ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

7 juillet 2009 ( *1 )

«Règlement (CE) no 1907/2006 — Substances chimiques — Enregistrement, évaluation, autorisation de ces substances et restrictions applicables à celles-ci (REACH) — Notion de ‘substances monomères’ — Validité — Proportionnalité — Égalité de traitement»

Dans l’affaire C-558/07,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par la High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division (Administrative Court) (Royaume-Uni), par décision du 11 octobre 2007, parvenue à la Cour le 17 décembre 2007, dans la procédure

The Queen, à la demande de:

S.P.C.M. SA,

C.H. Erbslöh KG,

Lake Chemicals and Minerals Ltd,

Hercules Inc.

contre

Secretary of State for the Environment, Food and Rural Affairs,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. V. Skouris, président, MM. C. W. A. Timmermans, A. Rosas, K. Lenaerts, M. Ilešič, présidents de chambre, MM. A. Tizzano, J. N. Cunha Rodrigues, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. P. Kūris (rapporteur), J. Malenovský, J. Klučka, U. Lõhmus et J.-J. Kasel, juges,

avocat général: Mme J. Kokott,

greffier: Mme C. Strömholm, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 27 janvier 2009,

considérant les observations présentées:

pour S.P.C.M. SA et Hercules Inc., par M. D. Vaughan, QC, M. D. Scannell, barrister, MM. M. Lohn, K. Van Maldegem et Mme R. Cana, solicitors,

pour C.H. Erbslöh KG et Lake Chemicals and Minerals Ltd, par Mes H. Scheidmann, U. Karpenstein et F. Bredt, Rechtsanwälte,

pour le gouvernement polonais, par M. M. Dowgielewicz, en qualité d’agent,

pour le Parlement européen, par Mme I. Anagnostopoulou et M. A. Neergaard, en qualité d’agents,

pour le Conseil de l’Union européenne, par M. F. Florindo Gijón et Mme G. Kimberley, en qualité d’agents,

pour la Commission des Communautés européennes, par M. P. Oliver, en qualité d’agent.

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 10 mars 2009,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation et la validité de l’article 6, paragraphe 3, du règlement (CE) no 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2006, concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH), instituant une agence européenne des produits chimiques, modifiant la directive 1999/45/CE et abrogeant le règlement (CEE) no 793/93 du Conseil et le règlement (CE) no 1488/94 de la Commission ainsi que la directive 76/769/CEE du Conseil et les directives 91/155/CEE, 93/67/CEE, 93/105/CE et 2000/21/CE de la Commission (JO L 396, p. 1, et rectificatif JO 2007, L 136, p. 3, ci-après le «règlement REACH»).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant S.P.C.M. SA, entreprise établie en France et productrice de polymères solubles dans l’eau utilisés dans les industries de traitement des eaux usées, C.H. Erbslöh KG, entreprise établie en Allemagne et distributrice et grossiste de produits chimiques spéciaux et industriels y compris des préparations et des polymères, Lake Chemicals and Minerals Ltd, entreprise de droit anglais, importatrice de produits chimiques dont des polymères et des préparations, Hercules Inc., société holding établie aux États-Unis et fournisseuse de produits polymères solubles dans l’eau et dans les organismes, au Secretary of State for the Environment, Food and Rural Affairs, au sujet des conditions d’enregistrement applicables aux substances monomères.

Le cadre juridique

3

Le premier considérant du règlement REACH dispose:

«Le présent règlement devrait assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement ainsi que la libre circulation des substances, telles quelles ou contenues dans des préparations ou des articles, tout en améliorant la compétitivité et l’innovation. […]»

4

Le seizième considérant de ce règlement précise:

«Le présent règlement fixe les devoirs et les obligations des fabricants, des importateurs et des utilisateurs en aval des substances telles quelles et des substances contenues dans des préparations ou des articles. Il est fondé sur le principe que le secteur doit produire, importer ou utiliser des substances ou les mettre sur le marché de façon responsable et avec la prudence nécessaire pour éviter, dans des conditions raisonnablement prévisibles, les effets néfastes sur la santé humaine et l’environnement.»

