Il ressort de ce qui précède qu’il existe effectivement une partie dite « Systran » dans la version EC-Systran Unix (à savoir notamment l’essentiel du noyau), tout comme il n’est pas contesté qu’il existe une partie dite « EC » dans cette version (à savoir notamment les dictionnaires, qui ont été créés par la Commission). Le débat ne porte donc pas sur la version EC-Systran Unix, mais sur les droits susceptibles d’être invoqués par les requérantes en cas de travaux portant sur la version EC-Systran Unix du fait des droits détenus sur la version originale et antérieure Systran Unix. En outre et à titre incident, il convient de relever qu’il ressort des définitions exposées dans le modèle de contrat joint à l’appel d’offres que la dénomination « Service (ou système) de traduction automatique de la Commission » à laquelle se réfère la Commission est définie de la manière suivante : « Le système de traduction automatique de la Commission est construit autour de EC Systran, une version particulière du système de traduction automatique Systran initialement développé par le ‘World Translation Center’, La Jolla, USA, qui a ensuite été développée par la Commission européenne depuis 1976 » (The Commission’s machine translation service is built around EC Systran, a specific version of the Systran machine translation system originally developed by the World Translation Center, La Jolla, USA, which since 1976 has been further developed by the European Commission.) Ainsi, selon les termes mêmes utilisés par la Commission à l’égard des tiers, le service ou système de traduction automatique de la Commission trouve son origine dans le système de traduction automatique créé et développé par le groupe WTC/Systran.
212 En conclusion, les requérantes peuvent se prévaloir en tant que groupe Systran de droits d’auteur sur la version Systran Unix du logiciel Systran, commercialisée par Systran depuis plusieurs années et avant même la mise au point de la version EC-Systran Unix par Systran Luxembourg afin de répondre aux besoins spécifiques de la Commission.
213 En tout état de cause, les dispositions contractuelles invoquées par la Commission ne permettent pas de fonder un prétendu droit de regard sur l’acquisition du groupe WTC par le groupe Systran (voir point 179 ci-dessus). La Commission évoque à cet égard l’article 5, sous c), du contrat initial conclu avec WTC le 22 décembre 1975 pour prétendre qu’aucun transfert de droits ou d’obligations découlant du contrat ne pourrait avoir lieu sans son consentement préalable. Or, cette disposition précise seulement : « Le Contractant ne peut, sans autorisation préalable et expresse de la Commission, transférer ni céder tout ou partie des droits et obligations dérivant du contrat, ni sous-traiter l’exécution des tâches qui lui ont été confiées, ni substituer, en fait, des tiers aux mêmes fins.» Elle ne vaut que pour la durée du contrat, soit quelques mois, et les obligations dont le transfert et la cession étaient mentionnés ne portaient que sur l’utilisation du système Systran et non sur les droits de propriété afférents. Cette disposition ne peut donc priver WTC du droit de disposer de sa propriété en se faisant racheter à la fin de l’année 1985 par la société Gachot qui deviendra Systran, comme cela ressort des contrats communiqués par les requérantes en annexe à la réplique. De même, doit être rejeté l’argument de la Commission selon lequel les bases juridiques et contractuelles des droits d’auteur des requérantes auraient dû être identifiées. En effet, les dispositions légales énoncées ci-dessus n’obligent pas les auteurs à enregistrer ou à déposer leurs œuvres comme cela peut être le cas pour les brevets.
214 Au demeurant, force est de constater que la Commission était parfaitement informée du fait que le groupe Systran et les sociétés reprises par ce groupe, notamment la société WTC, étaient titulaires de droits de propriété intellectuelle sur les différentes versions du logiciel Systran exploitées commercialement depuis les années 70, en particulier avec la Commission. Les requérantes fournissent de nombreux éléments permettant d’établir l’existence d’une œuvre de l’esprit en la matière et le fait que cette œuvre de l’esprit a été créée par M. Toma, puis reprise par les sociétés du groupe WTC et les sociétés du groupe Systran (voir points 174 et 175 ci-dessus).
215 En ce qui concerne la protection invoquée au titre du savoir-faire, les requérantes font valoir que la divulgation par la Commission à un tiers des informations techniques et secrètes relatives aux éléments de la version Systran Unix qui se retrouvent dans la version EC-Systran Unix constitue un comportement illégal susceptible d’engager la responsabilité non contractuelle de la Communauté en application de l’article 288, deuxième alinéa, CE. Ainsi qu’il a été exposé au stade de l’examen de la compétence du Tribunal (voir points 78 à 81 ci-dessus), il est également permis de considérer que le groupe Systran est en droit de se prévaloir de cette protection sur les informations techniques et secrètes relatives à la version Systran Unix du logiciel Systran.
Sur l’affirmation selon laquelle les droits détenus par la Commission lui permettent d’ignorer le droit d’opposition des requérantes
216 Pour alléguer qu’elle n’avait pas à tenir compte du droit des requérantes de s’opposer à ce que certains travaux relatifs à la version EC-Systran Unix soient confiés à un tiers du fait des droits détenus sur la version Systran Unix, la Commission fait valoir qu’elle détient les autorisations nécessaires en raison des droits concédés au titre des contrats passés avec le groupe Systran depuis 1975 et du financement octroyé dans ce cadre.
217 Cette argumentation doit être rejetée. En effet, comme le font valoir à juste titre les requérantes, une cession de droit ne peut être présumée. Le fait d’avoir financé un développement informatique ne signifie pas pour autant qu’on en acquiert la propriété. Une telle conséquence juridique doit être expressément mentionnée dans le contrat en question. Les cessions de droits s’interprètent restrictivement et en faveur de l’auteur.
218 Or, sur ce point, les requérantes nient formellement avoir cédé le moindre droit de propriété intellectuelle à la Commission, ni sur la version Systran Mainframe, ni sur la version Systran Unix, ni sur l’idée et l’écriture originales sur lesquelles elles reposent, ni sur le matériel de conception préparatoire, sur les structures de données et encore moins sur le noyau. Les seuls droits reconnus par les requérantes à la Commission portent sur les dictionnaires qui ont été développés par les services de la Commission sans l’intervention de Systran.
219 De plus, les dispositions contractuelles invoquées par la Commission, qu’elles visent la version EC-Systran Mainframe ou la version EC-Systran Unix, réservent expressément l’hypothèse des droits de propriété intellectuelle préexistants, qu’il s’agisse des droits relatifs à la version Systran Mainframe ou à la version Systran Unix. Par ailleurs, il y a lieu de constater que les dispositions invoquées par la Commission ne permettent pas de fonder un transfert des droits d’auteur détenus par le signataire (WTC ou les sociétés du groupe Systran) sur les différentes versions du logiciel Systran concernées par ces contrats. En particulier, il convient de relever que la seule disposition contractuelle relative à la version EC-Systran Unix, évoquée par la Commission pour justifier ses actions, est l’article 13, paragraphes 1 et 2, des contrats de migration, lequel conditionne la propriété revendiquée par la Commission à l’absence de droits de propriété intellectuelle antérieurs (voir points 95 à 97 ci-dessus). En ce qui concerne l’extrait de l’article 1 de l’appendice 1 de l’annexe II du deuxième contrat de migration cité par la Commission, celui-ci stipule : « Les travaux de migration décrits dans la présente [a]nnexe technique ainsi que la mise à disposition des parties du système, des ressources humaines et du savoir-faire de [Systran Software] et de [Systran] ne donneront lieu à aucun paiement supplémentaire, ni à aucune revendication pécuniaire au titre d’un quelconque droit de propriété ». Outre le fait que cette disposition reconnaît expressément le savoir-faire de Systran, il est également possible de constater qu’elle ne vaut que pour les revendications pécuniaires faites au titre des travaux de migration effectués par Systran Luxembourg pour la Commission. Or, la présente action vise des travaux confiés par la Commission à un tiers à la suite d’un appel d’offres.
220 En outre, il convient de relever que la Commission elle-même relève que la thèse des « contrats de commande », qui lui permettrait d’interpréter les contrats conclus entre les sociétés du groupe WTC puis les sociétés du groupe Systran comme des contrats par lesquels ces sociétés auraient eu pour intention de lui transférer leurs droits d’auteur, ne ressort pas expressément des contrats qu’elle évoque. En effet, aucune disposition contractuelle citée par la Commission ne peut être interprétée en ce sens dans la mesure où ces différentes dispositions évoquent un droit d’utilisation et non un droit de propriété ou réservent expressément les droits de propriété intellectuelle préexistants.
221 Enfin, doit être rejeté l’argument de la Commission tiré de la « philosophie » de ces contrats, dès lors que la philosophie des contrats en matière de mise à disposition d’un logiciel informatique consiste précisément en la limitation des droits de l’utilisateur à une seule licence d’exploitation, sans pour autant lui permettre de s’approprier le logiciel.
222 En conclusion, la Commission n’a pas été en mesure d’établir qu’elle a été contractuellement autorisée par les requérantes à procéder aux utilisations et aux divulgations faites à la suite de l’attribution du marché public litigieux au titre de la propriété qu’elle pourrait revendiquer sur la version EC-Systran Unix du logiciel Systran.
223 À titre subsidiaire, la Commission soutient qu’elle peut procéder à des modifications de la version EC-Systran Unix sans pour autant porter atteinte aux éventuels droits d’auteur du groupe Systran sur la version Systran Unix, dans la mesure où ces modifications seraient autorisées légalement à toute personne bénéficiant d’une licence d’utilisation.
224 La Commission invoque sur ce point l’article 6 de la loi belge sur les programmes d’ordinateur, qui indique que les actes de reproduction et d’adaptation d’un programme d’ordinateur visés à l’article 5, sous a) et b), de cette loi ne sont pas soumis à l’autorisation du titulaire lorsqu’ils sont nécessaires pour permettre à la personne ayant le droit d’utiliser le programme de le faire de manière conforme à sa destination, en ce compris la correction d’erreurs. Elle invoque également l’article 28, paragraphe 4, de la loi luxembourgeoise sur les programmes d’ordinateur, intitulé « Exceptions aux actes soumis à restrictions », qui prévoit que, « [s]auf dispositions contractuelles spécifiques, ne sont pas soumis à l’autorisation du titulaire les actes prévus à l’article 28[, paragraphe 3, sous] a) et b), lorsque ces actes sont nécessaires pour permettre à l’acquéreur légitime d’utiliser le programme d’ordinateur d’une manière conforme à sa destination, y compris pour corriger les erreurs ». De même, d’après l’article 34 de la loi luxembourgeoise sur les droits d’auteur, intitulé « Exceptions aux actes soumis à restrictions » : « [s]auf dispositions contractuelles spécifiques, ne sont pas soumis à l’autorisation du titulaire les actes prévus à l’article 33 lorsque ces actes sont nécessaires pour permettre à l’acquéreur légitime d’utiliser le programme d’ordinateur d’une manière conforme à sa destination, y compris pour corriger des erreurs et l’intégrer dans une base de données qu’il est appelé à faire fonctionner ».
225 Cependant, il y a lieu de relever que cette exception légale aux actes soumis à restrictions, c’est-à-dire aux actes nécessitant l’accord de l’auteur, est d’interprétation stricte. Cette exception légale prévue par l’article 5 de la directive 91/250 aux actes relevant du droit exclusif de l’auteur du programme définis par l’article 4 de cette directive n’a vocation à s’appliquer qu’aux travaux réalisés par l’acquéreur légitime du programme d’ordinateur et non aux travaux confiés à un tiers par cet acquéreur (voir avis du professeur Sirinelli sur la portée du droit pour l’utilisateur légitime d’un programme d’ordinateur de modifier ce programme et troisième note technique de M. Bitan sur la nature des travaux confiés à Gosselies ; voir également les réponses des parties aux questions posées par le Tribunal en ce qui concerne les droits de l’utilisateur). Cette exception reste également limitée aux actes nécessaires pour permettre à l’acquéreur légitime d’utiliser le programme d’ordinateur d’une manière conforme à sa destination, y compris pour corriger des erreurs. Dans la présente affaire, la Commission reste en défaut d’indiquer en quoi les modifications demandées pouvaient être confiées à un tiers et en quoi celles-ci étaient nécessaires pour corriger des erreurs ou permettre l’utilisation du programme d’une manière conforme à sa destination. Aucun élément du dossier ne permet de comprendre à quel titre cette exception permettrait de faire effectuer des améliorations, des adaptations ou des ajouts au programme d’ordinateur utilisé par la Commission (sur la nature des travaux confiés par la Commission à un tiers, voir points 227 à 250 ci-après). Ces travaux relèvent en effet des actes soumis à restriction en ce qu’ils concernent l’adaptation, l’arrangement ou toute autre transformation du programme d’ordinateur au sens de l’article 4 de la directive 91/250. Lors de l’audience, les requérantes ont ainsi indiqué que, contrairement à ce qu’affirme la Commission, ses autres clients lui demandent son autorisation pour procéder à des modifications de la nature de celles qui étaient demandées à la société Gosselies.
226 En conclusion, la Commission n’a pas été en mesure d’établir dans la présente affaire pour quelles raisons elle pouvait se prévaloir de l’exception légale aux actes soumis à restriction pour faire confier à un tiers les travaux à réaliser dans le cadre du marché litigieux. Il convient d’ailleurs de relever que, en tout état de cause, la Commission fait valoir le fait que les actes qui lui sont reprochés, à savoir selon elle la correction et l’amélioration des dictionnaires, sont, à tout le moins, partiellement couverts par l’exception prévue par l’article 5 de la directive 91/250 (voir réponse de la Commission à la troisième série de questions, observations sur le prix d’une licence d’utilisation du logiciel Systran, point 23), ce qui signifie implicitement qu’elle reconnaît que certains travaux demandés dans le cadre de l’appel d’offres litigieux peuvent ne pas relever de cette exception et peuvent constituer un acte soumis à restriction au sens défini par l’article 4 de la directive 91/250.
