ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DE LA COUR

28 février 2008(*)

«Référé – Demande de sursis à l’exécution – Politique de la pêche – Règlement n° 809/2007 – Notion de ‘filet maillant dérivant’ – Inclusion de la thonaille – Urgence»

Dans l’affaire C‑479/07 R,

ayant pour objet une demande de sursis à l’exécution au titre de l’article 242 CE, introduite le 5 octobre 2007,

République française, représentée par Mme E. Belliard, M. G. de Bergues et Mme A.-L. During, en qualité d’agents,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par M. A. De Gregorio Merino et Mme M.-M. Joséphidès, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenu par:

Commission des Communautés européennes, représentée par M. M. Nolin et Mme M. van Heezik, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie intervenante,

LE PRÉSIDENT DE LA COUR,

l’avocat général, Mme V. Trstenjak, entendu,

rend la présente

Ordonnance

1        Par sa demande en référé, la République française sollicite la Cour d’ordonner le sursis à l’exécution du règlement (CE) n° 809/2007 du Conseil, du 28 juin 2007, modifiant les règlements (CE) n° 894/97, (CE) n° 812/2004 et (CE) n° 2187/2005 concernant les filets dérivants (JO L 182, p. 1, ci-après le «règlement attaqué»).

2        Les actes introductifs dont il s’agit ont été déposés au greffe du Tribunal de première instance. Par ordonnance du Tribunal du 26 octobre 2007, France/Conseil (T‑382/07, non publiée au Recueil), ledit recours en annulation a été renvoyé devant la Cour. Par ordonnance du président du Tribunal du 30 octobre 2007, France/Conseil (T‑382/07 R, non publiée au Recueil), celui-ci a ordonné la radiation de l’affaire T‑382/07 R, après avoir constaté que la demande en référé avait été renvoyée devant la Cour concomitamment avec la procédure au fond dont elle constitue l’accessoire.

3        Le Conseil de l’Union européenne conclut au rejet de la demande en référé et à la condamnation de la partie requérante aux dépens.

4        La Commission des Communautés européennes, qui a été admise à intervenir dans la présente affaire par ordonnance du président de la Cour du 26 novembre 2007, conclut également au rejet de la demande en référé.

5        Dès lors que les observations écrites des parties et les pièces du dossier contiennent toutes les informations nécessaires pour qu’il soit statué sur cette demande, il n’y a pas lieu d’entendre les parties en leurs observations orales.

 Le cadre juridique

6        L’article 11 du règlement (CE) nº 894/97 du Conseil, du 29 avril 1997, prévoyant certaines mesures techniques de conservation des ressources de pêche (JO L 132, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) n° 1239/98 du Conseil, du 8 juin 1998 (JO L 171, p. 1, ci-après le «règlement n° 894/97»), disposait:

«Il est interdit à tout bateau de détenir à bord ou d’exercer des activités de pêche avec un ou plusieurs filets maillants dérivants dont la longueur individuelle ou cumulée est supérieure à 2,5 kilomètres.»

7        Aux termes de l’article 11 bis du règlement n° 894/97:

«1.      Il est interdit, à compter du 1er janvier 2002, à tout bateau de détenir à bord ou d’exercer des activités de pêche avec un ou plusieurs filets maillants dérivants destinés à la capture des espèces énumérées à l’annexe VIII.

2.      À compter du 1er janvier 2002, il est interdit de débarquer des espèces énumérées à l’annexe VIII qui ont été capturées dans des filets maillants dérivants.