5

Aux termes du dix-neuvième considérant dudit règlement:

«[…] les dispositions relatives à l’enregistrement devraient faire obligation aux fabricants et aux importateurs de produire des données sur les substances qu’ils fabriquent ou importent, d’utiliser ces données pour évaluer les risques liés à ces substances, ainsi que de développer et de recommander des mesures appropriées de gestion des risques. […]»

6

Selon le quarante et unième considérant du règlement REACH:

«Pour des raisons de praticabilité et en raison de leur nature particulière, les intermédiaires devraient faire l’objet de prescriptions spécifiques en matière d’enregistrement. Les polymères devraient être exemptés d’enregistrement et d’évaluation en attendant que ceux qui doivent être enregistrés en raison des risques qu’ils représentent pour la santé humaine ou l’environnement puissent être sélectionnés d’une manière efficace et économique sur la base de critères techniques et scientifiques valables.»

7

L’article 1er de ce règlement prévoit:

«1.   Le présent règlement vise à assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement, y compris la promotion de méthodes alternatives pour l’évaluation des dangers liés aux substances, ainsi que la libre circulation des substances dans le marché intérieur tout en améliorant la compétitivité et l’innovation.

[…]

3.   Le présent règlement repose sur le principe qu’il incombe aux fabricants, aux importateurs et aux utilisateurs en aval de veiller à fabriquer, à mettre sur le marché ou à utiliser des substances qui n’ont pas d’effets nocifs pour la santé humaine ou l’environnement. Ses dispositions reposent sur le principe de précaution.»

8

Le champ d’application du règlement REACH est défini à l’article 2 de celui-ci. Cet article prévoit, à son paragraphe 9 que «[l]es dispositions des titres II et VI ne sont pas applicables aux polymères».

9

Aux termes de l’article 3 de ce règlement:

«Aux fins du présent règlement, on entend par:

1)

‘substance’: un élément chimique et ses composés à l’état naturel ou obtenus par un processus de fabrication, y compris tout additif nécessaire pour en préserver la stabilité et toute impureté résultant du processus mis en œuvre, mais à l’exclusion de tout solvant qui peut être séparé sans affecter la stabilité de la substance ou modifier sa composition;

2)

‘préparation’: un mélange ou une solution composés de deux substances ou plus;

[…]

5)

‘polymères’: une substance constituée de molécules se caractérisant par la séquence d’un ou de plusieurs types d’unités monomères. Ces molécules doivent être réparties sur un éventail de poids moléculaires, les écarts de poids moléculaire étant dus essentiellement aux différences de nombres d’unités monomères. Un polymère comprend:

a)

une simple majorité pondérale de molécules contenant au moins trois unités monomères liées par covalence à au moins une autre unité monomère ou à une autre substance réactive;

b)

une quantité inférieure à une simple majorité pondérale de molécules présentant le même poids moléculaire.

Au sens de la présente définition, on entend par ‘unité monomère’ la forme réagie d’une substance monomère dans un polymère;

6)

‘monomère’: une substance qui est capable de former des liens covalents avec une séquence d’autres molécules semblables ou non dans les conditions de la réaction de formation du polymère pertinente pour le processus particulier;

[…]

9)

‘fabricant’: toute personne physique ou morale établie dans la Communauté qui fabrique une substance dans la Communauté;

[…]

11)

‘importateur’: toute personne physique ou morale établie dans la Communauté qui est responsable de l’importation;

[…]»

10

L’article 5 dudit règlement, intitulé «Pas de données, pas de marché», dispose:

«Sous réserve des articles 6, 7, 21 et 23, des substances telles quelles ou contenues dans des préparations ou des articles ne sont pas fabriquées dans la Communauté ou mises sur le marché si elles n’ont pas été enregistrées conformément aux dispositions pertinentes du présent titre, lorsque cela est exigé.»