227 Il y a donc lieu de considérer, premièrement, que les requérantes peuvent invoquer des droits d’auteur et la protection liée au savoir-faire sur les informations et les éléments relatifs à la version originale et antérieure Systran Unix qui se retrouvent dans la version dérivée EC-Systran Unix, deuxièmement, que la Commission n’a pas été en mesure d’établir que les requérantes ne disposaient pas des droits revendiqués en ce qui concerne la version Systran Unix, que ces droits lui auraient été cédés expressément ou implicitement du fait des contrats passés avec le groupe Systran ou du financement octroyé en ce qui concerne les versions EC-Systran Mainframe et EC-Systran Unix et, troisièmement, que la Commission n’a pas non plus été en mesure d’établir qu’elle pouvait faire réaliser les travaux demandés par un tiers sans obtenir l’accord préalable du groupe Systran.
Sur la nature des travaux confiés par la Commission à un tiers
228 Pour établir la violation du droit d’opposition revendiqué par les requérantes, il convient pour celles-ci de démontrer que les travaux mentionnés dans l’appel d’offres, et à propos desquels le groupe Systran n’a pu donner son accord, étaient à même d’entraîner la modification ou la transmission d’informations ou d’éléments relatifs à la version Systran Unix qui se retrouvent dans la version EC-Systran Unix.
229 En l’espèce, pour établir une telle modification ou divulgation fautive, il convient tout d’abord de relever que l’appel d’offres de la Commission concernait la maintenance et le renforcement linguistique du système de traduction automatique de la Commission. Cet appel d’offres comportait les prestations suivantes :
« 3.1 Codage des dictionnaires : le codage des dictionnaires fondé sur le retour d’information, les glossaires et les textes soumis à la traduction automatique par les utilisateurs, y compris l’alignement des dictionnaires entre les couples de langues. Un programme utilitaire sera fourni pour aider au codage […] Cette tâche comprend également :
La révision et l’encodage des fichiers de dictionnaires de traduction automatique qui ont été préparés pour les services de traduction automatique de la Commission par d’autres sources.
La collecte des fichiers de dictionnaires des utilisateurs – sur demande, le contractant examine les entrées des utilisateurs et, lorsque les termes sont d’un usage courant, les inclut dans les dictionnaires principaux, en s’assurant de l’absence de conflit avec des termes existants.
3.2 Améliorations, adaptations et ajouts à des routines linguistiques : améliorations spécifiques des programmes d’analyse, de transfert et de synthèse fondé sur le retour d’information, les glossaires et les textes soumis à la traduction automatique par les utilisateurs. Par exemple: le traitement des mots coupés en fin de ligne dans les sorties source et cible, la capitalisation, le génitif anglais en ‘s’, les homographies et le respect des conventions de la Commission (notamment l’écriture des nombres).
3.3 Mises à jour du système : la mise à jour des dictionnaires et programmes a lieu à la demande de la Commission. Le contractant opère en étroite collaboration avec la Commission pour assurer l’intégration harmonieuse des mises à jour.
3.4 Mises à jour de la documentation : le contractant effectue les mises à jour requises de la documentation (par exemple, les manuels de codage) relative aux parties du système dont il est responsable et conserve les documents révisés au centre de données. Les versions mises à jour contiennent une description et une explication des améliorations et modifications apportées dans le cadre du contrat […] »
(3.1 Dictionary coding: Dictionary coding based on feedback, glossaries and texts submitted to MT by users, including the «levelling-up» of dictionaries between language pairs. A utility will be provided to help with coding. […] This task also includes:
The revision and encoding of MT dictionary files which have been prepared for the Commission’s MT service by other sources.
The harvesting of users’ custom dictionary files - if requested, the contractor will review user entries, and where terms are of general use, include them in the main dictionaries, ensuring that there is no conflict with existing terms.
3.2 Enhancements, Adaptations and Additions to Linguistic Routines: Specific improvements to Analysis, Transfer and Synthesis programs based on feedback, glossaries and texts submitted to MT by users. For example: the treatment of hyphenated words in source and target output, capitalisation, the English genitive s, homographs, and respect of Commission conventions (amongst others, for the writing of numbers).
3.3 System updates: Updates to dictionaries and programs will take place as required by the Commission. The contractor will work closely with the Commission to ensure the smooth integration of updates.
3.4 Documentation updates: The contractor shall update as required any documentation (e.g. coding manuals) on parts of the system for which he is responsible and shall store revised documents at the Data Centre. The updated versions shall include a description of, and explanation for, improvements and changes made under contract […])
230 Selon les requérantes, la réalisation de ces tâches nécessite de modifier et d’adapter le noyau du système, les programmes linguistiques et la structure des données du logiciel Systran (version EC-Systran Unix), ce qui implique de modifier le code source de ce logiciel et le matériel de conception préparatoire. La nécessité de disposer des codes sources et de les modifier pour réaliser les tâches de l’appel d’offres serait corroborée par le paragraphe 3.7.5 de l’appel d’offres, en vertu duquel l’une des obligations incombant au contractant est de s’assurer que les dernières versions des codes sources, des dictionnaires et des programmes soient correctement installées et compilées sur les serveurs de la Commission.
231 Par ailleurs, la première note technique Bitan expose, sans être remise en cause par la Commission, en quoi la réalisation des travaux confiés à Gosselies au titre du marché attribué nécessitait de toucher à des aspects de la version EC-Systran Unix qui étaient repris de la version Systran Unix.
232 Dans la description fonctionnelle des éléments du logiciel Systran, il est relevé dans la première note technique Bitan ce qui suit :
– la fonctionnalité « décomposition des mots avec traits d’union » mentionnée dans l’appel d’offres (paragraphe 3.2 de l’appel d’offres, voir point 229 ci-dessus) s’effectue dans le noyau dans le cadre des modules de prétraitement des documents ;
– la fonctionnalité « majuscule », à savoir le traitement des majuscules d’une langue à une autre, mentionnée dans l’appel d’offres (paragraphe 3.2 de l’appel d’offres, voir point 229 ci-dessus) s’effectue dans le noyau dans le cadre des modules de post-traitement du texte ;
– les règles de formatage typographique (par exemple la gestion des nombres ou des espaces) mentionnées dans l’appel d’offres (paragraphe 3.2 de l’appel d’offres, voir point 229 ci-dessus) sont mises en œuvre dans le noyau dans le cadre des modules de post-traitement du texte ;
– les règles de consultation des dictionnaires (par exemple pour la restitution du génitif anglais) mentionnées dans l’appel d’offres (paragraphe 3.2 de l’appel d’offres, voir point 229 ci-dessus) sont mises en œuvre dans le noyau, qui contient des spécificités par langue.
233 Ainsi qu’il a été exposé ci-dessus, les parties ne contestent pas que le noyau est au cœur du « développement linguistique ». Il n’est pas constitué de librairies statiques qui seraient indépendantes du processus de « développement linguistique », mais au contraire, il en est une partie intégrante et essentielle. Sur ce point, il est précisé dans la première note technique Bitan que, dans un « cadre normal de développement linguistique », le noyau doit être modifié dans de nombreux cas, notamment lors des travaux suivants prévus dans l’appel d’offres : « Améliorations, adaptations et ajouts aux routines linguistiques » (paragraphe 3.2 de l’appel d’offres, voir point 229 ci-dessus et première note technique Bitan).
234 Il ressort de ce qui précède que, pour être en mesure de réaliser les tâches qui lui sont confiées, l’attributaire de l’appel d’offres doit disposer des codes sources de la version EC-Systran Unix afin de pouvoir les adapter et les modifier pour réaliser les améliorations spécifiques des programmes d’analyse, de transfert et de synthèse définies au paragraphe 3.2 de l’appel d’offres et d’effectuer les mises à jour demandées aux paragraphes 3.3, 3.4 et 3.7.5 de l’appel d’offres.
235 Les arguments avancés par la Commission ne permettent pas de remettre en cause cette appréciation. À cet égard, il y a lieu de rappeler que la Commission conteste formellement avoir communiqué les codes sources de la version EC-Systran Unix dans le cadre des travaux à effectuer pour réaliser le marché attribué à la société Gosselies. Elle indique que les travaux confiés à cette société ne nécessitaient pas d’intervention sur le noyau du logiciel.
236 Cette contestation repose sur une note technique du 16 janvier 2008 de la DGT, destinée à fournir des éléments de réponse à la première note technique Bitan, ci-après la « seconde note » ou la « seconde note de la DGT »). Dans l’introduction de sa seconde note, la DGT relève que la première note technique Bitan vise surtout à démontrer que toutes les modifications de type linguistique se passent dans la « zone d’analyse » et qu’inévitablement elles aboutissent à un traitement par le noyau et donc à une modification du noyau même. Il est toutefois souligné, dans la seconde note de la DGT, que les travaux prévus dans l’appel d’offres qui portent sur les routines linguistiques ne nécessitent pas la modification du noyau.
237 À l’appui de cette thèse, la DGT fait observer qu’il ne faut pas confondre le contenant (la structure définie au niveau du noyau) et le contenu (les codes attribués par les programmes linguistiques et ayant une connotation linguistique) de la « zone d’analyse ». Le principe de la modularité des composantes du système de traduction imposerait une séparation nette, non seulement entre les différents modules linguistiques, mais également entre les modules linguistiques et le noyau. Pour la DGT, le noyau a une portée linguistique marginale. À cet égard, la DGT relève que, même s’il est vrai que le noyau contrôle l’exécution du processus de traduction, qu’il interagit avec toutes les composantes et qu’il contient certaines fonctionnalités qui pourraient vaguement être définies comme étant d’ordre linguistique (segmentation en phrases, traitement des mots avec traits d’union ou des mots non trouvés), il est également vrai que les modules du noyau ont une portée générale, alors que les routines linguistiques sont spécifiques à une langue source, à une paire de langues ou à une langue cible.
238 En examinant les exemples fournis dans l’appel d’offres du 4 octobre 2003 et mis en exergue comme autant d’éléments nécessitant obligatoirement une intervention sur le noyau, la DGT fait état des deux considérations suivantes :
– « [c]ontrairement aux allégations avancées par Systran, la référence aux [routines linguistiques], dans l’appel d’offres […], exprime avec exactitude la nature des prestations à fournir, à savoir des améliorations spécifiques aux programmes d’analyse, [de] transfert et [de] synthèse, basées sur le feed-back des utilisateurs. Les exemples de problèmes énoncés dans l’appel d’offres le sont à titre purement indicatif et ils sont de toute évidence de nature linguistique » ;
– « [i]l semble évident que des problèmes linguistiques soient avant tout réglés dans des [routines linguistiques] dont c’est la vocation comme leur nom l’indique. Et même si certains problèmes énoncés étaient traités au niveau du noyau, ils peuvent aussi bien être et sont en effet traités au niveau des [routines linguistiques] et des dictionnaires. Comme dans tout système complexe, les modalités de traitement des phénomènes linguistiques sont nombreuses et complexes ».
239 Il ressort de ce qui précède que la DGT ne conteste pas réellement les affirmations de M. Bitan, selon lesquelles certaines missions confiées dans le cadre du marché attribué nécessitent une intervention sur le noyau. Ainsi, la DGT reconnaît expressément que le noyau du logiciel Systran, dont la structure est la même dans les versions Systran Unix et EC-Systran Unix, contient certaines fonctionnalités, comme celle du traitement des mots avec traits d’union mentionné dans l’appel d’offres. De même, la DGT reconnaît implicitement les affirmations faites par M. Bitan en se contentant d’indiquer que, « même si certains problèmes énoncés [dans l’appel d’offres] étaient traités au niveau du noyau, ils peuvent aussi bien être et sont en effet traités au niveau des [routines linguistiques] et des dictionnaires ». On peut, en effet, soit encoder directement dans les dictionnaires tous les mots qui comportent un trait d’union, soit demander que soit réalisé ou amélioré un programme permettant de traiter systématiquement les mots avec traits d’union sans qu’il soit nécessaire de les encoder, un par un, dans les dictionnaires. M. Bitan relève, à ce propos, sans être contredit par la DGT que la fonctionnalité « décomposition des mots avec traits d’union », c’est-à-dire le programme informatique traitant systématiquement cette question, s’effectue dans le noyau dans le cadre des modules de prétraitement des documents. En outre, la DGT ne peut affirmer de manière convaincante que les exemples énoncés dans l’appel d’offres et mis en exergue par M. Bitan comme nécessitant une intervention sur le noyau sont purement indicatifs. Il s’agit, selon les termes mêmes de l’appel d’offres, d’exemples fournis par les utilisateurs de la version EC-Systran Unix des améliorations spécifiques qui devront être réalisées dans le cadre du marché.
240 Pour ce qui est, plus particulièrement, du traitement des mots avec traits d’union (par exemple le terme « hospital-based »), la DGT fait observer que le rôle du noyau peut difficilement être défini comme linguistique, puisqu’il se limite à chercher d’abord dans le dictionnaire le mot comme il est écrit pour ensuite, si le résultat est négatif, répéter la recherche en supprimant le trait d’union (pour le terme « hospitalbased »). Si la recherche est toujours infructueuse, les deux mots (« hospital » et « based ») sont alors cherchés séparément. Ce type de mots pourrait être facilement traité en les encodant directement dans le dictionnaire, comme cela a été réalisé pour le mot « medium-sized » qui apparaît fréquemment dans les documents communautaires. Une fois encodé, le mot ne nécessite plus aucun traitement et ne pose aucun problème. L’essentiel du traitement se fait alors dans les programmes linguistiques et tout d’abord au niveau de l’analyse dans le programme Ehmrt000.c. Ensuite, le traitement se poursuit au niveau du transfert. Des routines lexicales qui traitent les mots avec traits d’union sont établies pour la plupart des paires de langues à partir de l’anglais.
