Affaire C-484/07

Fatma Pehlivan

contre

Staatssecretaris van Justitie

(demande de décision préjudicielle, introduite par le Rechtbank 's-Gravenhage)

«Accord d’association CEE-Turquie — Regroupement familial — Article 7, premier alinéa, premier tiret, de la décision nº 1/80 du conseil d’association — Enfant d’un travailleur turc qui a cohabité avec celui-ci pendant plus de trois ans, mais s’est marié avant l’expiration du délai de trois ans prévu à ladite disposition — Droit national mettant en cause, pour ce motif, le permis de séjour de l’intéressé»

Sommaire de l'arrêt

Accords internationaux — Accord d'association CEE-Turquie — Conseil d'association institué par l'accord d'association CEE-Turquie — Décision relative à la libre circulation des travailleurs — Regroupement familial

(Décision nº 1/80 du conseil d'association CEE-Turquie, art. 7, al. 1, 1er tiret)

L’article 7, premier alinéa, premier tiret, de la décision nº 1/80 du conseil d'association CEE-Turquie doit être interprété en ce sens que:

- cette disposition s’oppose à une réglementation d’un État membre selon laquelle le membre de la famille dûment autorisé à rejoindre un travailleur migrant turc appartenant déjà au marché régulier de l’emploi de cet État perd le bénéfice des droits fondés sur le regroupement familial au titre de ladite disposition du seul fait que, devenu majeur, il contracte mariage, alors même qu’il continue d’habiter avec ce travailleur durant les trois premières années de son séjour dans l’État membre d’accueil;

- un ressortissant turc qui relève de ladite disposition peut valablement revendiquer un droit de séjour dans l’État membre d’accueil sur le fondement de celle-ci, nonobstant la circonstance qu’il s’est marié avant l’expiration de la période de trois années prévue audit premier alinéa, premier tiret, dès lors que, durant toute cette période, il a effectivement vécu sous le même toit que le travailleur migrant turc par l’intermédiaire duquel il a été admis sur le territoire de cet État membre au titre du regroupement familial.

En effet, il résulte tant de la primauté du droit de l’Union que de l’effet direct d’une disposition telle que l’article 7, premier alinéa, de la décision nº 1/80 que les États membres ne sauraient modifier unilatéralement la portée du système d’intégration progressive des ressortissants turcs dans l’État membre d’accueil et ils ne disposent pas de la faculté d’adopter des mesures de nature à entraver le statut juridique expressément reconnu par le droit de l’association CEE-Turquie à de tels ressortissants. Ainsi, un membre de la famille d’un travailleur turc qui remplit les conditions prévues audit article 7, premier alinéa, ne peut perdre les droits que cette disposition lui reconnaît que dans deux cas de figure, à savoir soit lorsque la présence du migrant turc sur le territoire de l’État membre d’accueil constitue, en raison de son comportement personnel, un danger effectif et grave pour l’ordre public, la sécurité ou la santé publiques, au sens de l’article 14, paragraphe 1, de la même décision, soit lorsque l’intéressé a quitté le territoire de cet État pendant une période significative et sans motifs légitimes.

(cf. points 56, 62, 66 et disp.)







ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

16 juin 2011 (*)

«Accord d’association CEE-Turquie – Regroupement familial – Article 7, premier alinéa, premier tiret, de la décision n° 1/80 du conseil d’association – Enfant d’un travailleur turc qui a cohabité avec celui-ci pendant plus de trois ans, mais s’est marié avant l’expiration du délai de trois ans prévu à ladite disposition – Droit national mettant en cause, pour ce motif, le permis de séjour de l’intéressé»

Dans l’affaire C‑484/07,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Rechtbank ’s-Gravenhage (Pays-Bas), par décision du 22 octobre 2007, parvenue à la Cour le 31 octobre 2007, dans la procédure

Fatma Pehlivan

contre

Staatssecretaris van Justitie,

LA COUR (première chambre),

composée de M. A. Tizzano, président de chambre, MM. J.‑J. Kasel (rapporteur), A. Borg Barthet, E. Levits et Mme M. Berger, juges,

avocat général: Mme E. Sharpston,

greffier: Mme M. Ferreira, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 15 avril 2010,

considérant les observations présentées:

–        pour Mme Pehlivan, par Me P. H. Hillen, advocaat,

–        pour le gouvernement néerlandais, par Mmes C. Wissels, M. de Mol et B. Koopman, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement allemand, par MM. M. Lumma et J. Möller, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de Mme W. Ferrante, avvocato dello Stato,

–        pour la Commission européenne, par MM. G. Rozet et M. van Beek, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 8 juillet 2010,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 7, premier alinéa, premier tiret, de la décision n° 1/80 du conseil d’association, du 19 septembre 1980, relative au développement de l’association (ci-après la «décision n° 1/80»). Le conseil d’association a été institué par l’accord créant une association entre la Communauté économique européenne et la Turquie, qui a été signé, le 12 septembre 1963, à Ankara par la République de Turquie, d’une part, ainsi que par les États membres de la CEE et la Communauté, d’autre part, et qui a été conclu, approuvé et confirmé au nom de cette dernière par la décision 64/732/CEE du Conseil, du 23 décembre 1963 (JO 1964, 217, p. 3685).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Mme Pehlivan, ressortissante turque, au Staatssecretaris van Justitie (secrétaire d’État à la Justice, ci-après le «Staatssecretaris») au sujet du retrait du permis de séjour qui lui avait été accordé ainsi que d’une procédure d’expulsion du territoire néerlandais dont elle a fait l’objet.