11

L’article 6 du même règlement, intitulé «Obligation générale d’enregistrement de substances telles quelles ou contenues dans des préparations», prévoit:

«1.   Sauf disposition contraire du présent règlement, tout fabricant ou importateur d’une substance, telle quelle ou contenue dans une ou plusieurs préparation(s), en quantités de 1 tonne ou plus par an soumet une demande d’enregistrement à [l’agence européenne des produits chimiques].

[…]

3.   Tout fabricant ou importateur d’un polymère soumet une demande d’enregistrement à [l’agence européenne des produits chimiques] pour la ou les substances monomères ou toutes autres substances qui n’ont pas encore été enregistrées par un acteur situé en amont dans la chaîne d’approvisionnement si les deux conditions suivantes sont remplies:

a)

le polymère contient 2 % masse/masse ou plus de cette ou de ces substances monomères ou autres sous forme d’unités monomériques ou de substances liées chimiquement;

b)

la quantité totale de cette ou de ces substances monomères ou autres atteint 1 tonne ou plus par an.

[…]»

12

L’article 8 du règlement REACH énonce:

«1.   Toute personne physique ou morale établie en dehors de la Communauté qui fabrique une substance telle quelle ou contenue dans une préparation ou un article, élabore une préparation ou produit un article qui est importé dans la Communauté peut désigner, d’un commun accord, une personne physique ou morale établie dans la Communauté pour s’acquitter, en qualité de représentant exclusif, des obligations incombant aux importateurs en vertu du présent titre.

2.   Le représentant respecte en outre l’ensemble des autres obligations applicables aux importateurs au titre du présent règlement. […]

3.   Lorsqu’un représentant est désigné en application des paragraphes 1 et 2, le fabricant non établi dans la Communauté en informe le ou les importateurs appartenant à la même chaîne d’approvisionnement. Ces importateurs sont considérés comme des utilisateurs en aval aux fins du présent règlement.»

13

L’article 27 de ce règlement dispose:

«1.   Lorsqu’une substance a été enregistrée moins de douze ans auparavant, […] le déclarant potentiel:

a)

doit, en cas d’informations requérant des essais sur des animaux vertébrés; et

b)

peut, en cas d’informations ne requérant pas d’essais sur des animaux vertébrés,

demander au(x) déclarant(s) antérieur(s) de lui communiquer les informations dont il a besoin […] aux fins de l’enregistrement.

2.   Lorsqu’une demande d’informations a été faite conformément au paragraphe 1, le(s) déclarant(s) potentiel(s) et le(s) déclarant(s) antérieur(s) visés au paragraphe 1 mettent tout en œuvre pour parvenir à un accord sur le partage des informations demandées par le(s) déclarant(s) potentiel(s) […]. Les déclarants qui ne parviennent pas à un accord peuvent soumettre l’affaire à une instance d’arbitrage dont ils acceptent la sentence.

3.   Le déclarant antérieur et le(s) déclarant(s) potentiel(s) mettent tout en œuvre pour faire en sorte que les coûts du partage des informations soient établis d’une manière équitable, transparente et non discriminatoire. Cela peut être facilité par des orientations en matière de partage des coûts fondées sur ces principes et adoptées par [l’agence européenne des produits chimiques] […]. Les déclarants doivent seulement participer aux coûts des informations qu’ils doivent soumettre pour satisfaire aux exigences en matière d’enregistrement.

[…]»

14

Pour sa part, l’article 138, paragraphe 2, dudit règlement prévoit:

«La Commission peut présenter des propositions législatives, dès que peut être établie une méthode efficace et économique de sélection des polymères en vue de leur enregistrement sur la base de critères techniques et scientifiques valables, et après publication d’un rapport concernant

a)

les risques que présentent les polymères par comparaison avec d’autres substances;

b)

la nécessité, le cas échéant, d’enregistrer certains types de polymères, en tenant compte de la compétitivité et de l’innovation, d’une part, et de la protection de la santé humaine et de l’environnement, d’autre part.»