241 Ces éléments ne remettent toutefois pas en cause la nécessité d’une intervention sur le noyau afin de mettre en œuvre le marché attribué. Il importe peu de savoir qu’une autre approche est possible, de même qu’il est sans incidence de savoir si le contenu de la fonctionnalité demandée est de nature linguistique. Ce qui compte est l’approche adoptée dans la version EC-Systran Unix, laquelle est ici la même que celle adoptée dans la version Systran Unix. Rien ne vient ainsi contredire l’affirmation de l’expert en informatique des requérantes, selon laquelle le traitement des mots avec trait d’union grâce au programme informatique relatif à cette fonctionnalité s’effectue bien au niveau du noyau. Au contraire, cette affirmation est confirmée par la seconde note de la DGT (voir point 239 ci-dessus). De plus, l’appel d’offres ne demande pas, sur ce point, à l’attributaire d’encoder tous les mots qui existent avec trait d’union, mais d’améliorer le programme informatique relatif à cette fonctionnalité.
242 Pour ce qui est du traitement des majuscules, la DGT relève que le rôle du noyau n’est pas du tout linguistique, mais plutôt mécanique. Par exemple, le rôle du programme Rtrprint.c, qui constitue un programme du noyau, mentionné dans la première note technique Bitan n’est que d’appliquer dans la langue cible les décisions prises par les programmes linguistiques, et notamment la routine lexicale Lefweekd.c, qui constitue un programme des routines linguistiques, routine qui traite les jours de la semaine. De même, la décision d’appliquer la fonctionnalité « majuscule » en fonction des règles grammaticales et du contexte linguistique est prise dans les programmes linguistiques et résulte en premier lieu de l’analyse faite par le programme Epropnou.c, qui traite les noms propres, les sigles, les acronymes, etc. Le traitement peut se poursuivre au niveau du transfert dans les routines lexicales, comme dans la paire de langues anglais-italien. La DGT relève également que la décision sur les majuscules peut même être prise au niveau des dictionnaires. Par exemple sont codés avec majuscule en début de mot tous les noms propres (Panama, Palestine, Parkinson) ou tous les substantifs allemands.
243 Ces éléments ne remettent toutefois pas en cause la nécessité d’une intervention sur le noyau afin de mettre en œuvre le marché attribué. Il importe peu à cet égard de savoir quelle est la nature linguistique ou mécanique de l’intervention réalisée, puisque seul est en cause le fait que des modifications non autorisées sont apportées à des éléments protégés par le droit d’auteur et le savoir-faire. De même, il importe peu de savoir qu’une autre approche est possible, ce qui compte est l’approche adoptée dans la version EC-Systran Unix, laquelle est ici la même que celle adoptée dans la version Systran Unix. En l’espèce, l’appel d’offres demandait à l’attributaire d’améliorer le programme informatique relatif à cette fonctionnalité et rien ne vient contredire l’affirmation de l’expert en informatique des requérantes, selon laquelle le traitement informatique des majuscules d’une langue à une autre s’effectue dans le noyau dans le cadre des modules de post-traitement du texte. Au contraire, la DGT reconnaît expressément que le noyau est, à tout le moins, mis à contribution dans le cadre de ce processus, puisque les décisions prises par certaines routines y sont mises en œuvre. Au demeurant, en ce qui concerne les codes sources des versions Systran Unix et EC-Systran Unix, il y a lieu de relever que M. Bitan a non seulement démontré que 80 à 95 % des codes sources étaient similaires dans les noyaux des deux versions, mais aussi que d’autres similitudes existaient au niveau des routines linguistiques, dès lors qu’une grande partie des routines de la version Systran Unix se retrouve dans la version EC-Systran Unix. Tout comme la version EC-Systran Unix, la version Systran Unix dispose d’un programme permettant de traiter les majuscules. Ici encore, l’appel d’offres ne demande pas à l’attributaire d’encoder tous les mots qui existent avec une majuscule, mais d’améliorer le programme informatique relatif à cette fonctionnalité.
244 La DGT n’envisage pas la question du respect des conventions de la Commission, laquelle nécessite selon M. Bitan une intervention sur le noyau.
245 Pour ce qui est du traitement du génitif anglais «’s » (par exemple le terme « operator’s »), la DGT souligne que le rôle du noyau dans le traitement de ce type de mots est très limité et consiste à supprimer le «’s » pour permettre la recherche du mot simple (c’est-à-dire le mot « operator ») dans le dictionnaire. De plus, comme ce traitement fonctionne parfaitement, il n’y aurait aucune raison de le modifier.
246 Ces éléments ne remettent nullement en cause la nécessité d’un accès au noyau et de sa modification pour mettre en œuvre le marché attribué. Au contraire, la DGT confirme expressément le rôle du noyau dans le traitement du génitif anglais et se contente d’indiquer que le rôle du programme informatique mis au point pour assurer cette fonctionnalité fonctionnait parfaitement, alors qu’il ressort du texte même de l’appel d’offres qu’il s’agissait d’une des améliorations spécifiques qui devaient être réalisées par l’attributaire du marché.
247 La nature des interventions demandées à la société Gosselies a fait l’objet de plusieurs questions dans le cadre de la deuxième série de questions du Tribunal et lors de l’audience. En particulier, le Tribunal a demandé à la Commission d’indiquer si elle avait effectivement donné accès aux codes sources du noyau du logiciel Systran pour permettre la réalisation des travaux confiés à la société Gosselies, que ces derniers portent ou non, à titre accessoire ou principal, sur d’autres parties du logiciel Systran. Dans l’hypothèse où la Commission devait maintenir les affirmations selon lesquelles, d’une part, les travaux en cause ne nécessitaient pas d’intervention au niveau du noyau de base et, d’autre part, elle n’a pas divulgué à Gosselies les codes sources du système EC-Systran Unix, il avait été demandé aux parties d’indiquer si et comment ces affirmations pourraient être vérifiées sur le plan technique.
248 En réponse à ces questions, la Commission a maintenu ses affirmations selon lesquelles « les travaux confiés à la société Gosselies ne nécessitaient pas d’intervention au niveau du noyau de base » et a indiqué qu’« elle n’a[vait] pas donné accès aux codes sources du noyau du logiciel Systran ou divulgué à Gosselies les codes sources du système EC-Systran Unix ». Elle a également fait référence à l’accord de confidentialité relatif à l’appel d’offres du 4 octobre 2003, lequel importe peu en ce qui concerne la question de la responsabilité de la Commission dans la présente affaire. Pour ce qui est de la vérification technique de ces affirmations qui sont contredites par le texte de l’appel d’offres et la première note technique Bitan, la Commission soutient ce qui suit dans sa réponse à la deuxième série de questions :
« Compte tenu des compétences requises pour accomplir les actes visés ci-dessus et des qualifications de linguistes (et non d’informaticiens) des employés de Gosselies qui devaient exécuter le contrat avec la Commission, on peut affirmer que ces derniers n’étaient absolument pas en mesure d’intervenir sur le noyau de base. À cet égard, on peut préciser que les travaux qui ont été réalisés à l’époque par la société Gosselies sont aujourd’hui réalisés par les linguistes de la Commission. »
249 Cette réponse est à comparer à la réponse des requérantes, dont l’expert, M. Bitan, indique dans sa troisième note technique, relative à la méthode de vérification des affirmations techniques de la Commission, la démarche à suivre pour comparer les deux versions du logiciel EC-Systran Unix, à savoir celle qui est antérieure à l’appel d’offres et celle qui est postérieure et qui permet de satisfaire les attentes de la Commission. Ce point a été discuté lors de l’audience, au cours de laquelle la Commission a relevé qu’une telle démarche n’était pas aussi difficile à mettre en œuvre qu’elle le pensait.
250 En conséquence, au vu des arguments avancés par les parties et des réponses fournies aux questions du Tribunal, il y a lieu de considérer que la Commission n’est pas parvenue à remettre en cause les données présentées par les requérantes à l’appui de leur thèse, selon laquelle les travaux demandés à Gosselies nécessitaient d’avoir accès au code source de la version EC-Systran Unix et de le modifier. La position de la Commission est contredite à la fois par les données techniques produites sur ce point par les requérantes et par son propre appel d’offres. Par ailleurs, les requérantes soutiennent que la « société Gosselies, qui n’avait qu’une existence embryonnaire au moment de l’appel d’offres et quasiment pas de salariés, a réussi grâce à l’embauche des anciens salariés de Systran Luxembourg à acquérir les compétences humaines pour répondre à l’appel d’offres et obtenir le marché ». Or, il ressort des rapports d’activités de Systran Luxembourg produits en annexes 4 et 5 de la réponse de la Commission à la dernière série de questions que celle-ci réalisait des tâches de nature informatique plutôt que linguistique. Lors de l’audience, la Commission a produit les curriculum vitae relatifs aux salariés de Gosselies, ce qui a permis de constater qu’ils n’étaient pas seulement des linguistes, mais aussi des informaticiens parfaitement à même d’accéder aux codes sources du logiciel Systran et de travailler sur lesdits codes, y compris ceux correspondant au noyau ou aux routines linguistiques associées.
251 Enfin, il convient de relever que, en réponse à la troisième série de questions sur les éléments à retenir pour l’évaluation du préjudice, la Commission a présenté en annexe un rapport d’expertise daté du 3 mai 2010 préparé par M. L. Golvers, ingénieur civil, expert en informatique auprès des tribunaux belges, sur les prétendues fautes qu’elle aurait commises en ce qui concerne la modification du noyau de la version EC-Systran Unix et la divulgation du savoir-faire de Systran, ci-après le « rapport Golvers » ; voir, également, la note d’observations sur le rapport Golvers faite par M. Bitan sans préjudice de la décision du Tribunal sur l’admissibilité du rapport Golvers, produite en annexe aux réponses des requérantes à la quatrième série de réponses) ainsi qu’une attestation datée du 23 avril 2010 présentée par M. A. Seck, administrateur de la société Gosselies, qui expose le contenu des travaux réalisés par cette société pour la Commission, ci-après l’« attestation Gosselies »).
252 Force est toutefois de constater que le rapport Golvers comme l’attestation Gosselies ont été présentés à un stade extrêmement tardif sans que le retard apporté à leur présentation ait fait l’objet de la moindre motivation au moment où ces documents ont été produits. Cette absence de motivation est d’autant plus incompréhensible que les différents aspects de l’illégalité du comportement de la Commission, et spécialement les aspects relatifs à l’expertise informatique attendue de la Commission pour réfuter les arguments présentés par l’expert en informatique des requérantes et les informations susceptibles d’être présentées pour mieux comprendre les travaux réalisés par l’attributaire du marché, avaient fait l’objet des deux premières séries de questions et ont été abondamment discutées lors de l’audience.
253 En conséquence, conformément à l’article 48, paragraphe 1, du règlement de procédure, il y a lieu de considérer que le rapport Golvers comme l’attestation Gosselies ne sont pas recevables et qu’il convient de ne pas en tenir compte dans le cadre de l’appréciation des arguments des parties.
254 En tout état de cause, s’agissant du rapport Golvers, il y a lieu de souligner que ce rapport, pourtant préparé par un ingénieur civil, expert en informatique auprès des tribunaux belges, ne vient pas contredire les résultats de l’expertise informatique présentée par l’expert des requérantes sur ce point. En effet, M. Golvers ne base pas son rapport sur les différentes versions du logiciel Systran, qu’il s’agisse de Systran Unix ou des différentes versions d’EC-Systran Unix, avant et après la réalisation des travaux prévus par l’appel d’offres litigieux, et il n’a pas examiné le résultat des travaux réalisés par la société Gosselies pour le compte de la Commission. À cet égard, il doit être rappelé que, en réponse à une question écrite du Tribunal et lors de l’audience, l’expert en informatique des requérantes a clairement indiqué comment il était possible pour la Commission de comparer les différentes versions du logiciel EC-Systran Unix afin de confirmer ou de réfuter les indications selon lesquelles les différents travaux envisagés par l’appel d’offres nécessitaient d’avoir accès au noyau et aux routines linguistiques associées et avaient pour conséquence de les modifier. La Commission s’est ainsi vu offrir à plusieurs reprises la possibilité de s’exonérer de toute responsabilité en apportant la preuve matérielle qu’aucune modification des données protégées par le droit d’auteur et le savoir-faire de Systran n’avait été effectuée à la suite de la réalisation des travaux prévus par l’appel d’offres. Cette preuve matérielle n’est pas constituée par le rapport Golvers.
255 Le rapport Golvers est exclusivement basé sur les mémoires, les annexes et les actes de procédure de la présente affaire, y compris les différentes notes techniques de l’expert en informatique des requérantes, et des entretiens avec des fonctionnaires de la DGT ainsi qu’avec M. D. Buisoni, administrateur de la société Gosselies et ancien programmeur de Systran Luxembourg. Sur le plan technique, M. Golvers rappelle en substance l’importance que la Commission attache aux dictionnaires qu’elle a élaborés, ce qui n’est pas discuté et n’empêche nullement le groupe Systran de faire valoir des droits de propriété intellectuelle sur le noyau du logiciel Systran, qu’il s’agisse de la version initiale Systran Mainframe, mais aussi et surtout de la version Systran Unix, seule pertinente pour la présente affaire.
256 M. Golvers souligne également que, par hypothèse, le personnel de la société Gosselies n’avait pas les compétences techniques nécessaires pour effectuer des interventions sur des programmes complexes écrits en langage C, alors même qu’il indique aussi que la société Gosselies était composée du personnel de Systran Luxembourg, lequel était parfaitement à même de travailler sur les différentes versions du logiciel Systran.