 Le cadre juridique

 L’association CEE-Turquie

3        L’article 59 du protocole additionnel, signé le 23 novembre 1970 à Bruxelles et conclu, approuvé et confirmé au nom de la Communauté par le règlement (CEE) n° 2760/72 du Conseil, du 19 décembre 1972 (JO L 293, p. 1), est libellé comme suit:

«Dans les domaines couverts par le présent protocole, la Turquie ne peut bénéficier d’un traitement plus favorable que celui que les États membres s’accordent entre eux en vertu du traité instituant la Communauté.»

4        La section 1 du chapitre II de la décision n° 1/80, intitulé «Dispositions sociales», est consacrée aux «[q]uestions relatives à l’emploi et à la libre circulation des travailleurs». Cette section comporte les articles 6 à 16 de ladite décision.

5        Aux termes de l’article 6, paragraphe 1, de la décision n° 1/80:

«Sous réserve des dispositions de l’article 7 relatif au libre accès à l’emploi des membres de sa famille, le travailleur turc, appartenant au marché régulier de l’emploi d’un État membre:

–        a droit, dans cet État membre, après un an d’emploi régulier, au renouvellement de son permis de travail auprès du même employeur, s’il dispose d’un emploi;

–        a le droit, dans cet État membre, après trois ans d’emploi régulier et sous réserve de la priorité à accorder aux travailleurs des États membres de la Communauté, de répondre dans la même profession auprès d’un employeur de son choix à une autre offre, faite à des conditions normales, enregistrée auprès des services de l’emploi de cet État membre;

–        bénéficie, dans cet État membre, après quatre ans d’emploi régulier, du libre accès à toute activité salariée de son choix.»

6        L’article 7 de la décision n° 1/80 dispose:

«Les membres de la famille d’un travailleur turc appartenant au marché régulier de l’emploi d’un État membre, qui ont été autorisés à le rejoindre:

–        ont le droit de répondre – sous réserve de la priorité à accorder aux travailleurs des États membres de la Communauté – à toute offre d’emploi lorsqu’ils y résident régulièrement depuis trois ans au moins;

–        y bénéficient du libre accès à toute activité salariée de leur choix lorsqu’ils y résident régulièrement depuis cinq ans au moins.

Les enfants des travailleurs turcs ayant accompli une formation professionnelle dans le pays d’accueil pourront, indépendamment de leur durée de résidence dans cet État membre, à condition qu’un des parents ait légalement exercé un emploi dans l’État membre intéressé depuis trois ans au moins, répondre dans ledit État membre à toute offre d’emploi.»

7        L’article 14 de la même décision est libellé comme suit:

«1.      Les dispositions de la présente section sont appliquées sous réserve des limitations justifiées par des raisons d’ordre public, de sécurité et de santé publiques.

2.      Elles ne portent pas atteinte aux droits et obligations découlant des législations nationales ou des accords bilatéraux existant entre la Turquie et les États membres de la Communauté, dans la mesure où ils prévoient, en faveur de leurs ressortissants, un régime plus favorable.»

 La réglementation nationale

8        La loi procédant à une révision générale de la loi sur les étrangers (Wet tot algehele herziening van de Vreemdelingenwet), du 23 novembre 2000 (Stb. 2000, n° 495, ci-après la «Vw 2000»), est entrée en vigueur le 1er avril 2001. C’est depuis cette dernière date que sont également applicables aux Pays-Bas le décret sur les étrangers de 2000 (Vreemdelingenbesluit 2000, Stb. 2000, n° 497, ci-après le «Vb 2000») ainsi que le règlement sur les étrangers de 2000 (Voorschrift Vreemdelingen 2000, Stcrt. 2001, n° 10). Dans la circulaire sur les étrangers de 2000 (Vreemdelingencirculaire 2000, ci-après la «Vc 2000»), le Staatssecretaris a expliqué la manière dont il entendait appliquer la Vw 2000 et le Vb 2000.

9        L’article 14 de la Vw 2000 dispose:

«1.      Notre ministre est compétent pour:

a)      accueillir, rejeter ou écarter sans examen la demande de délivrance d’un permis de séjour à durée déterminée;

b)      accueillir, rejeter ou écarter sans examen la demande de prolongation de la durée de validité de ce permis;

c)      modifier un permis de séjour à durée déterminée soit à la demande de son titulaire, soit d’office en raison d’un changement de circonstances;

d)      retirer un permis de séjour à durée déterminée;

[…]

2.      Un permis de séjour à durée déterminée est assorti de conditions limitatives en rapport avec la raison pour laquelle le séjour est autorisé. D’autres conditions peuvent être imposées. Les règles applicables aux conditions limitatives et les autres conditions peuvent être déterminées par des règlements administratifs à portée générale.

3.      Le permis de séjour à durée déterminée est délivré pour une période qui ne peut excéder cinq années consécutives. Des règlements administratifs à portée générale fixent les règles relatives à la durée de validité du permis de séjour et à la prolongation de cette durée.»

10      Aux termes de l’article 18, paragraphe 1, de la Vw 2000:

«Une demande de prolongation de la validité d’un permis de séjour à durée déterminée au sens de l’article 14 peut être rejetée si:

[…]

c)      l’étranger a donné des renseignements erronés ou s’est abstenu de communiquer des informations qui auraient entraîné le rejet de la demande initiale;

[…]

f)      la condition limitative assortissant le permis ou une autre condition liée à sa délivrance n’a pas été respectée;

[…]»

11      En application de l’article 19 de la Vw 2000, le permis de séjour à durée déterminée peut être révoqué pour les motifs énoncés à l’article 18, paragraphe 1, de la même loi.