La procédure au principal et les questions préjudicielles

15

Selon la juridiction de renvoi, les sociétés requérantes au principal contestent l’interprétation et par suite la validité de l’article 6, paragraphe 3, du règlement REACH.

16

En s’appuyant sur deux expertises de la Netherlands Organisation for Applied Scientific Research (TNO), les requérantes au principal soutiennent que les monomères sous forme réagie cessent de présenter leurs propres caractéristiques chimiques et que les polymères sont généralement stables et sûrs. Il s’ensuivrait que si l’expression «substances monomères», figurant à l’article 6, paragraphe 3, du règlement REACH, devait être interprétée comme désignant ou incluant les monomères sous forme réagie, il serait dénué de sens d’exempter les polymères de l’enregistrement alors que l’enregistrement des substances monomères est exigé. Une telle interprétation serait par ailleurs incompatible avec les objectifs dudit règlement, discriminatoire et disproportionnée.

17

La High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division (Administrative Court) a autorisé les requérantes au principal à introduire un recours devant elle et a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)

À la lumière du fait que les conditions relatives à l’enregistrement figurant au titre II du règlement [REACH] ne s’appliquent pas aux polymères en vertu de l’article 2, paragraphe 9, du même règlement, la référence aux substances monomères à l’article 6, paragraphe 3, désigne-t-elle:

a)

des monomères sous forme réagie, c’est-à-dire des monomères qui ont réagi entre eux de sorte qu’ils sont indissociables du polymère dont ils font partie;

b)

des monomères sous forme non réagie, c’est-à-dire des monomères qui sont résiduels au processus de polymérisation et qui conservent leurs propre identité et propriétés chimiques, distinctes du polymère après la fin de ce processus; ou

c)

à la fois les monomères sous forme réagie et les monomères sous forme non réagie?

2)

Si la réponse à la première question est soit a) soit c), l’application de l’article 6, paragraphe 3, du règlement [REACH] aux fabricants ou aux importateurs de polymères est-elle illégale au motif que les conditions sont irrationnelles, discriminatoires ou disproportionnées?»

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

18

Par sa première question, la juridiction de renvoi demande que soit clarifiée la notion de «substance monomère», telle qu’employée à l’article 6, paragraphe 3, du règlement REACH.

19

À titre liminaire, il convient de rappeler, d’une part, que selon ladite disposition, le fabricant ou l’importateur d’un polymère soumet une demande d’enregistrement pour la ou les substances monomères qui n’ont pas encore été enregistrées par un acteur situé en amont de la chaîne d’approvisionnement si le polymère contient au minimum 2 % masse/masse de cette ou de ces substance(s) monomère(s) sous la forme d’unités monomères et si la quantité totale de cette ou de ces substance(s) atteint une tonne ou plus par an.

20

D’autre part, les monomères sous forme non réagie doivent, selon l’article 6, paragraphes 1 et 2, du règlement REACH, être enregistrés, étant donné qu’ils constituent des substances en tant que telles. À l’opposé, les polymères sont, conformément à l’article 2, paragraphe 9, dudit règlement, exclus de l’obligation de l’enregistrement.

21

Il convient ensuite de relever, premièrement, qu’il ressort des termes de l’article 3, point 5, du règlement REACH que le polymère est constitué d’unités monomères qui se définissent comme des substances monomères sous forme réagie.

22

Deuxièmement, aux termes de l’article 3, point 6, dudit règlement, le monomère est, en revanche, une «substance» au sens dudit article 3, point 1, lorsqu’elle se présente sous forme non réagie.

23

Troisièmement, il résulte de l’article 6, paragraphe 3, du règlement REACH que l’enregistrement porte sur les substances monomères ou toutes autres substances composant le polymère.

24

Par suite, compte tenu de la définition du polymère donné à l’article 3, point 5, dudit règlement rappelé au point 21 du présent arrêt, l’enregistrement porte sur les substances monomères sous forme réagie.