257 En outre, dans sa description des travaux réalisés par Gosselies pour satisfaire à l’appel d’offres, M. Golvers met surtout l’accent sur les travaux destinés à répondre au paragraphe 3.1 de l’appel d’offres, à savoir le codage des dictionnaires, et n’envisage guère les travaux liés à la mise en œuvre du paragraphe 3.2, c’est-à-dire les améliorations, adaptations et ajouts apportés aux routines linguistiques.
258 Pour ce qui est du codage, celui-ci était réalisé par l’intermédiaire d’un logiciel extérieur, dit « DMP », non mentionné dans l’appel d’offres dont l’existence est invoquée pour la première fois à ce stade de la procédure, soit le 5 mai 2010. Selon le rapport Golvers, le codage des dictionnaires a consisté dans l’ajout et la correction de 10 577 entrées. L’attestation Gosselies indique, à ce propos, que la société Gosselies « avait comme mission d’apurer les dictionnaires électroniques qui, au fil des années, contenaient des milliers d’adaptations à effectuer » et que, pour ce faire, elle « a utilisé le logiciel DMP permettant de visualiser plus facilement les incohérences, de les corriger et […] de sauvegarder les dictionnaires dans un format ouvert de bases de données ». À cet égard, au vu des observations présentées par l’expert des requérantes sur ce point, il y a lieu de constater qu’il semble peu vraisemblable que la Commission ait pu payer environ 2 millions d’euros pour demander à un prestataire extérieur de corriger 10 577 entrées d’un programme, soit, selon les calculs effectués par M. Bitan compte tenu de la durée du marché, l’équivalent de 2,5 entrées par jour par employé de Gosselies, alors qu’un lexicographe de Systran réalise en moyenne 400 entrées par jour.
259 En ce qui concerne les autres travaux, le rapport Golvers indique de manière sommaire que la société Gosselies « a réalisé majoritairement des travaux de mise à jour des dictionnaires et quelques adaptations de routines linguistiques, non pas dans le ‘kernel’, mais sur les fichiers extraits automatiquement du Mainframe Amdhal ». L’attestation Gosselies n’évoque même pas cet aspect des travaux réalisés sauf, peut‑être, d’une manière ambiguë, en indiquant que « les adaptations au niveau des dictionnaires n’avaient pour but ultime que d’améliorer la traduction ». À suivre la thèse avancée par M. Golvers, même s’il s’avérait que les « quelques » adaptations des routines linguistiques réalisées par la société Gosselies nécessitaient de travailler sur le code source de la version EC-Systran Unix, le groupe Systran ne disposerait pas de droit d’auteur ou de savoir-faire à cet égard, puisqu’il ne s’agirait que de la version Unix d’un code source qui existait antérieurement dans la seule version EC-Systran Mainframe sur laquelle le groupe Systran ne pourrait pas faire valoir le moindre droit et qui ne serait en rien rattachable à la version Systran Unix. À cet égard, il y a lieu de rappeler qu’il ressort de l’instruction que la version Systran Unix est une version qui peut être qualifiée d’œuvre primaire, originale et susceptible de protection, que la version EC-Systran Unix est une version dérivée de Systran Unix qui comporte plusieurs similitudes substantielles au niveau du noyau et des routines linguistiques et que la Commission n’a jamais été en mesure d’établir sur quels éléments du noyau et des routines linguistiques de Systran Unix elle revendiquait la propriété du fait de ses droits détenus sur les dictionnaires et les routines linguistiques associées d’EC-Systran Mainframe, sans que les requérantes puissent invoquer à cet égard les droits détenus sur la version originale Systran Mainframe.
260 En revanche, les requérantes allèguent et démontrent à suffisance que les modifications demandées par le paragraphe 3.2 de l’appel d’offres nécessitent d’avoir accès aux éléments de la version EC-Systran Unix qui sont repris de la version Systran Unix et de les modifier. La Commission est restée en défaut de rapporter la preuve contraire, en procédant à une comparaison entre les différentes versions du logiciel Systran, afin de démontrer qu’aucune des données contenues dans le noyau de la version Systran Unix n’a été modifiée par les travaux réalisés à la suite de l’appel d’offres.
261 Il ressort de ce qui précède que, en s’octroyant le droit de réaliser des travaux devant entraîner une modification des éléments relatifs à la version Systran Unix du logiciel Systran qui se retrouvent dans la version EC-Systran Unix, sans avoir obtenu préalablement l’accord du groupe Systran, la Commission a commis une illégalité au regard des principes généraux communs aux droits des États membres applicables en la matière. Cette faute, qui constitue une violation suffisamment caractérisée des droits d’auteur et du savoir-faire détenus par le groupe Systran sur la version Systran Unix du logiciel Systran, est de nature à engager la responsabilité non contractuelle de la Communauté.
B – Sur les préjudices subis et le lien de causalité
1. Sur le préjudice subi par Systran Luxembourg et le lien de causalité
a) Arguments des parties
262 Les requérantes font valoir que le préjudice subi par Systran Luxembourg s’élève au moins à 1 170 328 euros. Ce préjudice comprendrait, tout d’abord, les pertes de 571 000 euros subies par cette société en 2003. En effet, l’appel d’offres lancé en 2003 par la Commission aurait été précédé d’une cessation des relations commerciales avec Systran Luxembourg, laquelle a entraîné le licenciement des salariés de cette société. Ces pertes devraient donc être prises en considération, puisque la décision de licencier son personnel n’a été prise qu’après la cessation des relations commerciales avec la Commission. Le préjudice de Systran Luxembourg serait également constitué par le manque à gagner sur le contrat attribué à la société Gosselies à l’issue de l’appel d’offres en violation des droits du groupe Systran. Les requérantes estiment ce manque à gagner à 30 % de la marge nette. Le contrat attribué à la société Gosselies prévoyant un chiffre d’affaires de 800 000 euros par an sur quatre ans, ce préjudice serait égal à 30 % de 3 200 000 euros, soit 960 000 euros. Au stade de la réplique, les requérantes précisent que ce montant serait de 599 328 euros, compte tenu du calcul présenté par la Commission, selon laquelle il conviendrait de calculer les 30 % sur la somme de 1 997 760 euros. Le préjudice subi par Systran Luxembourg découlerait directement des actes de la Commission, qui seraient seuls à l’origine des licenciements effectués par cette société. De même, le manque à gagner subi par Systran Luxembourg serait directement lié à la décision de la Commission d’attribuer le marché à la société Gosselies en violation des droits du groupe Systran.
263 La Commission soutient que les requérantes n’établissent pas la réalité du dommage invoqué en ce qui concerne Systran Luxembourg. En outre, les comportements qui lui sont imputés ne seraient pas à l’origine des pertes de cette société en 2003 et du manque à gagner invoqué pour les années 2003 à 2007. En effet, Systran Luxembourg et Systran n’auraient pas répondu à l’appel d’offres du 4 octobre 2003. De plus, à supposer même que ce préjudice existe, la base de calcul utilisée devrait prendre en compte le chiffre d’affaires total résultant des contrats passés avec la société Gosselies à la suite de l’appel d’offres du 4 octobre 2003, soit 1 997 760 euros sur quatre ans et non 3 200 000 euros comme l’indiquent les requérantes. En outre, l’objet social de Systran Luxembourg serait diversifié et viserait les « développements informatiques notamment dans le domaine des langues naturelles, la vente et les prestations de services informatiques et de logiciels, le traitement, la saisie et la traduction de texte sous quelque forme que ce soit ». La cessation d’activités de Systran Luxembourg ne pourrait donc être imputée à la Commission.
b) Appréciation du Tribunal
264 Les requérantes demandent à être indemnisées d’un montant de 1 170 328 euros au titre du préjudice prétendument subi par Systran Luxembourg, soit 571 000 euros du fait des pertes liées à la cessation d’activités en 2003 et 599 328 euros du fait du manque à gagner lié à l’attribution de l’appel d’offres à la société Gosselies.
265 Cependant, il convient de relever que le fait générateur du préjudice lié à la cessation d’activités consisterait, comme cela a été précisé par les requérantes lors de l’audience, en une manœuvre de la Commission visant à pousser Systran Luxembourg à licencier son personnel. Une telle manœuvre, qui a eu pour effet la cessation des relations commerciales, à supposer même qu’elle soit démontrée, n’est pas liée aux droits d’auteur et au savoir-faire de Systran sur Systran Unix, dont la méconnaissance constitue l’illégalité invoquée par les requérantes et retenue en l’espèce. De plus, le préjudice consistant dans le manque à gagner ne peut être directement imputé à la Commission, faute pour Systran Luxembourg d’avoir présenté sa candidature à l’appel d’offres litigieux, lequel allait conduire à l’attribution du marché à la société Gosselies.
266 En l’absence de lien de causalité entre le comportement reproché à la Commission et les dommages allégués par Systran Luxembourg, celle-ci ne peut être indemnisée du préjudice qu’elle invoque.
267 En conséquence, la demande de Systran Luxembourg visant à être indemnisée pour les pertes liées à la cessation de ses activités en 2003 et pour le manque à gagner lié à l’attribution de l’appel d’offres à la société Gosselies doit être rejetée.
2. Sur les préjudices subis par Systran et le lien de causalité
268 À ce stade, il importe de rappeler que l’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté, au sens de l’article 288, deuxième alinéa, CE, exige que le préjudice dont il est demandé réparation soit réel et certain (voir arrêt Agraz e.a./Commission, point 126 supra, point 27, et la jurisprudence citée) et qu’il existe un lien suffisamment direct de cause à effet entre le comportement de l’institution et le dommage (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 4 octobre 1979, Dumortier e.a./Conseil, 64/76, 113/76, 167/78, 239/78, 27/79, 28/79 et 45/79, Rec. p. 3091, point 21).
a) Arguments des parties
Sur les différentes formes de préjudice, sa réalité et le lien de causalité
269 En premier lieu, les requérantes font valoir que le préjudice matériel subi par Systran s’élève au total à 46 804 000 euros. Ce préjudice découlerait directement des actes de la Commission. Il résulterait, tout d’abord, de la dépréciation des titres de Systran Luxembourg détenus par Systran. La valeur de ces titres, provisionnés à 100 % dans la comptabilité de Systran, serait de 1 950 000 euros, auxquels il faudrait rajouter une autre provision de 64 000 euros, soit au total 2 014 000 euros. Le préjudice matériel de Systran serait également constitué par la perte de valeur économique de ses actifs incorporels. En attribuant le marché à la société Gosselies et en divulguant ainsi le savoir-faire de Systran sans avoir obtenu son accord, la Commission aurait vidé ces actifs de leur valeur économique, laquelle réside dans leur caractère secret. Le préjudice que la Commission devrait réparer dans son intégralité correspondrait donc à la valeur du savoir-faire divulgué. Les requérantes insistent aussi sur le fait que la contrefaçon et la divulgation de savoir-faire alléguées leur causent un préjudice réel. Elles produisent plusieurs attestations de distributeurs, de financiers et de commissaires aux comptes montrant à quel point l’attitude de la Commission en ce qui concerne leurs droits d’auteur leur porte gravement préjudice.
270 La Commission critique cette évaluation du préjudice matériel, aux motifs que la réalité du dommage invoqué ne serait pas établie et que, quand bien même elle serait l’auteur des prétendus griefs qui lui sont reprochés, ces fautes n’auraient pas entraîné la dépréciation totale des titres de Systran Luxembourg et un dommage correspondant à la perte totale de la valeur patrimoniale des actifs incorporels de Systran. Les requérantes resteraient également en défaut de prouver le moindre lien de causalité entre les illégalités alléguées et le préjudice matériel prétendument subi. De plus, il ressort du rapport annuel de Systran pour l’année 2005, qui reprend les comptes de 2001 à 2005, que l’année 2003 a été particulièrement faste par rapport aux années précédentes (2001 et 2002) et suivantes (2004 et 2005). Ce rapport annuel n’expliquerait pas la baisse du chiffre d’affaires par la perte de la Commission comme client ou par l’existence d’une prétendue contrefaçon réalisée par la Commission. À cet égard, le rapport annuel relève :
« En règle générale, les programmes informatiques ne sont pas des inventions brevetables. Le Groupe conserve l’intégralité des droits d’auteur relatifs à sa technologie et à ses produits. À ce jour, le Groupe n’a pas été engagé dans un contentieux dans le domaine des droits de propriété intellectuelle [...] Il n’existe pas de litige ou d’arbitrage susceptible d’avoir ou ayant eu, dans un passé récent, une incidence sensible sur la situation financière, l’activité ou le résultat du Groupe. »
271 En ce qui concerne les différentes attestations produites pour illustrer la réalité du préjudice, la Commission conteste tout d’abord l’attestation des commissaires aux comptes au motif qu’il y est indiqué que la divulgation qui lui est reprochée justifierait partiellement la provision effectuée par Systran. Elle affirme en substance qu’il s’agit d’une « écriture d’opportunité » effectuée à propos d’une année, l’année 2008, où toutes les entreprises étaient prudentes. La Commission soutient également qu’il serait manifestement inexact que son comportement soit venu perturber les relations commerciales du groupe Systran, dès lors que c’est lui qui a médiatisé le litige et que ni elle ni Gosselies ne sont des concurrentes du groupe Systran. Les documents fournis par les distributeurs de Systran seraient manifestement établis a posteriori et il serait absurde de soutenir que la prétendue contrefaçon ait pu avoir un impact sur ces distributeurs. Les difficultés commerciales seraient plutôt dues à l’apparition de solutions concurrentes, à l’obsolescence de différentes versions du logiciel ou à la crise économique de 2008/2009. La Commission estime par ailleurs qu’est inexacte l’affirmation selon laquelle son comportement pourrait représenter un obstacle important pour les investisseurs intéressés par le groupe Systran. Leur comportement pourrait en effet s’expliquer par le fait que le groupe Systran a perdu la Commission comme client. Aucun lien de causalité ne serait démontré à cet égard.