12      En vertu de l’article 3.24 du Vb 2000, le permis de séjour accordé pour une durée déterminée prévu à l’article 14 de la Vw 2000 peut être assorti d’une condition limitative relative au regroupement familial avec un membre de la famille d’un Néerlandais ou d’un étranger en résidence régulière au sens de cette loi autre que le conjoint, le partenaire enregistré ou non ou l’enfant mineur lorsque, de l’avis du Staatssecretaris, l’étranger fait réellement partie et faisait déjà réellement partie, dans l’État d’origine, de la famille de la personne chez laquelle il entend séjourner et que la séparation de celle-ci avec l’étranger constituerait une mesure d’une sévérité disproportionnée.

13      L’article 3.51, paragraphe 1, du Vb 2000 dispose:

«Le permis de séjour à durée déterminée, au sens de l’article 14 de la Vw 2000, sous une condition limitative relative à la prolongation du séjour, peut être délivré à l’étranger qui séjourne depuis trois ans aux Pays-Bas sous couvert d’un permis de séjour dans les cas suivants:

a)      regroupement familial ou constitution d’une famille avec une personne titulaire d’un droit de séjour permanent;

[…]»

14      L’article 3.52 du Vb 2000 prévoit que le permis de séjour à durée déterminée au sens de l’article 14 de la Vw 2000 peut être délivré, sous la condition limitative relative à la «prolongation du séjour», dans d’autres cas que ceux visés, notamment, à l’article 3.51, à l’étranger qui séjourne régulièrement aux Pays-Bas au sens de cette même loi et dont, en raison de circonstances personnelles particulières, il ne saurait être exigé, de l’avis du Staatssecretaris, qu’il quitte le territoire néerlandais.

15      La Vc 2000 expose, notamment, la politique menée par les autorités néerlandaises dans le contexte de la décision n° 1/80. Dans la section B11/3.5 de cette circulaire, telle qu’elle était rédigée à la date des faits au principal, il était notamment énoncé à propos de l’article 7 de ladite décision:

«Précisions relatives aux notions de: ‘membres de la famille’: le conjoint du travailleur turc et ses descendants consanguins âgés de moins de 21 ans ou qui sont à la charge de celui-ci, ainsi que les ascendants consanguins de ce travailleur et de son conjoint qui sont à la charge de ceux-ci […]

‘résider régulièrement’: cette notion signifie que le membre de la famille doit résider effectivement auprès du travailleur turc pendant une période ininterrompue de trois ou cinq ans […]. Pour le décompte de cette durée, il convient cependant de tenir compte de courtes interruptions de la cohabitation, qui n’impliquent pas une intention de mettre fin à celle-ci. On peut considérer comme telle une absence du domicile commun d’une durée raisonnable pour de justes motifs ou un séjour involontaire de moins de six mois de l’intéressé dans son pays d’origine […]»

16      En ce qui concerne la prolongation du séjour des membres de la famille, la section B11/3.5.1 de la Vc 2000 prévoit notamment:

«[…] les règles nationales qui régissent le regroupement familial et la constitution de la famille […] confèrent aussi en général aux membres de la famille le droit de travailler. Elles vont ainsi au-delà des obligations créées par la décision n° 1/80. De plus, la législation nationale accorde à sa demande au membre mineur de la famille, titulaire en tant que mineur d’un permis de séjour au titre du regroupement familial avec une personne qui est titulaire d’un droit de séjour permanent, au bout d’un an, une autorisation (à titre personnel) de prolongation du séjour […]

‘Résider régulièrement depuis trois ans’: après trois ans de résidence régulière s’applique la règle générale selon laquelle les membres de la famille d’un travailleur turc appartenant au marché régulier de l’emploi qui ont obtenu un permis de séjour aux Pays-Bas dans le cadre du regroupement familial avec ce travailleur turc ont librement accès à tout emploi de leur choix. La circonstance que le membre de la famille est né aux Pays-Bas et n’avait donc pas besoin d’autorisation pour rejoindre le travailleur turc aux Pays-Bas dans le cadre du regroupement familial n’est pas pertinente ici […]»

17      Cette dernière précision de la Vc 2000 signifie que, en droit néerlandais, le libre accès au marché du travail, tel que défini à l’article 7, premier alinéa, second tiret, de la décision n° 1/80, est la règle à l’issue d’une période de résidence régulière de trois ans. Cette règle plus favorable pour les membres de la famille d’un travailleur turc constitue une exception à l’article 7, premier alinéa, premier tiret, de la décision n° 1/80. Cette règle plus favorable doit toujours s’appliquer.

18      En outre, lesdits membres de la famille peuvent, après trois ans de séjour régulier aux Pays-Bas, demander un permis de séjour à titre personnel pour la prolongation de leur séjour. Ce permis leur ouvre le libre accès à tout emploi de leur choix.

19      Après trois ans de résidence régulière aux Pays-Bas, le séjour d’un membre de la famille n’est plus soumis à des conditions, en application de l’article 7 de la décision n° 1/80. La circonstance que, à l’expiration de cette période de trois années, le travailleur turc n’appartienne plus au marché régulier de l’emploi ou les liens familiaux aient été rompus n’a plus aucune incidence sur le droit de séjour du membre de la famille concerné. Cette règle s’applique que le membre de la famille dispose ou non d’un permis de séjour à titre personnel.

20      La section B2/8.3 de la Vc 2000, dans sa version applicable à la date des faits au principal, est libellée comme suit:

«Le permis de séjour n’est pas délivré si l’enfant majeur ne fait pas réellement partie ou ne faisait déjà pas réellement partie dans le pays d’origine de la famille du parent. ‘Faire partie réellement de la famille’ implique:

–        que le lien familial existait déjà dans le pays étranger;

–        qu’il existe à l’égard des parents une dépendance morale et financière, qui existait déjà dans le pays étranger, et

–      que l’étranger habite avec son (ses) parent(s).