[…]»

8        Parmi les 18 espèces énumérées à ladite annexe figure le thon rouge (Thunnus thynnus).

9        Le règlement n° 894/97 ne contient pas de définition des termes «filets maillants dérivants».

10      À l’occasion de l’adoption du règlement (CE) n° 2187/2005 du Conseil, du 21 décembre 2005, relatif à la conservation, par des mesures techniques, des ressources halieutiques dans les eaux de la mer Baltique, des Belts et de l’Øresund, modifiant le règlement (CE) n° 1434/98 et abrogeant le règlement (CE) n° 88/98 (JO L 349, p. 1), le Conseil et la Commission ont adopté une déclaration conjointe sur les filets dérivants. Cette déclaration est libellée comme suit:

«Reconnaissant la nécessité de disposer d’une définition claire [des termes] ‘filet dérivant’, le Conseil invite la Commission à présenter en 2006 une proposition concernant une définition uniforme de [ces termes] dans la législation communautaire réglementant les pêcheries utilisant ce type d’engin. La Commission répondra à cette invitation conformément aux règles du traité, eu égard notamment à son droit d’initiative.»

11      À la suite de cette déclaration et sur proposition de la Commission, le Conseil a adopté le règlement attaqué, dont le quatrième considérant énonce que, «[d]ans un souci de clarté et afin de contribuer à une plus grande homogénéité dans la pratique des contrôles entre les États membres, il y a lieu d’introduire une définition uniforme des filets dérivants dans [les] trois actes» que modifie ce règlement.

12      En outre, le cinquième considérant de celui-ci précise que «[l]’établissement d’une définition des filets dérivants n’élargit pas le champ d’application des restrictions et des conditions d’utilisation desdits filets introduites dans la législation communautaire».

13      L’article 1er du règlement attaqué dispose:

«L’article 11 du règlement (CE) n° 894/97 est remplacé par:

“Article 11

1.      Par ‘filet dérivant’ on entend: tout filet maillant maintenu à la surface de la mer ou à une certaine distance en dessous de celle-ci grâce à des dispositifs flottants, qui dérive librement avec le courant ou avec le bateau auquel il peut être attaché. Il peut être équipé de dispositifs destinés à stabiliser le filet ou à en limiter la dérive.

2.      Il est interdit à tout bateau de détenir à bord ou d’exercer des activités de pêche avec un ou plusieurs filets maillants dérivants dont la longueur individuelle ou cumulée est supérieure à 2,5 kilomètres.”»

 Sur la demande en référé

14      Le recours en annulation du règlement attaqué formé par la République française est fondé sur la prémisse que, par la définition de la notion de filet dérivant qu’il introduit, ce règlement étend les interdictions applicables aux filets dérivants à des filets stabilisés tels que celui dénommé «thonaille», lesquels, jusqu’alors, ne rentraient pas dans le champ d’application de la réglementation pertinente. À l’appui de son recours, cet État membre invoque trois moyens tirés, respectivement, d’une méconnaissance de l’obligation de motivation ainsi que d’une violation des principes de proportionnalité et de non-discrimination.

15      Par sa demande en référé, la République française sollicite la Cour, en substance, d’ordonner le sursis à l’exécution du règlement attaqué dans la mesure où celui-ci étend l’interdiction énoncée à l’article 11 du règlement n° 894/97 à la thonaille. À l’appui de cette demande, elle soutient que les moyens exposés dans son recours en annulation sont, à première vue, de nature à justifier l’octroi de cette mesure provisoire et que celle-ci est, d’une part, nécessaire afin d’éviter le préjudice grave et irréparable aux intérêts des professionnels de la pêche à la thonaille qu’entraînerait la mise en œuvre dudit règlement et, d’autre part, justifiée par la balance des intérêts en présence.

16      Conformément à une jurisprudence constante, des mesures provisoires ne peuvent être accordées par le juge des référés que s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris), et qu’elles sont urgentes en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts du requérant, qu’elles soient édictées et produisent leurs effets dès avant la décision au principal. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (voir, notamment, ordonnance du président de la Cour du 29 avril 2005, Technische Glaswerke Ilmenau/Commission, C‑404/04 P(R), Rec. p. I‑3539, point 10 et jurisprudence citée).