272 En second lieu, les requérantes évaluent le préjudice moral subi par Systran à, au moins, 2 millions euros. Ce préjudice moral ne pourrait être qu’estimé, même s’il est certain, puisque le groupe Systran a subi des pertes considérables du fait de la divulgation par la Commission. La réputation du groupe Systran serait également mise à mal par le fait que les requérantes ont été contraintes d’entamer une procédure contre un client institutionnel, ce qui nuirait considérablement à leur image et à leurs relations d’affaires. De plus, le comportement de la Commission ne pourrait qu’inciter les autres clients et les clients potentiels du groupe Systran à tenter de s’approprier son système par d’autres voies que celle du commerce.
273 À ce égard, la Commission fait observer que Systran est seule responsable de la médiatisation du litige et qu’il n’y a donc pas lieu de l’indemniser d’un quelconque préjudice moral. La Commission souligne également que si la victime d’une contrefaçon n’est pas en mesure d’apporter la preuve de son préjudice ou de l’étendue de celui-ci, l’indemnisation pourra être refusée ou limitée au « franc symbolique ». Aucune preuve ne serait apportée quant à l’existence d’un préjudice moral de 2 millions d’euros ou au lien de causalité entre le comportement qui lui serait reproché et ce prétendu dommage.
Sur l’évaluation initiale de la perte de valeur des actifs incorporels
274 En réponse aux observations de la Commission sur la perte de valeur des actifs incorporels, les requérantes ont produit une note réalisée par leur expert financier (note de M. A. Martin, expert-comptable et commissaire aux comptes en France agréé par différentes juridictions françaises dont la Cour de cassation, sur l’évaluation des actifs incorporels de Systran, ci-après la « première note financière des requérantes »). En ce qui concerne Systran, société « monoproduit », les seuls actifs incorporels « valorisables » seraient le logiciel et le savoir-faire qu’elle immobiliserait pour partie dans ses comptes. Cette valeur comptable ne constituerait toutefois pas la valeur réelle de ces actifs, laquelle pourrait être estimée à partir de la valeur boursière de la société. En l’espèce, l’évolution du cours de l’action de Systran permettrait ainsi d’établir une corrélation évidente entre les fautes de la Commission et la perte de valeur boursière de cette société et donc la perte de valeur de ses actifs incorporels. Dans la première note financière des requérantes, M. Martin conclut ainsi : « Les actifs incorporels de Systran pouvaient] être évalués à partir de la capitalisation boursière au début de l’année 2004 de l’ordre de 43 [à] 45 millions d’euros. Ces actifs incorporels représentent essentiellement le logiciel de traduction automatique, produit unique de Systran, et le savoir-faire associé. Fin 2004 ces actifs incorporels ne représentaient plus qu’une valeur de 23 [à] 24 millions d’euros, la dépréciation de 20 [à] 21 millions d’euros ne trouvant d’autre explication que les actes de la Commission […] qui ont conduit à la divulgation de ces éléments et à leur utilisation litigieuse. » En conséquence, les requérantes font valoir à ce stade que la Commission devrait être condamnée, pour ce qui est de la perte de valeur des actifs incorporels, à la somme de 44 790 000 euros dans la mesure où la divulgation fait perdre à ces actifs l’intégralité de leur valeur économique. À tout le moins, la Commission devrait être condamnée à l’indemnisation du préjudice certain et d’ores et déjà constaté consistant dans la perte de la valeur attribuée par le marché, à savoir la somme de 21 millions d’euros qui découle de la divulgation.
275 En réponse à la première note financière des requérantes, la Commission présente une note réalisée par son expert financier (note de Mme P. Tytgat, réviseur d’entreprise en Belgique). Ainsi, en réponse à l’affirmation selon laquelle « après une baisse en 2004 due en grande partie à la perte de la Commission [comme client], le chiffre d’affaires [de Systran] est resté stable en 2005 avant de subir une nouvelle baisse en 2006 », l’expert de la Commission relève que c’est Systran Luxembourg et non Systran qui avait la Commission comme cliente et qu’une telle affirmation semble démontrer que la baisse du chiffre d’affaires de Systran ne résulterait pas de la prétendue contrefaçon. Pour réfuter les affirmations selon lesquelles « la diminution de la capitalisation boursière au cours de l’année 2004 […] n’a pas d’autres explications que les actes de la Commission » et « la chute régulière du cours de [l’action] de Systran en 2004 au fur et à mesure que la nouvelle de la divulgation du logiciel et du savoir-faire associé par la Commission se répand, alors même que les valeurs boursières progressent, le CAC 40 progressant ainsi en valeur moyenne mensuelle de 3 636 [points] en janvier à 3 796 [points] en décembre 2004 », l’expert de la Commission relève que la comparaison de l’évolution du titre de Systran ne devrait pas être faite par rapport à celle de l’indice CAC 40, mais par rapport à l’indice sectoriel Logiciels et services informatiques de la Bourse de Paris. Cette évolution montrerait que le titre Systran a suivi l’indice sectoriel, ce qui prouverait que la prétendue contrefaçon ne serait pas à l’origine du dommage invoqué. En outre, la valeur d’un actif incorporel dépendrait d’une évaluation financière à un moment donné et non du cours de l’action qui dépendrait de toute une série d’autres facteurs. Ce serait donc à tort que les requérantes allèguent que la valeur des immobilisations incorporelles d’une société serait, automatiquement et sans distinction, fonction de sa capitalisation boursière. L’expert de la Commission souligne aussi que l’actif de Systran n’est pas constitué du seul logiciel Systran. Cette société commercialiserait d’autres logiciels et posséderait une marque qui, compte tenu de sa position sur le marché des logiciels de traduction, constitue un autre élément important de son actif incorporel. Systran ne serait donc pas « monoproduit » et il ne saurait être question de soutenir que la valeur de l’ensemble du fonds de commerce Systran ait pu être affectée.
Sur les autres évaluations du préjudice
276 À la suite de l’audience et en réponse aux troisième et quatrième séries de questions relatives à l’évaluation du préjudice, les requérantes mentionnent les deux méthodes d’évaluation envisagées par l’article 13 de la directive 2004/48, à savoir la méthode dite « des conséquences économiques négatives », qui prend en considération « tous les aspects appropriés », dont le manque à gagner et la perte de valeur des actifs incorporels, et la méthode dite « de l’indemnisation forfaitaire », qui fixe forfaitairement le montant des dommages-intérêts sur la base d’éléments tels que le montant des redevances qui auraient été dues si le contrevenant avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit de propriété intellectuelle en question. Les réponses des requérantes sont assorties de deux notes établies par leur expert financier (note de M. Martin du 23 avril 2010 et note de M. Martin du 2 juin 2010, ci-après, respectivement, la « deuxième note financière des requérantes » et la « troisième note financière des requérantes »).
277 À titre liminaire, les requérantes reviennent, tout d’abord, sur la réalité du préjudice subi du fait de la perte de valeur des actifs incorporels. Ils soulignent que, au cours de l’année 2004, en à peine douze mois après l’attribution du marché, ces actifs incorporels ont été dépréciés de 46 %, soit d’un montant compris entre 20 et 21 millions d’euros, alors que sur la même période la capitalisation boursière des valeurs du secteur augmentait de 1,5 % selon les données de l’indice Logiciels et services informatiques de la Bourse de Paris. Seule la divulgation par la Commission du savoir-faire de Systran pourrait expliquer une telle chute du cours de son action. Cette perte de valeur se serait aggravée par la suite pour atteindre en mars 2010 entre 43 et 45 millions d’euros.
278 Les requérantes soutiennent, ensuite, que la perte de valeur des actifs incorporels est à prendre en considération au titre de la méthode des conséquences économiques négatives comme de la méthode de l’indemnisation forfaitaire. Deux approches permettraient d’apprécier cette perte de valeur : l’évaluation par détermination des pertes de cash-flows futurs proposée lors de l’audience par Mme Tytgat, l’expert financier de la Commission, ou l’évaluation par comparaison avec la capitalisation boursière proposée initialement par M. Martin. Les requérantes font valoir que la première approche est moins pertinente que la seconde, dès lors qu’elle repose sur des éléments prévisionnels et hypothétiques. Cette approche a toutefois été suivie par M. Martin, dans la deuxième note financière des requérantes, qui conclut que le préjudice de Systran serait alors de 33,5 millions d’euros (soit 18,5 millions d’euros pour la période 2004/2010 et 15 millions d’euros pour le futur selon les données actualisées pour tenir compte du premier semestre de 2010). En ce qui concerne la seconde approche, les requérantes relèvent que l’indication selon laquelle d’autres facteurs que le comportement illégal de la Commission pourraient expliquer la perte de capitalisation boursière est pertinente en théorie, mais sans conséquence en l’espèce, dès lors qu’aucun autre facteur n’expliquerait la baisse de la capitalisation boursière de 46 % en 2004 comparée à l’augmentation de 1,5 % de l’indice de référence. En toute hypothèse, quelle que soit l’approche retenue, le préjudice résultant de la perte de valeur des actifs incorporels s’élèverait au minimum à la somme de 20 millions d’euros.
279 En réponse à la question du Tribunal sur l’évaluation de la perte de valeur des actifs incorporels par application d’un taux de 5 % au chiffre d’affaires réalisé depuis 2004, les requérantes font valoir qu’une telle approche ne pourrait être suivie qu’au titre de la méthode de l’indemnisation forfaitaire et non au titre de la méthode des conséquences économiques négatives. En application de la méthode de l’indemnisation forfaitaire, il conviendrait alors de prendre en considération les éléments suivants : le montant des redevances dont aurait dû s’acquitter la Commission pour pouvoir modifier le code source de Systran (soit 10,9 millions d’euros pour la période allant de 2004 au premier semestre de 2010), augmenté, premièrement, d’un « montant complémentaire » tenant compte d’autres éléments tels que l’affaiblissement de la position concurrentielle de Systran, la perte de clientèle et l’entrave à la capacité de développement que le seul octroi des redevances visées ci-dessus ne saurait réparer – à cet égard, M. Martin relève que ce montant complémentaire peut être déterminé par l’application d’un pourcentage au chiffre d’affaires, sous réserve de la prise en compte du chiffre d’affaires mondial et non européen, de la prise en considération comme base de calcul du chiffre d’affaires de 2003, de l’application d’un taux non pas de 5 mais de 10 % –, et, deuxièmement, du préjudice futur évalué par M. Martin à 15 millions d’euros.
280 Pour sa part, la Commission conteste à titre liminaire la réalité du préjudice matériel subi par le groupe Systran, dès lors qu’il ne découlerait pas de façon suffisamment directe du comportement qui lui est reproché. En invoquant ses droits sur les dictionnaires, la Commission soutient qu’elle pouvait faire procéder aux travaux demandés à la société Gosselies sans l’accord du groupe Systran. La Commission note également que les employés de Gosselies étaient des employés de Systran Luxembourg et qu’ils avaient donc connaissance du savoir-faire dont la divulgation serait alléguée. Les réponses de la Commission étaient assorties d’une note réalisée par leur expert financier (note de Mme Tytgat du 3 mai 2010 et note de Mme Tytgat du 10 juin 2010, ci-après, respectivement, la « deuxième note financière de la Commission » et la « troisième note financière de la Commission »).
281 En réponse à la question du Tribunal sur l’évaluation d’une partie du préjudice subi par application d’un taux de 5 % au chiffre d’affaires réalisé depuis 2004, la Commission reprend l’analyse de Mme Tytgat selon laquelle « faire référence à 5 % du chiffre d’affaires réalisé par Systran depuis 2004 est non relevant ». Mme Tytgat souligne qu’aucun élément de fait ne permettrait de conclure que la valeur du fonds de commerce de Systran a pu être altérée depuis 2004. Faute d’avoir soumissionné à l’appel d’offres de la Commission en 2004, Systran se serait « mal positionnée sur une de ses activités à un moment donné ». Dans la matrice complexe des activités, coûts, marges et chiffres d’affaires de Systran, il ne serait pas possible de déterminer de manière précise, certaine et démontrée les effets financiers d’une action donnée, de même qu’il ne serait pas possible d’évaluer un préjudice grâce à la perte de capitalisation boursière. De plus, depuis 2005, divers éléments pourraient affecter la valeur du groupe Systran. La seule manière d’évaluer un éventuel préjudice consisterait à faire référence à la « perte de cash-flow futur strictement généré par l’actif perdu », grâce à une approche qui part du bas, « c’est-à-dire [des] contrats, [des] centres de frais, d’une unité génératrice de trésorerie », et non du haut, « de chiffres d’affaires agrégés tous produits, tous contrats, tous pays, avec des coefficients forfaitaires non démontrés ». En outre, l’activité de Systran serait « multiproduits, multisegments, multiterritoires, multiportails et, partant, multiclients ». En vertu du rapport annuel de Systran pour l’année 2008, les activités d’édition de logiciels qui seraient cycliques seraient en baisse, car la version 6 du logiciel Systran serait presque dépassée et tout le monde attendrait la version 7. La matrice multidimensionnelle évoquée par Mme Tytgat et la courte vie de certains produits commercialisés par Systran rendraient volatiles certaines composantes du chiffre d’affaires, et donc périlleuse toute référence à celui-ci. Enfin, l’essentiel du chiffre d’affaires de Systran proviendrait de gros opérateurs Internet, ce qui fournirait la preuve de l’inexistence du dommage, puisque ces clients seraient toujours présents.
b) Appréciation du Tribunal
282 En l’espèce, les requérantes demandent à être indemnisées de 46 804 000 euros au titre du préjudice matériel subi par Systran du fait de la Commission, soit 2 014 000 euros au titre de la dépréciation des titres de Systran Luxembourg et 44 790 000 euros au titre de la perte de valeur des actifs incorporels comprenant des pertes d’ores et déjà constatées de 21 millions d’euros.