L’enfant majeur ne fait plus réellement partie de la famille si le lien de famille effectif peut être considéré comme rompu. Tel est toujours le cas lorsque au moins l’une des circonstances ci-dessous se présente:

–        l’étranger s’intègre de manière durable à une autre famille et la personne auprès de laquelle il entend séjourner n’a plus charge d’autorité (réelle) sur lui;

–        l’étranger s’intègre de manière durable à une autre famille et la personne auprès de laquelle il entend séjourner ne prend plus en charge ses frais de formation et de soins;

–        l’étranger a une habitation indépendante et pourvoit à son propre entretien;

–        l’étranger forme une famille indépendante en se mariant ou en s’engageant dans une relation;

–        l’étranger a la charge matérielle ou morale de l’entretien d’un enfant (naturel), d’un enfant placé ou adopté ou d’autres membres dépendants de la famille […]»

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

21      Il ressort du dossier de l’affaire au principal que Mme Pehlivan, qui est née en Turquie le 7 août 1979, a été admise à entrer sur le territoire néerlandais le 11 mai 1999, au titre du regroupement familial auprès de ses parents dont l’un au moins appartenait déjà au marché régulier de l’emploi des Pays-Bas.

22      C’est la raison pour laquelle le Staatssecretaris lui a délivré, le 1er août 1999, un permis de séjour à durée déterminée, prenant effet le 9 août suivant, assorti de la condition relative au «regroupement familial au sens large chez les parents». Les autorités néerlandaises ont prolongé la durée de validité de ce permis pour la dernière fois jusqu’au 24 juillet 2003.

23      Il n’est pas contesté que, à compter du 12 août 1999 et pendant une période s’étendant sur plus de trois années, Mme Pehlivan a habité au domicile néerlandais de ses parents.

24      Le 22 décembre 2000, Mme Pehlivan a, lors d’un séjour de courte durée en Turquie, épousé un ressortissant turc. Ce n’est toutefois que le 3 mai 2002 qu’elle a informé le service des étrangers de l’existence du mariage, lequel fut enregistré le 1er juillet suivant par le service compétent de la commune de résidence de l’intéressée.

25      De ladite union, un fils est né le 30 mars 2002.

26      Selon les indications de Mme Pehlivan, son époux est entré aux Pays-Bas en 2002 en tant que chauffeur d’un poids lourd turc et a déposé dans cet État membre une demande de permis de séjour. À la suite du rejet de cette demande, il a été expulsé du territoire néerlandais. D’après Mme Pehlivan, son mari a, à partir du mois de juin 2002, habité pendant neuf mois avec elle et les parents de cette dernière au foyer familial.

27      Le 10 février 2004, la dissolution du mariage de M. et Mme Pehlivan a été prononcée par une juridiction turque.

28      Le 1er avril 2005, Mme Pehlivan a quitté le domicile de ses parents et déménagé avec son fils à une autre adresse aux Pays-Bas.

29      Par décision du 13 octobre 2003, le Staatssecretaris a retiré, avec effet rétroactif au 22 décembre 2000, qui est la date du mariage de M. et Mme Pehlivan, le permis de séjour de cette dernière. Ce retrait était motivé par la circonstance que, en application du droit néerlandais, Mme Pehlivan était réputée avoir définitivement rompu le lien familial effectif avec ses parents du fait qu’elle s’était mariée.

30      Les autorités néerlandaises en ont déduit que Mme Pehlivan n’avait résidé légalement aux Pays-Bas que jusqu’au 22 décembre 2000, soit pendant une période inférieure à trois ans, de sorte qu’elle ne pourrait plus utilement se prévaloir de l’article 7, premier alinéa, premier tiret, de la décision n° 1/80 et qu’elle devrait dès lors être expulsée.

31      Considérant que sa résidence effective auprès de ses parents avait perduré après le 22 décembre 2000 et que sa situation au regard de ladite disposition de la décision n° 1/80 n’avait à aucun moment été affectée par son mariage, Mme Pehlivan a introduit, le 7 novembre 2003, une réclamation contre la décision d’expulsion prononcée à son encontre. À la suite du rejet de cette réclamation, elle a formé, le 29 décembre 2005, un recours devant le Rechtbank ’s-Gravenhage, en demandant en outre qu’il soit sursis à l’exécution de cette décision d’expulsion.

32      Selon la juridiction de renvoi, il est constant que le père de Mme Pehlivan doit être considéré comme un travailleur turc au sens de la décision n° 1/80 et qu’il appartient au marché régulier de l’emploi de l’État membre d’accueil.

33      Il ne serait pas non plus contesté entre les parties au principal que Mme Pehlivan a, depuis le 12 août 1999, vécu effectivement sous le même toit que ses parents pendant une période ininterrompue de trois années au moins.

34      Estimant que la solution du litige dont il est saisi dépend du point de savoir si cette dernière circonstance est suffisante pour que Mme Pehlivan remplisse la condition, énoncée à l’article 7, premier alinéa, premier tiret, de la décision n° 1/80, relative à la résidence régulière pendant trois ans dans l’État membre d’accueil, et puisse ainsi valablement se prévaloir des droits que cette disposition lui confère, le Rechtbank ’s-Gravenhage a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      a)     Convient-il d’interpréter l’article 7, [premier alinéa], premier tiret, de la décision […] n° 1/80 en ce sens que cette disposition s’applique dès lors qu’un membre de la famille d’un travailleur turc a vécu effectivement pendant trois ans auprès de celui-ci sans que les autorités nationales compétentes aient mis en cause ce droit de séjour au cours de cette période de trois ans?

b)      L’article 7, [premier alinéa], premier tiret, de la décision […] n° 1/80 s’oppose-t-il à ce qu’un État membre puisse décider pendant ces trois ans que, si le membre de la famille admis sur le territoire contracte mariage, il cesse de tirer des droits au titre de cette disposition même s’il continue d’habiter chez le travailleur turc?