25

Le fait que les termes «unités monomériques» soient utilisés à l’article 6, paragraphe 3, du règlement REACH plutôt que les termes «unités monomères», tels qu’ils figurent à l’article 3, point 5, dans les versions en langues anglaise et française du règlement REACH, est sans conséquence sur ce constat.

26

En effet, il ressort du document du Conseil de l’Union européenne du 5 novembre 2004 (no 13788/04, p. 5) que ces termes ont été ajoutés à la demande du Royaume de Suède. La version en langue suédoise du règlement REACH emploie les mêmes termes d’«unités monomères» aux articles 3, point 5, et 6, paragraphe 3, de ce règlement.

27

Il s’ensuit que la notion de «substances monomères», figurant à l’article 6, paragraphe 3, du règlement REACH, ne concerne que les monomères sous forme réagie, intégrés aux polymères.

28

Cette conclusion ne saurait être remise en cause par l’examen de l’économie dudit règlement.

29

En effet, contrairement à ce que soutiennent les requérantes au principal, l’obligation d’enregistrement des substances monomères ne constitue pas une exception à l’exemption d’enregistrement applicable aux polymères.

30

D’une part, la lecture du dix-neuvième considérant du règlement REACH confirme l’obligation d’enregistrement des substances fabriquées ou importées sans distinction.

31

D’autre part, l’article 6 du règlement REACH, intitulé «Obligation générale d’enregistrement de substances telles quelles ou contenues dans des préparations», met en exergue un principe général d’enregistrement et non d’exemption.

32

Par ailleurs, il convient également d’écarter l’argument des requérantes au principal selon lequel une interprétation, telle que celle retenue au point 27 du présent arrêt, rendrait sans objet l’exemption de l’obligation d’enregistrement au profit des polymères prévue à l’article 2, paragraphe 9, du règlement REACH.

33

À cet égard, il convient de relever que l’article 6, paragraphe 3, dudit règlement vise les substances monomères qui n’ont pas encore été enregistrées en amont dans la chaîne d’approvisionnement.

34

Il en découle que ce sont non pas les polymères qui sont concernés par l’obligation d’enregistrement, mais les seules substances monomères avec leurs propres caractéristiques, telles qu’elles existaient avant la polymérisation.

35

Enfin, la conclusion formulée au point 27 du présent arrêt est confirmée par les objectifs du règlement REACH, tels que définis au premier considérant et à l’article 1er, paragraphe 1, de ce dernier, qui consistent à assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement ainsi que la libre circulation des substances tout en améliorant la compétitivité et l’innovation.

36

En effet, l’obligation d’enregistrement des substances monomères vise à protéger la santé humaine et l’environnement dès lors que ces substances présentent des caractéristiques propres susceptibles d’y porter atteinte.

37

L’objectif de libre circulation des substances dans le marché intérieur tout en améliorant la compétitivité et l’innovation est susceptible non pas de remettre en cause la définition des «substances monomères», mais d’affecter la validité de l’article 6, paragraphe 3, du règlement REACH, laquelle fait l’objet de la seconde question.

38

Il résulte de tout ce qui précède qu’il convient de répondre à la première question que la notion de «substances monomères», figurant à l’article 6, paragraphe 3, du règlement REACH, ne concerne que les monomères sous forme réagie, intégrés aux polymères.

Sur la seconde question

39

Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 6, paragraphe 3, du règlement REACH est invalide en ce qu’il impose aux fabricants et aux importateurs de polymères de soumettre une demande d’enregistrement pour les substances monomères, telles que définies au point 38 du présent arrêt.

Sur l’irrationalité de l’article 6, paragraphe 3, du règlement REACH

40

Il convient de considérer que cette critique relève de celle afférente au non-respect du principe de proportionnalité.

Sur le non-respect du principe de proportionnalité

41

Selon une jurisprudence constante, le principe de proportionnalité, qui fait partie des principes généraux du droit communautaire, exige que les moyens mis en œuvre par une disposition communautaire soient aptes à réaliser l’objectif visé et n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre [arrêt du 10 décembre 2002, British American Tobacco (Investments) et Imperial Tobacco, C-491/01, Rec. p. I-11453, point 122 ainsi que jurisprudence citée].