Sur la dépréciation des titres de Systran Luxembourg
283 S’agissant du préjudice lié à la dépréciation des titres de Systran Luxembourg à la suite de la cessation d’activités de cette société, il convient de relever que Systran ne peut demander à être indemnisée à ce titre étant donné que l’origine de la cessation d’activités de Systran Luxembourg se trouverait selon les requérantes dans une manœuvre de la Commission visant à la pousser à licencier son personnel (voir point 265 ci-dessus). Une telle manœuvre, à supposer même qu’elle soit démontrée, n’est pas liée aux droits d’auteur et au savoir-faire de Systran sur Systran Unix, dont la méconnaissance constitue l’illégalité retenue en l’espèce. De plus, si la manœuvre en cause devait consister dans l’attribution du marché litigieux à une autre société, le préjudice invoqué à ce titre ne pourrait être directement imputé à la Commission, faute pour Systran Luxembourg d’avoir présenté sa candidature à l’appel d’offres litigieux, lequel allait conduire à l’attribution du marché à la société Gosselies.
284 En l’absence de lien de causalité entre le comportement reproché à la Commission et le dommage allégué, la demande de Systran visant à être indemnisée pour les pertes liées à la dépréciation des titres de Systran Luxembourg doit être rejetée.
Sur la perte de valeur des actifs incorporels
285 S’agissant du préjudice lié à la perte de valeur des actifs incorporels de Systran, il y a lieu d’indemniser les requérantes s’il s’avère que le préjudice dont il est demandé réparation est réel et certain et qu’il existe un lien suffisamment direct de cause à effet entre le comportement de la Commission et le dommage.
– Sur l’évaluation initiale proposée par les requérantes
286 À titre liminaire, il y a lieu d’indiquer que l’évaluation initialement proposée par les requérantes pour apprécier la perte de valeur des actifs incorporels de Systran ne peut être retenue. Cette évaluation repose, en effet, sur la comparaison de la valeur boursière de Systran par rapport à un indice réunissant les 40 principales sociétés cotées à la Bourse de Paris (indice CAC 40) (voir point 274 ci-dessus et la première note financière des requérantes). En l’espèce, une telle comparaison n’est pas probante, dès lors qu’elle est trop générale pour permettre d’identifier de manière satisfaisante le dommage causé par le comportement reproché à la Commission.
287 Ainsi que cela a été indiqué à juste titre par l’expert financier de la Commission, la perte de capitalisation boursière peut s’expliquer par de très nombreux facteurs et non par le seul comportement de la Commission.
288 Certes, l’expert financier des requérantes a fait observer à ce propos que, de son avis, aucun autre élément que la divulgation fautive du savoir-faire de Systran ne pourrait expliquer la chute du cours de l’action qui est intervenue au cours de l’année 2004, laquelle serait également significative si elle était comparée à un indice sectoriel pertinent, dit « Logiciels et services informatiques », de la Bourse de Paris et non plus à l’indice CAC 40.
289 Cependant, et contrairement à ce qu’affirment les requérantes, il n’est pas suffisamment établi que la chute régulière du cours de l’action de Systran en 2004 s’est réalisée au fur et à mesure que la nouvelle de la divulgation du logiciel et du savoir-faire associé par la Commission s’est répandue. En effet, à la lecture des différentes pièces du dossier, cette nouvelle s’est plutôt répandue en 2005 ou, en tout cas, est devenue publique en 2006. Ainsi, la plainte dirigée contre la Commission a été présentée au Médiateur européen le 28 juillet 2005 et celui-ci a présenté les résultats de son enquête le 28 septembre 2006. De même, dans la deuxième note financière de la Commission, Mme Tytgat relève, après avoir indiqué qu’« aucun élément de fait ne permet de conclure que la valeur du fonds de commerce […] de Systran ait pu paraître altérée depuis 2004 (voir site et autres communiqués) », que l’« on sait par ailleurs et par exemple que la divulgation même de l’existence du litige par Systran, dès son communiqué de presse du 18 octobre 2006 à 6 h 48 et son rapport annuel 2006, a eu des conséquences négatives sur la valeur du groupe ». Aucune référence n’était faite à ce litige dans le rapport annuel de Systran pour l’année 2005 (voir point 270 ci-dessus). Par ailleurs, les différents articles de presse joints en annexe à la requête pour illustrer la couverture médiatique de la présente affaire datent tous de la fin de l’année 2005 ou de 2006.
290 En conséquence, au vu des données produites par les parties, ne peut être écartée l’hypothèse selon laquelle le cours de l’action de Systran sur la période considérée dépendait de très nombreux facteurs susceptibles de l’influencer, ce qui ne permet pas aux requérantes de se prévaloir de la totalité de la perte de valeur des actifs incorporels de Systran, évaluée par elles à une somme comprise entre 43 et 45 millions d’euros depuis 2004.
– Sur la réalité du préjudice subi par Systran et le lien de causalité entre ce préjudice et le comportement de la Commission
291 Cette évaluation initiale insuffisamment précise ne saurait pour autant conduire le Tribunal à faire abstraction du fait que le groupe Systran a subi, en l’espèce, un préjudice réel et certain, imputable d’une manière suffisamment directe au comportement reproché à la Commission.
292 En réponse à la deuxième série de questions, visant notamment à mesurer les effets du comportement de la Commission sur les activités du groupe Systran autrement que grâce à une comparaison avec la valeur boursière de Systran, les requérantes ont communiqué toute une série d’éléments afin d’illustrer la perte de valeur du savoir-faire de Systran consécutive à sa divulgation par la Commission.
293 Premièrement, les requérantes ont présenté deux attestations émanant de leurs distributeurs, lesquelles exposent dans quelle mesure l’attitude de la Commission lors et à la suite de l’attribution du marché litigieux porte concrètement préjudice au groupe Systran dans ses activités commerciales. Ce préjudice se matérialise dans la perte de clients potentiels et la complication des discussions avec les clients actuels, qui ne comprennent pas pour quelle raison ils doivent payer quelque chose qui n’aurait pas de valeur pour la Commission (voir les attestations présentées au nom de deux distributeurs en annexes à la réponse des requérantes à la deuxième série de questions).
294 Contrairement à ce qu’affirme la Commission (voir point 271 ci-dessus), ces attestations illustrent le fait, parfaitement plausible, qu’un litige opposant une entreprise, qui commercialise un logiciel informatique dont elle est l’auteur, à un de ses clients institutionnels, qui prétend pouvoir confier des travaux informatiques à un tiers sur un logiciel dérivé du précédent sans avoir à obtenir d’autorisation de l’auteur de l’œuvre originale, rend plus difficile les relations commerciales de cette entreprise avec ses clients actuels et potentiels. À cet égard, la Commission ne peut reprocher à Systran, une société cotée en Bourse, d’avoir indiqué au public conformément à ses obligations qu’un litige les opposait en ce qui concerne la propriété intellectuelle du logiciel informatique qu’elle commercialise. De même, le fait que la Commission ne commercialise pas de logiciel informatique est sans incidence sur le fait que, en raison de son comportement, les clients du groupe Systran peuvent douter de l’étendue exacte des droits détenus par Systran sur le logiciel informatique qu’elle commercialise. Rien n’indique ainsi que les attestations produites par les requérantes doivent être écartées du fait de leur prétendue opportunité. Au contraire, ces attestations mettent en évidence l’impact spécifique du comportement de la Commission sur les activités commerciales de Systran.
295 Deuxièmement, les requérantes ont fourni plusieurs attestations ou témoignages rédigés par des sociétés financières, lesquels démontrent que le comportement de la Commission a diminué l’attractivité de Systran auprès de ses actionnaires, des investisseurs actuels ou potentiels, ou encore des repreneurs (voir les documents présentés au nom de plusieurs sociétés d’investissement et d’une banque en annexes à la réponse des requérantes à la deuxième série de questions).
296 Contrairement à ce qu’affirme la Commission (voir point 271 ci-dessus), ces différents témoignages et attestations exposent de manière suffisamment probante les réactions de plusieurs investisseurs face à l’idée de se maintenir, d’investir ou d’acquérir une société qui commercialise un logiciel informatique dont les droits sont contestés par la Commission. Certains investisseurs ont ainsi refusé d’investir dans Systran. Un autre a décidé de vendre une participation significative à perte en indiquant expressément que « le litige de Systran avec la Commission et surtout la contestation par celle-ci […] des droits et du savoir-faire de Systran empêchent la société de se développer commercialement et prive ainsi les investisseurs de toute visibilité sur le titre ». À cet égard, il importe de relever que la Commission n’est pas n’importe quel client, mais un client institutionnel qui dispose d’un service juridique particulièrement étoffé et de compétences significatives en matière de propriété intellectuelle. La nature du litige doit aussi être prise en considération, dès lors que ce litige n’est pas de nature simplement commerciale mais concerne les droits d’auteur et le savoir-faire de Systran relatifs au logiciel informatique qui porte son nom et constitue l’actif le plus important pour cette société, dont toute l’activité tourne autour du développement et de la commercialisation de son logiciel de traduction automatique Systran.
297 À cet égard, l’argumentation de la Commission selon laquelle l’obsolescence des différentes versions du logiciel Systran serait à l’origine des difficultés de Systran ne peut être retenue. Ainsi que les requérantes l’indiquent en réponse à la quatrième série de questions, la commercialisation d’une nouvelle version d’un logiciel n’affecte pas les droits de propriété intellectuelle de son auteur sur la version précédente, qui conserve une valeur économique. Le groupe Systran continue de tirer des bénéfices des versions précédentes auprès de ses clients du fait de la maintenance, des ventes de licences supplémentaires pour couvrir de nouvelles paires de langues ou d’autres serveurs, de la vente de prestations de services associées ou d’accords d’intégration avec d’autres éditeurs de logiciels. De plus, les requérantes soulignent de manière convaincante que la version EC-Systran Unix, qui correspond à la version Systran Unix 4, a la même architecture que les versions suivantes (c’est-à-dire les versions 5 à 7). Toutes ces versions ont un code source commun et reposent sur le même logiciel, à savoir le logiciel Systran dans sa version Unix. Ces différentes versions ne se distinguent pas par leur architecture mais par l’ajout de nouvelles fonctionnalités, l’amélioration des algorithmes de traduction et l’enrichissement des ressources linguistiques.
298 Troisièmement, les requérantes ont souligné que la perte de valeur des droits de propriété intellectuelle de Systran liée au comportement de la Commission s’accroît avec le temps. Elles font observer que, au 31 décembre 2008, Systran a été amenée à provisionner une somme importante pour la dépréciation de ses actifs incorporels « compte tenu de l’important préjudice résultant de la violation de ses droits de propriété intellectuelle et de la divulgation de son savoir-faire par la Commission, des difficultés rencontrées en 2008 et de l’instabilité exceptionnelle de l’environnement économique actuel » (voir attestation des commissaires aux comptes de Systran du 13 octobre 2009). Le comportement de la Commission justifierait donc, au moins partiellement, cette provision comptable.
299 Force est de constater que cette attestation permet d’établir que la provision de 11,6 millions d’euros pour dépréciation des actifs incorporels comptabilisée en 2008 est liée aux trois raisons qui y sont évoquées, la première d’entre elles étant le litige avec la Commission. En dépit des observations présentées par la Commission (voir point 271 ci-dessus), qui s’attachent à mettre l’accent sur une autre raison évoquée dans cette attestation, à savoir la crise financière exceptionnelle qui a commencé en 2008, il ne saurait pour autant être exclu qu’un litige portant sur la violation des droits de propriété intellectuelle et la divulgation fautive du savoir-faire de Systran est à même d’avoir une incidence sur l’appréciation des actifs incorporels de cette société.
300 En conséquence, le comportement de la Commission dans la présente affaire présente un lien suffisamment direct de cause à effet avec le dommage subi par Systran, tout d’abord, sur le plan commercial du fait de la perte de clients potentiels et de la complication des discussions avec les clients actuels, ensuite, sur le plan financier du fait de la diminution de son attractivité auprès des actionnaires, des investisseurs ou des éventuels repreneurs, et, enfin, avec la nécessité pour Systran de comptabiliser à la fin de l’année 2008 une partie de la provision de 11,6 millions d’euros pour dépréciation de ses actifs incorporels en raison du comportement reproché à la Commission. Ce dommage occasionné par le comportement de la Commission est réel et certain, comme cela ressort des documents présentés à cet égard par les requérantes, même s’il n’a pas pu être chiffré avec précision. La question du préjudice moral est examinée aux points 324 et 325 ci-après.
– Sur l’évaluation forfaitaire du préjudice
301 Dans ce contexte, les parties ont été interrogées sur la méthode susceptible d’être utilisée pour évaluer le montant du préjudice réel et certain, imputable d’une manière suffisamment directe au comportement de la Commission dans la présente affaire.
302 En réponse à la troisième série de questions, les requérantes ont invoqué le contenu de l’article 13 de la directive 2004/48, aux termes duquel :
« 1. Les États membres veillent à ce que, à la demande de la partie lésée, les autorités judiciaires compétentes ordonnent au contrevenant qui s’est livré à une activité contrefaisante en le sachant ou en ayant des motifs raisonnables de le savoir de verser au titulaire du droit des dommages-intérêts adaptés au préjudice que celui-ci a réellement subi du fait de l’atteinte.