2)      L’article 7, [premier alinéa], premier tiret, [de la décision n° 1/80] ou quelque autre disposition et/ou principe du droit communautaire s’oppose-t-il à ce que, à l’issue de la période de trois ans, les autorités nationales compétentes mettent en cause, avec effet rétroactif, le droit de séjour de l’étranger en se fondant sur sa qualité de membre de la famille ou la régularité de sa résidence pendant ces trois ans?

3)      a)     Le fait qu’un étranger ait volontairement ou non omis de révéler des éléments que la législation nationale considère comme importants aux fins de son droit de séjour est-il pertinent pour la réponse aux questions précédentes et, le cas échéant, dans quel sens?

b)      Le fait que ces éléments aient été découverts au cours de la période de trois ans ou seulement après a-t-il lui aussi de l’importance? [À ce propos, il faut tenir compte du fait que, une fois informées, les autorités nationales compétentes sont éventuellement amenées à procéder à une enquête (plus approfondie) avant de se prononcer.] Le cas échéant, dans quel sens?»

 Sur les questions préjudicielles

 Observations liminaires

35      Il ressort de la décision de renvoi que la demande de décision préjudicielle du Rechtbank ’s-Gravenhage concerne la situation d’une ressortissante turque qui, en tant qu’enfant et, partant, membre de la famille d’un couple de migrants turcs dont l’un au moins appartenait au marché régulier de l’emploi des Pays-Bas, a été autorisée à rejoindre ses parents sur le territoire de l’État membre d’accueil aux fins du regroupement familial, sur le fondement de l’article 7, premier alinéa, de la décision n° 1/80.

36      La juridiction de renvoi a constaté que Mme Pehlivan a vécu sous le même toit que ses parents pendant une période ininterrompue de plus de trois années, mais les autorités néerlandaises ont par la suite mis en cause son droit de séjour dans l’État membre d’accueil au motif qu’elle s’était mariée avant l’expiration de la période de trois années prévue à l’article 7, premier alinéa, premier tiret, de la décision n° 1/80. Lesdites autorités se sont à cet égard fondées sur le droit national en vertu duquel le lien de famille effectif d’un enfant majeur avec ses parents est réputé rompu du fait du mariage de ce dernier, dès lors qu’il n’existerait plus de dépendance morale et financière de cet enfant à l’égard des parents, de sorte que, dans un tel cas, le permis de séjour ne pourrait plus valablement reposer sur le regroupement familial.

37      Dans ces conditions, il importe de décider d’emblée, ainsi que le demande en substance la juridiction de renvoi par sa première question, si une ressortissante turque se trouvant dans la situation de la requérante au principal peut utilement se prévaloir de l’article 7, premier alinéa, premier tiret, de la décision n° 1/80.

38      À cette fin, il convient plus particulièrement de déterminer si l’article 7, premier alinéa, premier tiret, de la décision n° 1/80 peut être interprété en ce sens que le fait pour un membre de la famille d’un travailleur migrant turc, admis dans un État membre au titre du regroupement familial avec ses parents, de se marier avant l’expiration de la période de trois années prévue à cette disposition a automatiquement pour effet de rendre non régulière, au sens de celle-ci, la résidence de l’intéressé dans l’État membre d’accueil et si, en conséquence, ce dernier peut valablement appliquer une réglementation nationale en matière de séjour du type de celle décrite au point 20 du présent arrêt à une ressortissante turque telle que celle au principal dont il est constant que, pendant toute cette période, elle a effectivement habité avec ses parents.

 Sur la première question

39      En vue de répondre de manière utile à la première question telle que circonscrite aux deux points précédents, il y a lieu de rappeler que l’article 7, premier alinéa, de la décision n° 1/80 a un effet direct, de sorte que les ressortissants turcs auxquels cette disposition s’applique ont le droit de s’en prévaloir directement devant les juridictions des États membres pour faire écarter l’application des règles de droit interne qui lui sont contraires (voir en ce sens, notamment arrêts du 17 avril 1997, Kadiman, C‑351/95, Rec. p. I‑2133, point 28, et du 22 décembre 2010, Bozkurt, C‑303/08, non encore publié au Recueil, point 31).

40      Ainsi qu’il ressort du libellé même dudit article 7, premier alinéa, l’acquisition des droits prévus à cette disposition est subordonnée à deux conditions cumulatives préalables, à savoir, d’une part, le fait que la personne concernée doit être membre de la famille d’un travailleur turc appartenant déjà au marché régulier de l’emploi de l’État membre d’accueil et, d’autre part, qu’elle ait été autorisée par les instances compétentes de cet État à y rejoindre ledit travailleur (voir arrêt Bozkurt, précité, point 26). Ainsi qu’il a été dit aux points 21 à 23 du présent arrêt, il est constant que, en l’espèce, ces conditions étaient satisfaites par Mme Pehlivan.

41      Dès lors que lesdites conditions préalables sont remplies, il reste à vérifier, aux fins de l’application de l’article 7, premier alinéa, de la décision n° 1/80, si le ressortissant turc concerné réside régulièrement depuis une certaine durée sur le territoire de l’État membre d’accueil (voir, notamment, arrêt du 7 juillet 2005, Aydinli, C‑373/03, Rec. p. I‑6181, point 29).

42      Or, les périodes de résidence telles qu’énoncées aux deux tirets de l’article 7, premier alinéa, de la même décision requièrent, sous peine d’être privées de tout effet utile, la reconnaissance aux membres de la famille d’un travailleur turc autorisés à le rejoindre dans l’État membre d’accueil d’un droit corrélatif de séjour pendant ces périodes (voir arrêts précités Kadiman, point 29, ainsi que Bozkurt, points 31 et 36). En effet, le refus d’un tel droit viderait de sa substance l’autorisation conférée par l’État membre concerné à un membre de la famille d’un travailleur migrant turc de rejoindre ce dernier et constituerait la négation même de la faculté ainsi ouverte à l’intéressé de résider sur le territoire de l’État membre d’accueil.