17      Les conditions ainsi posées sont cumulatives, de sorte que les mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut (voir, notamment, ordonnance du président de la Cour Technische Glaswerke Ilmenau/Commission, précitée, point 11 et jurisprudence citée).

18      Quant à la condition relative à l’urgence, il y a lieu de rappeler que la finalité de la procédure en référé est de garantir la pleine efficacité de la future décision définitive, afin d’éviter une lacune dans la protection juridique assurée par la Cour. Pour atteindre cet objectif, l’urgence doit s’apprécier par rapport à la nécessité qu’il y a de statuer provisoirement afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite la protection provisoire (ordonnance du président de la Cour du 27 septembre 2004, Commission/Akzo et Akcros, C‑7/04 P(R), Rec. p. I‑8739, point 36 et jurisprudence citée).

19      C’est à la partie qui se prévaut d’un tel préjudice d’en établir l’existence. S’il n’est pas exigé, à cet égard, une certitude absolue que le dommage se produira et s’il suffit d’une probabilité suffisante qu’il se réalise, il n’en reste pas moins que le requérant demeure tenu de prouver les faits qui sont censés fonder la perspective d’un tel dommage (ordonnance du président de la Cour du 20 juin 2003, Commission/Laboratoires Servier, C‑156/03 P(R), Rec. p. I‑6575, point 35).

20      La République française fait tout d’abord valoir que l’interdiction effective de la pêche à la thonaille entraînera, pour les professionnels concernés, un grave préjudice économique et aura pour conséquence prévisible la disparition à brève échéance de ceux-ci, de telle sorte que, si la Cour annulait le règlement attaqué à l’issue de la procédure au fond, la reprise de cette activité serait irrémédiablement compromise.

21      En effet, la pêche à la thonaille représenterait 75 % de l’activité de pêche de ces professionnels, qui n’exerceraient aucune activité complémentaire. Il s’agirait d’une activité artisanale à la structure économique fragile. Les 83 navires autorisés à la pratiquer relèveraient, le plus souvent, d’entreprises individuelles comportant le propriétaire du navire et un ou deux marins.

22      En outre, la République française soutient que, compte tenu de la pyramide des âges des pêcheurs concernés, la mise en œuvre de l’interdiction de la pêche à la thonaille aura pour conséquence le départ à la retraite de 20 % des patrons pêcheurs, âgés de plus de 55 ans. Quant aux 80 % restant, ceux-ci devraient se reconvertir. Or, selon cet État membre, une reconversion de ces professionnels n’apparaît pas envisageable. En effet, d’une part, les navires spécialisés dans la pêche à la thonaille ne se prêtent pas à d’autres méthodes de pêche au thon rouge, telles que la pêche à la senne ou à la palangre. D’autre part, une réorientation de l’activité desdits professionnels vers d’autres espèces, telles que le merlu, la sole ou le congre, qui subiraient déjà une pression de pêche supérieure au rendement maximal soutenable, aurait des conséquences dommageables sur l’équilibre des autres secteurs de pêche et sur la gestion des stocks d’espèces concernés.

23      Il s’ensuit, selon ledit État membre, que le sursis à l’exécution du règlement attaqué est justifié, dès lors que, en l’absence d’une telle mesure, les professionnels de la pêche à la thonaille seraient contraints d’abandonner l’activité de pêche et subiraient, en conséquence, un préjudice grave et irréparable.

24      À cet égard, il y a lieu de relever que le préjudice invoqué par la partie requérante est essentiellement un préjudice d’ordre pécuniaire. Or, un tel préjudice ne saurait, sauf circonstances exceptionnelles, être considéré comme irréparable, une compensation pécuniaire étant, en règle générale, à même de rétablir la personne lésée dans la situation antérieure à la survenance de ce préjudice (ordonnances du président de la Cour du 18 octobre 1991, Abertal e.a./Commission, C‑213/91 R, Rec. p. I‑5109, point 24 et du 14 décembre 2001, Euroalliages e.a., C‑404/01 P(R), Rec. p. I‑10367, point 69).