Lorsqu’elles fixent les dommages-intérêts, les autorités judiciaires :
a) prennent en considération tous les aspects appropriés tels que les conséquences économiques négatives, notamment le manque à gagner, subies par la partie lésée, les bénéfices injustement réalisés par le contrevenant et, dans des cas appropriés, des éléments autres que des facteurs économiques, comme le préjudice moral causé au titulaire du droit du fait de l’atteinte,
ou
b) à titre d’alternative, peuvent décider, dans des cas appropriés, de fixer un montant forfaitaire de dommages-intérêts, sur la base d’éléments tels que, au moins, le montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrevenant avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit de propriété intellectuelle en question.
[…] »
303 L’application de la méthode des conséquences économiques négatives soulève d’importantes difficultés dans la présente affaire, dès lors que l’expert financier de la Commission s’oppose systématiquement à toutes les tentatives d’évaluation faites par l’expert financier des requérantes. En substance, Mme Tytgat se contente de critiquer les évaluations et les critères utilisés par M. Martin pour évaluer les différentes conséquences économiques négatives, et notamment le manque à gagner, subies par Systran, sans procéder pour autant à une évaluation parallèle.
304 À titre d’illustration, quand M. Martin tente d’évaluer le préjudice lié à la perte de valeur des actifs incorporels en se référant à la méthode suggérée par Mme Tytgat lors de l’audience, à savoir la prise en compte de la perte de cash-flow futur strictement généré par les actifs concernés, il se voit reprocher l’utilisation de données, résultant de l’analyse financière réalisée par un bureau d’analyse, dont « l’exactitude de la corrélation » ne serait pas démontrée (troisième note financière de la Commission, p. 4). Aucun critère de substitution n’est toutefois concrètement proposé, alors même que M. Martin avait indiqué que ladite analyse financière, réalisée par un bureau d’analyse indépendant, avait été effectuée à l’occasion du projet d’émission de 7 millions d’euros d’obligations avec bons de souscription que Systran avait sans succès essayé de mettre en œuvre au début de l’année 2004, ce qui correspond parfaitement à la période à prendre en considération (deuxième note financière des requérantes, note en bas de page n° 2, et l’annexe à cette note).
305 De même, quand les requérantes indiquent sans être sérieusement contredites par la Commission, d’une part, que les droits d’auteur de Systran sur la version Systran Unix du logiciel Systran constituent le cœur de l’activité de cette société et, d’autre part, que le refus de la Commission de donner effets à ces droits est à même d’avoir un impact sur le chiffre d’affaires de cette société et son développement, Mme Tytgat continue d’exiger une évaluation circonstanciée et documentée partant du bas, « c’est-à-dire d’un contrat, d’un centre de frais, d’une unité génératrice de trésorerie », pour tenir compte d’une prétendue multitude de produits vendus par Systran ou des activités exercées par cette dernière, lesquelles s’avèrent pourtant toutes liées au développement et à la commercialisation du logiciel Systran (deuxième note financière de la Commission, p. 8). Quand, toutefois, M. Martin tente d’évaluer le préjudice en considération de la valeur économique du marché spécifiquement attribué à Gosselies par la Commission, laquelle correspondrait à une marge nette estimée à 30 % du chiffre d’affaires concrètement réalisé, ce qui serait inférieur à la marge réelle réalisée par le groupe Systran sur ce type de marché selon les données fournies par les requérantes (réponse des requérantes à la quatrième série de questions, point 12), cette appréciation est critiquée par Mme Tytgat au motif que « proposer de quantifier la marge nette sur la base d’une quotité forfaitaire du chiffre d’affaires d’une seule opération n’est pas rigoureux […] [u]n forfait ne [pouvant] être validé que sur un échantillon de données probantes et dans la durée » (deuxième note financière de la Commission, p. 3, et troisième note financière de la Commission, p. 5). À suivre les observations de l’expert financier de la Commission, il serait presque impossible d’évaluer concrètement le préjudice subi par Systran du fait du comportement de la Commission faute de données exhaustives ou suffisamment précises à cet égard, et ce quel que soit le critère adopté pour réaliser cette évaluation.
306 En conséquence, eu égard à la difficulté de déterminer les critères à appliquer afin d’apprécier les conséquences économiques négatives subies par Systran, il y a lieu en l’espèce de fixer un montant forfaitaire de dommages-intérêts, en vertu de la méthode de l’indemnisation forfaitaire, sur la base d’éléments tels que, au moins, le montant des redevances ou des droits qui auraient été dus si le contrevenant avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit de propriété intellectuelle en question. En application de cette méthode, il y a lieu de prendre en considération les éléments exposés ci-après.
307 Le premier élément à prendre en considération est le montant des redevances qui auraient été dues si le contrevenant avait demandé à Systran l’autorisation d’utiliser les droits de propriété intellectuelle en question pour réaliser les travaux relatifs aux améliorations, aux adaptations et aux ajouts aux routines linguistiques énumérés dans l’appel d’offres qui nécessitent d’avoir accès aux éléments de la version Systran Unix qui sont repris dans la version EC-Systran Unix et de les modifier.
308 Compte tenu de la nature de ces travaux et pour les raisons exposées de manière convaincante par les requérantes dans leurs réponses aux troisième et quatrième séries de questions, la détermination d’un tel montant forfaitaire doit s’effectuer par référence au prix d’une licence autorisant son bénéficiaire à modifier le code source du logiciel et non d’une simple licence d’utilisation de ce logiciel. Une telle licence de modification du code source est inhabituelle, car elle n’entre pas dans le modèle économique traditionnel des éditeurs de logiciel. En effet, une telle licence prive l’éditeur de toute possibilité de vendre au bénéficiaire de la licence de modification des licences portant sur les nouvelles versions du logiciel, mais aussi des prestations de services que l’éditeur est normalement seul autorisé à réaliser sur ce logiciel. De surcroît, une telle licence est susceptible de mettre en péril le savoir-faire de l’éditeur, car elle peut donner lieu à la communication du code source à des tiers. La vente d’une licence de modification du code source autorisant son bénéficiaire à faire évoluer lui-même le logiciel revient donc à renoncer aux revenus futurs résultant des licences d’utilisation susceptibles d’être tirés de ce logiciel.
309 Dans ce cadre, il y a lieu d’évaluer le montant théorique d’une telle licence de modification du code source en suivant l’approche financière suggérée par l’expert financier des requérantes dans la réponse à la troisième série de questions. Cette approche prend comme point de départ pour la détermination du prix théorique d’une licence de modification du code source le prix d’une licence annuelle d’utilisation du logiciel Systran par la Commission.
310 À cet égard, l’expert financier des requérantes, M. Martin, évalue le prix d’une licence annuelle d’utilisation du logiciel Systran par la Commission à 760 000 euros. Ce prix a été évalué en se fondant sur le prix payé chaque année par une société de services sur Internet d’importance mondiale pour le droit d’utiliser le logiciel Systran, le prix annuel payé par le passé par deux autres entreprises américaines d’importance mondiale, l’une qui gère un moteur de recherche sur Internet, l’autre qui est spécialisée dans l’édition de logiciels informatiques, et le prix d’environ 1,3 million d’euros payé par une administration nationale dont l’importance est au moins comparable à celle de la Commission pour une simple mise à jour permettant d’utiliser la version 7 de ce logiciel, cette administration bénéficiant déjà, tout comme la Commission, d’une licence d’utilisation perpétuelle sans droit de modification.
311 Les références à des sociétés privées effectuées par M. Martin sont critiquées par l’expert financier de la Commission, Mme Tytgat, au motif qu’il s’agirait d’exemples inappropriés, sans commune mesure avec les tarifs qui concernent la Commission. Les licences invoquées seraient, en effet, des licences à répercussions commerciales et non privées. La Commission n’utiliserait pas le logiciel Systran pour améliorer son offre commerciale auprès du grand public, mais pour le proposer à des centaines de fonctionnaires. De ce fait, la valeur prise comme point de départ pour la définition du prix d’une licence de modification de code source serait erronée et la suite du raisonnement devrait être écartée.
312 Selon la Commission, l’expert financier des requérantes aurait dû prendre comme point de départ le prix d’environ 15 000 euros qui correspond au prix d’une licence d’utilisation non commerciale, destinée aux administrations, qu’illustre le prix proposé à l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) par un distributeur de logiciels pour une licence annuelle du logiciel Systran Enterprise Server 7, Standard Edition (soit environ 15 000 euros pour l’utilisation de ce logiciel par 2 500 utilisateurs et environ 15 000 euros pour l’« English World Pack » qui comprend plusieurs langues, à savoir l’anglais, l’arabe, le chinois, le néerlandais, le français, l’allemand, le grec, l’italien, le japonais, le coréen, le polonais, le portugais, le russe, l’espagnol et le suédois). La Commission se réfère également, dans ses réponses aux troisième et quatrième séries de questions, à la fourchette de prix comprise entre 15 000 (jusqu’à 100 utilisateurs) et 150 000 euros ou plus (pour un nombre indéterminé d’utilisateurs et pour les besoins complexes des grandes entreprises nécessitant une intégration) envisagée dans un communiqué de presse de Systran pour les différents types de licence d’utilisation du logiciel Systran Enterprise Server 6 (Workgroup Edition, Standard Edition et Global Edition).
313 Il convient d’emblée de relever que les experts financiers des parties ne s’opposent pas sur la possibilité de prendre en considération le prix d’une licence annuelle d’utilisation du logiciel Systran par la Commission comme point de départ pour la détermination du prix d’une licence théorique de modification du code source de ce logiciel, mais qu’ils s’opposent sur la valeur qu’il convient de donner à une telle licence. Sur ce point, à titre de comparaison, il y a lieu de relever que la Commission indique dans ses réponses aux troisième et quatrième séries de questions, que la société Gosselies a été payée 1 925 280 euros pour la réalisation des travaux qui lui ont été attribués, lesquels se sont étendus sur trois ans, de 2004 à 2006. En conséquence, la société Gosselies a reçu en moyenne 641 760 euros chacune de ces années pour la réalisation des travaux demandés par la Commission.
314 S’agissant des critiques faites par la Commission en ce qui concerne le prix des différentes licences d’utilisation payé annuellement par les trois entreprises d’importance mondiale citées par l’expert des requérantes (voir point 310 ci-dessus), l’examen des documents financiers relatifs au groupe Systran permet de constater que l’essentiel des revenus de cette entreprise provient de très gros clients. Le document de référence pour l’année 2008, déposé le 29 avril 2009 auprès de l’Autorité des marchés financiers française, indique ainsi que, en 2004, les cinq premiers clients du groupe Systran représentaient 60,9 % de son chiffre d’affaires, les premier et deuxième clients rapportant exactement la même somme (soit une part de 14,8 %) et que, en 2008, ces cinq premiers clients représentaient 42,3 % de son chiffre d’affaires, le premier client représentant 10,9 % des 7,6 millions de chiffre d’affaires, soit un peu plus de 760 000 euros. Cet élément peut donc être invoqué en tant qu’élément à prendre en considération pour évaluer le prix d’une licence annuelle d’utilisation. Il s’agit là, en quelque sorte, d’un plafond.
315 Il y a également lieu de relever que, contrairement à ce que laisse entendre la Commission, en se basant à cet égard sur des documents du groupe Systran faisant référence à des licences d’utilisation du logiciel Systran Enterprise Server, dans sa version 6 ou 7, cette entreprise ne semble pas distribuer ou faire distribuer un logiciel en pratiquant un prix particulier pour les administrations. Ainsi que le reconnaît d’ailleurs la Commission, la politique de prix du groupe Systran pour ce qui est des licences d’utilisation de son logiciel dépend essentiellement de l’édition vendue. À titre d’exemple, en comparant les données fournies par la Commission en ce qui concerne les versions 6 et 7 du logiciel Systran Enterprise Server, l’édition la moins onéreuse de ce logiciel, dite « Workgroup Edition », qui peut être utilisée sur un seul serveur de production, avec le système d’exploitation Windows par un nombre de personnes pouvant atteindre 100, est disponible à partir de 15 000 euros, l’édition intermédiaire, dite « Standard Edition », qui peut être utilisée sur deux serveurs de production, avec les systèmes d’exploitation Windows et Linux, par un nombre de personnes pouvant atteindre 2 500, est disponible à partir de 30 000 euros, et l’édition la plus développée, dite « Global Edition », qui peut être utilisée sur un nombre illimité de serveurs de production, avec les systèmes d’exploitation Windows, Linux et Solaris, sans limitation quant au nombre d’utilisateurs, est disponible à partir de 150 000 euros. Dans leurs observations sur l’affirmation de la Commission selon laquelle le prix d’une licence d’utilisation ne pourrait excéder la somme de 150 000 euros, les requérantes soulignent que le prix évoqué sur la base d’un communiqué de presse du groupe Systran relatif à la version 6 du logiciel Systran Enterprise Server indique clairement qu’il s’agit d’un prix minimal comme l’indiquent les termes « à partir de ». Il s’agirait en l’occurrence, selon ce qu’indiquent les requérantes, d’un prix de départ pour une seule paire de langues et un seul serveur.
316 Au vu de ces différentes argumentations et des documents cités à leur appui, il y a lieu de fixer le montant d’une hypothétique licence annuelle d’utilisation du logiciel Systran par la Commission, utilisée comme point de départ du calcul du prix d’une licence annuelle de modification du code source, à 450 000 euros. En effet, le montant suggéré par l’expert des requérantes est trop élevé, dans la mesure où, même si la version utilisée par la Commission est proposée à plus de 2 500 utilisateurs, ce nombre est bien moindre que le nombre d’utilisateurs au sein des trois entreprises d’importance mondiale qu’il cite, lesquelles correspondent vraisemblablement aux plus gros contrats signés par le groupe Systran. Par ailleurs, le montant suggéré par la Commission est trop faible, au motif que la somme de 150 000 euros correspond à un prix de départ pour la solution souhaitée par la Commission et que, comme l’ont invoqué les requérantes sans être contestées par la Commission, une administration nationale au moins aussi importante que la Commission a payé une somme équivalant à 1,3 million d’euros pour mettre à jour la version du logiciel Systran qu’elle utilise.