43      En conséquence, un membre de la famille d’un travailleur turc qui, à l’instar de Mme Pehlivan, satisfait aux deux conditions préalables rappelées au point 40 du présent arrêt et qui réside régulièrement depuis plus de trois années sur le territoire de l’État membre d’accueil est nécessairement titulaire dans ledit État d’un droit de séjour directement fondé sur cette disposition.

44      Pour ce qui est plus spécifiquement du critère de la résidence régulière avant l’expiration de la période initiale de trois années, énoncé à l’article 7, premier alinéa, premier tiret, de la décision n° 1/80, il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour que les termes utilisés par les différentes dispositions de la décision n° 1/80 sont des notions du droit de l’Union qui doivent faire l’objet d’une interprétation uniforme au niveau de l’Union européenne, en tenant compte de l’esprit et de la finalité des dispositions en cause ainsi que du contexte dans lequel celles-ci s’insèrent, aux fins d’en assurer l’application homogène dans les États membres (voir, notamment, arrêts du 30 septembre 1997, Ertanir, C‑98/96, Rec. p. I‑5179, point 59, ainsi que du 30 septembre 2004, Ayaz, C‑275/02, Rec. p. I‑8765, points 39 et 40).

45      À cet égard, conformément à l’objectif général poursuivi par ladite décision, consistant à améliorer dans le domaine social le régime dont bénéficient les travailleurs turcs et les membres de leur famille en vue de réaliser progressivement la libre circulation (voir, notamment, arrêt du 16 mars 2000, Ergat, C‑329/97, Rec. p. I‑1487, point 43), le système mis en place plus particulièrement par l’article 7, premier alinéa, de la même décision entend créer des conditions favorables au regroupement familial dans l’État membre d’accueil. Dans un premier temps, c’est-à-dire avant l’expiration de la période initiale de trois années prévue au premier tiret de ladite disposition, celle-ci vise à favoriser l’emploi et le séjour dans l’État membre d’accueil du travailleur migrant turc déjà régulièrement présent sur le territoire de cet État par la présence, auprès de ce travailleur, des membres de sa famille. Par la suite, le second tiret de cette même disposition consolide la position des membres de la famille du travailleur migrant turc par la possibilité qui leur est accordée d’accéder eux-mêmes au marché du travail de cet État membre, aux fins de s’y constituer une situation autonome par rapport à celle de ce travailleur et de renforcer ainsi l’insertion durable de la famille dans l’État membre d’accueil (voir arrêt Bozkurt, précité, points 33 et 34 ainsi que jurisprudence citée).

46      La Cour en a inféré que le membre de la famille est, en principe et sauf motifs légitimes, tenu de résider effectivement avec le travailleur migrant tant qu’il n’est pas lui-même titulaire du droit d’accéder au marché du travail, soit avant l’expiration de la période de trois années telle que prévue à l’article 7, premier alinéa, premier tiret, de la décision n° 1/80 (voir arrêt Bozkurt, précité, point 35). Ainsi que la Cour l’a relevé aux points 42 et 44 de l’arrêt Kadiman, précité, il n’en irait différemment que dans l’hypothèse où des circonstances objectives justifieraient que le membre de la famille concerné ne vive pas, dans l’État membre d’accueil, sous le même toit que le travailleur migrant turc.

47      La Cour a précisé dans ce contexte que, eu égard tant à la finalité essentielle de l’article 7, premier alinéa, de la décision n° 1/80 qu’à l’esprit de cette disposition, le regroupement familial, qui a justifié l’entrée du membre de la famille sur le territoire de l’État membre d’accueil, doit se manifester concrètement par la présence continue dudit membre auprès du travailleur, cette présence se matérialisant par la cohabitation des intéressés, jusqu’à ce que le membre de la famille dispose, après trois années, de la faculté de mener une existence indépendante de celle de son parent qui lui a permis d’intégrer l’État membre d’accueil (voir arrêt Ergat, précité, point 36).

48      Aussi la Cour a-t-elle interprété l’article 7, premier alinéa, premier tiret, de la décision n° 1/80 en ce sens que cette disposition n’empêche pas l’État membre d’accueil de soumettre le droit de séjour du membre de la famille durant les trois premières années à des conditions de nature à garantir que la présence dudit membre sur son territoire soit conforme à l’esprit et à la finalité de cet article 7, premier alinéa (arrêt Kadiman, précité, point 33).

49      En vue de déterminer la portée exacte de cette interprétation, il importe de rappeler la logique du système qui est à la base de l’article 7, premier alinéa, de la décision n° 1/80 tel qu’il a été mis en place par les parties contractantes.

50      À cet égard, il ressort clairement de la jurisprudence de la Cour que, d’une part, la première admission dans un État membre d’un membre de la famille d’un travailleur turc appartenant déjà au marché régulier de l’emploi de cet État relève en principe du droit national dudit État, cette compétence se manifestant par l’autorisation accordée à l’intéressé, par les instances nationales compétentes, de rejoindre ce travailleur (voir arrêt Ayaz, précité, points 34 et 35).

51      D’autre part, une fois révolue la période initiale de trois années telle que prévue à l’article 7, premier alinéa, premier tiret, de la décision n° 1/80, l’État membre n’est plus en droit d’assortir de quelque condition que ce soit le séjour sur son territoire d’un membre de la famille d’un travailleur turc (voir arrêts Ergat, précité, point 38, et du 11 novembre 2004, Cetinkaya, C‑467/02, Rec. p. I‑10895, point 30).