25      S’il est vrai que l’abandon définitif de l’activité de pêche pourrait, dans l’absolu, constituer une circonstance exceptionnelle permettant de qualifier un préjudice pécuniaire de préjudice irréparable, il n’en demeure pas moins que la République française n’a pas établi que les pêcheurs à la thonaille seraient contraints d’abandonner définitivement leur activité professionnelle à une très brève échéance en raison de la mise en oeuvre du règlement attaqué.

26      En effet, il importe de relever, tout d’abord, que les pêcheurs à la thonaille qui ont souhaité arrêter leurs activités ou se reconvertir avant le 1er janvier 2002 ont bénéficié, en 1999, d’un système de subventions publiques prévu par la décision 1999/27/CE du Conseil, du 17 décembre 1998, relative à une mesure spécifique visant à promouvoir la reconversion de certaines activités de pêche et modifiant la décision 97/292/CE (JO 1999, L 8, p. 22), qui visait à minimiser les dommages découlant de l’abandon de cette technique de pêche.

27      En outre, il ressort du dossier soumis à la Cour que, le 11 septembre 2007, le ministre de l’Agriculture et de la Pêche français a arrêté la circulaire DPMA/SDPM/C2007‑9619, ayant pour objet de définir les conditions d’indemnisation des entreprises de pêche dépendant de la pêche à la thonaille par suite de l’entrée en vigueur du règlement attaqué, et ce en cohérence avec l’introduction d’un recours en annulation contre ce règlement. Cette circulaire prévoit des aides pour les entreprises concernées, avec un plafond de 30 000 euros, auxquelles un budget global de 2 500 000 euros a été consacré.

28      Enfin, l’argumentation de la République française relative à la pyramide des âges des pêcheurs concernés et à l’impossibilité prétendue de reconversion de leur activité a plutôt trait à des conséquences à long terme et n’est, en tout état de cause, pas susceptible d’établir que ces pêcheurs seront contraints d’abandonner définitivement cette activité durant la période s’étendant de l’introduction, par cet État membre, du recours en annulation du règlement attaqué au prononcé de l’arrêt de la Cour, sans qu’il soit possible de la reprendre au cas où ce règlement serait annulé par ledit arrêt.

29      Au demeurant, indépendamment de la question de savoir si l’interdiction de la pêche à la thonaille résulte effectivement du règlement attaqué ou de la réglementation antérieure, il importe également de prendre en considération le fait que, ainsi que le Conseil et la Commission l’ont souligné, par un arrêt du 10 août 2005, le Conseil d’État français a annulé l’arrêté du 1er août 2003 du ministre de l’Agriculture, de l’Alimentation, de la Pêche et des Affaires rurales portant création d’un permis de pêche spécial pour la pêche à l’aide de l’engin appelé «thonaille» ou «courantille volante» (JORF du 30 août 2003, p. 14829), au motif, notamment, que cet engin devrait être considéré comme un filet maillant dérivant au sens du règlement n° 894/97 et, donc, interdit par ce même règlement. Or, le fait que la plus haute juridiction administrative de la République française s’est prononcée en ce sens plus de deux ans avant l’introduction dudit recours en annulation du règlement attaqué ne milite pas en faveur de la reconnaissance d’une urgence particulière en l’espèce.

30      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de conclure que la République française n’a pas établi l’existence d’un préjudice grave et irréparable qui résulterait de l’entrée en vigueur du règlement attaqué.

31      Il s’ensuit que la présente demande de sursis à l’exécution ne satisfait pas à la condition d’urgence. Il convient donc de la rejeter, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres conditions énoncées au point 16 de la présente ordonnance.

Par ces motifs, le Président de la Cour ordonne:

1)      La demande en référé est rejetée.

2)      Les dépens sont réservés

Signatures


* Langue de procédure: le français.