317 À partir de ce montant de départ de 450 000 euros, il convient de déterminer le montant des redevances qui auraient été dues si le contrevenant avait demandé à Systran l’autorisation d’utiliser les droits de propriété intellectuelle correspondants pour réaliser les travaux envisagés dans l’appel d’offres. En appliquant la méthode de calcul suggérée par l’expert financier des requérantes, laquelle n’est pas sérieusement remise en cause par la Commission (voir point 319 ci-après), le montant de la redevance annuelle de modification du code source peut valablement être fixé à deux fois le montant d’une licence annuelle d’utilisation, soit 900 000 euros, en tenant compte, à l’instar de l’expert financier des requérantes, du fait que la Commission disposait déjà d’un droit d’utilisation sur ce logiciel et du fait que ce logiciel ne fait pas l’objet d’une utilisation grand public.
318 Pour les années 2004 à 2010, le montant de ces redevances annuelles de modification du code source peut ainsi être fixé à 7 millions d’euros (soit 0,9 million d’euros, correspondant au montant de la redevance annuelle de modification du code source multiplié par 7,76, qui correspond au coefficient d’actualisation calculé par l’expert financier des requérantes en considération du taux sans risque de 4 % pour la période 2004-2010, soit au total 6 984 000 euros, arrondis à 7 millions d’euros).
319 À cet égard, il convient de relever que la Commission ne conteste pas vraiment la méthodologie suggérée par l’expert financier des requérantes et reprise par le Tribunal. La Commission se limite à reprendre sur ce point l’affirmation de son expert financier, qui indique seulement en réponse à la quatrième série de questions que l’expert des requérantes « procède à des calculs de capitalisation plutôt que d’actualisation sur durées finies » et que « la meilleure doctrine financière recommande de scinder les périodes d’observation en divers horizons à paramètres particuliers, plutôt que de capitaliser sans discernement ». Or, il convient de constater que la méthodologie adoptée par l’expert financier des requérantes ne se fonde pas sur la « capitalisation » évoquée par l’expert financier de la Commission, mais repose sur l’actualisation des données au taux sans risque de 4 % pour la période 2004-2010, lequel correspond à un taux raisonnable susceptible de s’appliquer à la période considérée. La Commission n’expose pas de raisons pertinentes à même d’expliquer pour quelle raison le Tribunal ne pourrait pas utiliser cette méthode pour fixer le montant des redevances qui auraient été dues si elle avait demandé à Systran l’autorisation requise pour réaliser les travaux litigieux.
320 Le deuxième élément à prendre en considération est un montant dit « complémentaire », qui est nécessaire pour tenir compte des autres éléments matériels que le seul octroi des redevances précitées ne saurait réparer. En effet, le paiement a posteriori du montant des redevances qui auraient été dues si la Commission avait demandé à Systran l’autorisation d’utiliser les droits de propriété intellectuelle en question pour réaliser les travaux litigieux ne saurait à lui seul réparer le préjudice subi par cette entreprise depuis 2004.
321 À cet égard, au vu des pièces du dossier et notamment des différentes attestations produites par les requérantes pour établir l’impact du comportement illégal de la Commission sur l’activité et le développement de Systran, il y a lieu de considérer que l’activité et le développement de cette entreprise ont été affectés chaque année depuis 2004 à hauteur d’un montant forfaitaire de 650 000 euros (soit approximativement 6 % du chiffre d’affaires réalisé en 2003).
322 Ce montant complémentaire, actualisé pour les années 2004 à 2010, peut ainsi être fixé à 5 millions d’euros (soit 0,65 million d’euros, correspondant au montant forfaitaire annuel précité multiplié par 7,76, qui correspond au coefficient d’actualisation calculé par l’expert financier des requérantes en considération du taux sans risque de 4 % pour la période 2004-2010, soit au total 5 044 000 euros, arrondis à 5 millions d’euros).
323 En revanche, au vu des pièces du dossier, il n’y a pas lieu d’admettre qu’il conviendrait dans la présente affaire de tenir compte, dans le cadre d’une appréciation forfaitaire du préjudice subi, du préjudice dit « futur » évalué par l’expert financier des requérantes à 15 millions d’euros. L’estimation qui est fournie à cet égard ne repose pas sur des données matérielles suffisamment probantes pour en justifier l’octroi.
324 Le dernier élément à prendre en considération dans l’appréciation forfaitaire du montant des dommages-intérêts est le préjudice moral subi. Il y a lieu de relever à cet égard que, par son comportement, la Commission a nié à Systran les droits qu’elle pouvait tirer de sa création. Ce comportement est d’autant plus grave que, en tant qu’institution, la Commission est à l’origine des différentes dispositions harmonisant le droit de la Communauté en matière de droit d’auteur qui n’ont pas été respectées dans la présente affaire. Il y a donc lieu d’indemniser Systran pour le préjudice moral subi du fait du comportement de la Commission.
325 Faute toutefois pour les requérantes d’avoir exposé les raisons pour lesquelles cette indemnisation devrait être fixée à au moins 2 millions d’euros, il paraît approprié dans le cadre de la détermination du montant forfaitaire des dommages-intérêts de condamner la Commission au paiement d’une indemnité pour le préjudice moral causé par son comportement évaluée à la somme symbolique de 1 000 euros.
326 Il ressort de ce qui précède qu’un montant forfaitaire de dommages-intérêts de 12 001 000 euros doit être octroyé à Systran pour l’indemniser du préjudice subi du fait du comportement de la Commission, soit :
– 7 millions d’euros correspondant au montant des redevances qui auraient été dues de l’année 2004 à l’année 2010 si la Commission avait demandé l’autorisation d’utiliser les droits de propriété intellectuelle de Systran pour réaliser les travaux relatifs à des améliorations, des adaptations et des ajouts aux routines linguistiques énumérés dans l’appel d’offres, lesquels nécessitent d’avoir accès aux éléments de la version Systran Unix qui sont repris dans la version EC-Systran Unix du logiciel Systran et de les modifier ;
– 5 millions d’euros correspondant au montant complémentaire, à savoir l’impact que le comportement de la Commission a pu avoir sur les chiffres d’affaires réalisés par Systran au cours des années 2004 à 2010, et plus largement sur le développement de cette société ;
– 1 000 euros au titre de l’indemnisation du préjudice moral.
C – Sur les mesures autres que l’octroi de dommages-intérêts
1. Arguments des parties
327 Les requérantes soutiennent que les principes généraux visés à l’article 288, deuxième alinéa, CE doivent permettre la réparation du dommage déjà causé, mais également la cessation du trouble, contrairement aux affirmations de la Commission. Par leur demande relative à la cessation immédiate des faits de contrefaçon, les requérantes viseraient à garantir l’effet utile de l’arrêt à intervenir.
328 La Commission estime que les mesures demandées par les requérantes, en plus de l’octroi d’une indemnité pécuniaire, ne peuvent être prises par le Tribunal. En effet, le Tribunal ne pourrait, dans l’exercice de ses compétences, adresser une injonction aux institutions ou se substituer à ces dernières.
2. Appréciation du Tribunal
329 Les requérantes demandent que le Tribunal ordonne, premièrement, la cessation immédiate des faits de contrefaçon et de divulgation commis par la Commission, deuxièmement, la confiscation de tous les supports détenus par la Commission et par la société Gosselies sur lesquels sont reproduits les développements informatiques réalisés par la société Gosselies cette dernière à partir des versions EC-Systran Unix et Systran Unix en violation des droits de Systran, ainsi que leur remise à Systran ou, à tout le moins, leur destruction sous contrôle, et, troisièmement, la publication de l’arrêt, aux frais de la Commission, dans des journaux et des revues spécialisés ainsi que des sites Internet spécialisés au choix de Systran.
330 À cet égard, il y a lieu de rappeler qu’une institution dont le comportement a été déclaré illégal est tenue de prendre les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt du Tribunal (voir, par analogie, article 266 TFUE). Il appartient dès lors à la Commission de tirer toutes les conclusions qui s’imposent afin de s’assurer que les droits de Systran sur la version Systran Unix du logiciel Systran soient pris en compte en ce qui concerne les travaux relatifs à la version EC-Systran Unix de ce logiciel qui portent atteinte au droit d’auteur et au savoir-faire de Systran. À défaut d’une telle prise en compte, et étant donné que le préjudice indemnisé dans la présente affaire ne vaut que pour la période allant de 2004 au jour du prononcé de l’arrêt, Systran serait en droit de saisir le Tribunal d’une nouvelle demande visant à l’indemnisation du préjudice qu’elle pourrait encore subir.
331 Enfin, pour ce qui est de la demande de publication dans différents journaux et revues ainsi que sur des sites Internet, le Tribunal diffusera ce jour un communiqué de presse relatif au présent arrêt. Ce communiqué de presse pourra alors être repris et diffusé dans la presse spécialisée. Les requérantes disposeront ainsi d’une décision juridictionnelle se prononçant sur le comportement de la Commission à leur égard et d’un communiqué de presse pouvant faire l’objet d’une large diffusion, ce qui est en mesure de leur donner satisfaction sur ce point. Ce communiqué de presse permet également au Tribunal de réparer en nature le préjudice moral constitué par l’atteinte à la réputation de Systran du fait du comportement illégal de la Commission.
332 En conséquence, le Tribunal considère que les intérêts de Systran sont suffisamment protégés par la réparation pécuniaire et qu’il n’y a pas lieu de faire droit à ses demandes de réparation en nature.
Sur les dépens
333 Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé en l’essentiel de ses conclusions, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions en ce sens des requérantes.
334 Par ailleurs, il convient de relever que la préparation des différents documents produits par les requérantes pour appuyer le contenu de leurs mémoires ou répondre aux questions du Tribunal en ce qui concerne les aspects techniques du logiciel Systran (rapport, notes techniques et note d’observations de M. Bitan), ses aspects juridiques (avis du professeur Sirinelli) ainsi que l’évaluation du préjudice subi (notes financières de M. Martin) constituent des frais indispensables aux fins de la présente procédure et doivent donc être considérés comme des dépens récupérables au sens de l’article 91, sous b), du règlement de procédure.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (troisième chambre)
déclare et arrête :
1) La Commission européenne est condamnée à verser à Systran SA une indemnité forfaitaire de 12 001 000 euros.
2) Le recours est rejeté pour le surplus.
3) La Commission est condamnée aux dépens.
Azizi |
Cremona |
Frimodt Nielsen |
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 16 décembre 2010.
Signatures
Table des matières
Faits à l’origine du litige
I – Sur les différentes versions du logiciel Systran
II – Historique des relations entre les parties
A – Première période : de Systran Mainframe à EC-Systran Mainframe
1. Contrats initiaux entre WTC (et d’autres sociétés) et la Commission
2. Contrat de collaboration entre le groupe Systran et la Commission
B – Deuxième période : de Systran Unix à EC‑Systran Unix
C – Troisième période : à partir de l’appel d’offres du 4 octobre 2003
Procédure et conclusions des parties
En droit
I – Sur la recevabilité
A – Sur le chef de conclusions visant à ce que le Tribunal condamne la Commission à l’indemnisation du préjudice allégué
1. Sur le fondement du recours
a) Arguments des parties
b) Appréciation du Tribunal
Observations sur les compétences en matière contractuelle et non contractuelle
Examen de la demande d’indemnité présentée par les requérantes
Examen des éléments invoqués par la Commission au soutien de l’existence d’une autorisation contractuelle de divulguer à un tiers des informations susceptibles d’être protégées au titre du droit d’auteur et du savoir-faire
2. Sur l’absence de clarté de la requête
a) Arguments des parties
b) Appréciation du Tribunal
3. Sur l’incompétence du Tribunal pour constater une contrefaçon dans le cadre d’un recours en responsabilité non contractuelle
a) Arguments des parties
b) Appréciation du Tribunal
B – Sur les autres chefs de conclusions
II – Sur le fond
A – Sur les droits invoqués par les requérantes et l’illégalité du comportement de la Commission
1. Sur la comparaison des différentes versions du logiciel Systran
a) Arguments des parties
b) Appréciation du Tribunal
2. Sur l’illégalité du comportement de la Commission
a) Arguments des parties
Sur la contrefaçon du droit d’auteur
Sur les droits invoqués au titre du savoir-faire
b) Appréciation du Tribunal
Sur les droits invoqués par les requérantes en ce qui concerne la version Systran Unix du logiciel Systran
Sur l’affirmation selon laquelle les droits détenus par la Commission lui permettent d’ignorer le droit d’opposition des requérantes
Sur la nature des travaux confiés par la Commission à un tiers
B – Sur les préjudices subis et le lien de causalité
1. Sur le préjudice subi par Systran Luxembourg et le lien de causalité
a) Arguments des parties
b) Appréciation du Tribunal
2. Sur les préjudices subis par Systran et le lien de causalité
a) Arguments des parties
Sur les différentes formes de préjudice, sa réalité et le lien de causalité
Sur l’évaluation initiale de la perte de valeur des actifs incorporels
Sur les autres évaluations du préjudice
b) Appréciation du Tribunal
Sur la dépréciation des titres de Systran Luxembourg
Sur la perte de valeur des actifs incorporels
– Sur l’évaluation initiale proposée par les requérantes
– Sur la réalité du préjudice subi par Systran et le lien de causalité entre ce préjudice et le comportement de la Commission
– Sur l’évaluation forfaitaire du préjudice
C – Sur les mesures autres que l’octroi de dommages-intérêts
1. Arguments des parties
2. Appréciation du Tribunal
Sur les dépens
* Langue de procédure : le français.