52      S’agissant de la phase intermédiaire, il convient de considérer que, pendant la période de trois années à compter de l’accès du membre de la famille concerné au territoire de l’État membre d’accueil, celui-ci dispose de certaines compétences pour réglementer le séjour de l’intéressé, sans toutefois que celles-ci soient sans limites.

53      Plus particulièrement, ainsi qu’il découle du libellé même du point 33 de l’arrêt Kadiman, précité, l’État membre d’accueil n’a le droit d’assortir le séjour du membre de la famille du travailleur turc que de conditions ayant pour objet d’assurer le plein respect de l’objectif poursuivi par l’article 7, premier alinéa, de la décision n° 1/80, en veillant à ce que l’intéressé ne réside pas sur son territoire au mépris de l’esprit et de la finalité de cette disposition, tels qu’ils ont été rappelés au point 45 du présent arrêt.

54      Étant donné que, pendant ces trois années, les membres de la famille du travailleur turc concerné n’ont pas le droit, en principe et sous réserve d’un régime plus favorable tel que prévu à l’article 14, paragraphe 2, de la décision n° 1/80, de mener une existence autonome en exerçant un emploi, leur séjour dans l’État membre d’accueil a, durant ladite période, pour seule et unique justification le regroupement familial, lequel permet au travailleur turc à raison duquel ils ont été autorisés à accéder au territoire de cet État de séjourner dans celui-ci en présence des membres de sa famille.

55      En conséquence, l’État membre d’accueil peut valablement exiger que, pendant la période initiale de trois années, le membre de la famille en question continue à résider effectivement avec le travailleur migrant turc concerné.

56      En revanche, cet État membre n’est pas autorisé à prévoir à cet égard une réglementation d’une nature différente de celle résultant de la décision n° 1/80 ou imposant d’autres conditions que celles prévues par celle-ci. En effet, en vertu d’une jurisprudence constante de la Cour, il résulte tant de la primauté du droit de l’Union que de l’effet direct d’une disposition telle que l’article 7, premier alinéa, de la décision n° 1/80 que les États membres ne sauraient modifier unilatéralement la portée du système d’intégration progressive des ressortissants turcs dans l’État membre d’accueil et ils ne disposent plus, partant, de la faculté d’adopter des mesures de nature à entraver le statut juridique expressément reconnu par le droit de l’association CEE-Turquie à de tels ressortissants (voir, en ce sens, arrêts du 22 juin 2000, Eyüp, C‑65/98, Rec. p. I‑4747, points 40 et 41; du 19 novembre 2002, Kurz, C‑188/00, Rec. p. I‑10691, points 66 à 68, ainsi que du 4 février 2010, Genc, C‑14/09, non encore publié au Recueil, points 36 à 38).

57      Or, tel est précisément le cas d’une réglementation du type de celle en cause au principal. Ainsi, une réglementation telle que celle figurant à la section B2/8.3 de la Vc 2000, loin de se borner à prévoir que le membre de la famille du travailleur migrant turc doit vivre effectivement sous le même toit que ce dernier durant les trois premières années de son séjour dans l’État membre d’accueil, énonce une règle selon laquelle, notamment, la circonstance que l’enfant majeur se marie ou s’engage dans une relation est, par elle-même, réputée rompre le lien familial effectif. Cette réglementation habilite en conséquence les autorités nationales à retirer automatiquement le permis de séjour au membre de la famille se trouvant dans une telle situation, alors même que la personne concernée aurait continué à cohabiter avec ce travailleur.

58      Force est dès lors de constater qu’une réglementation de cette nature excède manifestement les limites des mesures que l’État membre d’accueil est autorisé à adopter au titre de la décision n° 1/80. Des conditions telles que celle énoncée au point précédent ne figurent nullement à l’article 7, premier alinéa, de la décision n° 1/80, dont la rédaction est au contraire générale et inconditionnelle, et ne trouvent pas davantage appui dans l’esprit qui a présidé à l’adoption de cette disposition.

59      En ce qui concerne plus particulièrement la situation d’un membre de la famille tel que la requérante au principal, il ressort des constatations de la juridiction de renvoi que, depuis son admission sur le territoire des Pays-Bas en 1999 et jusqu’au 1er avril 2005, date à laquelle elle a quitté le domicile familial pour s’établir à une autre adresse, Mme Pehlivan n’a jamais résidé séparément en cessant de vivre en communauté domestique avec ses parents, légalement présents dans l’État membre d’accueil et dont l’un au moins appartenait au marché régulier de l’emploi de cet État.

60      Il ressort ainsi des éléments à la disposition de la Cour que, en l’occurrence, Mme Pehlivan a séjourné dans l’État membre d’accueil, pendant une période de plus de trois années sans interruption, en pleine conformité avec les exigences de l’article 7, premier alinéa, de la décision n° 1/80 ainsi qu’avec l’objectif qui constitue le fondement de cette disposition, à savoir le regroupement familial.

61      Dans ces conditions, l’intéressée doit être considérée comme ayant toujours résidé régulièrement sur le territoire néerlandais, au sens de ladite disposition. Dans des circonstances telles que celles au principal, le droit de séjour de Mme Pehlivan dans l’État membre d’accueil n’est donc, en tout état de cause, aucunement affecté par le mariage qu’elle a contracté avant l’expiration de la période de trois années prévue au premier tiret de la même disposition, dès lors que ce mariage n’a pas, en l’espèce, entraîné la cessation de la cohabitation effective de l’intéressée avec le travailleur turc par l’intermédiaire duquel elle a été admise sur le territoire de cet État membre au titre du regroupement familial.