42

En ce qui concerne le contrôle juridictionnel des conditions mentionnées au point précédent, il y a lieu de reconnaître au législateur communautaire un large pouvoir d’appréciation dans un domaine, tel que celui de l’espèce, qui implique de sa part des choix de nature politique, économique et sociale, et dans lequel il est appelé à effectuer des appréciations complexes. Seul le caractère manifestement inapproprié d’une mesure arrêtée en ce domaine, par rapport à l’objectif que les institutions compétentes entendent poursuivre, peut affecter la légalité d’un telle mesure [British American Tobacco (Investments) et Imperial Tobacco, précité, point 123 ainsi que jurisprudence citée].

43

En l’espèce, il importe d’examiner si l’obligation d’enregistrement des substances monomères, telles que définies au point 38 du présent arrêt et répondant aux conditions cumulatives prévues à l’article 6, paragraphe 3, du règlement REACH, constitue un moyen proportionné pour atteindre les objectifs de ce règlement.

44

Tel que rappelé au point 35 du présent arrêt, les objectifs dudit règlement, définis à l’article 1er de celui-ci, consistent à «assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement […] ainsi que la libre circulation des substances dans le marché intérieur tout en améliorant la compétitivité et l’innovation».

45

Toutefois, eu égard au seizième considérant du règlement REACH, il convient de constater que le législateur communautaire a fixé, comme objectif principal à l’obligation d’enregistrement prévue à l’article 6, paragraphe 3, de ce règlement le premier de ces trois objectifs, à savoir celui d’assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement.

46

Le moyen pour atteindre ledit objectif est, ainsi que l’énonce le dix-neuvième considérant du règlement REACH, l’obligation d’enregistrement imposée aux fabricants et aux importateurs, comprenant celle de produire des données sur les substances qu’ils fabriquent ou importent, d’utiliser ces données pour évaluer les risques liés à ces substances ainsi que de développer et de recommander des mesures appropriées de gestion des risques.

47

Il convient de relever que, aux termes de l’article 6, paragraphe 1, du règlement REACH, cette obligation d’enregistrement porte sur tout type de substance fabriquée ou importée dans la Communauté en quantité égale ou supérieure à 1 tonne par an. En outre, elle s’applique aux substances, qu’elles soient ou non classées comme dangereuses, sauf exemption expresse.

48

Compte tenu de la conclusion formulée au point 38 du présent arrêt, les monomères sous forme réagie entrant dans la composition d’un polymère sont soumis à ladite obligation, les polymères en étant exemptés.

49

S’agissant de l’objectif de protection de la santé humaine et de l’environnement, il convient d’emblée de constater que l’enregistrement des substances sert à améliorer l’information du public et des professionnels en aval sur les risques et que, par suite, cet enregistrement doit être considéré comme un instrument d’amélioration d’une telle protection.

50

À cet égard, il y a lieu d’observer que si les polymères sont exemptés d’enregistrement pour des raisons pratiques liées à leur trop grand nombre, cette situation est susceptible d’être révisée conformément à l’article 138, paragraphe 2, du règlement REACH, dès qu’une méthode efficace et économique de sélection des substances polymères aura pu être établie.

51

Ainsi, l’obligation d’enregistrement des substances monomères, moins nombreuses que les polymères, permet de connaître non seulement les risques propres à ces substances, mais aussi ceux des monomères retrouvés sous forme de résidus après polymérisation ou sous forme de monomère après dégradation éventuelle du polymère.

52

Ainsi que Mme l’avocat général l’a relevé au point 94 de ses conclusions, en cas de fabrication de polymères dans la Communauté, l’intérêt de l’enregistrement des monomères est évident, car les substances monomères sont utilisées en tant que monomères sous forme non réagie au sein de la Communauté de sorte qu’il est nécessaire que les informations afférentes à l’enregistrement soient connues sur le territoire de celle-ci afin de pouvoir maîtriser d’éventuels risques.