62      Cette interprétation est par ailleurs cohérente avec la jurisprudence constante de la Cour selon laquelle un membre de la famille d’un travailleur turc qui remplit les conditions prévues à l’article 7, premier alinéa, de la décision n° 1/80 ne peut perdre les droits que cette disposition lui reconnaît que dans deux cas de figure, à savoir soit lorsque la présence du migrant turc sur le territoire de l’État membre d’accueil constitue, en raison de son comportement personnel, un danger effectif et grave pour l’ordre public, la sécurité ou la santé publiques, au sens de l’article 14, paragraphe 1, de la même décision, soit lorsque l’intéressé a quitté le territoire de cet État pendant une période significative et sans motifs légitimes (voir, notamment, arrêt Bozkurt, précité, point 42 et jurisprudence citée).

63      Il en résulte, plus particulièrement, que, ainsi que la Cour l’a déjà jugé et contrairement à ce que prévoit la réglementation en cause au principal, la circonstance que, au moment litigieux, l’intéressé est majeur n’a aucune incidence sur les droits qu’il a acquis au titre de l’article 7, premier alinéa, de la décision n° 1/80 (voir en ce sens, notamment, arrêts Ergat, précité, points 26 et 27, ainsi que du 16 février 2006, Torun, C‑502/04, Rec. p. I‑1563, point 28 et jurisprudence citée).

64      De l’ensemble de ces considérations, il y a lieu de déduire que, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, le mariage, contracté par le membre de la famille d’un travailleur turc avant l’expiration de la période de trois années prévue à l’article 7, premier alinéa, premier tiret, de la décision n° 1/80, est dépourvu de toute pertinence au regard du maintien du droit de séjour au bénéfice du titulaire de celui-ci, pour autant que, durant toute cette période, ce dernier vit effectivement sous le même toit que ce travailleur. L’État membre concerné n’était donc pas fondé à remettre en cause en l’occurrence le droit de séjour que la requérante au principal tire du droit de l’Union et il incombe aux juridictions nationales d’appliquer intégralement celui-ci ainsi que de protéger les droits qu’il confère directement aux particuliers, en laissant inappliquée toute disposition éventuellement contraire de la réglementation dudit État (voir arrêts précités Eyüp, point 42, et Kurz, point 69).

65      Il convient, enfin, de préciser que l’interprétation donnée au point précédent n’est pas incompatible avec les exigences de l’article 59 du protocole additionnel signé le 23 novembre 1970. En effet, pour des motifs analogues à ceux développés par la Cour aux points 62 à 67 de l’arrêt du 18 juillet 2007, Derin (C‑325/05, Rec. p. I‑6495), au point 21 de l’arrêt du 4 octobre 2007, Polat (C‑349/06, Rec. p. I‑8167), ainsi qu’au point 45 de l’arrêt Bozkurt, précité, la situation du membre de la famille d’un travailleur migrant turc ne peut pas être utilement comparée à celle du membre de la famille d’un ressortissant d’un État membre, eu égard aux différences sensibles existant entre leur situation juridique respective (voir, en ce sens, arrêt du 21 janvier 2010, Bekleyen, C‑462/08, non encore publié au Recueil, points 37, 38 et 43).

66      Dès lors, au vu de tout ce qui précède, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 7, premier alinéa, premier tiret, de la décision n° 1/80 doit être interprété en ce sens que:

–        cette disposition s’oppose à une réglementation d’un État membre selon laquelle le membre de la famille dûment autorisé à rejoindre un travailleur migrant turc appartenant déjà au marché régulier de l’emploi de cet État perd le bénéfice des droits fondés sur le regroupement familial au titre de la même disposition du seul fait que, devenu majeur, il contracte mariage, alors même qu’il continue d’habiter avec ce travailleur durant les trois premières années de son séjour dans l’État membre d’accueil;

–        un ressortissant turc qui, telle la requérante au principal, relève de ladite disposition, peut valablement revendiquer un droit de séjour dans l’État membre d’accueil sur le fondement de celle-ci, nonobstant la circonstance qu’il s’est marié avant l’expiration de la période de trois années prévue audit premier alinéa, premier tiret, dès lors que, durant toute cette période, il a effectivement vécu sous le même toit que le travailleur migrant turc par l’intermédiaire duquel il a été admis sur le territoire de cet État membre au titre du regroupement familial.

67      Eu égard à la réponse apportée à la première question, il n’y a plus lieu de répondre aux autres questions posées par la juridiction de renvoi.

 Sur les dépens

68      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:

L’article 7, premier alinéa, premier tiret, de la décision n° 1/80, du 19 septembre 1980, relative au développement de l’association, adoptée par le conseil d’association institué par l’accord créant une association entre la Communauté économique européenne et la Turquie, doit être interprété en ce sens que:

–        cette disposition s’oppose à une réglementation d’un État membre selon laquelle le membre de la famille dûment autorisé à rejoindre un travailleur migrant turc appartenant déjà au marché régulier de l’emploi de cet État perd le bénéfice des droits fondés sur le regroupement familial au titre de ladite disposition du seul fait que, devenu majeur, il contracte mariage, alors même qu’il continue d’habiter avec ce travailleur durant les trois premières années de son séjour dans l’État membre d’accueil;

–        un ressortissant turc qui, telle la requérante au principal, relève de ladite disposition, peut valablement revendiquer un droit de séjour dans l’État membre d’accueil sur le fondement de celle-ci, nonobstant la circonstance qu’il s’est marié avant l’expiration de la période de trois années prévue audit premier alinéa, premier tiret, dès lors que, durant toute cette période, il a effectivement vécu sous le même toit que le travailleur migrant turc par l’intermédiaire duquel il a été admis sur le territoire de cet État membre au titre du regroupement familial.

Signatures


* Langue de procédure: le néerlandais.