53

Par ailleurs, en cas d’importation de polymères dans la Communauté, l’obligation d’enregistrement des monomères sous forme réagie contribue dans les mêmes conditions à la protection de la santé humaine et de l’environnement, puisque cette obligation permet également une meilleure connaissance des polymères.

54

De plus, une telle obligation d’enregistrement des substances monomères satisfait au principe de précaution tel que rappelé à l’article 1er, paragraphe 3, du règlement REACH.

55

L’obligation d’enregistrement imposée aux importateurs conduit à une répartition plus équitable des coûts d’enregistrement entre fabricants communautaires et importateurs.

56

Une telle égalité de traitement évite les distorsions de concurrence et garantit ainsi une concurrence loyale au sein de la Communauté.

57

Ainsi que Mme l’avocat général l’a relevé au point 105 de ses conclusions, la préservation du fabricant communautaire des désavantages concurrentiels qui pourraient résulter de la situation différente faite aux importateurs est un objectif licite du législateur communautaire.

58

Il en résulte que l’obligation d’enregistrement des monomères sous forme réagie dans les polymères est propre à atteindre les objectifs du règlement REACH.

59

Toutefois, il reste à vérifier si cette obligation ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre ces objectifs.

60

Afin d’assurer une réelle concurrence dans la Communauté, les importateurs de substances monomères doivent être soumis aux mêmes obligations que celles auxquelles sont soumis les fabricants communautaires ou à des obligations similaires aboutissant à un ajustement des coûts.

61

Tout autre dispositif tendant à compenser l’absence de coûts d’enregistrement pour les importateurs ne serait pas nécessairement moins contraignant pour ces derniers.

62

De même, toute limitation de l’obligation d’enregistrement aux seuls monomères produits dans la Communauté serait contraire à l’objectif de compétitivité et d’innovation, car l’importation de monomères à prix moindre, sans prise en compte de coûts d’enregistrement, découragerait tout fabricant communautaire d’entamer ou de poursuivre des recherches sur les mêmes monomères.

63

Il s’ensuit que l’obligation d’enregistrement de substances monomères sous forme réagie composant les polymères ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire à la satisfaction des objectifs du règlement REACH.

64

Les requérantes au principal contestent toutefois le caractère proportionné de cette obligation d’enregistrement en considérant, d’une part, que les importateurs sont confrontés à de sérieuses difficultés pratiques fondées notamment sur le fait qu’ils ignorent la composition du polymère importé et, d’autre part, que les coûts de la procédure d’enregistrement sont largement disproportionnés par rapport aux chiffres d’affaires réalisés et aux quantités de substances en cause.

65

À cet égard, il convient de relever, en premier lieu, que l’article 8, paragraphe 1, du règlement REACH prévoit la possibilité de désigner un représentant exclusif pour le fabricant de substances telles quelles ou contenues dans une préparation ou qui produit un article importé dans la Communauté.

66

Ce représentant assure l’ensemble des obligations applicables aux importateurs qui en sont informés et qui sont, dès lors, considérés comme utilisateurs en aval. Par suite, les obligations d’enregistrement reposent sur ledit représentant, qui est désigné par le fabricant non établi dans la Communauté et dont il dispose de la confiance.

67

En second lieu, s’agissant des coûts générés par la procédure d’enregistrement, il doit être constaté que la procédure est identique, que les produits soient fabriqués dans la Communauté ou en dehors de celle-ci et que, par conséquent, la charge n’est pas plus importante pour les fabricants non établis dans la Communauté ou les importateurs que pour les fabricants communautaires.

68

Par ailleurs, ainsi que Mme l’avocat général l’a relevé au point 130 de ses conclusions, le règlement REACH prévoit un partage d’informations afin de réduire les coûts concernant les substances entre les différents déposants d’une même substance.

69

Ainsi, le trente-troisième considérant de ce règlement énonce que «[l]a soumission conjointe et le partage d’informations sur les substances devraient être prévus afin de renforcer l’efficacité du système d’enregistrement, de réduire les coûts et de réduire les essais sur les animaux vertébrés».

70

La mise en œuvre de ces objectifs est assurée par l’article 27, paragraphe 3, du règlement REACH qui prévoit le partage d’informations afin de réduire les coûts entre les déclarants.

71

Par suite, compte tenu du nombre restreint de substances monomères potentielles, de la durée de validité de douze années d’un précédent enregistrement de substances, telle que prévue à l’article 27 du règlement REACH, ainsi que de la possibilité de partager les informations afin de réduire les coûts, la charge découlant de l’obligation d’enregistrement des substances monomères sous forme réagie dans un polymère n’apparaît pas manifestement disproportionnée au regard de la libre circulation des produits sur le marché intérieur ouvert à une concurrence loyale.

72

Il résulte des considérations qui précèdent que l’article 6, paragraphe 3, du règlement REACH n’est pas invalide en raison de la violation du principe de proportionnalité.

Sur le non-respect du principe d’égalité de traitement

73

Les requérantes au principal allèguent que si l’obligation d’enregistrement des substances monomères est identique, les fabricants communautaires de polymères pourraient plus aisément que les importateurs procéder à l’enregistrement de ces substances dans la mesure où ils connaissent la composition de leurs produits, les importateurs restant pour leur part soumis au bon vouloir de leurs fournisseurs situés hors du territoire de la Communauté.

74

Selon une jurisprudence constante, le principe d’égalité de traitement ou de non-discrimination exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (arrêt du 10 janvier 2006, IATA et ELFAA, C-344/04, Rec. p. I-403, point 95 ainsi que jurisprudence citée).

75

À cet égard, il convient d’observer, en premier lieu, que l’obligation d’enregistrement est identique pour les fabricants communautaires et pour les importateurs.

76

En deuxième lieu, il convient de constater que les substances monomères sous forme réagie dans les polymères fabriquées ou importées dans la Communauté sont dans une situation comparable dès lors qu’elles sont interchangeables ou identiques.

77

En troisième lieu, les fabricants communautaires et les importateurs sont dans une situation différente, car les premiers possèdent la connaissance de leurs produits alors que les seconds sont soumis à la fourniture des informations par les fournisseurs situés hors du territoire de la Communauté.

78

Néanmoins, le traitement identique imposé à ces situations différentes est objectivement justifié par le respect des règles de concurrence applicables au marché intérieur.

79

En effet, en traitant de manière différente les importateurs de substances monomères sous forme réagie et les fabricants de ces mêmes substances situés dans la Communauté, les premiers seraient favorisés par rapport aux seconds.

80

Il s’ensuit qu’aucune violation du principe d’égalité de traitement ne saurait être constatée et, par conséquent, l’article 6, paragraphe 3, du règlement REACH n’est pas invalide en raison de la violation de ce principe.

81

Il résulte de tout ce qui précède que l’examen de la seconde question n’a révélé aucun élément de nature à affecter la validité de l’article 6, paragraphe 3, du règlement REACH.

Sur les dépens

82

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit:

 

1)

La notion de «substances monomères», figurant à l’article 6, paragraphe 3, du règlement (CE) no 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2006, concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH), instituant une agence européenne des produits chimiques, modifiant la directive 1999/45/CE et abrogeant le règlement (CEE) no 793/93 du Conseil et le règlement (CE) no 1488/94 de la Commission ainsi que la directive 76/769/CEE du Conseil et les directives 91/155/CEE, 93/67/CEE, 93/105/CE et 2000/21/CE de la Commission, ne concerne que les monomères sous forme réagie, intégrés aux polymères.

 

2)

L’examen de la seconde question n’a révélé aucun élément de nature à affecter la validité de l’article 6, paragraphe 3, du règlement no 1907/2006.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure: l’anglais.